You are here

IRIS

Subscribe to IRIS feed
Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 2 weeks 3 days ago

Vers une évolution de la géopolitique du pétrole ?

Fri, 18/12/2015 - 11:45

Le cours du baril a chuté à son plus bas niveau depuis onze ans. Comment expliquer cet état de fait et quelles sont les conséquences qui en découlent pour les pays producteurs ?
Le prix du baril (37 dollars pour le Brent, 34 pour le WTI au 17 décembre 2015) a chuté de 65% depuis juin 2014, un effondrement lié au choc d’offre sur le marché qu’aucun analyste n’avait véritablement pronostiqué. Plusieurs raisons expliquent cela. Tout d’abord, la crise économique et ses conséquences produisent un ralentissement de la croissance de la consommation pétrolière voire sa diminution dans certaines régions comme l’Union européenne, voire la zone OCDE. Ensuite, la croissance de la production pétrolière américaine, aussi impressionnante qu’imprévue (+70% entre 2008 et 2014 selon les chiffres de BP), même si des doutes subsistent sur sa durée. Enfin, la nouvelle position de l’Arabie Saoudite au sein de l’OPEP affichée depuis l’été 2014 et formalisée lors de la réunion du 28 novembre 2014. Le cartel défend désormais des parts de marchés et non plus un niveau de prix, qui était pourtant sa raison d’être. Pour les pays producteurs, cela signifie une brutale chute des revenus. Personne ne voulant céder ses parts de marchés en baissant sa production pour faire remonter les prix, ces derniers continuent de chuter. Nombre de pays ont ainsi dû revoir leur budget national 2015, élaboré avec des prévisions de revenus plus importantes car indexés sur un prix plus haut. C’est, entre autres, le cas de la Russie, du Nigéria, de l’Algérie et du Venezuela, qui ne disposent pas tous des confortables réserves de l’Arabie Saoudite (environ 700 milliards de dollars début 2015). Toutefois, selon un rapport du FMI [1], ces réserves financières pourraient s’épuiser d’ici six ans si les prix se maintenaient à des niveaux aussi bas. Cela opère un transfert de revenus vers les consommateurs qui voient leur facture énergétique se réduire mais pose donc de sérieux problèmes à des pays parfois, déjà, dans des situations complexes (le Nigéria face à Boko Haram ou encore le Venezuela en pleine crise politique).

Un accord de principe entre leaders du Congrès rend désormais possible la reprise des exportations américaines de pétrole. Comme certains l’affirment, la levée de l’interdiction place-t-elle les Etats-Unis à la direction de la politique énergétique mondiale ?
Les Etats-Unis sont en effet devenus, avec 11,6 millions de barils par jour (mbj) produits en 2014 selon les chiffres de la BP Strategic Review of World Energy (publiée en juin 2015), les premiers producteurs mondiaux devant l’Arabie Saoudite (11,5) et la Russie (10,8), principalement à cause de l’explosion de la production des hydrocarbures non conventionnels. Conjugués à d’autres facteurs notamment internes, cela a ravivé le souhait d’exporter du pétrole, procédé interdit depuis les chocs pétroliers des années 1970. Cette volonté d’exporter est également liée au fait que les raffineries américaines sont calibrées en grande partie pour raffiner un pétrole lourd en provenance du Golfe ou du Venezuela. Ainsi, l’exportation de l’excédent de production de brut lié au pétrole non-conventionnel, plus léger et ne pouvant être raffiné, devient intéressante. Toutefois, il faut rappeler que les Etats-Unis restent le premier consommateur (19 mbj) et le deuxième importateur mondial de pétrole avec 7,2 mbj, juste devant la Chine – passé première en mai 2015 – qui en importe pour sa part 7,37 mbj. Si exportation il y a, ce ne devrait donc pas concerner des volumes trop importants. Les Etats-Unis, par leur statut de grand producteur et de grand consommateur, comme la Chine, ont certes une place à part sur la scène pétrolière mondiale mais si l’influence de l’OPEP semble se réduire (sa production, autour de 30 mbj, a baissé en part relative), son rôle n’en devient pas négligeable pour autant. N’oublions pas que l’Arabie Saoudite reste le seul pays à disposer de capacités de production excédentaires quand les autres produisent à plein régime. Le fait que le pétrole soit un marché mondial et donc exposé à différents types de chocs, dans différentes régions vient aussi nuancer l’hypothèse d’une hégémonie américaine. Enfin, l’autre paramètre crucial concerne les doutes qui subsistent sur la durée du « boom » du non-conventionnel aux Etats-Unis. A court terme en raison des problématiques de hedging qui ralentissent la chute de la production, à moyen terme en raison de la faible durée de vie des gisements (en comparaison des champs conventionnels). L’Energy Information Administration (EIA) annonce ainsi déjà la baisse de la production de brut américain qui devrait retomber à 9,3 mbj en 2015 puis 8,8 mbj en 2016 [2].

Bien que des réserves de pétrole soient suffisantes pour encore plusieurs décennies, les entreprises se tournent petit à petit vers des solutions alternatives afin de limiter l’utilisation d’hydrocarbures. Peut-on envisager un futur sans pétrole ?
Cela semble compliqué et assez peu réaliste. Les ressources fossiles en général (pétrole, gaz, charbon) ont de multiples utilisations (transport, génération d’électricité, pétrochimie, etc.). Le pétrole reste l’énergie dominante pour le transport (qu’il soit terrestre, naval ou aérien) et connait une faible concurrence dans ce domaine. Des substituts aux ressources fossiles existent pour la génération d’électricité à partir des solutions renouvelables comme l’éolien ou le solaire – mais il persiste une tendance à leur idéalisation, vantant les mérites de leur empreinte carbone et de leur compétitivité (qui a, il est vrai, progressé rapidement ces dernières années). Toutefois, ces filières ne sont pas sans impacts. Les éoliennes utilisent par exemple des alternateurs à aimants permanents contenant du néodyme ou du dyprosium, des métaux stratégiques appartenant à la catégorie des terres rares dont la production mondiale, ultra polluante, est assurée à 95% par la Chine. Beijing s’est constitué ce monopole en cassant les prix ces dernières décennies, grâce à des salaires faibles et des normes environnementales et de sécurité peu contraignantes (la production implique de séparer les métaux des autres éléments dont certains sont radioactifs). De même, se pose la question du recyclage des panneaux photovoltaïques. Il faut donc rester raisonnable lorsque l’on évoque de telles transformations, et surtout leur durée. L’idée est plutôt que les énergies renouvelables s’installent d’abord comme solide complément de nos mix énergétiques pour ensuite en devenir l’élément principal, mais il n’existe pas de solutions uniques. A chaque pays son mix énergétique, selon ses caractéristiques physiques, minières, financières, techniques, etc. L’idée est de trouver un équilibre global tout en réduisant significativement notre consommation de ressources fossiles. Selon le scénario le plus « vert » de l’Agence internationale de l’énergie [3], les énergies fossiles représenteront encore 59% de la demande mondiale en énergie primaire en 2040 (79% pour le scénario business as usual). La transition sera donc lente, en témoigne les oppositions franches que nous avons observées lors de la COP21 à Paris.

 

[1] Regional Economic Outlook, Middle East and Central Asia, octobre 2015, p. 25,
[2] EIA, Short Term Energy Outlook, 8 décembre 2015.
[3] World Energy Outlook 2014, Agence internationale de l’énergie, novembre 2014.

COP21 : dernière ligne droite

Fri, 11/12/2015 - 12:33

La COP21 en est aujourd’hui à son dernier jour officiel, délai qui sera repoussé à samedi midi, a annoncé Laurent Fabius ce matin. Le ministre des Affaires étrangères et président de la conférence a renoncé à tenir son pari et à présenter un texte dès vendredi pour adoption à 18h. Les négociations ont avancé, le texte s’est réduit, il compte désormais 27 pages mais contient encore suffisamment d’options (une cinquantaine qui selon les choix, pourrait conduire à un résultat relativement différent) en raison des blocages maintenus sur les principales dimensions de l’accord : la différentiation, les financements et l’ambition.

La différentiation est le point central, la colonne vertébrale de la convention signée en 1992 à Rio. Elle souligne la responsabilité historique des pays développés dans l’apparition du réchauffement climatique. La grande difficulté est aujourd’hui de la mettre à jour, pour la faire correspondre aux réalités actuelles. En effet, comment ne pas demander à la Chine, premier émetteur depuis 2007, de prendre des engagements contraignants pour limiter la croissance de ses émissions et inverser la tendance au plus vite, tout en reconnaissant que les émissions des pays développés se sont faites au détriment des pays du Sud qui ne voient en la modification de ce principe qu’une injustice de plus et un outil sanctionnant leur développement ?

Les débats sur les financements constituent l’autre face de cette pièce. Les pays en développement attendent des engagements concrets en matière de financement, de transferts de technologies, qui tardent à se concrétiser. Le rapport de l’OCDE publié début octobre 2015, qui faisait état de 61,8 milliards de dollars de financements a irrité nombre de délégations, Brésil en tête, qui, sans contester radicalement les chiffres, ont pointé du doigt une méthodologie peu orthodoxe (le rapport regroupant prêts et dons, privés, publics, programmes de soutiens de différentes banques de développement). L’absence de visibilité post-2020 sur ces différentes enveloppes reste l’un des principaux arguments des grands émergents, surtout quand les puissances occidentales comme les Etats-Unis, qui n’ont jamais ratifié le protocole de Kyoto, souhaiteraient voir Brésil, Inde et Chine participer à l’effort de financement des mesures d’atténuation et d’adaptation.

Enfin, l’ambition reste le nœud gordien, le point de l’accord qui guidera pour certains, la qualification d’échec ou de succès de la conférence de Paris. Certes, la limitation du réchauffement à 1,5°C a fait son apparition dans le texte (qui évoque l’objectif de « maintenir la température mondiale bien au-dessous de 2°C par rapport au niveau préindustriels et de poursuivre les efforts pour limiter cette hausse à 1,5°C ») mais sans suivi, notification et vérification, comment s’assurer des efforts effectués par chacun, notamment vis-à-vis de leurs engagements ? Pour l’heure, les pays n’appartenant pas à l’Annexe I ne sont pas dans l’obligation de fournir des évaluations de leurs émissions, et les plus émetteurs d’entre eux comme l’Inde ou la Chine exigent de pouvoir continuer à présenter, au nom de la justice et de l’équité, des objectifs ne portant pas sur des réductions absolues de celles-ci, mais concernant l’intensité carbone du PIB par exemple. Le principe de révision quinquennale des engagements – si elle s’avérait nécessaire pour l’atteinte des objectifs – est intégré à l’accord mais l’UE souhaiterait y joindre des discussions intermédiaires plus régulières sur le sujet, afin de ne pas recommencer tous les cinq ans une discussion complexe sur de tels objectifs. L’idée est également de réviser cela avant l’entrée en vigueur de l’accord de Paris, donc avant 2020 et non en 2024, option pour l’instant retenue. Rendre cet exercice de discussions intermédiaires (et ante-2020) obligatoire pourrait constituer une ligne rouge pour les émergents.

Dans ces dernières heures de négociations, la présidence française, avec l’aide de facilitateurs, doit s’enquérir des lignes rouges de l’ensemble des Etats en échangeant avec leurs négociateurs et faire la synthèse, tout en conservant un niveau d’ambitions élevé. Les membres de l’Alliance des petits Etats insulaires avaient annoncés qu’ils ne signeraient qu’un texte mentionnant l’objectif de 1,5°C. Les Etats africains souhaitent pour leur part des engagements concrets sur l’adaptation. Les puissances occidentales, tout en reconnaissant leur rôle historique dans l’apparition du changement climatique, demandent aussi aux grands émergents, Chine, Inde, Brésil en tête, de participer à la mobilisation financière quand ces derniers ne veulent pas de modification significative du principe de différentiation. On touche ici la complexité d’une négociation internationale chargée d’arriver à un compromis, à l’unanimité, rassemblant 195 pays dont les profils, intérêts et stades de développement demeurent radicalement différents. Le risque principal est de voir un texte conserver la mention d’un objectif de 1,5°C tout en affichant des objectifs et des moyens plaçant le monde sur une trajectoire 3°C. Les caractères contraignant et ambitieux ne sont-ils pas sur le point d’être sacrifiés sur l’autel de l’unanimité ? La mobilisation sans précédent des acteurs non gouvernementaux et des collectivités aux entreprises permettra-t-elle de pallier cet écueil ? Réponse dans quelques heures.

