You are here

IRIS

Subscribe to IRIS feed
Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 week 6 days ago

Une perestroïka nécessaire pour la FIFA

Thu, 25/02/2016 - 16:38

Le nouveau président de la FIFA sera élu vendredi 26 février par les 209 électeurs des Fédérations nationales. Deux favoris se détachent : l’Européen Gianni Infantino et le Cheikh Salman de Bahreïn. Le nouveau président aura pour mission de restaurer l’image de la FIFA, gravement compromise par les accusations de corruption et le raid spectaculaire de la police à l’hôtel où se tenait le Congrès du 27 mai 2015.

Sepp Blatter n’est pas accusé d’être corrompu à titre personnel. Il a plutôt pratiqué un clientélisme à grande échelle et a fermé les yeux sur la corruption qui a avant tout concerné les confédérations sud-américaines et la CONCACAF (Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes).

Il n’y a pas plus de corruption qu’auparavant dans le football. Simplement aujourd’hui celle-ci est plus exposée. Il faut se rappeler qu’en 2006 l’Allemagne avait obtenu l’organisation de la Coupe du monde au détriment de l’Afrique du Sud grâce au changement du vote du délégué de l’Océanie au dernier moment.

La visibilité du football est sans commune mesure avec ce qu’elle était auparavant. Le raid de la police suisse en mai 2015 – évoqué précédemment – a suscité une tempête médiatique quasi équivalente au déclenchement d’une guerre. Il est certain que le football doit se réformer et gagner en transparence. Pourquoi ne pas demander à ce que les patrimoines des responsables soient rendus publics afin de pouvoir en observer l’évolution, comme cela est le cas dans de nombreux pays pour les responsables politiques ? Il pourrait également être judicieux que les votes pour l’attribution des compétitions et avant tout la Coupe du monde soient rendus publics. Il faut également féminiser la FIFA et limiter le nombre de mandats dans le temps.

Certains regrettent que le prochain président soit issu du système, craignant qu’il n’apporte pas les réformes nécessaires. Mais il est normal que le football mondial soit géré par quelqu’un qui n’est pas entièrement nouveau et qui a une bonne connaissance du sport et de sa gouvernance. Le nouveau président sera de toute façon, sous la pression du public, des médias et des sponsors, obligé de réformer et d’amener davantage de transparence. Venir de l’extérieur n’amène aucune garantie et peut même susciter des doutes sur sa compétence. Après tout, c’est bien de l’intérieur du système que Gorbatchev en Union soviétique ou De Klerk en Afrique du Sud ont entrepris de dynamiter un système oppressif.

Au vu des candidats, on peut néanmoins regretter que Michel Platini n’ait pas pu se présenter, tant sa personnalité est hors de proportion avec les deux favoris actuels. Le cheikh Salman a l’appui des confédérations asiatiques et africaines mais il n’y a pas de vote en bloc et chaque délégué fera son choix. Il était mis en cause dans la répression de son pays en 2011. Il s’est défendu d’avoir été un acteur de la violation des droits de l’Homme et l’affaire n’est pas pour le moment suffisamment documentée mais le doute ne devrait pas lui profiter. Certains délégués de la FIFA n’auront pas envie de voir un scandale éclater contre son président après l’élection. Cela renforce les chances d’un Infantino qui a par ailleurs fait des promesses de redistribution aux Fédérations africaines.

Il faudrait également réformer la Commission d’éthique qui porte très mal son nom et qui, en éliminant Platini, a procédé à un coup bas. On pourrait nommer de grandes figures, d’anciens footballeurs qui se sont investis dans des actions citoyennes à l’image du Brésilien Romário, du Français Lilian Thuram, de l’Ivoirien Didier Drogba ou du Franco-Sénégalais Pape Diouf.
Si le souci de transparence est réel, il faut néanmoins se méfier de certaines arrière-pensées. Le FBI n’aurait certainement pas ouvert une enquête de cette envergure si les États-Unis avaient obtenu l’organisation de la Coupe du monde 2022. Cette semaine, The Economist a lancé une idée qui circule beaucoup aux États-Unis : retirer à la FIFA la gestion du football mondial pour la donner à une société qui serait cotée en bourse à New York, ce qui selon l’hebdomadaire britannique donne plus de garantie de transparence. Au vu des affaires Enron et Lehman Brothers on peut en douter. Cela serait certainement un moyen de faire échapper le football au monde sportif. Le football doit se réformer mais ne doit pas être privatisé. Il faut relativiser les reproches faits à la FIFA en ayant en tête cette offensive idéologico-financière. Non la FIFA n’est pas une mafia entièrement corrompue. Oui, elle a eu des dirigeants qui ont été corrompus. La FIFA doit entamer sa perestroïka.

Les enjeux de la 3e Conférence nationale humanitaire à venir

Fri, 19/02/2016 - 17:27

Quelle est la particularité de cette 3e édition ?
Cette 3e édition de la Conférence nationale humanitaire (CNH) se tient à la veille du sommet humanitaire mondial qui aura lieu à Istanbul les 23 et 24 mai prochains. Pour le ministère des Affaires étrangères et du Développement international (MAEDI), la 3e CNH, qui traditionnellement est un espace de dialogue entre l’Etat et les acteurs de l’humanitaire, sera aussi le lieu de l’élaboration de « messages clés » pour le sommet d’Istanbul. La CNH s’installe donc dans le paysage français des relations Etat/acteurs de l’humanitaire au sens large. Cela peut être perçu comme une certaine forme de reconnaissance pour celles et ceux qui, comme Benoit Miribel, ex-Président d’Action Contre la Faim, et Alain Boinet, co-fondateur de Solidarités international, ont plaidé pour la rédaction en commun « d’un document cadre de référence de la politique humanitaire de la France ». À lire le document de problématique de la CNH intitulé « Quels rôles à venir pour les acteurs humanitaires internationaux dans l’architecture de l’aide ? », on a effectivement le sentiment que l’approche humanitaire multi-acteurs est devenue une norme consensuelle.

N’est-ce pas le cas ?
En juillet 2014, dans un article intitulé « Gestion de risques et humanitaire : un mariage impossible ? », Clémentine Olivier, Conseillère aux affaires humanitaires au sein de MSF Canada, rappelait, tout en soulignant l’intérêt de la coopération entre les Etats, les institutions internationales, les ONG et les acteurs locaux, le risque d’un « effacement des frontières entre humanitaire et politique ». Elle insistait sur le fait que « la condition de l’intervention humanitaire en temps de crises aiguës est sa capacité à maintenir une distance vis-à-vis des différents pouvoirs », et ce d’autant plus quand ce pouvoir est partie au conflit. Il serait naïf de croire que des acteurs appelés à coopérer se débarrassent de toute velléité concurrentielle. Coopérer oblige à disposer d’une vision stratégique approfondie, c’est-à-dire, pour reprendre l’image du tétraèdre stratégique de Richard Déry (Editions JFD, Montréal, 2009), professeur à HEC Montréal, à bien appréhender son environnement, à être capable d’adapter son organisation et à être au clair avec son identité.
Pour donner un autre éclairage sur le rôle des uns et des autres face à ce que l’on appelle la « crise migratoire » en Europe, on peut relire avec intérêt le discours du Premier ministre français sur l’accueil des réfugiés en France et en Europe, prononcé le 5 octobre 2015 à l’Assemblée nationale. Si le Premier ministre salue l’action du monde associatif, des ONG et des citoyens, et chiffre les moyens alloués par la France pour faire face à la crise, son discours porte en grande partie sur la réforme du droit d’asile, le contrôle des frontières, la politique active de retour, la lutte contre les filières et l’immigration irrégulière, les moyens à allouer aux forces de l’ordre à Calais et les effectifs de police et de gendarmerie. On peut alors comprendre les réserves que certaines associations émettent à l’action multi-acteurs.

Ne peut-on au moins souhaiter une meilleure coordination des acteurs du développement et de l’humanitaire ?
Le couple humanitaire/développement est ancien, parfois aimant, souvent séparé, toujours souhaité. Certaines ONG humanitaires, sans le dire pour autant expressément, ont fait un pas vers le développement en intégrant notamment des problématiques de sécurité alimentaire. En outre, il serait aberrant de dire que les acteurs du développement restent les bras croisés face aux situations d’urgence survenant sur leur territoire. Si l’on constate désormais l’existence de grosses ONG multi-mandats, d’aucuns plaident pour un continuum entre humanitaire et développement. Face aux situations humanitaires dans les sociétés du « Nord », les organisateurs de la 3e CNH ne préconisent-ils pas déjà dans leur questionnement « des réponses articulant mieux le court, le moyen et le long terme, en interpellant plus directement les acteurs du développement quant à leur rôle vis-à-vis des situations de fragilités ». Ce qui est plus étonnant, c’est la formulation retenue : appel à responsabilité face à un public fragile qui serait étranger au développement…

La conférence semble faire place aux acteurs locaux ?
On ne peut qu’être satisfait d’une initiative qui reconnaisse et favorise le rôle d’acteurs locaux dans le domaine humanitaire.
Si le monde humanitaire ne manque pas d’efficacité et dispose d’un système de valeurs, il a aussi ses symboles et ses croyances. Il reconnait des institutions (CICR), des chapelles (MSF), des hyperpuissances (Care), des justiciers puissants (OXFAM), mais plus rarement dans sa hiérarchie mentale des acteurs locaux capables de se prendre en charge. À chaque crise majeure, on reparle de résilience et on redécouvre les évidences. Ethnocentrisme refoulé ? Réalisme géopolitique et économique ? Les enjeux actuels, énumérés dans le document de problématique de la CNH, et notamment la situation de l’Europe face à l’afflux de réfugiés, y sont sûrement pour quelque chose.

Les NTIC et l’innovation seront abordés lors de la CNH. Quels enjeux représentent-ils pour le monde humanitaire ?
L’ambition de la CNH est de « savoir comment les organisation, les bailleurs et les gouvernements peuvent utiliser au mieux ces innovations et ces évolutions (…) pour plus d’efficacité au bénéfice des populations touchées par les crises ».
L’accroissement du recours aux NTIC va rendre le cyberespace humanitaire de plus en plus efficace. Plus il sera puissant, plus il deviendra un enjeu et plus il sera exposé à la cyberconflictualité. Les ONG, qui sont l’expression même de la démocratie mais qui sont en quête de leur cerbère-espace, pour reprendre l’expression de David Denis (« Cyberconflictualité : La France en quête d’un cerbère-espace », mémoire de recherche réalisé dans le cadre de l’école IRIS Sup’), seront de plus en plus confrontées à des tensions entre la cybersécurité et les valeurs qu’elles affichent dans leur Charte (transparence, etc.).

Les courants de l’Islam et leurs impacts géopolitiques

Fri, 19/02/2016 - 14:59

Action contre la Faim (ACF) et l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) présentent “GEOTALK, improving our world’s understanding” :
Conférence du 5 février 2016 avec Kader Abderrahim, chercheur à l’IRIS et spécialiste du Maghreb et de l’islamisme.

Élections législatives et présidentielle en Ouganda : quels enjeux ?

