Sylvie Matelly, directrice de recherche à l’IRIS, et Carole Gomez, chercheure à l’IRIS, répondent à nos questions à l’occasion de la parution de la Revue internationale et stratégique n°101 dont le dossier qu’elles ont dirigé porte sur le thème “Corruption. Phénomène ancien, problème nouveau ?” :
– Pourquoi la corruption est-elle devenue un sujet central partout dans le monde ?
– Pourquoi avoir choisi de réaliser ce dossier “Corruption. Phénomène ancien, problème nouveau ?” ?
– En quoi la corruption représente-t-elle un risque croissant pour les entreprises ? Celles-ci mettent-elles en oeuvre des stratégies afin de lutter contre ce phénomène ?
L’Iran a récemment réalisé des tests de missiles à courtes, moyennes et longues portées qui semblent inquiéter une partie de la communauté internationale. Pourquoi réaliser ces tests aujourd’hui ?
L’Iran a toujours axé sa stratégie de défense sur une politique de dissuasion, que l’accord sur le nucléaire ne remet nullement en questions. Ces tests entrent naturellement dans cette logique. Cependant, le timing interroge dans la mesure où ces tirs de missiles arrivent rapidement après l’élection des membres du parlement et de l’assemblée des experts. Couplés aux inscriptions sur les missiles appelant à la disparition d’Israël, ces tests constituent certainement un message politique adressé aux modérés et au gouvernement de Rohani par les Gardiens de la Révolution afin de freiner la normalisation des relations de l’Iran avec les Etats-Unis.
Les craintes américaines de voir l’Iran se doter de missiles intercontinentaux sont-elles justifiées ? Quel serait l’intérêt de l’Iran de se doter d’une telle capacité militaire ?
Le programme de missiles balistiques iranien n’est pas nouveau. Depuis la guerre du Golfe Persique, et l’envahissement du territoire iranien par les forces conventionnelles irakiennes, l’Iran s’est engagé dans la constitution d’une politique de dissuasion. Elle fut supportée par une industrie nationale capable de mettre en place une batterie de missiles, éventuellement nucléaires. C’est toute l’ambiguïté de la situation actuelle : l’Iran continue de développer une force dissuasive tout en affirmant son incapacité à transporter des têtes nucléaires. Il faut rappeler que le Conseil de sécurité a voté une résolution interdisant à l’Iran de tester des missiles pouvant être équipés avec des charges nucléaires.
Cependant, on ne peut pas contester à l’Iran le développement d’une telle politique. La part du PIB iranien consacrée à l’armement reste relativement modérée comparée à d’autres budgets régionaux. Mais tandis que l’Iran affirme que ces tests entrent dans la continuité de sa politique de dissuasion nationale, Israël et les Etats-Unis s’inquiètent de la portée des missiles et interprètent ces nouveaux essais comme un acte agressif.
Dans quelle mesure ces tests risquent-ils de compliquer l’insertion de l’Iran dans la communauté internationale mais aussi d’accroître les tensions régionales dans un contexte de militarisation voire de nucléarisation du Moyen-Orient ?
Contrairement à certaines affirmations, notamment du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, ces tests ne remettent pas en cause l’accord sur le nucléaire. L’accord suit son cours et il est clair que personne n’a envie de le voir remis en cause. Les sanctions vont être levées et permettront la réintégration économique de l’Iran en 2016. Quant à la réintégration diplomatique, Rohani semble en position de force suite à sa victoire au parlement et à l’élection de figures réformistes à l’assemblée des experts. Cependant, la politique d’apaisement menée par le président de la République d’Iran sera l’objet d’une lutte avec les forces ultras qui rejettent cette politique de « normalisation » et l’influence des Etats-Unis. L’habilité politique de Rohani et l’évolution des rapports de force en termes de politique intérieure semblent pour l’instant jouer en sa faveur.
En ce qui concerne l’aspect régional, Rohani plaide aussi pour de meilleures relations avec l’Arabie Saoudite. Les tests de missiles iraniens ne devraient pas impacter le rapport de force régional. C’est plutôt la résolution de la crise syrienne qui sera une donnée fondamentale pour anticiper l’évolution de la relation entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. A priori, les forces modérées en Iran sont prêtes à faire un pas en direction des Saoudiens pour apaiser les tensions et pour trouver une solution finale au conflit en Syrie.
Que nous apprend la cible de l’attentat, une station balnéaire très populaire, sur la stratégie d’AQMI ? Les intérêts occidentaux et français sont-ils particulièrement visés ?
La fusillade du Grand Bassam permet deux observations principales. La première est liée à l’évolution du pouvoir de nuisance et au regain de puissance d’AQMI et de ses alliés. Au cours de ces dernières années, les fractures internes, les divisions et la destruction de la chaîne de commandement d’AQMI, par la neutralisation de plusieurs de ses commandants d’unités et de nombreux de ses lieutenants, ont considérablement contribué à la fragilisation du groupe. La fulgurante avancée de l’Etat islamique et son extension territoriale dans la région montrent bien qu’AQMI, faute de moyens structurels et opérationnels pouvant entraîner une plus grande mobilité dans le temps et dans l’espace, n’avait plus suffisamment d’influence et de connexions dans la région.
Face à cet affaiblissement, le réalisme a dû imposer aux branches les plus structurées d’AQMI soit un ralliement de circonstance, soit un regroupement sur le moyen ou long terme. De nombreux services de renseignement indiquent une normalisation des relations entre Al-Mourabitoune – de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar – et l’émir d’AQMI, Abdelmalek Droukdel. Au-delà du possible renforcement des liens entre les deux hommes, il faut souligner que la stratégie d’AQMI consiste aujourd’hui à frapper des cibles qui seraient moins contrôlées par les forces de sécurité et de défense. La station balnéaire de Grand Bassam, à cet égard, a été une cible plus facile pour les terroristes. Sachant que les autorités ivoiriennes étaient en situation d’alerte maximale et que des mesures de renforcement de la sécurité avaient été prises dans les grands centres urbains, les terroristes qui avaient certainement placé la Côte d’Ivoire dans leur viseur n’avaient d’autres choix que de chercher un site ne bénéficiant pas d’une protection renforcée.
La deuxième observation tient à la mobilité retrouvée d’AQMI. Avec des effectifs moins pléthoriques et une logistique facilement mobilisable, le groupe est capable de perpétrer des attentats spectaculaires dans plusieurs pays. Son organisation actuelle, qui lui permet, à travers une expertise militaire internationale formée par petits groupes, d’administrer des frappes comme celles de Bamako, de Ouagadougou ou de Grand Bassam, et son mode opératoire, conduit par des commandos bien rodés, sont de moins en moins contrôlables et le seront davantage si les services de renseignement, les dispositifs de détection et de surveillance n’agissent pas efficacement en amont de la chaîne de prévention.
En ce qui concerne les intérêts occidentaux et français, je pense qu’il faut rester prudent quant aux généralités et à la dictature de la culture de l’instantanéité qui consistent à trouver des solutions immédiates quand bien même le phénomène analysé est complexe et que la structure de ce dernier a un enracinement historique et sociale considérable. Si les terroristes s’attaquent aux sites de fréquentation occidentale, ce qui est indéniable dans nombre de cas connus, il faut aussi reconnaître que ces lieux sont réservés aux classes africaines les plus aisées qui font l’objet de critiques acerbes de la part de certaines classes populaires. Au sein de ces dernières, aucune distance n’est prise pour séparer les « bons » des « mauvais ». Cette confusion est bien présente dans la stratégie d’endoctrinement et bien alimentée par le triomphe des thèses conspirationnistes. Si l’on doit parler des intérêts occidentaux, l’observation la plus objective porterait sur les multinationales occidentales en Afrique. Sur ce point, je pense que la protection des intérêts est bien largement au-dessus de la moyenne comparativement aux intérêts des Etats africains qui malheureusement ne savent pas, ne peuvent pas et ne veulent pas s’appliquer une certaine rigueur dans la protection de leurs populations.
Quelles conséquences ce premier attentat islamiste de masse en Côte d’Ivoire, revendiqué par AQMI peut-il avoir sur la politique intérieure et extérieure ivoirienne ? Face à cette nouvelle donne sécuritaire, peut-on anticiper un rapprochement des politiques sécuritaires entre les pays touchés par le terrorisme en Afrique ?
La Côte d’Ivoire traverse évidemment un moment charnière : reconstruction politique et sociale du pays après une décennie de guerre civile, modernisation et diversification de l’économie et développement massif des infrastructures. Tout comme en Tunisie, au Mali, au Nigéria et ailleurs, les incidences des attentats terroristes sur la politique intérieure et extérieure sont quasi-évidentes. En Côte d’Ivoire, le risque est encore plus élevé au regard de la fragile stabilité acquise depuis cinq ans.
Sur le plan intérieur, l’économie nationale pourrait se trouver sérieusement impactée notamment le secteur du tourisme et celui des investissements direct étranger. Si les conséquences économiques sont avérées, il est clair que les défis sociaux actuels et à venir seront difficilement relevés. Beaucoup d’observateurs dénoncent déjà à tort ou à raison l’absence d’une croissance économique inclusive. Pour que l’objectif d’une croissance économique inclusive soit atteint, il faut que l’Etat renforce le rôle des collectivités locales en leur donnant les moyens conséquents et en leur apportant le transfert des compétences nécessaires. Or, si l’Etat est amené à renforcer son dispositif de sécurité, ce qui semble s’imposer désormais, il sera difficile d’accélérer dans le même temps la réduction des inégalités sociales dans le pays et de financer les politiques de réconciliation nationale et de consolidation de la paix.
Sur le plan de la politique extérieure, la Côte d’Ivoire peut compter sur la dynamique d’intégration politique et économique dans la région si les Etats qui en font partie, conscients des conséquences économiques et sociales des attentats terroristes, décident de renforcer ce processus. Mais les défis à relever pour y parvenir sont de taille. Par ailleurs, la Côte d’Ivoire, contrairement à de nombreux pays africains, bénéficie de coopérations et de partenariats de défense bien mieux structurés depuis quelques années. La réforme et la modernisation de son armée et de ses forces de sécurité, depuis 2012 et avec l’assistance technique de ses partenaires, sont beaucoup mieux élaborées que dans certains pays africains qui n’ont pas connu de guerre au cours des dernières décennies. A ce titre, le pays peut s’appuyer sur son partenariat notamment avec la France à travers les Forces françaises en Côte d’Ivoire (FFCI) créées en janvier 2015. Cette Base opérationnelle avancée (BOA) apporte déjà au pays la formation des forces de sécurité et de défense ivoiriennes (environ 2500 depuis quelques mois) avec un accent particulier sur les techniques d’intervention opérationnelle rapprochée (TIOR) et les techniques de sauvetage au combat. Mais en ce qui concerne la menace terroriste, ce sont les capacités d’anticipation qui méritent d’être renforcées tant au niveau national que régional.
Après le Mali, le Burkina Faso, et la Côte d’Ivoire, d’autres pays d’Afrique redoutent-ils d’être la cible d’attentats terroristes ? Comment les pays s’organisent-ils ?
Aucun pays aujourd’hui n’est à l’abri d’un attentat terroriste. Tous les pays même les plus lointains de la bande sahélo-saharienne sont en situation d’alerte maximale. Il faut plus que jamais craindre les phases d’accalmie ou de relative stabilité où que l’on se trouve. Les Etats mobilisent leurs efforts avec des niveaux d’expertise nationale très relatifs et, face à cette mobilisation, les groupes terroristes affinent leurs méthodes et leurs techniques imposant par la même occasion aux forces de sécurité et de défense de s’adapter au nouveau format et à la nouvelle nature de la menace. Un exercice difficile à maîtriser au regard des innombrables défis à relever par les Etats.
