De nombreux observateurs estiment que Barack Obama a déçu. Si c’est le cas, c’est au regard des immenses espoirs placés en lui au moment de son arrivée à la Maison Blanche en 2009. Tout le monde se réjouissait évidemment du départ de Georges W. Bush, remplacé par un président sympathique, ouvert au monde, multiculturel et multilatéraliste. Mais il était d’ores et déjà certain que Barack Obama ne pouvait réparer toutes les erreurs, et leurs conséquences, de son prédécesseur. Il n’avait pas de baguette magique et n’était pas de surcroît le président de la communauté internationale, comme certains l’espéraient. On pouvait cependant souhaiter qu’il défende l’intérêt national américain avec plus de clairvoyance que Georges W. Bush.
Dresser un bilan de son action diplomatique nécessite une analyse, dossier après dossier, de ses succès et de ses échecs.
Les réussites
La première consiste à ne pas avoir lancé les États-Unis dans une nouvelle guerre. Barack Obama avait été élu pour mettre fin aux guerres dans lesquelles Georges W. Bush a empêtré l’armée américaine : les guerres d’Irak et d’Afghanistan, aux goûts, coûts et conséquences catastrophiques, aussi bien sur le plan matériel que stratégique. Il a tenu sa promesse. Mais, le cas syrien interpelle : fallait-il dresser une ligne rouge pour ensuite ne pas en assurer le respect, lorsque Bachar Al-Assad a fait usage d’armes chimiques ? Lancer une guerre en Syrie, en dehors de tout mandat des Nations-unies, n’aurait pas forcément arrangé la situation mais, en fixant des limites qu’il n’a pas respectées, Barack Obama a commis une erreur. Autre cas d’étude, le conflit israélo-palestinien. Sur ce dossier, les marges de manœuvre de Barack Obama étaient faibles. Il a demandé à Benyamin Netanyahou de cesser les colonisations ; ce dernier l’a ignoré. Compte tenu de l’obtention du prix Nobel de la paix et de son discours du Caire, cette impuissance est synonyme de défaite pour Obama. Mais elle est à observer au regard de la relation « spéciale » qu’entretiennent Israël et les États-Unis et du blocage du Congrès et de la société américaine face aux initiatives de leur président. Les relations personnelles sont mauvaises entre Netanyahou et Obama. Toujours est-il que les États-Unis ont augmenté leur aide à Israël, malgré le refus de ce dernier à tenir compte des remarques américaines.
Il convient également de mettre au crédit d’Obama, l’élimination d’Oussama Ben Laden et, peut-être avant son départ de la Maison blanche, la fin de l’État islamique en tant qu’entité territoriale. Cet événement ne mettra cependant pas fin au terrorisme, car ses causes n’ont pas été éliminées.
Le futur ex-président a de plus normalisé ses relations avec l’Iran, mauvaises depuis 1979. Il écarte ainsi deux dangers : un Iran nucléaire ou une guerre pour l’empêcher d’acquérir ce statut. Il a démontré, avec les autres membres du P5 +1, que la voie diplomatique était préférable à une solution militaire, préconisée par certains acteurs. Des acteurs qui ont oublié les conséquences négatives de la guerre d’Irak qu’ils avaient eux-mêmes recommandée. Autre point positif : le rétablissement des relations avec Cuba qui met un terme à une mésentente datant de 1959 et plante le dernier clou au cercueil de la guerre froide.
Enfin, l’accord de Paris a contribué à apprécier positivement l’héritage de B. Obama. Les États-Unis se sont, par le passé, montrés très réticents à un accord sur le climat. Avec la Chine, ils ont mis fin à ces réticences. Ce succès, qui est aussi celui de la France, vient embellir le tableau diplomatique d’Obama.
Les échecs
Le principal échec de B. Obama en matière diplomatique est peut-être son incapacité à actionner le bouton « reset » des relations avec la Russie. Les rapports entre Moscou et Washington sont en effet toujours glaciaux. Contrairement à sa promesse de 2008, Barack Obama n’a pas mis fin au programme de défense anti-missile. Il le considérait à l’époque comme un programme coûteux faisant face à une menace inexistante fondée sur des technologies non prouvées. Les pressions du complexe militaro-industriel ont peut-être eu raison de ses réticences. Il a ainsi accepté un redéploiement, motif de crispation pour la Russie. Tant sur l’Ukraine que sur la Syrie, les positions de Moscou et de Washington divergent. Et Moscou n’a pas digéré l’élargissement de l’OTAN.
Durant l’affaire libyenne, Barack Obama avait accepté, avec réticence et en retrait, de soutenir l’action menée par la France et la Grande Bretagne. Cette intervention militaire, à laquelle la Russie n’avait pas initialement mis de veto, a été changée en cours de route, passant d’une « simple » protection de la population à un changement de régime. La tournure prise a également contribué à dégrader les relations entre Moscou et Washington.
Barack Obama n’est certainement pas parvenu à entreprendre tout ce qu’il souhaitait. Des espoirs excessifs – au regard de ses marges de manœuvre – ont sans doute été placés en lui, mais son bilan reste équilibré et relativement bon. Avec l’arrivée prochaine de Donald Trump à la Maison blanche, il est certain qu’on le regrettera.
Yves Aubin de la Messuzière, diplomate, fut directeur de la section Afrique du Nord et Moyen-Orient du Quai d’Orsay entre 1998 et 2002. Son dernier ouvrage Monde arabe, le grand chambardement, paru aux Éditions Plon, est particulièrement éclairant et livre une remarquable analyse des grands bouleversements qui touchent la région.
Pourquoi diagnostiquez-vous un affaiblissement global des puissances arabes ?
Il y a à l’évidence une perte de puissance dans le monde arabe, qui s’est manifestée depuis le début des années 2000. Que constatait-on avant l’émergence des révoltes arabes en 2011 ? Du fait du déclin de l’Égypte, dans les dernières années Moubarak, et de l’effondrement de l’État irakien après l’invasion américaine en 2003, les seules puissances qui comptent au Proche et Moyen-Orient ne sont pas arabes : Israël, la Turquie et l’Iran. Malgré les sanctions sévères liées à la poursuite de son programme nucléaire, le régime des Ayatollah conservait un potentiel militaire important, grâce à une armée aguerrie. En dépit d’un arsenal considérable, la Libye ne disposait pas d’un poids stratégique. La donne géostratégique s’est significativement modifiée au cours de ces cinq dernières années et on assiste à un nouveau rapport de force dans la région et au sein du monde arabe. Depuis l’accession au trône du roi Salmane, en 2015, l’Arabie saoudite, dont la diplomatie était plutôt discrète, affirme de nouvelles ambitions régionales. Elles se concrétisent par la constitution d’une coalition rassemblant les pays arabes du Golfe, la Jordanie et le Maroc, autant d’États sunnites, afin d’engager une offensive contre la rébellion houthiste du Yémen. Malgré les moyens militaires considérables engagés par Riyadh, premier acheteur d’équipements militaires au monde, l’intervention dont l’objectif est de contenir l’influence de l’Iran dans la région, est un échec. La monarchie wahhabite, déjà affaiblie par la chute de la rente pétrolière et la contestation d’une jeunesse marginalisée et frustrée, fait face au risque d’une déstabilisation. L’Égypte du maréchal Sissi cherche à retrouver son poids stratégique, mais son relèvement se fait à l’ombre des pays du Golfe, plus particulièrement de Riyadh, qui financent son développement et ses équipements militaires. D’un équilibre jadis dominé par les grands États au cœur du nationalisme arabe – l’Égypte, la Syrie et l’Irak – on passe à un basculement de puissance au profit d’un pôle golfique plutôt stable et attractif économiquement.
Les interventions politiques et militaires des deux puissances non arabes que sont l’Iran et la Turquie, en Syrie, au Liban et en Irak, limitent les marges de manœuvre des pays arabes, notamment du Golfe. La Syrie de Bachar Al-Assad a délégué à l’Iran une partie de sa souveraineté. En s’appuyant sur le Hezbollah, les Pasdarans sont à l’avant-garde de la confrontation sur le terrain avec toutes les formes de rébellion (avec le soutien aérien russe). La Turquie est engagée depuis peu au nord de la Syrie pour empêcher la constitution d’une autonomie kurde. En Irak, l’Iran s’assure un rôle dans la reconquête de Mossoul par le contrôle de milices chiites, tandis qu’Ankara se pose en protecteur des Turkmènes et d’autres populations sunnites. Au Liban, l’élection du général Aoun à la présidence, avec l’appui du Hezbollah renforce la main de Téhéran et affaiblit l’influence de Riyadh.
Les concepts d’islamisme politique, islamisme radical, salafisme et djihadisme sont-ils interchangeables, comme certains commentaires le laissent paraître ?
En effet, il existe parfois une réelle confusion entre ces différents concepts. L’islam politique, qu’il faut distinguer de l’islamisme radical, désigne un courant idéologique visant à l’établissement d’un État fondé sur les principes de l’islam. L’organisation des Frères musulmans, en Égypte, ainsi qu’Ennahda en Tunisie, entrent dans la catégorie du courant islamo-conservateur, dénomination la plus pertinente pour le distinguer des mouvances radicales salafistes ou djihadistes. L’un comme l’autre, sont parvenus au pouvoir au lendemain de la chute des régimes autocratiques, dans le cadre de processus démocratiques. Mais les expériences égyptienne et tunisienne de domination de l’islam politique n’ont eu qu’un temps bref, en raison de leur incapacité à gouverner. C’est en ce sens que l’on peut évoquer l’échec de l’islam politique, même si Ennahda participe au gouvernement et, qu’au Maroc, le PJD cohabite avec le Makhzen qui détient l’essentiel du pouvoir.
Le djihadisme se définit comme une doctrine radicale au sein de l’islam, qui prône la violence pour la réalisation d’objectifs à la fois religieux et politiques. Son but est de reconstituer la Oumma, la communauté des musulmans. C’est l’invasion de l’Afghanistan par les soviétiques en 1979 qui a ouvert la voie au djihadisme mondial dont Al-Qaïda sera la représentation la plus radicale. L’organisation de Ben Laden deviendra la matrice du Front Al Nosra et de l’État islamique.
Le salafisme est plus complexe à définir, tant il a emprunté des modes d’actions différentes, selon qu’il soit quiétiste ou djihadiste. À l’origine, sa doctrine exalte le comportement des pieux ancêtres, dénommés « Salaf ». Il s’est surtout développé en Arabie saoudite, lorsque les Saoud dans leur conquête du pouvoir à la fin du XVIIIème siècle, se sont appuyés sur le mouvement religieux ultraconservateur wahhabite, d’inspiration salafiste. Le royaume wahhabite est depuis des décennies le propagateur du salafisme par l’entremise d’imams formés dans l’université islamique de Médine. Ainsi plusieurs mosquées salafistes de France sont financées par La ligue islamiste mondiale, le bras armé de la propagande religieuse du Royaume. Les responsables gouvernementaux français créent la confusion lorsqu’ils font le lien entre le salafisme et le djihadisme le plus radical. Les enquêtes sur les attentats terroristes en France révèlent que leurs auteurs n’ont pas été radicalisés dans les mosquées salafistes. Le salafisme en France est largement quiétiste auquel on peut reprocher, par contre, d’encourager le repli communautaire.