Thu, 18/02/2016 - 17:48

15 millions d’électeurs sont appelés à voter ce jeudi pour des élections législatives et présidentielle. Dans quel contexte se déroulent-elles et quels sont les enjeux ?
Le processus électoral se déroule dans le calme, même si l’environnement politique demeure tendu. C’est une élection très attendue par bon nombre d’Ougandais. La particularité de cette élection est l’enjeu de la participation de nouveaux électeurs. Il faut rappeler qu’au cours de la dernière élection présidentielle en 2011, environ 8 millions d’électeurs participaient au processus électoral pour 59% de suffrages exprimés. Cette fois-ci, ce nombre a remarquablement augmenté et quasiment doublé au cours de ces cinq dernières années, avec 7 millions de nouveaux électeurs. On parle aujourd’hui de 15 millions de votants potentiels. Cet enjeu est d’autant plus important que la majorité présidentielle est inquiète, même si tous les sondages confirment la position de leader et la réélection presque acquise de Yoweri Museveni. Mais si l’on prend en compte ce nouvel électorat, il faut être prudent sur l’ensemble des éléments avancés en termes de perspectives et d’issue définitive au scrutin. Il faut par ailleurs relever qu’en termes de population, ce sont environ 80% de jeunes ougandais âgés de 30 ans qui participent à ce processus électoral et qui n’ont connu qu’un seul président tout au long de leur vie. Il y a un besoin de changement. Aussi, si le principal candidat de l’opposition, Kizza Besigye, a mené une campagne qui a suscité à la fois l’intérêt et l’adhésion de la population, nous pouvons attendre de voir comment les choses vont se prononcer.

Quel bilan dressez-vous des 30 années au pouvoir du président Yoweri Museveni, à la fois sur le plan interne et international ? Est-il bien positionné pour briguer un cinquième mandat ?
Le bilan de Yoweri Museveni à la tête de l’Etat ougandais est mitigé mais globalement positif, notamment si l’on prend en compte les réalités qui ont présidé à sa prise de pouvoir. Ce dernier est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat qui a permis de mettre fin à quinze années de guerre civile, parfois ponctuées par des violences interethniques et interconfessionnelles. Mais le fait d’avoir pris le pouvoir et stabilisé le pays n’a pas eu que des résultats positifs. Il a profité d’un environnement politique très troublé pour durcir le système politique ougandais et ainsi éliminer de potentiels concurrents, ce qui fait que pendant longtemps, il n’y a pas eu d’ouverture politique conséquente en Ouganda. Sur le plan politique, on peut également mettre à son crédit le multipartisme et l’arrêt des hostilités interethniques et des violences interconfessionnelles. En tout état de cause, on peut voir qu’il a réussi à créer un environnement politique beaucoup plus stable.
Sur le plan sécuritaire, il a mis hors d’état de nuire une quinzaine de rébellions et a réussi à établir un climat de paix dans l’ensemble de son pays. Sur le plan économique, il a mené une bataille considérable, notamment en termes de construction d’infrastructures et de modernisation, même s’il faut rappeler les déséquilibres et les inégalités territoriales qui restent très persistantes en Ouganda. Le Nord et le Nord-Est du pays restent très sous-développés par rapport aux autres régions comme celles du Centre et de l’Ouest notamment. Selon les études menées par l’Enquête nationale auprès des ménages, le taux de pauvreté est de 5% pour la région du Centre, 9% pour la région de l’Ouest, 25% pour l’Est et 44% pour le Nord. Cette étude réalisée en 2012-2013 montre très bien l’inégale répartition des bénéfices qu’on peut accorder à Yoweri Museveni au cours de son administration. Il faut toutefois lui accorder quelques circonstances atténuantes, notamment dans la partie Nord du pays qui a été pendant longtemps sous la gouvernance sécuritaire du rebelle sanguinaire Joseph Kony et de son mouvement, l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Museveni est arrivé à stabiliser ces différentes régions mais il va maintenant falloir reconstruire l’entièreté du pays et réduire ces inégalités territoriales.
Ainsi, sur le plan interne, à la fois au niveau politique, économique et sécuritaire, Museveni a apporté au pays des réformes et des avancées considérables.
Sur le plan international, le président dispose d’une habilité diplomatique et d’une ouverture vis-à-vis de l’extérieur. S’il est au départ de formation marxiste, il s’est rapidement ouvert au libéralisme économique et a attiré les bonnes grâces de la communauté internationale. Les Etats-Unis ont vu en lui sa capacité à mettre en œuvre les recommandations formulées par le Fond monétaire international et la Banque mondiale. La mise en œuvre des recommandations du FMI et de la Banque mondiale a permis à son pays de continuer de bénéficier, jusqu’au cours des dernières années, de l’aide internationale à hauteur de 50 % du budget national. Museveni est un fin diplomate et un fin stratège qui est capable à la fois d’assurer sa stabilité politique, exerçant une fermeté à l’intérieur du pays en accordant moins d’ouverture politique vis-à-vis de l’opposition ou de la société civile, et de répondre aux attentes de la communauté internationale, notamment sur les grandes réformes structurelles en matière économique. Il faut aussi reconnaître que Museveni a longtemps bénéficié des foyers de tension dans la région : le génocide du Rwanda, la guerre en République démocratique du Congo, le Soudan qui ont particulièrement attiré l’attention de la Communauté internationale et absorbé les efforts de cette dernière.
En plus de ce bilan, qui est soutenable malgré la brutalité du régime, Yoweri Museveni peut compter sur la longue expérience de son parti, le Mouvement de résistance nationale (NRM), le soutien que lui apporte l’appareil de l’Etat et les ressources financières que ses concurrents n’ont pas pour être réélu à la magistrature suprême.

Quels sont les principaux défis à relever pour le pays ? Dans quelle mesure les résultats de ces élections peuvent impacter la fragile situation régionale ?
Yoweri Museveni a engagé un processus de développement en termes d’infrastructures et de renforcement des capacités de l’Etat, mais il reste des défis majeurs à relever, notamment dans le secteur de la santé et de l’éducation où un accent particulier devrait être mis. Les inégalités territoriales persistent entre le reste du pays et le Nord. Il va falloir, pour assurer l’équilibre et la cohésion nationale, renforcer le processus de développement dans ces régions afin de ne pas donner la possibilité aux ressortissants des localités d’avoir le sentiment d’être complètement à l’abandon.
On sait que l’environnement régional de l’Ouganda reste très instable au cours de ces dernières années. Le Soudan du Sud, qui partage les mêmes frontières avec l’Ouganda, n’est pas stabilisé et de très fortes violences armées subsistent au niveau de ces frontières. Le fait que la partie Nord et Nord-Est du pays soit sous-développée peut constituer un terreau favorable à des revendications sociales susceptibles de déboucher sur des actions armées, bénéficiant du soutien des groupes rebelles venant du Soudan du Sud. Les enjeux sont donc importants. Il faut réduire la pauvreté dans les zones rurales. En effet, si l’on parle d’avancées notables en matière de développement et d’indicateurs macroéconomiques en Ouganda, la pauvreté dans les zones rurales reste très importante et ces dernières sont très enclavées. Seules les régions du Centre, de l’ouest et les zones urbaines connaissent un développement fulgurant observable au cours de ces dernières années.
Sur le plan régional, il est nécessaire de revoir la diplomatie ougandaise. Si Yoweri Museveni se maintient au pouvoir, la diplomatie ougandaise ne pourra pas bouger les lignes fondatrices des questions sécuritaires dans la région, notamment au niveau du Burundi où la médiation du président ougandais a échoué, ce dernier n’étant pas accepté par les parties en conflit. Il n’a en effet pas le profil correspondant pour assurer la médiation au Burundi, lui-même s’accrochant au pouvoir, à l’instar de Pierre Nkurunziza, le président burundais. Museveni a été formé à la guérilla par des professionnels de l’insurrection au Mozambique, notamment les bras séculiers du Front de libération du Mozambique. Il a réussi à mettre hors d’état de nuire des régimes sanguinaires comme celui d’Idi Amin Dada ou de Milton Obote. Il a le profil d’un ancien chef de guerre et ne dispose pas de légitimité politique nécessaire pour peser dans les médiations notamment face à d’autres acteurs politiques de la région souhaitant se maintenir au pouvoir en violation des principes constitutionnels ou des accords de paix.

François 1er au Mexique : Pape dérangeant, diplomate pèlerin

Thu, 18/02/2016 - 11:52

Le pape a effectué les 14-18 février 2016 un périple pastoral qui l’a conduit à Cuba et au Mexique. Chacun a picoré ce qui lui convenait dans ce voyage comme dans les précédents. Chacun a donc laissé de côté ce qui lui paraissait incongru. S’agissait-il d’un déplacement diplomatique ? Oui, mais pour une part seulement. Le pape est chef d’Etat, responsable suprême du plus petit pays du monde, le Vatican. S’agissait-il d’un circuit à caractère religieux ? Bien évidemment. Ce mélange des genres n’est pas toujours facile à comprendre et à gérer, pour les observateurs politiques comme pour les acteurs de la vie catholique et chrétienne. Cette double dimension relève d’environnements différents. Ils sont pour François Ier sans doute complémentaires. Ce qu’ont bien entendu certains des interlocuteurs visités. Mais qui en dérange beaucoup d’autres.

Incontestablement, l’objet fondamental poursuivi par le pape au Mexique, comme hier en Centrafrique, à Cuba ou aux Etats-Unis, était d’ordre pastoral. Le catholicisme est contesté et érodé un peu partout, notamment par les évangélistes et les pentecôtistes en Amérique et en Afrique équatoriale ainsi que par la sécularisation des esprits en Europe. Il s’agit de relever ces défis en forçant les cadres de l’Eglise (catholique) à évangéliser, à sortir d’une pratique bureaucratique de leur foi. L’Amérique latine est pour le pape François l’axe d’une reconquête. Il est latino-américain et convaincu d’avoir été élu parce que ce continent est l’ultime bastion.

Il a manifestement bousculé la hiérarchie mexicaine en s’adressant au peuple catholique, aux familles, fussent-elles divorcées, à la jeunesse, aux autochtones et aux migrants, catégories traditionnellement tenues à distance des lieux d’autorité, laïques comme épiscopaux. Les différentes étapes de ce voyage mexicain ont été marquées par la volonté de toucher le plus grand nombre, les exclus et les plus pauvres. Le sanctuaire de la Guadalupe, la vierge brune, bannière du petit peuple. Ecatepec, banlieue ignorée de la capitale, victime de toutes sortes de désordres sociaux. San Cristobal de las Casas, épicentre du Mexique indigène, évêché de Samuel Ruiz, apôtre de la théologie de la libération, cœur des relégués en dépit des discours officiels valorisant, dans les livres, « la race de bronze ». Morelia, capitale du Michoacán, Etat bousculé par les rivalités entre narcotrafiquants. Ciudad Juarez enfin, dévastée par les guerres de proximité avec les Etats-Unis, symbole de la violence contre les migrants et contre les femmes.

Ce tour du Mexique qui n’avait rien de séduisant a effectivement déplu. Une publication catholique conservatrice, « Desde la Fe », a sévèrement critiqué le choix de ces étapes. Le cardinal archevêque de Mexico, qui personnifie l’Eglise installée dans ses meubles, complaisant dans un passé récent avec bien des personnages contestables [1], a été tenu à l’écart. Les autorités sermonnées chaque jour, rappelées à un examen de conscience sociale, ont essayé de capturer médiatiquement le pape. Le président Enrique Peña Nieto, membre d’un parti laïque et historiquement anti clérical, le PRI, a ouvert le palais présidentiel à un pape, pour la première fois [2]. François Ier s’est ainsi trouvé dans le lieu où ont été adoptées les premières lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, à quelques mètres de la chambre mortuaire de celui qui en avait été l’initiateur, le président Benito Juarez [3]. L’épouse du chef de l’Etat, Angelica Rivera, malencontreusement vêtue de blanc, a corrigé sa tenue pour servir de mentor insistant au pape en visite dans un hôpital d’enfants malades. Cela n’a pas empêché le pape de canoniser une victime des guerres religieuses de la fin des années 1920.

