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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 2 days ago

Afrique : L’agriculture face au changement climatique

Thu, 17/11/2016 - 10:17

Mariam Sow Soumaré est chargée de Programme Principal au Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Elle répond à nos questions à l’occasion de sa participation au colloque international “Climat, agriculture et sécurité alimentaire” organisé le 3 novembre 2016 par l’IRIS et l’AGPB :
– Quelles sont les conséquences du réchauffement sur les pays d’Afrique subsaharienne ?
– En quoi consiste le programme 2003-2013 pour remettre l’agriculture africaine comme motrice de croissance ? S’est-il soldé par un succès ?
– Quels changements apporte le nouveau programme continental ? Comment guider les pays africains vers une révolution verte ?

Les errances diplomatiques de Donald Trump

Wed, 16/11/2016 - 14:37

La campagne électorale du candidat républicain Donald Trump laissait présager le pire pour l‘évolution diplomatique de la première puissance mondiale. Au-delà des annonces chocs et promesses controversées, que peut-on réellement attendre de son élection ?

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis a déclenché un séisme planétaire, du fait de l’importance des États-Unis dans le monde et de sa personnalité controversée. Durant la campagne, Hillary Clinton avait insisté sur la question suivante : pouvait-on réellement lui confier le bouton nucléaire ? Si ce sujet interpelle, l’idée que Trump déclenche impulsivement une guerre nucléaire semble dépourvue de sérieux.

Mais d’autres sujets d’inquiétude sont réels. Tout d’abord, son hostilité déclarée à l’islam. Affirmer explicitement son animosité envers les musulmans pose nécessairement un problème. Même Georges W. Bush n’osait aller aussi loin. Se dirige-t-on vers un choc des civilisations ? Les nombreuses déclarations racistes de Trump risquent par ailleurs de laisser des traces au Proche-Orient. Le gouvernement israélien le considère comme un ami sûr, mais il en allait de même pour Hillary Clinton.

Trump a remis en cause l’accord de Paris de lutte contre le réchauffement climatique, signé en décembre 2015. Le possible retour sur un succès collectif obtenu dans la difficulté après plusieurs années de négociations et au prix de nombreuses concessions, inquiète fortement.

Trump reviendra-t-il sur l’accord sur le nucléaire iranien, signé en juillet 2015 à Vienne ? Là aussi, la situation n’est pas simple dans la mesure où il ne s’agit pas d’un accord bilatéral entre les États-Unis et l’Iran, mais d’un accord multilatéral signé également par ses alliés européens et la Russie, pays avec lequel Trump souhaite avoir de bonnes relations. Les pays du Golfe regarderont avec circonspection l’évolution de la situation aux États-Unis.

L’orientation nouvelle résidera sans doute dans les relations entre les États-Unis et la Russie. Tandis qu’une éventuelle élection d’Hillary Clinton laissait présager une politique plus ferme que celle de Barack Obama, Donald Trump a manifesté à de nombreuses reprises son respect et admiration à l’égard de Vladimir Poutine. Barack Obama a, quant à lui, échoué à appuyer sur le bouton reset dans les relations entre Washington et Moscou.

Il sera intéressant d’observer les réactions du vieux continent. Les véritables Européens estiment que l’élection de Donald Trump constitue un défi pour organiser cette « Europe puissance » dont le projet n’a jamais pu aboutir, par manque de volonté « à cause » du confort de la protection américaine. D’autres se montreront nostalgiques d’un ordre ancien, un temps où les États-Unis s’engageaient et commandaient les pays européens. L’Europe fera donc face à un défi nouveau dont l’issue peut s’avérer positive si les Européens le relèvent.

Donald Trump construira-t-il le mur à la frontière mexicaine ? Les relations entre les États latino-américains et les États-Unis s’étaient améliorées, avec la disparition de la doctrine Monroe, des rapports plus égalitaires et une forte diminution de l’anti-américanisme dans les pays latino-américains. L’élection de Donald Trump risque de soulever un vent d’hostilité dans la région à l’égard des États-Unis.

En ce qui concerne l’Asie, Donald Trump a menacé de demander au Japon et à la Corée du Sud de payer pour l’organisation de leur propre défense. Il veut également construire un mur économique face aux exportations chinoises. Il est vrai que ces dernières sont quatre fois plus importantes que les exportations américaines vers la Chine : elles représentent 4% du PIB chinois alors que les exportations américaines en Chine ne représentent que 0,6 à 0,7% du PIB américain. Ce mur aura cependant un impact sur les Américains en termes d’inflation. De plus, les Chinois possèdent des bons du trésor américain qu’ils peuvent retirer. Par conséquent, il ne sera pas évident pour Donald Trump d’appliquer son programme.

Sur le plan économique, Donald Trump semble se baser sur des personnalités qui ont conduit à la crise de 2008 et font partie du système qu’il ne cesse de dénoncer. Le risque de déception des électeurs américains envers Trump est donc réel et la vague populiste ne sera probablement pas aussi forte que prévue. On risque de s’apercevoir rapidement que l’ensemble des promesses faites par Donald Trump sont difficiles à mettre en œuvre.

L’option la plus probable est que, d’ici quatre ans, la politique de Trump, en crispant les relations des États-Unis avec un certain nombre d’États, associée à l’évolution naturelle de l’émergence et du rééquilibrage des relations internationales, rendent les États-Unis moins puissants qu’aujourd’hui. À partir du 20 janvier 2017, ceux qui ont été déçus par Obama risquent de le regretter amèrement.

L’élection de Trump : une impulsion décisive pour l’Europe de la défense ?

Wed, 16/11/2016 - 12:32

Le conseil de l’Union européenne s’est accordé lundi sur un plan global de mise en œuvre de la stratégie dans le domaine de la défense et de la sécurité. L’Europe de la défense est-elle en train de se relancer ? Va-t-on vers une défense européenne autonome ? Ce plan va-t-il permettre à l’Europe « de franchir un pas de plus vers l’autonomie stratégique » comme l’a déclaré le ministre de la Défense français, Jean-Yves le Drian ?

