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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 2 months 2 days ago

Rapprochement Israël – Turquie : quels intérêts communs ?

Fri, 01/07/2016 - 10:50

Un accord synonyme de détente doit être signé entre la Turquie et Israël mercredi 29 juin à Rome. Quelles étaient les raisons de la brouille diplomatique entre les deux pays ? Les modalités de cet accord constituent-elles de réelles avancées ou seulement une réconciliation de façade ?

La raison principale de la tension importante entre l’Etat d’Israël et la Turquie remonte à 6 ans, presque jour pour jour. En mai 2010, une flottille de bateaux – dite « Flottille de la Liberté » – avait été affrétée par des organisations humanitaires turques avec l’objectif de participer à la levée du blocus mis en place à l’encontre de la bande de Gaza par les autorités israéliennes. Cette « Flottille de la Liberté », et notamment son navire amiral le Mavi Marmara, avait été pris pour cible par les commandos de l’armée israélienne qui n’ont pas hésité à attaquer des hommes et des femmes désarmés, transportant du matériel de reconstruction et des produits alimentaires vers la bande de Gaza. La brutalité de l’intervention a été telle que pas moins de 10 victimes, toutes turques et engagées dans l’humanitaire, furent à déplorer. A partir de là, des tensions extrêmement vives ont opposé les deux Etats, qui ont vu leurs relations se dégrader considérablement : de multiples invectives ont jalonné le dialogue entre les deux Etats et les échanges économiques se sont considérablement réduits. Pour autant, il n’y a pas eu de rupture diplomatique formelle, bien que le niveau de représentation diplomatique ait été restreint au niveau du deuxième conseiller de chacune des ambassades.

Depuis ce grave incident, la Turquie avait exprimé trois exigences dont des excuses de la part du gouvernement israélien. C’est chose faite depuis maintenant trois ans, puisque lors d’une visite en Israël, Barack Obama était parvenu à convaincre Benyamin Netanyahu de présenter ses excuses à l’ancien Premier ministre et désormais président turc, Recep Tayyip Erdogan. La deuxième requête, sur laquelle les tractations butaient depuis des mois, voire des années, portait sur l’indemnisation des victimes de cette attaque. Cela vient d’être accepté par les autorités israéliennes qui ont promis de verser 20 millions de dollars aux familles des victimes.

Ankara avait exprimé une dernière revendication : la levée du blocus à l’égard de la bande de Gaza. Sur cette question, les Israéliens sont restés intransigeants. L’accord entre Israël et la Turquie, dont les termes exacts ne sont pas encore publics, doit permettre à quelques navires d’accoster dans un port israélien pour des livraisons de matériel de reconstruction, de produits alimentaires et sanitaires en direction des populations de Gaza. Cela n’équivaut pas pour autant, loin s’en faut, à la levée du blocus mis en place depuis de nombreuses années par les autorités israéliennes. Une divergence de fond est donc maintenue.

Ce rapprochement diplomatique ne constitue pas cependant une réconciliation de façade. La satisfaction de deux requêtes sur trois démontre qu’il y a une réelle volonté commune, tant de la part des Turcs que des Israéliens, de normaliser leurs relations diplomatiques, politiques et économiques.

Benyamin Netanyahou a qualifié « d’immenses » les perspectives économiques offertes par cet accord. Dans quelle mesure les enjeux économiques et énergétiques ont contribué à rapprocher la Turquie et Israël ?

La Turquie est un pays dont l’économie demeure dynamique, avec des taux de croissance positifs oscillant autour de 4 %, bien qu’ils n’atteignent plus les 10 % enregistrés dans les années 2009-2010. Pour soutenir cette économie moderne et, sommes toute, relativement efficace au regard de la crise économique internationale, la Turquie a besoin d’hydrocarbures, une énergie qu’elle ne possède pas sur son territoire. C’est donc un enjeu vital du point de vue politique, économique et géostratégique. Il est donc indispensable pour la Turquie de nouer des partenariats avec un ensemble de pays susceptibles de les lui fournir. Les deux principaux pays qui l’alimentent en hydrocarbures sont la Russie – avec qui les relations ont été très tendues depuis que l’armée turque a abattu un avion russe le 24 novembre dernier malgré une volonté toute récente de dépasser cette situation – et l’Iran, dont les ambitions régionales pourraient à moyen terme accroître les jeux de rivalité entre les deux Etats. Les Turcs cherchent donc logiquement à diversifier ses fournisseurs d’hydrocarbures.

La découverte de gisements importants en Méditerranée orientale, qui concerne aussi bien Israël, que le Liban, l’Egypte et Chypre, constitue donc une opportunité pour la Turquie. Incontestablement, l’importance de ces gisements a permis à Israël de devenir un exportateur net d’hydrocarbures et notamment de gaz. Il est clair que le processus de réconciliation entre Tel Aviv et Ankara a donc aussi des racines économiques, dont la fourniture énergétique occupe une place importante. Pour autant, ce n’est pas le seul domaine économique qui pourrait faire l’objet d’échanges. Les Israéliens sont également performants en matière de hautes technologies, ce dont la Turquie a besoin pour moderniser son économie. Le renouveau des relations économiques prendra certainement différentes formes de partenariats, d’échanges et de contrats communs. Si le qualificatif « d’immense » employé par le Premier ministre israélien participe assurément à un élément de communication, les perspectives d’échanges économiques entre ces deux pays sont indéniables.

Quels intérêts géopolitiques communs ont la Turquie et Israël à renouer des relations diplomatiques plus sereines ?
Il y a toujours eu chez les dirigeants israéliens l’idée d’une « alliance de revers » contre les Etats arabes de la région, notamment avec la Turquie, et, avant la révolution islamique, avec l’Iran. La Turquie reste donc pour Israël un partenaire potentiellement très important. Même si les relations entre Ankara et Tel Aviv ont été entachées de crises diplomatiques, les gouvernements successifs israéliens ont toujours considéré avec un vif intérêt leurs relations avec la Turquie.

Pour leur part, les Turcs sont aujourd’hui dont une situation d’isolement diplomatique relatif, sensiblement lié à leur environnement géopolitique particulièrement conflictuel et contradictoire qui rend difficile l’élaboration d’une politique étrangère stable dans la région. Les dirigeants turcs considèrent donc qu’un rapprochement avec Israël participe à amoindrir cet isolement. Cependant, au regard de la situation régionale, et surtout de la politique israélienne vis-à-vis de la Palestine qui empêche tout dialogue digne de ce nom et qui provoque un fort rejet dans le monde arabe, il n’est pas certain qu’Ankara ait fait un bon calcul. Le réchauffement des relations avec Israël peut donc aussi bien avoir des avantages économiques que des désavantages géopolitiques. Les Turcs se sont engagés dans un jeu de balance délicat et il est probable qu’un certain nombre de pays arabes importants dans la région le leur reprochent.

