Pascal Blanchard est historien, chercheur au CNRS au Laboratoire communication et politique. Il répond à nos questions à propos de l’ouvrage qu’il a co-dirigé : « Vers la guerre des identités ? De la fracture coloniale à la révolution ultranationale » (La Découverte) :
– La France est-elle en crise d’identités ?
– Les attaques terroristes qui ont secoué la France ces dernières années sont-elles symptomatiques de cette crise d’identités ?
– Quels éléments vous permettent d’affirmer que la France n’assume pas sa politique coloniale ? Le cas échéant comment l’assumer ?
Après les multiples attaques personnelles auxquelles se sont livrés les deux candidats à l’élection présidentielle, le débat d’hier a-t-il finalement débouché sur une confrontation d’idées ? Quelles ont été les attitudes des deux candidats ? Hillary Clinton a-t-elle semblée plus sereine ?
Non. Le débat d’hier n’a pas vraiment donné lieu à un débat de fond. L’opposition entre Donald Trump et Hillary Clinton reste, en ce sens, conforme à la campagne et les deux candidats en partagent la responsabilité. Le républicain, d’une part, pour ses déclarations provocantes, souvent réductrices, et pour sa tendance à établir des contre-vérités ainsi que des informations erronées. La démocrate, d’autre part, qui peut être critiquée pour son incapacité à proposer un véritable programme dans cette campagne. Madame Clinton semble se cantonner à mettre en avant son expérience en tant que secrétaire d’Etat, de sénatrice de l’Etat de New-York et de First Lady.
Durant une grande partie du débat, Trump a donné l’impression d’avoir cherché à se maîtriser, à modérer ses prises de position et à paraître présidentiable comme il le fait depuis son investiture. Sur la fin du débat, il a cependant brisé l’armure en adoptant une attitude plus vindicative, agressive, voire nerveuse, attitude qui était la sienne durant les primaires républicaines. Hillary Clinton, en revanche, s’est montrée plus sereine. En démontrant notamment ses capacités à répondre aux questions de manière plus juste et modérée. Aux reproches qu’elle serait incapable d’enchainer une campagne et cinq ans de mandat présidentiel, l’ex-First Lady a mis en avant son expérience et l’endurance dont elle a fait preuve au département d’Etat, pour lequel elle a visité 112 pays, signé plusieurs traités et géré des dossiers brûlants. En ce sens, elle a semblé supérieure à son adversaire au cours du débat.
Bien que meilleure, lundi, je ne pense pas que la prestation d’Hillary Clinton l’ait été suffisamment pour qu’elle soit en mesure de mettre un coup d’arrêt à la montée de Donald Trump, en pleine progression dans les sondages.
L’actualité américaine est actuellement dominée par les questions raciales, sécuritaires et de politique étrangère. Quelles ont été les positions des candidats sur ces thématiques ?
La sécurité, avec l’emploi, fait partie des principales préoccupations des Américains. Après les attentats et les émeutes en Caroline du Nord, cette question s’invite de nouveau dans la campagne.
Hillary Clinton a, quant à elle, pris une posture plus modérée, mais ses discours ont moins d’impact sur l’opinion. En qualifiant d’« inacceptables dans une démocratie » les émeutes raciales et les problèmes liés aux forces de police en Caroline du Nord, elle adopte l’attitude qui doit être celle du président Obama. En pleine campagne, elle doit plutôt donner une dimension populiste à ses discours et se présenter comme celle qui fera, du vivre ensemble, une réalité aux Etats-Unis.
Sur ces questions, Donald Trump a fait, en revanche, preuve de lucidité et il a profité des problèmes de santé d’Hillary Clinton pour marquer des points. Il entend rassurer les Américains en se présentant comme le candidat légitime dans la lutte contre l’insécurité. En Caroline du Nord, il a dénoncé les discriminations vécues par les minorités noires. Un discours à contre-courant par rapport aux propos tenus par le républicain ces derniers mois. Il se donne ainsi, l’opportunité de susciter la sympathie des électeurs noirs qui resteront, sans doute, réfractaires au vote Trump. Toutefois, la Caroline du Nord, un Etat clé, bascule progressivement en faveur du milliardaire.
Sur la politique étrangère, les deux candidats ont refusé de rentrer dans un débat de fond. Donald Trump a mis en avant les nombreux changements qu’il souhaite opérer une fois élu tandis qu’Hillary Clinton s’est contentée de valoriser son expérience de secrétaire d’Etat. Les divergences entre le républicain et la démocrate demeurent néanmoins fondamentales. Trump, d’une part, se fait l’apôtre du réalisme en privilégiant l’intérêt national en toutes circonstances. Son réalisme, proche de la pensée d’Henri Kissinger, se traduit par une prise d’initiative quand la situation le permet, un désengagement ou un retrait dans les dossiers où les intérêts américains ne sont pas suffisamment concernés, ainsi qu’une remise en cause des alliances stratégiques et des relations américaines avec certains compétiteurs, notamment la Russie. Avec Donald Trump, le réalisme ferait son grand retour à la maison blanche.
Hillary Clinton, est, en revanche, une libérale convaincue. Elle met en avant les institutions internationales, elle prône une certaine responsabilité des Etats-Unis dans les affaires du monde. Son discours est proche du mode d’action de l’administration Bill Clinton.
Donald Trump et Hillary Clinton symbolisent deux visions différentes des relations internationales. En l’absence de débats de fond, ces visions n’ont malheureusement pas été mises en lumière.
L’Amérique assistera à deux nouvelles confrontations entre Hillary Clinton et Donald Trump. Un candidat peut-il remporter les élections sur un débat ?
Contrairement au système français où un seul débat est organisé entre les deux candidats, le système américain permet à celui qui perd le premier round, de se rattraper et de remporter les deux prochains. Cela avait notamment bénéficié à Barack Obama, lorsqu’en 2012, Mitt Romney se montre beaucoup plus convaincant que lui lors du premier débat. Les 2e et 3e débats avaient alors permis au président sortant de rendre meilleure copie et d’inverser le rapport de force.
L’enjeu de ces débats, très suivis aux Etats-Unis, est de convaincre ces 20% d’indécis, qui ne savent pas encore précisément pour qui ils voteront. En 1960, le débat entre Kennedy et Nixon ont joué en la faveur du premier qui a remporté les élections. En 1988, l’attitude, très hésitante, de Micheal Dukakis lors du débat face à Georges Bush ont contribué à sa défaite. Victorieux en 1988, l’attitude de Georges Bush lui fera défaut en 1992 lorsque, face à Bill Clinton, il regarde plusieurs fois sa montre, laissant croire que les débats l’ennuient.
Dans le cas d’Hillary Clinton, l’on ne peut pas dire que le débat de mardi ait été décisif. Cela fait trois semaines que Donald Trump progresse dans les sondages aux dépends de son adversaire. Si la prestation de la démocrate a été bonne, elle ne l’a pas suffisamment été, selon moi, pour inverser la tendance. La victoire dépendra peut-être des deux prochains débats. Elle dépendra aussi des capacités des candidats à aller à la rencontre et à convaincre les électeurs des 5 Etats clés qui seront décisifs dans la campagne (Ohio, Caroline du Nord, Floride, Colorado, Nevada). Donald Trump pour l’emporter, devrait conquérir les 5 Etats, selon les sondages, il est désormais en tête dans quatre. Les élections s’annoncent serrées.
Pour Pascal Boniface, le trucage de paris sportifs est un phénomène autant voire plus important que le dopage. Mais la lutte s’organise, estime-t-il. Raison pour laquelle le nombre d’affaires qui éclatent au grand jour ne cesse d’augmenter.
En matière de tricherie dans le sport, on pense en premier lieu au dopage, qui a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. Mais les paris sportifs ne sont-ils pas un fléau plus grave, dans un milieu où les enjeux financiers sont énormes ?
L’ampleur du phénomène est très grande. Ce fléau est certainement encore plus important que le dopage, puisqu’il est multiforme et peut concerner plusieurs acteurs. Il met en cause l’intégrité des compétitions. Et permet des liens entre le crime organisé et le sport. Mais ce danger est de plus en plus pris en compte par les différentes instances sportives et les pays. Il y a une convention européenne en la matière. En Chine, les pouvoirs publics, qui étaient assez peu préoccupés par ce type de dérives, voire bienveillants à leur égard, commencent à s’organiser. Interpol également. Il y a eu un temps de retard par rapport à la lutte contre le dopage. Mais désormais, c’est un phénomène mieux identifié. Et comme pour le dopage, ce n’est pas parce qu’il y a plus d’affaires qui éclatent au grand jour, qu’il y a plus de paris truqués. Au contraire, cela signifie qu’ils sont davantage identifiés et dénoncés.