Le texte adopté lundi 14 novembre par le conseil Affaires étrangères de l’Union européenne concerne l’application de la stratégie globale de l’UE dans le domaine de la défense et de la sécurité, publiée en juin 2016. Il s’agit, en quelque sorte, d’une feuille de route indiquant la marche à suivre sur les questions de défense. Des mesures sont prises dès aujourd’hui, d’autres restent à déterminer dans les mois qui viennent.
Nous attendions ce texte mais nous étions initialement pessimistes quant à son contenu. Il a été élaboré en coordination entre l’Union européenne et les Etats membres. Federica Mogherini, Haute représente de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne, a eu, en effet, à charge de préparer un texte prenant en compte les propositions faites par les Etats. A l’image de la lettre des ministres de la Défense français et allemands qui avait été rendue publique en septembre 2016. C’est donc un exercice qui implique à la fois l’institution européenne et les Etats membres
Le texte final s’avère finalement plus ambitieux que ne le laissaient envisager les discussions préparatoires. Le document final comprend 31 pages, ce qui est beaucoup. Il se présente sous la forme de conclusions communes auxquelles est annexé un document de 31 pages qui identifie 13 actions à mettre en œuvre dans les mois à venir. Sont envisagées, par exemple, la création d’un fond d’investissement pour les programmes en coopération de l’Union européenne, une intégration plus forte des capacités pour mener à bien des opérations militaires au sein de l’UE, ainsi qu’une perspective de réflexion sur la coopération structurée permanente à la fois inclusive et modulaire. Cette coopération structurée permanente figure dans le Traité de Lisbonne mais n’a jamais été définie. De manière générale, l’objectif est d’avoir une défense européenne plus forte afin de mieux assurer la sécurité des citoyens européens, grâce à des capacités militaires accrues qui seront définies en coopération.
Le terme « autonomie stratégique » revient également plusieurs fois. Son emploi ne signifie pas que l’Europe sera indépendante pour sa défense, mais qu’elle veut se donner les capacités de conduire des opérations de manière autonome et de se doter de capacités militaires, industrielles ainsi que technologiques autonomes. L’objectif est simplement que les Européens fassent plus et mieux pour leur défense ce qui conduira nécessairement à une plus grande autonomie stratégique de l’Europe.

Les déclarations de Donald Trump font redouter à certains un désengagement des Américains de la protection militaire de l’Europe. N’est-ce pas finalement une opportunité pour l’UE de resserrer les rangs et de s’entendre vers plus d’intégration ?

C’est effectivement possible. L’élection de Donald Trump met les Européens dans une situation de grande incertitude, car de sa politique étrangère et de défense, nous ne connaissons que des déclarations prononcées durant la campagne qu’il faut parfois qualifier « d’exotiques ».
Compte tenu des propos de Donald Trump et de la composition de son entourage qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, il est encore difficile de savoir si les Etats-Unis ont tranché entre deux lignes de conduite : un retour à l’isolationnisme, revendiqué par Donald Trump, ou une politique plus interventionniste, plus néoconservatrice, sous l’influence de certains conseillers puisqu’on évoque le nom de John Bolton qui faisait partie des conseillers lors du premier mandat de George W. Bush de 2001 à 2005.
Dans les deux cas de figure et dans la lignée du slogan « America first », le budget militaire des Etats-Unis devrait augmenter. Pour autant, cela ne signifie pas que les Etats-Unis adopteront une ligne interventionniste et qu’ils continueront à garantir le même niveau de protection aux Européens.
Face à ces deux options, le texte adopté par l’Union européenne apporte des réponses pertinentes. Le Vieux Continent envoie un message outre-Atlantique : plus d’efforts seront mis en œuvre par les Européens dans l’organisation de leur propre défense répondant ainsi par avance à une Amérique qui deviendrait plus isolationniste. Le New York Times ne s’y est pas trompé en titrant « Europe rethinks defense in Trump era. ». Les conclusions de la réunion du conseil des affaires étrangères du 14 novembre renvoient toutefois à des actions concrètes dont on ne verra véritablement la portée qu’en juin 2017, date à laquelle la clause de rendez-vous est fixée. Les actions concrètes restent à définir précisément et à appliquer. Or l’Union européenne nous a habitué, ces dernières années, à beaucoup de déclarations d’intention en matière de défense et de sécurité pour peu de réalisations concrètes. Il faudra rester vigilant.

Concrètement, quel serait l’impact d’un retrait de l’OTAN de la part des Etats-Unis ? L’Europe a-t-elle les moyens de se défendre ?

Je ne vois pas les Etats-Unis se retirer de l’OTAN, malgré les déclarations de Donald Trump en ce sens. En effet, l’organisation transatlantique constitue, pour la première puissance mondiale, un moyen de contrôle de la politique étrangère et de défense des Européens sans pour autant déployer des moyens réellement importants. L’OTAN est un instrument d’influence irremplaçable des Etats-Unis sur les Européens, y compris pour y exporter les équipements militaires fabriqués par l’industrie d’armement américaine. Cela étant, tout en restant dans l’OTAN, Donald Trump offrira-t-il les mêmes garanties de protection vis-à-vis de la Russie comme les pays d’Europe centrale et d’Europe du Nord le demandent aujourd’hui ? La question mérite d’être posée, notamment en ce qui concerne les Etats baltes et la Pologne.
Si la garantie de sécurité donnée aux Européens par l’Amérique de Donald Trump est limitée, elle ne disparaîtra jamais totalement, ils essaieront de trouver un accord avec la Russie pour régler le conflit ukrainien et apaiser les tensions en Europe. La résolution du conflit ne figure-t-elle pas dans les intérêts européens ? Le seul écueil d’une telle perspective est que l’Union européenne disparaîtrait une nouvelle fois de l’échiquier diplomatique, l’accord se faisant directement entre les Etats-Unis et la Russie.

« La grande histoire du monde » – 3 questions à François Reynaert

Tue, 15/11/2016 - 18:30

Cet ouvrage, publié aux éditions Fayard, se mérite. C’est un pavé. Mais un long trajet d’avion, un week-end pluvieux ou une semaine de vacances ensoleillée permet agréablement d’en venir à bout. Car, cette histoire du monde que propose François Reynaert, journaliste et écrivain, est un tour d’horizon global qui parle aussi des autres civilisations, ayant connu leur période de gloire et de désastre. Bref, qui évite un occidentalo-centrisme encore trop fréquent à l’heure de la mondialisation et de la perte du monopole de la puissance des Occidentaux.

« La terre est ronde, cela permet à tous les peuples qui l’habitent de se croire au centre du monde ». La phrase qui ouvre votre ouvrage en définit le projet…

On sait cela depuis Lévi-Strauss. Même les plus petits clans de la forêt amazonienne se pensent forcément comme « les hommes », « l’humanité », tandis que les étrangers – forcément barbares – n’en représentent que les marges. Ce sentiment a été d’autant plus fort dans les sociétés qui se sont constituées en empires : de Cyrus le grand, qui fonde l’empire Perse au VIe siècle avant notre ère, au mongol Gengis Khan (début XIIIe), aux empereurs de Chine ou aux sultans ottomans, les grands souverains se sont tous pensés comme des monarques universels, ayant vocation à régner sur la terre entière. Le fait est qu’à partir du XVIe siècle, grâce à son expansion extraordinaire et à sa domination progressive de la planète, l’Europe a pu croire que ce phantasme était une réalité. Songez qu’il y aujourd’hui moins de dix pays au monde qui n’ont jamais été colonisés par les Européens, et encore, le plus souvent – Thaïlande (ex Siam), Perse, voire Chine – ils n’ont échappé à la domination d’un seul que parce qu’ils étaient convoités par plusieurs, qui se neutralisaient.

