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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 16 hours ago

Elections au Maroc : quels défis attendent le PJD ?

Mon, 10/10/2016 - 14:42

Les législatives marocaines ont été remportées, samedi 8 octobre, par le Parti de la justice et du développement (PJD). Quelles seront les prérogatives et à quels défis devra faire face le nouveau gouvernement ?

Les prérogatives seront celles prévues par la constitution. Le roi devra reconduire, ou non, l’actuel Premier ministre Abdelilah Benkirane (PJD) qui sera chargé de la formation d’un nouveau gouvernement. Le premier enjeu du PJD sera de constituer une majorité parlementaire, car bien qu’arrivés en tête, les islamo-conservateurs, avec 125 sièges, n’ont pas la majorité absolue. Ils seront ainsi contraints, comme lors de la précédente magistrature, de sceller des alliances avec les autres partis. Des tractations sont en cours.
Les défis du Maroc restent inchangés. La jeunesse, notamment celle diplômée, vit une terrible crise sociale. Elle manque de débouchés dans un marché du travail inadéquat aux formations et aux enseignements dispensés dans les écoles marocaines. Le nouveau gouvernement devra proposer du travail à toute cette jeunesse en déshérence.

Le PJD est un parti islamo-conservateur. Quelles sont les raisons de son succès ? Celui-ci repose-t-il sur le positionnement religieux du parti ?

Le PJD, très bien implanté au Maroc, progresse. Il est constitué de militants organisés, disciplinés et convaincus. Le parti est présent dans tout le Royaume et laboure le terrain depuis des années. Il y exerce un important travail de proximité pour améliorer son image, parfois diabolisée par ses adversaires. Ainsi, les réseaux des islamo-conservateurs ont eu un impact conséquent sur leur victoire aux législatives. Le parti est très populaire, notamment dans les grandes villes et il a réussi à élargir sa base électorale à la classe moyenne des centres urbains, autrefois acquise à des partis plus conventionnels, de centre-gauche ou de centre-droit.
Le Maroc dont 95% à 97% des habitants sont musulmans, est un pays conservateur. La question de la religion a une place importante. Aux législatives, le PAM (Parti authenticité et modernité), proche du pouvoir (fondé par un ancien conseiller du roi) reste très présent dans les campagnes et les zones rurales, où les habitants sont viscéralement attachés à la monarchie. C’est plutôt ce parti qui incarne la tradition, car si le PJD est conservateur au niveau des mœurs, il l’est beaucoup moins sur les questions politiques. Le vote PJD est donc plus motivé par des questions de mœurs que par des questions de traditions qu’incarne son adversaire du PAM.

Le Maroc semble avoir l’économie la plus stable de la région. Quels sont ses atouts ? Concourent-ils à faire du Maroc un interlocuteur privilégié sur la scène régionale et internationale ?

Les sous-sols marocains ne regorgent pas des richesses que contiennent les sous-sols algériens. Le Maroc est cependant compétent dans plusieurs domaines : l’agriculture, l’exportation de phosphate et le tourisme. Cette année, les exportations agricoles, premier atout du pays, risquent d’être revues à la baisse, en raison du manque de pluie. Mais l’économie du pays restera stable, car s’il ne dispose pas d’un coffre-fort aussi conséquent que l’Algérie, les ressources économiques du Maroc sont multiples et diversifiées. Aujourd’hui, le pays s’affirme comme un expert africain dans le domaine bancaire et des technologies. Depuis cinq ans, ses stratégies sont tournées vers l’Afrique, où il a décidé d’implanter ses entreprises.
Aussi, le Maroc tisse, depuis longtemps, des liens privilégiés avec l’Occident, et ce, bien avant la seconde guerre mondiale. N’oublions pas que le pays est l’un des plus vieux Etats du monde, l’un des premiers à avoir reconnu l’indépendance des Etats-Unis. Cette profondeur historique lui donne une place particulière sur le continent africain et sur le monde arabe.
Sur la scène régionale, le Maroc joue une partition singulière de par ses relations avec l’Occident et par sa stabilité au sein d’une région troublée. Son rôle est cependant englué par ses mauvaises relations avec l’Algérie qui nuisent au développement de la région et empêchent la constitution d’un ensemble régional.

Référendum : « La Catalogne fait un saut dans un vide inconstitutionnel »

Fri, 07/10/2016 - 17:46

La défiance entre Madrid et Barcelone semble aujourd’hui à son apogée. Cette tension, entre l’Etat et une région indépendantiste constitue-t-elle un fait inédit en Espagne ?

Non. Au XIXe siècle, l’Espagne était déjà émaillée de conflits opposant le Pays basque et la Catalogne à Madrid, puis pendant la République espagnole et la guerre civile. Le rétablissement de la démocratie, après la mort de Franco, ainsi que la nouvelle Constitution, laissaient penser qu’un équilibre avait été trouvé, ce n’est pas le cas. Depuis quelques années, des tentatives de réajustement ont été effectuées, notamment par la rédaction d’un nouveau statut d’autonomie pour la Catalogne. Celle-ci n’a cependant pas été achevée. Le Parti populaire (PP) est parvenu à bloquer le processus d’élaboration d’un nouveau statut d’autonomie, en saisissant le tribunal constitutionnel. Aujourd’hui, le dialogue a tourné à l’autisme, et Madrid, depuis l’arrivée du PP au pouvoir, refuse tout dialogue avec les autorités de Barcelone.
En conséquent, les partis de Barcelone initialement autonomistes, sont devenus indépendantistes.

Par le passé, d’autres régions comme le Pays basque ont connu des revendications indépendantistes. Ces revendications ont-elles permis d’aboutir à la création d’un nouveau statut pour ces régions ?

Il y a une dizaine d’années, l’exécutif du Pays basque alors présidé par M. Ibarretxe, avait tenté d’effectuer un référendum pour l’indépendance, mais l’initiative a été bloquée par la cour constitutionnelle. Suite à cet échec, la cote de popularité des partis indépendantistes a baissé au profit du PP et du PSOE. Après une période de crise, le parti nationaliste basque revenu au pouvoir a opté pour un discours plus modéré. Il considère la démarche indépendantiste comme obsolète et revendique désormais un élargissement de son statut d’autonomie. Ce qui devrait lui permettre d’avoir plus facilement accès aux institutions européennes. Ce discours s’est avéré payant. Aujourd’hui, le parti nationaliste a retrouvé sa vitalité électorale.

Le Parlement catalan s’est prononcé, jeudi 6 octobre, pour la tenue d’un référendum d’ici septembre 2017. Que peut espérer le gouvernement catalan, deux ans après le vote -non reconnu – sur l’indépendance de 2014, à travers ce nouveau référendum ?

Les autorités barcelonaises sont en train d’opérer une fuite en avant institutionnelle. Les partis nationalistes ont conscience que ce genre d’initiative est contraire à la Constitution. Le tribunal constitutionnel a d’ailleurs déjà sanctionné la décision prise par le Parlement catalan le 29 juillet dernier, d’accepter la procédure d’organisation d’un référendum d’indépendance. Le tribunal constitutionnel menace aujourd’hui la présidente du Parlement catalan de poursuites pour violation de la Constitution. Les juges suprêmes ont également menacé de poursuivre d’autres responsables de Catalogne s’ils continuaient dans cette voie.
En conséquent, il est difficile d’imaginer comment ce référendum pourrait être organisé dans la légalité. Jusqu’à présent, le gouvernement catalan cherchait à négocier, à l’instar des Ecossais avec Londres, la possibilité d’organiser une consultation avec l’accord des autorités de Madrid. Les conditions actuelles et l’absence de gouvernement à Madrid, rendent cependant l’option inenvisageable. En l’absence de réponse du gouvernement espagnol, qui s’explique aussi par la crise politique, les Catalans ont décidé d’effectuer un saut dans le vide, tout en sachant que ce saut est inconstitutionnel et qu’il ne sera pas reconnu par les autorités judiciaires espagnoles. Barcelone a donc pris la responsabilité d’un conflit avec Madrid.

Le Parti des socialistes de Catalogne (PSC) propose quant à lui la solution d’une Espagne plurinationale. Cette solution pourrait-elle constituer une troisième voie susceptible de mettre d’accord Madrid et Barcelone ?

Par cette proposition, le Parti socialiste de Catalogne a pris le risque d’affronter son frère, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). La direction du PSOE s’est opposée à cette proposition. Si le PSOE défend une solution de fédéralisation de l’Espagne, la proposition des socialistes catalans va beaucoup plus loin. Elle souhaite que l’Espagne soit reconnue comme un Etat plurinational et que la Catalogne, au même titre que d’autres régions, soit considérée comme une nation. Cette proposition a été soumise au Parlement catalan. Elle a été rejetée. Elle aurait être acceptée il y a une dizaine d’années car les indépendantistes d’aujourd’hui ne l’étaient pas hier. Ils étaient plus ouverts à un compromis. Madrid n’a pas voulu. La proposition arrive donc trop tard.

Portrait d’un monde en crise – Présentation de l’Atlas des crises et des conflits

Thu, 06/10/2016 - 14:50

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, présente dans cette vidéo son ouvrage « Atlas des crises et des conflits » (Armand Colin/Fayard, 2016) co-écrit avec Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères.

L’OPEP n’est pas morte, elle se transforme !

Thu, 06/10/2016 - 14:38

Dans quel contexte du marché des hydrocarbures survient cette annonce des pays de l’OPEP ?

La déclaration d’Alger a surpris de nombreux analystes qui estimaient que les conditions politiques n’étaient pas réunies pour trouver un accord entre les deux principales puissances régionales et pays producteurs de l’Organisation (Arabie Saoudite et Iran). Cette annonce est donc historique à plus d’un titre puisqu’elle intervient après les réunions de novembre 2014, décembre 2015 et avril 2016, qui ont vu successivement l’OPEP ne pas intervenir dans un contexte d’effondrement des cours, inonder les marchés pétroliers pour finalement échouer à trouver un compromis sur les marchés. Ainsi, après une « politique de la vanne ouverte » initiée en 2015, l’OPEP cherche désormais à reprendre le marché en main avec une décision de diminution de production, une première depuis près de 8 ans !
Les facteurs qui ont poussé les producteurs à retrouver les bases d’un accord jugé impossible en avril dernier sont nombreux et ne relèvent pas des derniers développements enregistrés sur les prix qui se révèlent par ailleurs très volatils. En effet, la séquence d’effondrement des cours du brut (une baisse de près de 70 % entre juin 2014 et décembre 2015) s’est interrompue début 2016 à moins de 30 dollars le baril et les prix oscillent désormais dans une fourchette comprise entre 40 et 50 dollars le baril. Le pré-accord trouvé à Alger peut en partie s’expliquer par les incertitudes de la production des pays non-OPEP pour les mois à venir. Ainsi, lors de son allocution du 28 septembre dernier, le ministre de l’Energie et de l’Industrie du Qatar et président de la conférence de l’OPEP à Alger -HE Dr. Mohammed Bin Saleh Al-Sada- a insisté sur le fait que l’Organisation avait révisé à la baisse la réduction anticipée de la production non-OPEP en 2016 (de 760 000 barils prévue initialement, la baisse pourrait n’atteindre que 600 000 barils), mais également pour 2017. Pour l’année prochaine, l’Organisation anticipait une réduction de 100 000 barils de la production non-OPEP alors qu’elle prévoit désormais une hausse de 200 000 barils. Dans un contexte où la demande mondiale de pétrole devrait progresser d’environ 1,3 % l’année prochaine, l’OPEP se devait dès lors d’envoyer un signal au marché.
En août 2016, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’OPEP a ainsi produit 33,47 mbj, soit un niveau record notamment pour de nombreux pays producteurs au Moyen-Orient. Le Koweït et les Emirats Arabes Unis ont pompé à des niveaux sans précédent ; l’Arabie Saoudite s’est rapprochée de son record de production et l’Iran a produit près de 3,64 mbj, contre 2,8 mbj en décembre 2015.
Au final, en août 2016, la production totale de l’Organisation était supérieure de près de 930 000 barils à celle de 2015. La réduction annoncée de 2 % devrait retirer plus de 700 000 barils du marché, un chiffre inférieur à l’augmentation de production observée depuis près d’un an au sein du cartel. Si la déclaration d’intention se transforme en accord en novembre prochain, il pourrait ainsi contribuer à un rééquilibrage du marché en 2017.