La France ne peut-elle avoir que des Occidentaux pour partenaire diplomatique ?

Fri, 11/12/2015 - 12:21

Après les attentats du 13 novembre, et face à l’engagement croissant de la France dans la lutte contre Daech, de nombreuses voix se sont élevées pour demander la remise en cause de nos relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite et le Qatar. Ces deux pays étant accusés de financer Daech, il serait contradictoire de vouloir lutter contre ce dernier, tout en ayant de bonnes relations avec les premiers.

Que penser de cette proposition ? Si réellement l’Arabie Saoudite et le Qatar financent actuellement – directement ou indirectement – Daech, ce n’est pas une remise en question de nos relations avec eux dont il devrait s’agir, mais de déférer François Hollande, une bonne partie de son gouvernement et Nicolas Sarkozy devant la Haute cour de justice, pour haute trahison, dans la mesure où ces différents responsables nient que ces pays financent l’État islamique.

Au-delà du cas particulier du Qatar et de l’Arabie Saoudite, il faut observer que très régulièrement il est demandé à la France de cesser d’avoir des relations avec tel ou tel pays, parce qu’il ne partage pas nos valeurs. Avant un revirement spectaculaire à l’égard de Moscou, après les attentats du 13 novembre, de nombreuses voix, dans les médias ou dans le paysage politique, s’élevaient pour demander de mettre au frigidaire nos relations avec la Russie, du fait du caractère autoritaire et répressif du régime de Poutine. C’est également un grand classique que de déplorer que l’on puisse avoir des relations nourries avec la Chine, sur fond du reproche récurrent de sacrifier nos principes à nos intérêts commerciaux. Plus récemment, la visite de François Hollande à Cuba a été condamnée par certains comme étant une récompense prématurée, alors que le régime n’est toujours pas libéralisé. Il y a également régulièrement des protestations à l’égard des échanges avec l’Iran. Le fait de conserver des relations étroites avec des régimes africains, dont certains dirigeants se maintiennent par des moyens contestables au pouvoir, est également critiqué. On pourrait multiplier les exemples en ce sens. Mais après tout, malgré le caractère catastrophique de la guerre d’Irak en 2003, nous avons conservé des bonnes relations avec les États-Unis et on a même été après 2005 à s’excuser d’avoir eu raison en dénonçant les dangers de cette guerre.

Tout ceci peut s’entendre mais pose un problème de fond : ne faut-il avoir des relations qu’avec les seuls pays qui partagent notre système politique ? Dans ce cas, il faudrait se contenter d’avoir des relations avec les vingt-sept membres de l’Union européenne, auxquels on pourrait éventuellement ajouter la Suisse, la Norvège, les États-Unis, le Canada l’Australie, la Nouvelle-Zélande et éventuellement le Japon. Nous ne pouvons pas avoir des relations avec nos seuls semblables. Dans un monde globalisé, avoir des relations avec un pays ne signifie pas approuver son régime. C’est juste tenir compte des réalités internationales. Finalement, que ce soit consciemment ou inconsciemment, ce qui met en cause la nature de nos relations avec des pays non occidentaux voudraient en fait limiter les marges de manœuvre de la diplomatie française en l’enfermant dans un cadre strictement occidental. Les mêmes d’ailleurs ne reprochent pas aux États-Unis d’avoir eux-mêmes des relations très développées avec l’ensemble des autres pays. Le choix pour la France serait donc de limiter son champ d’action et du coup de se contenter de s’aligner sur les États-Unis, auxquels on ne reproche pas d’avoir une diplomatie tous azimuts. Or la France, si elle est un pays occidental, ne peut être résumée à cette seule définition. Elle est un partenaire potentiel naturel des autres pays, qui lui donne un poids spécifique sur la scène internationale.

Nous pouvons, et nous devons, avoir des relations avec des pays qui ne nous ressemblent pas. Il s‘agit de comprendre quels peuvent être nos intérêts communs, et à quel moment nos intérêts divergent.

Lorsqu’en 1964, le général de Gaulle prend la décision de reconnaître la Chine, il fâche les États-Unis, à un moment où le régime chinois est totalitaire. Mais il pensait que c’était l’intérêt de la France d’avoir plus de marges de manœuvre pour mener une politique indépendante et, finalement, utile au plus grand nombre.
Ce n’est pas en rompant avec les pays qui n’ont pas notre système politique, qu’on fera évoluer le leur. Ce n’est pas non plus en les morigénant en public qu’on les fera bouger. Si on veut être efficace pour faire progresser les droits humains, il ne faut pas se contenter de posture à usage médiatique interne. Et si on veut que la voix de la France soit entendue dans le monde, elle ne peut pas se contenter de parler à ses semblables. Si on veut changer le monde, il faut partir des réalités.

Participation de l’Allemagne à la guerre en Syrie : un tournant stratégique ?

Thu, 10/12/2015 - 16:15

Pour la première fois depuis l’arrivée d’Angela Merkel au pouvoir, l’Allemagne va prendre part à un nouveau conflit armé, en Syrie. En quoi est-ce un tournant stratégique ? Cela correspond-t-il à la volonté d’exercer une nouvelle politique extérieure plus active et davantage en phase avec son poids économique ?
La première chose à souligner est que l’Allemagne a réagi rapidement à ce sujet. Le vote au Bundestag a en effet eu lieu une semaine après l’annonce de l’envoi de renforts militaires ce qui est très rare pour ce pays. Angela Merkel a dit, lorsqu’elle a rencontré François Hollande, que pour vaincre Daech, il faudrait des moyens militaires. Le fait pour les Allemands de mettre l’accent sur la nécessité de l’utilisation de la force armée est en soi une véritable évolution. S’il est vrai que cela s’est fait à la demande de la France, qui avait invoqué la clause d’assistance mutuelle du traité de Lisbonne, il s’agit d’un tournant stratégique dans le sens où on voit l’Allemagne s’impliquer petit à petit dans des opérations extérieures et dans des opérations militaires offensives. Bien entendu, cela se fait au rythme de l’Allemagne : il n’y aura pas de frappes aériennes comme le font les Britanniques aux côtés des Français mais des avions de combat seront envoyés pour faire de la reconnaissance. Malgré l’absence de frappes, c’est un appui à une action offensive. C’est à la fois un effort militaire significatif – envoi d’avions de reconnaissance et d’une frégate qui va renforcer le groupe aéronaval français et d’un avion ravitailleur -, et une réelle évolution stratégique.

Le chef de la diplomatie allemande a déclaré lors d’une visite à Bagdad que l’Allemagne était prête à accorder son soutien à la stabilisation de l’Irak et à la lutte contre Daech. L’Allemagne se profile-t-elle comme une puissance qui a un rôle important à jouer au Proche et Moyen-Orient ?
On ne peut pas véritablement dire que l’Allemagne est une puissance qui cherche à avoir un rôle à jouer au Proche et Moyen-Orient. Certes, l’Allemagne a un dialogue particulier avec la Turquie comme on l’a vu avec la crise des migrants, elle a été aussi très impliquée dans l’accord nucléaire avec l’Iran. Ce qui est sûr, c’est que depuis qu’Angela Merkel a été réélue en 2012, il y a une véritable volonté d’être présent sur tous les sujets de politique internationale et d’étendre son influence au niveau géographique. L’Allemagne a vocation à jouer un rôle sur la scène internationale à la mesure de sa puissance économique. Cela a notamment été rappelé lors de la conférence sur la sécurité de février 2013, juste après les élections allemandes de septembre 2012. L’implication de l’Allemagne dans le règlement de la crise syrienne s’inscrit dans le cadre de cette politique générale de développement de l’influence allemande sur la scène internationale mais ce n’est pas une politique qui vise spécifiquement à jouer un rôle au Proche et Moyen-Orient.

Les membres du gouvernement se refusent à employer le terme de « guerre ». Quel est l’état de l’opinion publique allemande vis-à-vis d’un engagement militaire de leur pays ? Quelles conséquences politiques pourraient en découler ?
Cette question est symboliquement très importante pour les Allemands. Quand François Hollande a demandé au gouvernement allemand la solidarité dans la lutte contre Daech, celle-ci lui a été donnée sans barguigner mais aussi sans vouloir employer le terme d’« acte de guerre » mis en avant par le président de la République. C’est une question qui, en Allemagne, est encore difficilement acceptée, essentiellement en raison des séquelles de la Seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, l’Allemagne est volontaire pour appuyer une action militaire offensive, mais refuse d’employer le mot « guerre », pour une opération qui se déroulera à des milliers de kilomètres de l’Allemagne et non à ses frontières. L’Allemagne évolue lentement mais régulièrement en direction de la France, mais elle n’est pas prête encore à employer ce terme, qui lui évoque de très mauvais souvenirs, pour qualifier les attentats du 13 à novembre à Paris. Mais l’essentiel encore une fois, c’est l’acte de solidarité.

Corruption, fraude et évasion fiscale : repenser la lutte contre l’impunité

Thu, 10/12/2015 - 10:51

Selon la Commission européenne, les pays de l’Union perdent chaque année 120 milliards d’euros pour des faits de corruption et 1000 milliards en raison de la fraude et de l’évasion fiscale. Pour l’Afrique, les capitaux acquis, transférés ou utilisés illégalement sont évalués à 50 milliards de dollars par an [1]. Pour l’ensemble des pays en développement, ce montant pourrait atteindre 750 milliards d’euros [2].

Ces chiffres sont autant d’indicateurs d’alerte de la perte de souveraineté des Etats en matière fiscale, aux dépens de certains individus et des entreprises transnationales. Au regard de cette situation, les Etats réagissent avec lenteur, cependant que les ONG investissent de nouvelles modalités d’action.

La fraude et l’évasion, un enjeu de souveraineté

En matière fiscale, le transfert de souveraineté est paradoxal car, en ce domaine, les décisions sont généralement prises à l’unanimité. Mais dans un contexte de concurrence déloyale et dommageable, les Etats perdent la réalité de leur pouvoir de décision. Ils lèvent l’impôt sur une assiette érodée par la fraude et l’évasion fiscales.

L’association Tax Justice Network a publié en 2015 son dernier indice d’opacité. La méthodologie permet de cibler les pays « qui promeuvent le plus activement et agressivement l’opacité dans la finance mondiale ». Il désigne la Suisse, Hong-Kong et les Etats-Unis comme les trois pays les plus opaques ; le Luxembourg est à la sixième place et l’Allemagne à la huitième.

Les scandales ont cet avantage de dévoiler à un public large la mesure de l’enjeu. Ainsi, l’Offshore Leaks a été révélée par le consortium des journalistes d’investigation en 2013, au moment où éclatait l’affaire Cahuzac : la fuite dévoilait 10.000 noms de sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux et proposait aussi une application interactive permettant d’identifier les bénéficiaires.

Les Swissleaks, révélées par le même consortium, ont mis en évidence en 2015 le système international de fraude fiscale et de blanchiment de la banque HSBC. Les données révélées par Hervé Falciani ont été mises en ligne, ce qui permettait de retrouver, pays par pays, des évadés fiscaux clients de la banque et le montant de leur fortune.

Enfin, le consortium a révélé en novembre 2014 les Luxleaks, mettant en lumière les pratiques d’évitement fiscal au Luxembourg, à la suite des révélations de lanceurs d’alerte, notamment d’Antoine Deltour.

S’agissant de la souveraineté judiciaire, sans doute peut-on dater de 1996, l’entrée dans le débat public des magistrats : l’Appel de Genève, dénonce « l’Europe des comptes à numéro et des lessiveuses à billets est utilisée pour recycler l’argent de la drogue, du terrorisme, des sectes, de la corruption et des activités mafieuses (…) » [3]. Les Etats sont crispés sur leur souveraineté judiciaire dans un espace économique unifié, incapables de prendre mesure de la fraude ainsi facilitée.

Depuis 1997, l’Union européenne réfléchit à la création d’un parquet européen. Une telle institution pourrait avoir pour compétence la poursuite d’infractions comme celles liées à la spéculation sur le cours de l’euro ou à la mise sur le marché européen de produits financiers dangereux. Et ce serait une institution puissante si sa compétence était élargie aux infractions commises à l’étranger, dès lors que celles-ci auraient des effets sur les intérêts financiers de l’Union [4].