Au XIXe siècle, l’Europe a imposé à la planète entière ses normes, sa façon de penser, son modèle de développement économique, ses découvertes technologiques (l’électricité, le chemin de fer, etc.), jusqu’à ses fuseaux horaires et son calendrier ! Évidemment, elle pouvait se croire au centre du monde. Entre 1945 et 1991, les États Unis et l’URSS l’ont remplacée, mais les valeurs défendues par ces deux modèles –capitalisme libéral d’un côté, marxisme soviétique de l’autre – étaient issues de la pensée européenne. Après la chute de l’URSS, certains, comme l’Américain Fukuyama, ont cru à une « fin de l’Histoire » qui verrait le triomphe absolu de la démocratie libérale anglo-saxonne. Cette illusion a vécu. Une grande partie des bouleversements géopolitiques d’aujourd’hui s’explique par la volonté de nombreux grands pays de retrouver leur puissance d’hier et la place centrale qu’ils estiment être la leur. La Chine en est l’exemple le plus évident ; cela se retrouve jusque dans sa dénomination officielle : en mandarin, « zhongguo » signifie le « pays du centre », « l’empire du milieu » autour de qui tournent des royaumes vassaux et barbares ; autrement dit nous.

Les puissances ou civilisations qui n’ont pas voulu – ou pu – comprendre les autres ont été condamnées au déclin et à la rupture. Est-ce une leçon que l’on peut retirer de votre livre ?

En effet. De nombreux peuples ont été dominés parce que, aveuglés par leur orgueil ethnocentrique, ils n’ont pas vu venir les nouveaux périls qui les ont emportés. Le monde arabo-musulman, par exemple, a fini par être soumis, au XIXe siècle, par les puissances européennes car il avait refusé de s’intéresser aux progrès vertigineux qui avaient eu lieu en Europe depuis trois siècles. Quand la première presse d’imprimerie est arrivée à Istanbul, à la fin du XVe siècle, le sultan a demandé ce qu’il fallait en penser à un comité d’oulémas. Ils ont condamné l’objet, car il ne fallait pas écraser le Coran. Au final, les premières presses qu’on a revues dans l’Empire ottoman sont celles qui ont été débarquées par Bonaparte, lors de l’expédition d’Égypte, à la fin du XVIIIe siècle ! Et pourtant, à l’époque abbasside (750-1258), au temps des Avicenne, des al-Khwarizmi – le père de l’algèbre, d’où dérive le nom « algorithme » – le monde musulman avait produit les plus grands savants du monde. Comme je le décris longuement dans mon livre, la Chine et l’Inde ont vécu la même chose. Ces civilisations, confites dans leur grandeur passée, n’ont pas voulu comprendre que d’autres étaient devenus plus puissants qu’eux. J’ai écrit ce livre, entre autres, pour qu’on ne commette pas la même erreur.

Qu’en déduisez-vous pour la politique étrangère française ?

La première chose qu’il faut avoir en tête, je le répète, c’est une vision claire de l’état du monde tel qu’il est, et non pas tel qu’on le phantasme. Prenez le camp des gens qui se nomment les « souverainistes ». Pour eux, il suffirait de quitter l’Union européenne (UE) pour que la France « retrouve sa grandeur ». Mais de quand précisément date cette « grandeur » ? Ils ne le précisent jamais. Faisons-le donc à leur place. Historiquement, l’apogée de la puissance française se situe juste avant 1914 : à ce moment-là, en effet, notre pays est une des quatre ou cinq puissances qui règnent sur le monde entier. Il y parvient pour deux raisons : parce qu’il possède un immense empire colonial, et parce que les puissances non occidentales (la Chine, l’Inde, etc.) sont à terre. Est- ce encore le cas ? Les gens qui rêvent de cette noble grandeur veulent ils repartir à la conquête de l’Algérie ou de l’AOF tout en ré-obligeant la Chine à signer les « traités inégaux », ces traités commerciaux qui l’ont ruinée au XIXe siècle ? Je leur souhaite bon courage. Pour ma part, dans l’état actuel du monde, je ne vois pas d’autre solution que de renforcer notre amarrage européen. On me dira que l’UE, telle qu’elle est, est catastrophique et dysfonctionnelle. C’est vrai. Le grand combat du moment consiste donc à trouver un moyen de la réformer pour la rendre efficace et puissante.

Moldavie : reste-t-il une chance ?

Tue, 15/11/2016 - 16:21

Aux marges de l’Europe, la Moldavie, pays associé à l’Union européenne mais où l’influence politique, culturelle et économique de Moscou reste très forte, a désigné son président de la République, le 13 octobre. Pour la première fois depuis vingt ans, les Moldaves étaient appelés à élire directement leur président.

La victoire du candidat socialiste Igor Dodon avec plus de 52% est présentée comme une nouvelle avancée de la Russie. Qu’en est-il vraiment dans un pays où chaque élection importante est rituellement annoncée comme un moment de choix crucial entre Est et Ouest ?

Plus qu’une victoire de la Russie, l’élection d’Igor Dodon est la conséquence presque logique de la naïveté, des hésitations et des faiblesses de l’Union européenne à ses marges orientales. Vouloir l’expliquer par la seule influence de Moscou est peut-être un moyen facile de nous dédouaner de nos erreurs.

La chute de l’élève modèle du partenariat oriental

En avril 2009, l’arrivée au pouvoir de forces pro-européennes est saluée comme une grande avancée dans la région. Dans les années qui suivent, l’Alliance pour l’intégration européenne est déchirée par les rivalités internes mais elle est fortement soutenue par l’Union européenne avec laquelle la Moldavie signe un accord d’association en 2014. Malgré ses succès diplomatiques, le gouvernement n’arrive plus à cacher ses nombreux dérapages ; corruption, népotisme, détournements de fonds, trafic d’influence.

Une affaire va faire déborder le vase : A la fin de l’année 2014, un milliard d’euros disparait des trois principales banques moldaves, mystérieusement prêtés à travers un circuit financier complexe à des emprunteurs difficilement identifiables. Un détournement gigantesque qui n’a été possible qu’avec la complicité, ou au mieux la passivité, des plus hautes autorités.