Pourquoi cette décision aujourd’hui et quel sera son impact ?

Les pays producteurs souffrent dans leur grande majorité et à des degrés divers de l’effondrement des prix du pétrole. Le département américain à l’énergie (DOE) a ainsi estimé que les revenus d’exportations de pétrole des principaux membres avaient atteint 404 milliards de dollars en 2015, contre plus de 750 milliards en 2014, soit une chute d’environ
46 %. La chute des prix du pétrole a ainsi conduit au niveau de revenu le plus faible depuis 2004 pour les pays de l’OPEP. Les premières estimations pour l’année 2016 laissent envisager une nouvelle baisse des recettes d’environ 15 %. Ces chiffres expliquent les difficultés économiques de certains pays membres, qui ont enregistré un ralentissement marqué de leur croissance (voire une entrée en récession) dès 2015. La situation du Venezuela, qui combine une crise politique et une crise économique (PIB en chute de 6 %, inflation à plus de 150 % en 2015), parait difficilement soutenable tout comme les situations observées au Nigeria, en Libye ou en Angola, particulièrement difficiles. Dans ce contexte, il ne faut pas s’attendre à un changement radical de la conjoncture économique des 14 pays membres de l’OPEP. Pour nombre d’entre eux, les difficultés rencontrées sont d’ordre structurel (diversification limitée, concentration de la rente, crise sociale…).
Toutefois, la promesse d’un accord pourrait donner un peu d’air à certaines économies de l’Organisation qui conjuguent une crise économique et politique. Les marchés pétroliers ont ainsi accueilli favorablement cet accord avec une hausse du prix du pétrole brut Brent de plus de 3,5 % à Londres, à environ 48 dollars le baril et de plus de 5 % à New-York pour le WTI. Toutefois, les effets à moyen terme sur les prix restent suspendus à de nombreux facteurs. Le premier, capital, reste la capacité de l’OPEP à transformer l’essai d’une déclaration de principes à un véritable accord de production, assorti d’une réduction des quotas des différents pays membres. Sur ce premier point, il faudra notamment observer le combat à distance que risquent de se livrer l’Arabie Saoudite et l’Iran. Historiquement, l’hétérogénéité économique, politique et sociale des membres du cartel rend difficiles les accords à long terme sur le marché. Et le contexte actuel est inédit puisque l’OPEP doit gérer le retour marqué de l’Iran sur la scène internationale, le potentiel de développement considérable de l’Irak sur les marchés pétroliers et la quasi-faillite de l’un de ses membres fondateurs (le Venezuela). Les contours de l’accord restent flous et le cartel devra dépasser la seule stratégie de l’effet d’annonce s’il veut entretenir un effet durable sur les prix.
Le second facteur interroge les transformations structurelles du marché pétrolier. En effet, la simple déclaration d’intention n’aura de conséquences, sur le marché, à moyen terme, que si d’autres pays producteurs de pétrole non-membres du cartel s’associent à cette nouvelle politique. On pense bien évidemment à la Russie, qui par le passé, a souvent joué le rôle de passager clandestin des politiques de l’OPEP. D’autres éléments pourraient également rendre cet accord caduc. Ainsi, de manière globale, l’environnement économique mondial reste soumis à une myriade de risques. La croissance mondiale, tout comme celle du commerce international, décélère et les perspectives actuelles interrogent : le risque bancaire en Europe, les incertitudes sur le rééquilibrage économique en Chine et la situation financière de l’Empire du milieu sont autant de facteurs induisant une forte volatilité sur les marchés. En outre, le contexte électoral aux Etats-Unis et les incertitudes sur la politique monétaire américaine renforcent le sentiment de flou sur les perspectives économiques mondiales et, en tout premier lieu, sur le marché pétrolier.

Les pays OPEP ont-ils, aujourd’hui, les moyens de faire durablement augmenter le prix du baril, alors que certains pays, en particulier les Etats-Unis, ont commencé à exploiter leurs propres réserves pétrolières et que de nombreux pays diversifient leurs ressources en énergie, notamment dans le cadre de la transition énergétique et de la COP 21 ?

Il est intéressant d’observer que l’OPEP utilise toujours les mêmes recettes (annonce de réduction de production…), alors que le marché pétrolier a connu de profondes transformations structurelles. Ainsi, la révolution du pétrole de schiste aux Etats-Unis a considérablement flexibilisé le marché pétrolier. Désormais, toute diminution de production du cartel peut être compensée à courte échéance par une hausse de la production aux Etats-Unis. La chute des prix de près de 65 %, entre juin 2014 et décembre 2015, avait permis de réduire la production américaine de pétrole de schiste. En juillet 2016, cette dernière a ainsi atteint environ 4 mbj, soit une diminution de 15 % par rapport à son pic de mars 2015. Si l’accord est confirmé en novembre prochain, l’OPEP devra rester attentive à une possible reprise de la production américaine. En effet, des prix compris entre 45 et 55 $ le baril constituent une zone grise de reprise possible de l’activité aux Etats-Unis.
A plus long terme, les politiques de transition énergétique au niveau mondial risquent d’accélérer la substitution des énergies carbonées et, en premier lieu du pétrole, par d’autres sources énergétiques. Toutefois, ces processus restent ancrés dans le très long terme et le secteur des transports, grand consommateur de produits pétroliers, restera encore longtemps dépendant de l’or noir. Cependant, l’OPEP et les pays producteurs commencent à préparer leur après pétrole. Les Emirats Arabes Unis constituent l’exemple le plus avancé en matière de diversification. Pour l’OPEP, ces évolutions induisent également des changements structurels. Ainsi, le retour de l’Indonésie – un pays importateur net – et du Gabon au sein de l’OPEP sont sûrement le symbole d’un nouvel état d’esprit au sein du cartel. L’Organisation a conscience que son pouvoir d’influence est désormais limité dans un contexte d’abondance pétrolière et elle tend à opérer sa mue sur les marchés. Marqueur politique, géopolitique et économique des années 1970, l’OPEP pourrait chercher à moyen terme à devenir plus globale et, pourquoi pas, élargir son leadership en se positionnant comme une Agence de l’énergie des pays du sud…
Ne nous trompons pas, l’OPEP n’est pas morte, et tout comme les marchés pétroliers, elle se transforme !

Éthiopie : les signaux faibles s’accumulent

Thu, 06/10/2016 - 09:28

Le 11 septembre 2016, en raison de son calendrier julien, l’Éthiopie a fêté son entrée en 2009. Depuis quelques semaines, l’ambiance n’est pas aux explosions de joies. Addis Abäba et les grandes métropoles régionales semblent comme assommées par une fin d’année où les signes négatifs s’accumulent. L’économie se ralentit et les objectifs fixés dans le Growth and Transformation Plan[i] deviennent, dès la deuxième année, très illusoires d’autant que l’inflation reprend. Les mouvements sociaux réprimés dans la violence ne paraissent pas s’arrêter. Le pouvoir politique n’a pas de solutions à court terme. Faudra-t-il attendre les congrès en 2017 des différents partis composant la coalition au pouvoir pour entrevoir une amorce de décisions ? Ou faudra-t-il attendre les élections de 2020 ?

Comme nous l’avions écrit en mai 2015[ii], il était à prévoir que les résultats des élections législatives et régionales avec des scores de 100 % laissaient entrevoir des lendemains douloureux. Nous y sommes.

Les cent millions d’Éthiopiens demandent maintenant que les fruits de la croissance soient visibles dans leur quotidien. Le parcours de l’Éthiopie de ces deux dernières décennies est remarquable mais il a impliqué beaucoup de sacrifices pour la population. Les modernes et les anciens s’affrontent. Le modèle éthiopien, celui d’un État « développementaliste » autoritaire, comme le décrit Jean Nicolas Bach[iii], est à bout de souffle. S’il fut porté à bout de bras par Mälläs Zénawi, il a atteint ses limites et un tournant majeur doit être effectué. Il va falloir s’appuyer sur une nouvelle classe politique, sur le dynamisme d’entrepreneurs, sur des orientations économiques modernes.

À défaut, l’Éthiopie risque de perdre le bénéfice de ces vingt dernières années en très peu de temps. La communauté internationale semble s’apercevoir que le modèle éthiopien est porteur de sévères contradictions. Alors qu’Addis Abäba refuse d’appliquer la décision internationale de démarcation de la frontière de 2002 entre l’Érythrée et l’Éthiopie, elle vient d’obtenir un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Et pourtant, le Conseil de sécurité est compétent au premier chef pour assurer la paix et la sécurité internationales[iv] ! Encore une occasion manquée de régler le problème entre les deux États. Car l’Éthiopie et l’Érythrée ont besoin l’un de l’autre. L’incident de Tsorona en juin n’est pas à négliger. Il pourrait donner à penser qu’une fuite en avant avec une reprise du conflit apparaîtrait aux yeux de quelques « anciens » comme une solution pour maintenir le régime. À ce titre, il sera intéressant de voir l’accueil réservé au prochain rapport sur l’embargo en Érythrée, en octobre 2016. Depuis trois ans, les analyses des rapporteurs sont peu crédibles et partiales. Il faut prendre garde à ne pas envoyer de tels signaux dans une région où la violence perdure et est devenue un recours facile (Soudan du Sud, Somalie).

L’Éthiopie vit des heures cruciales. Si les incidents continuent, les activités liées au tourisme, déjà en baisse[v], s’amenuiseront et ce secteur pourtant prometteur et nécessaire pour l’économie connaîtra une perte de vitesse rapide. C’est un indicateur important. Si les Éthiopiens ne voient pas émerger une nouvelle classe de dirigeants, ils pourraient débuter un printemps est-africain et la stabilité de la Corne de l’Afrique, déjà fragile, s’en ressentirait.

La fin de l’année 2016 et le début de 2017 vont être tendus pour l’Éthiopie. L’échéance de 2020 est trop loin pour attendre une sanction dans les urnes. L’ancien chef d’état-major des Forces de défense nationale éthiopiennes, le général Gäbrä Tsadqan a souligné en août que l’heure est grave. Les Éthiopiens attendent des changements politiques et économiques rapides, des sanctions contre l’emploi démesuré de la violence par les forces de l’ordre lors des derniers événements, de l’efficacité dans la lutte contre la corruption et la fin d’une « bureaucratie incompétente et médiocre[vi] ».

Sans réponses majeures, l’héritage de Mälläs Zénawi risque d’être dilapidé en quelques mois et l’Éthiopie pourrait effectuer un grand bond en arrière.

[i] Plan à cinq ans de prévision de l’économie éthiopienne (2015-2020).
[ii] « Des élections sans suspense en Éthiopie pour un pays à l’avenir incertain », Ferras Patrick, 26 mai 2015, www.iris-france.org.
[iii] « Privilégier la stabilité économique à l’ouverture politique a créé une situation explosive », Le Monde du 27 septembre 2016. Voir Jean-Nicolas Bach, « L’Ethiopie après Meles Zenawi : l’autoritarisme ethnique à bout de souffle ? », Politique africaine, n°142, juin 2016, p. 5-29.
[iv] www.un.org consulté le 28 septembre 2016.
[v] Entretiens à Addis Abäba en septembre 2016.
[vi] « Hailemariam Desalegn’s limited room to manœuvre », journal Fortune du 25 septembre 2016.