Car la perte de souveraineté judiciaire a un coût. Les Etats-Unis sanctionnent de plus en plus les faits de corruption commis par des entreprises étrangères, notamment françaises. Alstom a ainsi été condamnée à verser 772 millions de dollars, Technip a versé 338 millions et Alcatel Lucent 137 millions. Certes, en droit international, rien n’interdit le cumul des poursuites et la Convention OCDE sur la corruption d’agents publics étrangers prévoit seulement une concertation entre les parties pour décider quelle est la mieux à même d’exercer les poursuites. Mais, dans ce domaine comme dans d’autres, la faiblesse des justices européennes ne place pas les Etats de l’Union en situation de négocier avec les Etats-Unis.

Repenser la responsabilité des entreprises transnationales

Dans ce contexte, une nouvelle souveraineté des entreprises transnationales émerge. La majorité des normes régissant les affaires dans le monde, notamment le droit fiscal et les normes comptables, sont le fruit du lobbysme de ces entreprises. Et la majorité des ces normes tendent à diminuer l’emprise de l’Etat. Le projet de directive sur le secret des affaires est emblématique de cette situation [5].

L’enjeu est de repenser les notions qui conditionnent la responsabilité juridique des entreprises et de renouveler les instruments d’évaluation et de contrôle. Ainsi, Sherpa a formulé 46 propositions pour la régulation des entreprises transnationales [6]. Transparency International a analysé 124 sociétés qui figurent sur la liste Forbes des plus grandes entreprises cotées en bourse et les a classées en fonction des informations qu’elles communiquent sur leur action de prévention de la corruption, sur leurs filiales et leurs intérêts financiers, ainsi que sur leurs opérations financières à l’étranger [7]. De nouveaux acteurs interviennent sur le marché émergeant de la « notation extra-financière », de la veille, du conseil ou de la formation.

La transparence comptable des sociétés multinationales est un enjeu majeur. Pour prévenir la localisation artificielle des profits, il faut connaître notamment leurs chiffres d’affaires, leurs profits, le nombre d’employés et les impôts pays dans chaque pays où elles sont implantées. Les banques y sont soumises dans l’Union européenne depuis 2013, mais les débats se poursuivent sur la possibilité d’y assujettir les autres sociétés transnationales. L’enjeu est mis en évidence par un rapport récent de la Banque de France a-t-il révélé qu’au moins 15% de notre déficit extérieur résulte de l’évasion fiscale par le mécanisme de localisation artificielle des profits [8].

En matière de lutte contre les sociétés écrans, le Parlement européen a approuvé en mars 2014 la mise en place de registres publics sur le plan européen. Mais les discussions se poursuivent au Conseil.

Enfin, l’échange d’information en matière fiscale, sur le modèle imposé par la loi FATCA, est décidé dans son principe. Les banques européennes devraient appliquer des règles similaires sous l’égide de l’OCDE, mais la réciprocité avec les Etats-Unis n’est pas encore acquise.

Des alliances nouvelles

Les ONG entrent dans ce processus par leur action de plaidoyer. L’objectif est alors la reconquête d’une forme de souveraineté démocratique, pour obtenir des institutions dont les mécanismes classiques ne permettent plus de lutter efficacement contre corruption, fraude et évasion fiscales.

Transparency international a aussi reçu des fonds européens pour mettre son expertise au service d’une évaluation qualitative des systèmes d’intégrité dans les 28 pays de l’Union.

Les institutions elles-mêmes s’appuient sur la société civile pour approfondir leur expertise. Le GRECO (groupe d’Etats contre la corruption du Conseil de l’Europe) procède à l’audition des acteurs associatifs lors de ses déplacements. L’ONU a développé une coalition contre la corruption (UNCAC) pour promouvoir dans la société civile la Convention des Nations unies contre la corruption.

Finance Watch a été constituée à l’initiative d’un groupe de députés européens, préoccupés du déséquilibre entre la représentation des intérêts de l’industrie financière et ceux du reste de la société. Ils constataient l’intervention du lobby financier tout au long du processus législatif européen. Finance Watch bénéficie de fonds institutionnels de l’Union européenne et de diverses fondations. L’association de droit belge regroupe une quarantaine d’organisations européennes, en plus de membres individuels.

Des alliances nouvelles se constituent, comme l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE). C’est une coalition tripartite composée d’Etats, d’entreprises et de groupes de la société civile, lancée en 2002. Elle offre aux sociétés et gouvernements un cadre reconnu au plan international destiné à la publication des paiements versés par les entreprises et perçus par chaque entité étatique dans le secteur des mines, du pétrole et du gaz. L’intérêt est de recouper cette double déclaration des flux financiers afin d’identifier les écarts possibles et de les justifier. Si la transparence des revenus reste au cœur des rapports annuels publiés par les pays membres, l’ITIE est devenue un outil de transparence générale du secteur depuis sa révision en 2013 avec la publication de données sur toute la chaîne de valeur allant de l’octroi des licences aux allocations budgétaires en passant par les volumes de production.

De nouvelles formes de lutte contre l’impunité

Si la mondialisation ouvre de nouveaux horizons à la corruption, elle permet aussi de nouveaux liens pour construire une résistance sur le plan international.

Le plaidoyer est une première forme de lutte. Oxfam dénonce ainsi la lenteur de la réforme fiscale internationale, imputée à de Petits arrangements entre amis [9]. Le CCFD publie des rapports sur l’économie déboussolée [10], sur le paradis des impôts perdus [11] ou encore sur 50 nuances d’évasion fiscale [12] au sein de l’Union européenne.

De même, l’Internationale de l’éducation, qui regroupe quatre cent organisations d’enseignants et d’employés de l’éducation à travers le monde, a publié un rapport sur la taxation des sociétés au niveau mondial, mettant en rapport l’importance de l’évasion fiscale et la réduction de moyens imposée à l’enseignement [13].

L’action juridique est une forme d’action plus offensive. Ainsi, Transparency International France et Sherpa ont ouvert des perspectives nouvelles pour lutter contre l’appropriation illicite des biens de l’Etat par leurs dirigeants. L’affaire des biens mal acquis, pour l’instant limitée au Gabon, à la Guinée équatoriale et au Congo, a remis en cause une forme de raison d’Etat diplomatique.

D’autres actions s’attaquent à la réputation des entreprises transnationales. Après l’effondrement du Rana Plazza au Bangladesh, l’association Sherpa et le collectif « Ethique sur l’étiquette » ont déposé plainte contre le groupe Auchan pour pratiques commerciales trompeuses, dénonçant le décalage entre la communication éthique du groupe et la réalité des conditions de travail des sous-traitants étrangers qui travaillent pour ce groupe. Le parquet, n’ayant pas la volonté ni les moyens de mener des enquêtes à l’étranger, a classé l’affaire, qui a depuis été relancée par une constitution de partie civile.

Enfin, des procédures mobilisent un droit moins contraignant. Ainsi l’OCDE a mis en place des Points de contact nationaux, organes tripartites de médiation. Ils peuvent être saisis de questions relatives à la mise en oeuvre des principes directeurs de l’OCDE, dites « circonstances spécifiques ». La structure peut proposer ses bons offices, et publie un communiqué si un accord est atteint ou si une partie refuse de participer à la procédure. En France, cinq ministères y sont représentés, six syndicats et le MEDEF. Depuis sa création en 2001, cette structure a été saisie de 22 questions.

De même, la banque européenne d’investissement a mis en place un mécanisme de traitement des plaintes qui permet en théorie à tout citoyen qui se sent lésé par une décision de la banque de recourir à un dispositif de résolution des litiges. Les faits de corruption, comme la violation des droits de l’homme, relèvent de sa compétence. C’est un élément de la politique de transparence que l’institution entend promouvoir. Pour l’instant, c’est un mécanisme encore confidentiel et d’une efficacité très relative. Cela permet au moins de signifier à la banque une vigilance citoyenne sur des prêts octroyés et leur utilisation concrète.

***

La société civile construit peu à peu une contre-démocratie de vigilance et de surveillance, donnant une vigueur nouvelle aux droits fondamentaux. Mais elle ne peut que suppléer à la marge l’incertaine volonté des Etats et des institutions internationales.

Le temps presse : la crise économique offre un terrain favorable au développement des activités illégales de certains individus. La corruption et la fraude appauvrissent la population et affaiblissent les Etats. Dans Le Retour du Prince [14], le procureur général de Palerme voit ainsi dans l’Italie contemporaine un processus complexe et global de transformation et de restructuration du pouvoir, qui concerne aussi, avec seulement des différences d’intensité, tous les autres Etats de l’Union.

 

[1] Rapport du groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique (UA/CEA), 2014
[2] Global financial Integrity :
Illicit Financial Flows from Developing Countries : 2003-2012, 2014
[3] Natacha Paris-Ficarelli,
Magistrats en réseaux contre « la criminalité organisée »; l’Appel de Genève : genèse et relais politiques en Europe, Presses universitaires de Strasbourg, 2008.
[4] Mireille Delmas-Marty, « L’affaire BNP impose de créer un parquet européen puissant », Le Monde, 1er juillet 2014
[5] Corporate Europe Observatory,
Towards legalised corporate secrecy in the EU, avril 2015.
[6] Sherpa,
Réguler les entreprises transnationales, 2010
[7]
Transparency in corporate reporting, 2014.
[8] Vincent Vicard,
Profit shifting through transfer pricing: evidence from French firm level trade data, mai 2015.
[9] Oxfam International,
Petits arrangements entre amis. Pourquoi a réforme fiscale internationale n’inquiète pas les champions de l’évasion fiscale, mai 2014.
[10] CCFD-Terre solidaire,
L’économie déboussolée, Multinationales, paradis fiscaux et captation des richesses, décembre 2010.
[11] CCFD-Terre solidaire,
Aux paradis des impôts perdus, enquête sur l’opacité fiscale des 50 premières entreprises européennes, juin 2013.
[12] Oxfam France, Eurodad, CCFD,
50 nuances d’évasion fiscale au sein de l’Union européenne, novembre 2015.
[13] Laura Figazzolo and Bob Harris,
Global taxation and resources for quality public services, Education International Research Institute, 2011
[14] Roberto Scarpinato,
Le retour du Prince, Pouvoir et criminalité, La contre Allée, 2012.

OTAN : élargissements géographiques et fonctionnels, dérives stratégiques

Tue, 08/12/2015 - 18:09

Les pays de l’OTAN viennent d’accepter d’intégrer le Monténégro, malgré les protestations de la Russie. Moscou voit dans les élargissements successifs une remise en cause d’un gentleman agreement, énoncé au moment de la réunification allemande : pas d’élargissement de l’OTAN. Les Russes perçoivent une volonté d’encerclement et le maintien d’un climat de guerre froide. Les pays de l’OTAN répliquent en disant que l’alliance atlantique est une organisation de pays démocratiques qui n’a pas de visées agressives et que les inquiétudes de Moscou sont infondées. Certes, la Russie exagère certainement le danger que représente l’adhésion du Monténégro à l’OTAN pour sa propre sécurité. Certes, il n’y a pas eu d’engagement formel des pays de l’OTAN à ne pas en élargir le périmètre après la réunification allemande. Néanmoins, il y a élargissements successifs qui donne matière à ceux qui, à Moscou, voient dans le monde occidental un ensemble qui cherche à limiter la puissance de la Russie et la maintenir dans un statut de vaincu de la guerre froide et non de partenaire d’un nouvel ordre mondial.

Ce calendrier est de surcroît particulièrement mal choisi au moment où on cherche avec certes des difficultés, du fait du soutien de Moscou à Bachar al-Assad, à impliquer plus la Russie dans la lutte commune contre Daech. On peut penser qu’envoyer un signal qui, à tort ou à raison, sera de toute façon perçu comme étant négatif par Moscou n’est pas très habile.

Certains verront dans cette décision de l’OTAN une volonté d’expansion et de puissance sans limite. On peut aussi y voir un mouvement naturel lié à la structure de l’organisation mais qui n’est pas cadré dans une réflexion stratégique globale. En tant que structure, l’OTAN doit justifier son existence après la disparition de la menace qui avait suscité sa création. Quelle légitimité dans un monde post guerre froide ? Historiquement les alliances militaires ne survivent pas à la disparition de la menace qui était leur acte de naissance. L’OTAN doit, par une logique interne, multiplier les activités, chercher de nouvelles missions, élargir son champ pour continuer à exister. C’est presque une démarche structurelle d’organisation quasi-inconsciente, un peu comme l’avait été celle des dirigeants soviétiques lorsqu’ils ont modernisé les SS-3 et SS-4 pour les renforcer par les plus modernes SS-20, dans les années 70, sans saisir qu’ils avaient suscité une contre réaction ferme des Occidentaux débouchant sur la crise des euromissiles.