L’Union européenne est-elle affaiblie de manière durable dans la région ?
Sans conteste, l’Union européenne pèse de moins en moins dans la région proche orientale, alors même que les convulsions au cœur du monde arabe l’atteignent directement de par sa proximité géographique. Plusieurs pays, plus particulièrement la France, sont la cible des organisations terroristes, tandis que d’autres subissent les flux migratoires. Sur l’ensemble des crises de la région, on ne peut que constater l’absence d’une stratégie d’ensemble, qu’il s’agisse de l’Irak, de la Syrie ou de la Libye, et récemment concernant « la crise des réfugiés ». L’Union européenne semble atteinte d’une cécité collective face aux grands bouleversements de l’Histoire. Autre signe de cette absence de stratégie, l’échec de l’Union pour la Méditerranée, qui devait consacrer la solidarité entre les deux rives. L’Europe ne sera probablement pas partie prenante dans la solution politique du conflit central syrien, qui émergera d’un accord entre Washington et Moscou, avalisé par les principaux acteurs régionaux : la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite.
Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.
Habituée aux coups de tonnerre répétés et aventurismes divers émanant de Pyongyang, la péninsule coréenne et la communauté internationale sont moins rompues aux (rares) soubresauts impulsés depuis Séoul ; en cet automne 2016 atypique, la capitale américaine n’a pas le monopole des (mauvaises) surprises ; contre son gré, sa lointaine cousine sud-coréenne semble bien partie pour lui emboîter le pas.
Déjà aux prises avec un environnement régional tendu entretenu par le régime nord-coréen (deux essais atomiques et vingt tirs de missiles balistiques réalisés depuis janvier) et un contexte économique en retrait des attentes de la population (PIB + 2,6% en 2015 ; projections autour de +2% en 2016), la République de Corée (4e économie d’Asie ; 11e économie mondiale) se voit irrémédiablement happée par une grave crise politique impliquant directement la Maison Bleue, la présidence sud-coréenne.
Première femme à accéder à ces fonctions dans le pays (en février 2013), Madame Park Geun-hye (parti Saenuri), fille d’un ancien chef de l’Etat (le général Park Chung-hee ; 1963-1979), risque fort de connaître une fin de mandat (jusqu’en février 2018) tourmentée. Les 200 000 personnes attendues dans les rues de Séoul samedi 12 novembre pour appeler à sa démission ne nous démentiront pas.
Emportés ces dernières semaines par une véritable tempête politique associant l’humain (affectif ; relations personnelles) et le financier (allégations de détournement de fonds par une proche), le crédit et l’autorité de la présidente flirtent avec des abimes d’impopularité dont il parait difficile de se remettre, alors que l’opposition et ses principaux ténors ne ménagent pas leur peine pour sceller définitivement le sort de l’administration en place.
Longtemps bâtie, en plus de son affiliation politique paternelle, sur un socle de sérieux et d’intégrité, l’autorité de cette énergique sexagénaire aura le plus grand mal à se remettre de l’imbroglio dans lequel ses relations personnelles (de longue date) avec certains individus aux projets personnels notamment financiers, ainsi qu’aux prérogatives controversées (cf. conseil de la présidente en dehors de tout mandat, y compris en matière de politique intérieure et extérieure) ont miné la Maison Bleue et réduit son crédit à une quantité négligeable.
Ses tentatives de sortie de crise ‘’par le haut’’, avec la nomination-validation par l’opposition d’un Premier ministre aux compétences élargies jusqu’au terme de la mandature actuelle, sont jugées hors de propos et se heurtent à une hostilité marquée, reflet de son crépuscule politique prochain.
Les propos d’une majorité d’observateurs recueillis ces derniers jours à Séoul trahissent une sourde colère de l’opinion et une rupture de confiance avec les élites dirigeantes. Ils font également état d’une réelle lassitude pour les ‘’affaires’’ à répétition affligeant la nation, pourtant exposée, comme bien d’autres en Asie-Pacifique et ailleurs, à des enjeux autrement plus importants (socio-économiques notamment ; croissance ; emploi ; sécurité). Dans la morosité du moment, peu d’interlocuteurs osent espérer quelque éclaircie salvatrice pour le gouvernement, lequel devrait trainer sa peine jusqu’au prochain scrutin présidentiel, prévu d’ici une longue quinzaine de mois. A moins que Mme Park ne décide, sous la pression de la rue et de ses (bons) conseillers, de quitter prématurément son poste (peu de gens misent, pour l’instant, sur une telle hypothèse) ; auquel cas, selon la Constitution, un scrutin pourrait alors être organisé sous soixante jours…
En théorie, la faiblesse passagère affligeant la présidence sud-coréenne aurait pu donner matière à quelque attaque (rhétorique) facile de la part du régime nord-coréen, généralement prompt à se saisir de tout argument, avéré ou grossier, pour malmener, houspiller ou menacer les autorités du sud. A cette heure, on serait plutôt surpris par la relative retenue de Pyongyang ; une ‘’réserve’’ inhabituelle sur laquelle on n’aurait pas nécessairement misé en pareille circonstance.
Naturellement, cette atypique ‘’discrétion’’ nord-coréenne pourrait ne pas durer. Occupé à digérer la surprise de l’élection du candidat républicain à la présidentielle américaine, le régime nord-coréen pourrait très vite retrouver ses (mauvais) esprits et recouvrer sa traditionnelle logorrhée critique et calomnieuse à l’endroit de Séoul, en forçant comme il se doit sur les traits.
Si l’agitation verbale de Pyongyang sur cette thématique sensible est pour l’heure le cadet des soucis de l’administration Park, il en va bien différemment de l’arrivée prochaine de Donald Trump à la Maison-Blanche. Au plus haut niveau de l’Etat, au quartier-général des principaux partis de l’opposition, dans les états-majors de l’armée sud-coréenne comme dans les influents centres de recherche et think tanks du pays, la stupeur du succès républicain (ni anticipé, ni appelé de ses vœux) a jeté ce qu’un euphémisme commode nommerait un froid polaire, en cet automne précoce sur le plan politique, partisan et stratégique.
Des premiers échanges sur le sujet auprès de ces diverses autorités, il ressort une préoccupation générale quant aux contours à venir de la relation jusqu’alors privilégiée américano-sud-coréenne, pierre de touche sécuritaire et stratégique de Séoul des dernières décennies. Les diverses sorties de Donald Trump ces derniers mois sur le sujet – fussent-elles à l’occasion contradictoires et à replacer dans un contexte de campagne électorale faisant peu cas de mesure (cf. financement de la présence militaire américaine en Corée du Sud ; retrait possible des troupes US) – ont sensiblement ébranlé les cercles du pouvoir et de réflexion au sud du 38e parallèle, précipitant ces derniers vers la nécessité de concevoir de possibles ajustements politiques, militaires, géopolitiques.
Troublés plus que réellement apeurés, les responsables sud-coréens, déjà accaparés ou affligés par la crise politique domestique en cours, guettent et espèrent de leurs vœux les premiers signaux rassurants en provenance de la future administration américaine, pourvu qu’ils aillent majoritairement dans le sens de l’apaisement et qu’ils confirment Séoul dans son statut d’alliée stratégique majeure des Etats-Unis en Asie-Pacifique. En ces temps intérieurs difficiles, le ‘’pays du matin calme’’ et ses 51 millions d’individus n’ont aucune appétence pour des lendemains stratégiques incertains ; le voisinage avec l’imprédictible et menaçante Corée du Nord suffit amplement à leur peine.
Donald Trump a fait beaucoup de déclarations sur la politique étrangère des Etats-Unis. Pas facile de s’y retrouver. Y a-t-il une ligne directrice ?
La politique étrangère de Donald Trump devrait être très transactionnelle, pas forcément cohérente mais au coup par coup, basée sur les qualités de négociateur dont il aime se féliciter. Ce qu’il y a de certain, c’est que nous aurons à faire avec une politique des Etats-Unis moins cohérente, en tout cas plus imprévisible, notamment sur les trois grands chantiers internationaux laissés par le président sortant Barack Obama derrière lui : l’Europe de l’Est, c’est-à-dire l’Ukraine et la Russie, le Moyen-Orient et l’Asie.
Quels changements apparaissent cependant envisageables dans les relations avec la France et l’Europe ?
Il est sûr que le nouveau président aura moins de respect pour ses vieux alliés européens, dont la France, qui risquent d’être davantage à l’épreuve. L’Europe devra s’organiser. Quand je dis l’Europe, c’est surtout l’Allemagne et la France pour définir une attitude commune car la Grande-Bretagne se retrouve pour longtemps écartée de toute influence internationale. Si la France et l’Allemagne ne sont pas capables de parler d’une même voix pour exprimer une politique commune sur les grands sujets, cela risque de poser problème.
Un certain nombre de traités sont en question, en négociation, en processus de ratification (Cop 21, Tafta…). Peut-il y avoir une en remise en cause ?
Sur un point, Trump a été clair. Il a déjà dit qu’il ne voulait pas de la COP 21 sur le climat, que ce n’était pas un traité, et d’ailleurs que le Sénat américain, qui ratifie les traités – aux Etat-Unis, ce n’est pas le président –, ne l’aurait pas fait.
II y a les dossiers sensibles du terrorisme, la Syrie, l’Irak. Trump prône l’isolationnisme, avec quelles conséquences ?
Il faudra de toute façon que le nouveau président compose avec tous les éléments institutionnels de la diplomatie américaine. Il ne sera pas seulement un homme fort ou une grande gueule. Il pourrait s’entendre avec la Chine par exemple dans une stratégie à long terme. Sur le problème syrien, l’establishment a les clés, le problème de la Syrie et de l’Irak, par effet de conséquence, se règle au niveau de la Turquie, membre de l’Otan, l’Iran et l’Arabie saoudite. Quant au Proche-Orient, on remarque qu’on ne parle plus du problème israélo-palestinien.
Le caractère provocateur, «à l’emporte-pièce» de Donald Trump, mis en exergue par ses déclarations pendant la campagne peut-il donc être «contrôlé» par l’administration ?
L’establishment va jouer son rôle pour lisser la politique étrangère. Mais dans le même temps, Donald Trump peut dire : «J’ai un mandat du peuple américain». Ce qui n’était pas évident avant, avec Barack Obama, l’est davantage aujourd’hui, parce que le Congrès est aussi républicain. Cela dit, je crois que pour mieux connaître la politique étrangère mise en œuvre par Trump, il ne faut pas se baser sur ses déclarations de campagnes mais plutôt sur ses futures déclarations. Il a déjà commencé à changer, d’ailleurs, dès son élection. Dans sa première déclaration, il s’est posé en rassembleur. Alors…
Recueilli par D.H.
Quels ont été les facteurs déterminants du basculement des États du nord des États-Unis ?
