Pour son premier sommet européen depuis sa victoire, Emmanuel Macron a voulu marquer une rupture claire et nette avec ses deux prédécesseurs, François Hollande et Nicolas Sarkozy, en balançant une belle vacherie où chacun se reconnaitra aisément : « Il faut sortir du dilemme entre la culture de la palabre inefficace et celle du coup de menton solitaire », a-t-il lâché lors d’une conférence de presse, jeudi après-midi… Et il a tout fait, à défaut d’engranger des résultats substantiels (il est encore trop tôt), pour scénariser le « retour » de la France en Europe, affichant sans complexe son ambition de mettre ses pas dans ceux de François Mitterrand et de Helmut Kohl, le chancelier allemand mort le 16 juin et auquel il sera rendu un solennel hommage samedi 1er juillet à Strasbourg. Opération de communication et de séduction parfaitement réussie : « Macron, c’est la remontada à la française » apprécie en connaisseur un responsable communautaire amateur de football.
L’élément clef de ce « storytelling » est l’affichage, presqu’entêtant, du « renouveau » du couple franco-allemand, qui a déjà gagné le surnom, parmi les journalistes, de M&M’s, plus amusant – et égalitaire- que « Merkhollande » ou « Merkozy ». « Harmonie franco-allemande » et « entente parfaite » par ci, « feuille de route commune » et « volonté de travail en commun » par là, ont rythmé la communication française durant ces deux jours. Emmanuel Macron a même donné une conférence de presse commune avec Angela Merkel, à l’issue du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, qui s’est achevé vendredi après-midi.
Des journalistes au pain sec
Un exercice exceptionnel, à défaut d’être nouveau, mais frustrant pour les journalistes, le nombre de questions étant limité par le format (3 questions par pays…). Macron a d’ailleurs tenu à montrer à la presse que, s’il était urbain, à la différence de l’agressif Sarkozy, et concis, à la différence de l’interminable Hollande, qu’il serait jupitérien, bien plus que l’ensemble de ses prédécesseurs, y compris de Gaulle : pas de off, pas de poignées de main, pas de signe de connivence avec untel ou unetelle, pas de discussion impromptue à l’issue de la conférence de presse. Une fois la parole présidentielle délivrée, le président retourne sur son Olympe.
Un régime sec qui est aussi dicté par un souci d’efficacité : « Il sait ce qu’il veut et il le dit clairement ce qui nous change de François Hollande dont on se demandait toujours ce qu’il avait voulu dire », analyse un diplomate d’un pays d’Europe de l’Est : « La rondeur, c’est sympa, mais pas très efficace. En plus Macron parle bien anglais, ce qui facilite le dialogue avec les dirigeants qui ne parlent pas français : au lieu de se parler 15’, on se parle 30’ ». Le Président de la République, qui a déjà rencontré plusieurs dirigeants européens, au premier chef Angela Merkel, mais aussi le Néerlandais Mark Rutte ou le Bulgare Boris Borisov, et communautaires, a profité du Sommet de Bruxelles, qui s’est terminé vendredi après-midi, pour achever son tour d’Europe, notamment en discutant en bilatéral formelle avec les dirigeants du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Slovaquie, Tchéquie) puis avec le président roumain.
«Stéréotypes et clichés»
Une séquence qui illustre la méthode Macron : s’appuyer sur le couple franco-allemand, car « il n’y a pas de solution européenne pertinente s’il n’y a pas de solution franco-allemande pertinente », comme il l’a expliqué, mais « assumer ses désaccords ». Il l’a fait à l’ouverture du Conseil, dans un entretien accordé à huit journaux européens, dont Le Figaro, en accusant certains pays de l’Est de considérer l’Europe « comme un supermarché », prenant ce qui les intéresse tout en refusant la solidarité. Il visait non seulement leur refus d’accueillir des réfugiés, mais aussi leurs réticences à tenir compte des problèmes suscités en Europe de l’ouest par les travailleurs détachés : « vous pensez que je peux expliquer aux classes moyennes françaises que des entreprises ferment en France pour aller en Pologne, car c’est moins cher, et que chez nous les entreprises du BTP embauchent des Polonais, car ils ne sont payés moins cher ? »
Second temps : il a rencontré, vendredi matin, le groupe de Visegrad pour s’expliquer yeux dans les yeux. La première ministre polonaise, Beate Szydlo, du parti de droit radicale Droit et justice, très remontée, a accusé le président français de véhiculer des « stéréotypes et des clichés ». Mais la démarche a été appréciée, en dépit des divergences, Macron étant qualifié de « partenaire très constructif » par ses homologues. Les deux parties ont convenu d’accroitre leur dialogue pour parvenir à un accord sur la réforme de la directive sur les travailleurs détachés, un symbole important pour le chef de l’Etat qui veut montrer que l’Europe protège.
La France doit faire ce qu’elle dit
Reste que Emmanuel Macron a pu mesurer l’ampleur de la tache qui l’attend pour changer le logiciel européen : si plusieurs gouvernements très libéraux, qui ont senti passer le vent du boulet des partis démagogiques, comme celui des Pays-Bas, ou même l’Allemagne, sont prêt à évoluer sur le libre échange intégral qui a fait de l’Union l’idiot utile de la mondialisation, ce n’est pas le cas d’une majorité de pays, voire de la Commission, que ce soit sur le contrôle des investissements chinois dans les secteurs stratégiques ou sur l’adoption d’un « buy european act » réservant les marchés publics aux entreprises européennes. Même chose sur la réforme de la zone euro même si Angela Merkel a donné des signes d’ouverture. Au fond, Macron sait parfaitement qu’il devra, pour redonner toute sa place à la France dans le concert européen, d’abord relancer son économie. « La voix de la France est importante, elle peut changer beaucoup de choses. Mais cela suppose qu’elle soit exemplaire, qu’elle dise clairement ce qu’elle veut et qu’elle fasse ce qu’elle dit », a-t-il reconnu.
N.B.: La transcription des propos d’Emmanuel Macron est ici.