Après 1990, l’OTAN était dans la situation d’un industriel dont le produit se trouve en difficulté sur le marché. Il peut choisir de fermer l’usine, de diversifier sa production, ou de gagner des parts de marché sur le concurrent. Le produit « défense territoriale des pays membres » étant moins nécessaire, l’OTAN a opté pour la diversification de sa production (élargissement géographique, missions « hors zone ») et de gagner des parts de marché sur celui de la sécurité (L’UEO a disparu, l’ONU n’a pas confirmé les espoirs de 1990, l’OSCE n’a pas pris son envol).

L’OTAN est poussée par une logique de croissance bureaucratique. Ses responsables, ceux qui y travaillent, doivent sans cesse se trouver de nouvelles missions pour se légitimer. Croissance de ses activités, croissance de son champ géographique. Mais cette politique est sans fin car elle conduit à réaliser ce qu’elle dit vouloir combattre. Face à ces différents élargissements, l’attitude de la Russie ne peut être que de se crisper contre les Occidentaux. On pourrait évoquer également l’initial et dangereux système de défense antimissile. Ceux-ci vont alors en conclure qu’il est nécessaire de mettre en place de sérieuses protections contre les résurgences d’une menace russe. À l’extérieur de l’Europe, l’OTAN est trop souvent perçue comme l’armée occidentale du choc des civilisations. C’est le cercle vicieux parfait. L’OTAN mène pour partie une politique de gribouille sans discernement stratégique et pour partie une politique consciente, inspirée par le souvenir de la guerre froide. Les responsables de l’OTAN doivent en permanence se réinventer un rôle pour survivre.

L’Europe peut-elle faire face à la mondialisation ?

Tue, 08/12/2015 - 16:56

Sylvie Matelly, directrice de recherche à l’IRIS et professeur à l’EMLV, et Bastien Nivet, chercheur associé à l’IRIS et professeur associé à l’EMLV, répondent à nos questions à propos de leur ouvrage « L’Europe peut-elle faire face à la mondialisation ? » (La Documentation française, 2015) :
– Les membres de l’UE peuvent-ils tirer les bénéfices de la mondialisation s’ils sont incapables de déterminer des intérêts économiques communs à Bruxelles ? La solution à l’influence européenne sur les marchés est-elle politique ?
– Qu’apporte l’Union européenne aux Etats dans la mondialisation ? Quels sont les leviers dont dispose l’UE ?
– Certaines franges de la population ont le sentiment que la mondialisation, comme l’Europe, restreint la souveraineté économique de leur gouvernement. Qu’en est-il réellement ?

Vers un blocage de l’extension du gazoduc Nord Stream 2 ?

Tue, 08/12/2015 - 12:41

Plusieurs pays d’Europe centrale souhaitent bloquer l’extension du gazoduc Nord Stream 2. Pour quelles raisons ? Comme l’affirme le commissaire européen chargé de l’Energie, les infrastructures existantes sont-elles supérieures aux probables futurs besoins ?
Il y a deux grandes familles de raisons. La première est d’ordre géopolitique ; des pays craignent beaucoup la Russie et ont une orientation géopolitique à l’opposé d’elle. C’est notamment le cas de la Pologne et des pays baltes qui sont par ailleurs très dépendants de Moscou pour leurs approvisionnements. Il y a par ailleurs des raisons économiques : toute une série de pays d’Europe orientale comme la Hongrie ou la Slovaquie qui se trouvent sur le trajet des gazoducs terrestres russes ont un poids relativement important dans le transit de gaz Russie-Europe occidentale et qui, avec le doublement de la capacité de Nord Stream, se retrouveraient amoindris dans le jeu gazier européen.
A l’heure actuelle, les infrastructures gazières terrestre et maritime dont Nord Stream 1 – sont a priori suffisantes pour les besoins européens. On a vu que quand le gazoduc South Stream a été annulé à la fin de l’année dernière, les pays d’Europe du Sud comme l’Italie qui devaient être les destinataires finaux du gaz n’ont pas été si affectés que cela. Ces pays voient se profiler de plus en plus la baisse de leur demande, qui est consécutive à la crise et une stagnation de leur production électrique. Selon les pays, il y a en outre un modèle de transition énergétique où on veut aller soit vers de plus en plus de renouvelables, soit vers une modification des réseaux pour limiter la production électrique en conservant la même consommation ; en tout cas diminuer la consommation d’hydrocarbures. On se retrouve ainsi avec une projection de demande globale en gaz qui, si elle est à la hausse, le sera de manière très limitée, voire pourrait se retrouver à la baisse.

Le blocage de ce projet fragiliserait-il les approvisionnements énergétiques des pays européens ?
Tout dépend des pays dont on parle. Un certain nombre de pays comme ceux d’Europe orientale sont déjà desservis par les gazoducs terrestres. Il y a une interconnexion poussée dans les systèmes de gazoducs en Europe qui permet de parler de système continental. Si tout fonctionne bien, le réseau gazier russe peut à l’heure actuelle alimenter les pays européens en l’état. De plus, il y a d’autres voies d’approvisionnement comme la voie algérienne qui passe par un triple système : l’Espagne, l’Italie ou, si l’on parle de gaz naturel liquéfié, par la France. Il y a des productions gazières sur le continent européen lui-même, notamment aux Pays-Bas et en Norvège et l’on peut même penser à d’autres sources (Azerbaïdjan, Méditerranée orientale, Golfe persique, etc.). Il est bien évident qu’avec les problématiques qui se posent entre la Russie et l’Ukraine, et notamment le fait que la Russie a annoncé qu’elle allait arrêter ses livraisons de gaz à l’Ukraine tant que qu’ils n’auraient pas payé leurs factures, on peut se retrouver, notamment pour les pays d’Europe orientale, avec un scénario assez comparable avec ce qui s’était passé dans les hivers de 2006 à 2009. Cet épisode que l’on a appelé « les guerres gazières », où la Russie coupait l’approvisionnement de gaz à l’Ukraine, ont eu un impact sur tout le trajet des gazoducs terrestres, à commencer par la Slovaquie qui s’est retrouvée pratiquement privée de cette ressource à l’hiver 2009.

Quelles seraient les conséquences de ce blocage pour la Russie alors que le projet Turkish Stream est également mis à mal en raison des tensions diplomatiques entre la Russie et la Turquie ?
Après l’abandon du South Stream l’année dernière, le projet Turkish Stream qui a du plomb dans l’aile. En outre avec le développement du projet TANAP/TAP vers l’Azerbaïdjan au travers de l’Italie, l’Albanie, la Grèce et la Turquie, contournant la Russie par le sud, le blocage du projet Nord Stream serait un signal politique fort envoyé à la Russie. Cela marquerait la volonté des autorités politiques du continent qu’elle ne développe pas sa part dans les approvisionnements européens. Cela amènerait très probablement la Russie à encore plus se retourner vers les marchés asiatiques – Chine, Corée du Sud et Japon-, ce qu’elle fait déjà. C’était notamment le cas lors de l’annulation du South Stream.
En l’état, le projet Nord Stream 2 ne se fait pas sur le territoire des Etats européens mais dans les zones économiques exclusives – la question étant de savoir si ces zones répondent au droit de l’Union européenne sachant que ce ne sont pas des eaux territoriales – et il se fait majoritairement avec des entreprises plus que des Etats. Or, certaines entreprises appartiennent en totalité ou en partie aux Etats, notamment ENGIE qui appartient en partie non négligeable à l’Etat français et qui est déjà un acteur important dans le Nord Stream 1 et veut aussi se développer dans Nord Stream 2. Il risque donc là aussi d’y avoir une fracture entre les Etats et les entreprises et entre les Etats eux-mêmes selon leurs intérêts géoéconomiques concernés.

Victoire de l’opposition vénézuélienne aux élections : et maintenant ?

Mon, 07/12/2015 - 18:03

L’opposition vénézuélienne a remporté les élections législatives pour la première fois en seize ans. Est-ce une surprise ? Comment expliquer ce tournant ?
L’opposition remporte une nette victoire dans le contexte d’une forte participation. C’est effectivement une première depuis les débuts de la Révolution bolivarienne. A cette heure, la Table pour l’unité démocratique (MUD) gagne 99 sièges sur les 167 à pourvoir. Le chavisme en obtient, lui, 46. Il reste 22 sièges qui ne sont pas encore attribués. Le Conseil national électoral (CNE) finalise les décomptes. Si la MUD en remporte douze parmi ces vingt-deux, elle obtiendra alors la majorité qualifiée des 2/3 qui lui permettra de disposer de tous les pouvoirs possibles à l’Assemblée.
Les résultats s’inscrivent de fait dans la tendance haute de ce qu’on pouvait observer ces dernières semaines. Ce n’est donc pas à proprement parler une surprise. Ce qui est remarquable, c’est la qualité démocratique du Venezuela, pays pourtant souvent mis à mal par les médias internationaux et les formations proches de l’opposition, qui ont en général assez facilement tendance à condamner le pays pour ses soi-disant dérives autoritaires. On a en réalité assisté à un modèle de journée civique et démocratique : 75% de participation au vote, un contexte de tranquillité totale, une reconnaissance immédiate des résultats de la part de Nicolas Maduro qui a reconnu sa défaite et remercié l’ensemble des Vénézuéliens pour la bonne tenue des élections. Pourtant, les médias internationaux – dont les nôtres – annonçaient, eux, le pire : campagnes de fraudes élaborées par le gouvernement, pressions et violences politiques, etc. Une nouvelle fois, il se confirme qu’il existe une distorsion problématique dans le traitement médiatique et idéologique de ce pays. En réalité, le problème le plus préoccupant venait au final de l’opposition qui avait refusé, avant l’élection, de s’engager à reconnaître les résultats, quels qu’ils soient. Cet engagement était pourtant une exigence de la délégation de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) présente sur place. Le message de la MUD était clair : « Nous reconnaîtrons les résultats si nous gagnons, pas si nous perdons ».
Désormais commence une nouvelle étape et une question est posée à la MUD, coalition d’organisations très diverses dont le programme commun s’est essentiellement résumé jusqu’ici à son rejet du gouvernement et de la Révolution bolivarienne. Que va-t-elle faire de cette victoire maintenant qu’elle est majoritaire dans cette Assemblée qui siègera du 5 janvier 2016 à janvier 2021 ? Va-t-elle privilégier la guérilla politique et juridique contre Nicolas Maduro et son gouvernement ? Chercher à l’empêcher de gouverner et de terminer son mandat ? Va-t-elle proposer des solutions concrètes aux problèmes économiques et sociaux des Vénézuéliens ? Si oui, lesquelles ? Va-t-elle conserver son unité ? Autre interrogation : le chavisme va-t-il être capable de se régénérer après cette défaite qui, à mon sens, exprime en premier lieu une sanction populaire contre la situation économique et sociale, les phénomènes de corruption et d’insécurité, etc., davantage qu’une adhésion au projet de l’opposition dont on peine à dessiner les contours.