L’identification géographique est claire : tous ces États appartiennent à la « rust belt », cette région qui correspond au bassin minier et industriel des États-Unis. Depuis plusieurs décennies, la présence démocrate était presque automatique, sauf pour l’Ohio. C’est donc une très grosse surprise. Les États du Michigan, de Pennsylvanie et du Wisconsin étaient considérés comme des bastions démocrates.
Il faut donc remonter aux primaires démocrates pour comprendre comment Hillary Clinton n’a pas réussi à capter ces régions. Elle avait notamment perdu contre son principal adversaire lors de la primaire, Bernie Sanders, au Michigan et au Wisconsin, où il y avait un vote très anti-establishment incarné par M. Sanders. Il y a une rupture entre l’image de Clinton, haute dignitaire du Parti démocrate, et l’attente des populations dans ces États qui veulent un candidat différent des élites traditionnelles.
Il faut ajouter qu’elle a très peu fait campagne dans ces régions. Elle ne s’est même pas rendue au Wisconsin depuis la convention démocrate d’août dernier. Elle présumait ces bastions pour acquis et n’a pas cherché à comprendre les raisons de son échec face à Bernie Sanders lors des primaires. Les électeurs de Sanders n’ont soit pas voté, soit choisi Trump.
Si Bernie Sanders avait affronté Donald Trump, il aurait donc enrôlé l’électorat ouvrier de ces régions ?
Le discours sur le retour à une politique de proximité, sortir Washington de sa tour d’ivoire et surtout le fait de redonner aux citoyens oubliés leur dignité, a eu un écho très fort chez les cols bleus du nord des États-Unis. Ces idées étaient au début portées par Sanders avant d’être récupérées par Trump. La victoire de Sanders dans toute cette région aurait été extrêmement probable. J’irais même plus loin : je pense sincèrement que Sanders aurait battu Trump à l’élection. La rhétorique et le positionnement anti-establishment de Trump n’auraient pas fonctionné avec Sanders, qui n’était pas un candidat du système et qui représentait l’aile gauche dure du Parti démocrate. Trump avait donc en face de lui l’adversaire idéal qu’était Clinton. Plus que la défaite des idées du Parti démocrate, c’est la défaite de l’establishment de ce parti, représenté par Hillary Clinton. Il va falloir changer la manière de faire la politique : on arrête cette prééminence de Washington et on revient à l’écoute des citoyens.
Et pour l’Ohio, qu’est-ce qui a influencé le vote des électeurs ?
L’Ohio, État-clé du scrutin qui rapporte 18 grands électeurs, est à l’instar de Michigan ou du Wisconsin une région sinistrée par la désindustrialisation. Il a donc été remporté par les républicains pour les mêmes raisons que ses voisins : un ressentiment contre les élites traditionnelles. Or celui-ci n’était pas un bastion démocrate, mais un « swing state » : il a voté pour Obama en 2008, Bush avant lui en 2000 et Bill Clinton encore avant. Les écarts entre candidats y sont souvent très réduits et les pronostics incertains, mais Sanders aurait pu très probablement remporter cet État.
La victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine le 8 novembre peut-elle menacer l’alliance vitale entre les Etats-Unis et le Japon et déstabiliser la région asiatique ?
Donald Trump a critiqué le traité de défense unissant Washington et Tokyo car il ne force pas le Japon à venir en aide aux États-Unis en cas d’attaque. « Nous avons un traité avec le Japon qui dicte que si le Japon est attaqué, nous devons utiliser toute la force et la puissance des États-Unis », a dit le candidat républicain à ses partisans lors d’une réunion publique à Des Moines, dans l’Iowa. « Si nous sommes attaqués, le Japon n’a rien à faire. Ils peuvent rester chez eux à regarder leurs télévisions Sony », a-t-il poursuivi. Donald Trump, dont l’un des slogans de campagne est « L’Amérique d’abord » (« America’s first »), entretient depuis plusieurs mois la menace d’une renégociation ou d’un abandon des accords de défense avec les alliés traditionnels de Washington. « Ils doivent payer, car nous sommes à une autre époque qu’il y a 40 ans », a insisté Donald Trump. Et il a déploré, comme technique de négociation, les déclarations de responsables comme Hillary Clinton et Barack Obama qui répètent que ces alliances sont sacrées. « Il faut toujours être prêt à claquer la porte. Je ne pense pas que ce sera nécessaire, mais on ne sait jamais ! » a menacé Donald Trump. « Il est possible que le Japon soit obligé de se défendre contre la Corée du Nord ».
Le risque est donc, si M. Trump applique sa politique déclaratoire, d’une remise en cause des alliances traditionnelles. On peut attendre donc le risque de la désintégration des alliances américaines et un renversement de l’élan généré par l’administration Obama à travers son « rééquilibrage » vers l’Asie. Le Japon et la Corée du Sud sont, après les prises de position du milliardaire new-yorkais, plus susceptibles de développer des armes nucléaires. Donald Trump estime que les alliés ne paient pas leur part pour les garanties de dissuasion étendue aux États-Unis.
La remise en cause de l’alliance avec les Etats-Unis pourrait donc avoir des conséquences graves. Elle pourrait accroître les tensions déjà aiguës dans la région en initiant une course aux armements régionale car le Japon serait fortement incité à accroître ses dépenses de défense. Elle peut perturber l’équilibre régional car si les Etats-Unis n’apportent plus leur capacité de dissuasion, c’est tout l’édifice sécuritaire qui est menacé. Et le statu quo peut être remis en cause. Si le Japon n’a plus le parapluie nucléaire américain, il peut être tenté de se doter d’armes nucléaires. Ce qui serait illusoire, car il ne pourrait protéger efficacement son territoire si exigu, et dangereux, car il menacerait la Chine qui, inquiète, pourrait être tentée de mener une politique encore plus agressive. Cela introduirait également la possibilité que la Corée du Nord – la principale source de menace dans la région – réagisse de façon imprévisible. Si, sans remettre en cause l’alliance, il s’agit d’accroître fortement l’effort de défense du Japon, cela risque de mettre en difficulté une économie nippone encore fragile.
Une remise en cause de l’alliance ou un rééquilibrage trop brutal peuvent donc avoir des effets potentiellement dévastateurs. Personne ne sait réellement qu’attendre de Donald Trump, ce qui est déstabilisant dans une région sous haute tension.
Aussi, le Japon a immédiatement réagi à l’élection de Donald Trump. Le pays a décidé d’envoyer un haut fonctionnaire, Katsuyuki Kawai, assistant politique du Premier ministre Shinzo Abe en charge de la diplomatie, à Washington, dès la semaine prochaine, pour essayer de rencontrer ceux qui seront responsables de la prochaine administration de la Maison Blanche.
Le secrétaire général du cabinet nippon, Yoshihide Suga, a déclaré : « Nous nous préparons pour pouvoir répondre à n’importe quelle situation, parce que notre position est que notre alliance avec les États-Unis reste la pierre angulaire de notre diplomatie ». Et surtout, le Premier ministre japonais Shinzo Abe va rencontrer Donald Trump la semaine prochaine, ont annoncé jeudi des responsables officiels après une conversation téléphonique entre les deux hommes au lendemain de la victoire du milliardaire à l’élection présidentielle. M. Abe et Trump ont échangé pendant une vingtaine de minutes. Le Premier ministre japonais rencontrera probablement le futur président américain le 17 novembre, juste avant sa venue au Pérou, pour le sommet du groupe de coopération économique en Asie-Pacifique (Apec), a déclaré à l’AFP une responsable du ministère japonais des Affaires étrangères. Au cours de l’entretien téléphonique, M. Abe « a parlé de l’importance de la relation bilatérale et de l’alliance américano-japonaise », a déclaré la responsable du ministère. Shinzo Abe a félicité mercredi Donald Trump pour son élection à la présidence des Etats-Unis qualifiant les deux pays d’« alliés inébranlables ».
En réponse, M. Trump a dit espérer renforcer la relation américano-japonaise, a affirmé la responsable et il a également dit, selon elle, apprécier la politique économique de M. Abe.
M. Trump mettrait-il déjà de « l’eau dans son vin » et atténuerait-il ses positions de campagne ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est donc pas dans l’intérêt du Japon et des Etats-Unis de remettre en cause une alliance multidécennale et de risquer des conflits en Asie orientale, dont les répercussions pèseraient sur l’économie américaine et la stabilité des Etats-Unis. L’isolationnisme américain n’a jamais été bon pour la paix internationale. A l’inverse, une implication des Etats-Unis dans les affaires mondiales a pu souvent jouer un rôle historique stabilisateur et pacificateur, à l’exemple de l’intervention dans les deux conflits mondiaux du XXe siècle.
On peut espérer que Donald Trump n’agira cependant pas comme il l’a fait pendant la campagne présidentielle où il est apparu totalement imprévisible, vindicatif et hostile au commerce international. Il est possible que sa prise de fonction le rende plus raisonnable et qu’il agisse donc différemment. C’est l’espoir que la fonction présidentielle rende l’homme plus rationnel. Cela dépendra aussi de l’équipe qui se constituera autour de lui, actuellement en cours de formation, dont on peut espérer qu’elle comportera des vieux routiers de la diplomatie et des affaires militaires, conscients des équilibres mondiaux et des risques de conflits.
L’équilibre asiatique et donc la sécurité mondiale sont en jeu.
Dans quel contexte économique Donald Trump arrive-t-il à la Maison Blanche ? Son élection s’explique-t-elle aussi par les difficultés économiques dont souffrent les Américains ?
Donald Trump arrive paradoxalement dans un contexte économique plutôt bon aux Etats-Unis. Les Américains jouissent d’un quasi plein emploi avec un taux de chômage à 4,9%, tandis que leur croissance reste relativement stable et dynamique dans le contexte mondial actuel (2.1% en 2015 et probablement 1.8% en 2016). La plupart des analystes considèrent que la crise est passée et que l’économie américaine est plutôt dans une situation stabilisée. C’est d’ailleurs pour ces raisons que la réserve fédérale avait annoncé il y a quelques semaines une augmentation de ses taux directeurs en décembre. L’une des premières conséquences économiques de l’élection de Monsieur Trump risque d’être le maintien des taux. A suivre…
Par ailleurs, Barack Obama reste populaire. Début novembre 2016, l’Institut américain Gallup estimait sa popularité à 56% des personnes interrogées, un sommet de popularité pour lui (la seule fois où il fit mieux, c’était en octobre 2012, quelques mois avant sa réélection, il atteignait alors 57%) et un record pour un Président sortant. S’il avait pu se représenter, il aurait probablement été élu ! Ce vote n’est donc pas non plus un vote contestataire.
L’élection de Donald Trump ne s’explique pas directement par les difficultés économiques réelles des Américains. Certes, le nombre de pauvres a augmenté mais ces derniers ont plutôt voté démocrate. Le facteur clé pour comprendre l’élection de Donald Trump est probablement la montée des inégalités dans ce pays depuis 30 ans. En 2002, alors qu’il n’était encore que Professeur d’économie à Princeton, Ben Bernanke, l’ancien directeur de la réserve fédérale, avait fait déjà fait ce constat et expliquait combien ces inégalités remettaient directement en cause le modèle d’ascension sociale (le rêve américain en quelque sorte) de ce pays. Et avec cette élection, il semblerait que les Américains aient intégré cela au point de craindre un déclassement à venir. C’est ce qui s’exprime par la peur de « l’étranger », celui qui nous prend nos jobs, donc nos richesses, dans l’inconscient collectif… Or, alors que Barack Obama en avait fait sa priorité en 2012, il n’est pas parvenu à enrayer le phénomène de montée des inégalités.