Ankara vient d’être le théâtre d’un nouvel attentat, à ce jour non revendiqué, bien que les responsables turcs aient désigné comme coupable le mouvement de guérilla kurde. Quelle est la crédibilité d’une telle accusation ? Doit-on y voir une tentative du PKK de faire entendre sa voix alors que son invitation aux négociations de Genève a été suspendue, le retour de la « sale guerre » entre les forces turques et les kurdes, ou une provocation des Faucons de la Liberté du Kurdistan ?
Pour l’heure, après l’attentat terrible qui a, une nouvelle fois, endeuillé Ankara, et dès lors qu’il n’y a pas eu de revendication, il n’est pas possible de formuler des hypothèses un tant soit peu précises. Si revendication il y a, nul ne peut prédire quand elle aura lieu. Mais il est clair que cette attaque s’inscrit dans une suite d’attentats de plus en plus rapprochés, d’Ankara à Istanbul en passant par des villes à l’est de la Turquie.
Plusieurs aspects de cette situation sont très préoccupants. Tout d’abord, l’état insurrectionnel de plusieurs quartiers et districts dans des villes à l’est de la Turquie, au sein desquels des combats font rage, rappelant singulièrement les scènes de guerres civiles en Syrie. La question kurde est ainsi extrêmement inquiétante car susceptible de s’aggraver considérablement sans que personne ne puisse la contrôler. Toutefois, à ce stade de l’enquête, attribuer les responsabilités de l’attaque d’Ankara au PKK ou aux Faucons de la Liberté du Kurdistan (un groupuscule ayant fait scission du PKK depuis de nombreuses années) relève de l’hypothèse.
La succession d’attentats à un rythme s’accélérant mérite l’expression de notre solidarité envers le peuple et les autorités turques. Il est cependant important de ne pas se précipiter dans la désignation de coupables, à ce stade inconnus. Il faut se garder de rentrer dans une logique de surenchère guerrière, et s’imposer sang-froid et lucidité. L’intensification des bombardements par la chasse turque contre des positions du PKK, situées dans les montagnes de Kandil au nord de l’Irak, est d’autant plus alarmante qu’elle s’est réalisée avant même que l’organisation revendique les attentats. L’opération militaire turque contribue à renforcer les tensions et va logiquement déboucher sur une riposte kurde. Cette situation nous rappelle que la « sale guerre », ayant déchirée le PKK et la Turquie dans les années 90, est redevenue d’actualité. Il est donc essentiel de tout faire pour éviter d’accroitre les affrontements militaires.
Face à l’intensification de l’opération militaire turque en territoire kurde, faut-il abandonner tout espoir de voir les deux parties s’asseoir à la table des négociations ? Ce réflexe guerrier n’est-il pas symptomatique d’une fuite en avant d’Erdogan, de plus en plus isolé sur la scène internationale ?
Il y a un paradoxe remarquable. En 2012, M. Erdogan, en tant que Premier ministre, avait eu le courage et la lucidité politiques d’initier un processus de négociation. Certes, l’initiative n’a pas eu les résultats escomptés mais elle a eu le mérite de faire tomber un tabou en permettant une négociation direct des autorités turques avec le PKK et son chef charismatique Abdullah Öcalan.
Malheureusement, depuis la fin du mois de juillet 2015, le processus de négociation a volé en éclat. Si l’on en croit les déclarations des autorités politiques turques, le PKK est redevenu l’ennemi public numéro un et une organisation terroriste à combattre par tous les moyens. La démarche politique de Recep Tayyip Erdogan, qui montrait que la Turquie excluait l’irréalisable éradication militaire du PKK, entre en contradiction avec la reprise des combats. Il est difficilement envisageable de désigner le parti kurde comme étant l’ennemi à abattre alors même que, pendant plus de deux ans, la Turquie a négocié avec.
Ainsi, il est plus que souhaitable qu’une perspective de solution politique renaisse dans les meilleurs délais, et que les représentants, tant de la partie kurde que turque, s’assoient autour de la même table. C’est la seule façon d’en sortir par le haut, et ce d’autant plus que la question kurde est certainement le principal défi posé à la Turquie. Il n’y aura pas d’achèvement du processus de démocratisation du pays sans règlement politique – et non militaire – de la problématique kurde.
Le regain de tensions entre la Turquie et les Kurdes s’inscrit dans un contexte de cessez-le-feu bien fragile en Syrie. Quels sont les espoirs de voir cette initiative perdurer ? Le statu quo entre les différentes forces présentes sur le terrain est-il tenable ?
C’est une question dont il serait bien présomptueux de donner une réponse totalement affirmative. On peut simplement constater l’atténuation des opérations militaires et des bombardements russes depuis maintenant deux semaines. Il y a bien sûr des entorses au cessez-le-feu mais la situation est nettement moins paroxystique que celle qui prévalait il y a encore un mois.
Deux objectifs sont désormais centraux : permettre aux organisations humanitaires de venir en aide aux populations, notamment dans les villes assiégées depuis parfois plusieurs mois, et soutenir la réactivation du processus de négociation. Il serait bien naïf de considérer que ce processus aboutira à des résultats rapides car il demeure une opposition majeure entre le gouvernement syrien et l’opposition armée. Les rebelles considèrent que toute solution politique doit avoir pour préalable le départ de Bachar Al-Assad, tandis que le gouvernement syrien et ses alliés estiment qu’un compromis politique, fondé sur des élections, est la seule porte de sortie acceptable.
Ces positions sont a priori irréconciliables mais c’est bien le propre du travail diplomatique que de dessiner un compromis malgré les antagonismes. Il est certain que les deux camps devront faire un pas l’un vers l’autre. La situation est extrêmement complexe mais le simple fait que les négociations soient réactivées est une nouvelle positive.
Le cessez-le-feu est globalement respecté et la volonté des différentes parties semble être de mise. Il faut que l’ensemble des forces en présence (la Syrie ainsi que les acteurs régionaux et internationaux) aillent dans le même sens. Le rapprochement entre Moscou et Washington est déjà remarquable, bien que des divergences réelles persistent.
Evidemment, le statu quo tel qu’il est à l’œuvre aujourd’hui n’est pas tenable à long terme. Mais, dans la mesure où il pourrait durer suffisamment longtemps pour permettre aux négociations de prendre de l’ampleur, ce serait un formidable pas en avant en direction d’une résolution du conflit syrien. La décision de Vladimir Poutine de retirer une partie des troupes russes de Syrie va en ce sens.
L’ONU a fêté l’année dernière son 70e anniversaire. Au terme de 70 ans d’existence de l’ONU, quel bilan tirer de cette institution dont beaucoup critiquent l’inaction ou l’impuissance et que le général de Gaulle surnommait avec mépris « le machin » ?
Certes, un tour d’horizon des enjeux actuels et passés peut donner l’impression que l’ONU a incontestablement échoué : elle a échoué à assurer la paix dans le monde. La guerre civile en Syrie aujourd’hui, qui dure depuis cinq ans et a causé un quart de millions de morts, mais aussi la guerre des Etats-Unis en Irak à partir de 2003, que l’ONU a dû avaliser pour ne pas perdre la face, ou encore le génocide du Rwanda en 1994-95 et le massacre de Srebrenica en ex-Yougoslavie en 1995, que l’ONU est restée incapable de prévenir et d’arrêter, l’illustrent. De même dans le domaine de la santé, l’OMS a été impuissante à agir efficacement contre l’épidémie du sida depuis les années 1980, et l’Unesco, on le voit aujourd’hui, est incapable de préserver les sites classés sur sa liste du patrimoine mondial, comme l’illustrent la destruction des bouddhas de Bâmiyân par les talibans en Afghanistan en 2001 ou celle du temple de Bel à Palmyre en Syrie en août 2015.
Pourtant, l’ONU reste un mécanisme indispensable car il s’agit de l’instance mondiale la plus démocratique. En effet, son Assemblée générale rassemble 193 pays, soit quasiment tous les pays du monde, sur une base démocratique, chaque Etat disposant d’une voix. Ce n’est pas le cas dans d’autres instances mondiales comme le FMI, où les Etats disposent d’un certain nombre de voix en fonction de leur richesse, ce qui fait que les Etats-Unis et l’Union européenne disposent d’un nombre de voix prépondérant. Ce n’est pas le cas non plus des autres structures comme le G7, G8, G20, ou de l’OCDE qui ne rassemblent que les pays les plus riches du monde (respectivement 7, 8, 20 et 34 pays).
De plus, les valeurs sur lesquelles l’ONU a été fondée, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sont des valeurs progressistes et humanistes : la démocratie, les droits de l’homme, la paix, le progrès social.
L’ONU a, on l’oublie souvent, au fil de ses 70 ans d’existence, réalisé beaucoup de choses en ce sens : une action normative d’abord, avec des déclarations et conventions progressistes comme la déclaration universelle des droits de l’homme (1948), la convention sur les droits de l’enfant (1989), la convention sur la protection de tous les travailleurs migrants et de leurs familles (1990), et la déclaration sur les droits des peuples autochtones (2007). Ces textes sont souvent très avancés, et le problème ne vient pas de l’ONU mais des Etats qui parfois ne les ratifient pas : ainsi les Etats-Unis ont refusé de signer la convention sur les droits de l’enfant et celle sur les travailleurs migrants.
L’ONU a aussi contribué à apaiser les conflits dans le monde : avec ses casques bleus, créés en 1948, qui ont obtenu le prix Nobel de la Paix en 1988 et ont été plus de 2400 depuis leur création à mourir en mission. Elle s’occupe du « maintien de la paix » (peacekeeping), mais aujourd’hui aussi de la « construction de la paix » (peacebuilding), c’est-à-dire de l’établissement d’une paix durable, de l’organisation d’élections et du rétablissement d’une démocratie pérenne dans les pays qui sortent d’un conflit. L’ONU a ainsi mené une soixantaine d’opérations de maintien de la paix depuis sa création. Alors qu’il n’y en a eu pas plus de 15 pendant la période de la Guerre froide, il y en a eu beaucoup plus depuis 1989. Aujourd’hui, l’ONU mène 16 opérations de maintien de la paix, dont 9 se déroulent en Afrique, comme la MINUSMA au Mali, qui a récemment abouti à la conclusion d’un accord entre les parties opposées, et la MINUSCA en République centrafricaine.
L’ONU a également contribué à l’aide au développement dans le monde, avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), créé en 1965-66, et avec ses agences telles que l’Unesco qui s’est attelée à l’alphabétisation en Afrique.
Plus globalement, on peut observer que les Nations unies ont développé et promu un ensemble de concepts, de notions-clés, qui sont aujourd’hui popularisées et passées dans le langage courant, sans qu’on sache toujours qu’elles viennent de l’ONU et de ses agences : le « développement durable », introduit avec le rapport Brundtland en 1987, la notion de « biosphère » introduite par l’Unesco en 1968 avec la conférence de la biosphère, celle de « non prolifération » introduite avec le traité de non prolifération nucléaire de 1968, celle de « patrimoine mondial » lancée par l’Unesco qui a créé en 1972 sa prestigieuse liste du patrimoine mondial… [1]
En matière de maintien de la paix, l’ONU a développé depuis 1994 la notion de « sécurité humaine » qui opère un renversement conceptuel, car elle affirme que l’ONU doit désormais se préoccuper plus de la sécurité des populations que de celle des territoires, et la notion de « responsabilité de protéger » en 2001, qui affirme que si un Etat n’est pas en mesure d’assurer la sécurité de sa population, il revient à la communauté internationale de le faire. Ces notions universalisent le concept, français, de droit d’ingérence.