« La seule chose qui pourrait faire reculer les Russes en Syrie, serait une pression multilatérale »

Wed, 05/10/2016 - 15:33

Que pensez-vous de l’impatience des États-Unis vis-à-vis de la Russie ?

Elle n’est pas nouvelle. Dans le dossier syrien, Washington se heurte au rôle joué par la Russie depuis longtemps. Sans Moscou, Bachar Al Assad ne serait plus en place depuis un moment. À cela s’ajoute aujourd’hui le bombardement d’Alep. C’est une horreur qui indigne beaucoup de monde : pas seulement Washington, mais aussi le secrétaire des Nations Unis, Ban Ki-moon, et le ministre des affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault qui l’a défini comme un nouveau Guernica.
Or, les Russes ne cachent plus leur participation directe à ce crime. Ils bombardent ouvertement Alep, au côté des forces de Assad. Il n’est pas possible de l’ignorer. J’ajoute que ce discours permet aussi à Obama de répondre à ceux qui, aux États-Unis, le jugent trop faible : surtout après sa reculade, sur les armes chimiques et la ligne rouge à ne pas dépasser en Syrie, en 2013.

À ce stade, que peuvent faire les États-Unis en Syrie ?

Pas grand-chose. Le cessez-le-feu avec Moscou a été un échec. L’armée américaine n’a pas voulu livrer des informations aux Russes comme le prévoyait l’accord. Il n’y a rien à attendre de ce côté-là. Par ailleurs, Washington ne va pas intervenir militairement pour défendre Alep contre les forces syriennes et russes. Donc, la marge de manœuvre des États-Unis est faible. La seule chose qui pourrait faire reculer les Russes serait une pression vraiment multilatérale.
Or, aujourd’hui, seuls les Occidentaux demandent aux Russes de ne plus bombarder Alep. La meilleure des choses serait de sortir de ce face-à-face. Cela peut se faire si les grandes puissances non occidentales, si les pays émergent comme le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud s’indignaient publiquement des bombardements. Si la condamnation devient vraiment universelle, Moscou sera moins enclin à l’intransigeance.

Sur ce dossier, qu’est-ce qui différencie Hillary Clinton de Donald Trump ?

Hillary Clinton a soutenu les dernières interventions militaires extérieures des États-Unis. Sur ce terrain-là, elle écoute les conseils des néoconservateurs. Présidente, on peut penser qu’elle sera sur une ligne intransigeante avec Damas et Moscou.
Cependant, elle n’enverra pas l’armée en Syrie. Donald Trump, lui, affiche son isolationnisme et son admiration pour Poutine. Élu, il ne sera plus en première ligne sur le dossier syrien. Tout montre qu’il se rapprochera de Moscou, que les relations entre les deux pays prendront une autre direction. Dans ce contexte, Assad pourrait être réintroduit dans le jeu diplomatique. C’est d’ailleurs ce que certains demandent déjà en France comme François Fillon.

Recueilli par Laurent Larcher

Rejet du référendum en Colombie : la paix pourra-t-elle tout de même avoir lieu ?

Wed, 05/10/2016 - 09:38

Alors que pour de nombreux observateurs, l’accord de paix en Colombie était acté, les Colombiens l’ont rejeté à l’occasion du référendum. Est-ce une surprise ? Quels sont les motifs de ce rejet ?

Il ne s’agit pas seulement d’observateurs. Le sentiment était général. Il s’appuyait sur les évaluations convergentes de tous les organismes de sondage colombiens qui, tous à des degrés divers, donnaient la victoire au « oui ». Le résultat a donc effectivement été reçu avec surprise tant par les partisans du « oui » que par ceux du « non ».
Les raisons de ce vote, données bien sûr a posteriori, sont multiples. La Colombie est un pays urbain. Les urbains ont depuis longtemps été très loin des zones de conflit, toutes situées dans les périphéries du pays. La carte du vote est éclairante. Dans les départements affectés par le conflit et en ayant souffert, le « oui » a été largement majoritaire. Au cœur du pays, la Colombie urbaine d’aujourd’hui, c’est le « non » qui l’a emporté. Dans ces régions, les électeurs ont voté comme tous les électeurs du monde consultés par référendum (plébiscite en Colombie). Ils ont voté pour ou contre le gouvernement, ne tenant pas compte de la question posée. La mobilisation électorale a été très faible. L’abstention a été de 63%. Certains ont pu se prononcer pour des motivations corporatistes, comme les chauffeurs de taxis très remontés contre le gouvernement coupable selon eux d’avoir laissé le concurrent, Uber, s’implanter. Les églises locales, catholiques et protestantes, évangélistes, reprochent au gouvernement son laxisme moral et ses ouvertures en direction des couples lesbiens et homosexuels.
Le président a beaucoup parié sur le soutien des partis politiques, tous assez peu représentatifs et qui ne se sont pas vraiment impliqués dans la campagne. Il a privilégié les médias, les réseaux sociaux à une campagne s’appuyant sur la société civile. Si l’on ajoute la faible durée de la campagne, les pluies tropicales ayant affecté des régions favorables à l’adoption de l’accord,le « oui » partait avec un handicap qu’il n’a pu compenser.
L’ex-président Uribe, enfin, était très remonté contre l’actuel président, Juan Manuel Santos, qui a été son ministre de la Défense. Pour des motivations idéologiques et de concurrence partisane, il a mené bataille contre un accord entaché, selon lui et ses amis, de chavo-communisme. Ce discours a séduit les catégories sociales les plus aisées et a convaincu divers autres groupes d’électeurs dans la partie centrale du pays, non affectée par le conflit.

Le « non » entérine-t-il toute velléité de paix pour autant ? Quelles procédures vont suivre le référendum ? Les combats risquent-ils de reprendre ?

Les conséquences du vote sont paradoxales. Il s’agit en réalité d’un match nul. 49,2% d’un côté, 50,8% de l’autre. Les acteurs du plébiscite sont sortis sonnés par ce résultat, inattendu et serré. Tous, aujourd’hui, affirment, haut et fort, être partisans de la paix. Ils se disent prêts à se rencontrer pour trouver un compromis qui permettrait de sauver l’essentiel : éviter la reprise des combats. Conscients de l’enjeu, les FARC ont très vite signalé qu’elles maintenaient le cessez-le-feu. Le Président Santos leur a emboité le pas en ce qui concerne les forces de sécurité. Dans les zones de conflit la population a exprimé ses craintes. A Bogota, les étudiants ont manifesté devant le Parlement en faveur de la paix. En dépit des interrogations posées par ces réactions et des incertitudes sur la voie à suivre, un élément permet de penser qu’une option préservant la paix pourra être trouvée. L’ex-président Uribe poursuivait en effet un objectif qui primait celui de l’approbation ou du rejet des accords, se remettre en jeu dans la vie politique. Ce qui est aujourd’hui le cas. Le président, prisonnier d’un projet qui l’a mobilisé pendant six ans et qu’il veut préserver, est contraint de négocier un pacte avec son grand rival, Alvaro Uribe.

Quel sera l’impact du référendum au niveau régional et international ?

La communauté internationale a soutenu les accords. Elle avait pris des engagements politiques et financiers, conformés par une forte présence le 26 septembre aux cérémonies de signature des accords. Elle va donc soutenir les efforts en cours pour sauver ce qui peut l’être.

Oman : une autre géopolitique dans le monde arabe

Tue, 04/10/2016 - 18:46

Le Sultanat d’Oman est un pays du Moyen-Orient souvent méconnu du grand public. Fort d’une influence douce dans les relations internationales, ses choix politiques sont orientés par la diplomatie discrète et par une tradition de tolérance, ce qui le positionne comme acteur géostratégique central de la région.

Depuis la prise de pouvoir du sultan Qabous Ben Saïd en juillet 1970, suite à la déposition de son père, le pays présente un taux de développement plus important et sa stabilité est souvent saluée.[i] Comment le sultanat a-t-il pu autant changer en à peine 40 ans ? Quel est le réel poids de ce pays de 4 millions d’habitants ? Qui est donc ce sultan à vocation diplomatique ? Un éclairage sur ce pays du Golfe qui force autant d’incompréhension que d’admiration.

Une monarchie pétrolière tournée vers la diversification économique

Souvent connus pour leur richesse pétrolière, les pays du Golfe sont au centre de toutes les attentions géopolitiques en raison de cette matière première précieuse. Oman a également su profiter de cet avantage tout en investissant dans d’autres domaines, faisant ainsi figure d’exception dans la région.

En effet, contrairement à d’autres pays avantagés par des ressources pétrolières plus importantes, Le Sultanat d’Oman n’a commencé à exploiter les siennes que vers 1967. Ne jouissant que d’une réserve limitée, le sultan Qabous a rapidement désiré investir dans d’autres secteurs économiques[ii], afin d’assurer une économie plus compétitive, permettant l’amélioration des infrastructures du Sultanat et son bon développement.

Oman s’est rapidement diversifié pour pallier au futur manque. La littoralisation a, de ce fait été un élément clé dans l’industrialisation et dans l’ « intégration des échanges mondiaux ».[iii] En construisant des raffineries sur ses littoraux, Oman a ainsi assuré l’exportation du pétrole et du gaz vers l’international, tout en prévoyant la pénurie. Effectivement, depuis 2008, le Sultanat a créé un hub aéroportuaire à Doqum, assurant une ouverture internationale en devenant un passage transitoire. Ses bonnes relations diplomatiques avec l’Occident, l’Asie et les pays arabes lui permettent donc d’avoir un statut privilégié, notamment sur le plan économique.[iv]

Un autre domaine d’investissement par le Sultanat a été la désalinisation de l’eau de mer. Une technologie de dessalement a ainsi permis un « développement industriel privilégié »,[v] débouchant sur des partenariats avec des entreprises françaises telles que GDF Suez ou Veolia.[vi]

Sa diversification économique et son dynamisme vers l’international ont permis à Oman de sortir du carcan pétrolier. Jouissant d’une rente liée à ce profit, partiellement reversée à sa population, comment ce pays arrive-t-il à se gérer à l’interne ?

Un pays de paix sociale dans une région empreinte à l’instabilité

Avec une forte expansion économique, le pays est en mesure d’aider sa population. En effet, le but d’Oman est aussi d’obtenir une paix sociale, générant ainsi une stabilité au sein du Sultanat.

Devenant rentier grâce au pétrole, le sultan a donc décidé de redistribuer une partie de cette richesse afin d’aider les personnes les plus vulnérables, dans un pays où le chômage est à presque 12%.[vii] Si cette mesure est à cheval entre l’Etat-providence et le paternalisme, des chercheurs ont démontré que les étrangers travaillant dans le pays ne bénéficient pas de cette rente et vivent dans des conditions souvent précaires, à l’instar des expatriés bangladais. Ils méritent plus d’attention.[viii] Par ailleurs, des contestations à cet effet ont émergé en mars 2011, pendant le Printemps arabe. Si le mouvement n’a été que marginal à Oman, le sultan a répondu rapidement par des réformes politiques qui n’ont pas convaincu. Les activistes ont continué à pointer les inégalités jusqu’en automne 2012, malgré les restrictions imposées par le ministère de l’Intérieur. Force est de constater que le sultan a anticipé des réformes politiques audacieuses

Si les questions sur les étrangers et la liberté d’expression sont controversées, le sultan œuvre pour développer l’égalité des chances pour ses citoyens. L’éducation a donc été au centre de sa politique. Grâce à son projet de formation en faveur des jeunes, il a encouragé la scolarisation pour tous les enfants, ce qui a permis un taux d’alphabétisation de 91% en 2015[ix] contre 35% en 1970.[x] Le Sultanat encourage ses jeunes étudiants à postuler pour des études à l’étranger et dans toutes les disciplines.