La diplomatie sans doute, mais de surcroit. Et toujours accompagnée d’une orientation pastorale supérieure. L’étape cubaine, annoncée au dernier moment, en a déconcerté plus d’un. D’un baiser de paix entre pape et patriarche de toutes les Russies, le divorce de 1054 entre catholiques et orthodoxes aura été ringardisé, au risque sans nul doute assumé de faire grincer en Ukraine les dents des uniates. L’occasion a fait le larron. L’intérêt supérieur partagé est de défendre la chrétienté orientale, catholique comme orthodoxe, menacée dans le lieu d’origine commun, là où tout a commencé, ce qui suppose de fait un soutien, à tout ce qui peut l’empêcher, au régime de Damas et à son allié russe.

Cuba apparait une nouvelle fois comme un lieu de rencontre, de dialogue et de compromis. Le pape l’avait visité en 2015. Visite sanctionnant la normalisation de la vie chrétienne et catholique dans l’île. Visite saluant le rôle de Cuba dans le processus de paix colombien qui se déroule à La Havane. Visite confirmant le rôle de pont joué par le Vatican dans la réconciliation en cours des Etats-Unis avec Cuba. Cette osmose inattendue du communisme et de la religion ne peut que conforter tous ceux qui aux Etats-Unis souhaitent la levée de toutes les mesures d’embargo. Les secteurs républicains les plus réactionnaires et les Cubains de Miami les plus intransigeants ont été contraints d’avaler la pomme castriste avec la couleuvre papale.

Le pèlerinage mexicain a ouvert d’autres fronts diplomatiques. Deux des lieux symboliques visités par le pape, Ciudad Juarez et San Cristobal de las Casas, se trouvent aux bords extrêmes du pays. L’un donne sur les Etats-Unis et l’autre est une porte donnant sur l’Amérique centrale. Deux points géographiquement éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, mais unis par un train au nom qui vaut toute explication, « La Bestia ». Le Mexique papal est un porte-avions qui doit ouvrir le passage aux plus défavorisés. « Tu es un pape latino-américain, tu nous comprends », lui a dit une jeune fille à San Cristobal de las Casas en présence de Mexicains bien sûr mais aussi de nombreux Guatémaltèques. François Ier a explicitement à leur intention cité une œuvre précolombienne, transfrontalière, le Popol Vuh. « L’aube a fait son chemin », leur a-t-il dit, « pour les peuples qui ont marché dans les ténèbres de l’histoire ». A bon entendeur, salut. L’entendeur ce sont les secrétaires d’Etat (les ministres) désignés par le président Peña Nieto pour marquer le pape à la soutane dans chacune de ses étapes. A toutes fins utiles, bien que le responsable de la sécurité, (ministre adjoint de l’intérieur et des affaires religieuses), Humberto Roque Villanueva, ait déclaré, avant l’arrivée du pape, « les paroles du pape auront un effet incontestable sur la société mexicaine. Mais le gouvernement de la République n’a aucune crainte particulière ». A suivre…

[1] Marcial Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ.
[2] Mexique et Vatican ont rétabli leurs relations diplomatiques le 21 septembre 1992.
[3] Benito Juarez est mort en 1872 dans le Palais national, résidence officielle des chefs d’Etat.

Les drones : Quels usages ? Quelles problématiques ?

Wed, 17/02/2016 - 16:54

L’Association internationale du transport aérien a récemment qualifié l’essor des drones de « menace réelle et croissante » pour la sécurité des avions de ligne. Que cela révèle-t-il en termes de réglementation ?
On assiste actuellement à une croissance du nombre de drones utilisés, d’une part pour le loisir, ou par les autorités publiques, qu’elles soient civiles ou militaires. Pour ce qui est de la réglementation, celle-ci évolue régulièrement pour s’adapter à la croissance du marché. La réglementation française vient juste d’être modifiée par un décret de décembre 2015. On distingue les vols à vue et hors vue. Dans tous les cas de figure, les agglomérations ne peuvent être survolées sauf autorisation préalable, de même que les approches d’aéroport. Le plafond de vol est limité à 150 mètres. Les opérateurs de drones pour le compte d’exploitant doivent avoir un brevet de télépilote.
Au-delà de 150 mètres, les drones ne peuvent voler sauf si l’espace aérien est fermé et leur est réservé (cas de la protection des grands événements internationaux où l’espace arien est fermé pour permettre le vol des drones). Tout est ainsi fait pour assurer une sécurité maximum, mais le problème est que tout ceci est nouveau, la réglementation n’est pas toujours connue et le marché est en pleine expansion.
Sur le plan international, la question de l’insertion des drones est envisagée au niveau européen dans le cadre de la mise en place du ciel unique européen. Le programme technologique SESAR envisage d’ailleurs cette question de l’insertion de ces drones dans le trafic aérien qui n’est pas possible aujourd’hui. Il faut développer les technologies Sense and Avoid, c’est-à-dire la capacité du drone à détecter lui-même un obstacle et à pouvoir l’éviter. Il faudra ensuite que les drones soient certifiés. On peut imaginer que vers 2020, une insertion des drones dans le trafic aérien sera sans doute possible. Les Américains sont de leur côté en train de développer leur propre législation et il y a une bataille de normes à ce niveau.

Quelle est la réalité de l’utilisation des drones par les armées modernes ?
On assiste aujourd’hui à un développement exponentiel des drones dans le domaine militaire. Dans les années 1990-2000, seuls les Israéliens et les Américains possédaient des drones, et il faut bien dire que les Européens ont pris du retard. Aujourd’hui, des programmes de drones se développent partout dans le monde, en Europe bien sûr mais aussi dans les pays émergents.
Les drones font l’objet d’une classification selon plusieurs types. Il y a d’abord la classification en fonction des capacités des drones en termes de zones d’emploi. Premièrement, il y a les drones tactiques, utilisés en général par l’armée de terre sur le champ de bataille. L’armée de terre française vient d’ailleurs de décider d’acquérir un nouveau drone, le Patroller, fabriqué par Sagem. Il y a des drones plus stratégiques, de moyenne altitude et longue endurance (drone MALE), qui vont pouvoir voler plus haut pendant 24 heures et surveiller une aire plus étendue : ce sont les Reaper américains que l’on utilise au Mali par exemple. C’est dans cette gamme que l’on essaie de lancer un programme européen avec les Allemands et les Italiens. Il y a aussi des drones qui vont voler à très haute altitude et avoir une grande endurance comme le Global Hawk américain.

Quelles nouvelles problématiques l’émergence des drones soulève-t-elle par rapport à la nature de la guerre ?
La principale problématique n’est pas tellement le développement des drones de surveillance mais de savoir si les drones doivent ou non être armés. Il y a une très grande prudence sur ce sujet, notamment en France. On sait que les Américains ont fait une utilisation massive des drones Reaper, avec une politique d’assassinats ciblés qui a malheureusement engendré de nombreux dommages collatéraux. Cela a donné une très mauvaise presse aux drones car leur utilisation s’est faite en violation du droit humanitaire et ceci explique la réticence française sur le sujet. Mais en réalité, la question n’est pas liée au drone en lui-même mais à l’usage que l’on fait de cette arme. La vraie question est de savoir dans quel cas de figure il sera plus utile d’utiliser un aéronef habité ou un drone armé. C’est une question de nature opérationnelle qui peut être liée à la capacité plus grande d’un drone de franchir des défenses ennemies – c’est la problématique du drone de combat auquel réfléchit Dassault – mais également au risque que l’on fait prendre au pilote qui pourrait justifier l’emploi d’un drone.
Par ailleurs, grâce au développement des technologies de l’intelligence artificielle, on se dirige de plus en plus vers des engins qui ont une certaine forme d’automatisation. Les drones Harfang qui sont encore opérés par l’armée française étaient des drones qui avaient la capacité de décoller et d’atterrir automatiquement, sans que l’opérateur intervienne. Cela va se généraliser et pas uniquement dans le domaine militaire : nous ne sommes plus loin de l’avion sans pilote ou de la voiture sans conducteur. La vraie question est de savoir jusqu’à quel point un drone pourra ou non choisir sa cible tout seul. Il est évident que cela pose un problème juridique. Cette question est évoquée à la conférence du désarmement à Genève. Le principe tend à interdire une automatisation totale avec ce que l’on appelle les « killer robots ». Mais la question est plus complexe et dépasse la simple interrogation de la présence d’un opérateur dans l’opération. Toutes les solutions intermédiaires sont en réalité possibles entre un contrôle total par l’humain et une absence totale de contrôle. C’est à ce niveau que le débat existe, entre savoir ce qu’il faut autoriser et ce qu’il faut interdire. C’est un nouveau champ d’étude pour ceux qui travaillent sur les questions de maîtrise des armements.

« Les enfants du chaos » – 3 questions à Alain Bertho

Wed, 17/02/2016 - 16:17

Alain Bertho, anthropologue et professeur à l’université Paris-8, est spécialiste des phénomènes de mobilisations urbaines et émeutes, en France et dans le monde. Il répond à mes questions à l’occasion de son dernier ouvrage « Les enfants du chaos : essai sur le temps des martyrs », paru aux Éditions La Découverte.

Vous constatez que les mobilisations populaires, aussi bien dans les vieilles démocraties que dans les pays où l’on vote depuis peu, n’ont pas de débouché électoral. Pouvez-vous expliquer ?

Nous vivons depuis plus de dix ans une période historique particulière à l’échelle mondiale, que j’ai qualifiée dès 2009 de « Temps des émeutes »(1) . Ce que nous avons appelé au XIXème et XXème siècle la politique, c’est à dire une puissance subjective collective permettant aux mobilisations de s’inscrire dans une stratégie vis-à-vis du pouvoir, n’est plus là. Avec la mondialisation financière, les États, quels que soient les régimes, se sont séparés de leurs peuples et ne rendent plus de comptes qu’aux marchés financiers ou institutions interétatiques. Les Grecs en ont fait la tragique expérience. Nous vivons un effondrement des dispositifs politiques de représentation.

Les souffrances comme les espoirs populaires se trouvent privés de débouchés et s’expriment par une rage collective dans des émeutes et des affrontements civils dont le nombre, qui n’a cessé d’augmenter jusqu‘en 2013, s’est stabilisé autour de 2000 par an. L’entre soi du personnel dirigeant comme l’institutionnalisation du mensonge d’État, souvent couplés à des formes diverses de corruption, ont fait des ravages dans la conscience des peuples. Si le pouvoir peut faire l’objet d’une critique sans concession, il n’est plus une perspective mobilisatrice. On l’a bien vu dans la séquence insurrectionnelle commencée en 2011 par le printemps arabe, les Indignés et Occupy Wall Street, prolongée en 2012-2014 par les mobilisations au Québec (printemps érable), en Turquie (Place Taksim), au Brésil, voire en Ukraine.