Mais l’ONU, malgré ces apports, souffre de faiblesses structurelles qu’il importe, au XXIe siècle, de corriger : tout d’abord son fonctionnement n’est en fait pas tout-à-fait démocratique : le système du Conseil de sécurité, où les 5 membres permanents, vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Chine, Russie), ont le droit de veto, est une entorse à son caractère démocratique. Les projets de réforme du conseil de sécurité, envisagés depuis de longues années, n’ont toujours pas abouti. Ce droit de veto empêche l’ONU d’agir sur des questions importantes. Ainsi, dans le passé, l’ONU est resté inactive sur les enjeux de la guerre d’Algérie et de la guerre du Vietnam, deux conflits meurtriers, car les puissances impliquées, respectivement la France et les Etats-Unis, avaient le droit de veto et donc auraient empêché toute tentative d’intervention de l’ONU.
Par ailleurs, l’ONU souffre d’un recrutement opaque, à tous les niveaux y compris au plus haut. Ainsi, son Secrétaire général n’est pas élu, mais nommé par l’Assemblée générale sur proposition du Conseil de sécurité, qui traditionnellement ne propose qu’un seul candidat (!), choisi lors d’une réunion privée, au cours de laquelle les membres permanents peuvent utiliser leur droit de veto.
L’ONU n’est pas exempte non plus de scandales : le scandale de corruption de l’opération « pétrole contre nourriture » au début des années 2000, dans lequel plusieurs cadres onusiens ont été impliqués, le scandale d’abus sexuels opérés récemment par des casques bleus en Afrique, comme en République centrafricaine ou en Côte d’Ivoire. Ou encore, il y a plus longtemps, le fait d’avoir nommé, de 1972 à 1981, comme Secrétaire général l’Autrichien Kurt Waldheim, qui était un ancien nazi. L’ONU, organisation universelle, se doit d’être irréprochable.
L’ONU s’est en outre depuis les années 1990 engagée sur une voie dangereuse, celle de la privatisation : alors que dans les années 1970, une de ses agences, l’Organisation internationale du travail (OIT), avait tenté, mais en vain, de réglementer la politique sociale des firmes transnationales, aujourd’hui l’ONU s’engage dans un partenariat étroit avec des entreprises. Les partenariats se multiplient par exemple entre l’Unesco et des entreprises privées. Et Kofi Annan a lancé, en 2000, le « pacte mondial » (Global Compact), qui entend élever les entreprises privées au rang de partenaires privilégiées de l’ONU, leur octroyant un pouvoir de décision à l’ONU et leur donnant le droit de se prévaloir du logo ONU, en échange de l’engagement à respecter quelques règles éthiques. Or ce partenariat apparaît comme un marché de dupes, l’engagement n’ayant aucune force contraignante et n’étant pas contrôlé. L’ONU semble en train de « vendre » son nom au secteur privé, comme en témoigne une externalisation croissante de ses actions. Il apparaît urgent que l’ONU se démarque de cette tendance, car la logique de l’ONU qui est celle des droits de l’homme et du progrès social, n’est pas la même que celle des entreprises privées, qui visent avant tout à faire du profit. Ce sont même des logiques opposées.
Au contraire, il faut que l’ONU se préoccupe de réglementer les pratiques, souvent contraires aux droits de l’homme et à l’intérêt général, des firmes multinationales, qui traitent mal leurs employés (pensons à Amazon ou aux sous-traitants d’Apple en Asie) et pratiquent l’évasion fiscale (pensons à MacDonald et Starbucks qui ne payent pas tous les impôts qu’elles devraient payer en France).
A l’heure actuelle où les problèmes et les enjeux deviennent transnationaux, nous avons plus que jamais besoin d’une organisation démocratique mondiale pour régler ces problèmes : le problème du terrorisme, qui transcende les frontières étatiques, le problème des épidémies et de la pollution, ou du climat, qui également ne connaissent pas de barrières, mais aussi le problème de l’évasion fiscale, qui se joue des frontières. Nous avons plus que jamais besoin de l’ONU, pour assurer la paix et le progrès social dans le monde, mais aussi pour rendre impossible les paradis fiscaux, pour réduire les inégalités sociales criantes (entre les pays et au sein des pays), et pour protéger l’environnement.
Pour que l’ONU puisse accomplir son action efficacement, il faut supprimer le droit de veto, et parallèlement donner à l’organisation plus de pouvoir, c’est-à-dire plus de force contraignante à ses résolutions et à ses conventions, ainsi qu’un pouvoir de sanction accru (à l’image de l’OMC qui, pourtant moins universelle que l’ONU, a un pouvoir de sanction fort avec son organe de règlement des différends), par exemple lui donner un pouvoir de sanction économique à l’encontre d’Etats ou de firmes transnationales, et opérer une véritable démocratisation de son fonctionnement et de son recrutement. Il faut aussi soutenir les conventions progressistes de l’ONU et faire pression sur les Etats pour qu’ils les ratifient. C’est à ce prix que l’ONU, organisation imparfaite mais indispensable, pourra jouer son rôle pacificateur et progressiste en faveur de tous les citoyens du monde.
[1] Toutes ces notions novatrices sont analysées dans mon dernier livre: Chloé Maurel, Histoire des idées des Nations unies. L’ONU en 20 notions, Paris, L’Harmattan, 2015.
Barthélémy Courmont est directeur de recherche à l’IRIS et maître de conférences en Histoire à l’Université Catholique de Lille. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage “Mémoires d’un champignon. Penser Hiroshima” (Le mieux Editeur, 2016) :
– Pourquoi avoir choisi d’écrire cet ouvrage ? Quelle est la démarche ?
– Face à un sujet de recherche, comment combiner l’approche à la fois personnelle et épistémologique ?
– En quoi Hiroshima est-il un aspect majeur des relations internationales ? Si cette ville est connue pour son symbole de tragique victime du feu nucléaire, quelles sont ses autres facettes ?
Mi-janvier, le groupe belge Solvay a annoncé la fermeture d’ici fin 2016 de ses usines de recyclage et de séparation des terres rares en provenance des ampoules basse consommation. Les ateliers concernés sont localisés en France, à Saint Fons (Rhône) et à La Rochelle (Charente-Maritime). Ils avaient été lancés en 2011 alors que les prix des terres rares avaient flambé, à la suite de l’annonce du renforcement des mesures restrictives chinoises (quotas à l’export) et de l’embargo de Pékin visant les exportations de ces métaux rares à destination du Japon, dont l’industrie de pointe en est particulièrement dépendante. Pour le grand public comme pour la plupart des décideurs politiques du monde entier, ce « choc des terres rares » permettait de découvrir l’existence de ces mystérieuses terres rares. Depuis, les usines de Solvay subissent la concurrence des LED qui tendent à remplacer les ampoules basse consommation sur le marché mais aussi la politique de prix bas appliquée aux terres rares par la Chine pour tuer la concurrence dans les domaines minier et métallurgique.
Que sont les terres rares [1] ? Quelles sont leurs propriétés et leurs applications ?
Néodyme, samarium, europium… Les terres rares constituent un ensemble de 17 métaux dans la classification périodique des éléments de Mendeleïev. Les terres rares font partie du groupe des 45 métaux rares qui se différencient des métaux industriels ou dit « de base » (fer, nickel, zinc, cuivre…) par une faible production (de l’ordre des kilotonnes contre les mégatonnes pour les métaux de base), un haut degré de technicité (sous-produit voire sous-sous-produit des industries minière et métallurgique), une valeur élevée (par rapport aux métaux industriels) accompagnée d’une volatilité extrême et une criticité considérable.
Les terres rares possèdent des propriétés remarquables, dues à leur structure électronique unique, qui les rendent parfois difficilement substituables et très prisées par les industriels. On peut citer les propriétés optiques (nombreuses concernées notamment pour les lasers, les verres spéciaux et la luminescence), magnétiques (néodyme, dysprosium, samarium, praséodyme), résistance thermique (yttrium, cérium), légèreté et résistance (scandium) ou encore le stockage d’énergie (thulium, prométhium, terbium).
Ces propriétés exceptionnelles trouvent des applications dans les principaux secteurs stratégiques et porteurs : la médecine notamment nucléaire (IRM, radiologie portable), l’automobile (voitures hybrides, électriques et demain voiture sans conducteur), l’aéronautique (ailes, électronique embarquée, moteurs), la défense (lasers, drones, guerre électronique, missiles guidés, lunettes de vision nocturne), les énergies renouvelables (superaimants des générateurs des éoliennes), le nucléaire (parois à capture neutronique des réacteurs nucléaires), les objets connectés à écran (tablettes, smartphones, ordinateurs…) tout comme la robotique et la domotique.
Quel est l’état du marché mondial des terres rares ? Quel rôle y joue la Chine ?
La République populaire de Chine domine totalement le marché des terres rares. Elle assure aujourd’hui plus de 90 % de la production mondiale de terres rares tout en possédant environ 50 % des réserves prouvées. Cependant, ce quasi monopole chinois n’a pas toujours existé. Au début des années 1960 et jusqu’au milieu des années 1980, les États-Unis constituent le premier producteur de terres rares au monde. La Chine ne possède alors qu’une activité résiduelle dans ce secteur. Toutefois, elle amorce un virage stratégique en 1986. Sous l’impulsion de Deng Xiaoping, le programme 863 consacré à la R&D de la haute technologie nationale opère une refonte de long terme de la stratégie chinoise des terres rares. Pari gagnant car dans les années 1980, la production chinoise d’oxydes de terres rares augmente de 40 % chaque année ! Deng Xiaoping affirme d’ailleurs ses ambitions dès 1992 : « Les terres rares sont à la Chine ce que le pétrole est au Moyen-Orient ». Très vite, dans le courant des années 1990, la production massive de terres rares chinoises à bas prix asphyxie le marché mondial. Molycorp, le géant américain des terres rares, est à l’agonie. Il ferme l’immense mine californienne de terres rares de Mountain Pass en 2002. Résultat : en 2010, à la veille du « choc des terres rares » (augmentation des prix de plus de 2 000 % pour certains éléments de terres rares courant 2011), la Chine détient 97 % de la production mondiale de terres rares.
Malgré la plainte déposée à l’Organe de règlement des différends par les États-Unis, le Japon et l’Union européenne en 2012 et la demande de l’OMC de supprimer les quotas chinois à l’export pour les terres rares, la Chine demeure le grand maître du marché de ces métaux stratégiques. Elle a supprimé sa politique de quotas pour la remplacer par un système de licences accordées aux entreprises partenaires triées sur le volet. Sa stratégie est toujours aussi efficace : pratiquer des prix bas imbattables sur le marché pour tuer la concurrence, forcer l’implantation des sociétés étrangères sur le sol chinois afin d’acquérir de nouvelles technologies et ainsi maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur industrielle, de la mine à l’aimant. Molycorp – qui avait relancé la production de terres rares en 2012 à Mountain Pass à la faveur des prix hauts dus au choc des terres rares – se déclare en faillite en juin 2015 avec un endettement de 1,7 milliard de dollars. Pékin a sciemment maintenu une forte production, inondé le marché de ses terres rares pour empêcher toutes les sociétés minières notamment canadiennes, australiennes et américaines d’entrer sur le marché des terres rares qu’elle considère comme sa chasse gardée. Les grandes compagnies minières et métallurgiques chinoises d’État ont d’ailleurs, à chaque fois qu’elles l’ont pu, racheté leurs consœurs étrangères [2].
Quelle est la stratégie de la France concernant les terres rares ?