Ce n’est donc pas une situation économique objective qui fait voter Donald Trump mais plus la peur du lendemain.
L’avènement d’un président qui prône le protectionnisme peut-il changer la nature des relations entre les Etats-Unis et ses partenaires commerciaux ?
Oui. Si Donald Trump tient ses promesses en matière économique, cela changera radicalement la donne pour les Etats-Unis et pour l’économie mondiale. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en effet, les Etats-Unis sont les maîtres du jeu dans le domaine économique. L’ouverture des économies qui a conduit à la mondialisation dans laquelle nous vivons aujourd’hui a été leur choix et leur volonté depuis cette période. Par ailleurs, l’économie américaine a toujours été le principal moteur de la croissance mondiale, un peu affaibli au moment de la crise de 2008 et dans les années qui suivirent mais jamais totalement remis en cause. Or, le protectionnisme annoncé par Trump change radicalement la donne. En matière d’ouverture économique d’une part ; par les menaces qu’il fait peser sur la croissance américaine donc mondiale d’autre part.
Le garde-fou de cette politique radicale sera probablement la rue américaine. La politique annoncée par Trump aura un effet prix assez immédiat : un droit de douane entraîne l’augmentation immédiate des prix à hauteur du pourcentage de celui-ci (Trump a annoncé 45% pour les produits chinois !) sauf à pouvoir substituer par des produits domestiques ou pour les détaillants à accepter de réduire leurs marges… Cela paraît difficile dans certains secteurs (vêtements et chaussures, jouets, électroniques etc.) où l’importation fournit presque toute la demande aux Etats-Unis.
Après le Brexit, l’élection de Donald Trump s’inscrit-elle dans un contexte de rejet de la mondialisation et du libre-échange ?
Oui. Si à la fin des années 1990, la contestation de la mondialisation, l’altermondialisme, représentait une minorité de personnes, politiquement relativement bien identifiées, le rejet de la mondialisation et du libre-échange est aujourd’hui massif et généralisé.
Comme dans le cas de l’élection de Monsieur Trump, ce rejet n’est pas le résultat objectif d’une situation macroéconomique. Le bilan économique de la mondialisation est plutôt bon sur le long terme : sur les 70 dernières années, le niveau de vie a augmenté partout dans le monde, jamais autant de pays et d’individus n’avaient accédé au développement économique, etc. Pour autant, tout est loin d’être parfait dans ce monde économique. Les externalités négatives (réchauffement climatique, montée des inégalités, conséquences politiques, géopolitiques et sociales, comportements de certains acteurs, etc.) ont trop peu été prises en compte alors qu’elles sont porteuses de risques majeurs pour l’avenir et que, dans ce contexte, elles génèrent des craintes légitimes des populations partout dans le monde : peur du déclassement, peur des catastrophes naturelles, peur des étrangers…
Philippe Pinta est président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB). Il répond à nos questions à l’occasion de son intervention au colloque international “Climat, agriculture et sécurité alimentaire” organisé le 3 novembre 2016 par l’IRIS et l’AGPB :
– Pourquoi était-il important de traiter du sujet agriculture et climat lors de ce colloque ?
Pour quelles raisons avoir mis en avant l’exemple marocain ?
– Quelles sont vos solutions pour l’agriculture française face au réchauffement climatique ?
– Comment réformer le secteur agricole, dont le blé, pour répondre au défi de la croissance démographique d’ici 2050 ?
Cette élection, c’est une remise en question de la politique économique d’Obama ?
Je ne crois pas que ce soit une réaction à la politique économique de Barack Obama. Obama est probablement le président sortant le plus populaire. C’est un point important car la situation macroéconomique des États-Unis est plutôt bonne. 4,9 % de chômage, ce qui est très faible, presqu’un niveau historique. Ils ont, quasiment à tout point de vue, effacé les impacts de la crise financière de 2008. Le PIB se maintient. La croissance est certes peu élevée, entre 2 et 3 %, mais elle est plutôt bonne, vue la situation de crise.
Justement comment va le pays ?
Ce qui choque les Américains, ce sont les inégalités entre riches et pauvres. On ne peut pas accuser, ni les médias ni les politiques, de ne pas avoir pris la mesure de ces inégalités. Mais les politiques ne sont pas parvenus à les enrayer. Les 3 % les plus riches concentraient 30,5 % du revenu total en 2013 contre 27,2 % en 2010.
Donald Trump a été élu sur un programme économique qui se veut fort, rassurant. Il rassure beaucoup d’Américains face à des changements qui sont peut-être allés trop vite. Avant d’être perçu comme protectionniste, il est perçu comme protecteur.
S’il applique son programme c’est tout un nouveau monde qui va se dessiner…
Tout à fait. Il veut taxer à 45 % les produits importés de Chine. S’il applique ça, c’est sûr que les Chinois ne vont pas se laisser faire.
Des études ont chiffré les conséquences de ses propositions. Une étude du Peterson institute for international economics, basée à Washington, a évalué sa politique commerciale à 27 millions de chômeurs supplémentaires.
S’il fait ce qu’il a dit, ce sera dramatique. Tout ce que critique Trump, c’est ce qui a fait la force de la société américaine ces soixante-dix dernières années : le commerce international, l’ouverture, la mondialisation. Les États-Unis se sont enrichis sur cette ouverture. Aucun autre pays, à part peut-être la Chine ces dernières années, l’a rattrapé. Dans un monde toujours plus riche, les États-Unis le sont toujours plus aussi.
Avec le ralentissement récent des économies émergentes, en partie des Brics, les États-Unis ont repris leur place de moteur de croissance mondiale. Si le marché américain se ferme et que la situation se dégrade, cela pèsera sur l’ensemble de la planète.
Est-ce que son programme est réalisable ?
C’est possible si, comme Donald Trump l’a souhaité, les États-Unis sortent de l’Organisation mondiale du commerce. Ses promesses dérogent aux engagements internationaux de facilitation des échanges commerciaux. Donald Trump est capable d’aller jusqu’au bout et de dire « ce n’est pas grave, on est les plus fort, on va sortir de tout ça. » Même si cette sortie prendra du temps, ça ne l’empêchera pas d’appliquer ses mesures.
Ce qui va freiner la mise en œuvre de son programme économique, ce sont les conséquences même des mesures qu’il propose et qui ne tarderaient pas à se produire.
C’est-à-dire ?
La majorité des vêtements qui sont vendus aux États-Unis viennent de Chine. Si vous imposez des droits de douane de 45 %, ça veut dire que ces produits valent 45 % plus cher. Vous croyez que les Américains vont accepter ça ? La contestation viendra de la rue car l’augmentation des prix va être immédiate. À ce moment-là, il sera obligé de changer de cap.
Tout le monde critique le libre-échange aujourd’hui. Mais est-ce que les gens ont réfléchi aux conséquences que cela a eues sur leur vie quotidienne ? Pouvoir se payer un écran plat pour deux francs six sous et toujours moins cher, payer des vêtements peu chers. C’est ça le libre-échange.
Il dit qu’il va baisser les impôts. Très bien. Mais augmenter les droits de douane, c’est augmenter fortement les impôts pour tous les Américains.
Quid de sa proposition de taxer les entreprises qui délocalisent ?
Si Donald Trump rapatrie ces emplois, on ne les payera pas le même tarif. Donc on augmente encore une fois les prix aux États-Unis. Cela va satisfaire à court terme une partie des électeurs de Trump mais pour fabriquer des produits beaucoup plus cher et finalement recréer du chômage. Les Américains n’auront pas les moyens d’acheter autant qu’aujourd’hui.
S’il espère que les entreprises vont relocaliser aux États-Unis, il se fait des illusions. S’il met en place des incitations fiscales, les entreprises ne créeront pas ces emplois-là. Ils seront remplacés par des machines.
Est-ce qu’il va être soutenu par les élus Républicains du Congrès, en majorité favorables au libre-échange ?
C’est probable que oui dans un premier temps, puisqu’il vient d’être élu. Mais le Congrès américain est un véritable contre-pouvoir. Ils pourraient atténuer la politique annoncée par Donald Trump. Tout Républicains qu’ils soient, il y a une vraie séparation des pouvoirs aux États-Unis, contrairement à la France. Le Congrès, institution chargée de voter les lois, est réellement indépendant du pouvoir exécutif. Il n’est pas rare qu’un représentant vote dans une direction inverse de celle son parti.
Il y a aussi une énorme incertitude sur sa politique. Rien ne dit, après un affichage très virulent, volontariste, qu’il ne se tourne vers plus de modération.
Est-ce que l’Union Européenne doit s’inquiéter ?
Oui au niveau de la croissance économique. Les États-Unis restent le moteur de la croissance mondiale. Ce n’est pas le moment pour nous d’avoir un marché américain fermé. Mais des retombées peuvent être positives. Si Donald Trump renonce à l’Alena – l’accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique – et se froisse avec le Canada, on peut imaginer que cela renforce réellement nos relations avec ce pays.
Un certain nombre d’hommes d’affaires américains qui ne voudraient pas travailler sous Trump, qui se sentiraient pénalisés par sa politique, pourraient se repositionner en Europe. L’option la plus simple pour eux, car les liens entre UE et États-Unis sont forts. L’UE est le premier partenaire commercial et financier des États-Unis.
Comment analysez-vous la victoire de Donald Trump quand de nombreux observateurs estimaient que les jeux étaient faits en faveur d’Hillary Clinton ? Quelle Amérique illustre cette victoire ?
Les observateurs qui considéraient que les jeux étaient faits ont mal observé. Les jeux n’ont jamais été faits. Je n’ai cessé de répéter, depuis janvier, qu’il fallait prendre Donald Trump au sérieux. Le Républicain incarne à lui seul trois phénomènes. Le populisme, tout d’abord, celui que nous voyons partout en Occident, voire ailleurs. L’aspect Far West ou jacksonien qui correspond au caractère combattif de l’Américain, où les problèmes se résolvent par la confrontation. De nombreux Américains s’identifient à ce caractère de Donald Trump qui lui permet, aux Etats-Unis, d’être parfaitement reconnaissable, alors qu’en Europe, le Républicain est loin de représenter l’Américain tel que se le figure l’imaginaire collectif. Troisième phénomène : le réveil américain. Après des décennies, les Américains réalisent que le pouvoir d’achat du foyer moyen n’a pas avancé depuis 40 ans et que la crise financière de 2008 a eu des effets néfastes sur le pays. Barack Obama les a bercés pendant huit ans ; aujourd’hui, le moment est venu pour les Américains de s’ériger contre les élites qui les ont mis dans cette difficulté.