Que peut-on faire ? Est-il possible d’empêcher que des joueurs parient contre leur propre équipe, par exemple ?
C’est évidemment le pire cas d’espèce : qu’un joueur parie sur sa propre défaite. C’est le vieux mythe du boxeur qui se couche parce qu’on a parié sur sa perte. La légende est connue. De la prévention est faite dans les clubs. Quelques cas ont été révélés. Les moyens de surveillance dont on dispose aujourd’hui laissent penser que l’impunité recule. Mais comme pour le dopage ou la criminalité, il n’y a pas de risque zéro. C’est une lutte sans fin. Il y a deux excès à éviter : le déni de réalité et le « tous pourris ». Les clubs et les responsables de loterie légale eux-mêmes luttent contre ces dérives car s’ils se retrouvent impliqués dans des affaires de paris truqués, ils tuent la poule aux oeufs d’or. Ces dernières sont les premières victimes des paris truqués parce que si les joueurs ont l’impression que tout est joué à l’avance, ils ne vont plus parier.
Ces dernières années, le sponsoring par des entreprises de paris en ligne a explosé. Clubs et fédés ne sont-ils pas les victimes consentantes de ce business ?
Si un opérateur de paris qui sponsorise un club est pris la main dans le sac, son business plan est détruit. Le problème des paris truqués ne vient pas des entreprises qui ont pignon sur rue, mais d’autres opérateurs « gris ». Pour lutter contre cela, il faut certainement harmoniser les sanctions au niveau européen. Et développer le contrôle du jeu en ligne. En France, l’Arjel, l’autorité de régulation des jeux en ligne, détecte assez facilement les paris suspects. Il faudrait sans doute aussi limiter ce sur quoi on peut parier. Aujourd’hui, on peut miser sur l’équipe qui obtiendra le premier corner, etc. On pourrait limiter les paris aux résultats des matchs. Car on peut très bien truquer des paris sans truquer le résultat d’un match. Le problème aujourd’hui ne se situe pas au niveau des grands clubs, car corrompre le Real ou Manchester United, cela coûterait beaucoup trop cher. C’est dans les niveaux inférieurs qu’il y a des problèmes de corruption et de détournement de l’intégrité du sport.
Propos recueillis par Corentin di Prima
Que retenez-vous de ce premier débat Clinton-Trump ?
Le débat a vraiment été intéressant. Je n’ai pas vu le temps passer malgré l’heure peu favorable en France… Donald Trump n’est pas sorti de sa posture habituelle, comme s’il était en meeting avec des formules assez générales, un peu toutes faites. Comme face aux questions du modérateur sur le financement de sa politique fiscale. Je pense d’ailleurs qu’il ne sait pas comment la financer… Hillary Clinton était ultra-préparée, maîtresse d’elle-même, maniant même l’humour et la pugnacité, avec des formules bien préparées comme sur les positions racistes de Trump contre Obama. Pour moi, elle a gagné des points mais il ne faut pas pour autant tirer des conclusions hâtives. Il reste deux débats et les sondages sont serrés.
Trump conserve-t-il toutes ses chances ?
Ça va se jouer dans cinq à six États décisifs. Il faut remarquer que Donald Trump les a martelés en évoquant le Michigan, l’Ohio, la Floride. Il essaie de séduire dans ces États-là qui lui sont assez favorables. Mais je crois que l’on arrive au bout du phénomène Trump. Son succès est basé sur la provocation, la défense du petit peuple blanc. Pour l’instant, il ne semble pas trop capable d’aller au-delà de son électorat. Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’il va perdre. Il ne faut surtout pas le sous-estimer.
Qu’est-ce qui séduit les Américains chez Trump ?
C’est le phénomène du discours anti-élites, anti-système. De cette partie de l’électorat qui se méfie des élites politique et financière, de la mondialisation et de l’évolution démographique. C’est à peu près la même chose qui se passe en France avec la campagne de Nicolas Sarkozy qui fait du Trump. Il s’agit de jouer avec l’identité, de faire du storytelling autour de l’identité économique, historique, raciale et patriarcale.
Comment Hillary Clinton répond-elle sur son appartenance au système et son supposé manque d’endurance ?
Lors du débat, Donald Trump a beaucoup martelé sur le fait qu’Hillary Clinton est depuis longtemps au pouvoir. Mais elle a fait valoir son expérience positive, son expérience de femme d’État : « OK, j’appartiens au système mais j’ai voyagé dans 112 pays, j’ai signé des accords de paix… » De ce point de vue, elle a réussi à relancer sa campagne après sa maladie. On sent une nouvelle dynamique, appuyée par son camp, une véritable machine de guerre.
Pourquoi Clinton ne fait-elle pas plus la différence face aux excès de langage de son adversaire ?
Elle n’arrive pas à creuser l’écart parce qu’elle n’arrive pas à convaincre les jeunes. Elle ne fait pas rêver car elle ne promet pas le renouveau. Dans sa manière d’être ou de se vêtir, elle reste très classique, à la différence de l’écologiste Jill Stein ou du libertarien Gary Johnson (on les oublie mais ils se présentent aussi). Comme pour son adversaire d’ailleurs, elle a plutôt un électorat qui se situe au-delà de 40 ans.
Propos recueillis par Olivier Berger
L’accord de paix avec les FARC, qui met fin à un conflit cinquantenaire et qui doit encore être validé par référendum, changera-t-il, selon vous, le quotidien des Colombiens ?
Le conflit changera le quotidien d’une certaine catégorie de Colombiens. Les FARCS sont essentiellement ancrés dans des zones rurales. La paix est susceptible d’apporter des améliorations dans la vie de ceux qui vivent dans ces régions, mais pour les habitants de grandes villes comme Bogota, Medellín, Cali, cette nouvelle parait presque aussi lointaine que pour un Européen.
Pourquoi certains politiques colombiens s’opposent-ils à l’accord ?
Les principaux opposants à l’accord sont deux anciens Présidents de Colombie : Alvaro Uribe (2002-2010), Andres Pastrana (1998-2002). Les raisons de l’opposition de ce dernier sont difficiles à comprendre. Il avait lui-même tenté de négocier un accord de paix à l’issue duquel il avait concédé aux FARC un territoire grand comme la Suisse. Mais, mal préparées, les négociations n’avaient abouti à rien de concret. Une affaire d’orgueil se cache-t-elle derrière ce refus, alors que ses successeurs réussissent là où il a échoué ?
Quant à Alvaro Uribe, il fait partie de ces notables de l’intérieur de la Colombie qui ont été victimes de tentatives d’enlèvement de la part des FARC, de chantages financiers, et qui ont activement participé à des combats plus ou moins légaux dans la guerre contre la guérilla. Alvaro Uribe représente une Colombie, rurale, héritière d’un monde, qui n’est plus celui d’aujourd’hui.
Quel sera l’impact des accords de paix en Colombie sur le trafic de drogue à l’échelle nationale et internationale ?
La drogue fait partie des six points négociés dans le cadre de l’accord entre les FARC et le gouvernement colombien. En signant les accords de paix, les guérilleros s’engagent à abandonner leurs activités de trafic de drogue. Pendant plusieurs années, les FARC ont été accusés d’être un groupe de narcoterroristes, les auteurs de cette appréciation, laissant ainsi entendre que la résolution du trafic des stupéfiants était liée à une victoire militaire ou à un accord sur le trafic de drogue avec les seules FARC.
La situation est, en réalité, plus complexe. Le trafic de stupéfiants brasse beaucoup d’argent et touche la totalité de la société colombienne. En marge des accords de paix, plusieurs groupes armés restent actifs sur le territoire. L’ELN (l’Armée de libération nationale), seule guérilla encore en activité, et les anciens paramilitaires. Uribe avait négocié une cessation des hostilités avec ces derniers. Elle n’a pas donné les résultats escomptés. Une grande partie des paramilitaires s’est reconvertie dans le trafic de stupéfiants en créant ou renforçant des bandes criminelles, BACRIMS dans le jargon politique colombien. Si l’Etat colombien n’occupe pas le terrain, l’ELN ou les bandes criminelles risquent de se réapproprier les zones de trafics abandonnés par les FARC.
Quels sont les enjeux socio-économiques de la Colombie, aujourd’hui ? La paix peut-elle relancer la croissance et rendre le pays plus compétitif sur le plan commercial ?
