Haïti a payé sa liberté au prix fort. Au XIXe siècle, la France a imposé une dette colossale à son ancienne colonie. Et le pays en subit encore les conséquences aujourd’hui.
Tout au long du XIXe siècle puis du XXe siècle, les esclaves haïtiens libérés par eux-mêmes à la suite de plusieurs révoltes et leurs descendants ont été contraints de payer une dette à leurs anciens maîtres français et à leurs familles, afin de les dédommager de la perte occasionnée. Un paiement exorbitant qui a condamné dès les origines la première république noire à la pauvreté et à un sous-développement chronique.
Dans un article publié en août 2022, France culture nous propose une excellente chronologie des événements dont je reprends brièvement ici les grandes lignes :
En 1791, les esclaves de Saint-Domingue, colonie française des Antilles, se révoltent dans l’île et abolissent l’esclavage.
En 1804, les esclaves – Bonaparte venait de restaurer l’odieuse institution – repoussent les Français et proclament l’indépendance de l’île qui devient Haïti.
Le 17 avril 1825, une flotte de navires français arrive au large de Port-au-Prince. L’escadre menace l’ancienne colonie d’un blocus et d’une intervention militaire. Après de longues négociations, un accord est finalement trouvé : Haïti devra payer une somme à la France pour qu’elle tienne ses navires éloignés et ne pénètre pas dans l’île afin d’en reprendre possession et d’y rétablir l’esclavage.
Le montant fixé par la France de Charles X est astronomique : 150 millions de francs-or, soit 10 fois le budget annuel du petit État.
La jeune république n’ayant pas les moyens de payer une telle somme, est donc contrainte d’emprunter à des taux d’intérêt très élevés… et à des banques françaises. Non seulement Haïti doit s’acquitter de cette somme, mais également de taux d’intérêt prohibitifs qu’implique l’emprunt qui va avec. C’est une mise sous sujétion économique sans précédant d’une ancienne colonie qui a osé se révolter.
Pour payer cette dette, le gouvernement haïtien lève de lourds impôts. Mais l’obligation assèche rapidement les finances de l’île qui investit ce qui lui reste dans des forts militaires, pour faire face à la menace d’une potentielle invasion française en cas de non-respect des échéances… De l’argent que le gouvernement aurait pu utiliser dans des infrastructures vitales pour le développement du pays.
En 1838, Louis-Philippe, « plus généreux » que son prédécesseur Charles X, accepte de réduire la dette de 150 à 90 millions de francs-or dans un accord nommé « Traité de l’amitié ».
L’argent haïtien sert donc à dédommager les grands propriétaires français de l’ex-colonie qui ont perdu leurs esclaves, mais une partie va également dans les caisses de l’État français. Le reste est capté par des banques via des emprunts toxiques.
Haïti ne terminera de payer la dette elle-même qu’en 1888 mais les intérêts, eux, ne seront complètement remboursés que dans les années 1950 !
C’est une amie, Michaëlle Jean, ancienne gouverneure-générale du Canada et ancienne patronne de la Francophonie, elle-même d’origine haïtienne, et à qui j’ai consacré un livre axé sur son mandat à la tête de l’OIF[1], qui m’a aidé à mieux comprendre ce scandale historique, aujourd’hui en grande partie oublié des Français.
Jean qui se souvient des exécutions publiques à Port-au-Prince du temps de la dictature de François Duvalier et du visage horriblement tuméfié de son père torturé par les Tontons Macoutes, se rappelle aussi très bien les discussions de ses parents à propos de cette créance que leur génération avait eu à acquitter.
En 2001, le président Aristide évoquait un manque à gagner total de 21,6 milliards de dollars pour Haïti, soit quasiment deux fois le PIB annuel de l’île au début des années 2020.
Les États-Unis, malgré leur soutien déclaré à l’indépendance d’Haïti et en dépit de la doctrine Monroe, ne sont jamais intervenus dans cette affaire, même une fois leur puissance devenue hégémonique sur le continent américain. Le maintien d’Haïti dans une situation économique précaire, correspondant à leurs intérêts économiques et géopolitiques dans la région des Caraïbes.