Bien que dotée de capacités scientifiques, de savoir-faire industriels et de richesses minérales sous-marines conséquents, la France n’a pas de stratégie opérationnelle pour les terres rares. Plus largement, la France ne dispose pas de stratégie concernant les matières premières minérales non-énergétiques. Historiquement, c’est à la suite du choc pétrolier de 1973 que l’État français se dote d’une stratégie de sécurisation de ses approvisionnements en hydrocarbures. Cette décision a également permis de réduire la part du pétrole destinée à la production d’électricité qui était de l’ordre de 70 % en 1973 et qui aujourd’hui est nulle grâce au développement du parc nucléaire français. Un effort de planification stratégique et de prospective analogue à celui fait pour le pétrole semble nécessaire pour les métaux critiques et stratégiques. Dans cette optique, le Comité pour les métaux stratégiques (COMES) a été créé par décret en janvier 2011. Réunissant des experts du BRGM, de l’ADEME, de l’IFREMER ainsi que des industriels (Solvay, Renault, Eramet, Areva notamment) et les pouvoirs publics, le COMES a pour mission d’assister le ministre en charge de l’écologie, du développement durable et de l’énergie dans le développement et la mise en œuvre de la politique française en matière de gestion des approvisionnements nationaux en métaux stratégiques. Toutefois, les missions de sensibilisation, de rayonnement et d’études du COMES sont louables mais limitées par de faibles moyens.
Cette analyse s’est appuyée sur un mémoire de recherche intitulé « Terres rares – Livre blanc sur la stratégie française de sécurisation des approvisionnements en terres rares » et dirigé par Franck DeCloquement, expert en intelligence stratégique pour le groupe KER-MEUR et professeur à l’IRIS Sup’.
[1] Il s’agit des 15 lanthanides (lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhium, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, lutécium) auxquels on associe le scandium et l’yttrium.
[2] Rachat de Magnequench, fleuron américain de la fabrication d’aimants à base de terres rares en 1995 par un consortium chinois, tentative d’OPA en 2009 sur Lynas, principal producteur australien de terres rares par la China Non-Ferrous Metal Mining Co., prise de participation de la Jiangsu Eastern China Non-Ferrous Metals Investment Co. qui acquiert 25 % du producteur minier australien Arafura Resources Ltd. en 2009 ou encore la China Investment Corp qui prend la même année 17 % de Teck Resources Ltd, une société minière canadienne impliquée dans la filière des terres rares. La liste est longue.
Il y a déjà plusieurs mois que la crise des réfugiés met l’équilibre européen à rude épreuve. Pris entre un système de prise de décision complexe et des mouvements populistes en pleine croissance, l’UE n’est pas au rendez-vous de ses valeurs, ni à la hauteur de son prix Nobel de la paix, comme le déplore le récent rapport d’Amnesty international.
Sur la route des Balkans, par laquelle des centaines de milliers de réfugiés transitent depuis plus d’un an, l’UE a abandonné ses principales raisons d’être. La première est l’absence de solidarité entre ses membres en vue de la répartition des réfugiés, malgré une décision en la matière. Il serait malhonnête de se cacher derrière les réactions choquantes des pays de l’Est. Le discours de Manuel Valls en Allemagne signifiant fermement que la France ne veut pas accueillir davantage de réfugiés, alors qu’elle n’en « accueille » même pas le tiers du chiffre prévu, quand l’Allemagne en reçoit plus d’un million, interroge tout autant sur la solidarité existante dans le couple franco-allemand, moteur de l’UE.
Cette absence de solidarité a désagrégé trois principes fondateurs de l’Union : circulation, concertation et conviction. Devant l’afflux massif de réfugiés se dirigeant principalement vers trois pays (Allemagne, Autriche, Suède), de nombreux murs et renforcements se sont érigés tout au long du parcours, depuis la Hongrie jusqu’à la Slovénie, et même désormais à la frontière franco-belge. En creux, après la caducité du règlement de Dublin, il est évident que c’est tout l’équilibre de Schengen, c’est-à-dire l’idée que l’Europe est un espace de libre circulation des personnes, qui est en jeu. Les dispositifs de renforcement des frontières, non seulement offrent des images honteuses de familles transies de froid sous la pluie devant des barbelés et des soldats en armes, mais en plus participent à un goulot d’étranglement dont les pays des Balkans sont victimes.
Cet effet domino était en germe dans l’accord conclu en octobre dernier sous l’égide de la Commission européenne, comme nous le notions déjà dans un précédent article. Il suffisait en effet que l’un des deux pays accueillant le plus de réfugiés (Allemagne et Autriche) temporise pour que l’ensemble de la chaîne, depuis la Slovénie jusqu’à la Macédoine, ferme à son tour ses frontières, laissant à la Grèce le soin de gérer les afflux journaliers de bateaux. Or, c’est exactement ce qui s’est passé ce mercredi 24 février, avec cette circonstance aggravante que l’accord conclu entre l’Autriche et les pays des Balkans (tous les pays de l’ex-Yougoslavie, Albanie et Bulgarie) s’est fait dans le dos de la Grèce, mise devant le fait accompli avec la fermeture de la frontière du côté de la Macédoine. Le flux remontant les Balkans s’est donc considérablement tari, puisque depuis quelques jours déjà, seuls les Syriens et Irakiens peuvent passer au compte-goutte. Ceux-ci sont alors pris en charge depuis la Macédoine jusqu’à l’Autriche.
La Grèce a officiellement protesté auprès de l’Autriche, qui se défend en rappelant le nombre considérable de réfugiés déjà présents sur son territoire. Cela ne règle cependant aucun problème puisque les réfugiés continuent d’arriver en Grèce, plus nombreux que ceux qui peuvent la quitter tous les jours. D’autre part, que faire des autres, notamment afghans ? Ces gens ne peuvent plus passer par la route classique, mais personne ne peut croire qu’ils feront demi-tour. On doit donc se préparer à ce que de nouvelles routes soient ouvertes par les passeurs, plus chères, plus dangereuses, par exemple par l’Albanie puis par la mer jusqu’en Italie. Le paradoxe est que l’UE annonce sa volonté de lutter contre les passeurs alors que ce sont justement les murs et les barbelés qui les enrichissent.
L’UE pense avoir trouvé la parade à travers l’accord conclu avec le pays source, la Turquie, quoi que son application laisse encore perplexe. Après avoir abandonné la solidarité, la concertation et la circulation, c’est ici la conviction qui est passée par pertes et profits avec cet accord tant les dérives autocratiques du régime turc sont caractérisées. Surtout, il vaudra mieux ne pas regarder de trop près comment les Turcs comptent s’y prendre pour garder sur leur territoire des gens qui veulent en partir.
Au fond, l’Europe avait à relever un défi à la hauteur de sa longue et douloureuse histoire. Pour paraphraser Churchill, elle avait le choix entre le déshonneur du regard détourné et la main tendue vers les réfugiés, elle a choisi le déshonneur, et elle aura les réfugiés.
Market turmoil increasingly prompts scepticism about the power of central banks. This reversal actually points to the unprecedented peak of fervour that monetary worship reached in the aftermath of the global financial crisis. The guarantees provided by central banks worldwide, whether implicit or explicit, helped avoid a depression. Meanwhile, unrealistic expectations rose among investors and even more so among policymakers as to the economic salvation that unconventional monetary policy would allegedly bring about. Despite its bombast, the European Central Bank, in particular, stumbles against the fundamental political flaws that make it hard to find a cure for the ills of the Eurozone and its banking sector.
In the United States, the Federal Reserve, following the bankruptcy of Lehman Brothers, embarked on an ultra-expansionary policy mix—most notably with zero interest rates and three successive rounds of quantitative easing—which helped revive lending and lower the dollar’s exchange rate for some time. Throughout its quantitative easing programmes, the Fed added $3.7 trillion to its holdings, pouring as much liquidity into the markets. In contrast with its limited effect on the real economy, this policy created the conditions for a spectacular and somewhat problematical surge in asset prices, well beyond a mere bounce-back. In so doing, it also deeply destabilised financial flows to emerging markets.
In stark contrast with the Fed, the ECB was slow to lower its key interest rates (and even ill-advisedly hiked them in 2011) and waited until the beginning of 2015 to set up a bond purchase programme. As such it followed the Fed’s path belatedly but with a convert’s zeal. It turns out that its expansionary policy, which is aimed at tackling deflationary trends, is still far from yielding the awaited results—which is hardly surprising if the real drivers of aggregate demand are taken into consideration. In addition, Mario Draghi’s pledge to not only do ”what it takes” but, it seems, “ever more” does not seem to provide that much support to financial markets as they are beleaguered by the Eurozone’s bleak economic reality. The ECB’s QE programme has come at a time when US equity markets were grinding to a halt, following the discontinuation of the Fed’s own purchase programme, which had propelled them to a level 2.8 times as high as their 2009 low and 37 percent higher than their 2007 peak.
It is certainly not an end in itself for monetary policy to stimulate financial markets. Nonetheless, faced with the permanent threat stemming from the bursting of bubbles which they have helped inflate, central banks are trapped in a vicious circle. The contrasting market reaction to QE in the Eurozone and in the US points to substantial differences. Not only have these programmes been introduced at different stages of the « recovery », but the underlying financial situation differs markedly too. As early as 2008, the US authorities set up the Troubled Asset Relief Program (TARP), which aimed to rid financial institutions of the toxic assets that undermined their solvability. This measure was controversial, as it encouraged the main actors of the bubble to back away from their responsibilities. Meanwhile it helped prevent a collapse of the financial system and restore confidence in the interbank market. The operation has even proved profitable for the US Treasury, once its $442 billion worth of related assets were sold back over the course of the recovery. The Fed’s QE programme therefore took place in a context where banks were stabilising and the economy was recovering, albeit modestly.
Such programmes are the responsibility of a sovereign state, not only of a central bank—despite the latter’s utmost responsibility as the lender of last resort. The state is in charge of preventing a collapse, even if this involves taking the risk of exceptional and controversial measures that are beyond the scope of monetary policy. The Fed’s purchasing programme faced this reality as the sums that were injected, as large as they were, essentially remained trapped within the financial markets and had little impact on the real economy. The bolder idea of « helicopter money »[1] actually appealed to Ben Bernanke as he appeared willing to fund a fiscal stimulus through the “printing press”, probably under the guise of a permanent purchase programme. Such a plan, which would have implied a framework of budgetary coordination with the Treasury, was excluded by the balance of power in Congress although it would have proved financially less damaging and economically more meaningful than QE. To put it simply, “helicopter money” aimed at the real economy, in a context of very low inflation, might actually be more in line with conservative standards than abstract quantitative easing. It is of little surprise that Milton Friedman advocated such an approach as early as 1948, alongside a proposal for the adoption of a 100 percent reserve system [2].
The Eurozone is an economy without a state—or with nineteen unequal governments to be more accurate. Consequently the area’s leaders were unable to follow suit with the “second best” options taken by the US authorities. Not only did the ECB restrict itself to a very timid monetary response in the first place but, much more importantly, the political authorities shied away from the structural financial measures that were needed to reactivate the banking system. With regard to the monetary response, the opposing monetary cultures among Eurozone countries, particularly between Germany and France, precluded any substantial move under Jean-Claude Trichet’s chairmanship. The volubility and communicational genius of his successor, Mario Draghi, certainly helped to avoid a messy break-up of the currency union in 2012 but his activism now seems to face an insurmountable obstacle. Beyond the mere issue of monetary policy, Eurozone leaders are still not in a position to devise a viable economic and financial architecture. More than a mere technical mistake, the wobbly political balance among the union’s member states is the root cause of this inextricable situation.