La Colombie est déjà un pays compétitif. Elle fait partie des rares pays d’Amérique latine, avec notamment la Bolivie et le Pérou, qui affichent, encore aujourd’hui, une croissance positive. Anticipant les accords avec les FARC, les autorités ont d’ores et déjà lancé une offensive destinée à attirer les investisseurs étrangers. La paix devrait notamment permettre au gouvernement de diminuer ses dépenses de sécurité (armée et police), au profit de dépenses et d’investissements destinés au développement et à l’amélioration des infrastructures du pays. Certains experts estiment que la fin de la guerre pourrait faire gagner un à deux points de croissance à la Colombie.
Les accords de paix laissent envisager des horizons meilleurs pour la Colombie, d’autant plus que les accords ont été bien accueillis par la communauté internationale. Le Secrétaire général de l’ONU, les Secrétaires d’Etat des Etats-Unis, du Vatican ainsi que quinze présidents d’Amérique latine ont fait acte de présence à Carthagène, lieu de signature des accords en Colombie, tout comme les responsables de grandes institutions financières internationales, dont la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, le FMI. Pourquoi ? Le monde, tel qu’il est aujourd’hui, laisse peu d’occasions de se réjouir. Parmi les nombreux conflits d’aujourd’hui, en Afrique, au Moyen-Orient, mais aussi en Europe de l’Est, la Colombie est un des rares exemples de résolution qui aboutit par la voie de négociations de paix.
Néanmoins, la présence européenne, modeste, est surprenante compte tenu de la portée d’un accord dont l’exemplarité dépasse la Colombie. L’Espagne, en crise, a délégué son ancien roi, Juan Carlos, et les autres pays membres de l’Union, leurs ministres des Affaires étrangères, ou vice-ministres et ministres délégués.
L’Organisation des Nations unies (ONU), est la somme des États membres qui la composent. À l’ONU, rien ne peut se faire sans l’aval du conseil de sécurité composé de cinq membres (Chine, États-Unis, Fédération de Russie, France et Royaume Unie), car ils disposent du pouvoir de veto qui est l’expression politique d’un État.
C’est le cas pour le conflit israélo-palestinien où un nombre considérable de résolutions onusiennes a été l’objet d’un veto américain parce que Washington ne souhaitait pas imposer quoi que ce soit à Israël.
Un jeu de dupes
Sur le dossier syrien, il ne peut pas y avoir de règlement sans un accord entre les États-Unis, chef de file qui soutient un certain nombre de groupes d’opposition et compte dans ses rangs la Turquie et l’Arabie saoudite, et de l’autre la Russie qui soutient le régime de Bachar, soutenu aussi par l’Iran. Le conflit syrien est un jeu de dupes entre des puissances qui annoncent vouloir établir un règlement alors qu’en coulisse, elles continuent à alimenter des groupes d’opposition.
Le 9 septembre, un accord pour un cessez-le-feu en Syrie a été conclu entre Washington et Moscou. Il a volé en éclat au bout d’une semaine, parce que Washington n’a pas réussi à imposer aux groupes qu’il soutient sur le terrain de le respecter.
En Syrie, il n’y a pas une guerre, il y en a des dizaines. À Alep, le groupe dominant sur le terrain, c’est al Nosra, qui s’est rebaptisé Fatah al Cham (pour faire oublier son affiliation à Al-Qaida). Al Nosra était exclu de l’accord de cessez-le-feu.
D’autres groupes comme les salafistes d’Ahrar al-Cham et l’armée syrienne libre, soutenue les États-Unis, et qui se battent aux côtés d’al Nosra à Alep, n’ont pas respecté le cessez-le-feu parce qu’ils sont dépendants du bon vouloir d’al Nosra. Pour que le cessez-le-feu perdure, il faudrait qu’ils se désolidarisent d’al Nosra.
La Russie marque des points
La Russie aussi, qui marque des points dans cette guerre, n’est pas disposée à abandonner ses acquis sur le terrain et laisser les djihadistes se renforcer et s’organiser. À la moindre violation du cessez-le-feu, Moscou et l’armée syrienne ont répondu par des attaques massives sur les positions de l’opposition à Alep.
Le mécanisme d’une négociation se passe toujours en plusieurs temps. Les acteurs négocient entre eux, comme les Russes et les Américains le font en Syrie. Ensuite, une fois que celui-ci est respecté, l’ONU peut intervenir pour mener les négociations, pour la mise en place d’un gouvernement de transition et ensuite le processus des élections, dans le cas syrien.
Mais la première phase se passe toujours entre les grandes puissances. C’est ce qui s’est passé entre Washington et Téhéran pour les négociations qui ont abouti à la signature de l’accord sur le nucléaire iranien. Il faut distinguer entre le pouvoir réel sur le terrain et le pouvoir juridique de l’ONU. L’ONU vient en appui quand les grandes puissances en ont besoin. Mais sans leur volonté, l’ONU ne peut rien faire tant qu’existe un droit de veto.
Recueilli par Agnès Rotivel
Comment la guérilla des FARC est-elle née et comment expliquez-vous sa longévité ?
Il faut remonter à 1948 et à l’épisode dramatique de la « Violencia », guerre civile qui a fait deux cent mille à trois cent mille morts, opposant libéraux et conservateurs, après l’assassinat du leader libéral Jorge Eliécer Gaitan. A l’issue de cette guerre civile, les FARC lancent leur première conférence, en 1964. Ils commencent leur bataille dans les campagnes et militent pour une réforme agraire.
La rébellion des FARC a duré parce qu’elle a réussi à vivre d’elle-même. Elle avait les moyens d’acheter des armes grâce au trafic de stupéfiants, aux enlèvements crapuleux qui visaient les notables installés dans les campagnes et à la taxation des activités économiques. Cette manne financière lui a permis de passer d’un système de guérilla rudimentaire, dans les années 1980, à une organisation capable de déstabiliser l’armée au milieu des années 1990.
Pendant toutes ces années, les FARC ont surtout été actives dans le sud du pays et dans les régions situées aux frontières du Panama et du Venezuela. Les négociations de l’accord de paix ont duré quatre ans, mais à aucun moment il n’y a eu de cessez-le-feu, car les deux parties savaient qu’il était facile de bloquer des négociations en le violant. Pendant les discussions, les FARC ont donc continué à attaquer les colonnes de l’armée. Les violences ont diminué au fur et à mesure.
Entre 1984 et 1999, il y a eu trois processus de paix, qui ont tous échoué. Pourquoi celui-ci aboutirait-il, selon vous ?
Les combattants sont fatigués, usés et ils ont bien conscience qu’ils n’arriveront jamais à prendre le pouvoir par les armes. Ils subissent aussi la pression des partis de gauche qui voient leur développement entravé parce qu’ils sont accusés de soutenir la guérilla. La Colombie est aussi le pays d’Amérique latine qui réserve la part la plus importante de son budget au secteur militaire. Le gouvernement prend conscience que le pays pourrait augmenter significativement sa croissance économique s’il investissait moins dans les dépenses militaires. Les deux parties ont donc intérêt à ce que le processus aboutisse.
Il y aura, le 2 octobre, un référendum. D’après les sondages, le oui l’emporte assez largement. Mais le véritable enjeu est le taux de participation. Il faut qu’il y ait un maximum d’électeurs pour assurer la légitimité de cet accord.
Que contiennent les 297 pages de l’accord de paix ?
Cela peut paraître surréaliste dans un pays urbain, mais la réforme agraire est l’un des principaux points abordés, car il constitue l’ADN des FARC. Cette réforme consisterait à restituer les terres aux paysans expropriés. Ceux qui produisent de la coca devront, quant à eux, se reconvertir dans d’autres cultures.
Le deuxième point concerne la reconversion des FARC en mouvement politique. L’accord prévoit qu’ils aient d’office cinq députés et cinq sénateurs pendant deux législatures, c’est-à-dire huit ans. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est symbolique. L’idée est de dire : « Maintenant, c’est à vous de faire mieux en vous mobilisant lors des campagnes électorales futures. » En mai 2017, l’organisation compte donc se réunir pour créer un parti politique, dont on ne connaît pas encore le nom.
Les FARC ont exprimé, à l’issue de leur conférence nationale du 23 septembre, leur « soutien unanime » à l’accord de paix. Mais existe-t-il un risque de dissidence ?
Oui, il y a des éléments dissidents. Ce sont les plus radicaux et ceux qui sont le plus impliqués dans les trafics. Les responsables ont indiqué qu’ils étaient assez résiduels, mais ils ne vont pas s’envoler dans la nature. L’ELN (deuxième guérilla de Colombie après les FARC, qui a refusé de participer au processus de paix) peut très bien constituer une plate-forme d’accueil pour ces personnes-là. Elles peuvent aussi, comme ce fut le cas en Amérique centrale, rejoindre des bandes criminelles.
Le défi le plus important à relever semble être la (ré)intégration des guérilleros dans la société civile. Comment y parvenir ?