Face à ce scandale sans précédent, les bailleurs de fonds internationaux dont l’Union européenne stoppent leur aide. L’année 2015 sera marquée par une grave instabilité et par de nombreuses manifestations populaires. Les rues de la capitale sont d’abord occupées par des mouvements pro-européens issus de la société civile et hostiles au gouvernement, puis par des mouvements unionistes qui réclament un rattachement à la Roumanie voisine. Plus tard, l’opposition pro-russe multiplie les démonstrations de force. Elle est représentée par le Parti socialiste dirigé par Igor Dodon et par « Notre parti » la formation du controversé Renato Usatii.

L’Etat confisqué et la résistible ascension d’un oligarque

Un des partis membres de l’Alliance européenne, le Parti démocrate, va mettre à profit cette crise pour se débarrasser de la concurrence.

En octobre, l’ancien Premier ministre Vlad Filat, figure du rapprochement avec l’UE, est accusé de détournement de fonds et arrêté. Cette arrestation lamine son parti [1] et fait chuter le gouvernement conduit par un de ses fidèles, Valeriu Strelet. Lors de son dernier discours, Filat avertit : son arrestation ouvre le champ libre au parti rival et à son principal financeur, le sulfureux homme d’affaires, Vlad Plahotniuc. L’incarcération expéditive ainsi que la peine sévère [2] qui s’ensuit montrent le côté prémonitoire de l’avertissement et l’influence de l’oligarque sur l’appareil judiciaire.

Quelques mois plus tard, en janvier 2016, le même Plahotniuc cherche à pousser son avantage jusqu’à briguer le poste de Premier ministre. A la surprise générale, le discret président de la République Nicolae Timofti bloque son ascension et refuse sa nomination.

Un de ses affiliés, Pavel Filip, est finalement nommé à la tête d’un gouvernement si impopulaire qu’il doit prêter serment de nuit et à huis clos. Il bénéficie néanmoins d’une majorité au parlement jusqu’en 2018. Une seule concession est faite aux manifestants ; les prochaines élections présidentielles se feront au suffrage universel direct.

Le gouvernement a réussi à traverser la tempête. Pour ses nombreux détracteurs, il est le symbole de ce qu’il est convenu d’appeler « l’Etat capturé ». Dans la pure tradition de nombreux pays ex-soviétiques, des partis politiques à l’idéologie de façade mettent les structures de l’Etat au service de groupes d’intérêts qui accaparent pouvoir et ressources.

Du bon usage de la rhétorique Est/Ouest

Face à la méfiance persistante des capitales européennes, le gouvernement spécule sur les désaccords entre les occidentaux dans leurs relations avec la Russie. Il met en place une partition bien rôdée, celle de la stabilité. Une promesse qui vise à rassurer l’Europe et à plaire aux milieux d’affaires, mais qui permet aussi d’espérer le soutien de partenaires très sensibles à la situation géopolitique du pays.

Parmi les pays occidentaux, l’évolution de la politique étrangère russe dans la région est perçue différemment, les Etats-Unis sont (étaient ?) plus prompts à y voir une menace immédiate. A l’intérieur même de l’Union européenne, les opinions divergent, Pologne et pays Baltes adoptent sans surprise une ligne dure à l’égard de Moscou, c’est également le cas de la Roumanie, fière de se déclarer le « meilleur allié » de Washington dans la région de la mer Noire.

Le gouvernement de Chisinau se tourne vers les Etats-Unis. Vladimir Plahotniuc lui-même, devenu « coordonnateur exécutif du conseil de l’alliance de gouvernement », y rencontre la vice-secrétaire d’Etat, chargée de l’Europe et de l’Eurasie, Victoria Nuland [3] ou les directeurs d’un think tank proche de l’OTAN, l’Atlantic Council.

La campagne du gouvernement est orchestrée par le groupe de lobbying de John Podesta [4] [5]. Le but est clair, montrer au monde que les USA sont disposés à soutenir Chisinau contre la garantie du maintien d’un cap pro-occidental.

L’opération n’est pas une totale réussite mais qu’importe, en Moldavie, les médias, en bonne partie sous contrôle, diffusent les images des délégations gouvernementales aux côtés de personnalités américaines.

La Roumanie est une autre cible de la campagne de « sensibilisation ». Début 2016, Bucarest était vent debout à l’idée d’une prise de pouvoir par le groupe de Plahotniuc jugé trop proche de Moscou. Pourtant le gouvernement roumain change d’avis, inquiet de la popularité de l’opposition pro-russe. Au nom de sa relation particulière avec Chisinau, il accorde à la Moldavie un prêt de 150 millions d’euros, au grand dam de ses partenaires européens.

La géopolitique en spectacle

Au printemps, quelques véhicules de l’OTAN et un petit groupe de soldats américains sont invités à participer à des exercices de déminage avec l’armée moldave. Des groupes de sympathisants du Parti socialiste, drapeaux rouges au vent, tentent d’arrêter devant les caméras, l’avancée, dans ce pays neutre, des Américains venus de Roumanie.

Les mouvements unionistes multiplient les manifestations. Serpent de mer de la politique moldave et roumaine, l’unionisme est un projet qui reste mal défini au-delà des élans romantiques. Ses partisans sont désunis et leur message souvent contradictoire. Pour de nombreux analystes, l’idée est aujourd’hui entretenue et relancée à dessein, quitte à manipuler ses partisans sincères, pour diviser la population.

Pour ne pas être en reste, la Transnistrie autorise de son côté des manœuvres militaires russes sur son territoire. Le controversé Dimitri Rogozine, vice-Premier ministre de la Fédération de Russie, alterne visite à Tiraspol, capitale de la république auto-proclamée de Transnistrie, et déclarations menaçantes à l’encontre de la Roumanie. Le leader socialiste Igor Dodon réaffirme son intention d’adhérer à l’Union douanière euro-asiatique et de fédéraliser la Moldavie.

Quelques mois avant la campagne présidentielle, le cirque géopolitique bat donc son plein. La stabilité promise par le gouvernement est présentée comme plus que jamais nécessaire. Le piège qui divise depuis des années les citoyens moldaves semble se refermer à nouveau.

Une campagne présidentielle inattendue

La campagne électorale débute en septembre dans une étrange atonie. Igor Dodon est le favori des sondages, le président du Parti démocrate Marian Lupu se fait l’avocat du gouvernement et de son orientation pro-européenne, Mihai Ghimpu, leader du Parti libéral, soutien du gouvernement, reprend l’antienne de l’unionisme. Les pro-européens « alternatifs » sont divisés, représentés par trois candidatures ; celles du leader des mouvements de 2015, Andrei Nastase, de l’ancienne ministre de l’Education, Maia Sandu et de l’ancien Premier ministre Iurie Leanca.