En quoi l’expérience de la cohabitation sera-t-elle un défi pour la démocratie vénézuélienne ? Va-t-on vers une recomposition des forces politiques avec l’instauration d’un contrepoids ou bien vers une paralysie politique à travers la limitation des pouvoirs du Parlement ?
C’est assez difficile à dire car c’est la première fois depuis 1998 que la droite remporte une élection majeure. C’est un précédent. Cette forme de cohabitation n’est pas à confondre avec celle à la française, le régime politique n’ayant rien à voir. Le modèle vénézuélien est de type présidentialiste, proche du modèle américain, c’est-à-dire avec des pouvoirs assez forts du côté du gouvernement et du président. Ce dernier a toute latitude pour conserver et nommer son gouvernement, sans passer par l’Assemblée nationale. Avec une majorité simple (ou dite « absolue ») de 84 député(e)s, la nouvelle majorité a, elle, le pouvoir, par exemple, d’approuver le budget de l’Etat ou celui des dépenses de la Banque centrale, de discuter et d’approuver tout projet de loi fiscale et de crédit public. Elle a également la possibilité de mettre en place des commissions d’enquête. Elle autorise aussi, selon la Constitution, « la nomination du procureur général de la République et des chefs de missions diplomatiques permanentes ». Avec une majorité de 100 députés (majorité des 3/5e) – il lui manque un siège pour le moment -, elle peut entre autres approuver – ou pas – les lois habilitantes (ordonnances présidentielles) et voter des motions de censure contre le vice-président et les ministres. Avec 111 députés, elle dispose d’une majorité qualifiée des 2/3 et peut alors voter l’organisation d’une assemblée constituante, un projet de réforme constitutionnelle, un projet de loi organique (ou de modification des existantes). Ces initiatives sont ensuite soumises à référendum. Avec une telle majorité, la MUD peut également élire et révoquer des magistrats du Tribunal suprême de justice, du Conseil national électoral, soumettre des projets de lois à référendum populaire.
On sait que le premier projet de la MUD est de proposer une loi d’amnistie et de réconciliation pour obtenir la libération de M. Léopold Lopez, condamné à 13 ans de prison pour incitation à la violence à l’encontre du gouvernement. La Constitution donne en effet à l’Assemblée le droit de « décréter des amnisties ».
Les Vénézuéliens cherchent des solutions concrètes à la crise économique et à la gestion du modèle de développement du pays. Ce message est envoyé à la fois à l’opposition et au gouvernement. Ce sont sur ces thèmes que l’on verra dans le temps se dessiner le nouveau rapport de forces entre l’Assemblée et le gouvernement. Et se préciser la crédibilité des acteurs.

Certains affirment que la défaite du chavisme fait écho aux élections présidentielles argentines du mois de novembre. Partagez-vous ce point de vue ?
Oui, en partie. Aujourd’hui, les trois pays les plus affectés par l’importante crise économique et financière en Amérique latine sont l’Argentine, le Brésil et le Venezuela, où on assiste à des situations de récessions lourdes ou de croissance faible. Ces pays sont moteurs dans l’animation de la vie politique et géopolitique latino-américaine (notamment pour ce qui concerne l’intégration régionale). La victoire de M. Macri en Argentine est un signal qui montre qu’il y a un reflux des forces progressistes latino-américaines ou, plus précisément, de l’hégémonie de la gauche sur cette partie du continent. Cela étant, ce n’est pas la fin brutale d’un cycle qui verrait l’arrivée triomphale des oppositions de centre-droit et de droite, le processus étant plus complexe. En Argentine, M. Macri a gagné sans être plébiscité et de nombreux pouvoirs restent à l’ancienne majorité. Au Venezuela, il y a une alternance partielle dont on peut penser qu’elle débouchera sur une séquence d’instabilité politique plus forte si la polarisation de la société se confirme. Au Brésil, il y a une crise qui impacte tous les acteurs du système politique d’opposition et de majorité qui subissent un discrédit chaque jour plus grandissant. De ce point de vue, il n’y a pas véritablement d’homogénéité sur la nature de ce reflux incontestable mais complexe.

Venezuela 6 décembre, Argentine 22 novembre 2015 : alternances électorales et recompositions diplomatiques

Mon, 07/12/2015 - 17:32

L’Amérique latine peut-être, l’Amérique du Sud sans doute, est certainement à un tournant. Celui-ci est d’abord politique. Les majorités nouvelles ayant accédé au pouvoir à Caracas le 6 décembre et à Buenos Aires le 22 novembre affichent des convictions libérales et anti-étatiques. Ces dispositions contrastent avec celles nationalistes et dirigistes des équipes sortantes. Mais le tournant est aussi diplomatique. Les vainqueurs de Caracas comme ceux de Buenos Aires entendent réconcilier leurs pays avec les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon. Prendre donc une distance avec les orientations qui, ces dernières années, privilégiaient les relations Sud-Sud, pour restaurer un lien Nord-Sud.

Le renouveau politique latino-américain des années 2000 avait en effet bouleversé la donne régionale. Abandonnant les politiques économiques dites du « consensus de Washington », les majorités nationales-progressistes arrivées au pouvoir avaient inventé une diplomatie de l’autonomie. Nationalisations ou prise de contrôle directe par l’Etat de sociétés publiques, en Argentine, en Bolivie, au Venezuela, avaient donné aux gouvernements les moyens financiers de fabriquer du social. Elles leur avaient donné également la capacité de distendre les cordons ombilicaux historiques avec l’Europe et les Etats-Unis. Des réseaux régionaux avaient été créés, ALBA (Alliance Bolivarienne des peuples de notre Amérique), CALC (Sommets d’Amérique latine et de la Caraïbe), UNASUR (Union des nations d’Amérique du sud). Des alliances avaient été nouées avec d’autres continents, ASA (Amérique du sud-Afrique), ASPA (Amérique du sud-Pays arabes). Le Brésil avait consolidé des relations extra-continentales avec l’Afrique du Sud et l’Inde au sein du groupe IBAS et dans les BRIC avec les mêmes, plus la Chine et la Russie.

Ces choix diplomatiques avaient un fondement économique, la Chine. La Chine en Amérique latine comme en Afrique est devenue dans les années 2000 la locomotive du développement. Fer brésilien, cuivre chilien, pétrole vénézuélien, soja argentin, viande uruguayenne, ont alimenté la machine économique chinoise. La Chine a proposé sa coopération. Ses dirigeants ont visité à plusieurs reprises les pays de la région. Des rencontres au sommet ont été mises en place. La baisse de régime de l’économie chinoise a réduit la demande en produits primaires latino-américains. Argentine, Brésil, Chili, Venezuela sont entrés en difficulté. Quelque part le résultat des législatives argentine et vénézuélienne acte la chute d’un modèle économique, diplomatique et finalement électoral.

L’alternance globale portée par ces résultats est d’autant plus significative qu’elle vient après d’autres évènements régionaux qui en confortent la tendance. En 2014, la victoire présidentielle au Brésil de Dilma Rousseff avait été lue comme une perpétuation des années Lula. Pourtant, les législatives, qui s’étaient déroulées en parallèle, avaient réduit l’espace parlementaire du parti présidentiel, le PT (parti des travailleurs). Le parlement brésilien désormais contrôlé par de groupes d’intérêts locaux, des « lobbies » agro-industriels, des élus évangélistes, a très vite freiné puis bloqué toute les initiatives présidentielles. Ses représentants affichent ouvertement leur sympathie avec les vainqueurs des consultations argentine et vénézuélienne. Le Brésil depuis ses élections de 2014 est ingouvernable et de plus en plus perméable à l’air du temps, celui de Buenos Aires et de Caracas.

Le centre de gravité diplomatique latino-américain se déplace à l’Ouest, vers le Pacifique. En 2012 les Etats riverains de cet océan, prenant en compte leurs pesanteurs géoéconomiques et leurs orientations libérales, se sont constitués en Alliance du Pacifique. Mexique, Colombie, Pérou et Chili ont depuis consolidé leur union. A la différence du Brésil et du Venezuela, ces quatre pays ont des taux de croissance positifs. Au point d’acquérir un pouvoir d’attraction sur certains pays d’Amérique centrale et même sur l’Uruguay, pourtant membre du Mercosur (marché commun des pays du Sud, Argentine-Brésil-Paraguay-Uruguay-Venezuela). A peine élu, Mauricoi Macri, nouveau chef d’Etat argentin, a lancé l’idée d’une association Mercosur-Alliance du Pacifique.

Les Etats-Unis ont parallèlement repris la main perdue dans les années 2000. Le projet de marché commun américain, de l’Alaska à la Terre de feu, la ZLEA, avait été enterré au sommet hémisphérique de Mar del Plata (Argentine) en 2005, par Hugo Chavez, Nestor Kichner, et Lula. Les Etats-Unis ont proposé en 2015 un traité de libre-échange transpacifique aux pays riverains, Chine exceptée. Les pays de l’Alliance du Pacifique sont partie prenante du projet. Cuba, a trouvé un terrain d’entente, anticipant les évolutions économiques et électorales vénézuéliennes avec les Etats-Unis. Les relations diplomatiques rompues unilatéralement par Washington en 1961 ont été rétablies en 2015. Prenant acte de la crise financière de Petrocaribe, organisation de coopération pétrolière entre le Venezuela et les pays antillais, les Etats-Unis ont pris le relai.

Les élections argentine et vénézuélienne de cette fin d’année 2015 consolident une évolution en cours depuis plusieurs mois. La Chine, on l’a dit, est au centre de ces évolutions. Elle reste pourtant en dépit du reflux de sa demande en produits latino-américains et du ressac économique, électoral provoqué par ce repli, un acteur incontournable pour tous les pays de cette région, quelles que soient leurs options programmatiques et idéologiques. La Chine a rappelé aux vainqueurs des consultations d’Argentine et du Venezuela que la raison commerciale, économique et diplomatique du XXIe siècle, est bien loin des proclamations idéologiques de Bandoeng en 1955. Le communiqué officiel rendu public par le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères le 23 novembre 2015, au lendemain des élections argentines est de ce point de vue éclairant : « La Chine félicite ce lundi Mauricio Macri pour sa victoire (…) L’Argentine est un grand pays d’Amérique latine et une économie émergente. L’association stratégique intégrale de la Chine et de l’Argentine s’est développée de façon favorable (…) la Chine est ouverte à tout approfondissement de cette coopération (…) au bénéfice du développement mutuel des deux pays ». Une déclaration voisine a été faite le 7 décembre suivant au lendemain des législatives vénézuéliennes. « Nous espérons, a indiqué Mme Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, que vous pourrez maintenir la stabilité et le développement. La Chine est disposée à poursuivre le travail en commun, pour consolider l’amitié et élargir la coopération dans le commercer comme dans d’autres domaines ».

L’armée japonaise se féminise… à petits pas

Mon, 07/12/2015 - 12:45

Le Japon a de grandes ambitions sous le mandat du Premier ministre Shinzo Abe et notamment de redonner du poids et des moyens à son armée.

Mais à moyen terme si rien ne change, « le Japon sera sans doute contraint, dans le même temps, de réduire son armée : avec une cohorte de seulement 10 millions d’hommes de la tranche 20 à 40 ans en 2050, il ne pourra pas maintenir ses forces au niveau actuel », comme l’expliquait une note dès 2008.

Au Japon, où le nombre d’hommes âgés de 18-26 ans éligibles était de 900 000 en 1994 ; ce nombre sera ramené à environ 600 000 au cours des prochaines années, et la conscription ne sera pas une solution possible en raison des restrictions constitutionnelles, souligne la revue militaire Res Militaris.

La solution serait d’augmenter la part des femmes dans les forces armées japonaises. Cela correspondrait aussi au vœu plus général de Shinzo Abe de renforcer la place des femmes dans le marché du travail et la société japonaise.

« L’embauche des femmes a beaucoup de sens », a déclaré récemment au magazine Quartz Robert Dujarric, directeur de l’Institut des études asiatiques contemporaines à l’université Temple à Tokyo.
« Chaque armée moderne élargit les possibilités pour les femmes. Et depuis que le Japon tombe dans l’oubli démographique, trouver de jeunes hommes va être difficile… ».

Lente ascension

Après la Seconde guerre mondiale, les femmes ont d’abord été admises comme infirmières dans la nouvelle force armée japonaise. En 1967, elles ont été autorisées à des postes administratifs dans les forces terrestres, et en 1974 dans les forces aériennes et maritimes. Le premier ministre Tanaka Kakuei a initié une législation pour ouvrir d’autres postes pour les femmes à l’écart des métiers de combat « en ligne avec leur nature ! » (sic).

Cette première ouverture aux femmes a été largement motivée par la pénurie de main-d’œuvre au Japon et étant donné les réalités complexes des relations entre civils et militaires de la guerre froide dans un État où l’armée en tant qu’institution a été discréditée, et les soldats traités avec mépris et méfiance, les politiques militaires ont été largement ignorées et considérées comme non pertinentes par la société…

Rôle encore limité

Mais ce qui a stimulé les politiques actuelles des FAD par rapport aux femmes a été la ratification
de la Convention de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) en 1986 et l’adoption d’une loi sur l’opportunité d’emploi civil égal (Civilian Equal Employment Opportunity Law, EEOL).

Ce projet de loi spécifique a forcé les FAD à ouvrir leurs portes. En 1993, les trois forces armées ont commencé à recruter des femmes, et elles ont été inscrites dans l’Académie de défense nationale en 1992. Leurs « débuts » internationaux sur le terrain datent de 1996 quand des femmes ont été déployées dans des unités de transport de troupes des opérations de maintien de la paix dans les hauteurs du Golan. Elles ont aussi été déployées au Timor oriental et plus récemment en Irak.