Cela suppose un débat très difficile, celui de la justice transitionnelle. Comment répondre aux attentes des victimes sans faire peser sur un trop grand nombre de combattants le poids de la justice ? Les FARC ne vont pas signer pour aller en prison. En même temps, ce conflit qui dure depuis cinquante-deux ans, a fait plus de deux cent mille morts. Le gouvernement ne peut donc pas mettre cette question sous le tapis.
L’accord prévoit que ceux qui ont commis un crime contre l’humanité seront poursuivis par des tribunaux colombiens. Des peines de cinq à sept ans sont prévues pour ceux qui reconnaîtront les faits. Dans le cas contraire, s’ils sont reconnus coupables, ils seront condamnés à vingt ans de prison. D’autres peines de réparation sont également prévues, comme participer à la recherche de mines antipersonnel.
Il faut aussi penser au désarmement des guérilleros. De ce côté-là, des choses ont déjà été négociées. Il y aurait une vingtaine de points de concentration, répartis dans tout le pays, où chaque combattant serait suivi et recevrait une indemnité pendant six mois. L’idée est de les orienter vers des activités post-conflit.
Le succès de l’accord de paix dépendra de la réussite de l’intégration des anciens combattants dans la société civile. Pour y parvenir, la Colombie multiplie les appels du pied envers le patronat et la communauté internationale. Quinze chefs d’Etat et de gouvernement seront présents pour la signature, mais il y aura aussi le FMI et la Banque mondiale, ce qui prouve bien la dimension économique de cet accord. Beaucoup de pays ont déjà tissé des liens commerciaux avec la Colombie, mais l’objectif est qu’ils investissent davantage. La signature de l’accord va renforcer l’attractivité économique du pays.
Comment l’opinion publique, notamment les victimes du conflit, accueille-t-elle cet accord ?
Le conflit colombien a touché la périphérie et n’a fait qu’effleurer les grandes villes, comme Medellín et Bogotá, qui subissent davantage la violence des cartels. La population urbaine n’est donc pas vraiment concernée par la guérilla. En revanche, dans les campagnes, les gens attendent la signature de l’accord. Ce ne sont pas dans les régions où les combats ont été les plus intenses que la résistance est la plus forte, mais dans les grandes villes et les milieux conservateurs, qui profitent de cet accord pour s’opposer au président [centriste] Juan Manuel Santos.
Propos recueillis par Feriel Alouti
On connaît le drame absurde vécu par l’âne de Buridan. Affamé et assoiffé, il meurt de faim et de soif, incapable de choisir entre bol d’eau et seau de céréales. Buridan n’est peut-être pas l’inventeur de cette histoire. Il aurait pu l’être. Comme il pourrait être aujourd’hui le chroniqueur incontesté du feuilleton électoral ouvert en Espagne en décembre 2015, et toujours en septembre 2016 bobiné sur un logiciel débranché.
Incapables de faire des choix, des alliances parlementaires, les partis politiques espagnols s’enferment dans un autisme ayant interdit toute sortie majoritaire de décembre 2015 à septembre 2016.
Les acteurs du drame, partis politiques comme électeurs, et in fine, la démocratie parlementaire, y survivront-ils? Pendant longtemps l’Espagne aura été exemplaire et montrée comme telle. Elle est en effet sortie d’une interminable dictature militaire sans effusion de sang. Les adversaires historiques avaient confectionné une Constitution mêlant eau et vin. Assurant une convivialité démocratique acceptable, cette nouvelle Espagne avait été donnée en exemple aux pays et peuples en quête de sortie de dictature, de l’Amérique latine à l’Europe de l’Est.
Le pays survit tant bien que mal à cette situation insolite. Le Roi, Philippe VI, est opportunément mis à contribution. De la conférence des Nations unies sur les migrations à l’Assemblée générale de l’ONU. Son père, Juan Carlos, qui avait abdiqué, a été pourtant sollicité pour représenter l’Espagne à la signature de l’accord de paix entre Colombiens des FARC et le gouvernement. En transition prolongée, l’exécutif est dans l’incapacité constitutionnelle de répondre aux attentes pressantes de la Commission européenne. Tout comme de prendre une quelconque initiative législative ou internationale. Certes les apparences sont sauves. Le pays marche sur la vitesse acquise. Mais pour combien de temps encore? L’OCDE s’en est inquiétée. Le ministère espagnol des affaires étrangères a tiré lui aussi une sonnette d’alarme: « notre pays est un canard boiteux international ».
De fait, la machine a relativement bien fonctionné de 1978 à 2015. De droite à gauche, les partis politiques se querellaient dans les limites autorisées par la Loi fondamentale, respectant les compromis et les non-dits de la transition démocratique. Deux grands partis, l’un de centre gauche, le PSOE, et l’autre de centre droit, l’UCD, puis le Parti Populaire, ont monopolisé pendant 35 ans les aspirations modérément opposées des électeurs. Bien huilé, ce va-et-vient centriste balançait mollement et sans heurts majeurs les Espagnols et leur pays, de droite à gauche.
La mécanique s’est brutalement enrayée le 20 décembre 2015. Ce jour-là le parlement Janus, tel Shiva, écrasant les démons du passé, a bourgeonné. Le bipartisme a pris du plomb dans l’aile. Le consulat parlementaire exercé par le PP et le PSOE était désormais contesté de droite à gauche, en passant par les périphéries géographiques, par Bildu, la Coalition des Canaries, Ciudadanos, Compromis, Convergence et Union, la Gauche Républicaine catalane, le Parti nationaliste basque, Podemos, formation agrégat de diverses familles, En marea, En Comu Podem… Les lapins multicartes partisanes sortis du chapeau des électeurs n’ont pas été en mesure d’inventer l’usine à gaz qui aurait permis de fabriquer une majorité. Les lignes rouges respectives des différentes familles politiques les uns à l’égard des autres ont contraint à répéter l’exercice électoral.
Mieux, ou pire, le 26 juin 2016, le parlement élu le 20 décembre 2015 dissous faute d’entente a resurgi de ses cendres. Indifférents au crime de lèse-démocratie modèle de la transition, les électeurs ont de nouveau semé leurs choix à tout vent. Bis repetita placent. Grosso modo les Espagnols ont confirmé le 26 juin 2016 leur option préférentielle pour une représentation éclatée. Les partis politiques ont été renvoyés à la case départ. Les deux partis historiquement dominants ont été à nouveau contestés à droite et à gauche par de nouveaux venus. Les hauts-le-cœur réciproques avaient empêché de trouver un compromis majoritaire de décembre 2015 à juin 2016. La feuille de route des différents partis restait en septembre 2016 toujours aussi insensible au message des électeurs. La date butoir fixée par la Constitution, pour une nouvelle dissolution, le 31 octobre, se rapproche. Faute de majorité à cette date, un retour à la case électorale serait incontournable.
Comment en est-on arrivé là? Le Parti Populaire a péniblement négocié un accord avec la nouvelle formation de centre droit, Ciudadanos. Le seul représentant de la Coalition des Canaries s’est joint à l’entente. 137 PP plus 32 Ciudadanos plus 1 CC, font 170. Manquent encore six députés pour former une majorité. Le Parti nationaliste basque et feu Convergence et Union de Catalogne, formations de centre droit en d’autres temps, en 1996 avaient apporté les voix manquantes au PP. C’est aujourd’hui exclu. Fort de sa majorité absolue depuis 2012, le PP a fait la sourde oreille à toutes les revendications basques et catalanes. L’alliance du PP avec Ciudadanos, parti explicitement centraliste, exclut toute hypothèse allant dans cette direction.
Au centre gauche, Podemos a mangé les communistes de la Gauche démocratique, mais a laissé filer ses homologues de Galice (En Marea) et de Valence (Compromis). Podemos soupçonne publiquement le PSOE de complaisance à l’égard du PP. En clair d’être capable de s’abstenir pour donner au PP et ses alliés une majorité minimale lui permettant de gouverner. Podemos refuse toute perspective de pacte à trois, Podemos plus PSOE plus Ciudadanos, proposé par les socialistes. Socialistes qui refusent mordicus de faciliter par leur abstention la perpétuation du PP de Mariano Rajoy aux commandes de l’Espagne. Le ménage à trois est par ailleurs tout aussi inacceptable pour Ciudadanos. Podemos met sur la table la perspective d’une alliance avec le PSOE, les indépendantistes basques et catalans. Ce mariage à 5 permettrait en effet de passer la ligne majoritaire de 176 sièges. Mais le prix à payer serait lourd de conséquences. Les indépendantistes catalans (17 sièges) conditionnent leur soutien à un feu vert de la majorité ainsi constituée à leurs aspirations souverainistes. Le PSOE refuse cette perspective qui engagerait L’Espagne, selon eux, dans une aventure institutionnelle aux conséquences imprévisibles.