Le 8 novembre marque une double voire une triple défaite des démocrates qui ne sont pas parvenus à récupérer le Sénat et à la Chambre des représentants. Cette gifle est-elle à mettre au crédit de l’impopularité d’Hillary Clinton, de Barack Obama ou du Parti démocrate dans sa globalité ?
Cette défaite est aussi bien celle d’Hillary Clinton, de Barack Obama que du Parti démocrate. Cela fait une génération que les démocrates, tout comme la gauche en Occident, ne sont pas en mesure de produire des idées neuves. Après huit ans de présidence de Barack Obama, le Parti démocrate est considéré comme un parti qui est resté trop longtemps au pouvoir. Quant à Hillary Clinton, elle est présente dans les médias depuis plus de trente ans, ce qui suscite une sorte de rejet chez une partie de l’opinion.
Avec deux chambres acquises aux Républicains, que doivent attendre les Américains de la politique de leur nouveau président ?
Ce qu’il a promis ! Le propre de la politique, surtout aux Etats-Unis, est de promettre une chose, et une fois arrivé au pouvoir, d’en faire une autre. Aux Etats-Unis, les présidents américains ont souvent tenu des discours du type : « Le Congrès m’empêche de tenir mes promesses ».
Aujourd’hui, Donald Trump peut revendiquer avoir obtenu un mandat clair de la part du peuple américain car il a remporté la Pennsylvanie et bien plus de voix que nécessaire. En gardant la Chambre des représentants et le Sénat, Donald Trump a la possibilité de mettre en œuvre son programme, situation assez exceptionnelle pour un président américain. Et Donald Trump, compte tenu de son discours, doit impérativement l’appliquer. Cela signifie qu’il va peut-être essayer de mettre en place ses promesses les plus radicales, comme la construction d’un mur à la frontière mexicaine ou une baisse drastique des impôts.
« Make America great again » était le principal slogan de Donald Trump durant la campagne. Selon-vous, comment se dessineront les futures relations des Etats-Unis avec le monde ?
Donald Trump n’a aucune expérience en politique étrangère. Dans ce domaine, on peut s’attendre à une cohérence inversée. C’est-à-dire que les réponses de Donald Trump sur les grandes questions manquent de logique. Sa seule cohérence sera celle de la défense des intérêts des Américains. Donald Trump a été le premier à dire que le pays va mal. Par le slogan « Make America great again », il entend remédier à ce problème et rétablir la grandeur des Etats-Unis.
Barack Obama laisse au nouveau président trois grands vides stratégiques : les relations avec la Russie, notamment sur l’Ukraine ; le Moyen-Orient au sens large, incluant la Turquie, l’Iran ainsi que l’Arabie Saoudite ; et le pivot vers l’Asie qui n’a pas fonctionné. Si Donald Trump sera contraint de traiter ces sujets un à un, je n’ai pas l’impression qu’il ait une stratégie globale et cohérente.
L’ère des Etats-Unis omniprésents sur la scène internationale est révolue.
Mohammed Sadiki est secrétaire général du ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime du Maroc, co-auteur de « Agriculture et climat : du blé par tous les temps » (IRIS Editions / MaxMilo). Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation au colloque international “Climat, agriculture et sécurité alimentaire” organisé le 3 novembre par l’IRIS et l’AGPB :
– Comment se positionne l’agriculture marocaine au niveau régional et international ?
– En quoi consiste le Plan Maroc vert ? Quelle est la place de l’agriculture au niveau national ?
– Plus globalement, la pénurie d’eau qui frappera l’Afrique du Nord et le Proche-Orient d’ici 2025 peut-elle engendrer des tensions d’ordre géopolitique dans la région ?
Après les Philippines, c’est au tour de la Malaisie d’opérer un rapprochement spectaculaire avec la Chine. Le Premier ministre malaisien, Najib Razak, a annoncé cette semaine depuis Pékin, où il était en visite officielle, l’établissement de liens militaires plus étroits avec la Chine. Il avait été précédé de quelques jours par Rodrigo Duterte, le tonitruant président philippin, lui aussi invité en Chine, et lui aussi visiblement ravi d’annoncer une série d’accords avec un pays avec lequel les relations furent pourtant très tendues ces dernières années.
Ce ballet diplomatique en Chine est surtout un coup très dur porté à la stratégie du pivot vers l’Asie portée par l’administration Obama depuis le début de la décennie, avec pour ambition annoncée de replacer les Etats-Unis au centre de l’échiquier asiatique. Les deux facettes de cette stratégie sont l’économie (avec notamment la signature du Partenariat transpacifique, ou TPP) et le politico-stratégique (avec la réaffirmation de partenariats existants et la recherche de nouveaux alliés). Si le TPP attend encore une ratification du Sénat américain, il se heurte surtout au fait que seuls cinq Etats asiatiques (Japon, Brunei, Singapour, Malaisie et Vietnam) l’ont signé, ce qui a pour effet de limiter très sensiblement sa portée, là où l’objectif à peine masqué était d’unir tous les pays de la région et d’exclure la Chine (ce qui explique d’ailleurs sans doute son semi-échec). A cela s’ajoutent les avancées chinoises en parallèle, notamment la montée en puissance des investissements en Asie du Sud-est. En clair, le TPP a le mérite d’avoir été signé en 2015, mais il reste un accord au rabais, et qui pourrait ne jamais décoller. Au niveau stratégique, si les Etats-Unis ont réaffirmé le partenariat avec des alliés traditionnels comme le Japon, la Corée du Sud ou l’Australie, c’est du côté du Vietnam et des Philippines que de nouveaux dialogues sont à mettre au crédit de l’administration Obama. Mais le revirement spectaculaire de Manille depuis l’arrivée au pouvoir de Duterte, qui a déclaré souhaiter tourner le dos à Washington, est un coup de poignard dans le dos de la diplomatie américaine, et d’un pivot stratégique qui perd l’un de ses principaux soutiens.
La campagne présidentielle affligeante, qui se termine enfin, n’a fait qu’affaiblir un peu plus la place de Washington en Asie, et les perspectives ne sont pas positives. Barack Obama, qui a passé une partie de son enfance à Jakarta, est resté populaire dans la région, et son capital sympathie a sans doute permis d’entretenir l’espoir d’un repositionnement américain dans une région de plus en plus marquée par la montée en puissance chinoise. Mais ni Hillary Clinton, ni Donald Trump, ne bénéficient de la même image positive. S’ajoute à cela une absence de vision de la part des deux candidats sur l’avenir de la stratégie du pivot, à laquelle Trump ne semble pas s’intéresser sinon pour dénoncer le TPP, et que revendique Hillary Clinton, mais sans pour autant en avoir fait l’un des axes de sa campagne sur les dossiers de politique étrangère. D’ailleurs, n’est-il pas étonnant qu’aucun des deux candidats n’aient proposé de politique asiatique, préférant porter leurs discussions en matière de politique étrangère sur le nœud syrien et une anachronique obsession russe ? Jamais, depuis les années Bush et les débats sur la guerre en Irak, une campagne présidentielle américaine a à ce point ignoré les enjeux politiques, économiques et militaires en Asie. A l’image de cette campagne dans son ensemble : creux, vide de sens, et surtout inquiétant pour l’avenir.
Ces errements, associés à la réalité d’un basculement progressif, certes relatif mais réel, des « alliés » de Washington au profit de Pékin, peuvent-ils signifier la fin de la stratégie du pivot, qui restera ainsi un acte manqué de l’administration Obama ? Ce n’est pas à exclure. Car la marge de manœuvre est aujourd’hui beaucoup plus réduite qu’elle ne l’était en 2009, quand Obama prit ses fonctions et nomma Hillary Clinton au département d’Etat. Cette dernière avait alors choisi l’Asie comme destination de sa première tournée comme chef de la diplomatie américaine (une première dans l’histoire du pays). Si les Etats-Unis ont cherché à avancer en Asie, avec des succès, comme nous l’avons vu, mitigés, Pékin a considérablement renforcé sa présence et sa puissance. Les signes sont nombreux. Deuxième PIB mondial depuis 2010, la Chine a mis sur pied les contours d’une zone de libre-échange avec l’Asean, créé la Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures (AIIB, 2015), et multiplié les projets économiques et commerciaux dans son voisinage, y compris avec son ennemi de toujours, Taiwan. Dans le même temps, la puissance militaire, maritime surtout, de la Chine a considérablement augmenté, au point de devenir un potentiel concurrent aux forces américaines dans la région. Enfin, les ambitions chinoises, caractérisées par la ligne des neuf (désormais dix) points et les revendications territoriales et maritimes en mer de Chine orientale et méridionale, marquent une rupture avec une posture traditionnellement plus discrète. En huit ans, la Chine est passée d’un statut de puissance asiatique en devenir à celui de puissance assumée. Pékin a également profité, de manière habile, d’une certaine vacance du pouvoir américain en période électorale (Barack Obama lui-même étant visiblement actuellement plus impliqué dans le soutien à la campagne d’Hillary Clinton que dans la politique étrangère de son pays), pour avancer ses pions. La stratégie du pivot avait comme objectif à peine masqué d’endiguer la montée en puissance chinoise. C’est donc un échec, et si elle doit se réinventer, cette stratégie devra surtout s’adapter à une donne qui n’a pas évolué en faveur de Washington. Les postures des Philippines et de la Malaisie n’en sont qu’un indicateur, la dérive autoritaire de la Thaïlande, les quatre essais nucléaires nord-coréens depuis 2009 et les déboires de la Corée du Sud d’autres. Ils sont surtout la promesse de jours difficiles pour la diplomatie américaine face à un pays qui deviendra sans doute officiellement première puissance économique mondiale tandis que le 45ème président des Etats-Unis occupera la Maison-Blanche.
Jusque-là réfractaire à la ratification du CETA, la Wallonie a trouvé un accord avec le gouvernement fédéral. La Belgique l’a donc finalement ratifié. Comment interpréter ce retournement de situation ? Quel impact pour le reste de l’UE ?
Le positionnement des Wallons sur le CETA peut être interprété de deux manières : il s’inscrit tout d’abord dans les craintes habituelles que suscitent les traités de libre-échange aux élus de gauche puisque c’est le cas du gouvernement wallon. En effet, même si ces derniers reconnaissent, pour la plupart, l’existence d’aspects positifs liés aux accords de libre-échange, ils en dénoncent aussi leurs conséquences et externalités négatives telles que la montée des inégalités, signe d’une mauvaise redistribution des richesses ou encore les conséquences du libre-échange sur l’environnement. En ce sens, la position des Wallons était relativement cohérente. Par ailleurs, ce blocage s’inscrit aussi dans la crise politique que traverse la Belgique depuis plusieurs années et il a aussi été un moyen pour la région d’affirmer son poids aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.
On peut dès lors se demander pourquoi les Wallons ont finalement ratifié le traité. Je pense que l’Etat fédéral belge a bien compris le risque de la non-ratification du CETA. Ses dirigeants ont donc entrepris des négociations avec leurs homologues wallons durant lesquelles ils ont été en mesure de les rassurer sur l’existence de garanties autour des tribunaux d’arbitrage et autres sujets qui fâchent. Est-ce qu’au fond les Wallons voulaient vraiment bloquer la signature de ce traité ou plutôt alerter sur certains risques afin qu’ils soient mieux pris en compte ?