La réconciliation turco-israélienne s’inscrit dans la volonté de ces deux Etats de peser sur leur environnement géopolitique. Reste à savoir si cette réconciliation est le meilleur moyen, pour chacun d’entre eux, de parvenir à stabiliser leurs relations avec les autres pays de la région.

Attentat d’Istanbul : « Erdogan a été complaisant avec Daech »

Thu, 30/06/2016 - 16:30

Comment expliquer cette vague d’attentats en Turquie ?
La situation s’est aggravée depuis juillet 2015, avec l’attentat de Suruç, près de la frontière syrienne. Il n’a jamais été revendiqué, mais a été attribué au groupe Etat islamique (EI). Le gouvernement turc a alors décidé d’engager une lutte résolue contre le terrorisme, mettant pour l’occasion l’EI et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) dans le même sac. Depuis, les opérations militaires visant le PKK sont les plus nombreuses et entraînent une réaction du groupe rebelle kurde ou de ses réseaux satellites. Mais le retournement d’Erdogan concernant l’EI a également eu des conséquences.

Le président Erdogan porte donc une responsabilité particulière ?
Oui, à deux niveaux. Depuis 2011, Erdogan a une obsession : renverser le régime de Bachar al-Assad. Il a pour cela fait preuve de complaisance à l’égard de Daech. Depuis 2015, cette complaisance a disparu, et le gouvernement turc veut démanteler l’organisation. Mais ce retournement a entraîné des représailles. Concernant les Kurdes, la stratégie d’Erdogan est complètement contre-productive. En relançant la lutte militaire contre le PKK, en en faisant l’ennemi public numéro un, il a voulu jouer la stratégie de la tension pour gagner les élections législatives de novembre dernier. La lutte contre le terrorisme doit être implacable, mais on ne peut pas mettre l’EI et le PKK sur le même plan. Ils n’ont ni la même histoire ni les mêmes objectifs politiques.

Que doit faire le gouvernement turc pour sortir de cette spirale ?
L’Etat turc doit continuer à prendre sa place dans la guerre contre le terrorisme de Daech, partager ses renseignements avec les autres pays, prendre part aux bombardements de la coalition. Concernant le PKK, la seule voie possible est de reprendre les négociations. La Turquie est également prise dans un paradoxe important, puisqu’en Syrie le parti kurde est l’adversaire le plus efficace de Daech et qu’il est soutenu notamment par la France et les Etats-Unis.

Une Turquie instable est-elle un danger pour l’Europe ?
L’Union européenne et la Turquie sont en négociation pour une adhésion turque depuis 2005. Ces négociations ont été gelées, ce qui à mon sens est une erreur. La Turquie a un rôle indispensable pour la stabilité régionale. L’UE a également compris que les barrières ne retiennent pas les migrants et qu’elle a besoin de trouver des accords avec la Turquie pour gérer les flux. Le problème est que l’Europe s’en rend compte au mauvais moment, quand Erdogan est en plein raidissement autoritaire. Mais malgré les atteintes aux libertés de plus en plus nombreuses, nous devons aider la Turquie et ne pas la laisser s’enfoncer dans l’instabilité.

Propos recueillis par Antoine Terrel

Secourir sans périr : quelle sécurité humanitaire à l’ère de la gestion des risques ?

Thu, 30/06/2016 - 11:37

Fabrice Weissman est coordinateur général à Médecins sans frontières. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage “Secourir sans périr” (CNRS Editions, 2016) co-dirigé avec Michaël Neuman :
– L’action humanitaire est-elle plus dangereuse que par le passé ?
– Comment trouver un juste milieu entre inaction et prise de risque démesurée ?
– La préoccupation sécuritaire a-t-elle modifié le travail humanitaire ?

Attentats à Istanbul : nouvelle démonstration de force du terrorisme ?

Wed, 29/06/2016 - 17:20

Dans la soirée du mardi 28 juin, un nouvel attentat a frappé l’aéroport d’Istanbul en Turquie. C’est la troisième fois qu’Istanbul est touché cette année. Pourquoi la Turquie semble être une cible prioritaire pour les terroristes ?

Plusieurs facteurs expliquent ce constat.

Un facteur géographique, tout d’abord, puisque la Turquie est située à proximité de zones de conflits, notamment la Syrie et l’Irak. La Turquie possède une frontière longue d’un peu plus de 900 kilomètres avec la Syrie, qu’il est impossible de contrôler de façon efficace et efficiente. Cette perméabilité offre la possibilité aux groupes terroristes de franchir la frontière pour venir commettre des attentats en Turquie.

La Turquie accueille actuellement 2,8 millions réfugiés syriens. Et si, bien évidemment, l’immense majorité de ces réfugiés sont totalement étrangers à des actes terroristes, on peut toutefois supposer qu’il existe au sein d’entre eux des cellules dormantes de l’Etat islamique capable d’organiser des attentats en Turquie.

Le troisième aspect, plus politique, porte sur les formes de complaisance entretenues pendant quelques temps par les autorités politiques turques à l’égard des groupes djihadistes combattant en Syrie, dans l’optique de renverser le gouvernement de Bachar al-Assad. Pour autant, on peut constater qu’une véritable lutte contre l’Etat islamique a été engagée par le gouvernement turc depuis le début de l’année 2015. Les services de sécurité, de renseignement et de police se sont effectivement mobilisés afin de démanteler les réseaux de Daech en Turquie.

La conjonction de ces trois facteurs nous permet de comprendre pourquoi la Turquie est la victime privilégiée d’attaques terroristes. Par ailleurs, en gardant la plus grande prudence quant au commanditaire de l’attentat à Istanbul qui n’a pas été encore revendiqué, il faut rappeler qu’une guerre sans merci est actuellement menée par les autorités turques contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Evidemment, personne à ce stade ne peut attribuer au PKK cet attentat, mais nous savons qu’il est devenu depuis juillet 2015 l’ennemi public numéro un en Turquie. Les pertes militaires infligées à cette organisation d’opposition kurde, qualifiée de terroriste, ont déjà entrainé plusieurs attentats revendiqués par le PKK ou des entités affiliées au PKK, comme les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK).

Tous ces facteurs conduisent à dessiner un environnement trouble et complexe. Face à cela, les autorités turques, même si elles ont pu commettre des erreurs à un moment donné, constatent que la lutte contre l’hydre terroriste est singulièrement difficile et compliquée. Les Français, qui sont pourtant plus loin des théâtres d’opérations djihadistes, sont bien placés pour le savoir.

Le président Recep Tayyip Erdogan a appelé à une lutte commune avec les Occidentaux contre la mouvance terroriste. Après s’être réconciliée avec Israël, et avoir esquissé un rapprochement avec la Russie, la Turquie tente-t-elle de normaliser ses relations et de s’affirmer comme un partenaire fiable dans la lutte anti-terroriste ?