Il y a quelques années, une annonce a laissé croire que le Quai d’Orsay allait restituer aux Haïtiens l’indemnité que la France leur avait recelée. Il s’agissait bien sûr d’un canular, les Français n’ayant même pas encore à ce moment-là honoré leur engagement quant au fonds mis sur pied pour la reconstruction d’Haïti par les Nations unies à la suite du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Néanmoins, ce canular a eu le mérite de relancer un minimum le débat sur une affaire qu’il faut bien qualifier d’escroquerie historique et dont la réparation demeure, aujourd’hui encore, une revendication légitime.
Bien évidemment, la crise sans précédent que connait aujourd’hui Haïti ne trouve pas uniquement sa source dans le racket imposé par la France pendant plus d’un siècle. La plupart des gouvernements qui se sont succédé ces dernières décennies à Port-au-Prince ont une lourde part de responsabilité. Leur gestion inefficace et la corruption généralisée au sein des institutions haïtiennes ont contribué de manière significative à la perpétuation de la pauvreté endémique dans le pays. Cependant, il est crucial de ne pas négliger le rôle de la France, pays des droits de l’homme, qui a persisté à tirer profit, au détriment des Haïtiens, de la compensation pour la perte de ses esclaves jusqu’à la IVe République.
Il est curieux de constater que les médias américains semblent aujourd’hui non seulement plus préoccupés par l’effondrement d’Haïti que leurs homologues français, mais également plus conscients des responsabilités occidentales dans cette situation, comme l’a récemment démontré CNN en abordant justement ce scandale des esclaves haïtiens contraints de dédommager leurs anciens maîtres.
Il est également à regretter que la plupart des intellectuels français, occupés qu’ils sont par les différentes crises internationales que nous connaissons actuellement, ne puissent trouver le temps de tourner leur regard vers les Caraïbes. Tout cela n’est sans doute pour eux que menu fretin.
Certains d’entre eux évoquent la « solitude d’Israël ». Pour ma part, j’aimerais que l’on parle un peu plus de la solitude d’Haïti.
[1] Romuald Sciora, Femme vaillante – Michaëlle Jean en Francophonie, (Montréal : Éditions du CIDIHCA, 2021).
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Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.
Il y a quelques semaines, on a vu se multiplier des images de campagne de Donald Trump posant avec des groupes souriants de supportrices et supporters noirs, un électorat dans lequel il espère progresser en novembre prochain dans les Etats clés, surtout chez les hommes et chez les jeunes. Or ces photos laissaient une impression étrange. En y regardant de plus près, comme l’a fait la BBC, on s’est aperçu qu’elles étaient fausses : les collages étaient grossiers, les doigts d’un protagoniste manquaient, un autre avait trois bras. Il n’empêche : ces visuels ont été largement partagés par de (vrais) partisans de Trump et des médias ultraconservateurs acquis à l’ancien président. Avec son aval, voire à son initiative ? Nul ne le sait.
En revanche, le candidat républicain a, lui, bel et bien diffusé, fin mars, une vidéo parodique mettant en scène Joe Biden pieds et poings liés à l’arrière d’un pick-up. Et son compte Instagram publie régulièrement des montages montrant par exemple un camion-benne estampillé « Biden-Harris » en feu ou encore le président démocrate déroulant le tapis rouge à une foule de migrants en pleine course pour franchir la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Et en matière de deepfakes, il n’y a pas que les images. En janvier, des électeurs et électrices du New Hampshire ont reçu un appel téléphonique dans lequel la voix trafiquée du président en exercice leur déconseillait de voter aux primaires démocrates de l’Etat (la chaîne NBC a révélé depuis qu’un consultant politique, embauché par la campagne d’un rival de Joe Biden à l’investiture démocrate, en était à l’origine).
Il n’en reste pas moins que, depuis la campagne de 2015-2016, Donald Trump n’a cessé de propager et promouvoir de fausses images violentes ciblant ses adversaires ou celles et ceux qu’il définit comme tels : balles de golf lancées à pleine vitesse pour percuter et faire chuter Hillary Clinton ou Joe Biden, Donald Trump maniant une batte de baseball à côté de l’image du procureur de Manhattan Alvin Bragg ou encore match de catch dans lequel il frappait et mettait à terre une personne travaillant pour la chaîne CNN.
L’intelligence artificielle (IA) va-t-elle donc trop loin ? En réalité, la problématique, toujours la même, est plutôt celle-ci, quelle que soit la technologie : éviter de confondre l’outil et les usages que l’on en fait. On pourrait penser que le but, avec les deepfakes, demeure celui de la parodie. Cela relèverait alors du registre de l’humour, liberté inaliénable en démocratie. Le degré de mensonge auquel le trumpisme, aidé par le modèle économique des algorithmes, a mené depuis bientôt huit ans contraint néanmoins à parler de propagande antidémocratique et à poser la question des relais de cette dernière.