Le paradigme de paix se retrouve-t-il dans leur religion ? L’ibadisme, une autre branche de l’Islam, repose sur la cohabitation entre ses différents courants. Sa pratique est plutôt harmonieuse dans le pays, mêmes si les autorités se méfient de la radicalisation. Les lieux de culte font l’objet d’un contrôle sans relâche exercé par le ministère des affaires religieuses. C’est pourquoi, le sultan Qabous attache une importance de taille à ce secteur. Il a nommé un homme de savoir, doté d’une grande connaissance théologique et scientifique. Abdullah Ben Mohammed Al Salmi est un homme à poigne, c’est lui qui dicte aux milliers d’imams du pays le texte de la prière du vendredi. Sans détour, il se défend en disant qu’il suffit de quelques heures pour galvaniser les foules, mais il faut, en revanche, plusieurs années pour les former et les armer contre les dérives.

Oman a développé une tolérance, qu’il met à profit d’une « diplomatie religieuse »[xi] afin « d’insister sur ce qui rassemble, ce qui [nous] unit, à travers le dialogue ».[xii]

Cette façon de vivre la religion s’est adaptée à la gestion des politiques internationales. Oman a donc appliqué ces principes diplomatiques religieux à la résolution de conflits, en devenant médiateur. Dans quelles mesures l’intervention du Sultanat a eu un impact dans les relations internationales ?

Le sultan Qabous Ben Saïd, un médiateur clé pour la pacification des relations internationales

D’un point de vue international, le sultan Qabous fait preuve d’exemplarité. En effet, ce personnage charismatique est souvent intervenu dans différents conflits régionaux et internationaux, permettant ainsi la résolution de certaines tensions. Grâce à des relations pacifiées par l’entente économique et par la diplomatie religieuse, son rôle de médiateur est donc assuré.

D’un point de vue régional, Oman a souvent œuvré pour la paix et la discussion. Ses décisions politiques ont souvent été le reflet de cette ligne de conduite. Dans le conflit syrien par exemple, le sultan a conservé des relations diplomatiques avec Bachar Al-Assad. Son expérience le pousse à résoudre les conflits dans les Etats arabes, sans intervenir militairement.[xiii] Il use de cette même stratégie pour les crises yéménite et irakienne. Son influence sur les Houtis au Yémen a joué un rôle crucial dans la tenue des négociations de Genève.

Le sultan est également intervenu dans certaines discussions opposant des pays occidentaux à des pays arabes. En effet, en 2013, Oman a accueilli secrètement les délégations américaines et iraniennes pour les rapprocher diplomatiquement afin d’arriver à un accord sur le nucléaire et apaiser les tensions. Le sultan a souvent tenté cette approche mais l’arrivée de Barack Obama à la fonction de président a permis la réalisation de ce processus.[xiv]

Par ailleurs, le Yémen a souvent pris en otage des touristes étrangers et l’influence du sultan a été cruciale pour leur libération. En 2015, François Hollande avait ainsi remercié le sultan Qabous pour son intervention dans la mise en liberté d’Isabelle Prime.[xv]

Ce rôle privilégié et important est néanmoins sujet à l’instabilité qui marque la région. Des coalitions étrangères ont parfois tenté d’exercer des pressions sur le sultan qui, selon elles, outrepassait ses prérogatives. La figure patriarcale et charismatique légitimant l’union omanaise et son ambition régionale, a réussi à rassurer ses détracteurs et réduire leur capacité de nuisances. Ainsi l’après Qabous est désormais une préoccupation, en l’interne comme en externe, pour préserver cette stabilité que le sultan a réussi à créer ces 40 dernières années et surtout son rôle de facilitateur dans un monde de plus en plus complexe.

 

[i] Samy GHORBAL (22 septembre 2015), « Oman : un îlot de stabilité, loin des passions sunnite et chiite», Jeune Afrique. Repéré à : http://www.jeuneafrique.com/mag/250309/societe/oman-un-ilot-de-stabilite-loin-des-passions-sunnite-et-chiite/

[ii] Alain GRESH (21 avril 2016), « La diplomatie tranquille d’Oman dans un Golfe en ébullition », Orient XXI. Repéré à : http://orientxxi.info/magazine/la-diplomatie-tranquille-d-oman-dans-un-golfe-en-ebullition,1295,1295

[iii] Alexandre MOUTHON (5 mars 2016), « Géopolitique d’Oman, les choix d’une pétromonarchie discrète », Diploweb.com La revue géopolitique, 27 pages, Repéré à : http://www.diploweb.com/spip.php?article1504, p. 12

[iv] Ibid, p. 6

[v] Ibid, p. 13

[vi] Ibid

[vii] France diplomatie (1er juillet 2016), « Présentation d’Oman ». Repéré à : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/oman/presentation-d-oman/

[viii] Alexandre MOUTHON, op. cit., p. 19

[ix] Ibid

[x] Alexandre MOUTHON, op. cit., p. 19

[xi] Samy GHORBAL (22 septembre 2015), « Oman : un îlot de stabilité, loin des passions sunnite et chiite», Jeune Afrique. Repéré à : http://www.jeuneafrique.com/mag/250309/societe/oman-un-ilot-de-stabilite-loin-des-passions-sunnite-et-chiite/

[xii] Ibid

[xiii] Mohammed ABOUD (16 août 2015), « Le sultanat d’Oman peut-il devenir un acteur clé de la crise syrienne ? », Middle east eye. Repéré à : http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/le-sultanat-doman-peut-il-devenir-un-acteur-cl-de-la-crise-syrienne-285229865

[xiv] Benjamin BARTHE (22 décembre 2013), « Le rôle d’intermédiaire discret joué par Oman », Le Temps. Repéré à : http://www.letemps.ch/monde/2013/12/22/role-intermediaire-discret-joue-oman

[xv]AFP Agence (7 août 2015), « Le rôle clé du sultanat d’Oman dans la libération de l’otage », Le Figaro. Repéré à : http://www.lefigaro.fr/international/2015/08/07/01003-20150807ARTFIG00278-le-sultanat-d-oman-mediateur-diplomatique-majeur-du-moyen-orient.php

Pays émergents : Fin du rééquilibrage ?

Tue, 04/10/2016 - 17:53

Sylvie Matelly est directrice adjointe de l’IRIS et économiste. Elle répond à nos questions à propos du numéro 103 de la Revue internationale et stratégique sur les « Émergence(s) » :
– Le phénomène des pays dits “émergents” est aujourd’hui en crise. Pourquoi y avoir consacré un dossier dans la Revue internationale et stratégique?
– Qu’entendez-vous par « émergents » ? Comment cette notion se traduit-elle en termes de développement ou d’aspiration à la puissance ?
– Le rééquilibrage des pays « émergents » a-t-il pris fin ? Va-t-il s’inverser ou marque-t-il simplement une pause ?

EU, Spain and the refugee crisis

Tue, 04/10/2016 - 14:29

In your opinion, what are the roots of the refugee crisis?

Various geopolitical dynamics in the EU’s neighborhood and beyond (mainly the Middle East and North Africa, the Sahel and the Horn of Africa) have generated unprecedented and growing migratory flows towards Europe. They relate to security challenges, growing regional instability, the deterioration of the economic and social environment, poverty and unemployment, climate change, etc., which are expected to last for decades.

Do you think that the worst of the refugee crisis is now behind us?

We have a poor approach to the root causes of these massive influxes. We still face inflows from the existing routes and a very realistic threat of the reopening of old ones or the appearance of new ones (eg., the north-east is beyond the realms of possibility).
The speed of the emergence of new routes far outpaces the EU’s decision-making capacity, which is increasingly dominated by national perspectives. On the contrary, the unpreceded magnitude of the inflows demands a collective and solidarity-based approach, the only one capable of achieving enduring results.
We have now moved from the Greek and Turkey refugee emergency crises to a Central Mediterranean scenario. Although drastically reduced, in the Greek case, and in the process of being reduced in the Mediterranean, the inflows have not stopped. Neither should we forget the 57.000 people held up in Greek camps. It is too soon to evaluate the functioning of the mechanisms set up to tackle the refugee and migration crises, namely the fragile EU-Turkey declaration.

Do you think that we are now in a ‘migrant’ crisis and not a ‘refugee’ one anymore?

The current inflows are mixed (both refugees and economic migrants). In the Eastern route the flows have a greater component of refugees from Syria but there are also economic migrants. The Central/Western Mediterranean route mainly comprises economic migrants but also have a high degree of refugees from Eritrea, for instance.
Apparently, the distinction between refugees and economic migrants is easy but, in practice, it is increasingly difficult to distinguish between the two. All these people largely come from very poor countries, with cruel dictatorships and deadly conflicts. To decide if a particular individual is fleeing for reasons of economic survival or because his life or physical integrity are at risk is becoming a grey area.
Despite their obviously different legal statuses, the point is they face similar challenges. After a period of adaptation refugees must be integrated and found places in the labour markets, which is not always an easy task. Both categories face the risk of confrontation with anti-immigration movements.
It must be borne in mind that the current refugee/migration wave primarily affects southern Member States, which are the most affected by the economic crisis and have less resources to manage, integrate and provide social protection to refugees. The lack of legal, operational, administrative and financial resources to streamline and speed-up asylum procedures (including appeals) and to enforce deportation orders are a major concern. The EU’s general poor returning rates for those who are not entitled to stay signals a considerable breakdown in its immigration policy and can become a safety issue for the Schengen area.

What do you think about the EU policies developed to tackle this issue? What about the agreement with Turkey? The European Frontier and coast guards?

For the time being we have managed to stem the crisis, reduce inflows and regain control over our borders. However, the debate persists in the EU and is giving rise to one of the deepest political rifts in the EU.
The measures adopted so far, although important, are clearly short-term fixes. The EU-Turkey agreement should be seen as an emergency, exceptional, short-term measure to tackle a humanitarian crisis. It accomplished its objectives and drastically reduced the irregular and dangerous crossings from Turkey. However, exceptional measures, taken in exceptional circumstances, are never good starting points for policy-making.
The European Border Guard was approved in record time. For that reason, its initial ambitious scope was largely reduced. We still need to see how it operates in practice, but the obligatory pool of 1,500 border guards to be deployed in cases where a Member state faces a disproportionate migratory pressure is clearly insufficient.
Furthermore, migration and asylum policies need to adapt to the new environment. The complete revision of the EU’s asylum system is one of the most problematic and is lacking true political will to go forward.

Do you think that the Spanish experience in migrations policies field should / could be more taken into account?