Cela ne date pas d’aujourd’hui. La Turquie a toujours considéré qu’il était nécessaire d’organiser un front commun contre les organisations terroristes. Il y a évidemment dans cette déclaration un aspect de communication politique, qui s’inscrit dans le contexte de l’attentat d’Istanbul fortement chargé émotionnellement, mais on ne saurait reprocher au président turc d’appeler à une lutte commune légitime avec les Occidentaux, contre les mouvances terroristes.

Depuis maintenant plusieurs semaines, les autorités turques ont exprimé leur volonté de normaliser leurs relations parfois tendues avec certains pays. Il s’agit tout d’abord de l’Etat d’Israël avec lequel a été acté un processus de réconciliation après 6 ans de turbulences. Par ailleurs, suite aux vives tensions qui ont émergé avec la Russie depuis la destruction d’un avion russe par la Turquie, M. Erdogan semble visiblement vouloir calmer le jeu et reprendre des échanges raisonnés avec Vladimir Poutine.

Ces deux inflexions diplomatiques s’inscrivent dans le sillage d’une politique volontariste de la Turquie, qui connait une phase de relatif isolement politique, afin de normaliser ses relations avec ses partenaires régionaux et internationaux. On peut souhaiter que cela ouvre des perspectives positives dans la lutte anti-terroriste, mais également dans la reformulation de la politique régionale de la Turquie.

Géopolitique du tourisme en Méditerranée

Wed, 29/06/2016 - 14:46

Un an après l’effroyable attaque terroriste de Daech à Sousse, le secteur du tourisme tunisien demeure sous le choc. Durant le premier semestre de l’année 2016, environ 1,82 million de touristes se sont rendus en Tunisie, soit une baisse de 21,5% par rapport au premier semestre 2015. Une tendance alarmante compte tenu du poids de ce secteur dans l’économie nationale : pourvoyeurs d’emplois, le tourisme représente traditionnellement 7 % à 8 % du PIB de la Tunisie et constitue une source indispensable de devises.

En réalité, c’est l’ensemble des activités touristiques de la rive sud de la Méditerranée qui est affecté par les conséquences des soulèvements populaires nés en 2011. Si cette séquence historique est aussi l’occasion de s’interroger sur le modèle de développement de ce secteur stratégique pour des pays comme la Tunisie, l’Egypte ou le Maroc, les acteurs économiques demeurent dans l’expectative.

Le tourisme n’échappe ni au contexte national ni à l’environnement régional– marqué par de fortes sources d’instabilités– dans lequel il s’inscrit. Au contraire, il s’agit d’un secteur fortement dépendant des données géopolitiques locales et globales. Les rivalités économiques, commerciales, sociales et culturelles auxquelles donnent lieu le développement des activités touristiques sur des territoires donnés– en particulier en Méditerranée– attestent de sa dimension foncièrement géopolitique. Par exemple, l’essor du tourisme de masse (le nombre de touristes a encore progressé de 4% en 2015*) a participé à l’actualisation des rapports Nord-Sud, tout en nourrissant l’idéologie islamiste. Manifestation visible et spectaculaire de la globalisation, l’explosion du secteur contribue à la reconfiguration de la carte du monde.

Particulièrement symbolique de la Méditerranée, le tourisme est une activité qui– même si elle n’est pas récente– a fait florès sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Le secteur draine un tiers des flux mondiaux, grâce à une nature, un patrimoine historique, architectural et culturel exceptionnels. La Méditerranée est encore aujourd’hui la principale région touristique du monde (B. Kayser, 2001). Le bassin méditerranéen reste en effet la principale destination touristique mondiale. Les activités de services et les emplois liés au secteur pèsent dans la vie économique et sociale des îles et zones/régions littorales (voir le cas de l’Espagne de la Grèce ou de la Tunisie).

Ce tourisme méditerranéen se caractérise néanmoins par sa très forte concentration autour de quelques sites naturels ou culturels, qui ont bénéficié d’investissements lourds, comme l’attestent le développement d’infrastructures et de complexes hôteliers. Outre les pôles d’activités touristiques traditionnels du pourtour méditerranéen, les Balkans présentent de nouvelles offres/destinations, et ce grâce notamment aux investissements privés de fortunes russes qui tentent d’exploiter l’environnement naturel exceptionnel de la région (littoral et îles de Croatie, mais aussi stations balnéaires bulgares).

Cependant, un lent déclin semble se dessiner pour la destination méditerranéenne, sur fond de montée en puissance de nouvelles destinations touristiques (Pacifique, Asie du Sud-Est, Caraïbes, …), de l’instabilité et de l’insécurité sur les rives Sud et Est (en 2015, l’activité a reculé de 8% en Afrique du Nord*), sur fond d’impératifs structurels tels que la nécessité de lourds investissements (difficiles à attirer en temps de crise), le renouvellement de l’offre des produits touristiques et surtout du modèle du tourisme balnéaire de masse…

De plus, le développement parfois anarchique de l’activité touristique (exemple du littoral bétonné en Espagne et contre-exemple de la sauvegarde du littoral corse) a un coût pour l’environnement en général, et pour les écosystèmes littoraux, en particulier. La perspective d’un changement climatique représente ici plus qu’ailleurs un défi majeur pour ce secteur confronté à des problèmes aigus en matière de consommation et de gestion de l’eau et d’énergie. Le tourisme durable est l’avenir de ce secteur en Méditerranée comme ailleurs. Il en va de sa pérennité.

Assassinats de Magnanville : « Notre systèmes est débordé, inefficace, ou les deux… »

Wed, 15/06/2016 - 16:58

Pourquoi pouvait-on s’attendre à ce type d’attaque ?
Ce n’est pas du tout une surprise : Daech appelle depuis longtemps à prendre des initiatives comme celle-ci. Les djihadistes prétendants qui ne peuvent pas aller combattre en Irak ou en Syrie sont appelés à s’attaquer à des cibles avec ce qu’ils ont sous la main, et même avec des cailloux, un couteau ou une voiture. D’autre part, les policiers et magistrats font partie depuis quelques mois déjà des cibles importantes et enfin, Daech avait fait un communiqué disant qu’il fallait intensifier les attentats pendant la période de ramadan.

Le ramadan n’est-il pas censé être une période d’accalmie, d’introspection ?
C’est une période où l’on est censé se rapprocher du Créateur, mais selon votre interprétation de l’islam, vous serez dans une période pacifique ou au contraire dans une période où il faut combattre encore plus vigoureusement les ennemis de l’islam.