Pour l’Union européenne, l’accord a finalement été signé mais les réticences wallonnes ainsi que la sensation d’urgence et de « péril imminent » qu’ont suscité les réactions des dirigeants européens face à ces réticences n’ont sans doute pas contribué à améliorer l’image de l’UE, et encore moins l’idée que les citoyens se font de ces traités de libre-échange.
On le verra à son application, mais dans le texte, le traité apparaît plutôt favorable à l’Union européenne. Ainsi, en termes de normes, les Européens ont obtenu des garanties sur les appellations d’origine contrôlée. Malgré cela et malgré ce qu’en disent les grands leaders politiques européens, ce traité reste un grand classique en la matière. Il n’est pas radicalement différent d’autres accords de libre-échange et, de ce point de vue, difficilement considérable comme « moderne et progressif ». Quid des normes sociales et environnementales ? Quid de l’encadrement des activités et de la fiscalité des grandes entreprises multinationales ? Ce sont pourtant, aujourd’hui, des questions, certes complexes, mais essentielles pour l’avenir de la mondialisation ainsi que pour celui des citoyens/consommateurs européens, canadiens et même au-delà d’ailleurs. Les Wallons ont eu raison de le souligner. Ces questions ne sont, en effet, presque pas évoquées dans les accords si ce n’est sur la question des appellations. Sans ces évolutions et la prise en compte de ce que l’on appelle techniquement les « externalités » de la mondialisation, cette dernière est décriée, donc menacée. Le sujet est central aujourd’hui !
La mise en place de tribunaux d’arbitrage prévue dans l’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada constitue l’élément le plus controversé. Ce genre d’instance existe-t-il déjà dans d’autres accords ? Comment les tribunaux fonctionneraient-ils ? Représentent-ils un danger pour les citoyens européens ?
Si l’Union européenne a obtenu, voire imposé, ses normes au sujet des appellations d’origine contrôlée, la question des juridictions arbitrales fait encore couler beaucoup d’encre.
Sur le fond, ce genre de juridiction est légitime. On sait combien les Etats sont souvent enclins à défendre les intérêts économiques et financiers de leurs entreprises au détriment des autres. On sait aussi combien cela est peu équitable dans une économie mondiale où les pays ont des moyens d’action et d’influence très différents. En gros, les Etats-Unis peuvent tout se permettre et imposer toutes les règles qu’ils veulent, bien au-delà du principe de l’extraterritorialité de leur loi, alors que de petits pays sont plus limités.
Par ailleurs, ce genre de tribunal existe depuis longtemps et figure dans de nombreux accords commerciaux. Ces tribunaux peuvent être saisis par une entreprise s’estimant discriminée par les pratiques d’un Etat par rapport à la législation en vigueur dans cet Etat. Si les règles ne sont pas respectées, le tribunal demandera à l’Etat de revenir sur sa décision initiale. Néanmoins, les tribunaux ne peuvent imposer, a priori, aucune législation aux Etats et cela doit être maintenu. La souveraineté nationale est quelque chose qui reste fondamentale dans un monde où la gouvernance mondiale reste un concept ! A titre d’exemple, Philippe Morris avait récemment demandé un arbitrage privé contre la législation australienne sur les paquets de tabac neutres. L’entreprise américaine a finalement perdu son procès, le tribunal donnant raison au gouvernement australien dans sa démarche de lutte contre le tabagisme.
Dans tous ces tribunaux, c’est le cas du CETA, les juges seraient pour un tiers nommés par les Etats, un autre tiers les entreprises, et le dernier tiers de manière indépendante. Qu’est-ce que cela signifie ? Le CETA reste assez flou sur la réponse à cette question et c’est l’objet central du débat : s’ils devraient être nommés par les Etats, seront-ils réellement indépendants ?
Plus globalement, ces tribunaux posent la question du rôle des Etats dans la mondialisation. Comment libéraliser tout en régulant ? Car le libre-échange ne fonctionne jamais aussi bien que lorsqu’il est régulé. Une autre question s’impose autour de la manière dont seront désignés les juges indépendants : doit-on laisser ce choix à l’Etat ou aux entreprises ? Dans les deux cas, il sera difficile d’éviter les conflits d’intérêts.
D’autres accords commerciaux sont-ils actuellement négociés par l’UE ?
Le traité le plus médiatisé est le TTIP dont les négociations se révèlent très compliquées. Plus généralement, la Commission européenne négocie avec nombre de partenaires afin d’asseoir ses échanges avec ceux-ci. La nouvelle stratégie pour le commerce proposée en 2016 affiche la volonté de développer ce type de coopération avec un certain nombre de pays d’Asie et d’Océanie : l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont notamment cités, tout comme des pays de l’Asean, tels que les Philippines ou l’Indonésie. Des partenariats pourraient être proposés aux pays africains et une amélioration des accords en cours pourrait être envisagée dans le cas de la Turquie ou du Mexique. L’enjeu est important, le commerce de l’UE avec le reste du monde génère plus de 30 millions d’emplois en Europe.
Christian Chesnot est grand reporter à France Inter, spécialiste du Moyen-Orient. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage aux Éditions Michel Lafon : Nos très chers émirs : sont-ils vraiment nos amis ? co-écrit avec Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro.
Les cas de corruption que vous évoquez sont-ils une spécialité française ou des États du Golfe ?
Ce n’est pas une spécialité française. En fait, le Qatar, et plus généralement les autres pays du Golfe, comme l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis, s’intéressent de très près à trois pays occidentaux : les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Pourquoi ? Parce que ces trois pays, tous membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, sont les garants de leur sécurité. Washington, Londres et Paris ont tous signé des accords de défense avec les pétromonarchies et sont leurs principaux fournisseurs d’armements. Bref, les pays du Golfe dépendent entièrement d’eux pour leur sécurité. D’où la tentation de nouer des liens très proches avec les hommes et femmes politiques des pays occidentaux. Si certains élus ont été « arrosés » par le Qatar, essentiellement pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007 à 2012), nous révélons dans notre livre que le Qatar a également financé la campagne des travaillistes et conservateurs anglais en 2015. Aux États-Unis, le vice-prince héritier, Mohamed Bin Salmane, s’est vanté d’avoir participé à hauteur de 20% au financement de la campagne d’Hillary Clinton.
Comment distinguer les stratégies classiques de diplomatie d’influence d’une politique active de corruption ?
Les pays du Golfe, en particulier le Qatar et les Émirats arabes unis, ont développé une véritable stratégie de soft power, dont les principaux vecteurs sont l’éducation, la culture et le sport. Ce sont des États jeunes – leur indépendance datent du début des années 70 – donc ayant tendance à investir doublement dans ces domaines universels et apolitiques. Grâce à leurs immenses capacités financières, ils peuvent se permettre d’acheter tout ou presque : les tableaux les plus chers au monde ou des clubs de football prestigieux, comme le PSG ou Manchester City. Sur ce point, ils ne sont pas critiquables. Après tout, dans le village global actuel, leur argent ne provient pas de la drogue ! Pour autant, leur argent achète parfois les hommes, dans une forme de clientélisme. Et quand il y a un problème ou un obstacle, nous confiait un financier qui travaille dans les pays du Golfe, ils ont un réflexe qu’ils résument en une phrase : « Buy them ! » (Achetez-les !). Résultat : il y a eu des dérives dans notre classe politique, qui a parfois eu du mal à résister aux sirènes financières du Golfe. Mais sur ce point, les torts sont partagés : les Occidentaux ont tendance encore à considérer les émirs du Golfe comme des bédouins rustres et mal éduqués à qui il faut soutirer le maximum de pétrodollars, tandis que de leur côté, ils nous perçoivent comme des gens facilement achetables, via la diplomatie du carnet de chèque et de la Rolex.
Quelles seraient les bases d’une relation saine entre la France et les États du Golfe ?
Dans notre esprit, il ne s’agit pas de rompre nos relations avec les pays du Golfe, qui sont anciennes et bénéfiques pour la France. Ceci dit, nos rapports avec ces pays ont besoin d’être assainis et clarifiés pour éviter les malentendus et incompréhensions. Leur agenda diplomatique ou religieux n’est pas forcément le nôtre. Il y a aussi un besoin de transparence en matière de prosélytisme religieux au moment où le président François Hollande estime qu’il existe un problème avec l’islam. Par ailleurs, la région a connu un « big bang » avec la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, le 14 juillet 2015 à Vienne. C’est un fait majeur qui rebat les cartes au Moyen-Orient. Certes la France n’a pas à arbitrer les tensions entre chiites et sunnites, mais un alignement trop systématique sur les positions des monarchies du Golfe peut devenir contreproductif. On le voit dans le dossier du Yémen, aujourd’hui dans l’impasse, mais aussi dans la tragédie syrienne où la France a longtemps fermé les yeux sur le soutien tous azimuts de ces pays en faveur des rebelles, y compris les plus extrémistes comme le Front Al-Nosra, filiale locale d’Al-Qaïda. Les émirs ont une large responsabilité – partagée avec la Turquie d’ailleurs – dans la « jihadisation » de l’insurrection contre le régime de Bachar Al-Assad.
Quelles sont les caractéristiques de la nouvelle constitution ivoirienne ? Pourquoi l’opposition y était-elle farouchement opposée ?
Cette constitution, la troisième, prépare la naissance d’une IIIe République en Côte d’Ivoire. Une de ses caractéristiques majeures est la suppression de l’« ivoirité ». Mis en place en août 2000, lors de la seconde constitution, ce principe établissait comme critère d’éligibilité à la présidence du pays le fait d’être né de père et de mère ivoiriens. Cela avait un impact important auprès des personnes originaires du Burkina Faso, et notamment Alassane Ouattara, l’actuel président (d’origine burkinabaise, il n’avait pu se présenter aux élections de 2010 qu’à la faveur d’un décret).
Deuxième élément important, la création d’une seconde chambre, un Sénat, où deux tiers des représentants sont élus au suffrage indirect. L’autre tiers sera, en revanche, nommé par le président. Cette disposition cristallise les critiques de l’opposition qui dénonce l’autoritarisme d’Alassane Ouattara.
Une autre disposition a fait couler de l’encre est celle de la création d’un poste de vice-président. L’initiative est originale car elle s’inspire du système américain (en cas de décès ou d’incapacité, le vice-président doit succéder au chef de l’Etat) alors que la constitution ivoirienne s’inscrit plus dans une tradition présidentielle à la française. L’opposition accuse Alassane Ouatarra de vouloir nommer un vice-président pour en faire son dauphin.
Il existe d’autres nouveautés, moins importantes, à cette constitution : l’abolition de la limite d’âge à 75 ans pour se présenter à une élection présidentielle et l’abaissement de l’âge plancher à 35 ans. En outre, la nouvelle constitution formalise également la création d’une chambre nationale des rois et des chefs traditionnels.