Selon une décision du ministère de la Défense de 2008, les femmes sont en principe autorisées dans tous les positions. Pourtant, la liste des exceptions à la règle reste impressionnante. Ces mesures d’exception reposent « sur un examen complet de la protection de la maternité, de la possibilité de combat direct, de la sécurisation de la vie privée entre les hommes et les femmes, et de l’efficacité économique » !

Les FAD se réservent le droit de révoquer ou suspendre d’autres missions si ces conditions ne sont pas remplies. Heureusement, les dernières restrictions levées par le Bureau pour la promotion de l’égalité des sexes du ministère de la Défense ont ouvert des postes aux femmes sur des frégates, des navires dragueurs de mines, et des hélicoptères de patrouille.

Mais alors que 14 000 (5,4 %) des 259 800 personnel en uniforme qui servent dans les forces d’autodéfense japonaises (FAD) sont des femmes, leur rôle reste clairement plutôt limité.
Par comparaison, elles sont 14 % dans les forces américaines et 11 % en Allemagne.

Et aux Etats-Unis, les choses évoluent très vite. Au même titre que les hommes, des femmes « pourront conduire des chars d’assaut », « mener des soldats d’infanterie au combat », ou bien être membres des forces spéciales comme les Bérets verts ou les Navy Seals, a expliqué jeudi 3 décembre le secrétaire à la Défense américain Ashton Carter dans une conférence de presse au Pentagone.

Au Japon, en revanche, les femmes sont souvent encore décrites comme des « beautés féminines en uniforme ». L’année dernière, les FAD ont embauché Azusa Yamamoto, une mannequin habituée aux bikinis, qui a posé en costume militaire pour son calendrier 2014 pour prétendument « relever le moral » des troupes !

Cette focalisation exagérée sur la féminité des femmes japonaises, leur pureté et leur « maternité » ne servent qu’à souligner les valeurs traditionnelles qui sanctifient la maternité et mettent l’accent sur l’obligation des femmes à procréer plutôt qu’à défendre la nation. Il s’agit donc d’un problème culturel et il reste à voir si le gouvernement japonais va chercher à supprimer à la fois barrières sociales et institutionnelles aux femmes dans les FAD ou s’il va continuer à mettre l’accent sur le rôle « approprié » de chaque sexe et de promouvoir l’image traditionnelle de la femme comme une victime faible ayant toujours besoin d’un « Protecteur mâle ».

Un rapport récent du gouvernement japonais affirme que la culture du travail nippone, dominé par des codes masculins, doit s’adapter afin de refléter son époque. Le modèle selon lequel les hommes travaillent de longues heures pendant que les femmes restent au foyer est obsolète.

Point positif, le ministère de la Défense a quadruplé son budget marketing à un niveau encore modeste de 200 millions de yens (1,6 millions de dollars) en 2015 (voir pages 24 et suivantes du document budgétaire : « Promouvoir des mesures pour soutenir davantage l’engagement de personnel féminin ») pour des publicités à la télévision et à la radio, des vidéos en ligne, des visites de campus, des bannières publicitaires pour les trains, et d’autres méthodes diverses pour convaincre plus de jeunes hommes et de femmes à rejoindre l’armée. La proposition de budget pour l’année 2016 ajoutera encore 100 millions de yens.

Dès 2015, différentes mesures ont été prises dans le budget de la défense pour améliorer la condition des femmes, par exemple pour « remettre en état les installations de baignade des femmes à l’école de formation des officiers de la Force d’auto-défense terrestre » ou encore « 20 millions de yens pour le développement de la formation, etc., pour l’éveil de la conscience, l’élimination de la mentalité traditionnelle des rôles entre les sexes dans le milieu de travail… ».

Lentement, le changement arriverait-il dans l’empire du Soleil levant ?

COP21 : le point au cinquième jour de négociations

Fri, 04/12/2015 - 12:30

La COP21, rendez-vous crucial des négociations internationales sur le dérèglement climatique, a débuté lundi 30 novembre.

Cette première journée a été marquée par une mobilisation sans précédent et la venue sur le site du Bourget, qui accueille la conférence, de 150 chefs d’Etat et de gouvernement. Ils se sont succédé à la tribune dans le cadre d’interventions limitées à trois minutes (durée qu’aucun dirigeant n’a respecté), dans les salles plénières Loire et Seine, rappelant les enjeux de la conférence et les positions de leur pays dans les négociations. Ce premier exercice a confirmé les lignes de clivage existantes. Barack Obama a ainsi pris soin de ne pas prononcer le terme contraignant dans son allocution, ce à quoi l’on s’attendait après les déclarations de John Kerry début novembre. Très attendu, le Premier ministre indien Narendra Modi a pour sa part réaffirmé son attachement aux principes d’équité et de responsabilité commune mais différencié, insisté sur la nécessité d’un engagement ambitieux et sincère des nations développées, tout en rappelant que nous avions encore besoin des énergies conventionnelles. La Chine, sur la même longueur d’onde, a souligné son engagement dans la transition énergétique et insisté sur l’importance de la lisibilité des engagements financiers post 2020 des pays développés.

Les pays de l’ALBA, par la voix de Rafael Correa (Equateur) et Evo Morales (Bolivie), ont pour leur part pointé du doigt la responsabilité du système capitaliste dans la dégradation générale de notre environnement, tout en demandant, entre autres, que les technologies bas carbone deviennent des biens communs de l’humanité ou encore que soit constituée une Cour internationale de justice environnementale arguant que si la dette économique devait être remboursée, il n’y avait aucune raison pour que la dette écologique fasse exception.

Les pays africains tels le Niger ou l’Afrique du Sud, conscients de leur vulnérabilité car déjà concernés par les impacts du dérèglement climatique, ont insisté sur la nécessité de renforcer la prise en compte des questions d’adaptation, et ne pas faire l’erreur de se concentrer sur les seuls objectifs de réductions des émissions (atténuation).

Les Etats y sont également tous allés de leur définition de l’accord souhaité, qualifié, entre autres et selon les orateurs, de « global », « ambitieux », « équitable », « contraignant », « transparent », « souple », « équilibré », « juste », « pérenne », « différencié », « progressif », « solidaire ».

Au final, peu de surprise lors de cette journée d’ouverture si ce n’est l’agitation et un certain désordre liés à la présence d’une telle délégation de dirigeants.

Les négociations ont réellement débuté dès lundi soir où se sont tenus les premières sessions, avec pour objectif, pour les deux cochairs, de proposer à la présidence française de la CCNUCC, et donc à Laurent Fabius, une première version du texte dès le samedi 5 décembre à midi. Toutefois, les discussions continuent, comme prévu, d’achopper sur plusieurs points (caractère contraignant, progressif de l’accord, financement). Ce démarrage poussif a aussitôt fait l’objet de critiques du ministre des Affaires étrangères français et des ONG, la crainte du syndrome de Copenhague étant dans tous les esprits. Les blocages ont été constatés dès le jeudi 3 décembre avec la diffusion d’une première version du pré-texte sur le site de la CCNUCC, qui rassemblait encore trop de crochets (1400), donc trop d’options (250) de pages (50) selon le décompte de la Fondation Nicolas Hulot. Un consensus semblerait se faire jour autour de la question du caractère évolutif de l’accord, dont les objectifs de réductions d’émissions pourraient être révisés tous les cinq ans. Il faudra attendre la semaine prochaine pour le vérifier.

Des annonces encourageantes ont été proférées : constitution d’une Alliance solaire internationale avec un objectif d’investissement de 1000 dollars d’ici 2030 pour développer les capacités de production d’électricité à partir du solaire, dans les pays en développement ; des engagements financiers supplémentaires du Canada, de la Suisse, de l’Allemagne, du Royaume-Uni ; la création par la Chine d’un fonds chinois de coopération Sud-Sud ; le lancement d’une coalition pour le leadership en matière de tarification du carbone ; plusieurs déclarations de différents acteurs annonçant leur volonté de retirer leurs investissements dans les énergies fossiles. Ces dispositions devront toutefois faire l’objet d’un suivi.

Si l’on ne peut que se satisfaire des multiples initiatives ambitieuses et intéressantes et du foisonnement de rencontres et d’échanges, plutôt stimulants, les incertitudes persistent sur les principaux points de blocage de la négociation, et rien ne permet pour l’heure de tabler sur leur véritable dépassement d’ici le 11 décembre. S’il ne faut pas attendre de la COP21 qu’elle règle l’ensemble des problématiques liées au changement climatique, elle doit être le rendez-vous des engagements et des volontés et envoyer un signal tangible, tracer une trajectoire, donner une direction et une impulsion. Manquer cette opportunité de signer un accord global, significatif même sans être réellement contraignant, serait un réel échec.

La responsabilité de protéger – 3 questions à Jean-Baptiste Jeangène Vilmer

Fri, 04/12/2015 - 10:52

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, juriste et docteur en science politique et en philosophie, est enseignant à Sciences Po et titulaire de la chaire d’études sur la guerre du Collège d’études mondiales. Il répond à mes questions à l’occasion de son dernier ouvrage « La responsabilité de protéger », paru aux éditions PUF dans la collection « Que sais-je ? ».

La responsabilité de protéger (R2P) permet-elle de n’être pas limité au choix de l’inaction face à l’inadmissible et de l’ingérence, politique de puissance déguisée en choix moral ?

Exactement. L’enjeu est de sortir du faux dilemme entre ne rien faire et faire obligatoirement usage de la force armée. Ces deux extrêmes étalonnent le débat mais il y a entre eux de nombreux paliers, sur lesquels insiste la R2P.

Depuis 2009, celle-ci est organisée en trois piliers. Le premier, qui consiste dans la responsabilité permanente incombant à l’Etat de protéger ses populations, implique notamment le renforcement et la mise en œuvre des instruments juridiques (adhésion aux traités, élaboration d’une stratégie nationale, etc.). Le deuxième, qui consiste dans l’engagement pris par la communauté internationale d’aider les États à s’acquitter de ces obligations, implique de la diplomatie préventive, des mesures incitatives, un renforcement de la capacité des États et de l’assistance en matière de protection. Le troisième pilier affirme qu’en cas de défaillance de l’État, la communauté internationale peut répondre à la crise par différents moyens, tels que la pression politique, la médiation et, enfin, la coercition. Cette dernière peut encore s’exprimer de différentes manières, comme des sanctions ou la saisine de la Cour pénale internationale, avant d’en venir à l’usage de la force armée qui, elle-même, connaît plusieurs degrés.

On voit donc à quel point le réductionnisme « R2P = intervention militaire », pourtant très courant, est faux ! Pour la R2P, l’intervention militaire n’est certes pas exclue, mais elle n’est que le dernier recours de son troisième pilier. L’amalgame « R2P = ingérence », populaire en France, est encore plus faux car l’ingérence est une immixtion sans titre, c’est-à-dire une intervention illégale, alors que la R2P, lorsqu’elle implique une intervention armée en dernier recours, requiert l’autorisation du Conseil de sécurité.

L’intervention en Libye n’a-t-elle pas sonné le glas de la responsabilité de protéger, par un changement de mission en cours de route ?

Premièrement, je ne crois pas que le mandat initial ait été dévoyé. On lit partout que la résolution 1973 n’autorisait qu’à mettre en place une zone d’exclusion aérienne pour protéger Benghazi, sans aucune troupe au sol, et qu’elle a été détournée au profit d’un changement du régime. Pourtant, que dit le texte ? Avant même de parler de la zone d’exclusion aérienne (§6-12), il autorise les intervenants « à prendre toutes mesures nécessaires (…) pour protéger les populations et les zones civiles (…) tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère » (§4). Il s’agit donc d’une autorisation générale, dont la zone d’exclusion aérienne n’est que l’une de ses mesures et non la seule, pour protéger les populations où qu’elles se trouvent, et qui n’exclut pas toute troupe au sol mais seulement une force d’occupation (pour éviter une dérive à l’irakienne), ce que les forces spéciales ne sont pas.
Ceux qui estiment que les intervenants ont débordé le mandat de la résolution 1973 en Libye doivent en outre répondre à la question suivante : était-il possible de « protéger les civils » sans renverser Kadhafi, alors qu’il était la principale menace qui pesait sur eux ? Il faut ici distinguer clairement les objectifs des moyens : le changement de régime n’était effectivement pas autorisé comme un objectif dans la résolution 1973, mais rien ne permet de dire qu’elle l’excluait comme moyen ultime, c’est-à-dire comme l’une des « mesures nécessaires » pour protéger les civils. Les bombardements avaient pour but d’affaiblir le régime puisque c’est lui qui menaçait les civils. Ce n’est pas parce que cet affaiblissement a précipité sa chute que l’on peut en déduire que l’objectif initial était de le renverser. Tout cela bien entendu n’excuse en rien l’impréparation des intervenants à la gestion de l’après, et l’échec de la communauté internationale à gagner la bataille de la reconstruction.