Comment peut-il avoir choisi sa cible ?
C’est du djihad de voisinage. Le terroriste vivait à quelques kilomètres du commissariat de ce policier. On va peut-être découvrir qu’ils se connaissaient, peut-être que le policier est intervenu dans l’une des affaires judiciaires de ce jeune homme. On voit de plus en plus dans ce djihadisme amateur, c’est-à-dire non organisé, des cibles faciles et une cristallisation autour d’obsessions personnelles, un défoulement au travers d’attentats. À titre d’exemple, celui qui a tué des homosexuels dans la discothèque en Floride avait visiblement un problème avec sa sexualité.

Ce jeune terroriste avait été condamné pour avoir été impliqué dans une filière de djihadistes, il avait plusieurs fiches S, et il était sur écoute judiciaire. Comment peut-on passer à côté de ce genre d’actes ?
Il avait le profil parfait comme Merah, comme les Kouachi et Coulibaly, avec tous un dossier. Tout d’abord les peines de prison qui leur avaient été infligées étaient clémentes, et puis très diminuées grâce aux réductions de peine. Par exemple, Larossi Abballa avait ouvert un snack à Mantes-la-Jolie, on a donc considéré qu’il était réintégré ! D’autre part, il y a trop de fiches S (pour sûreté de l’État), elles ont été bien établies, mais le problème c’est qu’on n’a pas les analystes qui sont capables de décider parmi ces milliers de fiches quels individus sont vraiment dangereux. C’est bêtement quantitatif, il y a trop de candidats potentiels et donc dès qu’ils racontent l’histoire de la réintégration qu’on veut entendre et qu’ils se tiennent à carreaux quelques temps, la surveillance se relâche. À la décharge des policiers, on n’a pas les moyens de suivre pendant des années ceux qui ne sont plus dans les radars.

Visiblement, les mesures prises dans le cadre de l’État d’urgence n’ont pas fait leurs preuves…
Certes on ne sait pas combien d’attentats on a évité mais ça fait déjà 7 mois et on n’a pas l’impression que cela a beaucoup augmenté notre capacité de renseignements et de repérage des éléments dangereux. Soit notre système est débordé, soit il est inefficace. Ou les deux…

Est-il possible que certains criminels donnent une teinte terroriste à des homicides « classiques », simplement pour en augmenter leur retentissement ou pour aller au paradis?
Ces gens ont des haines personnelles et s’ils peuvent satisfaire leur appétit de vengeance tout en ayant la certitude d’aller au paradis, ça peut pousser encore davantage au passage à l’acte, mais là on est dans un secret qu’on ne pourra jamais connaître…

Que cela soit à 100% religieux ou pas, pour l’État Islamique c’est tout bénéfice…
En effet, parce qu’ils sont à la fois capables d’envoyer des commandos très organisés comme au Bataclan, et en même temps ils donnent un feu vert à tous ceux qui ont un appétit de violence en leur disant « Allez-y les gars, ne nous demandez même pas d’instructions ». Mais je trouve quand même que pour cet acte, et celui d’Orlando, l’agence de presse de l’EI a réagi très vite. Donc soit ils sont en veille toute la journée sur les dépêches d’agences de presse du monde entier et ils revendiquent le moindre fait qu’ils peuvent s’attribuer avec un investissement quasiment nul, soit ces gars-là, sans agir sur instructions, doivent avoir un correspondant à qui ils disent qu’ils vont agir incessamment sous peu…

Entretien réalisé par Romain Capdepon

[GEOTALK] République centrafricaine : quels défis pour le nouveau gouvernement ?

Wed, 15/06/2016 - 11:03

Action contre la Faim (ACF) et l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) présentent “GEOTALK, improving our world’s understanding” :
Conférence du 26 mai 2016 avec Didier Niewiadowski, ancien conseiller de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France à Bangui. Introduction de Segolen Guillaumat, adjointe du Directeur des opérations pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest à Action contre la Faim.

Tuerie de masse à Orlando : quelles conséquences politiques ?

Wed, 15/06/2016 - 09:11

Une fusillade historique a ensanglanté la Floride samedi soir. Alors que l’assaillant a revendiqué, avant sa mort, à la fois une homophobie prononcée et une allégeance à l’Etat islamique, comment peut-on analyser cette nouvelle tuerie de masse ? Peut-on comparer le traumatisme à celui subi par les Américains suivant les attentats du 11 septembre 2001 ?
Le 11 septembre était une attaque sur le sol américain mais conçue à l’étranger, venue de l’extérieur et vue comme telle par les Américains. En tant que première agression sur le territoire des Etats-Unis depuis la guerre de 1812 (ou du moins depuis Pearl Harbour en 1941), ces attentats représentaient un choc au système. Maintenant, les Américains font face à un problème plus complexe et plus grave : the enemy within, l’ennemi chez soi.
La fusillade d’Orlando représente une combinaison de trois problèmes : le port d’armes à feu, les clivages de la société américaine et la panique engendrée non pas autant par les événements du 11 septembre que par les réactions américaines à ces événements.

Le mode opératoire d’Omar Mateen, qualifié de loup solitaire ou de terroriste mimétique, ne risque-t-il pas d’entraîner les Etats-Unis dans une nouvelle surenchère sécuritaire et paranoïaque ?
La surenchère sécuritaire et paranoïaque, qui a caractérisé l’après 11 septembre, était dirigée contre un ennemi externe. Mais à l’intérieur, l’ennemi n’est pas visible. Un terroriste mimétique, que Daech peut se vanter d’avoir recruté, est inidentifiable au sein de la société. Dans ce cas-là, la problématique est bien plus proche de celle posée par les assaillants du Bataclan en France.
Mais pire, par comparaison aux attentats de Paris ou de Bruxelles, il y a même encore moins de certitude quant à la radicalisation et au recrutement d’un djihadiste mimétique. Il n’a pas besoin de partir en Syrie, il peut être converti à la cause sur internet, le rendant particulièrement difficile à détecter. Par conséquent, tous les excès sécuritaires américains — des policiers, des militaires, des services de renseignement — mis en place depuis le 11 septembre n’auront presque aucun effet sur ce type de carnage à l’avenir sur le territoire des Etats-Unis, à moins d’instaurer une surveillance 7/7 et 24/24 de tous les citoyens, ce qui existe partiellement déjà.

Alors que l’émotion est encore très vive, de nombreuses pétitions ont vu le jour pour demander un meilleur contrôle des armes à feu. Ce sujet, qui oppose vivement Hillary Clinton et Donald Trump, peut-il devenir un enjeu majeur de la campagne présidentielle ?
La sécurité sur le sol américain deviendra probablement un enjeu majeur de la campagne présidentielle mais la fameuse question de la fabrication, de la vente et du port des armes à feu relève essentiellement de la compétence du Congrès. Les membres de celui-ci, on le sait, perçoivent de l’argent abondamment fourni par les fabricants et les distributeurs d’armes à feu et ils obéissent à leurs payeurs. Il serait très difficile, même pour Hillary Clinton, d’avoir une influence directe sur le dossier. L’opposition entre Hillary Clinton et Donald Trump se fera davantage sur l’image et l’attitude, Madame Clinton cherchant à paraître présidentielle et réconciliatrice et Monsieur Trump déterminé à revêtir l’uniforme d’un leader fort, n’hésitant pas à mettre en cause des individus et des groupes, jusques et y compris le président Obama lui-même, et de capitaliser sur les angoisses, semer la peur et ainsi recruter des électeurs.