Spain is the only European country with land frontiers with Africa and with significant experience in dealing with the ‘South. The arc of crisis extending from the Gulf of Guinea to the Middle East is a major security and migration challenge for the EU and a major Spanish concern. For this reason Spain always took part in and cooperated with NATO and CSDP initiatives, as well as in developing JHA cooperation initiatives.
Spain is the destination of the Western Mediterranean and West African routes. During the migratory pressure of irregular arrivals to the Canary Islands from 2000 onwards, Spain deployed a very efficient and comprehensive plan that managed to halt inflows to zero.
Such a comprehensive plan provides an interesting case study of balancing and combining endogenous and exogenous measures to deal with this type of crisis. It had four major focal points. First, a huge diplomatic deployment to strengthen bilateral ties, build trust and allow a closer cooperation with local actors in all origin and transit countries. Secondly, the holding of bilateral cooperation partnership agreements with the countries identified as the source of the problem. Third, the creation of security, intelligence and policy strategies together with capacity-building programmes and joint actions. Finally, the creation of legal avenues and resettlement policies through bilateral agreements with those countries.
It is true that the Spanish migratory crisis differed from the EU’s current challenges in both scale and nature. Spain was dealing with around 31,000, mostly economic, migrants arriving in the Canaries and not with mixed inflows. However, the Spanish solutions can be relevant. In fact, the same kind of approach was also proposed by Italy last April to the Council of the EU.
Until the EU-Turkey declaration, the EU’s reaction to the refugee and migration crisis focused mainly on securing its internal dimension (European Border Guard, reform of the CEAS, Relocation Decisions, Communication ‘Back to Schengen’ and proposals on ‘Smart Borders’). The so-called ‘Marshall plan’, presented by the Commission last June, mirrors the EU-Turkey approach and was rightly received with some scepticism among several Spanish experts and authorities. The proposed negative incentives were one of the most questioned aspects.

In your opinion, what could be the impacts of the migrant crisis on security in Europe? Do you think that there could be a link between terrorism and migrations?

The massive migrations to the EU are a challenge. Terrorism is a threat. They are different in nature, have distinct causes, roots and consequences and should be dealt, as such, in a different manner. Linking the two would only increase the already growing mistrust and intolerance while not giving adequate policy responses.
Despite the potential risk of terrorists using irregular migratory routes to enter in the EU –as the Paris attacks seemed to have demonstrated– there is insufficient evidence to suggest there are significant changes in the terrorists’ means to enter the EU. Reinforcing and improving the coordination on the EU’s external borders is a priority, but should not undermine the fact that the recent terrorist attacks on European soil seem to have come from within. Neglecting this reality would only shift the focus away from the need for sharp preventive measures to avoid radicalisation and stabilising those regions.

Some people explain that the Sophia Operation in the Mediterranean is feeding the refugee flow and the smuggler networks. Do you share this opinion?

The Sophia operation’s main focus was dismantling smuggling networks, not rescuing people. The limitation of its mandate (targeting traffickers only, out of Libyan territorial waters, with no coercive powers and with the risk of collateral effects) transformed it into a humanitarian operation for which military forces are not the best option. The increasing numbers of detentions reported to Frontex during the 1st and 3rd trimester of 2015 show the evident call effect of the operation.
However, Frontex data for the 1st quarter of 2016 show a decrease in illegal border crossings in the Central Mediterranean of 14% compared with the previous quarter. This is the first drop since the beginning of the operation, but still higher than any 1st quarter analysis since the beginning data began to be collected in 2007. The reason, indicated in the report, was adverse weather conditions. We have no data showing the route is being dismantled, notably, the number of detections was 83% higher than a year ago according to the same Frontex report. It appears the operation’s success –the reduction of migratory flows– is not necessarily linked to a military dissuasive effect or dismantling of the smuggling business.
Dismantling smuggling networks is more connected to the FSJ policy and its agencies (EUROPOL, FRONTEX) than to CSDP. The ties between the two are new and remain fragile within the EU. The recent extension and reinforcement of the mandate to include training Libyan authorities to tackle these networks is a decision in the right direction, which really can help to decrease trafficking.

The political consequences of the crisis in European countries are significant. What do you foresee with the coming elections in France and Germany next year? Are you pessimistic regarding the impacts of their result on the treatment of the migration crisis?

The arrival of 1.5 million asylum-seekers over the past two years not only stoked anti-immigration sentiment but exacerbated socioeconomic, security and identity concerns. The competition between locals and immigrants for scarce public resources and fears about national identity is fuelling xenophobic movements. The fear of a wave of unregistered asylum-seekers hailing from Muslim countries only served to intensify apprehension towards Muslim communities, intensified by the terrorist attacks in France and Germany.
Additionally, the arrival of poorly-qualified immigrants aggravates the difficulties faced by already stressed welfare states, undermining the ‘demographic blessing’ theory on the arrival of refugees.
This framework can lead to an agenda changing from the traditional moderate parties towards a more national- and security-based dimension. It remains to be seen whether there is political space available to counter radical discourses and defend tolerant and multicultural agendas. It is rightly pointed out that tolerance comes with improving the EU’s living conditions on welfare and employment. Working on these dimensions and defending tolerance and solidarity might be one of the focuses.

Do you think that the Brexit could be the opportunity to go further on political integration of EU?

Brexit can be seen as reflecting the growing discontent and inequality in EU societies, starting from 2005 (as in the NL and FR Referendums) and intensified by the consequences of the economic crisis of 2008.
The Union has become more internally differentiated than ever before. Many Member States object to single uniform solutions that apply equally to all. Other governments resent German’s hegemony and perceive it as a unilateral imposition of its model, exercised by means of a tight control over the agenda and a growing bias towards intergovernmental management of the Union. Renewed alternatives and leadership are not in the horizon. In the long run, this may lead not only to increasing breakages but also to alienation from the European project once seen and accepted has a common project. Achieve differentiated, flexible solutions can be the new trend to find consensus and regain the perception of a win-win situation, replacing the current win-lose situation.
Citizens require better European governance, and this refers as much to improve EU’s institutional and national arrangements: the rule of law, administrative effectiveness and weeding out corruption.
Contrarily to the EU’s common perception, this time the crisis might not lead to more integration, or ‘more Europe’. The focus might be to target minimum operational achievements rather than pursuing major integration goals.

Interview made by Bastien Alex, Research Fellow at IRIS

Les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance !

Tue, 04/10/2016 - 10:27

Voilà, sous sa forme interrogative, un thème de colloque ou un sujet de dissertation assez répandu depuis quelques années, notamment consécutivement aux attentats du 11 septembre 2001, le bourbier afghan ou le désastre irakien. Nous sommes ainsi, fréquemment, invités à nous interroger sur l’avenir de la puissance américaine, son implication dans les enjeux sécuritaires majeurs, ses capacités, ses compétiteurs, ou encore (un sujet qui ne date pas d’hier) sa volonté de jouer les premiers rôles. Et ce « nous » ne se limite pas aux observateurs de la politique américaine, mais s’invite dans de nombreuses discussions informelles prophétisant de manière plus ou moins crédible le « déclin de l’empire américain ».

Mais c’est bien d’une exclamation dont il est ici question, comme s’il s’agissait désormais d’un fait acquis, ou d’une évidence que les prochaines années (avec un nouvel exécutif) ne feraient que confirmer. Et cette exclamation fait partie intégrante de la vision que les deux candidats à l’investiture suprême ont de la politique étrangère, comme en témoignent leurs programmes respectifs, ou à défaut, leurs sorties médiatiques. Le premier débat télévisé du 26 septembre n’a fait que le confirmer, plusieurs sujets de politique étrangère et de sécurité ayant été évoqués, à défaut d’être traités.

Comme sur d’ailleurs à peu près tous les autres sujets, c’est Donald Trump qui s’est, depuis déjà plusieurs mois, montré le plus prolixe sur sa conception de la politique étrangère américaine. Volonté de revoir, et parfois d’annuler, les traités de libre-échange signés au cours des deux dernières décennies ; mettre fin au rapport de force avec Moscou ; soutien sans faille à Israël ; désengagement des zones conflictuelles au Moyen-Orient ; réinterprétation des implications de Washington au sein de l’OTAN ; remise en cause de la stratégie du pivot vers l’Asie ; désengagement des dossiers sécuritaires épineux comme la Corée du Nord ; climato-scepticisme (le réchauffement climatique est selon lui une invention des Chinois)… Un vaste programme qui pourrait se résumer par une remise à plat de toute la politique étrangère des Etats-Unis, et un refus d’apparaître systématiquement en première ligne. Le magnat de l’immobilier ne souhaite s’impliquer que quand les intérêts américains sont en jeu, et quand il y a un bénéfice à en tirer. Pour le reste, pas question de voir Washington jouer les premiers rôles. Pour quelle raison pourrait-on lui demander ? Et la réponse est simple : Trump reconnaît implicitement que les Etats-Unis n’ont plus les moyens d’une superpuissance, et moins encore d’une hyperpuissance. En conséquence, il faut se recentrer sur les impératifs, et ne pas se mêler de toutes les affaires du monde. On parle ici, sans doute de manière exagérée, d’un retour de l’isolationnisme, mais il est indiscutable que c’est une première depuis la fin de la Guerre froide. S’il n’était pas obsédé par un discours aux accents populistes, Trump pourrait ainsi claironner à ses supporters « Les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance ! » et décliner ainsi son programme. Pas très vendeur, mais dans le contenu, c’est bien de cela dont il s’agit, et de manière finalement très explicite. Très loin du slogan Make America great again, ce serait ainsi plutôt du America is not so great anymore.

C’est cependant, et paradoxalement, du côté d’Hillary Clinton que l’aveu d’un déclin des Etats-Unis sur la scène internationale fut le plus net. Un aveu d’autant plus inquiétant qu’il fut formulé par l’ancienne Secrétaire d’Etat, qui a par ailleurs effectué lors de son mandat (2009-2013) des déplacements officiels dans plus de pays qu’aucun de ses prédécesseurs (elle semble d’ailleurs en faire un gage de son expérience et de sa compétence, ce qui est pour le moins discutable). La petite phrase resta assez inaperçue, noyée dans un flot d’attaques assez médiocres et de démonstrations de populisme formulées par Trump, mais aussi dans une moindre mesure par l’ancienne First Lady. Elle n’en est cependant pas moins significative de cet aveu, terrible, que les Etats-Unis ne sont plus désormais à un niveau de puissance tel que sa politique étrangère peut être menée en toute indépendance. L’ancienne Secrétaire d’Etat s’inquiéta ainsi de ce qu’une puissance étrangère, en l’occurrence la Russie, soutienne la candidature de Donald Trump, et parasite par la même occasion la campagne. Passons sur le sérieux d’une telle attaque, pour nous concentrer sur ce qu’elle suggère, à savoir que les Etats-Unis pourraient être influencés par des puissances extérieures. Rien de nouveau, répondraient immédiatement les sceptiques et les adeptes de théories du complot en tous genres, Washington pouvant être soumis à une multitude d’influences extérieures. Peut-être. Toujours est-il que cet aveu est ici formulé par celle qui dirigea la diplomatie américaine pendant quatre ans, et ambitionne la fonction suprême, et c’est ce qui fait sa singularité. Ainsi donc une campagne présidentielle dans la plus vieille démocratie du monde serait parasitée par une puissance extérieure. Ainsi donc un candidat à la Maison-Blanche serait le candidat de Moscou. Cela revient clairement à reconnaître que les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance, et c’est en ce sens un message très négatif envoyé non seulement aux électeurs, mais plus encore au reste du monde.

On regrette que les deux candidats ne mettent pas d’avantage en avant leur différence fondamentale en matière de politique étrangère, et les débats télévisés devraient justement servir entre autres à cela (restons optimistes, il y en a encore deux). Digne héritier – sans doute bien malgré lui – des réalistes, Trump semble ainsi privilégier en toutes circonstances l’intérêt national américain, quitte à se montrer (très) cynique sur certains dossiers. De son côté, Hillary Clinton s’inscrit dans une école libérale aux accents messianiques qui place les Etats-Unis et les valeurs américaines au centre du système-monde, rappelant le principe de « nation indispensable » cher au mari de la candidate démocrate, et accessoirement ancien président. Assez simple finalement comme choix, que nous pourrions traduire par une formule également très simple : « Faut-il accepter la réalité que les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance, ou au contraire faire de la résistance ? » Sans doute serait-il dès lors plus judicieux de présenter clairement cette différence aux électeurs, qui pourraient ainsi s’exprimer sur ce que représentent pour eux les Etats-Unis sur la scène internationale, plutôt que de multiplier des attaques indignes et des déclarations éparpillées qu’il nous faut, à la manière d’un puzzle, remettre en place.