Against this background, the sword of Damocles is still hanging over European banks. The ECB’s negative deposit rate is often blamed for undermining the profitability of the banks that still reward deposits with positive interest rates. Hybrid debt securities, such as contingent convertible bonds or « Coco bonds », which are convertible into shares in case of trouble (so as to boost the bank’s capital), have also been mentioned as a source of weakness, as these securities have been issued in excess by the like of Deutsche Bank. Yet, the risk that weighs on European banks far exceeds these aspects alone. The permanent invocation of the “banking union” fails to hide the fact that it simply does not exist beyond a mere system of supervision and a very modest resolution scheme for failing banks. A common insurance for bank deposits remains illusory or even taboo, just like the constitution of a joint government backstop to address failing banks, which should work as an insurance mechanism and break the feedback loop between the banking sector and state finances in a given country.
With regard to the EU’s new bank resolution and recovery directive (BRRD)—which includes the “bail-in” of bondholders as well as large depositors of a failing bank (to the tune of 8pc of the bank’s liabilities) before any taxpayer money is disbursed—it addresses a highly legitimate concern. Its purpose is to prevent taxpayer money from being used to pour astronomical sums into failing banks that took excessive risks. But are these provisions credible and viable under the current circumstances? This system might make it possible to handle individual cases of non-systemic banks. This is to forget the vast interconnections between financial institutions, which generally follow the same trends and resort to the same practices, especially in times of booms and busts. When a system of irresponsibility has thrived for decades with the blessing of governments—whose debts were considered to be « risk-free »—it is particularly perilous to decide overnight, in a context of crisis and mass unemployment, the absolute accountability of creditors and large depositors alike. In order to achieve this crucial goal, a dynamic of genuine financial stabilisation and economic recovery should have been previously (or at least simultaneously) initiated. The Eurozone followed the opposite path, with pro-cyclical measures. In addition, the supervisors pushed the banks to recapitalise to levels which might seem elevated now but would not even protect them sufficiently in the likely event of a new financial crisis.
Yet fixing the banking sector is even more crucial for the Eurozone than for the United States. Mario Draghi stresses his desire to develop bond funding for the corporate sector, in order to make companies less dependent on bank lending. It should be borne in mind that 93% of Eurozone companies have less than 10 employees (compared to about a half in the United States). These are very much unlikely to access the bond market, if not through dubious small loans securitisation programmes. Furthermore, the benefits such a turning point would bring about in terms of long-term financial stability are highly doubtful. Emulating the financial model of the US in this matter is illusory. As bank lending is structurally more important in Europe than in the US, it is even more essential to put European banks back on track to finance the economy. Far from such a goal, the financial reforms pursued by the Eurozone can be seen as the more or less unconscious path towards a system of widespread default. Even though these reforms have legitimate goals and some technical consistency, the overall system makes little economic sense. It bears the tangible risk of a crisis of great magnitude that would eventually see the states, in violation of the principles advocated today, fly to the rescue of the banking sector once again and sacrifice their finances.
Central banks seem to have become the “slaves of the markets”, as the Economist recently put it , but it is the governments which have given them the kiss of death. Trying to make up for policymakers’ inability to restore a sustainable system and to ward off the threat of financial collapse, central banks have fed the illusion of solvency through a succession of asset bubbles for more than two decades. Despite the prestige of this increasingly political role, which goes beyond the mere notion of independence, the oscillatory nature of this system undermines their credibility and hinders their capacity to act strategically. The ineffectiveness of the ECB’s measures, in particular, mirrors the political fault line that irremediably divides Europe.
[1]See « Lunch with the FT: Ben Bernanke » par Martin Wolf, 23 October 2015. “I think a combination of tax cuts and quantitative easing is very close to being the same thing [helicopter money]”.
[2] Milton Friedman, A Monetary and Fiscal Framework for Economic Stability, American Economic Review 38, pp. 245-264, June 1948
L’instabilité financière donne désormais lieu à une érosion de la croyance des investisseurs dans le pouvoir des banques centrales. C’est en vérité le signe que ce culte avait atteint des sommets de ferveur inédits et intenables. Face au risque de dépression, les garanties apportées par les banques centrales, qu’elles soient implicites ou explicites, ont bel et bien permis d’éviter le pire à partir de 2008 puis au cours de la crise de l’euro. Mais dans le même temps, des attentes démesurées sont nées au sein des cercles financiers et encore davantage dans la sphère politique quant au caractère prétendument salvateur de leur action. La Banque centrale européenne en particulier bute, malgré son emphase, sur les failles politiques fondamentales de la zone euro, qui empêchent un rétablissement du financement bancaire.
Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale s’est, à la suite de la faillite de Lehman Brothers, engagée dans une politique ultra-expansionniste qui a permis d’abaisser un temps le taux de change du dollar, de relancer le crédit et de retirer des marchés une partie de la dette publique américaine. Au fur et à mesure de ses achats, la Fed aura ajouté pour 3700 milliards de dollars à son actif, injectant autant d’argent dans les marchés financiers. En décalage avec ses effets limités sur l’économie réelle, cette politique a créé des conditions favorables à une envolée spectaculaire et problématique du prix des actifs financiers, bien au-delà d’un simple rebond, et profondément déstabilisé les flux financiers vers les marchés émergents.
La situation est substantiellement différente, et autrement inquiétante, au sein de la zone euro. Si la BCE a progressivement abaissé ses taux pour faire face à la crise, elle ne s’est engagée que l’an passé dans la voie de l’achat de titres obligataires (quantitative easing), suivant tardivement, mais avec la ferveur du converti, l’exemple américain. Il s’avère que cette politique visant à contrer les tendances déflationnistes est loin de produire les effets escomptés ; ce qui n’est guère surprenant pour peu que l’on s’intéresse aux ressorts réels de la demande. De plus, la promesse de faire toujours plus n’apporte pas dans la durée le soutien tant espéré aux marchés financiers. Le programme d’achat de la BCE est arrivé à un moment de ralentissement puis de retournement des marchés boursiers américains, après l’arrêt du programme de la Fed qui les avait propulsés à un niveau 2,8 plus élevé que leur point bas de l’hiver 2009 et de 37% supérieur à leur pic de l’été 2007.
Propulser les marchés financiers n’est certes pas une fin en soi de la politique monétaire. Mais face à la menace permanente de déflagration financière liée à l’éclatement de bulles qu’elles participent elles-mêmes à gonfler, les banques centrales se sont enfermées dans ce cercle vicieux. L’écart de réaction des bourses européenne et américaine à la politique d’achat de la BCE et de la Fed respectivement pointe des différences de fond. Non seulement ces programmes n’interviennent pas aux mêmes étapes de la « reprise », mais il faut ajouter à cela que les situations financières sous-jacentes diffèrent fortement. Dès 2008, les autorités américaines ont mis en place le programme TARP (Troubled Asset Relief Program) qui visait à débarrasser les institutions financières des actifs toxiques qui minaient leur bilan. Cette mesure était controversée dans la mesure où elle déresponsabilisait les principaux acteurs de la bulle, mais elle permit d’éviter un effondrement du système financier et de restaurer une certaine confiance entre les institutions financières sur le marché interbancaire. Elle s’est même avérée rentable pour l’Etat américain, une fois ces actifs revendus au cours de la reprise économique. Le programme d’achats de la Fed est donc intervenu dans un contexte d’assainissement relatif du secteur bancaire et de reprise économique, bien que modeste.
Un programme de type TARP ne pouvait être le fait que d’un Etat souverain et non d’une simple banque centrale, fût-elle particulièrement impliquée comme préteur en dernier ressort. L’Etat est responsable d’éviter un effondrement, quitte à prendre le risque de mesures exceptionnelles et polémiques qui échappent au cadre restreint de la politique monétaire. Le programme d’achats de la Fed a buté sur cette réalité car, aussi expansionniste qu’il ait été, les sommes injectées sont essentiellement restées dans les marchés financiers. Il apparait aujourd’hui que Ben Bernanke était en réalité tenté par le « helicopter money » [1] (ce que nous appelons plus couramment « la planche à billets ») pour financer une relance budgétaire, probablement sous couvert d’un programme de QE permanent. Une telle option de coordination budgétaire avec la banque centrale était néanmoins exclue par le rapport de force politique au Congrès. Cette voie aurait pourtant été moins dommageable financièrement et plus efficace économiquement. Pour faire simple, ce type de « planche à billets » destinée à l’économie réelle serait davantage en phase avec les standards conservateurs que l’abstraction du quantitative easing. Il n’est guère surprenant que Milton Friedman ait proposé une telle approche dès 1948 [2], parallèlement à un système 100% monnaie (qui consiste à transférer la création monétaire des banques commerciales vers la banque centrale en les forçant à détenir autant en réserves à la banque centrale qu’elles reçoivent de dépôts de leurs clients).
La zone euro est une économie sans Etat (ou avec dix-neuf gouvernements inégaux pour être plus précis…). Elle a donc pris une voie substantiellement différente du pis-aller américain, non seulement en se limitant à une politique monétaire d’abord très timide mais, bien plus grave, en renonçant aux actions structurelles qui auraient permis de réactiver le système bancaire. Pour ce qui est de la réponse monétaire, les cultures monétaires très différentes, voire opposées, entre les pays de la zone euro, ont d’abord empêché une réaction substantielle de la BCE jusqu’en 2011, sous la présidence de Jean-Claude Trichet. Le bagou et le génie communicationnel de Mario Draghi ont certes permis d’éviter l’éclatement désordonné de la zone à partir de 2012 mais son activisme semble désormais buter contre un obstacle insurmontable. Au-delà de la simple question de la politique monétaire, la zone euro est confrontée à son incapacité à mettre au point une architecture économique et financière viable. Plus qu’à une simple erreur d’appréciation technique, il semble que nous ayons affaire à une situation politique en réalité inextricable, liée à l’équilibre bancal entre les grands pays de la zone.
Dans un tel contexte, une épée de Damoclès continue de peser sur les banques européennes, au cœur de la tourmente financière. On cite souvent le problème des taux d’intérêt négatifs de la BCE (qui détériorent effectivement leur rentabilité lorsqu’elles persistent à offrir à leurs déposants des taux positifs). On évoque aussi à juste titre les inquiétudes qui pèsent sur les titres de dette hybride (contingent convertible bonds ou « Coco »), convertibles en actions en cas de difficulté. Ces titres ont été émis en quantité excessive par Deutsche Bank notamment. Le risque qui pèse sur les banques européennes dépasse pourtant de loin ces seuls aspects. L’invocation permanente de « l’union bancaire » ne parvient pas à cacher le fait que celle-ci n’existe simplement pas, au-delà d’un système de surveillance et d’un très modeste dispositif de « résolution » (visant à regrouper, en partie, les moyens pour liquider une banque en faillite). L’assurance commune des dépôts bancaires, au niveau de la zone euro, reste illusoire et taboue, tout comme la constitution d’un dispositif commun de sauvetage bancaire qui permettrait de briser le cercle vicieux entre les difficultés du secteur bancaire d’un pays et les finances de l’Etat en question.
En ce qui concerne les nouveaux dispositifs bancaires qui consistent à mettre à contribution les créditeurs et déposants (à hauteur de 8% du passif de la banque) avant qu’un quelconque soutien public soit apporté, ils sont hautement légitimes. Il s’agit d’éviter que les contribuables aient à payer des sommes astronomiques pour renflouer des banques qui ont pris des risques excessifs. Mais ces dispositifs sont-ils crédibles et viables dans la situation actuelle ? Ce système peut permettre de gérer des cas individuels de banques non systémiques. Mais c’est oublier les interconnexions entre les institutions financières, qui suivent généralement les mêmes tendances et ont recours aux mêmes pratiques, en particulier en période de bulles et de crise. Quand tout un système de déresponsabilisation a opéré pendant des décennies avec la bénédiction des gouvernements (dont les dettes étaient considérées « sans risque »), on ne peut du jour au lendemain décréter, en temps de crise et de chômage de masse, la responsabilisation absolue des créanciers et des déposants. Pour atteindre l’objectif crucial de responsabilisation financière, il faudrait auparavant (ou au moins simultanément) avoir créé une dynamique de rétablissement du système financier et donc de reprise économique. C’est précisément la voie opposée qui a été suivie au sein de la zone euro, à coût de mesures pro-cycliques et d’aggravation de la situation économique. On s’est contenté, tardivement, de pousser les banques à se recapitaliser à des niveaux qui ne les prémunissent certainement pas face à une nouvelle crise généralisée au sein de la zone euro.