OTAN/Russie : vers un accroissement des tensions ?

Mon, 13/06/2016 - 10:28

L’OTAN mène depuis le lundi 6 juin l’opération « Anaconda », son plus grand exercice militaire depuis la fin de la guerre froide. Dans quel contexte géopolitique cette manœuvre s’inscrit-elle ? Quel est le message adressé à la Russie ?
Nous sommes dans une période de tensions accrues entre la Russie et les pays occidentaux depuis le début de la crise ukrainienne en 2014. Le référendum organisé en Crimée, hors des règles constitutionnelles, qui a conduit au rattachement de cette province ukrainienne à la Russie, et le conflit armé qui a été déclenché entre l’Ukraine et les rebelles de la région du Donbass, opposés au pouvoir central de Kiev et appuyés par les Russes, participent à ce regain de défiance.
Ces manœuvres se déroulent un mois avant le Sommet de l’OTAN, prévu début juillet à Varsovie. Elles ont pour objectif d’envoyer un message dissuasif en direction de la Russie, et de décourager les Russes de tenter une action militaire directe – très peu probable – ou du moins d’utiliser des moyens de guerres hybrides contre des pays de l’OTAN, les Pays baltes ou la Pologne. Mais le message n’est pas seulement destiné à la Russie. C’est aussi un message de réassurance vis-à-vis de la Pologne et des Pays baltes, inquiets de ce qu’ils considèrent comme une résurgence de la menace. Ce message est au moins aussi important que le premier.

Le renforcement du système de défense anti-missile en Roumanie, et bientôt en Pologne, constitue-t-il une menace pour la Russie ? Quelle est la stratégie américaine ?
Le projet de défense anti-missile date de la fin des années 90. À cette époque, les Américains avaient imaginé un système de défense qui puisse les protéger face à des pays proliférants et contre des tirs de missiles balistiques en nombre limité. Le projet a été repris par l’OTAN en 2005. En 2009, le système de défense anti-missile européen a été révisé par le président américain Barack Obama en faveur d’un déploiement en plusieurs étapes de la défense anti-missile, privilégiant d’abord la protection contre les missiles à courte et moyenne portée. La protection contre les missiles à plus longue portée, celle qui inquiète les Russes, devait venir ensuite.
Initialement, même si ce n’était pas écrit dans les textes et notamment dans le concept stratégique de l’OTAN de 2010, le bouclier anti-missile en Europe visait essentiellement le risque d’une prolifération balistique et nucléaire en Iran.
Il est vrai que, désormais, depuis l’accord sur le nucléaire de juillet 2015 avec l’Iran qui a permis de stopper le phénomène de prolifération en Iran, la défense anti-missile européenne a perdu de son intérêt. Or, le projet continue à être développé. Un nouveau stade d’opérationnalité sera d’ailleurs proclamé lors du prochain sommet de l’OTAN. Cela inquiète vivement les Russes. La Russie avait d’ailleurs engagé des négociations avec l’OTAN, et plus spécifiquement avec les Américains, pour être intégrée au projet de défense anti-missile afin d’avoir l’assurance qu’il n’était pas dirigé contre ses forces de dissuasion nucléaire. La révision du projet par Barack Obama en 2009 avait d’ailleurs pour objectif de limiter dans un premier temps le déploiement de la défense anti-missile aux instruments qui ne sont pas susceptibles de menacer la Russie. Mais aujourd’hui, les SM-3 Block IB qui seront déployés en Roumanie peuvent intercepter des missiles à plus longue portée, ce qui inquiète les Russes.
Il y a donc deux éléments à prendre en considération. Effectivement, les Russes perçoivent le bouclier anti-missile européen comme une menace dans la mesure où il pourrait, un jour ou l’autre, intercepter les missiles de la force de dissuasion nucléaire russe. Si les Russes ont donc le sentiment de voir leur protection être affaiblie, il ne faut pas voir pour autant le système de défense anti-missile comme étant dirigé uniquement contre la Russie. En effet, ce projet initialement porté par les Américains, et ensuite adopté par l’OTAN, a une portée qui va au-delà de l’Europe : il s’agit pour les Etats-Unis de se protéger de frappes nucléaires limitées sur l’ensemble de la planète. Les mêmes éléments de défense anti-missile sont déployés en Asie avec des frégates AEGIS, au Japon, tandis que les Etats-Unis encouragent les Indiens à se doter d’un bouclier antimissile et vendent des systèmes de défense élargis à tous les pays du Proche-Orient. C’est donc bien un projet qui vise à couvrir l’ensemble de la planète face aux pays potentiellement proliférants mais qui par ricochet tend à affaiblir la protection des pays qui disposent de l’arme nucléaire et qui ont développé ces armes dans une logique dissuasive.

Les incidents militaires entre la Russie et les Etats-Unis en Mer baltique préfigurent-ils un accroissement des tensions cet été, alors que l’OTAN tiendra son Sommet annuel à Varsovie, et que la Suède et la Finlande se rapprochent de l’Alliance ?
Dans cette période de tension, il est certain que les Russes testent la défense des pays européens. On l’a notamment vu lorsque la Russie a déployé des bombardiers en Syrie, et a étonnamment privilégié un parcours longeant les frontières des pays membres de l’OTAN avant de se déployer en Syrie, ce qui n’était pas forcément nécessaire. C’est une façon de tester les réactions de l’Alliance atlantique. L’OTAN répond de son côté par des manœuvres militaires afin de ne pas céder à ces intimidations.
Mais, parallèlement, le Conseil OTAN / Russie, une structure de dialogue créée à la fin des années 90 et qui ne s’était plus réunie depuis la crise en Crimée, a de nouveau tenu une réunion il y a deux mois. Il y a donc des canaux de discussion qui existent entre l’OTAN et la Russie et qui ont été rétablis. Il y a également le format Normandie (France, Allemagne, Ukraine, Russie) qui permet d’entretenir ce dialogue.
Le Sommet de l’OTAN à Varsovie sera l’occasion pour l’organisation de réaffirmer la réassurance vis-à-vis des Pays baltes et de la Pologne. Il est également probable que les canaux de communication avec la Russie soient développés car ce Sommet de l’OTAN, symboliquement situé en Pologne, devrait se traduire par une période de tension accrue entre les protagonistes.
Concernant la Suède, il faut rappeler que ce pays a privilégié une posture de neutralité armée durant la Guerre froide. Son rapprochement vis-à-vis de l’Alliance atlantique est progressif depuis la chute de l’Union soviétique. La perception de la résurgence de la menace russe contribue à accélérer le rythme de rapprochement de la Suède et de la Finlande avec l’OTAN.