Crimes de guerre à Alep : indignation sélective ?

Mon, 03/10/2016 - 18:23

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

« QSI voudra pérenniser les bienfaits des importants investissements réalisés au sein du PSG »

Mon, 03/10/2016 - 10:10

Pourquoi des pays comme la Chine ou le Qatar – présentant des caractéristiques très différentes – ont-ils décidé d’investir massivement dans le sport et plus précisément dans le football ?

En développant sa diplomatie sportive, un pays cherche à rayonner à l’international par l’intermédiaire du sport. Cela peut se traduire par différentes composantes : l’organisation de grandes compétitions sportives, l’obtention d’excellents résultats au niveau continental ou international, la reconnaissance d’un centre de formation particulièrement performant, la mise en place d’échanges en matière de savoir-faire via la création de coopérations…
L’intérêt des pays pour le sport en général et le football en particulier n’est pas une nouveauté. La diplomatie sportive a émergée depuis déjà plusieurs décennies. A ce niveau, on peut notamment citer la diplomatie du ping-pong mise en place entre la Chine et les Etats-Unis dans les années 1970.
Après, certains pays décident de porter plus particulièrement leur choix sur le football car c’est le sport le plus universel et le plus médiatisé. C’est aujourd’hui la discipline qui permet de toucher le plus grand nombre de personnes en matière de diplomatie sportive.
Pour le Qatar, l’objectif premier des investissements était d’acquérir une véritable notoriété sur la scène internationale. Il y a une quinzaine d’années, hormis les spécialistes du Moyen-Orient, peu de gens s’intéressaient à ce pays et à sa politique. Aujourd’hui, grâce aux investissements sportifs qui ont été consentis, le Qatar a réussi à se faire un nom et à devenir un acteur à part entière sur la scène internationale sportive et, surtout, politique !
Concernant la Chine, la situation est quelque peu différente. Avant d’entreprendre ses investissements dans le football, la Chine était déjà très présente sur la scène internationale sportive, politique et économique. Néanmoins, le football suscite désormais un tel intérêt que le pays a décidé également de s’intéresser à ce sport pour des questions de puissance.

Comment le Qatar a-t-il choisi le PSG pour réaliser son premier mouvement de grande ampleur au sein du football mondial ?

Globalement, les investissements opérés par les Qataris au cours des dernières années ne se sont pas limités au sport. Ils ont également réalisé des opérations financières dans l’immobilier – principalement des hôtels – ainsi que dans des entreprises de luxe.
Au final, l’image renvoyée par Paris était très cohérente avec la stratégie de diversification d’activités entreprise par le Qatar. Le PSG est le club d’une grande capitale avec un palmarès assez fourni. Le Qatar pouvait associer indirectement son nom à la ville de Paris.

Les investissements réalisés par QSI au sein du PSG seront-ils maintenus au-delà de l’organisation de la Coupe du Monde 2022 ?

L’organisation du Mondial 2022 constituera indéniablement un temps fort de la politique mise en place par le Qatar. Toute la stratégie sportive du pays tourne autour de cet événement.
Cependant, on peut raisonnablement estimer que QSI soutiendra le PSG à long terme. QSI voudra pérenniser les bienfaits des importants investissements réalisés au sein du PSG. Le Qatar a entrepris de profondes réformes dans son pays ce qui implique une stratégie de long terme menée par le pays dans le secteur sportif. Il y a une réelle volonté du Qatar de placer le sport au cœur des préoccupations nationales, notamment pour des raisons de santé publique.

Les faibles cours des matières premières peuvent-ils affecter la stratégie d’investissements de QSI au sein du PSG ?

La chute des cours de certaines matières premières et notamment du pétrole a eu des conséquences importantes en termes de diplomatie sportive. Le cas de l’Azerbaïdjan est parlant. Lors des dernières années, ce pays avait développé une politique assez volontariste concernant la diplomatie sportive. Compte tenu de la baisse des cours du pétrole, le pays a finalement été contraint de réduire ses investissements dans le secteur.
Cependant, le cas de Qatar est différent. Les investissements opérés dans le sport sont également réalisés dans l’optique de diversifier ses activités, et justement, de ne plus être aussi dépendant des cours des matières premières. Si la baisse du cours des matières premières aura inévitablement des effets sur la vie économique du pays, le Qatar ne devrait pas baisser ses investissements dans le secteur sportif, même s’il sera peut-être amené à réaliser quelques arbitrages.

Quels sont les bénéfices tangibles perçus par le Qatar depuis que le pays a décidé d’investir massivement dans le football ?

Le premier objectif du pays était de faire émerger le Qatar sur la scène internationale, tant sur le plan sportif que politique. On peut dire aujourd’hui qu’il a été atteint. Le Qatar a réussi très rapidement à dépasser le simple cadre sportif à travers sa politique d’investissements.
Après, il est difficile d’avancer plus d’éléments de réponses pour le moment. Un premier bilan ne pourra être dressé qu’au lendemain de la Coupe du Monde 2022. En organisant un tel événement, le Qatar va attirer les projecteurs sur lui. L’organisation d’une telle compétition lui permet de bénéficier d’une incroyable exposition médiatique mais le pays rencontre également des critiques sur certains aspects de sa politique, critiques qui pourront s’intensifier à l’approche de 2022. Il faudra alors voir si les éloges auront pris le pas sur les critiques ou inversement.

Contrairement au Qatar, le gouvernement chinois investit indirectement dans le football en s’appuyant plutôt sur les gros acteurs économiques et industriels du pays. Ce choix est-il pertinent ?

Il faut analyser cette réorientation stratégique de la Chine de deux points de vue : sportif/politique et économique.
Sur le plan sportif/politique, le président chinois Xi Jinping a fait part à de nombreuses reprises de sa passion pour le football, de sa volonté d’investir dans ce domaine pour que la Chine ne soit plus un « nain footballistique ». Alors que la Chine a véritablement émergé lors des dernières années comme une grande puissance du sport mondial, le pays n’a pas réussi à reproduire les mêmes résultats concernant le football.
Pour effacer les mauvaises performances, le pouvoir central a déployé en 2015 un plan stratégique en trois étapes : augmenter le nombre de licenciés, accroitre la construction et le développement d’infrastructures et la formation d’entraineurs d’ici à l’horizon 2020 ; faire de la Chine un acteur de premier rang en Asie et organiser une Coupe du Monde à l’horizon 2030 ; enfin, obtenir un statut « footballistique » en conformité avec le statut économique accordé désormais à la Chine.
D’un point de vue économique, le pouvoir central a incité un certain nombre de grands groupes du pays à diversifier leurs investissements, au niveau sectoriel mais aussi géographique, en augmentant leurs activités à l’étranger. Un certain nombre d’études menées ont indiqué que le football pouvait être considéré comme la porte d’entrée idéale pour les grands groupes chinois afin de pénétrer les différents marchés européens. C’est pour cela que des entreprises chinoises ont multiplié leurs investissements à destination de clubs français, espagnols ou encore italiens au cours des derniers mois. L’objectif n’est donc pas purement sportif mais également économique.

Sur quels critères les entreprises chinoises sélectionnent-elles les clubs dans lesquels elles investissent ?

Pour répondre à cette question, on peut prendre l’exemple français. Tous les investissements réalisés ont été opérés auprès de clubs bénéficiant d’un très bon centre de formation. L’AJ Auxerre ou encore l’Olympique Lyonnais forment régulièrement d’excellents joueurs au sein de leur académie. Ainsi, à travers leurs investissements, les entreprises chinoises font un pari sur l’avenir. Il y a une volonté de mener un travail sur le long terme en investissant dans des cibles attractives tout en développant un certain savoir-faire qui pourrait, plus tard, être importé en Chine. Les entreprises chinoises veulent comprendre les mécanismes qui permettent de mettre en place un club performant tout en s’appuyant sur une formation efficace.
En parallèle des investissements opérés, il faut avoir en tête le redémarrage du championnat chinois de Chinese Super League, après être tombé en désuétude car complètement gangrené par la corruption. A l’époque, cette compétition avait fait fuir les spectateurs, les sponsors et les diffuseurs. Il y a une volonté de renouveler ce championnat avec l’arrivée de nouveaux partenaires et la mise en place d’une nouvelle politique. Mais, pour durer sur le long terme, ce championnat doit s’imprégner de bonnes pratiques. Et on peut penser que les investissements réalisés actuellement dans le football européen constituent un bon moyen pour apprendre les bonnes pratiques afin de les reproduire au niveau local.

A l’avenir, la Chine peut-elle s’imposer comme une superpuissance du football mondial ?

Les déclarations de Xi Jinping depuis 2012, notamment en matière de développement du football, sont récurrentes, constantes et surtout de plus en plus précises. Il existe véritablement un plan, mis en place en 2015 et bien orchestré, pour concrétiser ce projet sur le court, moyen et long terme. Le développement du football n’est pas du tout un sujet pris à la légère en Chine. Nous sommes face à une politique réfléchie et pensée par les dirigeants chinois. Dans ses discours, le président chinois revient régulièrement sur les moqueries que peuvent susciter les performances de la Chine en matière de football, jouant sur ce ressort pour accélérer son développement. Le président chinois en fait une véritable question d’honneur !
D’ailleurs, il est possible de faire un parallèle avec la politique menée par le pays concernant le développement de l’escrime. Dans l’optique des Jeux de Pékin, en 2008, la Chine avait identifié ce sport comme priorité de développement. La Fédération avait alors recruté au pays les plus grands maîtres d’armes, dont certains Français, afin de faire progresser les escrimeurs chinois. Et, en quelques années, la Chine est passée d’une nation relativement absente dans ce sport à un pays en capacité de ramener de nombreuses médailles. D’ailleurs, la Chine a étoffé son palmarès dans cette discipline lors des dernières olympiades.
Aujourd’hui, il n’est pas encore possible d’affirmer catégoriquement que la Chine deviendra une superpuissance du football. Néanmoins, le pays devrait atteindre certains de ses objectifs, notamment au sujet de la croissance du nombre de licenciés ou encore de la montée en gamme de ses centres de formation. Des éléments qui aideront le pays à renforcer sa compétitivité, afin de devenir une nation qui compte concernant le ballon rond. Après, il faudra que le succès populaire perdure au sujet de cette discipline pour envisager un développement durable de la discipline.

Assiste-t-on à une dépolarisation du football mondial ?

Ce phénomène est déjà perceptible. Lors du mercato hivernal 2016, la Chinese Super League a été la compétition qui a le plus investi sur le marché des transferts, devant la Premier League ! Au cours de cet entretien, nous avons essentiellement évoqué la Qatar et la Chine mais d’autres pays commencent également à s’éveiller au football comme l’Inde, via l’émergence de sa nouvelle compétition.
Aujourd’hui, il est clair que le football s’inscrit pleinement dans la mondialisation. Une mondialisation sportive qui passe également par l’organisation de compétitions internationales dans de nouvelles régions. Du coup, on se dirige plutôt vers une multiplication des nations en capacité de remporter la Coupe du Monde.
Ce phénomène n’existe pas uniquement dans le football. A un degré moindre, on retrouve une même tendance dans le rugby avec l’émergence de nouvelles nations comme le Japon, au rugby à XV ou le Kenya au rugby à VII. Un mouvement qui devrait encore renforcer l’intérêt et l’enthousiasme des foules pour les grandes compétitions internationales sportives !

D’autres pays pourraient-ils suivre le même chemin que le Qatar et la Chine en investissant massivement dans le football lors des années à venir ?