Pourtant, la question bancaire est encore plus cruciale pour la zone euro que pour les Etats-Unis. Mario Draghi ne cesse d’affirmer son souhait de développer le financement obligataire des entreprises européennes sur les marchés de capitaux, pour que celles-ci soient moins dépendantes du crédit octroyé par les banques. Il convient de rappeler que 93% des entreprises de la zone euro comptent moins de dix employés (contre environ la moitié aux Etats-Unis) et ne sont guère susceptibles d’accéder au marché obligataire, si ce n’est au travers de programmes douteux de regroupement et de titrisation de petits prêts bancaires. On peut, par ailleurs, douter des bienfaits d’un tel tournant en termes de stabilité financière à long terme. Il s’agit d’une déresponsabilisation supplémentaire de l’acte de prêt (le titre obligataire évoluant, après émission, sur les marchés au gré de l’euphorie liée aux bulles) puisque le sous-jacent, une multitude de petites entreprises en l’occurrence, reste particulièrement opaque. Il est donc illusoire de prétendre imiter le modèle financier américain en la matière. Par ailleurs, comme le financement bancaire est structurellement plus important en Europe qu’aux Etats-Unis, il serait encore plus indispensable de remettre les banques européennes sur le chemin du financement de l’économie. Bien loin d’un tel objectif, on peut voir les réformes financières européennes comme la voie plus ou moins inconsciente vers un système de défaut généralisé. Même s’il offre une certaine cohérence technique, ce système est économiquement illogique. Il porte le risque tangible d’une crise de grande ampleur qui verrait finalement les Etats, en violation des principes brandis aujourd’hui, à nouveau contraints de voler au secours du secteur bancaire en sacrifiant leurs finances.
Les banques centrales semblent être devenues les « esclaves des marchés », comme l’évoquait récemment The Economist, mais ce sont les gouvernements qui leur ont donné le baiser de la mort. Se substituant de fait aux gouvernements incapables de rétablir un système économique et financier viable et de conjurer le spectre de l’effondrement financier, elles alimentent depuis vingt ans l’illusion de solvabilité du système au moyen d’une succession de bulles financières. Par delà le prestige du rôle politique des banques centrales, qui dépasse le simple concept d’indépendance, le caractère oscillatoire du dispositif mine leur crédibilité et entrave désormais leur capacité d’action stratégique. L’inefficacité des mesures de la BCE, en particulier, est le miroir de la faille politique qui fracture irrémédiablement la zone euro.
[1] Voir « Lunch with the FT: Ben Bernanke » par Martin Wolf, 23 octobre 2015. « I think a combination of tax cuts and quantitative easing is very close to being the same thing [helicopter money] ».
[2] Milton Friedman, A Monetary and Fiscal Framework for Economic Stability, American Economic Review 38, pp 245-264, juin 1948.
L’Union européenne constitue le principal partenaire commercial de la Tunisie : 80% de ses échanges commerciaux. La Tunisie est aussi le premier pays de la rive sud de la Méditerranée qui a signé un Accord d’Association avec l’Union européenne en 1995. Cet accord constitue le cadre juridique de la coopération et du partenariat entre l’UE et la Tunisie.
L’Accord d’Association, entré en vigueur le 1er mars 1998, établit, à terme, une zone de libre-échange ( ZLE ) entre les deux parties. Le 1er janvier 2008, la Tunisie est devenue le premier pays de la rive sud à intégrer la zone de libre-échange pour les produits industriels avec l’Union Européenne. Le principe d’un statut avancé est alors agréé à l’occasion du Conseil d’association du 11 novembre 2008, sous la présidence française du Conseil de l’Union européenne, et signé en novembre 2012. Ce statut avancé a ouvert la voie à un processus d’Accord de Libre Echange Complet et Approfondi ( ALECA ), dont les négociations ont été lancées à Tunis, en octobre 2015. Le Parlement européen vient d’approuver l’ouverture de négociations en vue de la conclusion de l’ALECA, qui concerne en particulier les secteurs des services, de l’agriculture, de l’industrie, des marchés publics. Il s’agit là d’une nouvelle page dans les relations euro-tunisiennes.
La perspective d’un tel accord fait l’objet de critiques en Tunisie comme en Europe. La crainte est de voir cet accord se transformer en véritable « tsunami » qui s’abattrait sur le marché tunisien. Le leader français du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, a qualifié le processus en cours de « politique d’annexion économique de l’UE envers son voisinage et la destruction qu’elle provoque ». Il propose une coopération plus égalitaire, dans le respect de la souveraineté de la Tunisie et de l’essor économique et social de l’espace méditerranéen. C’est aussi dans un souci d’équité que la députée européenne Marietje Schaake appelle l’Union européenne à ouvrir davantage son marché aux produits tunisiens : « Nous devons nous assurer que le marché tunisien ne sera pas inondé de produits européens, car cela poserait de très sérieux problèmes aux producteurs tunisiens. Bien évidemment, il faudra clarifier les choses dès le départ. Il ne s’agira pas d’un chèque en blanc: il faudra que les produits tunisiens soient conformes aux normes européennes. L’accord sur le libre-échange devrait étendre les standards européens aux domaines de l’environnement, de la défense du consommateur et les droits des travailleurs en Tunisie. D’ailleurs, toutes ces conformités seront bénéfiques à la compétitivité des produits et services tunisiens à l’échelle mondiale .»
Au regard du poids asymétrique des secteurs économiques concernés, la députée européenne craint légitimement qu’un tel accord ne fasse qu’accroître les difficultés économiques du pays. C’est pourquoi les négociateurs devront être guidés par un principe de « rééquilibre » : le marché de l’UE doit s’ouvrir davantage aux entreprises tunisiennes, que le marché tunisien aux produits européens. Comment interpréter ce type d’opinion exprimé en Europe? Réflexe paternaliste teinté de condescendance ou au contraire expression d’une analyse réaliste animée par un sentiment de solidarité?
Quoiqu’il en soit, le Parlement européen n’est pas resté insensible à ces alertes. Sa résolution sur l’ouverture des négociations appelle ainsi « les négociateurs à conclure un accord progressif et asymétrique qui prend en compte les disparités économiques significatives entre les parties ». L’idée est bien d’ouvrir les différents secteurs de l’économie de la Tunisie de manière graduelle et symétrique. Certains produits pourront même être exclus de cette libéralisation.
Au-delà de cet accord de libre-échange, il convient de souligner combien l’Europe se doit de s’engager dans une stratégie plus globale d’aide et de soutien en direction d’un pays qui a osé emprunter la voie tortueuse de la transition politique et économique. Certes, la Tunisie est l’un des premiers bénéficiaires de l’aide européenne (390 M € pour 2011-2013) et la Commission européenne a proposé d’accorder à la Tunisie une assistance macro-financière supplémentaire de 500 millions d’euros au maximum, sous forme de prêts à moyen terme. Il n’empêche, pour l’instant, l’Europe est loin d’être à la hauteur des enjeux de ce qui se joue chez son voisin tunisien… La Tunisie n’est pas qu’un marché.
Les Iraniens sont appelés à voter ce 26 février lors d’un double scrutin pour renouveler le Parlement et l’Assemblée des experts. Dans quel contexte ces élections interviennent-elles et quels sont les enjeux ?
Le contexte politique est assez tendu. Le camp du président Rohani espère confirmer sa victoire de 2013. Il s’agit ainsi pour ce dernier du premier test politique majeur sur le plan intérieur depuis son élection présidentielle. Cela peut lui permettre d’évaluer sa popularité. Il y a actuellement de fortes tensions et on observe deux camps distincts qui font l’objet d’un affrontement politique : celui des ultras, opposés à l’accord sur le nucléaire, à une reprise des relations avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, qui veulent une version « dure » de la République islamique d’Iran ; et un camp modéré qui regroupe les conservateurs modérés et les réformateurs.
Tout va se jouer autour du taux de participation. Les experts et les informations qui proviennent d’Iran estiment qu’un taux de participation élevé donnerait plus de chances au camp des modérés pour l’emporter.
En parallèle, l’élection de l’Assemblée des experts est également importante. Des rumeurs avancent que le Guide serait très malade. Cette Assemblée aura pour rôle de désigner le prochain Guide. Il y a ainsi, avec la composition future de cette Assemblée, un double enjeu politique. Des figures modérées comme Hachémi Rafsandjani, ou Hassan Rohani lui-même, s’y sont portées candidats.
Quelles sont les revendications des différents camps politiques et de la population iranienne ?
La campagne a été très courte car elle n’a duré qu’une semaine. Il s’agit d’un affrontement politique général. Chacun essaie d’affirmer son appartenance à l’un des deux camps. Il n’y a pas véritablement de slogans qui se distinguent. Voter pour les modérés revient à voter pour la politique de normalisation des relations avec l’extérieur, d’ouverture économique, et à une approbation de la politique de Rohani. On assiste avant tout à l’affrontement de deux conceptions, de deux manières de gérer le pays.
Les gens sont dans l’ensemble satisfaits de l’accord sur le nucléaire. Il y a néanmoins un mécontentement concernant la situation économique dont les gens espèrent une amélioration. Les opposants au président Rohani jouent beaucoup sur cet aspect, en occultant la réalité de la levée des sanctions. C’est donc sur le terrain économique que va se concentrer Rohani pour essayer d’accompagner le redémarrage de l’économie iranienne qui va intervenir grâce à la fin des sanctions. Il va tenter de mettre en place un certain nombre de réformes pour améliorer l’environnement des affaires et attirer les investissements étrangers. Il devra notamment développer le secteur privé, continuer à réduire les subventions sur l’énergie, etc. C’est l’attente principale de la population iranienne. Il y a par ailleurs d’autres revendications, relatives aux femmes, aux jeunes, à davantage de libertés individuelles. Les réformateurs veulent la libération des dirigeants du Mouvement vert toujours en résidence surveillée. Il y a également des revendications politiques et sociétales, mais, encore une fois, la priorité demeure la situation économique.
Quel impact l’issue de ces élections peut-elle avoir sur la poursuite de la politique d’ouverture initiée par le président Rohani ? La levée des sanctions joue-t-elle en sa faveur ? Quelle est selon vous la capacité du régime à se réformer ?
L’issue de ces élections est majeure. Le parlement a un pouvoir de nuisance important, qu’il ne s’est d’ailleurs pas privé d’user depuis l’élection de Rohani. Il serait beaucoup plus facile pour le président iranien d’avoir un parlement qui puisse travailler avec lui afin de mener des réformes et une politique économique qui aille dans le sens de l’ouverture. Cela ferait pencher le rapport de force politique en sa faveur et permettrait d’avoir un impact sur la politique étrangère iranienne, notamment avec un rôle plus actif de la diplomatie iranienne dans les crises régionales. Ces élections sont très importantes pour la suite du mandat de Rohani.
Concernant la levée des sanctions, la réponse est à la fois oui et non. Oui, car Rohani peut indiquer à la population iranienne que sa politique fonctionne car les sanctions ont été levées, et non, parce que la levée des sanctions est trop récente pour que cela se soit traduit concrètement par une amélioration de la situation économique quotidienne de la population. Rohani tente de faire passer le message que sa politique est efficace et que les Iraniens verront la situation s’améliorer dans les prochains mois.