Si dissolution il y a, compte tenu des délais fixés par la Constitution, ce troisième rendez-vous avec les urnes devrait être organisé… le 25 décembre. Autant dire que tous les partis se regardent en chiens de faïence et cherchent des boucs-émissaires. Ciudadanos, Podemos et le PP font porter le chapeau au PSOE. Le PSOE en refusant de s’abstenir, pour les uns (PP et Ciudadanos) ou de s’allier avec les indépendantistes (Podemos) serait le fauteur de trouble. Mais pourquoi faire simple quand on peut compliquer les choses. L’impasse collective a provoqué une montée d’adrénaline au sein du PSOE comme de Podemos. Tandis que Ciudadanos s’interroge sur la pérennité de son alliance avec le PP. Quant aux partis indépendantistes catalans, la paralysie du système politique espagnol les pousse à imaginer une fuite en avant, catalane pur sucre.
La crise économique, les scandales de corruption, le repli nationaliste du parti Populaire, ont brisé les consensus fabriqués pendant la transition démocratique. L’Espagne institutionnelle est comme paralysée par l’ampleur du drame. Alors que la montée collective du doute menace d’envoyer par-dessus bord les partis de gouvernement, l’unité nationale, la Royauté, et de plus en plus le respect des valeurs démocratiques.
La 71e Assemblée générale des Nations unies s’est tenue le mardi 20 septembre à New-York. De nombreux chefs d’Etats y ont évoqué la Syrie et ont appelé, avec plus ou moins de véhémence, à la résolution diplomatique du conflit. Pensez-vous que la tenue de l’Assemblée générale des Nations unies et les discours qui y ont été prononcés auront un impact sur la situation en Syrie ?
Les différents discours ou partie de discours prononcés par des chefs d’Etat sur la Syrie à l’ONU attestent, malgré récentes les tentatives diplomatiques et la conclusion d’une trêve, que la question syrienne est loin d’être réglée.
En dépit des critiques que l’on peut formuler à son égard, l’ONU reste le seul lieu où une solution politique peut être trouvée à la crise syrienne. Du point de vue de l’organisation des relations internationales, c’est le lieu de rencontre de tous les Etats.
Pour revenir sur le cas syrien, il y a un constat d’impuissance, un manque de courage, ainsi qu’un manque de lucidité. Jusqu’à aujourd’hui, les Etats-Unis et la Russie, deux membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, ont occupé le terrain. Mais la disposition est asymétrique : la Russie – alliée de Bachar el-Assad – a un projet politique sur la Syrie, alors que l’administration Obama est totalement en retrait depuis plus de trois ans. La trêve conclue entre Sergueï Lavrov et John Kerry, le 10 septembre, n’a pas donné les effets escomptés. L’existence de clauses secrètes conclues entre les deux parties, à l’insu des autres membres du Conseil de sécurité, laissait planer le doute quant à la durabilité de l’accord de trêve.
Invité à s’exprimer à l’Assemblée générale des Nations unies, François Hollande a fait preuve de véhémence. Malheureusement, l’exécutif français n’est pas le mieux placé pour donner des leçons au reste du monde sur le dossier syrien. Le gouvernement de Hollande, et celui de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, ont enchainé les erreurs depuis l’éclatement de la guerre civile. La diplomatie française a d’abord estimé que le conflit se réglerait rapidement avant d’établir pour préalable à toute solution diplomatique le départ de Bachar el-Assad. Elle a ensuite agité la menace d’une intervention militaire. Les Français n’ont cependant jamais été en mesure de tracer une voie politique et d’émettre des propositions de sortie de crise. François Hollande devrait faire preuve de plus de modestie sur ce dossier infiniment compliqué. Pour cette raison, hausser le ton est inutile, si dans le même temps, on ne se donne pas les moyens de contribuer à dépasser les blocages.
Le bombardement d’un convoi humanitaire mardi 20 septembre met en péril la trêve. Washington accuse la Russie, Moscou nie. Que sait-on de cet « incident » ? La trêve est-elle définitivement rompue ? Selon vous, Washington pourrait-il hausser le ton alors qu’Obama est critiqué pour sa « passivité » dans le dossier syrien ?
Le fait que le convoi ait d’une part été bombardé, d’autre part que les frappes aient été effectuées par la voie aérienne, laisse peu de doutes quant à l’implication de l’armée syrienne ou de l’armée russe. Cependant, la coalition dirigée par les Etats-Unis a aussi commis une « bavure » en bombardant les positions des forces loyalistes, le 17 septembre, quelques jours après le début de la trêve. Dans tous les cas, la situation urgente et tragique de la Syrie ne se prête pas au décompte des bavures et des non-respects de l’accord commis de part et d’autre. Les responsabilités sont partagées.
L’enjeu, aujourd’hui, est de rebondir et de mettre en œuvre tous les éléments pour avancer des propositions et sauver la trêve. Pour cela, calme et sang-froid sont nécessaires. Il y a tout de même des évolutions sur le terrain. Si nous sommes convaincus qu’il ne peut y avoir qu’une solution politique, il faut reprendre le dossier de la trêve comme premier élément tangible d’une voie de résolution de crise et réunir les conditions nécessaires à sa mise en œuvre.
En dépit des intentions, les négociations restent compliquées. La question des groupes terroristes, notamment Fatah-al-Cham, est particulièrement délicate. En bombardant leurs positions, des groupes qui ne sont pas considérés comme terroristes risqueraient aussi d’être touchés. A Alep, les groupes disparates de l’Armée syrienne libre (ASL) ont fait alliance avec Fatah-al-Cham. L’imbrication des fronts sur le terrain complique ainsi la situation et rend une solution militaire impossible à la résolution du conflit. C’est pourquoi il n’existe qu’une solution diplomatique. Le temps presse car au fur et à mesure que la situation s’enlise, les terroristes gagnent du terrain.
Par ailleurs, les Russes avancent efficacement leurs pions dans le conflit profitant d’une certaine apathie des Etats-Unis. En outre, je ne pense pas que Barack Obama modifiera sa stratégie, à la fin de son mandat et à deux mois de l’approche des élections présidentielles. L’asymétrie entre la volonté politique des Russes et l’indécision des Etats-Unis est manifeste.
Quelles armées, ou groupes armés, sont en position de force en Syrie dans l’éventualité de négociations ?
Les groupes les plus efficaces sur le terrain sont ceux avec qui on ne veut légitimement ni discuter, ni négocier. En revanche, le Haut conseil pour les négociations, soutenu par les pays occidentaux, l’Arabie Saoudite, le Qatar, a peu de capacités opérationnelles sur le terrain comparées à celles des combattants de l’Etat islamique ou de Fatah-al-Cham. Compte tenu des divisions et du manque d’emprise des rebelles dits « modérés », il me semble que la solution la plus efficace, en vue d’aboutir à un accord, serait que les membres de la communauté internationale négocient à l’ONU – et sans les rebelles -, un compromis qui serait ensuite présenté aux différents groupes de combattants syriens avec qui la communauté internationale accepte de dialoguer. Le compromis doit être trouvé dans les murs de l’ONU.
1. Un programme à maturité qui arrive au bon moment
Le Rafale, depuis son entrée en service dans les années 2000, ne s’est pas exporté. En effet, l’avion n’était pas encore éprouvé au combat – c’est le cas aujourd’hui -, ses capacités étaient encore limitées en termes notamment de missiles et de radars, et les Américains proposaient des avions, certes en fin de vie, mais éprouvés au combat et à des coûts inférieurs au Rafale.. La concurrence était alors trop forte. Aujourd’hui, l’avion a fait ses preuves en Libye, en Afghanistan au Mali ainsi qu’en Syrie. Il est également arrivé à maturité en termes de capacité de radars et de missiles. Les Américains préfèrent, en outre, proposer le F-35, avion plus moderne, mais aussi plus cher, non éprouvé au combat, et qu’ils ne proposent pas à tous les pays. Parallèlement, le concurrent européen du Rafale, l’Eurofighter tarde à acquérir sa capacité d’attaque au sol, le Gripen suédois est moins performant et une partie de sa technologie est dépendante des Etats-Unis. Reste comme concurrent crédible les avions russes, qui concurrençaient le Rafale en Inde, mais les capacités de soutien et de maintenance des Russes laissent aujourd’hui à désirer. Le Rafale s’impose donc comme la meilleure option en 2016.