Le sport devient un instrument pris de plus en plus au sérieux afin de repositionner un pays sur la scène internationale. Même si la diplomatie sportive n’est pas nouvelle, la stratégie du Qatar a révélé au grand jour le pouvoir du sport dans les relations internationales. Et d’autres pays pourraient être tentés d’imiter une telle stratégie.
Néanmoins la conjoncture économique, avec un ralentissement de la croissance mondiale, pourrait réduire les ambitions de certaines nations dans ce domaine. Certains pays ne peuvent plus aujourd’hui se permettre d’investir massivement dans le secteur sportif sous peine de connaître une vive contestation sociale. Les investissements dans le secteur sportif peuvent s’avérer très payants mais ils sont également à risque, en raison notamment de la part d’incertitude dans les résultats.

Funérailles de Shimon Peres et des accords d’Oslo

Mon, 03/10/2016 - 10:02

Le prix Nobel de la Paix Shimon Peres a été inhumé à Jérusalem. Si plus de 90 délégations internationales ont assisté aux funérailles de l’ancien président israélien, l’ensemble de la communauté internationale n’était pas réuni à cette occasion.

Seule la communauté occidentale était présente en force. Preuve à la fois du sentiment d’appartenance de l’Etat israélien au monde occidental et de la normalisation inachevée de ce pays, comme l’atteste en particulier l’absence de toute représentation– au niveau des chefs d’Etat– de ses voisins arabes… exception faite du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Cette apparente incongruité marque en réalité la part de responsabilité de l’Autorité palestinienne dans l’impasse actuelle. L’échec du « processus de paix » est perçu aussi comme un échec de cette entité politique, incapable d’endiguer la colonisation et d’ériger enfin un Etat palestinien. Si la corruption endémique et l’absence de perspective politique continuent d’altérer sa légitimité, la présence de son président Mahmoud Abbas aux funérailles de Shimon Peres symbolise la rupture avec son propre peuple.

Les funérailles de Shimon Peres étaient aussi celles des accords d’Oslo, auxquels son nom demeure associé. Du reste, l’échec de ces accords s’explique aussi par l’attitude israélienne si bien symbolisé par la dualité de Shimon Peres. Derrière son discours de paix qui sied si bien aux élites occidentales, la réalité historique est plus cruelle : à travers ses diverses fonctions politiques et institutionnelles, il a non seulement accompagné la politique de colonisation israélienne, mais il a contribué à rendre le projet d’Etat palestinien quasi irréalisable. Une réalité historique qui contraste avec la manière dont le monde occidental s’est plu à présenter de façon toute élogieuse cet animal politique hors pair qui a cautionné, alors qu’il était ministre de la Défense dans les années 1970, les premières colonies juives en Cisjordanie, mais aussi directement impliqué dans des décisions/actes susceptibles de relever de la catégorie des actes de guerre… Il était en effet Premier ministre en 1996 quand un bombardement de l’aviation israélienne a causé la mort de plus de 100 civils réfugiés dans un camp de réfugiés de l’ONU, dans le village libanais de Cana.

Dans le même temps, son rôle est indéniable dans le rapprochement israélo-palestinien qui a suscité un espoir de paix et la perspective d’une solution à deux Etats, israélien et palestinien. Il a d’emblée soutenu les négociations secrètes– le Parlement israélien n’abrogera la loi du 6 août 1986 interdisant les contacts avec l’OLP que le 19 janvier 1993– israélo-palestiniennes qui se sont tenues durant deux ans par l’entremise de la Norvège.

Ministre des Affaires étrangères de son grand rival travailliste Yitzhak Rabin– qu’il a convaincu d’engager leur pays dans cette voie diplomatique – il était chargé des négociations une fois officialisées, qui aboutiront en 1993 à la conclusion des fameux « Accords d’Oslo ». L’accord de principe (ou « Oslo I ») sur les arrangements intérimaires d’autonomie consacre la reconnaissance mutuelle de l’OLP et d’Israël, et créé l’Autorité Palestinienne, entité responsable pour une période transitoire d’autonomie (de cinq ans au plus) de la gestion de certaines villes de Cisjordanie et de Gaza. Yasser Arafat reçoit le Prix Nobel de la Paix en 1994, en compagnie des Israéliens Shimon Peres et Yitzhak Rabin…

Toutefois, l’ambiguïté et les silences de ces Accords indiquaient d’emblée un risque d’échec. Des questions cruciales n’avaient pas été tranchées, ni même abordées : le statut de Jérusalem-Est, le sort des réfugiés, les colonies de peuplement, le tracé des frontières, l’accès à l’eau. Les accords de « Taba » (« Oslo II », 1995) prévoient l’extension des territoires autonomes gérés par l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et une série de retraits israéliens, suivant un découpage de la Cisjordanie en trois zones A, B et C. L’acception de cette typologie territoriale constitue avec le recul historique une erreur stratégique de la part des Palestiniens. L’arrivée au pouvoir de la droite nationaliste (Likoud) bloque la réalisation de ce plan de retrait… Alors que la période transitoire d’autonomie a expirée depuis mai 1999, maigres sont les réalisations du processus d’Oslo. Le déclenchement de la seconde Intifada traduit la frustration palestinienne à l’égard d’accords qui n’ont pas ouvert à la voie à la libération nationale.

C’est dans ce contexte que le Prix Nobel de la Paix Shimon Peres n’hésitera pas à assurer le service après-vente – sur la scène internationale – de la politique de colonisation d’Ariel Sharon, de retour au pouvoir au début des années 2000, malgré sa responsabilité directe dans le massacre de Sabra et Chatila en 1982. Un cynisme qui disqualifie l’analogie hasardeuse de Barack Obama, qui n’a pas hésité à élever Shimon Peres au même rang que Nelson Mandela. L’amour rend aveugle, dit-on…

Alep : victime du jeu des (im)puissances

Thu, 29/09/2016 - 16:33

La 71e Assemblée générale des Nations unies s’est conclue sans aucune perspective de paix ou solution de règlement du conflit en Syrie. Si la question a naturellement été évoquée par de nombreux chefs d’Etats et de gouvernement, ces déclarations ont instillé un sentiment d’impuissance de la communauté internationale. Bien que Daech soit un ennemi stratégique commun aux deux coalitions diplomatico-militaires, les Occidentaux n’ont pas hésité à mettre en accusation les agissements des alliés russes et syriens (liés au régime). Les dernières vagues de bombardement ont été qualifiées de « crimes de guerre » par la France. La trêve conclue laborieusement par les Russes et les Américains est caduque depuis le 19 septembre. L’impasse diplomatique laisse le champ libre à la force militaire. Or les coalitions présentes commettent des « bavures » et provoquent des victimes « collatérales ».

Aujourd’hui, la ville d’Alep– la plus importante du pays, après Damas– est l’épicentre du conflit. Les aviations russes et syriennes mènent depuis une campagne de bombardements intenses sur les quartiers à l’Est d’Alep tenus par les insurgés. Les bombardements intenses de l’armée russe– soutien inconditionnel au régime d’al-Assad– et de l’armée syrienne loyaliste tentent de briser la rébellion située à l’Est d’Alep. Les bombardements– guidés par les Gardiens de la révolution iraniens et les soldats du Hezbollah libanais– qui ont visé des sites civils, en particulier des hôpitaux, ont été qualifiés de « crime de guerre » par le secrétaire général de l’ONU. Devant le Conseil de sécurité de l’ONU, Ban Ki-Moon n’a pas hésité à déclarer qu’en Syrie, « le carnage continue et personne n’est épargné » ; « c’est pire que dans un abattoir ». Des déclarations sans effet. Les victimes civiles sont toujours plus nombreuses. Des civils privés de refuge et de vivres, assiégés et affamés. Une tragédie humanitaire qui dure depuis de longs mois …

L’aviation russe est accusée d’avoir eu recours à des « bombes perforantes » ou « bunker buster », destinées à atteindre les infrastructures souterraines. Il s’agit là d’un nouveau signe de l’investissement toujours plus important des Russes en Syrie. Déjà présentes dans le port méditerranéen de Tartous, les forces russes ne cessent de se renforcer avec l’envoi de conseillers et de soldats (dont le nombre reste difficile à chiffrer), mais aussi d’hélicoptères militaires, de quelques chars, de pièces d’artillerie, de véhicules blindés de transport de troupes, etc. Un cap a été franchi avec le déploiement d’avions de combat dans la région de Lattaquié, fief de Bachar al-Assad. S’il convient de ne pas exagérer l’engagement militaire russe, il contraste malgré tout avec les atermoiements occidentaux en général, et américains en particulier, y compris pour soutenir plus fortement les groupes d’opposition rebelle.

Aujourd’hui, plus que jamais, la clef du conflit se trouve dans les mains de Moscou. Vladimir Poutine est guidé par un opportunisme et un cynisme certains qui l’amènent à lancer ce qui semble être une « guerre totale ». Conscient de l’équilibre des forces favorable, le drame syrien perdurera tant que les intérêts stratégiques russes ne seront pas satisfaits. En attendant, c’est peuple syrien d’Alep qui paye le prix lourd du jeu des puissances…

La France, en crise d’identités ?

Thu, 29/09/2016 - 15:42

Pascal Blanchard est historien, chercheur au CNRS au Laboratoire communication et politique. Il répond à nos questions à propos de l’ouvrage qu’il a co-dirigé : « Vers la guerre des identités ? De la fracture coloniale à la révolution ultranationale » (La Découverte) :
– La France est-elle en crise d’identités ?
– Les attaques terroristes qui ont secoué la France ces dernières années sont-elles symptomatiques de cette crise d’identités ?
– Quels éléments vous permettent d’affirmer que la France n’assume pas sa politique coloniale ? Le cas échéant comment l’assumer ?

Le débat Clinton/Trump a-t-il changé la donne ?

Wed, 28/09/2016 - 11:15

Après les multiples attaques personnelles auxquelles se sont livrés les deux candidats à l’élection présidentielle, le débat d’hier a-t-il finalement débouché sur une confrontation d’idées ? Quelles ont été les attitudes des deux candidats ? Hillary Clinton a-t-elle semblée plus sereine ?

Non. Le débat d’hier n’a pas vraiment donné lieu à un débat de fond. L’opposition entre Donald Trump et Hillary Clinton reste, en ce sens, conforme à la campagne et les deux candidats en partagent la responsabilité. Le républicain, d’une part, pour ses déclarations provocantes, souvent réductrices, et pour sa tendance à établir des contre-vérités ainsi que des informations erronées. La démocrate, d’autre part, qui peut être critiquée pour son incapacité à proposer un véritable programme dans cette campagne. Madame Clinton semble se cantonner à mettre en avant son expérience en tant que secrétaire d’Etat, de sénatrice de l’Etat de New-York et de First Lady.
Durant une grande partie du débat, Trump a donné l’impression d’avoir cherché à se maîtriser, à modérer ses prises de position et à paraître présidentiable comme il le fait depuis son investiture. Sur la fin du débat, il a cependant brisé l’armure en adoptant une attitude plus vindicative, agressive, voire nerveuse, attitude qui était la sienne durant les primaires républicaines. Hillary Clinton, en revanche, s’est montrée plus sereine. En démontrant notamment ses capacités à répondre aux questions de manière plus juste et modérée. Aux reproches qu’elle serait incapable d’enchainer une campagne et cinq ans de mandat présidentiel, l’ex-First Lady a mis en avant son expérience et l’endurance dont elle a fait preuve au département d’Etat, pour lequel elle a visité 112 pays, signé plusieurs traités et géré des dossiers brûlants. En ce sens, elle a semblé supérieure à son adversaire au cours du débat.
Bien que meilleure, lundi, je ne pense pas que la prestation d’Hillary Clinton l’ait été suffisamment pour qu’elle soit en mesure de mettre un coup d’arrêt à la montée de Donald Trump, en pleine progression dans les sondages.