Mêmes les soulèvements vainqueurs, en Tunisie et en Égypte, n’ont pas été des révolutions au sens traditionnel. Les insurgés sont restés volontairement à la porte du pouvoir et ont laissé aux spécialistes la gestion, voire le sabordage de leur victoire. Podemos est la seule tentative de faire le lien entre mobilisation contemporaine et espace parlementaire. C’est passionnant, mais c’est maigre… et fragile. La puissance de mobilisation, dont ont fait preuve les peuples, est minée par les désillusions. Quand la politique reflue, c’est la religion qui afflue. Si, comme le dit Slavoj Žižek, aujourd’hui la fin du monde semble plus crédible que la fin du capitalisme, les révoltes sans espoir peuvent conduire sur le chemin du Djihad. On le voit en Tunisie qui est l’un des plus grands pourvoyeurs de combattants de Daech.

Vous évoquez la cohabitation de pléthore d’informations disponibles et de la sophistication de la mise en spectacle du monde. Qui va l’emporter ?

La politique n’est pas la seule victime de la mondialisation. Paradoxalement, l’ère de la communication planétaire et d’Internet a mis fin à l’espace public tel que l’avait décrit Habermas, c’est-à-dire l’usage public et sous contrôle public de la Raison. Les pouvoirs et les médias dominants ont des moyens sans précédents pour déconstruire le réel et produire un grand récit du monde qui impose sa logique et son vocabulaire, sa hiérarchie des informations, ses silences jalousement gardés. Les peuples subissent cette mise en spectacle tout en faisant l’expérience quotidienne de son décalage avec le réel.

Cette expérience est dévastatrice pour la crédibilité de toute parole « autorisée », que ce soit celle des gouvernants, des savants, des médecins, des enseignants… Nous vivons la crise du régime moderne de vérité qu’assurait l’espace public depuis les Lumières. Cette méfiance généralisée investit sa quête de vérité « alternative » dans cet outil formidable et terrible qu’est Internet. Formidable car il peut fonctionner comme le General Intellect qu’annonçait Marx. Terrible car il peut être – et il est déjà – le vecteur d’un nouvel obscurantisme.

Les Sciences sociales, qui sont les filles de la politique et de l’espace public, subissent de plein fouet au XXIème siècle cette crise de la vérité combinée au congédiement des peuples (et de la question sociale) par des pouvoirs engagés dans des logiques sécuritaires et guerrières. Elles sont une nouvelle responsabilité historique soulignée par Appadurai (2) : celle de la construction avec les peuples d’un savoir partagé et d’un nouveau récit collectif(3) .

En quoi l’organisation reste l’un des points sensibles de la radicalité contemporaine ?

La radicalité comme critique créatrice de l’état du monde et des dominations et comme espérance est indispensable à la bonne santé de l’humanité. Les grandes périodes historiques ont été de grands moments d’inventions contestatrices, de remise en cause des autorités installées et des certitudes. Cette radicalité là est le contraire du Djihad et de sa logique mortifère et désespérée.

La crise de la représentation et de la politique que nous subissons est aussi le signe d’une immense potentialité démocratique, réprimée non seulement par la militarisation du débat public mais aussi par l’autoritarisme procédurier de l’organisation de la vie sociale et du travail qui caractérise le libéralisme (4). Le rejet populaire des pouvoirs politiques ou économiques et de la bureaucratie est une conséquence de cette répression quotidienne de la puissance d’invention, d’expertise et de création des peuples.

C’est l’enjeu démocratique du siècle. Il ne s’agit plus de « prendre le pouvoir » mais de constituer les compétences des peuples comme une puissance organisatrice du commun et souveraine sur l’État. Les grandes mobilisations depuis quinze ans ont toutes été marquées par l’organisation de moments et de lieux d’échanges collectifs d’idées et de savoirs, du forum social mondial à la place Tahrir, de la Puerta del Sol à Occupy Wall Street, de l’échelle du monde à l’échelle des ZAD.

Une nouvelle figure de la politique comme puissance subjective et comme stratégie se cherche dans cette radicalité démocratique. Il lui manque aujourd’hui une forme organisationnelle qui identifie la mémoire, la pérennité et la puissance du commun au-delà des moments forts de mobilisation. On voit bien que les modèles partisans, tous issus du léninisme, ne correspondent plus à ses exigences. Ce sont les figures nouvelles en train d’émerger, sur plusieurs continents, qu’il nous faut travailler et faire grandir. Il y a urgence car seule l’émergence d’une telle radicalité démocratique peut faire face à la généralisation de la guerre et à la tentation d’une radicalité désespérée, meurtrière et suicidaire.

(1) BERTHO (Alain), Le temps des émeutes, Bayard, 2009.
(2) APPADURAI (Arjun), La condition de l’homme global, Payot 2013.
(3) BERTHO (Alain), « Les mots et les pouvoirs », Communications 2014/1 (94).
(4) GRAEBER (David), Bureaucratie, 2016.

JO 2024 : pourquoi Paris a une bonne chance de l’emporter

Wed, 17/02/2016 - 11:09

Après l’échec douloureux de Paris face à Londres en 2012, la voilà de nouveau candidate aux JO. Avec de meilleures chances ?
La défaite face à Londres a effectivement été un véritable traumatisme: la France a perdu à très peu de voix près, alors qu’elle était sûre de sa victoire. Mais avons appris de cet échec cuisant, les leçons de 2012 ont été retenues. Déjà, nous en avons fini avec cette arrogance, ou du moins cette naïveté de croire que parce que la France est le pays de Pierre de Coubertin, ou qu’elle n’a pas reçu les Jeux d’été depuis 1924, ou encore parce qu’elle s’est faite retoquer trois fois, cela lui donnerait une sorte de priorité pour organiser les Jeux de 2024.
Surtout, contrairement à 2012, c’est désormais le mouvement sportif qui est à la tête de cette nouvelle candidature et non pas les responsables politiques, avec le tandem Bernard Lapasset – Tony Estanguet. Les responsables politiques, la maire de Paris, le président de la République, le premier ministres et les ministres concernés, la présidente de région, etc. – soutiennent cette candidature, mais ils ont bien compris qu’il fallait laisser la préséance au monde sportif.

Gagner les Jeux, ce serait donc une affaire de lobbying ?
Evidemment, il faut partir avec un dossier très solide en matière de budget, d’équipements sportifs, d’infrastructures de transport et hôtelières, d’expérience dans l’accueil de grands événements sportifs internationaux. Mais les villes finalistes ont toujours des dossiers solides. Les trois fois précédentes, Paris a déjà produit un dossier stratégique et technique de qualité. C’est une capitale au rayonnement mondial, très bien desservie, qui possède déjà nombre des sites et équipements sportifs nécessaires, dont la candidature est soutenue par la garantie de l’Etat…
Mais lorsqu’il s’agit d’accueillir la commission d’évaluation du CIO, avoir un bon dossier ne suffit plus. Il faut aussi faire du lobbying –ce n’est pas un gros mot !- intelligent, insistant, constant jusqu’à la dernière minute pour faire valoir les atouts de Paris auprès de la centaine de membres du Comité olympique, qui sont aussi bien d’ex-athlètes que des représentants de fédérations sportives internationales et des politiques. Là, je suis très confiant dans les capacités du duo Lapasset-Estanguet, de grands pros. Le premier a ainsi réussi à faire inscrire le rugby à sept comme discipline olympique pour Rio 2016. Et le second s’est fait élire membre alors qu’il vient d’un sport assez confidentiel. Les deux ont donc su remporter des batailles d’influence olympiques, et ce n’était pas gagné d’avance! C’est de bon augure.

Que penser des concurrents de Paris ?
La mauvaise nouvelle, pour Paris, c’est l’abandon de Boston, choisie d’abord par le Comité olympique américain mais qui a renoncé vu l’hostilité de ses habitants, au profit de Los Angeles. La capitale californienne est plus redoutable car son dossier de faisabilité est béton, les Jeux qu’elle a déjà organisés en 1984 ont été un succès, et, aux Etats-Unis, les droits télé sont faramineux et les sponsors se bousculent. Mais cela reste une candidature par défaut, on ne sent pas d’enthousiasme. Par ailleurs, l’interventionnisme extraterritorial de la justice américaine dans les affaires sportives, notamment le «FIFA Gate», a certainement dû agacer plus d’un membre du CIO.
En Europe, Hambourg, qui était une sérieuse rivale, s’est finalement retirée à cause de la désapprobation des habitants. Budapest paraît un choix peu réaliste et Rome, en difficulté financière, n’offre pas toutes les garanties de fiabilité. Au bilan, il y a une fenêtre d’opportunité, Paris a de très bonnes chances de l’emporter.

La mobilisation des Français paraît cependant faible: le Comité olympique français espérait récupérer auprès du public 10 millions pour soutenir la candidature mais n’a récolté que moins de 700.000 euros pour le moment…
C’était un pari original que d’imaginer une campagne de financement participatif. Si ça n’a pas très bien fonctionné c’est sûrement à la fois parce que la somme recherchée paraissait aux gens trop énorme et aussi parce que l’événement est encore très loin pour le grand public. Pour autant, ce n’est pas parce que l’opération de crowdfunding a fait un flop que la population française ne veut pas des Jeux. Les Français et plus précisément les Franciliens soutiennent clairement l’ambition olympique de Paris, à plus de 65% selon les sondages. Et il y a un consensus d’adhésion de toutes les instances sportives et des politiques de droite comme de gauche. Nul doute qu’avec le temps, cette candidature va créer un effet fédérateur, fournira un souffle d’enthousiasme collectif dont le pays a bien besoin.

Les attentats à Paris, handicap ou paradoxal atout pour la candidature française?
Ni l’un ni l’autre. Je ne crois pas que le CIO s’affole sur les questions de sécurité. Des attentats peuvent se produire partout et la France sait sécuriser les grands événements. A cet égard, l’Euro 2016 de foot, qui se tiendra dans l’Hexagone cet été sera un bon test, évidemment scruté de près. A l’inverse, il ne faudrait pas s’attendre à une sorte de « prime compassionnelle » en faveur de Paris. La ville devra démontrer, comme ses rivales, sa compétitivité. La victoire s’arrachera avec les dents!

Propos recueillis par Gaëlle Macke pour Challenges

La désinformation : un enjeu stratégique

Tue, 16/02/2016 - 18:22

François-Bernard Huyghe est directeur de recherche à l’IRIS. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage “La désinformation – Les armes du faux” (Armand Colin):
– La désinformation est-elle un phénomène nouveau ou bien s’est-elle démocratisée à travers internet et les réseaux sociaux ?
– Vous dites que la désinformation constitue un enjeu politique majeur. Pouvez-vous nous en dire plus ?
– L’établissement d’une vérité des faits acceptée par tous est-elle possible ?

Les quatorze mois de Jean-Marc Ayrault

Tue, 16/02/2016 - 17:34

Jean-Marc Ayrault vient de succéder à Laurent Fabius à la tête de la diplomatie française. Ancien Premier ministre, c’est un poids lourd de la vie politique qui sera en contact direct avec le président de la République. Ses conceptions de la politique internationale sont un mélange de gaullo-mitterandisme et de sensibilité de la gauche chrétienne, très forte dans l’ouest de la France, attachée aux droits de l’Homme et à la coopération Nord/Sud.

La question est de savoir quelle pourra être sa marge de manœuvre, à quatorze mois de l’échéance présidentielle? Quelles sont les actions d’envergure qu’il aura le temps de mettre en œuvre et de réussir ?

Il faudra donc que Jean-Marc Ayrault dégage des priorités sur ce qu’il est raisonnablement possible de réaliser dans un temps court.