2. L’Inde : des contrats toujours au long cours
L’annonce de l’achat par l’Inde de 36 avions de combat vient à l’issue d’une négociation de contrat de plus de quatre ans. En janvier 2012, l’Inde avait annoncé son intention d’acheter des Rafale dans le cadre d’un appel d’offres où Européens, Américains, Russes et Français s’affrontaient. En première intention, les Indiens souhaitaient acheter 126 avions, parmi lesquels, 108 devaient être fabriqués en Inde. Les conditions imposées par les Indiens étaient très contraignantes à mettre en œuvre, et augmentaient le coût des avions. Finalement, le président indien Modi a décidé, l’année dernière, d’opter pour l’achat de 36 avions fabriqués en France même si le contrat donnera lieu à des accords de compensation à hauteur de 50% du contrat. Ce type de contrat, avec compensations et transferts de technologie, est habituel aujourd’hui dans les transferts d’armement, mais un an de négociations a encore été nécessaire. Ce qui pourrait apparaitre comme « le roman de la vente du Rafale à l’Inde » n’est toutefois pas exceptionnel pour les habitués des négociations de contrats d’armement avec l’administration du ministère de la Défense indien. Sa bureaucratie est, en effet, très lourde, mais d’une certaine manière démocratique, et les avis sont souvent divergents entre les différents services concernés.
3. La vente d’armes, une règle : ne pas confondre le rôle de l’Etat et celui de l’industriel
La vente de Rafale à l’Inde qui succède à celles conclues avec le Qatar et l’Egypte ne doit pas uniquement son succès à l’avion de Dassault. Des ventes de sous-marins à l’Australie, d’hélicoptères à la Pologne et à la Corée du sud, pour ne citer que quelques exemples, ont précédé le contrat avec l’Inde. La France a, ces cinq dernières années, enfin réussi à organiser son système de soutien et de promotion à l’exportation. Cela restera notamment au crédit du ministre de la Défense Jean-Yves le Drian. La recette de ce succès est pourtant simple. A l’Etat le rôle de l’Etat, celui d’inscrire la vente d’armes dans le cadre de la politique étrangère et de défense de la France, de développer, si nécessaire, la notion de partenariat stratégique, et de jouer le rôle d’assistance en maitrise d’ouvrage si l’Etat acheteur le souhaite, en s’appuyant sur les compétences de la Direction générale de l’armement (DGA). A l’industrie pour sa part, le rôle de présenter l’offre technique et de négocier prix, accords de compensation et transferts de technologie, sous le contrôle de l’Etat français dans ce dernier cas. Cela nécessite bien évidemment une bonne coordination entre l’industriel et l’Etat, coordination qui certes ne semblait pas acquise entre le gouvernement français et Dassault il y a cinq ans, mais qui s’est avéré très efficace à l’usage. Tout le monde avait toutefois intérêt à ce que le Rafale s’exporte, comme les autres armements français, afin de soulager le budget de la défense tout en préservant la compétitivité de l’industrie de défense française. Cette compétitivité est elle-même la clé de notre capacité à préserver une politique souveraine.
Les attentats des 17 et 18 septembre peuvent-ils redynamiser la campagne de Donald Trump qui a fait de la lutte contre le terrorisme son fer de lance ?
Je ne pense pas que la campagne de Trump manque de dynamisme, c’est plutôt le cas de celle de Clinton. Les attentats confortent le candidat républicain dans sa ligne. Celle-ci combine la remise en cause de la politique d’Obama au Moyen-Orient et présente la candidate démocrate comme étant dans cette continuité. Trump porte de graves allégations envers Hillary Clinton, qu’il accuse d’être à l’origine de la naissance de Daech. Le candidat républicain fait, en effet, le lien entre l’intervention américaine en Irak, soutenue par Clinton à l’époque, et l’émergence de l’organisation terroriste. Même s’il ne le dit pas clairement, ses critiques de l’intervention américaine en Irak pourraient également viser la politique des néoconservateurs de l’ère George W. Bush qui soutiennent aujourd’hui Clinton et appellent à voter contre lui.
Donald Trump s’inscrit ainsi dans une rhétorique dénonciatrice sans véritablement proposer de politiques de lutte contre le terrorisme. Peu de propositions émanent de ses discours, mis à part l’interdiction d’accès au territoire des musulmans du monde entier, surtout ceux venant de pays qu’il estime « complaisants » avec le terrorisme – dont la France. Il conserve ainsi sa diatribe qui consiste à opposer les musulmans au reste de la population.
Comment analysez-vous la réaction d’Hillary Clinton et du camp démocrate ? La campagne risque-t-elle d’infléchir à droite et de se radicaliser sur les thématiques sécuritaires ?
Hillary Clinton perd du terrain dans les sondages, pas forcément au profit de Trump, mais de Gary Johnson. Le candidat du Parti libertarien la malmène notamment en Floride, selon les sondages, un Etat stratégique pour l’ex-First Lady. Elle ne parvient pas à séduire la jeunesse.
Face aux attentats, Hillary Clinton a tout intérêt à continuer de jouer sur son expérience en matière de lutte contre le terrorisme et de politique étrangère. Depuis le début de la campagne, elle met régulièrement en avant son statut d’ex-secrétaire d’Etat, son rôle dans la lutte contre l’islamisme et, entre les lignes, sa participation au gouvernement qui a traqué et tué Ben Laden. Hillary Clinton défend, ce que certains lui reprochent, un interventionnisme militaire et une vision géopolitique qu’on peut qualifier d’agressive. Elle parvient, d’une part, à mettre en avant expérience, fermeté, professionnalisme et responsabilité potentiellement en tant que chef d’Etat, et donc chef des armées, elle attaque Trump, d’autre part, sur son amateurisme, ses idées fantaisistes, et donc sa dangerosité.
En conséquence, je ne crois pas qu’Hillary Clinton radicalisera son discours en prônant, par exemple, une intervention militaire au sol en Syrie. L’opinion américaine est encore traumatisée par les expériences irakienne et afghane qui ont coûté cher au pays, humainement et financièrement parlant. Elle n’a donc aucun intérêt à droitiser son discours et je pense qu’elle va essayer de conserver une posture professionnelle et responsable sur les questions de terrorisme.
Ces nouvelles attaques sur le sol américain sont-elles en mesure de modifier la politique étrangère de Barack Obama, deux mois et demi avant la fin de son mandat ? Pensez-vous que le président américain, par sa réaction aux attentats, peut influencer l’électorat et la campagne d’Hillary Clinton ?
Je ne pense pas que Barack Obama changera de stratégie en termes de politique étrangère au moment où l’accord avec la Russie sur la Syrie se fragilise. A un mois et demi de l’élection, je ne vois pas le président américain prendre des mesures qui risqueraient de mettre en danger Hillary Clinton et le camp démocrate en vue des élections.
Barack Obama risque, en revanche, de multiplier ses interventions médiatiques dans le cadre de la campagne, pour durcir le ton à l’encontre de Donald Trump et pour soutenir Hillary Clinton. A l’approche des élections, le président des Etats-Unis intensifiera ses discours de soutien envers la candidate démocrate, mettant en avant une femme politique professionnelle, crédible et réfléchie, face à un candidat irrationnel et changeant constamment d’idées. Il vient du reste d’appeler fermement les Afro-Américains à se déplacer le 8 novembre.
Il y a cinq ans, l’intervention militaire des forces de l’OTAN – soutenues par quelques pays arabes – prenait fin en Libye. Le 15 septembre 2011, le président de la République française Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique David Cameron – suivis de près par Bernard-Henri Levy -, débarquaient à Benghazi en libérateurs du peuple libyen… On connaît la suite : un pays qui a sombré dans le chaos, toujours sans gouvernement national, en quête de sécurité et stabilité politique, en proie à la division et aux tensions claniques et tribales. Une situation interne qui a des répercussions directes sur l’environnement régional, puisque l’éparpillement des armes de l’ex-armée loyaliste et l’ancrage de foyers djihadistes constituent autant de source de déstabilisation pour les voisins égyptiens, maghrébins et subsahariens. La situation actuelle est le fruit de l’intervention militaire de la coalition internationale. En ce sens, les Occidentaux portent une responsabilité historique – mais pas totale- dans la tragédie libyenne.