Lors du scrutin, l’abstention a été forte (58%) et l’opposition a rejeté l’ensemble des textes. Elle est, aujourd’hui, en situation de faible représentativité et de très forte contestation du pouvoir. Elle considère que la création d’une nouvelle constitution vise à renforcer la main mise d’Alassane Ouattara sur la Côte d’Ivoire.
Quel bilan, en termes politique et économique, dressez-vous d’Alassane Ouattara depuis son arrivée à la présidence du pays en 2011 ?
Le bilan d’Alassane Ouattara, sur le plan économique, est plutôt une réussite. Il est, en effet, parvenu à sortir un pays en pleine crise économique, sociale et politique. Il a notamment fait jouer ses relations, dans les milieux financiers et en tant qu’ancien directeur adjoint du FMI, afin d’attirer des investisseurs et des capitaux étrangers. Ainsi, son arrivée au pouvoir a indéniablement favorisé la reprise de la croissance et de l’investissement.
Ce retour à la croissance n’a cependant profité qu’à une partie des Ivoiriens dans un pays aux inégalités conséquentes. De ce point de vue, Alassane Ouattara peine à répondre aux défis d’une croissance inclusive.
Sur le plan politique, le pays est, certes, stabilisé après dix ans de guerre, mais le désarmement est encore loin d’être acté. Si le « Désarmement Démobilisation Réinsertion » (DDR) des militaires engagés dans les conflits s’est réalisé dans de bonnes conditions, il n’a pas été suivi d’une réconciliation nationale.
Du point de vue de l’opposition et des partisans de Laurent Gbagbo, il existe, en Côte d’Ivoire, une justice à deux vitesses. L’échec d’Alassane Ouattara sur cet aspect est criant. Il a beau avoir mis en place une Commission dialogue, vérité et conciliation, comme ce fut le cas en Afrique du Sud, celle-ci n’a pas donné les résultats escomptés. Les tensions subsistent et la Côte d’Ivoire gagnerait à ce que l’opposition soit plus représentée.
Quels sont les principaux atouts économiques de la Côte d’Ivoire ? Quel rôle joue le pays sur la scène régionale ?
Le secteur agricole est un secteur dynamique et constitue un atout essentiel de la Côte d’Ivoire, premier producteur de cacao au monde. Mais cette économie de rente à ses limites. La Côte d’Ivoire manque notamment de terres pour accroître ses productions agricoles.
Le pays jouit d’une relative diversification de son économie mais il doit faire face à plusieurs défis : la transformation des produits primaires avec la mise en place d’une dynamique d’industrialisation et l’accès aux nouvelles technologies numériques, notamment dans le domaine de l’information et de la communication. L’un des principaux défis sera la création d’un réseau de micro-entreprises et de PME qui seraient en relation de sous-traitance ou de complémentarité avec des groupes plus importants, nationaux ou multinationaux. Cela favoriserait l’émergence d’un tissu économique en mesure d’offrir des perspectives aux jeunes car la Côte d’Ivoire ne fait pas figure d’exception dans une région où le taux de chômage chez les jeunes reste élevé. L’émergence de ce tissu économique pourrait se constituer autour d’une croissance verte en passant, par exemple, de la biomasse et des centrales thermiques, génératrices de gaz à effet de serre, à l’énergie solaire, éolienne ou hydraulique. La transition constitue, à mon sens, un enjeu stratégique pour la région et pour la planète.
Sur la scène régionale, le Côte d’Ivoire est un moteur de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) à l’instar du Ghana et du Nigeria. La Côte d’Ivoire et les autres membres de l’UEMOA sont économiquement liés par une union douanière mais ils sont également liés par les flux d’investissement et les flux migratoires. Elle doit, en ce sens, faire valoir son rôle de leader régional. Concrètement, elle doit devenir, avec le Ghana, un pôle d’attractivité pour les investissements et pour les migrants qui, aujourd’hui, se dirigent vers le nord ou vers le sud. La Côte d’Ivoire doit également aider les pays enclavés et les perdants d’une union douanière qui ne peut prospérer qu’avec le transfert de ressources des gagnants vers les perdants. Son rôle au sein de l’UEMOA est donc central.
Pour résumer, les défis que doit relever la Côte d’Ivoire sont les suivants : sécurité, stabilité, reprise de la croissance et des investissements, ainsi que l’accueil des migrants.
The fact that Theresa May is depicted in several European capitals as a die-hard Eurosceptic testifies to the confusion created by the new balance of power within the EU and the eurozone. While most national bureaucracies have tended to reduce politics to the “European project” over past decades, they have actually been marginalised in the context of Germany’s new leadership. As a result of this paradox, most European governments feel that the EU’s woes fuel their own discredit at home and seem more prone to anxiety in the face of Brexit than their German counterparts.
France is a good example of this trend, as the country is simultaneously confronted with a failing economy and the decline of its political influence, despite the French elite’s traditional ambition to preside over European politics. Even if the British government were willing to scrap its red line on European immigration, for instance in order to facilitate parliamentary approval for the whole deal, some member states might still not warm up to the idea of a mutually beneficial association. Although a shift on immigration would certainly help to move the balance on the continent in favour of a soft Brexit, some government circles hold the view that a painless divorce would not only compromise the bloc’s integrity but also undermine their own political legitimacy.
It came as a surprise to most people bearing in mind the acrimonious debates over Greek bailouts that the German government took a more benign stance towards Britain after the referendum than did most other European governments. Even Wolfgang Schäuble, well known across Europe for his political toughness and inflammatory rhetoric, has shown a great deal of restrain since the 23rd of June. In contrast, the harshest threats have been expressed, in defiance of economic logic, in what has become Germany’s political periphery.
Having in mind Germany’s €51 billion trade surplus with the UK (Germany’s third export destination with €90 billion worth of exports in 2015) , Angela Merkel struck a rather conciliatory tone towards Britain in the aftermath of the referendum. After flying to Berlin alongside Matteo Renzi in order to harmonise the founding countries’ response, François Hollande followed suit and shifted to a more amenable position than during the referendum campaign. The de-escalation proved short-lived towards the end of the summer however. It became clear by then that Brexit was perceived as an existential threat less by Germany or even EU institutions than by national bureaucracies elsewhere.
For three decades, government circles in countries like France and Italy have invoked the European project (and monetary convergence in particular) in order to shirk their traditional responsibilities and simultaneously increase their informal hold over the corporate sector. The fact that they undermined capitalism in their country while pretending to promote free markets adds to the crisis of meaning that afflicts them. Despite François Hollande’s collapsing approval rating (below 5 percent) and what increasingly looks like a state crisis, there is no sign that any of his possible successors would be willing to embark on a more pragmatic path, notably when it comes to their response to Brexit.
While there would be no point in denying that the UK’s departure is an utmost complex and problematic issue, widespread denial on the other hand can only make the matter worse. The continental debate about the terms of Brexit has got off to a poor start since it implicitly rests on the narrative that Britain seeks to cast off from an ocean of progress and prosperity. Denial about the state of the EU is a recurring political reflex, yet this time seems to be different as, especially in Paris, right-minded federalist speech has decayed into calls for a scorched earth policy. The rhetorical shift from purported benevolence to reprisal is yet another indication of the bureaucracy’s anguish of dealing with the current political and economic impasse, which stretches far beyond the issue of Brexit.
This trepidation is understandable. In the current European framework little can be done to assuage fears that Brexit prefigures a more general reconfiguration. Since the referendum, several European leaders have called for a federalist leap forward so as to make it clear to the world that the European project is still moving. They however have great difficulty finding policy areas where such calls could be taken seriously. The eurozone is certainly not one of them. The German public remains fundamentally opposed to the type of mutualisation (of public debt or banking risk) and institutional constructs that believers in the theory of “optimal currency areas” think would be sufficient to make the eurozone viable. More importantly macro-economic coordination among governments is still nearly nonexistent, in the eurozone or in the EU more broadly, eight years into the crisis.
Although the UK has economic excesses of its own, these have at the very least been aggravated by the eurozone’s chaos, which has fuelled the long episode of sterling overvaluation, sky-high current account deficits and the property bubble. Bureaucratic retaliation against the UK under the shape of tariffs or a disruptive offensive against London’s status as Europe’s main financial centre would result in an additional layer of economic instability, discredit for national establishments and an even weaker EU in general.
The Leave vote has resulted from an array of causes. It would certainly be an exaggeration to reduce those to xenophobia. It would be naïve on the other hand to cheer Brexit as the victory of “common decency” (as some distant disciples of Orwell put it) against the forces of European evil. Yet Brexit undoubtedly lays bare Europe’s fault lines in an unprecedented fashion. Accountability should induce all European governments to work out a solution that both respects the British people’s vote and our common interests. Preserving intra-European trade should not be seen as a mere technical requirement. It is a funding principle of European cooperation beyond ideological lines.
It is therefore quite paradoxical that some of the political circles that have been advocating a federal model of integration for decades end up betting on a major disruption in order to discourage other electorates from following the “precedent” set by Britain. This line of thought does not seem to be concerned with the European project, let alone prosperity, any longer. Quite the contrary, it centres on the preservation of an unsustainable status quo and entrenched interests. The European system will have to devise a new path in order to let its participating countries cooperate in a freer and more pragmatic way and, subsequently, move towards the ideal of a united Europe.
Le fait que Theresa May soit décrite dans plusieurs capitales européennes comme la représentante d’un euroscepticisme extrême témoigne de la confusion résultant du nouvel équilibre des forces au sein de l’UE et de la zone euro. Alors que la plupart des bureaucraties nationales ont eu tendance, au cours des dernières décennies, à réduire leur positionnement sur tous types de sujets à la notion de « projet européen », elles se sont en réalité retrouvées marginalisées dans le cadre du leadership allemand. Dans ce contexte, la plupart des gouvernements européens estiment que la crise de l’UE alimente leur propre discrédit sur leur scène nationale respective et semblent davantage pris d’anxiété face au Brexit que leurs homologues allemands.
La France est un bon exemple de cette tendance, le pays étant confronté simultanément à la défaillance de son système économique et au déclin de son influence politique, malgré l’ambition traditionnelle de l’élite française à occuper le devant de la scène politique européenne. Même si le gouvernement britannique était prêt à abandonner sa ligne rouge sur l’immigration européenne, par exemple, pour faciliter l’accord du Parlement sur l’accord dans son ensemble, l’establishment des Etats membres les plus remontés ne se rallierait pas nécessairement à l’idée d’une association mutuellement bénéfique. Un apaisement sur la question de l’immigration encouragerait certainement un déplacement de l’équilibre en Europe en faveur d’un « soft Brexit ». Toutefois, aux yeux de certains cercles gouvernementaux européens, un Brexit indolore compromettrait non seulement l’intégrité de l’Union dans son ensemble, mais porterait surtout atteinte à leur propre légitimité politique.
Ce fut une surprise pour quiconque ayant à l’esprit les débats acrimonieux au sujet du renflouement grec que le gouvernement allemand prît, cette fois, une position plus favorable envers la Grande-Bretagne à la suite du référendum que celle de la plupart des autres gouvernements européens. Même Wolfgang Schäuble, connu de par le monde pour sa dureté politique et sa rhétorique incendiaire, s’est efforcé d’afficher une certaine retenue depuis le 23 juin. A l’opposé, les menaces les plus sévères ont été exprimées, au mépris de la logique économique, dans ce qui fait désormais office de périphérie politique de l’Allemagne.