Brexit : « La France a sa part de responsabilités dans le détricotage de l’UE »

Sun, 12/06/2016 - 16:28

La campagne en faveur du Brexit a si bien résisté, qu’elle est à égalité avec le camp du maintien dans l’UE. Pourquoi ?
D’abord parce que le camp du Brexit a joué sur le mythe de la grandeur du Royaume-Uni. Même si le petit-fils de Churchill appelle à voter pour le maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE, ceux qui ont la nostalgie de l’époque de son grand-père, les personnes âgées, modestes, les gens les moins éduqués ont tendance à se mobiliser pour voter, contrairement aux jeunes et aux électeurs des milieux favorisés. Ensuite, parce que, comme en 2005 en France, les électeurs veulent profiter de ce référendum pour protester contre le leadership de David Cameron. Enfin, parce que la presse europhobe est majoritaire en Grande-Bretagne et qu’elle est lue par des millions de gens qui jouissent davantage d’un sentiment de supériorité en Afrique ou en Asie, là où l’ex-empire rayonnait, plutôt qu’en Europe où ils n’aiment pas être sur un pied d’égalité.

N’est-ce pas aussi parce que David Cameron a fait une mauvaise campagne ?
Après avoir fait un mauvais choix, celui d’organiser ce référendum, il a fait une très mauvaise campagne. Entre la nostalgie de l’empire que j’évoque, les rivalités de politique intérieure et les vrais enjeux de l’avenir de l’Union européenne, il aurait dû comprendre qu’à toutes ces interrogations on ne peut pas répondre par oui ou par non. En outre, après avoir négocié avec Bruxelles un mini-Brexit en cas de maintien dans l’UE, il a littéralement pataugé pour convaincre des conséquences néfastes d’un maxi-Brexit.

Ne craignez-vous pas qu’en cas de victoire du Brexit il y ait un effet domino dans les autres pays tentés par une sortie de l’Europe ?
Non, le risque est davantage celui d’un détricotage de l’UE et la France y a sa part de ­responsabilité. Elle a été le moteur de l’Europe depuis le 9 mai 1950 et la déclaration Schuman, mais elle a cessé de l’être après la victoire du non au référendum de 2005. Si à l’époque elle avait relancé une Europe à deux vitesses, le référendum britannique n’aurait peut-être pas été initié. Aujourd’hui, c’est à la France de refonder ces deux cercles : l’un autour de la zone euro vers plus d’intégration économique et politique, mais sans laisser tomber le second. Pour ceux qui ne peuvent ni ne veulent entrer dans le noyau dur de l’UE, il faudrait parfaire le marché unique et embellir le projet sur les valeurs afin que chacun se sente plus à l’aise dans la grande famille européenne.

Propos recueillis par François Clémenceau

Quelle légitimité pour le nouveau président du Pérou ?

Fri, 10/06/2016 - 17:08

Le candidat de centre-droit Pedro Pablo Kuczynski (PKK) n’a jamais été aussi proche d’être élu président du Pérou, mais avec très faible légitimité face à sa rivale Keiko Fujimori qui a obtenu 49, 88 % des voix. Comment expliquez-vous ces résultats et une telle fracture dans le pays ?
Pour l’heure, le résultat semble effectivement donner la victoire à Pedro Pablo Kuczynski (PKK), quatre jours après l’élection. Il a donc fallu beaucoup de temps pour arriver à déterminer le gagnant de cette élection présidentielle, l’une des plus disputée de l’histoire du Pérou. En effet, la différence sur les 17 millions de votes exprimés est seulement de 40 000 voix (0,12 %).
Pourquoi un résultat aussi serré ? Certainement parce que le vote en faveur de PKK n’était pas un vote d’adhésion mais un vote d’opposition à Keiko Fujimori. Une majorité de Péruviens a exprimé son hostilité au système Fujimori, qui comprend aussi bien la fille que le père, ancien président actuellement en prison pour violation des droits de l’Homme et de la Constitution du Pérou. Les Péruviens sont nombreux, même parmi ceux qui ne partagent pas les idées de PKK, à avoir décidé de faire barrage. La candidate arrivée en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle, Veronika Mendoza, qui avait obtenu 19 % des suffrages et avait défendu le seul programme alternatif de centre-gauche, a ainsi appelé ses électeurs à empêcher le retour du système Fujimori et donc à voter PKK.
Cela explique la victoire surprise du candidat Kuczynski, qui était loin derrière sa rivale au premier tour – 21 % contre 38 % – et qui, 10 jours avant les élections, semblait n’avoir aucune chance d’être élu. Il y a donc eu une forte mobilisation des opposants au système Fujimori, qui avait conduit le Pérou au bord d’un conflit civil. Cependant, en raison de l’écart très faible entre les deux candidats, des recours restent possibles, exigeant le recompte d’un certain nombre de bulletins.

Quel est le programme et le positionnement international du probable nouveau président du Pérou dans un pays profondément divisé ? Alors que l’élection législative donnait parallèlement la victoire au parti de sa rivale Keiko Fujimori, PKK est-il en capacité de gouverner ?
Le Pérou est certes polarisé, mais cela est un peu moins vrai si l’on regarde la politique économique privilégiée par le nouveau président, très proche de celle défendue par sa rivale Keiko Fujimori. Le Pérou est intégré et ouvert sur le monde occidental, les Etats-Unis, le Pacifique et l’Europe. C’est l’un des pays membres de l’Alliance du Pacifique. Il participe à la Coopération économique pour l’Asie Pacifique (APEC). Il a signé des accords de libre-échange avec les Etats-Unis et l’Union européenne. Ce positionnement ne fait pas l’objet de divergence entre le président élu et la candidate malheureuse. Le consensus est réel en matière de politique économique, que ce soit à propos de l’ouverture sur les marchés internationaux ou de la poursuite de la politique minière.
Seule nuance remarquable dans ses premières déclarations en tant que candidat quasiment élu, PKK a signalé que sa priorité serait asiatique et que son premier déplacement se déroulerait en Chine. Cela est tout à fait cohérent avec la situation de l’économie péruvienne qui, ces dernières années, est devenue beaucoup plus dépendante des partenaires asiatiques, en particulier de la Chine, et beaucoup moins des Etats-Unis et de l’Europe.
Il faut toutefois remarquer que le futur président ne possède que 18 députés sur 130 au Congrès, contre 73 pour sa rivale qui a donc la majorité des sièges. La gauche, dont 20 représentants ont été élus, a annoncé qu’elle serait dans l’opposition dans la mesure où son appel à voter pour PKK était seulement motivé par le rejet de Keiko Fujimori. Au-delà de la politique économique un différend supplémentaire pourrait apparaitre à propos d’une éventuelle amnistie de l’ancien président Fujimori, actuellement en prison. Cela pourrait fait l’objet d’une demande de la part de Force Populaire, le parti fujimoriste, d’autant plus qu’il existe une querelle au sein de la famille Fujimori : le frère de Keiko Fujimori, partisan du secteur le plus radical du parti, a ainsi signalé que si sa sœur était battue, il prendrait les rênes du parti pour être candidat aux prochaines élections présidentielles, notamment pour exiger l’amnistie de son père.