Enfin, il est difficile de répondre à la question de la capacité du régime à se réformer. Si les forces modérées, qui souhaitent l’ouverture intérieure et extérieure, arrivent à être de plus en plus actives dans le système, cela permettra au régime de se réformer graduellement. C’est le message que les modérés adressent aux plus durs. Personne ne veut un scénario identique à celui de 2009 où des millions de personnes protestaient dans la rue contre le régime. Cette étape est cruciale pour voir si le régime a la capacité d’ouvrir la porte aux forces modérées du pays qui représentent les aspirations d’une grande partie de la société civile.
Le fisc français réclame 1,6 milliard d’euros à Google. A quoi correspond cette somme ? D’autres pays européens ont-ils eu le même genre de réclamation face au moteur de recherche américain ?
Premièrement, cette somme n’apparaît pas réellement surprenante. J’avançais depuis plusieurs années le chiffre d’un milliard d’euros de perte par an pour la France, si l’on prend les cinq-six plus grandes entreprises du net, surnommées GAFA (pour Google, Amazon, Facebook et Apple). Cette somme, qui comprend l’impôt et d’éventuelles amendes et autres pénalités de retard, signifie que Google n’a pas déclaré en France plusieurs milliards de revenus de chiffre d’affaires, qu’il s’agisse de la TVA ou de l’impôt sur les bénéfices. D’autres pays comme la Grande-Bretagne ont eu des réclamations qui concernaient de plus faibles sommes (environ 200 millions d’euros). Pour la Grande-Bretagne, il s’agit davantage de négociations, contrairement à la France qui réclame son dû sans négociations. L’impôt étant plus lourd en France pour les entreprises, cela explique en partie que la dette fiscale soit plus importante.
Quelles stratégies les grosses multinationales utilisent-elles pour échapper aux impôts ?
Les stratégies sont multiples. Il y a par exemple la stratégie du « double irlandais » ou du « sandwich hollandais », consistant à faire passer les ventes et les produits par des pays comme les Pays-Bas, l’Irlande et les îles Caïmans. Cela permet par des accords fiscaux entre les Etats de faire peser le chiffre d’affaires et le bénéfice là où il n’y a pas ou peu d’impôts. Par ces montages internationaux, en créant des sociétés qui sont parfois des sociétés écrans, on arrive à obtenir le maximum de bénéfices dans les paradis fiscaux, en réduisant ainsi très fortement l’impôt. L’impôt final pour certaines entreprises telles que Google a été calculé autour de 2,5-3% en moyenne, très loin des standards, même si en France la moyenne des grandes entreprises est assez faible (10% à 14% de taux d’imposition moyen). Ces stratégies, d’optimisation fiscale ou d’évasion fiscale, sont connues et avérées. On peut même parler dans certains cas de fraude fiscale. Il y avait une véritable nécessité que les Etats se mettent au travail et puissent agir, le manque à gagner représentant, comme je l’ai déjà évoqué, environ 1 milliard d’euros chaque année pour les grandes entreprises. Mais si l’on rajoute les stratégies de toutes les multinationales confondues, il s’agit de plusieurs milliards de pertes par pays de la taille de la France.
Les acteurs institutionnels ont-ils pris la mesure de l’enjeu de la lutte contre l’optimisation fiscale des multinationales et ont-ils commencé à prendre des mesures efficaces ?
Je pense que l’affaire Google est un signal très fort. Si l’on prend le cas de la France, on a l’impression, du moins dans les discours, qu’enfin un Etat décide d’attaquer. C’est également le cas de l’Allemagne, de l’Italie et de la Grande-Bretagne qui affichent une volonté d’agir. La France marque un gros coup et tape du poing sur la table. Ma théorie est que cela peut aussi être une réponse aux sanctions qu’ont fait peser les Etats-Unis sur les entreprises françaises, notamment les banques françaises – sanctions liées à des affaires d’embargo sur les armes avec paiement en dollars, et à des affaires de corruption et de blanchiment d’argent sale. Ceci étant dit, je pense qu’un changement radical est en train de s’opérer. S’il est pour le moment notable dans les discours, il faut espérer que cela se manifestera dans les actes. Maintenant que le ministre a ouvertement dénoncé les choses, Bercy a les mains libres pour aller au bout de l’affaire.
Toutefois, concernant la question de savoir si tout est fait pour que cela change, on s’aperçoit lorsque l’on analyse les derniers débats, notamment à l’Assemblée nationale, que l’on ne va pas nécessairement au bout de ce qu’il faudrait faire, notamment en matière de reporting. Du chemin reste à faire, bien qu’il y ait des avancées notables depuis quelques mois. Google est un peu le premier signal qui permet de devenir optimiste.
Le nouveau président de la FIFA sera élu vendredi 26 février par les 209 électeurs des Fédérations nationales. Deux favoris se détachent : l’Européen Gianni Infantino et le Cheikh Salman de Bahreïn. Le nouveau président aura pour mission de restaurer l’image de la FIFA, gravement compromise par les accusations de corruption et le raid spectaculaire de la police à l’hôtel où se tenait le Congrès du 27 mai 2015.
Sepp Blatter n’est pas accusé d’être corrompu à titre personnel. Il a plutôt pratiqué un clientélisme à grande échelle et a fermé les yeux sur la corruption qui a avant tout concerné les confédérations sud-américaines et la CONCACAF (Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes).
Il n’y a pas plus de corruption qu’auparavant dans le football. Simplement aujourd’hui celle-ci est plus exposée. Il faut se rappeler qu’en 2006 l’Allemagne avait obtenu l’organisation de la Coupe du monde au détriment de l’Afrique du Sud grâce au changement du vote du délégué de l’Océanie au dernier moment.
La visibilité du football est sans commune mesure avec ce qu’elle était auparavant. Le raid de la police suisse en mai 2015 – évoqué précédemment – a suscité une tempête médiatique quasi équivalente au déclenchement d’une guerre. Il est certain que le football doit se réformer et gagner en transparence. Pourquoi ne pas demander à ce que les patrimoines des responsables soient rendus publics afin de pouvoir en observer l’évolution, comme cela est le cas dans de nombreux pays pour les responsables politiques ? Il pourrait également être judicieux que les votes pour l’attribution des compétitions et avant tout la Coupe du monde soient rendus publics. Il faut également féminiser la FIFA et limiter le nombre de mandats dans le temps.
Certains regrettent que le prochain président soit issu du système, craignant qu’il n’apporte pas les réformes nécessaires. Mais il est normal que le football mondial soit géré par quelqu’un qui n’est pas entièrement nouveau et qui a une bonne connaissance du sport et de sa gouvernance. Le nouveau président sera de toute façon, sous la pression du public, des médias et des sponsors, obligé de réformer et d’amener davantage de transparence. Venir de l’extérieur n’amène aucune garantie et peut même susciter des doutes sur sa compétence. Après tout, c’est bien de l’intérieur du système que Gorbatchev en Union soviétique ou De Klerk en Afrique du Sud ont entrepris de dynamiter un système oppressif.
Au vu des candidats, on peut néanmoins regretter que Michel Platini n’ait pas pu se présenter, tant sa personnalité est hors de proportion avec les deux favoris actuels. Le cheikh Salman a l’appui des confédérations asiatiques et africaines mais il n’y a pas de vote en bloc et chaque délégué fera son choix. Il était mis en cause dans la répression de son pays en 2011. Il s’est défendu d’avoir été un acteur de la violation des droits de l’Homme et l’affaire n’est pas pour le moment suffisamment documentée mais le doute ne devrait pas lui profiter. Certains délégués de la FIFA n’auront pas envie de voir un scandale éclater contre son président après l’élection. Cela renforce les chances d’un Infantino qui a par ailleurs fait des promesses de redistribution aux Fédérations africaines.
Il faudrait également réformer la Commission d’éthique qui porte très mal son nom et qui, en éliminant Platini, a procédé à un coup bas. On pourrait nommer de grandes figures, d’anciens footballeurs qui se sont investis dans des actions citoyennes à l’image du Brésilien Romário, du Français Lilian Thuram, de l’Ivoirien Didier Drogba ou du Franco-Sénégalais Pape Diouf.
Si le souci de transparence est réel, il faut néanmoins se méfier de certaines arrière-pensées. Le FBI n’aurait certainement pas ouvert une enquête de cette envergure si les États-Unis avaient obtenu l’organisation de la Coupe du monde 2022. Cette semaine, The Economist a lancé une idée qui circule beaucoup aux États-Unis : retirer à la FIFA la gestion du football mondial pour la donner à une société qui serait cotée en bourse à New York, ce qui selon l’hebdomadaire britannique donne plus de garantie de transparence. Au vu des affaires Enron et Lehman Brothers on peut en douter. Cela serait certainement un moyen de faire échapper le football au monde sportif. Le football doit se réformer mais ne doit pas être privatisé. Il faut relativiser les reproches faits à la FIFA en ayant en tête cette offensive idéologico-financière. Non la FIFA n’est pas une mafia entièrement corrompue. Oui, elle a eu des dirigeants qui ont été corrompus. La FIFA doit entamer sa perestroïka.
Quelle est la particularité de cette 3e édition ?
Cette 3e édition de la Conférence nationale humanitaire (CNH) se tient à la veille du sommet humanitaire mondial qui aura lieu à Istanbul les 23 et 24 mai prochains. Pour le ministère des Affaires étrangères et du Développement international (MAEDI), la 3e CNH, qui traditionnellement est un espace de dialogue entre l’Etat et les acteurs de l’humanitaire, sera aussi le lieu de l’élaboration de « messages clés » pour le sommet d’Istanbul. La CNH s’installe donc dans le paysage français des relations Etat/acteurs de l’humanitaire au sens large. Cela peut être perçu comme une certaine forme de reconnaissance pour celles et ceux qui, comme Benoit Miribel, ex-Président d’Action Contre la Faim, et Alain Boinet, co-fondateur de Solidarités international, ont plaidé pour la rédaction en commun « d’un document cadre de référence de la politique humanitaire de la France ». À lire le document de problématique de la CNH intitulé « Quels rôles à venir pour les acteurs humanitaires internationaux dans l’architecture de l’aide ? », on a effectivement le sentiment que l’approche humanitaire multi-acteurs est devenue une norme consensuelle.
N’est-ce pas le cas ?
En juillet 2014, dans un article intitulé « Gestion de risques et humanitaire : un mariage impossible ? », Clémentine Olivier, Conseillère aux affaires humanitaires au sein de MSF Canada, rappelait, tout en soulignant l’intérêt de la coopération entre les Etats, les institutions internationales, les ONG et les acteurs locaux, le risque d’un « effacement des frontières entre humanitaire et politique ». Elle insistait sur le fait que « la condition de l’intervention humanitaire en temps de crises aiguës est sa capacité à maintenir une distance vis-à-vis des différents pouvoirs », et ce d’autant plus quand ce pouvoir est partie au conflit. Il serait naïf de croire que des acteurs appelés à coopérer se débarrassent de toute velléité concurrentielle. Coopérer oblige à disposer d’une vision stratégique approfondie, c’est-à-dire, pour reprendre l’image du tétraèdre stratégique de Richard Déry (Editions JFD, Montréal, 2009), professeur à HEC Montréal, à bien appréhender son environnement, à être capable d’adapter son organisation et à être au clair avec son identité.
Pour donner un autre éclairage sur le rôle des uns et des autres face à ce que l’on appelle la « crise migratoire » en Europe, on peut relire avec intérêt le discours du Premier ministre français sur l’accueil des réfugiés en France et en Europe, prononcé le 5 octobre 2015 à l’Assemblée nationale. Si le Premier ministre salue l’action du monde associatif, des ONG et des citoyens, et chiffre les moyens alloués par la France pour faire face à la crise, son discours porte en grande partie sur la réforme du droit d’asile, le contrôle des frontières, la politique active de retour, la lutte contre les filières et l’immigration irrégulière, les moyens à allouer aux forces de l’ordre à Calais et les effectifs de police et de gendarmerie. On peut alors comprendre les réserves que certaines associations émettent à l’action multi-acteurs.