Sa connaissance de la langue allemande – si rare en France – et de l’Allemagne fait naturellement de la restauration d’une forte relation franco-allemande une priorité. Les liens se sont relativement distendus du fait de l’existence objective des différences d’intérêts et d’une certaine usure ou dilution de la relation. Jean-Marc Ayrault est bien placé pour redynamiser la relation à un moment où les deux pays constatent que leur éloignement relatif les dessert tous les deux. Même dans une Union européenne élargie à 28, le couple franco-allemand reste le meilleur pour parvenir à un résultat, comme le montrent les accords de Minsk de février 2015 parrainant un cessez-le-feu entre l’Ukraine et la Russie.

On dit également que la France est moins présente qu’auparavant à Bruxelles dans une Europe qui fait face à la perspective d’un Brexit (sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne), de la crise que suscitent les réfugiés, d’une nouvelle coupure Est-Ouest et d’une crise potentielle de l’euro. La sensibilité européenne d’Ayrault l’incitera à faire du bon règlement de ces dossiers une priorité.

Sur deux sujets majeurs, la Syrie et le conflit israélo-palestinien, les marges de manœuvre sont faibles. Sur la Syrie, le nombre de paramètres, les divergences fondamentales de perception et d’intérêts des multiples protagonistes éloignent malheureusement pour le moment toute perspective de règlement politique. Jean-Marc Ayrault a pour seul avantage de pouvoir reprendre le dossier de zéro.

Sur le conflit israélo-palestinien, la France est moins volontaire, et ce depuis 2005. La situation paraît inextricable face un gouvernement israélien fermé à toute solution politique, un futur occupant de la Maison-Blanche qui sera forcément plus favorable encore à Israël qu’Obama et une impuissance généralisée des autres États. Quand bien même Jean-Marc Ayrault voudrait agir, il n’est pas sûr que l’Élysée n’y fasse pas obstacle.

Lorsqu’il était Premier ministre, Jean-Marc Ayrault avait effectué un nombre de déplacements conséquents en Asie. Il aura certainement à cœur de poursuivre ce rééquilibrage de la diplomatie française dans cette région et d’y développer la présence de la France. En Afrique, les opérations militaires en cours donnent un plus grand poids au ministère de la Défense vis-à-vis du quai d’Orsay. Il n’est pas certain que cette tendance puisse être inversée d’ici 2017.

Mais en liaison avec l’Allemagne, il est un sujet sur lequel Jean-Marc Ayrault pourrait obtenir un progrès significatif : la restauration d’un certain niveau de relations avec la Russie qui pourrait mener à la levée des sanctions établies en conséquence de l’affaire ukrainienne. Il y a deux ans, les Occidentaux considéraient Moscou comme entièrement coupable du conflit avec l’Ukraine et les dirigeants ukrainiens comme uniquement victimes. Aujourd’hui, il est de plus en plus évident qu’il y a des faucons à Kiev et que le problème principal de ce pays est la corruption de ses dirigeants plus encore que les interférences, certes réelles, de la Russie. Les sanctions décrétées par les Occidentaux à l’égard de ce pays pèsent sur les économies française et allemande. C’est un piège dont elles ont besoin de sortir. Et c’est un bon levier pour que Berlin et Paris agissent en commun avec une chance de succès.

Vingt sixième Sommet de l’Union africaine : entre ambitions stratégiques et inertie manifeste des Etats

Fri, 05/02/2016 - 14:55

Le vingt sixième Sommet de l’Union africaine s’est tenu à Addis-Abeba du 30 au 31 janvier 2016. Initialement prévu pour promouvoir les droits humains et pousser les Etats membres à mettre en œuvre la protection des droits de l’Homme et spécifiquement ceux de la femme dans leurs axes gouvernementaux prioritaires pour le compte de l’année 2016, le sommet a finalement été une occasion de plus pour révéler les étonnantes divergences entre la volonté toujours prononcée de l’Union africaine de protéger les intérêts plurinationaux du Continent et les considérations exagérément souverainistes de ses Etats membres. Entre l’intérêt accordé au discours de la présidente de la Commission de l’Union africaine sur la nécessité de mobiliser les ressources du continent à la réalisation des objectifs de l’Agenda 2063, les déclarations propagandistes de Robert Mugabe contre les Occidentaux et la rupture idéologique voulue par le président tchadien Idriss Deby, les contradictions observées au Sommet de l’Union africaine, bien que connues, semblent de plus en plus préoccupantes au regard des conditions inhumaines imposées aux populations africaines par un environnement géopolitique entretenu par les chefs d’Etat et de gouvernement.

Les droits de l’Homme remplacés par l’urgence sécuritaire pour quelle finalité ?

Si la thématique centrale retenue pour le vingt sixième Sommet de l’UA a été celle des droits de l’Homme et spécifiquement les droits de la femme, la situation politique et sécuritaire au Burundi, en Libye, au Soudan du Sud, en RCA et la montée du terrorisme transnational sur le continent ont incontestablement contribué à modifier l’agenda du Sommet. Ces questions inscrites à l’ordre du jour du Sommet, sans une préparation structurellement concertée à l’avance, avaient, malgré tout, toute leur place dans les débats, si l’on s’en tient aux conséquences multiples de ces différentes crises sur la stabilité des pays concernés et les projections au niveau régional. Le fait de les inscrire à l’ordre du jour, en soi, ne pose aucun problème. Mais le traitement et les orientations réservés à ces situations d’urgence, au regard de la profondeur de leurs impacts et de ce que Bertrand Badie appelle « la diplomatie de relégation » au niveau global, sont de nature à conforter le positionnement des acteurs qui structurent et entretiennent le chaos observé dans ces pays.

Burundi : une occasion manquée pour confirmer l’influence de l’Union africaine sur les Etats.

Le 18 décembre 2015, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPS) a annoncé l’envoi d’une mission de prévention et de protection composée de 5000 soldats pour mettre fin aux atrocités commises en toute impunité par Pierre Nkurunziza et son gouvernement. Face à l’ignorance de l’ultimatum et de la demande d’intervention donnés par le CPS au gouvernement burundais, l’Union africaine, tout en respectant le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays membres, a maintenu sa pression sur Bujumbura dans l’espoir de voir entériner cette volonté d’intervention par les chefs d’Etat et de gouvernement lors du dernier Sommet. Ces derniers réunis à Addis-Abeba, le 30 et 31 janvier 2016, n’ont visiblement pas suivi les choix et orientations de l’Union africaine. Mais pouvait-on réellement attendre l’effectivité de cette annonce ? Le réalisme impose de répondre par la négative et ce pour deux raisons principalement.

Premièrement, au regard des difficultés structurelles et des défis capacitaires que connaît l’Union africaine dans la mobilisation des troupes devant assurer le maintien de la paix dans les pays en conflit, il est clair que relever le défi dans l’urgence d’envoyer 5000 soldats demeure si ce n’est une pure vue de l’esprit, ce serait une fatale erreur d’appréciation des capacités opérationnelles effectives de l’organisation continentale. Les troupes à envoyer au Burundi devaient provenir prioritairement des pays de la sous-région, à savoir l’Ethiopie, l’Ouganda, le Rwanda, le Kenya, la Somalie, le Soudan et probablement des pays de la Commission de l’Océan indien : les Comores, les Seychelles notamment. Compte tenu du nombre des crises actuelles sur le continent et de la situation politique et sécuritaire des pays de la sous-région, la mobilisation de ces troupes sur la base des contributions de ces pays était incontestablement inenvisageable à très court terme.

Deuxièmement, le scénario malien qui a vu l’entrée en guerre du Tchad au Nord du pays n’est pas envisageable sans un soutien opérationnel et financier extérieur compte tenu des défis sécuritaires et du poids de la menace terroriste dans les principaux pays contributeurs de troupes, le Nigéria, l’Ethiopie, le Tchad, l’Algérie notamment. Par ailleurs, en plus de la dépendance financière de l’Union vis-à-vis de ses partenaires, notamment l’Union européenne, elle-même prise en otage par les crises financière et des réfugiés, la majorité des chefs d’Etat des pays membres de l’UA ne souhaitent pas voir s’appliquer les mêmes principes d’intervention dans leurs pays si ces derniers sont confrontés aux mêmes critiques internationales. Il faut rappeler que pour le budget 2016, 92,5% du budget des programmes sont supportés par les partenaires et seulement 7,5% par les Etats membres. La marge de manœuvre de l’Union demeure donc réduite face au refus de certains dirigeants de lancer une opération militaire au Burundi. Le président Deby, nouveau président en exercice de l’Union africaine, a affirmé que l’UA a donné une chance au président Nkurunziza pour résoudre cette crise et qu’en l’absence d’une solution à cette dernière, l’UA interviendra militairement. Venant de celui qui enregistre un succès diplomatique et militaire qui confère à son pays le statut de puissance régionale, l’on peut accorder du crédit à une possible intervention de l’UA sous la houlette du Tchad. Mais il va falloir un soutien financier extérieur, faire preuve de courage et briser les codes « sacrés » de ses homologues. C’est peut-être un tel leadership qui manque à l’Union africaine pour confirmer son influence en matière de protection des populations sur les Etats.

La solution retenue à l’issue de ce Sommet a été de mettre en place une délégation de très haut niveau composée de plusieurs chefs d’État. Une entreprise diplomatique qui n’est nouvelle que par le nombre de dirigeants qui pourraient composer la mission. Des échecs successifs ont été enregistrés au cours des derniers mois : les médiations respectives du président ougandais Yoweri Museveni, celle du président béninois Boni Yayi qui n’a finalement pas vu le jour en raison du refus des autorités burundaises, sans énumérer les tentatives de médiations internationales depuis avril-mai 2015.

En ce qui concerne la Libye, La solution proposée par l’Union africaine d’envoyer un collège de chefs d’Etat pour accélérer le processus de dialogue politique dans le pays est certes non négligeable mais demeure peu efficace si un appui opérationnel n’est pas apporté aux choix et décisions politiques qui visent à stabiliser la Libye et les pays de la région.

A 6 mois des Jeux olympiques de Rio, quel état des lieux ?