Personne n’attend grand-chose de cette campagne pour un poste sans grand pouvoir. Le camp gouvernemental ménage Dodon et s’en prend violemment aux autres candidats européens. Il devient évident qu’il se prépare à une cohabitation où chacun sera dans son rôle, un pro-russe sans grande possibilité d’agir à la présidence, un gouvernement pro-européen en posture de rempart aux visées du Kremlin. Une cohabitation orchestrée par la politique du « Kompromat » qui consiste à contenir son adversaire grâce aux informations que l’on détient sur lui.

Un premier coup de théâtre secoue la campagne électorale. Mi-octobre Andrei Nastase renonce à sa candidature pour soutenir Maia Sandu, le candidat du gouvernement se retrouve largement dépassé dans les sondages.

Marian Lupu est menacé d’une défaite humiliante, le deuxième coup de théâtre survient. A quelques jours du vote, accompagné de Vlad Plahotniuc, il déclare publiquement renoncer à sa candidature pour soutenir Maia Sandu et le parcours européen de la Moldavie.

Ce « soutien » est un baiser de Judas car les deux principaux candidats s’affrontent sur la nécessité de reprendre le pays des mains du système oligarchique.

Où les masques tombent

Malgré une forte abstention, les résultats du premier tour sont sans appel. Igor Dodon manque de peu de l’emporter avec 48% des voix, Maia Sandu est deuxième avec près de 39%.

Les habituels débats géopolitiques ne sont pas au centre de cette campagne. Dodon ne dénonce pas l’Accord d’association avec l’UE même s’il le trouve imparfaitement négocié. Les deux candidats se retrouvent sur la nécessité d’un dialogue constructif avec Moscou.

L’enjeu principal est de montrer à quel point l’adversaire est lié au « système ».

Maia Sandu est attaquée sur sa proximité supposée avec Vlad Filat et sa participation au gouvernement aux côtés du Parti démocrate. Ses réformes sont dénoncées notamment la fermeture d’établissements scolaires par souci d’économie.

Le candidat socialiste est obligé de grossir le trait pour démontrer que sa concurrente fait partie du système. Maia Sandu n’a pas à se donner tant de mal. Les agissements de l’ancien ministre de l’Economie, ses trahisons politiques, l’origine de ses biens ou celle du financement de son parti posent questions. Igor Dodon se retrouve donc mal placé pour mener campagne sur la probité, il prend position sur le terrain des « valeurs ».

Le candidat socialiste, qui n’est pas une contradiction près, se définit comme un « conservateur » attaché à l’identité moldave et à la famille traditionnelle. Il associe ces valeurs à la religion orthodoxe et s’en fait le défenseur contre une libéralisation des mœurs et une perte d’identité qu’il attribue à « l’européanisation » de la société. Dans sa croisade, il s’acharne sur une loi s’opposant aux discriminations des minorités sexuelles votée dans le cadre du rapprochement avec l’Union européenne. L’homophobie, qui doit autant à l’Eglise orthodoxe qu’au passé soviétique, est utilisée comme arme contre Sandu accusée d’être soutenue par les associations LGBT.

Entre les deux tours, les hiérarques de l’Eglise orthodoxe de Moldavie prennent fait et cause pour le candidat socialiste. Ils mettent publiquement en cause l’appartenance religieuse de Sandu, célibataire sans enfant, que les prélats décrivent fort peu charitablement comme « une femme stérile » qui n’aurait pas « rempli sa fonction naturelle ».

Autre menace pour les valeurs traditionnelles ; les migrants. Une rumeur court, Maia Sandu aurait promis à Angela Merkel l’accueil de 30000 réfugiés syriens en échange de son soutien. Cette rumeur est reprise par la plus suivie des chaînes de télévision, Prime. Un reportage y montre trois étudiants syriens appelant à soutenir Maia Sandu, prête à accueillir leurs compatriotes. La manipulation est dénoncée mais le mal est sans doute fait et Vlad Plahotniuc qui contrôle Prime confirme être un bien douteux soutien.

Deux Moldavies, un seul système

Au fil de la campagne, l’électorat des deux candidats se dessine clairement.

L’objectif de Maia Sandu est de mobiliser les abstentionnistes et la diaspora. Elle est aidée par un élan civique des Moldaves de l’étranger qui lancent des appels au vote par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Les ressorts de cette campagne parallèle sont plus grossiers mais efficaces ; les enjeux de l’élection sont dramatisés ; le mouvement est majoritairement le fait de jeunes qualifiés partis étudier et travailler en Occident, en dépit des sacrifices imposés par cette expatriation, ils sont les gagnants de l’ouverture de la Moldavie. Pour cette fraction de la population, il faut battre Dodon le Russe mais aussi son électorat trop souvent décrit comme « les déplorables » d’une autre élection récente.

Pour assurer sa victoire, Igor Dodon doit maximiser le vote ethnique en ciblant les régions à forte population russophone en agitant le péril unioniste, mais il s’adresse surtout à un électorat populaire souvent rural qui dépasse les segmentations ethniques. L’électorat d’Igor Dodon est largement composé de ceux qui n’ont pas pu bénéficier de l’ouverture à l’Union européenne, trop âgés, trop isolés, trop peu qualifiés pour envisager leur vie ailleurs ou intégrer les rares secteurs économiques porteurs, un électorat auquel il faut ajouter ceux qui ont pâti de l’embargo imposé par la Russie. Une population plus traditionnaliste, inquiète des évolutions du monde souvent présentées de façon déformée par certains médias. Un électorat sensible au message d’une église dont les liens avec le pouvoir sont troubles et qui, comme dans l’ensemble du monde orthodoxe, constitue une opposition sourde à la philosophie libérale.

Le public d’Igor Dodon est également le plus touché par les effets des réformes demandées par l’Union européenne ou les bailleurs internationaux. Argent détourné par les uns, réformes appliquées à la hussarde pour les autres par un gouvernement peu apte à mettre en place des politiques publiques équilibrées. Politiques d’austérité, privatisations, réduction des dépenses publiques menées au profit des plus forts. Ces mesures laissent en déshérence des populations et des régions entières.

Au-delà de leur polarisation, les deux votes expriment une protestation contre un même objet, perçu de façons différentes : un système corrompu qui se perpétue en balançant constamment entre deux blocs antagonistes.