Ne peut-on au moins souhaiter une meilleure coordination des acteurs du développement et de l’humanitaire ?
Le couple humanitaire/développement est ancien, parfois aimant, souvent séparé, toujours souhaité. Certaines ONG humanitaires, sans le dire pour autant expressément, ont fait un pas vers le développement en intégrant notamment des problématiques de sécurité alimentaire. En outre, il serait aberrant de dire que les acteurs du développement restent les bras croisés face aux situations d’urgence survenant sur leur territoire. Si l’on constate désormais l’existence de grosses ONG multi-mandats, d’aucuns plaident pour un continuum entre humanitaire et développement. Face aux situations humanitaires dans les sociétés du « Nord », les organisateurs de la 3e CNH ne préconisent-ils pas déjà dans leur questionnement « des réponses articulant mieux le court, le moyen et le long terme, en interpellant plus directement les acteurs du développement quant à leur rôle vis-à-vis des situations de fragilités ». Ce qui est plus étonnant, c’est la formulation retenue : appel à responsabilité face à un public fragile qui serait étranger au développement…
La conférence semble faire place aux acteurs locaux ?
On ne peut qu’être satisfait d’une initiative qui reconnaisse et favorise le rôle d’acteurs locaux dans le domaine humanitaire.
Si le monde humanitaire ne manque pas d’efficacité et dispose d’un système de valeurs, il a aussi ses symboles et ses croyances. Il reconnait des institutions (CICR), des chapelles (MSF), des hyperpuissances (Care), des justiciers puissants (OXFAM), mais plus rarement dans sa hiérarchie mentale des acteurs locaux capables de se prendre en charge. À chaque crise majeure, on reparle de résilience et on redécouvre les évidences. Ethnocentrisme refoulé ? Réalisme géopolitique et économique ? Les enjeux actuels, énumérés dans le document de problématique de la CNH, et notamment la situation de l’Europe face à l’afflux de réfugiés, y sont sûrement pour quelque chose.
Les NTIC et l’innovation seront abordés lors de la CNH. Quels enjeux représentent-ils pour le monde humanitaire ?
L’ambition de la CNH est de « savoir comment les organisation, les bailleurs et les gouvernements peuvent utiliser au mieux ces innovations et ces évolutions (…) pour plus d’efficacité au bénéfice des populations touchées par les crises ».
L’accroissement du recours aux NTIC va rendre le cyberespace humanitaire de plus en plus efficace. Plus il sera puissant, plus il deviendra un enjeu et plus il sera exposé à la cyberconflictualité. Les ONG, qui sont l’expression même de la démocratie mais qui sont en quête de leur cerbère-espace, pour reprendre l’expression de David Denis (« Cyberconflictualité : La France en quête d’un cerbère-espace », mémoire de recherche réalisé dans le cadre de l’école IRIS Sup’), seront de plus en plus confrontées à des tensions entre la cybersécurité et les valeurs qu’elles affichent dans leur Charte (transparence, etc.).
Action contre la Faim (ACF) et l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) présentent “GEOTALK, improving our world’s understanding” :
Conférence du 5 février 2016 avec Kader Abderrahim, chercheur à l’IRIS et spécialiste du Maghreb et de l’islamisme.
15 millions d’électeurs sont appelés à voter ce jeudi pour des élections législatives et présidentielle. Dans quel contexte se déroulent-elles et quels sont les enjeux ?
Le processus électoral se déroule dans le calme, même si l’environnement politique demeure tendu. C’est une élection très attendue par bon nombre d’Ougandais. La particularité de cette élection est l’enjeu de la participation de nouveaux électeurs. Il faut rappeler qu’au cours de la dernière élection présidentielle en 2011, environ 8 millions d’électeurs participaient au processus électoral pour 59% de suffrages exprimés. Cette fois-ci, ce nombre a remarquablement augmenté et quasiment doublé au cours de ces cinq dernières années, avec 7 millions de nouveaux électeurs. On parle aujourd’hui de 15 millions de votants potentiels. Cet enjeu est d’autant plus important que la majorité présidentielle est inquiète, même si tous les sondages confirment la position de leader et la réélection presque acquise de Yoweri Museveni. Mais si l’on prend en compte ce nouvel électorat, il faut être prudent sur l’ensemble des éléments avancés en termes de perspectives et d’issue définitive au scrutin. Il faut par ailleurs relever qu’en termes de population, ce sont environ 80% de jeunes ougandais âgés de 30 ans qui participent à ce processus électoral et qui n’ont connu qu’un seul président tout au long de leur vie. Il y a un besoin de changement. Aussi, si le principal candidat de l’opposition, Kizza Besigye, a mené une campagne qui a suscité à la fois l’intérêt et l’adhésion de la population, nous pouvons attendre de voir comment les choses vont se prononcer.
Quel bilan dressez-vous des 30 années au pouvoir du président Yoweri Museveni, à la fois sur le plan interne et international ? Est-il bien positionné pour briguer un cinquième mandat ?
Le bilan de Yoweri Museveni à la tête de l’Etat ougandais est mitigé mais globalement positif, notamment si l’on prend en compte les réalités qui ont présidé à sa prise de pouvoir. Ce dernier est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat qui a permis de mettre fin à quinze années de guerre civile, parfois ponctuées par des violences interethniques et interconfessionnelles. Mais le fait d’avoir pris le pouvoir et stabilisé le pays n’a pas eu que des résultats positifs. Il a profité d’un environnement politique très troublé pour durcir le système politique ougandais et ainsi éliminer de potentiels concurrents, ce qui fait que pendant longtemps, il n’y a pas eu d’ouverture politique conséquente en Ouganda. Sur le plan politique, on peut également mettre à son crédit le multipartisme et l’arrêt des hostilités interethniques et des violences interconfessionnelles. En tout état de cause, on peut voir qu’il a réussi à créer un environnement politique beaucoup plus stable.
Sur le plan sécuritaire, il a mis hors d’état de nuire une quinzaine de rébellions et a réussi à établir un climat de paix dans l’ensemble de son pays. Sur le plan économique, il a mené une bataille considérable, notamment en termes de construction d’infrastructures et de modernisation, même s’il faut rappeler les déséquilibres et les inégalités territoriales qui restent très persistantes en Ouganda. Le Nord et le Nord-Est du pays restent très sous-développés par rapport aux autres régions comme celles du Centre et de l’Ouest notamment. Selon les études menées par l’Enquête nationale auprès des ménages, le taux de pauvreté est de 5% pour la région du Centre, 9% pour la région de l’Ouest, 25% pour l’Est et 44% pour le Nord. Cette étude réalisée en 2012-2013 montre très bien l’inégale répartition des bénéfices qu’on peut accorder à Yoweri Museveni au cours de son administration. Il faut toutefois lui accorder quelques circonstances atténuantes, notamment dans la partie Nord du pays qui a été pendant longtemps sous la gouvernance sécuritaire du rebelle sanguinaire Joseph Kony et de son mouvement, l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Museveni est arrivé à stabiliser ces différentes régions mais il va maintenant falloir reconstruire l’entièreté du pays et réduire ces inégalités territoriales.
Ainsi, sur le plan interne, à la fois au niveau politique, économique et sécuritaire, Museveni a apporté au pays des réformes et des avancées considérables.
Sur le plan international, le président dispose d’une habilité diplomatique et d’une ouverture vis-à-vis de l’extérieur. S’il est au départ de formation marxiste, il s’est rapidement ouvert au libéralisme économique et a attiré les bonnes grâces de la communauté internationale. Les Etats-Unis ont vu en lui sa capacité à mettre en œuvre les recommandations formulées par le Fond monétaire international et la Banque mondiale. La mise en œuvre des recommandations du FMI et de la Banque mondiale a permis à son pays de continuer de bénéficier, jusqu’au cours des dernières années, de l’aide internationale à hauteur de 50 % du budget national. Museveni est un fin diplomate et un fin stratège qui est capable à la fois d’assurer sa stabilité politique, exerçant une fermeté à l’intérieur du pays en accordant moins d’ouverture politique vis-à-vis de l’opposition ou de la société civile, et de répondre aux attentes de la communauté internationale, notamment sur les grandes réformes structurelles en matière économique. Il faut aussi reconnaître que Museveni a longtemps bénéficié des foyers de tension dans la région : le génocide du Rwanda, la guerre en République démocratique du Congo, le Soudan qui ont particulièrement attiré l’attention de la Communauté internationale et absorbé les efforts de cette dernière.
En plus de ce bilan, qui est soutenable malgré la brutalité du régime, Yoweri Museveni peut compter sur la longue expérience de son parti, le Mouvement de résistance nationale (NRM), le soutien que lui apporte l’appareil de l’Etat et les ressources financières que ses concurrents n’ont pas pour être réélu à la magistrature suprême.
Quels sont les principaux défis à relever pour le pays ? Dans quelle mesure les résultats de ces élections peuvent impacter la fragile situation régionale ?
Yoweri Museveni a engagé un processus de développement en termes d’infrastructures et de renforcement des capacités de l’Etat, mais il reste des défis majeurs à relever, notamment dans le secteur de la santé et de l’éducation où un accent particulier devrait être mis. Les inégalités territoriales persistent entre le reste du pays et le Nord. Il va falloir, pour assurer l’équilibre et la cohésion nationale, renforcer le processus de développement dans ces régions afin de ne pas donner la possibilité aux ressortissants des localités d’avoir le sentiment d’être complètement à l’abandon.
On sait que l’environnement régional de l’Ouganda reste très instable au cours de ces dernières années. Le Soudan du Sud, qui partage les mêmes frontières avec l’Ouganda, n’est pas stabilisé et de très fortes violences armées subsistent au niveau de ces frontières. Le fait que la partie Nord et Nord-Est du pays soit sous-développée peut constituer un terreau favorable à des revendications sociales susceptibles de déboucher sur des actions armées, bénéficiant du soutien des groupes rebelles venant du Soudan du Sud. Les enjeux sont donc importants. Il faut réduire la pauvreté dans les zones rurales. En effet, si l’on parle d’avancées notables en matière de développement et d’indicateurs macroéconomiques en Ouganda, la pauvreté dans les zones rurales reste très importante et ces dernières sont très enclavées. Seules les régions du Centre, de l’ouest et les zones urbaines connaissent un développement fulgurant observable au cours de ces dernières années.
Sur le plan régional, il est nécessaire de revoir la diplomatie ougandaise. Si Yoweri Museveni se maintient au pouvoir, la diplomatie ougandaise ne pourra pas bouger les lignes fondatrices des questions sécuritaires dans la région, notamment au niveau du Burundi où la médiation du président ougandais a échoué, ce dernier n’étant pas accepté par les parties en conflit. Il n’a en effet pas le profil correspondant pour assurer la médiation au Burundi, lui-même s’accrochant au pouvoir, à l’instar de Pierre Nkurunziza, le président burundais. Museveni a été formé à la guérilla par des professionnels de l’insurrection au Mozambique, notamment les bras séculiers du Front de libération du Mozambique. Il a réussi à mettre hors d’état de nuire des régimes sanguinaires comme celui d’Idi Amin Dada ou de Milton Obote. Il a le profil d’un ancien chef de guerre et ne dispose pas de légitimité politique nécessaire pour peser dans les médiations notamment face à d’autres acteurs politiques de la région souhaitant se maintenir au pouvoir en violation des principes constitutionnels ou des accords de paix.