Du mythe de l’élection volée de 2020 en passant par les insultes et les appels à la haine (contre les journalistes, les migrants, les juges et leur famille, les opposants politiques, les femmes qui l’accusent de violences sexuelles, etc.), Trump est passé maître dans la stratégie de brouiller tous les repères et d’induire l’électorat et les leaders d’opinion en erreur, en promouvant une fausse histoire et non des moindres : il serait au-dessus des lois et de la Constitution.
Ce qui pose la question, comme pour les campagnes de 2016 et 2020, de la régulation des logiciels et réseaux sociaux, qui ont toujours un temps d’avance dans l’usage des technologies. Les plateformes ne sont pas non plus en dehors de l’Etat de droit. Des accusations d’interférence dans le processus électoral peuvent, leurs dirigeants le savent, leur valoir de graves ennuis judiciaires.Le 13 mars, le générateur d’images Midjourney – par lequel de fausses photos du pape François en doudoune blanche, du président français Emmanuel Macron ramassant des poubelles ou de Donald Trump arrêté par des policiers sont devenues célèbres – a décidé de bloquer la fabrication de visuels de Trump et de Biden générés par l’IA dans le cadre de la campagne 2024. De leur côté, Facebook et Microsoft (pour OpenAI) viennent de déclarer qu’ils ajouteraient la mention « fabriqué avec l’IA » aux posts et aux images en lien avec la campagne. Et cependant, on apprend que Meta va supprimer, en août, le logiciel CrowdTangle qui aide les journalistes à débusquer la désinformation sur Facebook et Instagram…
Donald Trump a, pour sa part, déjà riposté : il affirme que le Lincoln Project, un groupe de républicains qui lui est opposé, publie des messages utilisant l’IA pour le mettre en défaut et le « faire passer pour aussi mauvais et pathétique que Joe Biden l’escroc ». Mais si les spots en question alignent gaffes, hésitations et confusions de l’ancien président dans ses meetings et ses interviews, toutes ont réellement eu lieu. Ce n’est pas du fake. Retourner, contre celles et ceux qui les formulent, les accusations et critiques dont il fait l’objet est une stratégie systématique de Trump. Histoire d’alimenter un peu plus le récit de sa persécution.
Par Marie-Cécile Naves pour Le Nouvel Obs.
The dataset contains all resolutions of the United Nations between session 49 (1995/1996) and 76 (2021/2022) until September 2022, as well as newly developed issue categories that allow for in-depth analysis of voting patterns in the United Nations General Assembly. The issue categories are based on the subjects used by the UN. Metadata for each resolution, such as information on the authorship, as well as corresponding draft resolutions were collected through webscraping and subsequently cleaned from the UN Digital Library website.
The data covers the following time period: 10.03.1995-01.01.2024.
This paper discusses the growing potential cybersecurity vulnerabilities of UN peace operations. Fast-moving changes in the cyber capabilities of state and non-state actors, the changing nature of asymmetric warfare, and the positioning of the UN in relation to global and regional geopolitics are increasingly placing peace operations in the crosshairs of complex cybersecurity threats. In parallel to these external trends, internal trends in missions’ intelligence, surveillance, and data management technologies also make them more vulnerable to cyber threats. At the same time, there are opportunities for missions to leverage cybersecurity infrastructure to support the implementation of their mandates, including in the areas of mediation and political settlements and the protection of civil society actors.
The paper provides an overview of the cyber threats facing peace operations and opportunities to leverage cybersecurity tools for mandate implementation. It also documents the operational and policy challenges that have arisen and the Secretariat’s efforts to address them. It concludes with several recommendations for the UN as peace operations seek to operate in an increasingly fraught political and cybersecurity environment:
Since the first feminist foreign policy (FFP) was adopted by Sweden in 2014, sixteen countries have either published an FFP or announced their intention to do so. Some proponents of FFPs have indicated that these policies can be a way to democratize and transform multilateralism, integrating feminist approaches and principles into multilateral institutions and leading to more inclusive and equitable outcomes. This requires seeing FFPs as not just a “women’s issue” but also as a way to reinvigorate an outdated and inequitable system through transformational change and the interrogation of entrenched power dynamics, including in areas such as trade, climate, migration, and disarmament.