Fri, 05/02/2016 - 14:42

A 6 mois des Jeux olympiques, où en sont les préparatifs et dans quel contexte économique et social se déroulent-ils ? Quels sont les principaux défis à relever pour Rio ?
Concernant les préparatifs, le contexte est sensiblement différent de celui de la Coupe du monde de football en 2014 où il y avait eu beaucoup de retard et une grande inquiétude de la part des organisateurs pour voir les travaux terminés à temps, qui avaient finalement été achevés in extremis. Il a pu y avoir une inquiétude pour les Jeux olympiques, les travaux sont aujourd’hui quasiment terminés. 34 sites de compétitions sont répartis dans quatre quartiers différents : Deodoro, Barra, Copacabana et Maracaña. Dans la zone de Barra, le Parc olympique est terminé à 97%. Pour les autres installations olympiques, l’avancement est estimé entre 70% et 80%.
Concernant le contexte économique et social, la désignation des Jeux de Rio est intervenue en 2009, au moment où le Brésil était considéré comme une économie émergente, pour ne pas dire émergée. C’était l’âge d’or des BRICS, qui enregistraient des taux de croissance conséquents. Il y avait une dynamique importante et l’on entendait souvent parler du mythe du miracle brésilien. Force est de constater que ce n’est plus du tout la même chose aujourd’hui. On assiste à la fin de ce mythe du miracle brésilien puisque, alors que l’économie brésilienne était à en 7ème position en 2013, elle est entrée en récession fin 2014, et le déficit commercial s’élevait à 13,9 milliards de dollars. Le taux de croissance en 2010 était évalué par le FMI aux alentours de 7.10%, contre 0,1% en 2014. Très concrètement, cette situation économique critique s’est ressentie directement sur l’organisation des Jeux. Ainsi, estimés à 12 milliards d’euros, les coûts d’organisation des Jeux sont bien inférieurs à ceux de Pékin (coût estimé à 33 milliards d’euros), et surtout ceux de Sotchi (selon une estimation officielle, les Jeux auraient coûté 45 milliards d’euros, vraisemblablement très en deçà de leur coût réel). Ces derniers mois, les organisateurs ont consenti à des baisses de 20% dans le budget opérationnel, qui se traduit par une réduction du nombre de volontaires, ou la suppression de structures ou de tribunes, comme cela a été annoncé au début du mois pour les épreuves d’aviron.
Quant au contexte social et politique, deux aspects sont notables. Premièrement, on n’assiste pas aux mêmes manifestions populaires comme cela avait pu être le cas lors de la coupe des confédérations en 2013, en dépit du climat d’austérité présent. S’il y a eu des manifestations, notamment à l’été dernier, elles étaient moindres qu’il y a 2 ans et ont davantage un objectif politique avec la volonté de démission de la présidente Dilma Rousseff. Une procédure d’impeachment a d’ailleurs été lancée contre la Présidente le 3 décembre 2015. La dénonciation de la corruption est l’un des griefs reprochés à la Présidente et à des membres de son gouvernement, plusieurs de ses ministres ayant été limogés pour corruption. D’autre part, l’affaire Petrobras empoisonne la présidente brésilienne depuis mars 2014. A titre d’exemple, le dernier index de Transparency International classait le Brésil 76ème cette année, alors qu’il avait été 42ème en 2013).
Concernant les défis à relever pour Rio, ils sont de trois ordres.
D’une part, il s’agit pour Rio d’arriver à transformer l’essai de ces Jeux olympiques, et laisser un héritage social, éducatif et économique. Social, car les Jeux doivent servir la population brésilienne et de Rio, notamment à travers les transports, qui étaient très imparfaits. Rio s’est doté d’un service de transport important. Educatif, car de nouvelles infrastructures sportives ont été mises en place et pourront ensuite bénéficier aux brésiliens et aux Cariocas. Economique enfin car quatre quartiers de Rio ont été rénovés et aménagés notamment le port de Copacabana, ce qui permet de mettre en avant la ville à des fins touristiques et économiques.
Le deuxième défi à relever est sécuritaire, compte tenu de la géopolitique actuelle et de l’état de la menace. Les Jeux olympiques constituent une cible potentielle, comme tout grand évènement sportif. A ce titre, la sécurité avait notamment été une priorité des JO de Londres en 2012, avec la mobilisation d’environ 40 000 policiers et militaires. A Rio, 85 000 militaires seront mobilisés. Cette sécurité interviendra à tous les niveaux afin d’en faire des Jeux sûrs.
Le dernier défi à relever est sanitaire. Premièrement, il s’agit de la question de la pollution de l’air et de la baie de Rio, facteur de risque pour les athlètes. D’autre part, et de façon plus inquiétante, la propagation du virus Zika fait actuellement l’objet d’une préoccupation et pose la question de la protection et de la gestion de cette crise à la fois par les autorités brésiliennes mais aussi par la communauté internationale.

Les différents scandales récents de corruption dans le sport ont-ils selon vous un impact sur les Jeux olympiques ?
On pourrait croire que cela ne touche pas directement les Jeux olympiques puisque cela ne concerne pas directement le CIO. Les cas sont très différents (dopage, corruption, trucage de matchs, trucages) et les instances touchées sont des fédérations internationales. En revanche, cela va, de façon indirecte, avoir un impact sur les JO puisqu’avec l’agenda très rapproché des révélations de ces scandales, ainsi que le nombre de fédérations touchées, cela met clairement à mal la crédibilité du sport et des sportifs. Cette atmosphère de méfiance ternit considérablement l’image du sport et des valeurs qu’il entend véhiculer. De façon plus pragmatique, la présence des athlètes russes à Rio est plus qu’incertaine. Après la révélation de la commission d’enquête indépendante de l’agence mondiale anti-dopage (AMA), la fédération internationale d’athlétisme (IAAF) avait décidé de suspendre les athlètes russes pour les compétitions internationales. Une nouvelle décision doit intervenir en mars 2016, concernant la possible levée ou non de ces sanctions et qui donnera le ton pour ces Jeux olympiques. Ce qui est sûr, c’est que compte tenu de la pression de l’opinion, de la nécessité de ne pas venir un peu plus décrédibiliser le sport, il est clair que la lutte contre le dopage, contre les matches truqués et tout trucage au cours de ces JO sera extrêmement surveillée. On ne peut que s’en féliciter car il en va de la crédibilité du sport international.

Quel héritage ces Jeux olympiques sont-ils susceptibles de laisser sur le plan sportif, économique et de la gouvernance de l’institution olympique ?
D’un point de vue économique, il y avait eu des interrogations sur les perspectives de reprise économique du Brésil dans le contexte de ces Jeux olympiques. Compte tenu de la fragilité de l’économie brésilienne, peu d’élément permettent d’être optimiste et d’imaginer une reprise spectaculaire de l’économie brésilienne.
Au niveau sportif, un effort a donc été fait de la part du Brésil pour ne pas multiplier les infrastructures. Le budget opérationnel des JO a d’ailleurs été amputé de 20%. Il y a de la part du Brésil une volonté de trancher avec ce qu’avaient été les Jeux de Sotchi en 2014, où il y avait eu une croissance exponentielle, voire incontrôlée, des frais et des coûts d’organisation. Rio souhaitait en effet revenir à des dépenses davantage modestes, d’une part parce que le contexte de rigueur l’impose, et d’autre part parce que l’agenda publié par le CIO invite les villes hôtes et les pays candidats à faire preuve de modestie dans leur projet, et à ne pas multiplier les « éléphants blancs ». Autre élément qui mérite d’être pris en compte, la montée en puissance des sociétés civiles est un élément important, et dont on avait déjà percevoir la portée lors de la Coupe des confédérations de 2013, pour dénoncer les dépenses qui privent le pays d’infrastructures essentielles.

Le sommet de l’Union africaine de janvier 2016 : Parlons peu mais parlons bien !

Thu, 04/02/2016 - 18:08

Dans la capitale éthiopienne où se déroulait le sommet de l’Union africaine (UA), personne ne s’attendait à ce que de grandes décisions soient prises. Pourtant les défis restent nombreux. Il suffit d’évoquer Boko Haram, les Shebab, le Burundi, les nombreuses élections à venir sous tension sur le continent, etc. L’Union africaine est soumise à la bonne volonté des chefs d’Etat et de gouvernement et n’avance que par petits pas.

Au niveau institutionnel, le Tchad prend la présidence tournante de l’UA pour un an. Même si le rôle du président reste modeste, Idriss Deby Itno est le chef d’Etat le plus engagé dans les problématiques de paix et de sécurité, qui restent les dossiers les plus lourds au sein de cette organisation. En effet, les troupes tchadiennes, intervenues en RCA et aux côtés de la France au Mali, sont en première ligne contre Boko Haram [1]. De plus, le Tchad accueille le poste de commandement de l’opération Barkhane. Capacité de déploiement, compétence opérationnelle, volonté politique sont des atouts que peu d’Etats africains possèdent. Idriss Deby Itno l’a d’ailleurs annoncé : « Que l’Afrique assure elle-même sa sécurité face au terrorisme ».

La nouvelle composition du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA (un mini-Conseil de sécurité) entérine le fait que les puissances majeures du continent veulent être présentes pour peser dans les décisions et résolutions. Le Nigéria, l’Egypte, l’Afrique du sud, l’Algérie et à moindre échelle le Kenya, le Tchad et le Rwanda siègeront pour deux ou trois ans [2]. A titre d’anecdote, le Burundi a été reconduit au CPS pour deux ans. L’Ethiopie qui vise une place au Conseil de sécurité des Nations Unies est une absente de marque [3].

Mais c’est au sommet de juillet 2016 à Kigali que les choix vont être importants. Y seront élus le président, son adjoint et les huit commissaires de la Commission de l’UA, organe permanent qui assure le fonctionnement de l’institution au quotidien. La présidente actuelle, Dr Nkosazana Dlamini-Zuma, sud-africaine, ne devrait pas se représenter. Le ministre algérien des Affaires étrangères et ancien Commissaire Paix et Sécurité de l’UA, Ramtane Lamamra semble bien placer pour lui succéder. Une réunion avec ses homologues sud-africain et nigérian s’est déroulée pendant le sommet, avec sûrement en filigrane l’attribution du poste de Commissaire Paix et Sécurité à l’un de ces deux Etats s’il était élu. A ce jour, la paix et la sécurité restent l’affaire des grandes nations africaines, notamment celles qui contribuent le plus au budget de l’organisation continentale.

L’élection d’Idriss Deby Itno est un atout non négligeable pour une politique africaine de la France qui peine à dépasser le cadre de l’Afrique de l’Ouest et centrale. L’élection de Ramtane Lamamra irait dans le même sens. Le Tchad et l’Algérie font partie de notre histoire africaine. Ils sont, de plus, deux acteurs incontournables dans notre lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-sahélienne. Notre diplomatie devrait saisir cette opportunité pour prendre de la hauteur et cesser de s’empêtrer dans des relations bilatérales parfois équivoques.

Sur un plan opérationnel, le CPS (570ème Réunion du 21 janvier 2016) s’est félicité que la Force africaine en attente (FAA) ait atteint sa pleine capacité opérationnelle, suite au bon déroulement de l’exercice Amani Africa II de novembre 2015. Il a « salué les progrès accomplis par la Force en attente de l’Afrique de l’Est (EASF), ainsi que ceux de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) dans l’opérationnalisation de leurs brigades en attente respectives, et a reconnu les efforts déployés par la Capacité régionale d’Afrique du Nord (NARC) pour l’opérationnalisation de la sienne ». En conséquence, la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC) créée en 2013 en attendant l’opérationnalisation des brigades régionales, devrait être dissoute [4]. Mais le Burundi est venu freiner les ambitions de l’Architecture de paix et de sécurité (AAPS) de l’UA. La résolution du CPS du 17 décembre 2015, forte des avancées opérationnelles citées, mentionnait le déploiement d’une force d’un effectif initial pouvant aller jusqu’à 5 000 hommes dans le cadre de l’EASF. C’était oublier les relations entre le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda (médiateur dans la crise), trois Etats membres de l’EASF qui ne devraient pas participer à ce déploiement ! Nous voyons donc ici les limites de l’AAPS et de ses brigades régionales en attente, comme d’ailleurs la Force multinationale de lutte contre Boko Haram [5] nous le montre. Celle-ci est une coalition d’Etats réunis pour cette mission spécifique de lutte contre le terrorisme qui déborde sur deux régions africaines. Espérons que le retour d’expérience sur la FAA prévu en mars 2016 et le poids de l’Union européenne dans le financement de cette force en attente (feuille de route 2016-2020) permettront une évolution significative et pragmatique de cette africanisation des problèmes de paix et de sécurité.