A l’Est, rien de nouveau

Le second tour est émaillé d’incidents. Les rumeurs de fraude circulent. Irrégularités ou lacunes administratives, elles n’ont pas fait pencher la balance.

Les résultats confirment les constatations du premier tour. La capitale et les régions limitrophes qui concentrent services et secteurs d’activité fonctionnels et la diaspora optent pour Maia Sandu. Le reste du pays choisit Igor Dodon, avec une majorité écrasante dans les régions russophones, mais le candidat socialiste remporte également des départements où la présence des minorités est faible. Maia Sandu n’a pu refaire son retard malgré une participation en hausse.

Igor Dodon est donc élu. Il se présente comme un dirigeant à poigne mais à l’écoute du peuple. Il s’engage à lutter contre le système, promet un Etat protecteur et la défense de la nation moldave. Il est l’ami de la Russie et de l’Europe. Un profil devenu fréquent.

La Russie salue cette victoire, la presse occidentale y voit une nouvelle alerte. Le gouvernement de Chisinau se déclare prêt à collaborer avec le président élu et que la direction européenne de sa politique n’est pas remise en cause. La Commission européenne accueille avec quelques réserves l’élection du président en rappelant la nécessité des réformes . Le même jour, le Conseil des affaires étrangères européen félicite les pays du partenariat oriental de leurs progrès.

Maiavem o sansa ? [6]

La possibilité d’une évolution politique en Moldavie est cependant apparue pendant cette campagne électorale. Une opposition pro-européenne unie a pris forme et obtenu sans grands moyens ni expérience un résultat inespéré. Cette opposition a démontré plusieurs choses. Il est possible de mener une campagne réussie en s’adressant à tous les citoyens sans les diviser par ethnies, sans faire référence à un protecteur ou une à une menace extérieure, il est possible qu’une femme mène cette campagne. La campagne de Maia Sandu a également montré que les Moldaves de l’étranger et que les jeunes pouvaient se mobiliser s’ils savaient pour qui voter. Cette opposition doit aujourd’hui convaincre qu’elle peut-être aussi celle de catégories plus défavorisées.

Les élections présidentielles ont une dimension symbolique. La majorité a tourné la tête vers la Russie plus souvent par dépit que par envie, mais Igor Dodon, sans grand pouvoir, ne pourra rester que dans une opposition de façade. Le véritable enjeu sont les élections législatives prévues en 2018, à l’opposition européenne de les préparer au mieux, si l’UE garde la volonté de ne pas se couper de ses marges, il reste une chance.

[1] Le Parti libéral démocrate de Moldavie
[2] Neuf ans de prison ferme
[3] Victoria Nuland est connue entre autre pour des propos peu amènes vis-à-vis de l’Union Européenne, tenu en pleine crise ukrainienne.
[4] Le directeur de la campagne électorale d’Hillary Clinton
[5] Cf ; https://www.opendemocracy.net/od-russia/eleanor-knott-mihai-popsoi/our-man-in-moldova-plahotniuc
[6] En roumain ; il nous reste une chance, slogan de campagne utilisant le prénom de la candidate.

Barack Obama : quel bilan ?

Tue, 15/11/2016 - 12:43

De nombreux observateurs estiment que Barack Obama a déçu. Si c’est le cas, c’est au regard des immenses espoirs placés en lui au moment de son arrivée à la Maison Blanche en 2009. Tout le monde se réjouissait évidemment du départ de Georges W. Bush, remplacé par un président sympathique, ouvert au monde, multiculturel et multilatéraliste. Mais il était d’ores et déjà certain que Barack Obama ne pouvait réparer toutes les erreurs, et leurs conséquences, de son prédécesseur. Il n’avait pas de baguette magique et n’était pas de surcroît le président de la communauté internationale, comme certains l’espéraient. On pouvait cependant souhaiter qu’il défende l’intérêt national américain avec plus de clairvoyance que Georges W. Bush.

Dresser un bilan de son action diplomatique nécessite une analyse, dossier après dossier, de ses succès et de ses échecs.

Les réussites

La première consiste à ne pas avoir lancé les États-Unis dans une nouvelle guerre. Barack Obama avait été élu pour mettre fin aux guerres dans lesquelles Georges W. Bush a empêtré l’armée américaine : les guerres d’Irak et d’Afghanistan, aux goûts, coûts et conséquences catastrophiques, aussi bien sur le plan matériel que stratégique. Il a tenu sa promesse. Mais, le cas syrien interpelle : fallait-il dresser une ligne rouge pour ensuite ne pas en assurer le respect, lorsque Bachar Al-Assad a fait usage d’armes chimiques ? Lancer une guerre en Syrie, en dehors de tout mandat des Nations-unies, n’aurait pas forcément arrangé la situation mais, en fixant des limites qu’il n’a pas respectées, Barack Obama a commis une erreur. Autre cas d’étude, le conflit israélo-palestinien. Sur ce dossier, les marges de manœuvre de Barack Obama étaient faibles. Il a demandé à Benyamin Netanyahou de cesser les colonisations ; ce dernier l’a ignoré. Compte tenu de l’obtention du prix Nobel de la paix et de son discours du Caire, cette impuissance est synonyme de défaite pour Obama. Mais elle est à observer au regard de la relation « spéciale » qu’entretiennent Israël et les États-Unis et du blocage du Congrès et de la société américaine face aux initiatives de leur président. Les relations personnelles sont mauvaises entre Netanyahou et Obama. Toujours est-il que les États-Unis ont augmenté leur aide à Israël, malgré le refus de ce dernier à tenir compte des remarques américaines.

Il convient également de mettre au crédit d’Obama, l’élimination d’Oussama Ben Laden et, peut-être avant son départ de la Maison blanche, la fin de l’État islamique en tant qu’entité territoriale. Cet événement ne mettra cependant pas fin au terrorisme, car ses causes n’ont pas été éliminées.

Le futur ex-président a de plus normalisé ses relations avec l’Iran, mauvaises depuis 1979. Il écarte ainsi deux dangers : un Iran nucléaire ou une guerre pour l’empêcher d’acquérir ce statut. Il a démontré, avec les autres membres du P5 +1, que la voie diplomatique était préférable à une solution militaire, préconisée par certains acteurs. Des acteurs qui ont oublié les conséquences négatives de la guerre d’Irak qu’ils avaient eux-mêmes recommandée. Autre point positif : le rétablissement des relations avec Cuba qui met un terme à une mésentente datant de 1959 et plante le dernier clou au cercueil de la guerre froide.

Enfin, l’accord de Paris a contribué à apprécier positivement l’héritage de B. Obama. Les États-Unis se sont, par le passé, montrés très réticents à un accord sur le climat. Avec la Chine, ils ont mis fin à ces réticences. Ce succès, qui est aussi celui de la France, vient embellir le tableau diplomatique d’Obama.