One obstacle to realizing the potential of FFPs is that there is no single definition of feminist foreign policy. Part of the challenge is that there are many interpretations of feminism, some of which reflect a more transformative, systemic approach than others. Ultimately, there is no single way to “do” feminism, and approaches to FFP should, and will, vary. If FFP is to survive and grow, it will encompass contradictions and compromises, as with all policymaking, and civil society and member states will have to collaborate to advance feminist principles in the multilateral arena.
To explore the future of FFPs, the International Peace Institute, in partnership with the Open Society Foundations and in collaboration with the co-chairs of the Feminist Foreign Policy Plus (FFP+) Group, Chile and Germany, convened a retreat on Feminist Foreign Policy and Multilateralism in July 2023. Drawing on insights from the retreat, this paper discusses five ongoing debates that FFP-interested states should meaningfully engage with:
In many European countries, the number of asylum applications continues to rise, as does the appeal of right-wing populist parties. In response, initiatives such as the British government’s Rwanda Plan and the Italian government’s agreement with Albania aim to significantly reduce the number of arrivals by transferring asylum procedures and refugee protection to third countries. It is worth noting that although similar proposals in the past have never progressed beyond the idea stage, concrete implementation procedures are currently under discussion for Rwanda and Albania. However, there are several legal and normative concerns as well as practical challenges that need to be carefully considered. These approaches would fundamentally jeopardise international refugee protection and harm vital foreign policy interests as well as the credibility of the development cooperation of Germany and the European Union (EU).
Am 26. Januar haben die beiden Ko-Fazilitator:innen für den Zukunftsgipfel der Vereinten Nationen (UN) im September 2024 den Erstentwurf für das Abschlussdokument vorgelegt, den »Pakt für die Zukunft«. Nach umfangreichen Konsultationen verhandeln die Mitgliedstaaten nun diesen sogenannten Zero Draft. Dass der Pakt im Konsens verabschiedet werden soll, hatten die Staaten bereits 2022 vereinbart. Das begrenzt die Chancen, über einen dünnen und vagen Minimalkonsens hinauszukommen. Was steht im Entwurf? Kann es gelingen, beim »Summit of the Future« im September einen Pakt zu schließen, der eine Vision mit konkreten Reformvorhaben verbindet, um alte und neue Herausforderungen effektiver multilateral zu bearbeiten?
In mid-February, the world’s largest elections took place in Indonesia over the course of a single day. Around 205 million eligible voters were called to the polls to elect a new president, vice president and almost 20,000 representatives for the national, provincial and district parliaments. The spotlight was largely centred on the presidential election, as the president plays a prominent role in the country’s political system, and according to the official results released on 20 March, General Prabowo Subianto will be assuming office in October. His election as head of state is seen by some observers as a threat to Indonesian democracy or even a return to dictatorship. However, it is much more likely that Prabowo will maintain the policies of his predecessor Jokowi, who prioritised the economic development of the country. Nonetheless, democratic institutions and procedures are likely to be further weakened. Germany and the EU should be prepared for Indonesia to adopt a more active and self-confident foreign policy stance under Prabowo as Jakarta will likely come to be driven by a decidedly transactional understanding of international cooperation.
Diversifying Germany’s bilateral partnerships in the Indo-Pacific is one of the central goals of German policy. On the one hand, this diversification aims to reduce economic dependence on China, and on the other – in the context of systemic rivalry with authoritarian states – to bring about cooperation with states that share common values with Germany, so-called Wertepartnern (value-based partners). However, it is not clearly defined which values are fundamental to value-based partnerships. It also remains unclear which states in the Indo-Pacific are referred to as value-based partners and how these value-based partnerships differ from “normal” bilateral relations with other states in the region. Instead, this study shows that the significance that is rhetorically attached to cooperation with value-based partners is at odds with the vague concept of “value-based partnership” and its limited importance as a basis for bilateral cooperation. A comparison of value-based partners with a control group of non-value-based partners across different policy areas produces mixed results. The assumed correlation between being categorised as a value-based partner and closer international cooperation based on shared norms and values cannot, with any coherence, be demonstrated empirically. A comprehensive revision of the hitherto diffuse concept of value-based partnerships is recommended – either by normative sharpening, combined with a narrowing of the circle of states designated as value-based partners, or by eradicating the term from the political vocabulary.