Deuxièmement, je ne crois pas non plus que l’intervention en Libye ait tué la R2P. Elle a réveillé des questions que l’insistance sur la prévention avait endormies les années précédentes, et qui sont les problèmes structurels classiques de toute intervention : la temporalité (savoir quand commencer et où s’arrêter), l’effet positif (contrefactuel, donc impossible à prouver), la motivation (la relation entre la morale et les intérêts), la sélectivité (accusation de « deux poids, deux mesures ») et la transition (gagner la paix). Le relatif échec la R2P en Libye est celui de la responsabilité de reconstruire.

En 2011 et 2012, on pouvait trouver un relatif « effet libyen » dans les diplomaties, qui s’est traduit par une réticence de certains États, même défenseurs du concept, à l’utiliser pour ne pas effrayer leurs partenaires. L’intervention avait rendu la R2P toxique. Mais cela n’a pas duré et, avec le recul, on peut désormais conclure que ni l’intervention en Libye ni celle en Côte d’Ivoire – qu’on a accusé des mêmes maux au même moment – n’ont discrédité le concept.

La preuve en est que la R2P poursuit sa croissance. Elle n’est pas moins mais beaucoup plus invoquée par le Conseil de sécurité depuis la Libye (4 résolutions entre 2005 et 2011, contre 30 depuis 2011). Les participants au débat annuel de l’Assemblée générale sont chaque année plus nombreux (44 en 2010, 46 en 2011, 59 en 2012, 70 en 2013, 81 en 2014, 89 en 2015). De plus en plus d’États ont des « centres de liaison » (focal points) de la R2P pour intégrer la prévention dans leurs politiques intérieure et étrangère (en août 2015, le Rwanda était le cinquantième à rejoindre ce réseau). Dix ans après son adoption par l’Assemblée générale, la R2P fait l’objet d’un relatif consensus sur ce qu’elle est et sur le fait que les États ont cette responsabilité. C’est la question de savoir comment la mettre en œuvre qui reste controversée, en particulier lorsqu’elle implique des mesures coercitives comme l’a montré l’affaire libyenne, mais la crise de 2011 n’a pas remis en cause la croissance globale de la R2P.

La responsabilité de protéger a-t-elle un avenir ?

Malheureusement oui, dans la mesure où les crimes qu’elle entend couvrir (génocide, crime contre l’humanité, nettoyage ethnique et crime de guerre) ne sont pas prêts de disparaître. On peut bien sûr la trouver insuffisante, voire impuissante. Après tout, elle n’est jamais qu’un appel politique, et devrait le rester : il n’y a pas d’obligation juridiquement contraignante d’intervenir pour prévenir ou mettre fin à ces exactions. Elle dépend donc de la volonté politique des États et c’est sa principale faiblesse. Mais elle a tout de même réussi, en une quinzaine d’années, à se diffuser et façonner des attentes sur la manière dont le Conseil de sécurité devrait répondre aux atrocités de masse.

Cela ne veut pas dire qu’il le fait toujours, comme en témoigne le cas de la Syrie, mais l’indignation suscitée confirme que la R2P est bien une norme. La R2P est une obligation de comportements, pas de résultats. Elle est une responsabilité d’essayer, pas de réussir. Ce qui signifie que les échecs de la R2P ne sont pas des preuves de son inexistence en tant que norme.
Il y a toujours eu et il y aura toujours des interventions. La R2P peut ambitionner de les fonder davantage sur des critères préétablis, multilatéraux et consensuels. Une chose est sûre cependant : la concurrence des préoccupations, dans un contexte où les moyens sont limités et affectés prioritairement à des questions sécuritaires, économiques et diplomatiques que les gouvernements considèrent plus pressantes, fait que les États continueront de répondre aux atrocités au cas par cas, en fonction des circonstances et des intérêts en jeu. Autrement dit, la R2P se heurtera toujours à la volonté politique des États, dont toute action dépend.

De quoi Poutine est-il le nom ?

Fri, 04/12/2015 - 09:18

Dans son célèbre ouvrage Tolstoï ou Dostoïevski, paru en 1960, l’éminent critique littéraire de Cambridge George Steiner soulignait que pour connaître le secret du cœur d’un homme ou d’une femme, il suffisait de lui demander lequel des deux auteurs avait sa préférence, tant il est vrai que chacun des deux géants de la littérature russe incarnait une vision du monde et offrait une interprétation de la politique, de l’histoire et de la condition humaine radicalement différente de celle de l’autre.

Spécialiste de Tolstoï à l’université de Virginie, Andrew Kaufman a soutenu plus récemment dans The Daily Beast que Vladimir Poutine, qui apprécie les deux écrivains, a malheureusement privilégié la tradition de Dostoïevski, celle de la croyance en un exceptionnalisme russe, porteur d’une mission de régénération et d’unification du monde slave, plutôt que la tradition humaniste et universaliste de Tolstoï, embrassant la diversité du monde par-delà les différences de culture, de nationalité ou de religion.

Si seulement Poutine avait adopté la vision de Tolstoï, nous dit Kaufman, il aurait sauvé son âme et la situation géopolitique de la planète serait bien différente. Chez Tolstoï, aucun nationalisme cocardier, aucun roulement de tambour, aucun triomphalisme messianique, mais un patriotisme respectueux de l’égalité et de la dignité des peuples.

Pour lui, et c’est d’ailleurs là la grande leçon de Guerre et Paix, la force vient de l’humilité et non pas de l’hubris, de la grande fraternité de l’esprit plutôt que d’une volonté de s’imposer brutalement aux autres, de la résistance digne face à l’adversité plutôt que du renoncement aux valeurs morales. Tolstoï avait compris qu’en jouant les matamores, en faisant étalage de ses muscles et de sa virilité machiste, on allait au-devant de bien des déconvenues et qu’on plantait en fait les germes de sa propre destruction.

Comme l’a montré l’historien Paul Kennedy, dans toute l’histoire des empires, on retrouve une constante : l’hubris entraîne la surextension (imperial overstretch), qui elle-même provoque le déclin. Si l’Amérique est aujourd’hui contrainte de se retrancher temporairement et de se recentrer sur ses problèmes intérieurs, c’est également parce qu’une croyance béate en l’exceptionnalisme américain et un nationalisme chauvin (jingoism) l’avaient conduit, sous l’administration Bush-Cheney, à surestimer ses forces et à s’embourber dans des guerres aussi inutiles que destructrices pour son image, ses finances publiques et sa stature internationale. La blessure du 11 Septembre avait conduit l’Amérique à plonger tête baissée dans le piège tendu par Ben Laden. Le maximalisme et la bien mal pensée « guerre globale contre le terrorisme » ont eu pour effet d’approfondir les lignes de faille et de démultiplier les situations de chaos sur lesquels le terrorisme prospère.

C’est aussi une blessure narcissique profonde, celle de l’humiliation des années Eltsine, qui fait naître aujourd’hui un revanchisme russe dont nous voyons les conséquences en Ukraine et en Syrie. Dans un Moyen-Orient qui a souffert des interventions occidentales irréfléchies, beaucoup voient le retour de la Russie comme un nécessaire rééquilibrage, qu’ils accueillent favorablement. Mais n’est-on pas en train de répliquer un même schéma pernicieux qui depuis le XIXe siècle fait de cette région un éternel champ d’affrontement des puissances ?

De quoi Poutine est-il le nom ? Du retour en force, sur la scène internationale, d’un nationalisme intransigeant, d’un autoritarisme débridé, d’une volonté, au nom du refus de l’humiliation, de faire étalage d’une puissance surjouée, peut-être pour masquer la crainte d’une impuissance réelle, liée à un affaiblissement structurel, démographique et économique de la Russie. À court terme, les politiques musclées de Poutine, son pragmatisme froid, son réinvestissement de l’espace eurasiatique, son bras de fer psychologique avec l’Occident peuvent engranger des résultats spectaculaires, mais il y a fort à parier qu’elles ne finissent à moyen terme par susciter un retour de bâton dont la Russie ne manquerait pas de payer le prix.

Entre-temps, le poutinisme triomphe, non seulement en Russie, mais sur la scène internationale, où percent un peu partout des hommes dont le tempérament répond aussi à plusieurs des critères que Theodor Adorno avait notés dans ses Études sur la personnalité autoritaire. Confrontés à des crises géopolitiques, économiques, identitaires, les populations recherchent désespérément des hommes forts et des postures viriles, certains sociologues parlent même de « demande despotique ». Shinzo Abe au Japon, Narendra Modi en Inde, Erdogan en Turquie, et à leur manière Donald Trump aux États-Unis ou Sarkozy et Valls en France, s’efforcent de répondre à cette soif d’autorité, avec maints effets de manche et coups de menton, qui à défaut de faire avancer le schmilblick, viennent donner aux populations apeurées l’illusion que dans un océan qui tangue, il y a un capitaine à la barre, fut-il un fier à bras égocentrique sans la moindre vision d’avenir.

Russie-Turquie : une guerre diplomatique ?

Thu, 03/12/2015 - 17:04

Après la destruction par les Turcs d’un bombardier russe le 24 novembre, les représailles économiques russes s’intensifient envers la Turquie. Quelles sont-elles et quel impact cet affrontement indirect a-t-il sur la relation russo-turque ?
Il y a d’abord l’embargo décrété par la Russie, qui doit prendre effet à compter du 1er janvier sur les produits agricoles turcs : volailles, fruits, légumes, certains condiments et épices. Mais comme l’a rappelé Vladimir Poutine, « la Turquie ne perdra pas que des tomates ». Des restrictions vont être mises en place pour l’embauche de travailleurs turcs sur le marché russe, envers les sociétés turques du secteur du transport, tandis que les entreprises turques du bâtiment devront obtenir l’aval des autorités russes pour décrocher tout nouveau contrat dans le pays en 2016. Les Turcs désirant se rendre en Russie vont de nouveau être obligés de demander un visa, dont ils étaient jusqu’ici exemptés. Enfin, la Russie a appelé ses ressortissants en Turquie à quitter le pays et a suspendu les vols charters entre les deux Etats afin de tarir la ressource du tourisme russe en Turquie, où se rendent chaque année entre 3 et 4 millions de ressortissants. Mais on peut aussi imaginer que ces sanctions aillent plus loin, comme la Russie le laisse entendre. On sait que les Russes, consécutivement à la décision européenne de les sanctionner dans le cadre des évènements d’Ukraine, ont décidé d’annuler en décembre 2014 le projet de gazoduc South Stream, qui devait relier la Russie aux Balkans via la Mer Noire, pour lui substituer un gazoduc aboutissant en Turquie, TurkStream. Or, la Russie vient de rompre les négociations avec la Turquie. Et alors que de plus en plus d’Européens souhaitent la fin de la politique de sanctions vis-à-vis de la Russie, Manuel Valls s’est récemment prononcé dans ce sens récemment à l’Assemblée nationale dans le cadre de la constitution d’une grande coalition contre l’Etat islamique avec la Russie. On ne peut exclure que ce qui a été annulé il y a un an entre les Russes et leurs partenaires européens soit remis au goût du jour. Il est certain, quoi qu’il en soit, qu’à l’heure où la Turquie irrite nombre d’Etats, son double jeu vis-à-vis de l’Etat islamique étant connu de tous, Ankara aurait mieux fait de ne pas abattre cet avion. Son isolement va sans doute s’en trouver sensiblement accentué.