Ce jugement est directement tiré des conclusions du rapport parlementaire britannique rendu public le 14 septembre dernier. Que dit ce document officiel ? D’abord, que l’intervention militaire en Libye était fondée sur une mauvaise évaluation de la situation : David Cameron « a fondé l’intervention militaire britannique en Libye sur des suppositions erronées et une compréhension incomplète du pays ». En effet, les députés britanniques estiment que la menace contre les civils a été exagérée et que la rébellion comprenait une composante islamiste-djihadiste par trop sous-estimée : « [Le gouvernement britannique] n’a pas pu vérifier la menace réelle que le régime de Kadhafi faisait peser sur les civils ; il a pris au pied de la lettre, de manière sélective, certains éléments de la rhétorique de Mouammar Kadhafi [et de Bernard Henri-Lévy ?]; et il a échoué à identifier les factions islamistes radicales au sein de la rébellion ». La stratégie du Royaume-Uni dans ce dossier « fut fondée (…) sur une analyse partielle des preuves », insistent ces parlementaires. De plus, les députés accusent David Cameron d’avoir privilégié une stratégie coercitive et d’avoir ainsi négligé la voie diplomatique et politique en vue d’écarter Mouammar Kadhafi du pouvoir : « Un engagement politique aurait pu permettre de protéger la population, de changer et de réformer le régime à un coût moindre pour le Royaume-Uni et la Libye. Le Royaume-Uni n’aurait rien perdu en suivant ces pistes, au lieu de se focaliser exclusivement sur le changement de régime par des moyens militaires. »
Un tel dévoiement n’est pas le produit du hasard. La France et la Grande-Bretagne- soutenus en l’espèce par les Etats-Unis- ont une longue tradition en matière d’expédition militaire, en particulier sur les rives sud et est de la Méditerranée. L’épisode libyen s’inscrit aussi dans l’histoire de l’ingérence de ces anciens empires européens dans les affaires intérieures des pays arabes. Etait-elle pour autant illégale? L’intervention des puissances occidentales- sous l’égide de l’OTAN- se fondait sur la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui permettait le recours à la force par des frappes aériennes en vertu du principe de la « responsabilité à protéger des populations civiles ». Plus précisément, la résolution- adoptée en vertu de l’article 42 de la Charte des Nations Unies- décide non seulement l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne- qui consiste à interdire tous vols dans l’espace aérien de la Libye, à l’exception des vols dont l’objectif est d’ordre humanitaire- mais « autorise les Etats membres (…) à prendre toutes les mesures nécessaires (…) pour protéger les civils et les zones peuplées par des civils sous la menace d’attaques y compris Benghazi, tout en excluant une force étrangère d’occupation sous quelque forme que ce soit dans n’importe quelle partie du territoire libyen ». La résolution présentait une base juridique suffisamment large pour permettre des formes d’interventions avec des tirs au sol, mais sans déploiement au sol de forces terrestres (la résolution excluait en effet « toute force étrangère d’occupation »). Surtout, même si elle ne fixait ni calendrier des opérations, ni objectifs précis, le mandat onusien ne visait nullement le renversement du régime libyen. Or non seulement des attaques aériennes ou par missiles ont été menées au-delà des « lignes de front » ou zones de combat entre l’armée loyaliste et les rebelles, mais des opérations ont visé la personne même du colonel Kadhafi afin de faire tomber le pouvoir en place. En ne se limitant plus à la protection des civils, mais en cherchant la chute du régime, les puissances occidentales ont agi en dehors du cadre strict de la résolution de l’ONU et ont ainsi franchi les limites de la légalité internationale. L’opération destinée à protéger les civils s’est transformée en une opération de renversement de régime. Une stratégie qui fut d’ailleurs assumée par les principaux protagonistes : le primat de la puissance sur le droit transparaissait dans une tribune commune des principaux chefs d’Etat et de gouvernement de la coalition (Nicolas Sarkozy, Barack Obama et David Cameron), dans laquelle ils avaient explicitement demandé le départ de Mouammar Kadhafi, ce que la résolution de l’ONU n’exigeait/n’autorisait pas…
Derrière le renversement du régime, les motivations réelles qui ont animé le président français Nicolas Sarkozy ont été « révélées » par le rapport britannique. Soupçonné d’avoir bénéficié en 2007 de fonds libyens afin de financer sa campagne, il aurait pris la décision d’intervenir en Libye en 2011 dans le but, entre autres, d’accéder au pétrole libyen, d’accroître l’influence française en Afrique du Nord et… d’améliorer sa situation politique en France. Non seulement on est très loin des considérations humanitaires et droits-de-l’hommiste invoquées à l’époque- y compris par la voix du médiatique BHL-, mais l’intérêt du peuple libyen ne semble à aucun moment pris en compte. Seuls les intérêts nationaux et personnels (celui de N. Sarkozy) ont voix au chapitre.
Ce rapport parlementaire britannique intervient alors que Barack Obama a déjà reconnu que « cet épisode libyen a été la pire erreur de [s]on mandat ». En France, un tel questionnement politique est introuvable. La question semble taboue, notamment parce que la droite parlementaire comme la gauche socialiste avaient soutenu ensemble cette intervention. Cette responsabilité politique collective n’est pas de nature à faciliter l’examen de conscience ou du moins l’évaluation a posteriori d’une intervention militaire qui demeurera dans les annales. Reste le réflexe mimétique, qui laisse espérer que les assemblées parlementaires françaises se saisiront du dossier pour constituer une commission d’enquête…
Philippe Hugon est directeur de recherche à l’IRIS, professeur émérite de l’Université Paris X. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Afriques. Entre puissance et vulnérabilité » paru aux éditions Armand Colin :
– Comment expliquer le retard du continent africain en termes de croissance et de développement face à une Asie en pleine expansion ?
– Les pays africains sont-ils en mesure de combler leurs retards et de s’insérer dans la mondialisation ?
– Quels sont les principaux enjeux auxquels l’Afrique de demain doit faire face ?
Dernièrement, la Commission européenne a sanctionné Apple d’une amende de 13 milliards d’euros, après avoir épinglé Google et Starbucks. De l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis veulent infliger une amende record de 14 milliards de dollars à la Deutsche Bank. Les Américains s’étaient déjà attaqués à la BNP, Airbus ou Volkswagen. Comment interprétez-vous ces attaques judiciaires ? Traduisent-elles une guerre économique entre les Etats-Unis et l’Europe ou simplement une volonté des Etats de faire respecter leurs lois aux multinationales ?
Depuis la crise de 2008, les opinions publiques, organisations internationales et ONG remettent régulièrement en cause certaines pratiques jugées peu éthiques, voire illégales de la part des multinationales, des institutions financières, etc. On leur reproche de profiter de la globalisation pour contourner les règles, pratiquer l’optimisation fiscale, voire du dumping social. Les Etats européens ont, dans un premier temps, timidement réagi, se limitant à soutenir l’OCDE dans sa volonté de lutter contre les paradis fiscaux ou encore en annonçant la fin des bonus des traders. Face à la difficulté d’instaurer des règles communes au niveau international, c’est la justice américaine qui s’est montrée la plus réactive en n’hésitant pas à poursuivre des entreprises américaines mais aussi étrangères pour des faits de corruption, la violation d’embargos ou autres affaires gênantes pour les grandes entreprises. On a vu cela avec notamment les poursuites engagées à l’encontre de BNP Paribas qui violait un embargo sur les armes, ou la mise en cause de Volkswagen par rapport aux émissions de CO2 de ses moteurs.
La prise de conscience est réelle au sein des entreprises et la « compliance » (mise et conformité) est devenu « à la mode ». A tel point – et cela peut questionner – que nombre d’entreprises affirment aujourd’hui préférer se conformer d’abord à la législation américaine. D’autres entreprises, pour s’exonérer de ces réglementations, font le choix de ne plus travailler avec des intérêts américains en refusant des clients ou d’embaucher des collaborations issues de ce pays.
Plus récemment, la question de la fiscalité des entreprises devient un sujet clé tant aux Etats-Unis qu’en Europe d’ailleurs. Face aux contestations de la mondialisation, à la crise politique qui touche les Etats-Unis et la plupart des pays européens, lutter contre la cupidité sans vergogne de certaines grandes entreprises devient une issue possible. La fiscalité est aussi un moyen de récupérer un peu d’argent là où les Etats en manquent tant pour investir dans les infrastructures, la santé, l’éducation, aider les personnes en difficulté ou autres. La question de la fiscalité des entreprises peut donc permettre de gagner à la fois en popularité et d’obtenir de nouveaux moyens financiers. Il est assez logique que les Européens apprécient peu de voir leurs entreprises attaquées par la justice américaine, et qu’outre-Manche, on s’offusque lorsque des fleurons de l’économie américaine sont stigmatisés par la Commission européenne.
Il est cependant quelque peu excessif de parler de guerre économique. Les sanctions européennes et américaines sont pour l’heure des processus distincts et sans visée politique. Cela étant, des futures négociations entre les différentes parties afin que les entreprises américaines et européennes soient traitées de la même manière, ne sont pas à exclure.