Quels sont les défis que le Pérou devra relever à l’avenir ?
Le défi du Pérou est celui de tous les pays d’Amérique latine qui ont centré leur développement économique sur l’exportation de matières premières brutes, minérales, énergétiques, agricoles, etc. Le Pérou, qui a fait le pari de ne pas simplement s’orienter vers un ou deux partenaires, a mieux résisté que ses voisins équatorien, chilien et brésilien, et peut donc se targuer d’avoir un taux de développement relativement honorable.
Cependant, deux problèmes se posent au Pérou. Le défi des inégalités et la capacité de former un consensus quant au développement des activités minières qui se font souvent au détriment de zones naturelles protégées, ou dans des régions habitées par des communautés indigènes qui ne sont pas toujours consultées par les autorités. On assiste d’ailleurs depuis une dizaine d’années à des affrontements violents – certains ayant causé plusieurs dizaines de morts – entre la police et les autorités gouvernementales favorables aux exploitations minières, et les communautés indigènes qui entendent à la fois protéger leur milieu naturel et éventuellement profiter de la manne financière des ressources minières qui leur échappent pour l’essentiel.

Euro 2016 : les enjeux pour la France

Fri, 10/06/2016 - 16:24

L’Euro 2016 s’ouvre aujourd’hui. Les enjeux sont multiples et la réussite – ou l’échec – de cette compétition, que ce soit en termes sportifs ou organisationnels, aura nécessairement un impact sur le rayonnement de la France.

Le premier enjeu est d’abord sportif ; il ne faudrait pas l’oublier. L’Euro est avant tout une compétition sportive. L’équipe de France et les Français souhaitent donc que les Bleus aillent le plus loin dans la compétition, et pourquoi pas la gagner même si, bien sûr, on ne le dit pas – encore – ouvertement. Cet espoir est cependant très perceptible. On sent également un souffle nouveau dans cette équipe. Tout cela se traduit par un fort soutien populaire ; cela n’avait plus été le cas depuis longtemps. Le tournant date de la victoire spectaculaire de la France face à l’Ukraine en novembre 2013, ainsi que du bon parcours des Français au Brésil en 2014, qui ont perdu de justesse face au vainqueur de la Coupe du monde. Le nouveau sourire de cette équipe de France, qui a retrouvé un lien très fort avec les Français, fait plaisir à voir, et on ne demande qu’à ce qu’il s’élargisse.  Et à recréer des moments de joie collective qui manquent cruellement.

Le deuxième enjeu est sécuritaire. Des dispositifs draconiens sont adoptés dans un contexte de menace terroriste, qui n’est d’ailleurs pas propre à la France. Même le Brésil, dont la situation stratégique est très différente de celle de la France, va déployer un dispositif pour les Jeux olympiques (JO) de Rio qui n’est pas loin d’égaler le dispositif français à l’échelle nationale, et ce pour une seule et unique ville ! Bien entendu, des menaces spécifiques pèsent sur la France. Cette dernière a pris toutes les mesures nécessaires et possibles. Mais aujourd’hui, tout évènement sportif mondialisé attire les terroristes, dont le but premier est de communiquer, attirer les médias pour frapper les esprits. Ces grands évènements ultra-médiatisés sont donc des occasions rêvées. En même temps, on peut s’interroger sur leur place accordée dans les médias : cela ne contribue-t-il pas à créer un climat anxiogène ? Y-a-t-il des risques ? Oui. Mais il y en a également quand on prend sa voiture ou l’avion ou dès que l’on sort de chez soi. Les risques ne doivent pas nous empêcher de vivre : c’est ce que recherchent nos ennemis.

Le troisième enjeu concerne l’image de la France dans le monde. Il est important d’envoyer un message positif : oui, la France peut accueillir un évènement qui rassemble des millions de visiteurs. Sur 2,5 millions de billets, 1,5 million ont été vendus à des étrangers, qui n’ont pas annulé leur participation suite aux attentats du 13 novembre 2015. Il y a donc un enjeu touristique considérable. Évidemment, il faudra que les touristes étrangers soient bien reçus, dans des conditions dignes de ce nom.

Le quatrième enjeu interroge l’équipe de France, en tant que reflet de la société. La question de l’intégration a soulevé beaucoup de questions. La non-sélection de Benzema et de Ben Arfa a fait débat : beaucoup ont avancé que leurs origines maghrébines avaient justifié cette décision et certains ont même mis en cause personnellement le sélectionneur, Didier Deschamps, pour cela. Le mythe « black-blanc-beur » serait ainsi ruiné. Je crois qu’il faut resituer cet ensemble de questions dans un contexte plus général. Dire qu’il y a du racisme en France et que de nombreuses voix – pour des motivations racistes – se sont élevées pour que Benzema ne soit pas retenu est une réalité. Ce n’est pas pour cela que D. Deschamps, qui a prouvé tout au long de sa carrière qu’il était hermétique voire hostile au racisme, n’a pas sélectionné Benzema. Il a souhaité offrir un équilibre au sein des 23 et préparer une bonne ligne d’attaque.  Il est donc injuste de l’accuser de racisme. Les responsables politiques qui ont vivement applaudi à cela n’ont pas rendu service à l’équipe de France, pas plus que K. Benzema qui ne s’était jamais signalé auparavant dans la lutte antiraciste, contrairement à des joueurs comme Lilian Thuram lorsqu’il était en activité. Est-ce que cela vient casser l’intégration ? On voit bien que non. L’équipe de France est diverse. Il faut d’ailleurs se rappeler à propos du mythe « black-blanc-beur » que seul Zidane était parmi les « beurs ». Au sein des 22 sélectionnés de 1998, il y avait beaucoup de blancs et de blacks et un seul « beur » : Zidane. Aujourd’hui, il y a Rami, rappelé en doublant plusieurs arrières sur la ligne. Il est bien la preuve que D. Deschamps n’est pas raciste.