Ayant à l’esprit l’excédent commercial de l’Allemagne vis-à-vis du Royaume-Uni, qui s’est élevé à 51 milliards d’euros en 2015 (pour 90 milliards d’euros d’exportations) , Angela Merkel a été jusqu’à adopter un ton plutôt conciliant au lendemain du référendum. Après s’être envolé pour Berlin aux côtés de Matteo Renzi afin d’harmoniser la réponse des pays fondateurs de l’UE, François Hollande a emboîté le pas de la Chancelière et opté pour une position plus favorable que celle qu’il avait affichée au cours de la campagne référendaire. La désescalade s’est cependant révélée de courte durée vers la fin de l’été. Il est alors devenu clair que le Brexit est perçu comme une menace existentielle moins par l’Allemagne (ou même, dans une certaine mesure, au sein des institutions européennes) que par les autres bureaucraties nationales.
Depuis plus de trois décennies, les cercles étatiques de pays comme la France et l’Italie invoquent le projet européen (et la convergence monétaire en particulier) afin de se dérober à leurs responsabilités traditionnelles et à accroître simultanément leur mainmise informelle sur le secteur privé. Le fait qu’ils aient sapé les fondements du capitalisme dans leur pays tout en prétendant promouvoir les mécanismes de marché ajoute à la crise de sens qui les afflige. Bien que la cote de popularité de François Hollande s’effondre en deçà de 5% et que la situation politique et sociale du pays semble virer à la crise de régime, aucun de ses successeurs potentiels ne semblent prêts à s’engager sur une voie plus pragmatique, notamment en ce qui concerne leur réaction au Brexit.
Le départ du Royaume-Uni est un problème indubitablement complexe. Les réactions de déni ne peuvent en revanche qu’aggraver la situation. Le débat continental sur les termes du Brexit a pris un mauvais départ puisqu’il repose implicitement sur l’idée que le Royaume-Uni cherche à quitter un océan de progrès et de prospérité. Le déni quant à l’état de l’Union européenne est un réflexe politique récurrent, mais le problème semble s’aggraver, surtout à Paris, où les discours fédéralistes ont désormais tendance à dégénérer en appels à une politique de la terre brûlée. Le glissement rhétorique d’une bienveillance affichée vers le répertoire des représailles révèle l’angoisse de la bureaucratie face à l’impasse politique et économique actuelle, qui s’étend bien au-delà de la question du Brexit.
Cette inquiétude est compréhensible. Dans le cadre européen actuel peu d’options s’offrent aux dirigeants pour apaiser les craintes que le Brexit ne préfigure une reconfiguration plus générale. Depuis le référendum, plusieurs d’entre eux ont appelé à un bond en avant fédéraliste afin de signifier au monde la survie du projet européen. Ils éprouvent cependant la plus grande difficulté à trouver des domaines où ces appels puissent être pris au sérieux. La zone euro n’en fait certainement pas partie. L’opinion allemande reste fondamentalement opposée aux mécanismes de mutualisation (des dettes publiques ou du risque bancaire) et aux constructions institutionnelles que les adeptes de la théorie des « zones monétaires optimales » estimeraient à même de pérenniser la zone euro. De façon plus importante, la coordination macro-économique entre gouvernements est, huit ans après l’éclatement de la crise, tout simplement inexistante au-delà d’une vision strictement fiscale de la réalité, au sein de la zone euro et dans l’Union européenne plus largement.
Bien que le Royaume-Uni pâtisse de ses propres excès économiques, ceux-ci ont pour le moins été aggravés par le chaos de la zone euro, qui a alimenté le long épisode de surévaluation de la livre sterling, un déficit courant spectaculaire et la bulle immobilière. Des représailles bureaucratiques contre le Royaume-Uni sous forme de droits de douane ou d’une offensive généralisée contre le statut de Londres comme principal centre financier européen produiraient une strate supplémentaire d’instabilité économique, discréditeraient davantage les bureaucraties nationales et affaibliraient l’UE à un niveau critique.
Le vote britannique résulte d’un entremêlât de causes diverses. Il serait certes exagéré de le réduire à une manifestation de xénophobie généralisée mais il serait naïf en revanche de le célébrer comme le triomphe de la raison populaire. Dans tous les cas, le Brexit met à nu, de façon inédite, les lignes de fractures qui traversent et paralysent l’Union européenne. L’éthique de responsabilité devrait inciter tous les gouvernements européens à élaborer une solution qui respecte à la fois le choix du peuple britannique et nos intérêts communs. La préservation du commerce intra-européen (en créant un cadre de taux de change raisonnable) ne devrait pas être considérée comme une simple exigence technique mais comme un principe fondamental de la coopération européenne, au-delà des clivages idéologiques.
Il est donc paradoxal que certains des cercles politiques qui préconisent un modèle d’intégration fédéral depuis des décennies finissent par parier sur un choc majeur afin de décourager les électorats européens de suivre le « précédent » britannique, au risque de nourrir en fait davantage l’extrémisme politique. Cette stratégie ne relève plus du projet européen, sans même parler de prospérité, mais au contraire du maintien d’un statu quo intenable et d’intérêts établis. Le système européen devra inventer une voie bien différente afin de permettre aux pays qui le composent de coopérer de manière plus libre et pragmatique et, sur cette base, d’évoluer vers l’idéal d’une Europe unie.
Le 11 novembre 2016 aura lieu au stade de France un match qualificatif pour la Coupe du monde 2018 : France/Suède. Il se tiendra presque an jour pour jour après les attentats qui ont meurtri la France, dont l’un eut précisément lieu en ce stade. Le président de la République va-t-il assister à la rencontre ?
François Hollande est un passionné et un fin connaisseur du ballon rond. Il était déjà un fidèle soutien des bleus avant d’être élu président de la République. Mais les révélations du livre « Un président ne devrait pas dire ça… »[1] sont venus troubler profondément ses relations avec le monde du football. Le président y tient des propos peu amènes sur les footballeurs, requalifiés d’enfants gâtés ayant besoin de muscler leurs cerveaux. Si les propos remontent à 2012, il n’en est pas moins troublant de voir le président rejoindre la cohorte de ceux qui ont des préjugés négatifs sur les footballeurs. Comme si les dérapages de quelques-uns concernaient la totalité. Les leaders politiques dans leur ensemble auraient-ils un comportement plus vertueux que les sportifs ? N’y-a-t-il pas non plus des dérapages chez les artistes ? Mais, une fois encore, les amalgames sont plus faciles sur les sportifs en général, et les footballeurs en particulier, qui, par leur visibilité, constituent des cibles faciles et n’ont dans la réalité aucun pouvoir de rétorsion. Et François Hollande a ainsi abondé dans le sens d’un mépris traditionnel des élites françaises à l’égard des sportifs.
L’écart entre son comportement durant le quinquennat et ses propos est pour le moins paradoxal : on peut lui reprocher son manque de sincérité alors qu’il prétend jouer la transparence. Si les footeux sont peu estimables, pourquoi dès lors avoir été aussi assidu auprès des bleus ? François Hollande a assisté à chaque match de l’Euro 2016, est allé rendre visite aux joueurs à Clairefontaine-en-Yvelines au début et reçu les joueurs à l’Élysée à la fin de la compétition. Son jugement n’est-il pas sévère pour Laurent Koscielny qui a investi 600 000 € – sans le claironner – pour sauver une usine de son département ? Pourquoi avoir insisté pour que Blaise Matuidi l’accompagne lors d’un déplacement en Angola ? Il est notable que le président se soit excusé auprès des magistrats pour des propos négatifs qu’il a tenus à leur égard mais qu’il n’est pas jugé nécessaire de le faire pour les footballeurs. Un « deux poids, deux mesures » dû, peut-être, à une supposée capacité de réaction des uns que n’auraient pas les autres. Y-aurait-il une profession à ménager plus qu’une autre ?
Mais il y a dans le livre une autre révélation également gênante. Le président a appelé l’émir du Qatar pour que la chaîne qatarie BeIN sports ne vienne pas gêner Canal + lors de l’attribution des droits opérés par la Ligue de football professionnel. Une sorte de Yalta aurait été établie entre les deux chaînes. Canal + se plaignait de la concurrence de BeIN sports et soulignait son rôle dans le financement du cinéma français, qui aurait été compromis si BeIN Sports marchait trop sur ses plates-bandes. En effet, lors de la vente des droits pour la période 2016-2020, malgré une concurrence apparemment féroce entre les deux diffuseurs, BeIN sports n’a pas voulu renchérir sur les offres de Canal +. Si le football français a obtenu 726 millions d’euros, une concurrence réelle aurait pu ajouter 100 à 150 millions de plus, renforçant ainsi la compétitivité européenne des clubs français, déjà pénalisés par une fiscalité et des charges sociales importantes. Les Allemands, Italiens et Espagnols risquent de dépasser les Français en termes de droits télévisuels, qui le sont déjà depuis longtemps par les Anglais. Ce qui s’est passé, c’est donc tout simplement une entente qui peut être considérée comme une entrave à la concurrence. Le Qatar n’a pas voulu donner l’impression de vouloir tout rafler et s’est rendu aux arguments de François Hollande.
Mais, là encore, on voit que le lobbying en faveur de la culture est toujours plus facile que celui en faveur du sport. Cette révélation a contribué à la critique de François Hollande, mais n’a pas déclenché de tollé sur le mauvais traitement du football. Imaginons qu’on ait soustrait 150 millions d’euros au financement du cinéma ; cela aurait été une bronca nationale. Le lobby culturel est sans aucune mesure bien plus puissant que celui du sport. Les autorités sportives n’ont pas violemment protesté contre ce manque à gagner plus que conséquent, tout simplement parce que, malgré sa puissance, le monde du sport est légitimiste. Fort de millions de pratiquants et de bénévoles, il ose à peine faire entendre sa voix. Le milieu culturel, lui, n’hésite pas à monter au créneau et à protester vigoureusement pour faire entendre ses revendications. Il y a pourtant également dans ce milieu des excès, des salaires mirobolants et du gaspillage. Et beaucoup de « navets » financés grâce à des aides publiques. Le budget de la culture est sanctuarisé contrairement à celui du sport. Le monde culturel trouverait insultant d’être financé par un jeu de hasard. Le mouvement sportif craint toujours de perdre la part du prélèvement sur les paris de la Française des jeux qui le finance. Peut-être, autant que des propos péjoratifs sur les footballeurs, ce choix de fausser la concurrence et de priver le sport de financements qu’il aurait dû normalement avoir, montre qu’inconsciemment, dans l’esprit des élites françaises – même « normales » – les préjugés ont la vie dure. On aime se faire prendre en photo avec les sportifs quand ceux-ci sont performants, mais il est moins naturel d’aider le sport. Ce dernier n’est finalement pas une priorité.
[1] DAVET (Gérard), LHOMME (Fabrice), Un président ne devrait pas dire ça…, Stock, 2016, 672 pp.