L’accusation de la part de Moscou de l’implication de la Turquie dans le financement de Daech est-elle fondée ? Cette situation va-t-elle compliquer les efforts de coalition internationale contre l’Etat islamique ?
L’Etat islamique vend bel et bien son pétrole à la frontière de la Turquie et les autorités turques ferment les yeux sur la noria de camions-citernes circulant entre leur territoire et les zones contrôlées par l’EI. La Turquie est ainsi complice des terroristes dans la mesure où si elle décidait de fermer hermétiquement sa frontière, elle serait en mesure de très vite tarir la majeure partie des sources de revenus de l’EI. Par ailleurs, Ankara ferme aussi les yeux sur les combattants qui gagnent la Syrie depuis son territoire. Donc les déclarations de Vladimir Poutine sont parfaitement fondées. Quant à la coalition contre l’Etat islamique, il est difficile de la monter avec des pays qui ne veulent pas combattre ce dernier. On a beaucoup reproché à la Russie de ne pas limiter ses frappes à l’EI. Mais, selon certaines estimations, les Turcs frappent en moyenne sept fois plus les Kurdes, nos alliés, que les troupes de l’EI… La Turquie sert de base de départ pour des attaques américaines contre l’EI, ouvre son espace aérien aux appareils français bombardant l’EI depuis le Charles de Gaulle, mais se garde bien, elle, de trop précipiter la fin de ceux qu’il faut bien appeler ses protégés.

Lors de la rencontre diplomatique entre Hollande et Poutine, quels ont été les points d’accord sur la coopération franco-russe dans la lutte contre Daech ? Comment la Russie vit-elle son « retour en grâce » sur la scène diplomatique ?
Il s’agit d’échanges de renseignement entre services, de coordination sur le terrain entre forces russes et françaises. Quant à un « retour en grâce » de la Russie sur la scène diplomatique, l’expression me semble mal choisie. En premier lieu parce que la Russie n’a jamais été isolée sur cette dernière. Lorsqu’on l’a dite mise au ban de la communauté internationale, on sait bien que cette dernière, pour ceux qui emploient cette expression, ne désigne que les Etats-Unis et leurs alliés de l’Union européenne, soit un peu plus de 12% de la population mondiale. Par ailleurs, ce n’est pas Vladimir Poutine qui est venu à Paris demander l’aide des Français, c’est François Hollande qui est allé à Moscou demander l’aide de la Russie. La diplomatie française a ainsi effectué un virage à 180 degrés, en souhaitant une coopération franco-russe dont on ne voulait pas entendre parler auparavant, voire une coordination sur le terrain contre Daech avec les forces de Bachar al-Assad, option que Laurent Fabius a proposé mais a de toute évidence beaucoup de mal à endosser compte tenu du revirement complet auquel il se trouve contraint par rapport à ses précédentes prises de position. Les autorités russes, dans ce cadre, doivent donc discrètement jubiler.

Dopage et corruption : quelles sont les conséquence de ce lundi noir sur l’athlétisme mondial ?

Thu, 12/11/2015 - 11:20

Le scandale de corruption au sein de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) est-il une surprise ? Est-il encore plus dévastateur que celui de la Fifa ?
Plusieurs éléments doivent être distingués. D’une part, la révélation de dopage n’est malheureusement pas une surprise, dans une discipline où de nombreux cas ont été révélés depuis les années 1990. L’affaire Balco en 2003 – au cours de laquelle plusieurs grandes stars américaines, comme Marion Jones ou Tim Montgomery avaient été suspendus – est le dernier coup de tonnerre en date.
En revanche, et ce qui surprend dans ce nouveau scandale, c’est indéniablement l’ampleur de la manipulation qui aurait été organisée. Ainsi, au cours de la conférence de restitution du rapport de la commission indépendante de l’AMA (composée de Richard Pound, Richard Mc Laren et Gunther Younger), le 9 novembre, Dick Pound n’a pas hésité à parler de la mise en place d’un système de dopage systématisé, impliquant tout à la fois les autorités sportives, mais aussi les services secrets russes, le FSB. Si le rapport vise particulièrement la Russie, la Commission précise qu’il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg et que d’autres pays étaient impliqués. Sont ainsi cités le Kenya, le Maroc ou la Turquie.
Ce dopage, d’ampleur nationale, nous ramène à des pratiques existantes dans le domaine du sport au cours de la guerre froide, où la course aux médailles était devenue un enjeu de puissance et les compétitions sportives le prolongement de l’opposition entre Est et Ouest. Les contrôles effectués lors des compétitions, ainsi que l’ouverture d’archives, notamment celles de la RDA, de l’URSS mais aussi de la RFA, avait permis de constater la mise en place d’un dopage d’État. Avec la multiplication des révélations, de la prise de conscience des risques sur la santé, mais aussi de la montée en puissance de la lutte anti-dopage depuis la fin du XXe siècle, on pensait avoir vu disparaître ces pratiques.
S’il s’agit de corruption sportive, on ne peut la comparer au scandale qui secoue la FIFA, l’échelle étant totalement différente. Dans un cas, la corruption ne concerne que certaines personnes, principalement à sa tête ; dans l’autre, il semblerait que ces pratiques touchent absolument tous les niveaux, à la fois des athlètes, des entraîneurs, de la fédération nationale d’athlétisme mais aussi la fédération internationale. Chose inédite, la fédération nationale allait même jusqu’à faire chanter ses propres athlètes. La Commission indépendante dénonce un système, tournant vraisemblablement autour de Lamine Diack, ancien président de la fédération d’athlétisme, qui a quitté son poste en 2015, directement impliqué et mis en examen la semaine dernière ainsi que deux de ses fils. Dans le cas de l’athlétisme, il s’agit de l’intégrité même du sport et de la compétition qui est menacée. Dick Pound n’a ainsi pas hésité à déclarer que les « Jeux de Londres avaient été sabotés par ce dopage ». On ne peut donc pas comparer ces deux types de corruption, à la fois dans leur nature, et dans leur ampleur.

Quelles conséquences ce scandale pourrait-elle avoir sur la Fédération d’athlétisme de Russie ? Pourrait-elle se voir priver des Jeux olympiques l’an prochain ?
C’est une question qui a été tout de suite posée lors de la conférence de presse. Les conséquences, sportives et politiques, seront assurément très importantes. D’un point de vue sportif, la commission indépendante d’enquête a recommandé à la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) de suspendre à vie certains entraîneurs et athlètes, mais aussi de suspendre le laboratoire de contrôle anti-dopage pour lequel il a été démontré qu’il y avait eu des malversations et destructions de preuves. En outre, la Commission a aussi demandé la suspension de la fédération russe d’athlétisme de toutes les compétitions sportives, et donc, notamment pour les Jeux olympiques. Cette requête a été bien prise en compte par l’IAAF qui a aussitôt demandé à la fédération russe de rendre des comptes avant la fin de la semaine. Pour Dick Pound, il considère « qu’une participation aux Jeux Olympiques de Rio ne sera possible qu’au prix d’une remise en ordre rapide et crédible de leur fédération ». Par ailleurs, le conseil de la fédération internationale d’athlétisme doit se réunir les 26 et 27 novembre à Monaco. En outre, ces révélations remettent en cause les performances russes lors des dernières compétitions, notamment les championnats du monde d’athlétisme de 2013 et les Jeux olympiques de Londres en 2012.
D’autre part, les conséquences de ce scandale seront éminemment politiques puisque cela touche non seulement directement la Fédération et le Comité national olympique russe qui, rappelons-le, est extrêmement puissant sur la scène sportive internationale et donc, influent politiquement. En outre, compte tenu de la situation géopolitique actuelle, la Russie se trouve, une nouvelle fois, pointée du doigt, voire mise au ban, accusée d’avoir manipulé des compétitions. A la suite de la publication des conclusions de la commission indépendante, Vladimir Poutine a appelé à une collaboration avec les autorités sportives internationales, tout en souhaitant voir les autorités nationales mener une enquête interne, signe d’une volonté d’apaisement.

Le dopage organisé concerne-t-il d’autres pays ? Quel rôle va jouer Interpol dans cette affaire de corruption présumée liée au dopage ?
Le rapport de la commission indépendante portait principalement sur la Russie en décrivant le système institutionnalisé et démontrait que les autorités, sportives comme politiques, ne pouvaient pas ne pas être au courant. Toutefois, d’autres pays ont été cités comme la Turquie, le Kenya ou le Maroc, non seulement en matière d’athlétisme mais aussi dans d’autres sports comme la natation, le ski de fond ou l’aviron.
Concernant Interpol, il va coordonner l’enquête internationale, opération Augeas, dont l’objectif va être de travailler avec les pays membres concernés. Il a notamment été fait mention de Singapour qui pourrait avoir été au centre de cette affaire. En parallèle de l’enquête internationale lancée contre Lamine Diack, des accusations de corruption passive, active, de blanchiment de fond et d’association de malfaiteurs ont été formulées. Interpol intervient logiquement dans cette affaire, compte tenu de l’accord de coopération signé entre l’AMA et Interpol en 2009 pour lutter contre le dopage et la corruption.

L’impasse de la stratégie de déni d’Al-Sissi

Tue, 10/11/2015 - 14:30


Entretien avec Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, autour de l’impasse de la stratégie de déni du président égyptien Al-Sissi.

Le « Balardgone » : quel impact sur la politique de défense de la France ?

Mon, 09/11/2015 - 16:46

François Hollande a inauguré le nouveau siège du ministère de la défense à Balard, surnommé le « Pentagone à la française ». Que cela va-t-il changer dans la politique de défense et la gestion des armées ?
En termes de politique de défense et de gestion des armées, cela ne doit normalement pas changer grand-chose. Cependant, deux aspects sont attendus. Premièrement, il s’agit de réaliser des économies. On se souvient qu’il y a eu des interrogations et des débats relatifs à ce contrat sous forme de partenariat public/privé et donc sur l’économie réelle pour le ministère de la Défense. Le regroupement du ministère de la Défense sur le site de Balard va lui permettre de revendre certaines emprises qui étaient au centre de Paris, et permettre des rentrées financières. Le second avantage attendu est de recentrer sur le même lieu tous les services centraux du ministère. En effet, avant l’inauguration du « Balardgone », les services étaient éclatés dans Paris et en région parisienne. Or ces services ont besoin de travailler ensemble. En termes d’efficacité, on doit attendre une bien meilleure intégration de la politique de défense concernant les décisions prises au niveau du ministère. Le grand intérêt est donc avant tout l’unité de lieu.

On assiste à une multiplication des interventions françaises sur des théâtres extérieurs, représentant un coût estimé à 1,128 milliards d’euros pour 2015. Pour autant, la France a-t-elle les moyens de ses ambitions ? Les armées françaises ne sont-elles pas en train de s’épuiser ?
Il y a effectivement un risque d’épuisement étant donné le nombre actuel d’opérations extérieures. François Hollande a été élu sur le retrait des troupes en Afghanistan, ce qui a été fait, et un budget d’opérations extérieures qui devait diminuer. Dans le budget de la défense, ces opérations extérieures sont provisionnées à hauteur de 450 millions d’euros, contre 650 millions auparavant. Au vu du coût estimé en 2015, il s’agit là d’un doublement voire d’un triplement. Ceci est lié à la menace terroriste qui justifie nos opérations au Mali, en Irak puis en Syrie. Si nous prenons l’exemple du Mali, nous avons réussi à stopper en 2013 l’avancée des différents groupes menaçant Bamako, donc à réduire leur menace. Toutefois, celle-ci s’est en partie reconstituée et il y a maintenant une liaison avec le sud de la Libye et l’implantation de Daech. La grande difficulté vient ainsi du fait que l’on soit seul sur le terrain ce qui nous oblige à durer dans le temps. Si on lutte militairement contre ces groupes, on ne peut pas être seul. Il est certain que l’on n’y arrivera pas s’il n’y a pas des coalitions qui se constituent au-delà des pays occidentaux. Ce sont aussi et avant tout des problèmes régionaux, notamment en Syrie, et c’est aux acteurs de la région de trouver une solution politique, même si les Occidentaux peuvent y apporter une aide.

L’Elysée vient par ailleurs d’annoncer le déploiement du porte-avions Charles-de-gaulle pour participer aux opérations contre Daech permettant de doubler le potentiel militaire français dans la région. A quels objectifs répond cette décision ?
Il y a un objectif militaire qui consiste à renforcer les forces de la coalition contre Daech. Cela étant, jusqu’alors, on ne peut pas dire que l’implication militaire française soit significative ou décisive. La question est d’ailleurs de savoir s’il y a besoin d’une implication militaire française face à Daech en Syrie. En réalité, le principal objectif est avant tout politique : celui de nous réintroduire dans la négociation afin de trouver une solution politique en Syrie. Autour de la table des négociations lors de la première réunion à Genève il y avait les Américains, les Russes, les Turcs, les Saoudiens, et les Européens étaient absents. Le porte-avions est donc avant tout déployé afin de consolider notre position diplomatique, davantage que pour un véritable résultat militaire.

Pages