Le football reste un facteur d’intégration. Bien sûr, dans la mesure où nous avons des problèmes, il est attaqué, et notamment par ceux qui sont hostiles à l’intégration et au vivre ensemble car, comparé à d’autres secteurs de la vie sociale, ce sport est bien plus mélangé. Il n’y a qu’à regarder le profil de l’équipe de France et le profil des rédactions dans les médias qui parlent d’intégration pour voir qu’il y en a un qui a réussi là où l’autre a encore du chemin à parcourir. Sans parler de la vie politique française…

L’Euro 2016 constitue enfin une répétition pour la candidature de Paris aux JO de 2024. Un Euro et des conditions d’accueil réussis viendront crédibiliser et renforcer le dossier de candidature pour les héberger. Donner l’image d’un pays bloqué par les problèmes sociaux desservirait la France. Le Gouvernement et la Confédération générale du travail (CGT) espèrent chacun faire plier l’autre du fait de l’Euro. Contrairement à un match de football, il n’y aurait, en cas de blocage prolongé, que des perdants.

« L’Euro peut raviver la flamme collective »

Fri, 10/06/2016 - 15:26

Les autorités françaises déclarent qu’il n’a jamais été question d’annuler l’Euro, mais le fait même de le dire est significatif, non ?
Certains affirment que nous sommes en guerre. Or, la France va accueillir un événement sportif majeur. C’est que nous ne sommes pas tout à fait en guerre. Vous avez souffert, nous avons souffert, quantité d’autres pays aussi. Les attentats peuvent survenir partout mais ils ne doivent pas fixer le calendrier. L’Euro est une façon de dire que nous sommes un pays normal… Les deux tiers des 500 000 billets achetés l’ont été par des étrangers. Or, le comité organisateur s’attendait à un partage moitié-moitié. Les stades seront plein et les fans zones maintenues : ce sera une joie collective. La France n’est pas un pays qui a peur, en dépit de la menace terroriste. Si elle avait renoncé à l’Euro, elle pouvait aussi renoncer à sa candidature pour les Jeux olympiques de 2024 à Paris, parce que c’est un test grandeur nature. Dans un pays à l’humeur morose, un événement de ce type peut être mobilisateur et raviver une flamme collective qui nous manque pour le moment.

Peut-il jouer un rôle positif pour une Europe en pleine crise existentielle ?
Il y a une fatigue de l’Europe, les gens se déplacent de moins en moins pour voter, seul un Européen sur deux a choisi ses élus pour le Parlement européen alors que celui-ci n’a jamais eu autant de pouvoirs. Et parmi cette moitié, il y a une moitié qui vote pour des partis hostiles à l’actuelle construction européenne. Mais l’Euro accueille aussi des pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne : une ouverture rappelant que le monde est divers, qu’il n’est pas cantonné à ses frontières.

Peut-on dire que la construction du football européen précède la construction politique ?
Historiquement, c’est le cas. Les premiers contacts est-ouest ont eu lieu à travers la Coupe d’Europe des clubs champions, comme on l’appelait à l’époque. C’était une époque, dans les années 1950, où il n’y avait pas de déplacements est-ouest. La première ouverture sur l’autre a eu lieu par les compétitions sportives. Le football reste un moyen de diplomatie.

L’UEFA est d’ailleurs née trois ans avant le Traité de Rome. Un signe ?
Elle a effectivement eu un rôle de pionnier, en affirmant que le sport pouvait s’affranchir des oukases politique. Sa création fut un événement avant-coureur de l’Union à venir.

Les crises se multiplient dans la gouvernance de ce sport…
Une série de personnes ont failli et ont profité du système. Il y a davantage d’argent qui circule et ça n’a pas été accompagné d’une réforme de la gouvernance à la hauteur des sommes engagées. Il faut réformer le football mondial, c’est évident. Aucun empire ne se maintient en géostratégie sans se remettre en question. Si le football veut rester le sport numéro un, il doit tenir compte des critiques.

L’Europe demeure la plaque tournante du ballon rond. Mais d’autres puissances, comme la Chine, commencent à investir massivement dans le football…
Elle le fait parce que son président aime le football et qu’il perçoit combien c’est un élément de rayonnement pour le pays. Les Chinois ont été très amers de ne voir leur équipe nationale qualifiée que pour une seule Coupe du monde, en 2002, à l’issue de laquelle elle a été éliminée au premier tour sans avoir marqué un point. Ils ne veulent plus être ridicules et je ne serais pas étonné qu’ils soient candidats à l’organisation de la Coupe du monde 2026 ou 2030.

Le football est-il devenu un enjeu géostratégique majeur ?
C’est une perception relativement nouvelle. En 1997, avant la Coupe du monde en France, j’avais proposé à deux éditeurs de publier un livre sur le football et les relations internationales. Les deux m’avaient ri au nez en affirmant que c’était deux choses distinctes : « On sait que tu aimes le football, mais ce n’est pas la peine de faire un lien qui n’existe pas. » Plus personne aujourd’hui ne pourrait nier qu’il y a des relations entre les deux sujets.

Il y a eu une prise de conscience ?
De son impact, oui. Si le Qatar a racheté le Paris Saint-Germain, ce n’est pas par hasard, c’est aussi parce qu’ils pouvaient obtenir, pour une somme modique, le club d’une capitale emblématique. Le Qatar n’était connu que pour l’énergie. Maintenant, en France, tout le monde le connaît. Pour eux, ce fut un investissement judicieux. Et ça a toujours été le cas. Quand Peugeot investit sur Sochaux dans les années 1930, on a prétendu que le championnat était faussé. Dans les années 1970, en France, ce fut au tour des municipalités de subventionner les clubs. Jacques Médecin, maire de Nice, avait donné un gros montant à l’OGC pour rivaliser avec Marseille. Ces sommes étaient énormes pour l’époque et permettaient d’acheter l’une ou l’autre vedette. Nous sommes aujourd’hui dans une autre dimension. Cela fausse-t-il les compétitions ? Oui, car on voit que les clubs les plus riches l’emportent plus facilement et le PSG a actuellement un monopole en France. Mais ce sont des phases, tout cela, car d’autres investisseurs viendront faire concurrence. La période actuelle n’est pas aussi révolutionnaire qu’on veut bien le dire.

Que penseriez-vous d’une finale France-Belgique ?
Ce serait formidable parce que nous sommes deux pays frères, proches culturellement et sociologiquement. L’Allemagne est notre premier partenaire commercial et politique, mais en football, il n’y a pas la même proximité. Cela dit, ces trois formations sont très proches : elles sont toutes multiculturelles. Ce sont les effets de la globalisation, mais ces équipes restent de puissants vecteurs d’identité nationale. Nul ne soupçonne le Diables Rouges de ne pas représenter la Belgique, c’est d’ailleurs l’un des derniers ciments d’unité nationale, plus que la monarchie et que le système politique ou la Constitution. Cela démontre encore que l’identité nationale se nourrit de multiples origines.

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