Idriss Deby Itno succède au très controversé Robert Mugabe dont on peine à mesurer l’apport pendant sa présidence. Comme le Tchadien le précisait, quelques heures après son élection : « Nous nous réunissons souvent. Nous parlons trop. Nous écrivons beaucoup. Mais nous n’agissons pas assez et parfois pas du tout ». C’est en janvier 2017 que nous analyserons l’impact qui aura été le sien dans l’évolution de l’Union africaine.

[1] Le poste de commandement de la Force multinationale est basé à N’Djamena au Tchad.
[2] Quinze Etats composeront le CPS : le Nigéria, l’Egypte, la République du Congo, le Kenya et la Zambie pour trois ans et Le Niger, la Sierra Leone, le Togo, l’Algérie, le Burundi, le Tchad, le Rwanda, l’Ouganda, l’Afrique du Sud et le Botswana pour deux ans.
[3] Le Conseil exécutif de l’Union africaine (UA) a approuvé la candidature de l’Ethiopie au poste de membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies.
[4] Si le CPS a annoncé la dissolution de la CARIC, elle a été mentionnée dans le discours du nouveau président de l’UA….De plus, l’Afrique du sud semble favorable à son maintien !
[5] Multinational Joint Task force (MNJTF).

Les enjeux du projet de révision constitutionnelle en Algérie

Thu, 04/02/2016 - 15:20

Le Parlement algérien s’apprête à examiner le projet de révision de la Constitution. Que prévoit-il ? Comment est-il perçu auprès des Algériens ?
Il s’agit de faire une nouvelle constitution qui puisse garantir au régime algérien de continuer à contrôler la majorité des leviers du pouvoir et pérenniser le système tel qu’il existe depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962.
Il est difficile de savoir ce que pensent les Algériens puisque sur ce sujet – bien qu’il soit important -, comme sur la plupart des sujets politiques, les Algériens se sont totalement détournés de la vie institutionnelle de leur pays. Toutefois, la confiance qui a pu exister il y a fort longtemps n’existe plus. Il semble qu’ils soient majoritairement peu favorables à cette réforme de la constitution.

S’il est adopté, peut-il réellement se traduire en actions politiques concrètes ? Le président Bouteflika est-il susceptible de proposer un amendement afin de se maintenir au pouvoir ?
Cela peut en effet déboucher sur des actions politiques concrètes, d’ailleurs préoccupantes. Ce qui se passe en Algérie a une résonnance avec les débats que nous pouvons avoir en France, notamment sur la question des binationaux. Ce projet de constitution interdit dans son article 51 aux Algériens ayant une autre nationalité de briguer un mandat électif ou de prétendre à de hautes fonctions dans les institutions de l’Etat. Cette disposition, au moment même où l’on débat en France de la déchéance de nationalité, a été très mal perçue par les jeunes issus de l’immigration ou les binationaux qui vivent en France, qui se sont sentis stigmatisés. Il y a ainsi une défiance à leur égard à la fois en France et dans le pays d’origine de leurs parents, ceci alors qu’il y a des députés de l’immigration. C’est un paradoxe depuis qu’il y a une assemblée populaire nationale en Algérie. Cette disposition qui instaure une citoyenneté à deux vitesses a été très mal perçue et a notamment fait l’objet d’une pétition en ligne largement relayée, même si elle n’a pour le moment pas beaucoup été signée. Il est intéressant de souligner à quel point la France et l’Algérie sont enchâssés aujourd’hui, comme ils ont pu l’être hier dans l’histoire récente.
Concernant le président Bouteflika, le projet de révision constitutionnelle prévoit une limitation des mandats. Cela ne sera sans doute pas efficace. En effet, la précédente constitution prévoyait également une limitation des mandats et n’a pourtant pas empêché le président de la république de briguer un quatrième mandat. Le régime, autiste et autoritaire, ne supportant pas la contradiction, sait manier les institutions et les textes fondamentaux en sa faveur. Si Bouteflika – totalement absent et dont on ne peut plus dire qu’il dirige l’Etat – prévoit de se maintenir pour un cinquième mandat, il faut envisager le pire pour le pays pour les années à venir.

Quelle la situation économique et sociale en Algérie ? Quel est l’impact de la baisse du prix du pétrole pour l’économie algérienne ?
L’impact de la baisse du prix du pétrole a été immédiat. C’est d’abord un impact à la pompe, même si le prix de l’essence reste très bas par rapport à ce que nous connaissons en Europe. Ce sont surtout 50% de recettes en moins dans les caisses de l’Etat. Des mesures drastiques ont été prises avec la fin des subventions de l’Etat sur les produits de base comme le pain, la farine, la semoule etc. Cela a des conséquences sociales immédiates. On va voir se multiplier, comme on l’observe depuis quelques mois, des manifestations et des affrontements avec les forces de l’ordre. Sur le plan politique, cela peut avoir des conséquences. En octobre 1988, des émeutes avaient éclaté un peu partout à travers le pays pour des raisons similaires. L’Algérie connaissait en effet une grave crise économique en raison de la chute du prix du pétrole, avec un baril en dessous de 15$. Cela a eu un effet immédiat parce que l’Algérie est le pays au monde dont l’économie est la moins diversifiée. A chaque fois qu’il y a des crises autour de la question du baril, cela impacte de manière très directe et immédiate un pays comme l’Algérie qui ne dispose pas d’autres ressources et qui ne produit rien. Cela est dramatique car la situation est très instable et volatile, avec un chef de l’Etat absent. Des dérapages liés aux questions sociales sont tout à fait possible dans ce pays.

La corruption malgré la révolution

Thu, 04/02/2016 - 11:22

Selon le classement 2015 de l’ONG anti-corruption Transparency International, avec 38 points, la Tunisie se positionne à la 76ème place (sur 168 pays) en matière de perception de la corruption. Le pays perd ainsi trois places et deux points par rapport à l’année précédente. Non seulement la situation ne s’est pas améliorée, mais elle tend à se dégrader. Il s’agit là de l’une des causes profondes du désenchantement démocratique du peuple tunisien.

La dénonciation de la corruption a été l’une des sources/forces motrices des soulèvements populaires qui ont traversé le monde arabe contre des régimes discrédités par la captation, l’appropriation ou la patrimonialisation du pouvoir politique et économique, par des clans d’essence familiale… Une corruption structurelle synonyme déjà de mauvaise gouvernance sur les plans politique et administratif et de frein au développement économique et social de sociétés arabes. Ce système décadent mêlant corruption et prédation pesait sur la croissance économique, en jouant notamment un rôle de repoussoir vis-à-vis des investisseurs endogènes et étrangers et faisait obstacle à toute répartition efficace des richesses. Partant, les inégalités sociales et territoriales n’ont cessé de se creuser en Tunisie, en Egypte, au Maroc, en Algérie, en Syrie, au Liban… La corruption ne fonctionne pas seulement comme un mode économique d’accumulation des richesses, mais elle offre la possibilité au régime qui l’organise de constituer et d’entretenir le réseau de clientèle qui assure sa pérennité.

Démocratie et vertu sont intimement mêlées. Les Pères fondateurs de ce modèle de gouvernement nous l’enseigne. Selon Montesquieu, « [1]l ne faut pas beaucoup de probité pour qu’un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent ou se soutiennent. La force des lois dans l’un, le bras du prince toujours levé dans l’autre, règlent ou contiennent tout. Mais, dans un Etat populaire, il faut un ressort de plus, qui est la VERTU ». Dans cet extrait célèbre de L’Esprit des lois, la vertu est définie comme l’amour des lois et de la patrie, qui exige une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre. C’est ce principe qui fait tenir l’Etat populaire, c’est-à-dire le gouvernement où le peuple en corps a la souveraine puissance, à savoir la démocratie. Montesquieu l’avait donc établie dès 1748 : la démocratie comme « espèce de gouvernement » ne peut tenir que si ceux qui en ont la charge mettent l’intérêt public au-dessus des intérêts particuliers. Rappel saisissant, parce que Montesquieu indique en substance qu’un régime politique (la démocratie) ne peut exister que si son gouvernement respecte au fond une obligation morale : la vertu.

Sans cette exigence morale, la corruption continue de gangréner l’appareil d’Etat, la classe politique et la société elle-même. Si la question de l’éthique concerne tant les responsables publics et économiques, que les simples citoyens, l’adage dit bien que « l’exemple vient d’en haut ». Or les élites nationales ont envoyé au moins deux signaux négatifs en la matière : le projet de loi sur la réconciliation économique et financière, ainsi que le retour aux affaires de personnages impliqués dans nombre de malversations de l’époque Ben Ali. Il est encore temps de retirer le texte et de juger ces hommes. C’est l’esprit de la révolution et le respect de ses martyrs qui le commandent.

[1] Souligné par l’auteur, Montesquieu, De l’esprit des lois, Paris, Gallimard, 2012, pp. 115-116.

Horoscope 2016, année du singe en Chine, tout peut arriver ! (2) : La Chine, responsable de la dé-mondialisation ?

Thu, 04/02/2016 - 10:52

Les chiffres de la croissance chinoise viennent de tomber : 6,9 % pour l’année 2015 ! La croissance trimestrielle a été la plus faible depuis 2009 et la croissance annuelle depuis près de 25 ans ! Malgré les mauvaises nouvelles quotidiennes sur l’état de l’économie chinoise (effondrement boursier, ralentissement de l’activité manufacturière, des ventes au détail et de l’investissement en construction…), la Chine affiche toujours une dynamique impressionnante parmi les BRICS. En effet, seule l’Inde avec ses 7,3 % de croissance affiche un dynamisme supérieur. Le Brésil (-3,1 %), mais surtout la Russie (-4 %) s’enfoncent dans la récession et les récents développements observés sur les marchés pétroliers n’invitent pas à l’optimisme. Dans ce dernier pays, l’urgence budgétaire a même été décrétée ! Enfin l’Afrique du Sud, avec une hausse du PIB d’environ 1,4 %, peine à stimuler de manière durable son économie.

Plus que le ralentissement de la croissance (un processus engagé depuis 2009) ou l’effondrement des marchés boursiers, dont les effets de contagion devraient plutôt rester modérés étant donné leur faible part dans le financement de l’économie, certains chiffres incitent à s’interroger sur les transformations structurelles de l’économie chinoise et sur leurs conséquences pour l’économie mondiale. Le rééquilibrage de la Chine est, en effet, engagé, ce que les chiffres démontrent années après années. La part du secteur des services représente désormais la majorité du PIB chinois (50,5 %), contre environ 48 % en 2014 ; celle de la consommation privée est en forte progression et le commerce extérieur chinois, pivot de la croissance économique depuis près de 15 ans, voit son poids reculer. Sur l’année 2015, on estime que les exportations ont chuté d’environ 3 % et les importations d’environ 14 %. La Chine, atelier du monde, est en train de progressivement muter ; il est légitime de s’interroger sur les conséquences de ces transformations sur le processus de globalisation, et ce d’autant plus que les exportations mondiales reculaient fin 2015 de plus de 10 % en glissement annuel.