Les échecs

Le principal échec de B. Obama en matière diplomatique est peut-être son incapacité à actionner le bouton « reset » des relations avec la Russie. Les rapports entre Moscou et Washington sont en effet toujours glaciaux. Contrairement à sa promesse de 2008, Barack Obama n’a pas mis fin au programme de défense anti-missile. Il le considérait à l’époque comme un programme coûteux faisant face à une menace inexistante fondée sur des technologies non prouvées. Les pressions du complexe militaro-industriel ont peut-être eu raison de ses réticences. Il a ainsi accepté un redéploiement, motif de crispation pour la Russie. Tant sur l’Ukraine que sur la Syrie, les positions de Moscou et de Washington divergent. Et Moscou n’a pas digéré l’élargissement de l’OTAN.

Durant l’affaire libyenne, Barack Obama avait accepté, avec réticence et en retrait, de soutenir l’action menée par la France et la Grande Bretagne. Cette intervention militaire, à laquelle la Russie n’avait pas initialement mis de veto, a été changée en cours de route, passant d’une « simple » protection de la population à un changement de régime. La tournure prise a également contribué à dégrader les relations entre Moscou et Washington.

Barack Obama n’est certainement pas parvenu à entreprendre tout ce qu’il souhaitait. Des espoirs excessifs – au regard de ses marges de manœuvre – ont sans doute été placés en lui, mais son bilan reste équilibré et relativement bon. Avec l’arrivée prochaine de Donald Trump à la Maison blanche, il est certain qu’on le regrettera.

« Monde arabe, le grand chambardement » – 3 questions à Yves Aubin de la Messuzière

Mon, 14/11/2016 - 12:27

Yves Aubin de la Messuzière, diplomate, fut directeur de la section Afrique du Nord et Moyen-Orient du Quai d’Orsay entre 1998 et 2002. Son dernier ouvrage Monde arabe, le grand chambardement, paru aux Éditions Plon, est particulièrement éclairant et livre une remarquable analyse des grands bouleversements qui touchent la région.

Pourquoi diagnostiquez-vous un affaiblissement global des puissances arabes ?

Il y a à l’évidence une perte de puissance dans le monde arabe, qui s’est manifestée depuis le début des années 2000. Que constatait-on avant l’émergence des révoltes arabes en 2011 ? Du fait du déclin de l’Égypte, dans les dernières années Moubarak, et de l’effondrement de l’État irakien après l’invasion américaine en 2003, les seules puissances qui comptent au Proche et Moyen-Orient ne sont pas arabes : Israël, la Turquie et l’Iran. Malgré les sanctions sévères liées à la poursuite de son programme nucléaire, le régime des Ayatollah conservait un potentiel militaire important, grâce à une armée aguerrie. En dépit d’un arsenal considérable, la Libye ne disposait pas d’un poids stratégique. La donne géostratégique s’est significativement modifiée au cours de ces cinq dernières années et on assiste à un nouveau rapport de force dans la région et au sein du monde arabe. Depuis l’accession au trône du roi Salmane, en 2015, l’Arabie saoudite, dont la diplomatie était plutôt discrète, affirme de nouvelles ambitions régionales. Elles se concrétisent par la constitution d’une coalition rassemblant les pays arabes du Golfe, la Jordanie et le Maroc, autant d’États sunnites, afin d’engager une offensive contre la rébellion houthiste du Yémen. Malgré les moyens militaires considérables engagés par Riyadh, premier acheteur d’équipements militaires au monde, l’intervention dont l’objectif est de contenir l’influence de l’Iran dans la région, est un échec. La monarchie wahhabite, déjà affaiblie par la chute de la rente pétrolière et la contestation d’une jeunesse marginalisée et frustrée, fait face au risque d’une déstabilisation. L’Égypte du maréchal Sissi cherche à retrouver son poids stratégique, mais son relèvement se fait à l’ombre des pays du Golfe, plus particulièrement de Riyadh, qui financent son développement et ses équipements militaires. D’un équilibre jadis dominé par les grands États au cœur du nationalisme arabe – l’Égypte, la Syrie et l’Irak – on passe à un basculement de puissance au profit d’un pôle golfique plutôt stable et attractif économiquement.

Les interventions politiques et militaires des deux puissances non arabes que sont l’Iran et la Turquie, en Syrie, au Liban et en Irak, limitent les marges de manœuvre des pays arabes, notamment du Golfe. La Syrie de Bachar Al-Assad a délégué à l’Iran une partie de sa souveraineté. En s’appuyant sur le Hezbollah, les Pasdarans sont à l’avant-garde de la confrontation sur le terrain avec toutes les formes de rébellion (avec le soutien aérien russe). La Turquie est engagée depuis peu au nord de la Syrie pour empêcher la constitution d’une autonomie kurde. En Irak, l’Iran s’assure un rôle dans la reconquête de Mossoul par le contrôle de milices chiites, tandis qu’Ankara se pose en protecteur des Turkmènes et d’autres populations sunnites. Au Liban, l’élection du général Aoun à la présidence, avec l’appui du Hezbollah renforce la main de Téhéran et affaiblit l’influence de Riyadh.

Les concepts d’islamisme politique, islamisme radical, salafisme et djihadisme sont-ils interchangeables, comme certains commentaires le laissent paraître ?

En effet, il existe parfois une réelle confusion entre ces différents concepts. L’islam politique, qu’il faut distinguer de l’islamisme radical, désigne un courant idéologique visant à l’établissement d’un État fondé sur les principes de l’islam. L’organisation des Frères musulmans, en Égypte, ainsi qu’Ennahda en Tunisie, entrent dans la catégorie du courant islamo-conservateur, dénomination la plus pertinente pour le distinguer des mouvances radicales salafistes ou djihadistes. L’un comme l’autre, sont parvenus au pouvoir au lendemain de la chute des régimes autocratiques, dans le cadre de processus démocratiques. Mais les expériences égyptienne et tunisienne de domination de l’islam politique n’ont eu qu’un temps bref, en raison de leur incapacité à gouverner. C’est en ce sens que l’on peut évoquer l’échec de l’islam politique, même si Ennahda participe au gouvernement et, qu’au Maroc, le PJD cohabite avec le Makhzen qui détient l’essentiel du pouvoir.