L’actualité américaine est actuellement dominée par les questions raciales, sécuritaires et de politique étrangère. Quelles ont été les positions des candidats sur ces thématiques ?
La sécurité, avec l’emploi, fait partie des principales préoccupations des Américains. Après les attentats et les émeutes en Caroline du Nord, cette question s’invite de nouveau dans la campagne.
Hillary Clinton a, quant à elle, pris une posture plus modérée, mais ses discours ont moins d’impact sur l’opinion. En qualifiant d’« inacceptables dans une démocratie » les émeutes raciales et les problèmes liés aux forces de police en Caroline du Nord, elle adopte l’attitude qui doit être celle du président Obama. En pleine campagne, elle doit plutôt donner une dimension populiste à ses discours et se présenter comme celle qui fera, du vivre ensemble, une réalité aux Etats-Unis.
Sur ces questions, Donald Trump a fait, en revanche, preuve de lucidité et il a profité des problèmes de santé d’Hillary Clinton pour marquer des points. Il entend rassurer les Américains en se présentant comme le candidat légitime dans la lutte contre l’insécurité. En Caroline du Nord, il a dénoncé les discriminations vécues par les minorités noires. Un discours à contre-courant par rapport aux propos tenus par le républicain ces derniers mois. Il se donne ainsi, l’opportunité de susciter la sympathie des électeurs noirs qui resteront, sans doute, réfractaires au vote Trump. Toutefois, la Caroline du Nord, un Etat clé, bascule progressivement en faveur du milliardaire.
Sur la politique étrangère, les deux candidats ont refusé de rentrer dans un débat de fond. Donald Trump a mis en avant les nombreux changements qu’il souhaite opérer une fois élu tandis qu’Hillary Clinton s’est contentée de valoriser son expérience de secrétaire d’Etat. Les divergences entre le républicain et la démocrate demeurent néanmoins fondamentales. Trump, d’une part, se fait l’apôtre du réalisme en privilégiant l’intérêt national en toutes circonstances. Son réalisme, proche de la pensée d’Henri Kissinger, se traduit par une prise d’initiative quand la situation le permet, un désengagement ou un retrait dans les dossiers où les intérêts américains ne sont pas suffisamment concernés, ainsi qu’une remise en cause des alliances stratégiques et des relations américaines avec certains compétiteurs, notamment la Russie. Avec Donald Trump, le réalisme ferait son grand retour à la maison blanche.
Hillary Clinton, est, en revanche, une libérale convaincue. Elle met en avant les institutions internationales, elle prône une certaine responsabilité des Etats-Unis dans les affaires du monde. Son discours est proche du mode d’action de l’administration Bill Clinton.
Donald Trump et Hillary Clinton symbolisent deux visions différentes des relations internationales. En l’absence de débats de fond, ces visions n’ont malheureusement pas été mises en lumière.

L’Amérique assistera à deux nouvelles confrontations entre Hillary Clinton et Donald Trump. Un candidat peut-il remporter les élections sur un débat ?
Contrairement au système français où un seul débat est organisé entre les deux candidats, le système américain permet à celui qui perd le premier round, de se rattraper et de remporter les deux prochains. Cela avait notamment bénéficié à Barack Obama, lorsqu’en 2012, Mitt Romney se montre beaucoup plus convaincant que lui lors du premier débat. Les 2e et 3e débats avaient alors permis au président sortant de rendre meilleure copie et d’inverser le rapport de force.
L’enjeu de ces débats, très suivis aux Etats-Unis, est de convaincre ces 20% d’indécis, qui ne savent pas encore précisément pour qui ils voteront. En 1960, le débat entre Kennedy et Nixon ont joué en la faveur du premier qui a remporté les élections. En 1988, l’attitude, très hésitante, de Micheal Dukakis lors du débat face à Georges Bush ont contribué à sa défaite. Victorieux en 1988, l’attitude de Georges Bush lui fera défaut en 1992 lorsque, face à Bill Clinton, il regarde plusieurs fois sa montre, laissant croire que les débats l’ennuient.
Dans le cas d’Hillary Clinton, l’on ne peut pas dire que le débat de mardi ait été décisif. Cela fait trois semaines que Donald Trump progresse dans les sondages aux dépends de son adversaire. Si la prestation de la démocrate a été bonne, elle ne l’a pas suffisamment été, selon moi, pour inverser la tendance. La victoire dépendra peut-être des deux prochains débats. Elle dépendra aussi des capacités des candidats à aller à la rencontre et à convaincre les électeurs des 5 Etats clés qui seront décisifs dans la campagne (Ohio, Caroline du Nord, Floride, Colorado, Nevada). Donald Trump pour l’emporter, devrait conquérir les 5 Etats, selon les sondages, il est désormais en tête dans quatre. Les élections s’annoncent serrées.

Les paris sportifs : « Un fléau plus important que le dopage »

Tue, 27/09/2016 - 17:33

Pour Pascal Boniface, le trucage de paris sportifs est un phénomène autant voire plus important que le dopage. Mais la lutte s’organise, estime-t-il. Raison pour laquelle le nombre d’affaires qui éclatent au grand jour ne cesse d’augmenter.

En matière de tricherie dans le sport, on pense en premier lieu au dopage, qui a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. Mais les paris sportifs ne sont-ils pas un fléau plus grave, dans un milieu où les enjeux financiers sont énormes ?

L’ampleur du phénomène est très grande. Ce fléau est certainement encore plus important que le dopage, puisqu’il est multiforme et peut concerner plusieurs acteurs. Il met en cause l’intégrité des compétitions. Et permet des liens entre le crime organisé et le sport. Mais ce danger est de plus en plus pris en compte par les différentes instances sportives et les pays. Il y a une convention européenne en la matière. En Chine, les pouvoirs publics, qui étaient assez peu préoccupés par ce type de dérives, voire bienveillants à leur égard, commencent à s’organiser. Interpol également. Il y a eu un temps de retard par rapport à la lutte contre le dopage. Mais désormais, c’est un phénomène mieux identifié. Et comme pour le dopage, ce n’est pas parce qu’il y a plus d’affaires qui éclatent au grand jour, qu’il y a plus de paris truqués. Au contraire, cela signifie qu’ils sont davantage identifiés et dénoncés.

Que peut-on faire ? Est-il possible d’empêcher que des joueurs parient contre leur propre équipe, par exemple ?

C’est évidemment le pire cas d’espèce : qu’un joueur parie sur sa propre défaite. C’est le vieux mythe du boxeur qui se couche parce qu’on a parié sur sa perte. La légende est connue. De la prévention est faite dans les clubs. Quelques cas ont été révélés. Les moyens de surveillance dont on dispose aujourd’hui laissent penser que l’impunité recule. Mais comme pour le dopage ou la criminalité, il n’y a pas de risque zéro. C’est une lutte sans fin. Il y a deux excès à éviter : le déni de réalité et le « tous pourris ». Les clubs et les responsables de loterie légale eux-mêmes luttent contre ces dérives car s’ils se retrouvent impliqués dans des affaires de paris truqués, ils tuent la poule aux oeufs d’or. Ces dernières sont les premières victimes des paris truqués parce que si les joueurs ont l’impression que tout est joué à l’avance, ils ne vont plus parier.

Ces dernières années, le sponsoring par des entreprises de paris en ligne a explosé. Clubs et fédés ne sont-ils pas les victimes consentantes de ce business ?

Si un opérateur de paris qui sponsorise un club est pris la main dans le sac, son business plan est détruit. Le problème des paris truqués ne vient pas des entreprises qui ont pignon sur rue, mais d’autres opérateurs « gris ». Pour lutter contre cela, il faut certainement harmoniser les sanctions au niveau européen. Et développer le contrôle du jeu en ligne. En France, l’Arjel, l’autorité de régulation des jeux en ligne, détecte assez facilement les paris suspects. Il faudrait sans doute aussi limiter ce sur quoi on peut parier. Aujourd’hui, on peut miser sur l’équipe qui obtiendra le premier corner, etc. On pourrait limiter les paris aux résultats des matchs. Car on peut très bien truquer des paris sans truquer le résultat d’un match. Le problème aujourd’hui ne se situe pas au niveau des grands clubs, car corrompre le Real ou Manchester United, cela coûterait beaucoup trop cher. C’est dans les niveaux inférieurs qu’il y a des problèmes de corruption et de détournement de l’intégrité du sport.

Propos recueillis par Corentin di Prima

« Je crois que l’on arrive au bout du phénomène Trump »

Tue, 27/09/2016 - 16:37

Que retenez-vous de ce premier débat Clinton-Trump ?

Le débat a vraiment été intéressant. Je n’ai pas vu le temps passer malgré l’heure peu favorable en France… Donald Trump n’est pas sorti de sa posture habituelle, comme s’il était en meeting avec des formules assez générales, un peu toutes faites. Comme face aux questions du modérateur sur le financement de sa politique fiscale. Je pense d’ailleurs qu’il ne sait pas comment la financer… Hillary Clinton était ultra-préparée, maîtresse d’elle-même, maniant même l’humour et la pugnacité, avec des formules bien préparées comme sur les positions racistes de Trump contre Obama. Pour moi, elle a gagné des points mais il ne faut pas pour autant tirer des conclusions hâtives. Il reste deux débats et les sondages sont serrés.

Trump conserve-t-il toutes ses chances ?

Ça va se jouer dans cinq à six États décisifs. Il faut remarquer que Donald Trump les a martelés en évoquant le Michigan, l’Ohio, la Floride. Il essaie de séduire dans ces États-là qui lui sont assez favorables. Mais je crois que l’on arrive au bout du phénomène Trump. Son succès est basé sur la provocation, la défense du petit peuple blanc. Pour l’instant, il ne semble pas trop capable d’aller au-delà de son électorat. Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’il va perdre. Il ne faut surtout pas le sous-estimer.

Qu’est-ce qui séduit les Américains chez Trump ?

C’est le phénomène du discours anti-élites, anti-système. De cette partie de l’électorat qui se méfie des élites politique et financière, de la mondialisation et de l’évolution démographique. C’est à peu près la même chose qui se passe en France avec la campagne de Nicolas Sarkozy qui fait du Trump. Il s’agit de jouer avec l’identité, de faire du storytelling autour de l’identité économique, historique, raciale et patriarcale.

Comment Hillary Clinton répond-elle sur son appartenance au système et son supposé manque d’endurance ?

Lors du débat, Donald Trump a beaucoup martelé sur le fait qu’Hillary Clinton est depuis longtemps au pouvoir. Mais elle a fait valoir son expérience positive, son expérience de femme d’État : « OK, j’appartiens au système mais j’ai voyagé dans 112 pays, j’ai signé des accords de paix… » De ce point de vue, elle a réussi à relancer sa campagne après sa maladie. On sent une nouvelle dynamique, appuyée par son camp, une véritable machine de guerre.

Pourquoi Clinton ne fait-elle pas plus la différence face aux excès de langage de son adversaire ?

Elle n’arrive pas à creuser l’écart parce qu’elle n’arrive pas à convaincre les jeunes. Elle ne fait pas rêver car elle ne promet pas le renouveau. Dans sa manière d’être ou de se vêtir, elle reste très classique, à la différence de l’écologiste Jill Stein ou du libertarien Gary Johnson (on les oublie mais ils se présentent aussi). Comme pour son adversaire d’ailleurs, elle a plutôt un électorat qui se situe au-delà de 40 ans.

Propos recueillis par Olivier Berger

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