Depuis les années 1960, avec le décollage économique du Japon, puis dans son sillage celui des « Dragons » (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taiwan) dans les années 1970 et des « Tigres » (Indonésie, Malaisie, Philippines et Thaïlande) dans les années 1980, s’est posée la question d’un modèle de développement asiatique. Les effets d’entrainement régionaux, notamment commerciaux, ont attiré l’attention des économistes. L’un d’entre eux, Kaname Akamatsu, qui avait mis en lumière les interactions entre pays développés et pays en développement sur le développement industriel dans les années 1930, a popularisé, en 1962, ces différentes chaines de causalité avec l’image du célèbre « vol des oies sauvages ». Cette théorie illustre l’impulsion donnée par le décollage économique du Japon à l’ensemble des économies de la région, par vagues successives : l’oie de tête, le Japon, a entrainé les « Dragons » qui, eux-mêmes, ont fini par tirer « les Tigres ». Dans les années 2000, la question était de savoir si la Chine se positionnait dans la continuité du modèle asiatique ou si elle en constituait une rupture.

Dans son livre « Quand la Chine change le monde », paru en 2005, Erik Izraelewicz écrivait : « Le gigantisme de l’avion (le pays le plus peuplé de la planète), l’originalité de son moteur (l’hyper-capitalisme), et le moment de son envol (une heure de pointe de la mondialisation) », voilà ce qui différencie le cas chinois des décollages économiques précédents. Dans son développement économique, la Chine a, certes, très rapidement adopté une stratégie d’ouverture inspirée par celle des « Dragons » asiatiques, avec la création de capacités d’exportation dans les industries légères. Très tôt, elle a entrepris de tirer parti de son avantage comparatif dans les industries intensives en main-d’œuvre. Son adhésion à l’OMC en décembre 2001 et la politique du Go Global ou Go Abroad décrétée par le gouvernement chinois pour que les entreprises aillent conquérir les marchés étrangers ont constitué les étapes supplémentaires de cette stratégie d’ouverture menée depuis la fin des années 1970. Bénéficiant d’un essor de la mondialisation comparable à celui observé à la fin du 19ème siècle, la Chine a ainsi profité de la dynamique du commerce international dont elle a, par la suite, permis l’accélération.

Pourtant, l’immensité de son territoire et sa très forte hétérogénéité de développement, la relative faiblesse des hausses de salaires au début des années 2000 en raison de l’importante réserve de travailleurs (une population active de 810 millions d’habitants et 8 à 10 millions d’habitants qui arrivaient chaque année sur le marché du travail), la lente montée en gamme de ses productions ont ralenti la progression du revenu par tête comparativement à d’autres pays asiatiques. Ainsi, alors que la Corée du Sud enregistrait une multiplication par 6 de son PIB par tête entre 1970 et 1980 (puis par près de 4 la décennie suivante), la Chine n’a enregistré qu’une hausse d’un facteur 3 entre 2000 et 2010. Cette lecture décennale masque cependant une profonde accélération observée à partir de 2005, cette dernière se conjuguant à une très forte hausse des salaires (une hausse du salaire minimum de 15 % par an entre 2012 et 2016), rendant de nombreux secteurs industriels chinois moins compétitifs. Ce mouvement a ainsi permis une nouvelle extension du modèle asiatique, la Chine et les autres pays asiatiques délocalisant massivement dans les pays qualifiés actuellement de « nouveaux émergents », à l’image de la Birmanie, du Cambodge, du Laos ou du Vietnam.

Au final, si une certaine inertie du modèle asiatique était observable dans les années 2000, l’image des oies sauvages semble encore d’actualité. La Chine connait un ralentissement de sa croissance depuis 2008, le même que celui qui a été observé dans de nombreux pays asiatiques (Japon, Corée du Sud, Singapour…) lorsque leur revenu par tête s’établissait autour de 9 000 dollars (Figure 1). Hausse des salaires, rééquilibrage et ralentissement de la croissance : là encore la Chine ne fait pas exception.

Reste que, à la différence des transitions économiques passées des économies asiatiques (Japon, « Tigres », « Dragons »), l’actuelle transformation de l’économie chinoise interroge. Elle questionne par l’ampleur de la volatilité induite sur les marchés de matières premières ou sur les marchés financiers. Elle interroge également au regard de son impact sur le commerce mondial. L’indice Baltic Dry Index cotait début janvier à 373 point, soit son taux le plus bas depuis près de 30 ans. Sur certains segments du transport maritime, il faut actuellement payer moins de 10 % du prix affiché en 2008 lors de l’envolée des prix du transport de matières premières. La question d’une dé-mondialisation, dont le rééquilibrage chinois serait le catalyseur, se pose donc.

Figure 1 : Profils de croissance dans plusieurs pays d’Asie de l’Est

Le rapport de l’Organisation mondiale du Commerce sur les Statistiques du commerce international 2015 expliquait dans ses faits marquants que « Le commerce mondial et le PIB mondial ont tendance à évoluer parallèlement, mais le commerce connaît de plus fortes fluctuations, surtout à la baisse ». Il met également en évidence la faiblesse de la croissance du commerce mondial depuis 2011. Le taux d’ouverture mondial a connu un point haut juste avant la crise financière de 2008 et, malgré la forte reprise de 2009-2010, la tendance observée depuis lors est en rupture avec la tendance des années 2000 [1].

Au final, derrière le rééquilibrage chinois se cache peut-être un mouvement plus structurel de transformation des chaines de production mondiale : leur fractionnement, accélérateur de la croissance des pays asiatiques – et du commerce mondial – depuis les années 1980, ne serait-il pas arrivé à un point de retournement ?

Souvenons-nous toujours de ces propos anonymes chinois : « Si le 19ème siècle a été pour nous celui de l’humiliation, le 20ème celui de la restauration, le 21ème siècle sera celui de la domination »… Et si au final la domination de la Chine s’illustrait parfaitement dans ce contexte ? A savoir sa capacité à alimenter puis à transformer une dynamique internationale entreprise dans les années 1990 : la mondialisation !

Si, comme l’écrit Thomas Friedman [3], le monde est devenu plat durant la dernière décennie, le rééquilibrage chinois risque de redonner quelques courbures au monde. Dé-mondialisation ? Nouvelle étape dans la mondialisation ? L’économie mondiale sera sûrement plus volatile ; un mouvement renforcé par les récentes évolutions du yuan et par une possible guerre des monnaies.

[1] Parmi les facteurs explicatifs avancés, retenons : le ralentissement chinois, mais également la crise et l’atonie de la croissance européenne ou encore la révolution des hydrocarbures non conventionnels aux Etats-Unis. Ce dernier facteur a, en effet, permis une relocalisation de certaines activités sectorielles aux Etats-Unis aussi bien qu’elle réduisait les volumes énergétiques importés sur le sol américain.
[2] Thomas Friedman a écrit en 2005 un best-seller international sur le processus de globalisation : The World is Flat (Le monde est plat : une brève histoire du 21e siècle).

Visite de Raul Castro à Paris : quelle est la stratégie de Cuba ?

Tue, 02/02/2016 - 18:36

Raul Castro a entamé ce lundi la première visite officielle d’un chef d’Etat cubain en France depuis 21 ans. Quels sont les enjeux de cette visite ? Cette visite peut-elle permettre à la France de s’affirmer comme le premier partenaire politique et économique européen de l’île des Caraïbes, voire relancer sa relation avec l’Amérique latine ?
Cet échange franco-cubain, qui constitue le retour diplomatique de la visite du président français à Cuba l’année dernière, est extrêmement important pour le gouvernement cubain dans le cadre de sa politique de normalisation des relations avec les Etats-Unis afin d’ouvrir d’autres portes, en particulier en Europe. La France a toujours eu des relations particulières avec Cuba dans la mesure où elle a toujours condamné la politique d’embargo unilatérale imposée par le gouvernement américain. L’enjeu de cet échange n’est pas essentiellement économique ; il est surtout symbolique, compte tenu du fait que Cuba, pendant et après la guerre froide, en particulier en Amérique latine mais aussi en Afrique et en Asie, a été perçu comme un pays ayant une dimension de petite nation en prise avec un gros pays. Il était considéré comme un symbole international qu’il fallait défendre. Dans ce contexte, la France, en appuyant la réinsertion de Cuba dans le jeu international par la démarche entreprise de rapprochement avec les Etats-Unis, en attend des retombées diplomatiques sur l’ensemble de l’Amérique latine et éventuellement au-delà, en Afrique et en Asie.

Quelle est la stratégie de coopération globale de Cuba ? Tisse-t-il de nouveaux partenariats analogues avec d’autres pays ou la France constitue-t-elle une spécificité ?
En Europe, l’Espagne représente un partenaire économique fort pour Cuba. Néanmoins, la relation diplomatique avec l’Espagne n’est pas de même niveau qu’avec la France, en raison des contentieux accumulés à partir de l’époque du gouvernement du président Aznar, qui avait pris des distances avec Cuba en alignant l’Espagne sur la politique non pas d’embargo mais d’isolement diplomatique qui était souhaitée par les gouvernements républicains, en particulier celui du président George W. Bush. Pour les Cubains, la France, comme déjà évoquée, est déterminante dans le jeu que mènent les autorités cubaines actuellement avec les Etats-Unis. Les relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis ont été officiellement rétablies au mois de juillet 2015. Les mesures d’embargo ont été allégées bien que maintenues. L’objectif des autorités cubaines, par le biais de l’Europe, est donc de faire passer des messages aux Etats-Unis, et cela semble dans une certaine mesure atteint.

Alors que le pays semble s’ouvrir à l’économie de marché et opère un processus de normalisation de ses relations sur le plan international, qu’en est-il de la situation générale à Cuba ?
Cela fait relativement longtemps que Cuba a normalisé ses relations avec son environnement immédiat, c’est-à-dire avec l’ensemble des pays d’Amérique latine, où il est considéré comme un pays en mesure d’apporter des solutions à des questions compliquées. Il faut rappeler que les négociations de paix entre les FARC et le gouvernement colombien se déroulent actuellement avec les bons offices du gouvernement cubain à La Havane. Au-delà de cette bonne relation de Cuba avec les pays de son environnement latino-américain, ce dernier en attend des investissements et des retombées économiques. Un investissement conséquent est actuellement effectué par le Brésil à quelques kilomètres de La Havane pour créer une plateforme portuaire dans la perspective d’une levée de l’embargo et de l’élargissement du canal de Panama (le port de Mariel). Il y a également des approches en direction du Mexique, qui traditionnellement a été le grand pays voisin n’ayant jamais isolé Cuba. Il a en effet été l’un des rares soutiens latino-américains pendant les années difficiles, même s’il s’était éloigné à la fin des années 1990. Aujourd’hui, il semblerait que cette page ait été tournée et que les relations diplomatiques s’améliorant, l’économie devrait suivre.
Avec l’amélioration des relations avec l’Amérique latine, l’ouverture sur l’Europe et également sur l’Asie, en particulier sur la Chine, Cuba attend un renforcement de son économie à travers des investissements étrangers dans le tourisme, la prospection pétrolière, l’exploitation du nickel, etc. Tout cela dépend de la mise en œuvre d’une sorte d’aggiornamento de la politique économique à la chinoise, ce vers quoi se dirige Cuba. Il faudra pour cela attendre les résultats du prochain congrès du parti communiste annoncé pour le mois d’avril. Cet ajustement déboucherait sur un système dans lequel le parti communiste resterait le parti unique mais où il y aurait une économie de marché dont l’espace serait de plus en plus large. Si les autorités cubaines ne veulent pas lâcher grand-chose en matière de démocratisation pluraliste, la contrepartie serait pour les Cubains d’avoir un mieux-vivre, un développement économique, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Pages