Cet échange de sanctions entre deux des trois plus grandes puissances économiques peut-il remettre en cause les négociations sur le TAFTA, déjà mal engagées ?
Les sanctions américaines et européennes peuvent générer des tensions dans les relations transatlantiques, mais je ne pense pas qu’elles soient susceptibles de remettre en cause le TAFTA. Les négociations sont d’ores et déjà mal en point pour de nombreuses raisons étrangères aux poursuites judiciaires, ce des deux côtés de l’Atlantique. Fondamentalement, les négociations s’inscrivent dans un contexte très peu favorable tant sur un plan politique qu’économique où les crises succèdent aux crises, levant toujours plus d’inquiétudes et toujours plus de craintes surtout lorsqu’il est question de mondialisation. Par contre, la position plus ferme de la Commission européenne sur la fiscalité des entreprises, mais aussi sur d’autres thématiques, sont de nature à renforcer la Commission, voire l’idée européenne si cela va jusqu’au bout. Son aboutissement ne dépend toutefois pas uniquement de la volonté de cette instance, les Etats européens étant également parties prenantes. La réaction de l’Irlande au redressement d’Apple n’est d’ailleurs pas de nature à rassurer. Si la Commission doit probablement apprendre à se positionner en porte-à-faux des positions de certains Etats, elle doit aussi apprendre à écouter les citoyens et défendre d’abord leurs intérêts. Si jusque-là elle a été le bouc émissaire des leaders politiques des pays européens, elle doit aussi travailler son image pour y gagner en légitimité et pouvoir enfin dépasser les divergences des Etats européens qui tendent à bloquer tous les dossiers.
Aujourd’hui, c’est bien la Commission européenne qui est à l’origine des sanctions contre Apple. Par cette mesure, elle démontre sa capacité à prendre des initiatives et des décisions contraignantes, au détriment de la volonté de certains Etats membres, en imposant au géant américain une amende de 13 milliards d’euros. Forte de cette position, la Commission européenne pourrait bien enfin arriver à exister comme acteur à part entière des relations internationales.
Le dénouement des élections américaines peut-il changer la nature des relations commerciales entre l’Union européenne et les Etats-Unis ?
Certes, les élections américaines pourraient jouer un rôle dans la nature des relations transatlantiques. L’arrivée de Donald Trump, qui prône fermeture et protectionnisme, aurait un fort impact sur les relations commerciales avec l’Europe notamment sur le TAFTA, que le républicain ne semble pas apprécier… Pour autant, les Etats-Unis regardent déjà ailleurs et ce n’est pas un hasard si le traité transpacifique a connu une issue plus positive que le TAFTA !
Néanmoins, ces élections sont à suivre avec attention car les relations économiques et commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis sont essentielles aux deux rives de l’Atlantique. Les deux économies représentent 50% de la demande mondiale et sont les premiers partenaires commerciaux en termes d’investissement. Leurs liens sont extrêmement forts et une part non-négligeable des acteurs économiques et financiers de l’Atlantique sont interdépendants. Une tentative de les modifier ou de les rompre pourrait affaiblir leurs économies dans un contexte déjà difficile.
Un troisième élément nous permet cependant de nuancer la gravité d’un affaiblissement des relations transatlantiques. Le monde se globalise. Si le commerce international dépendait autrefois de la triade Etats-Unis / Union européenne / Japon, les échanges se sont diversifiés ces dernières années laissant la place à de nouveaux acteurs en Amérique et en Asie, notamment la Chine. Cette diversification s’est exercée au détriment des relations transatlantiques qui ont perdu du poids. Aussi bien les Américains que les Européens ont diversifié leurs partenaires ces trente dernières années. Ils sont donc moins interdépendants. Et puis, la question est moins politique qu’il n’y paraît et les relations économiques qui existent des deux côtés de l’Atlantique ne vont pas être remises en cause par de simples élections.
Kader Abderrahim, chercheur à l’IRIS, répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Daech : Histoire, enjeux et pratiques de l’Organisation de l’Etat islamique » aux Editions Eyrolles :
– L’étude de l’islam permet-elle de mieux d’appréhender l’émergence de groupes terroristes comme Daech
– Comment Daech est-il parvenu à rallier des candidats de tout horizon et à reléguer Al-Qaïda au second plan?
– Pourquoi l’Occident n’arrive t-il pas à neutraliser Daech?
Le régime nord-coréen vient d’effectuer un essai nucléaire et des essais de missile balistique. Ils pourraient permettre à Pyongyang d’atteindre le territoire des États-Unis à moyen terme. Les nouvelles venant de la péninsule sont inquiétantes car la possibilité d’une guerre nucléaire est évoquée. L’effort militaire nord-coréen et la nature du régime sont angoissants. La Corée du Nord est certainement le dernier État totalitaire sur la planète. Il existe, certes, encore de nombreux régimes dictatoriaux et autoritaires, mais la Corée du Nord est le seul à ne laisser ni espace privé, ni espace public. L’irrationalité du régime serait ainsi de nature à le lancer dans une aventure militaire aux conséquences incalculables.
La réalité est pourtant différente. Si Pyongyang pourrait infliger des dégâts importants à Séoul, qui ne se situe qu’à 60 km de sa frontière, ou à Tokyo, qui est à portée des missiles nord-coréens, ces destructions ne profiteraient pas longtemps à la Corée du Nord. Elle serait elle-même immédiatement vaincue, voire détruite. Le rapport de force militaire n’est plus en sa faveur.
Si ce régime est certainement détestable, il est loin d’être irrationnel. Les dirigeants nord-coréens ne sont pas animés par la volonté de gagner une guerre, mais par celle de se maintenir au pouvoir. Se lancer dans une guerre dans laquelle la défaite serait certaine est la meilleure façon de perdre le pouvoir. La Corée du Nord agitera, longtemps encore, une menace du style « Retenez-moi ou je fais un malheur »afin de conforter son régime, tant sur le plan international que sur le plan interne. C’est l’option la plus envisageable.
La possession d’armes de destruction massive permet au régime de montrer aux Nord-Coréens qu’il les défend. Les habitants de la Corée du Nord ont très peu de connaissances sur la situation extérieure et ont du mal à percevoir la différence de situation économique entre ce qu’ils vivent et ce que vivent les autres. Ils peuvent, ainsi, d’autant plus adhérer aux thèses du régime par la peur et la contrainte. Pour le régime nord-coréen, l’arme nucléaire représente également un moyen de dire aux autres pays : « Nous sommes détestables mais n’essayez pas de changer la donne car nous avons les moyens de vous faire mal. » Il existe donc une situation d’équilibre. La Corée du Nord, d’une part, ne lancera pas d’offensive sur la Corée du Sud, le Japon, ou un autre État ; les pays voisins, d’autre part, n’attaqueront pas la Corée du Nord.
Les dirigeants nord-coréens sont persuadés, et ils n’ont peut-être pas tort, que si Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi avaient eu des armes de destruction massive, ils seraient toujours au pouvoir. L’arme nucléaire constitue donc une arme de dissuasion et de sanctuarisation du régime qui permet de le protéger contre le monde extérieur.
En fin de compte, si tout le monde prétend la souhaiter, personne ne trouve d’intérêt à la réunification coréenne. La Corée du Nord n’en voudrait pas, car elle ne pourrait se faire que sous une domination sud-coréenne, étant donné l’échec total du régime à nourrir la population et développer le pays.
La Corée du Sud ne souhaite pas plus la réunification dans la mesure où elle aurait un impact négatif significatif sur son économie. Les Sud-Coréens se souviennent du coût de la réunification de l’Allemagne. Pourtant, l’écart de développement entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est était moins important que l’écart de développement entre les Corées. De plus, il y avait quatre Allemands à l’Ouest (riches) pour un allemand de l’Est (pauvre), alors qu’il n’y a que deux Sud-Coréens pour un Nord-Coréen. La réunification serait, par conséquent, trop coûteuse.
Si le Japon n’entretient aucune sympathie pour le régime nord-coréen, il ne voudrait pas que l’unification coréenne se fasse car, pour des raisons historiques, elle se ferait sur un sentiment antijaponais. Quant aux États-Unis, ses dirigeants pensent qu’une réunification pourrait les priver d’un des motifs de leur présence stratégique dans la région. La Chine pense, à l’inverse, qu’elle pourrait permettre aux troupes américaines d’avancer jusqu’à ses frontières. Cette situation de menaces régulières, sans unification, où la guerre reste – heureusement – un horizon lointain, risque de durer. Les habitants de la Corée du Nord demeurent les seuls à souffrir de cette situation puisqu’ils se voient privés non seulement de liberté d’expression, mais aussi d’accès aux besoins élémentaires.