Le djihadisme se définit comme une doctrine radicale au sein de l’islam, qui prône la violence pour la réalisation d’objectifs à la fois religieux et politiques. Son but est de reconstituer la Oumma, la communauté des musulmans. C’est l’invasion de l’Afghanistan par les soviétiques en 1979 qui a ouvert la voie au djihadisme mondial dont Al-Qaïda sera la représentation la plus radicale. L’organisation de Ben Laden deviendra la matrice du Front Al Nosra et de l’État islamique.

Le salafisme est plus complexe à définir, tant il a emprunté des modes d’actions différentes, selon qu’il soit quiétiste ou djihadiste. À l’origine, sa doctrine exalte le comportement des pieux ancêtres, dénommés « Salaf ». Il s’est surtout développé en Arabie saoudite, lorsque les Saoud dans leur conquête du pouvoir à la fin du XVIIIème siècle, se sont appuyés sur le mouvement religieux ultraconservateur wahhabite, d’inspiration salafiste. Le royaume wahhabite est depuis des décennies le propagateur du salafisme par l’entremise d’imams formés dans l’université islamique de Médine. Ainsi plusieurs mosquées salafistes de France sont financées par La ligue islamiste mondiale, le bras armé de la propagande religieuse du Royaume. Les responsables gouvernementaux français créent la confusion lorsqu’ils font le lien entre le salafisme et le djihadisme le plus radical. Les enquêtes sur les attentats terroristes en France révèlent que leurs auteurs n’ont pas été radicalisés dans les mosquées salafistes. Le salafisme en France est largement quiétiste auquel on peut reprocher, par contre, d’encourager le repli communautaire.

L’Union européenne est-elle affaiblie de manière durable dans la région ?

Sans conteste, l’Union européenne pèse de moins en moins dans la région proche orientale, alors même que les convulsions au cœur du monde arabe l’atteignent directement de par sa proximité géographique. Plusieurs pays, plus particulièrement la France, sont la cible des organisations terroristes, tandis que d’autres subissent les flux migratoires. Sur l’ensemble des crises de la région, on ne peut que constater l’absence d’une stratégie d’ensemble, qu’il s’agisse de l’Irak, de la Syrie ou de la Libye, et récemment concernant « la crise des réfugiés ». L’Union européenne semble atteinte d’une cécité collective face aux grands bouleversements de l’Histoire. Autre signe de cette absence de stratégie, l’échec de l’Union pour la Méditerranée, qui devait consacrer la solidarité entre les deux rives. L’Europe ne sera probablement pas partie prenante dans la solution politique du conflit central syrien, qui émergera d’un accord entre Washington et Moscou, avalisé par les principaux acteurs régionaux : la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite.

Le Monde selon Donald Trump ?

Mon, 14/11/2016 - 12:03

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Corée du Sud : période agitée au ‘’pays du matin calme’’

Thu, 10/11/2016 - 18:06

Habituée aux coups de tonnerre répétés et aventurismes divers émanant de Pyongyang, la péninsule coréenne et la communauté internationale sont moins rompues aux (rares) soubresauts impulsés depuis Séoul ; en cet automne 2016 atypique, la capitale américaine n’a pas le monopole des (mauvaises) surprises ; contre son gré, sa lointaine cousine sud-coréenne semble bien partie pour lui emboîter le pas.

Déjà aux prises avec un environnement régional tendu entretenu par le régime nord-coréen (deux essais atomiques et vingt tirs de missiles balistiques réalisés depuis janvier) et un contexte économique en retrait des attentes de la population (PIB + 2,6% en 2015 ; projections autour de +2% en 2016), la République de Corée (4e économie d’Asie ; 11e économie mondiale) se voit irrémédiablement happée par une grave crise politique impliquant directement la Maison Bleue, la présidence sud-coréenne.

Première femme à accéder à ces fonctions dans le pays (en février 2013), Madame Park Geun-hye (parti Saenuri), fille d’un ancien chef de l’Etat (le général Park Chung-hee ; 1963-1979), risque fort de connaître une fin de mandat (jusqu’en février 2018) tourmentée. Les 200 000 personnes attendues dans les rues de Séoul samedi 12 novembre pour appeler à sa démission ne nous démentiront pas.

Emportés ces dernières semaines par une véritable tempête politique associant l’humain (affectif ; relations personnelles) et le financier (allégations de détournement de fonds par une proche), le crédit et l’autorité de la présidente flirtent avec des abimes d’impopularité dont il parait difficile de se remettre, alors que l’opposition et ses principaux ténors ne ménagent pas leur peine pour sceller définitivement le sort de l’administration en place.

Longtemps bâtie, en plus de son affiliation politique paternelle, sur un socle de sérieux et d’intégrité, l’autorité de cette énergique sexagénaire aura le plus grand mal à se remettre de l’imbroglio dans lequel ses relations personnelles (de longue date) avec certains individus aux projets personnels notamment financiers, ainsi qu’aux prérogatives controversées (cf. conseil de la présidente en dehors de tout mandat, y compris en matière de politique intérieure et extérieure) ont miné la Maison Bleue et réduit son crédit à une quantité négligeable.

Ses tentatives de sortie de crise ‘’par le haut’’, avec la nomination-validation par l’opposition d’un Premier ministre aux compétences élargies jusqu’au terme de la mandature actuelle, sont jugées hors de propos et se heurtent à une hostilité marquée, reflet de son crépuscule politique prochain.

Les propos d’une majorité d’observateurs recueillis ces derniers jours à Séoul trahissent une sourde colère de l’opinion et une rupture de confiance avec les élites dirigeantes. Ils font également état d’une réelle lassitude pour les ‘’affaires’’ à répétition affligeant la nation, pourtant exposée, comme bien d’autres en Asie-Pacifique et ailleurs, à des enjeux autrement plus importants (socio-économiques notamment ; croissance ; emploi ; sécurité). Dans la morosité du moment, peu d’interlocuteurs osent espérer quelque éclaircie salvatrice pour le gouvernement, lequel devrait trainer sa peine jusqu’au prochain scrutin présidentiel, prévu d’ici une longue quinzaine de mois. A moins que Mme Park ne décide, sous la pression de la rue et de ses (bons) conseillers, de quitter prématurément son poste (peu de gens misent, pour l’instant, sur une telle hypothèse) ; auquel cas, selon la Constitution, un scrutin pourrait alors être organisé sous soixante jours…

En théorie, la faiblesse passagère affligeant la présidence sud-coréenne aurait pu donner matière à quelque attaque (rhétorique) facile de la part du régime nord-coréen, généralement prompt à se saisir de tout argument, avéré ou grossier, pour malmener, houspiller ou menacer les autorités du sud. A cette heure, on serait plutôt surpris par la relative retenue de Pyongyang ; une ‘’réserve’’ inhabituelle sur laquelle on n’aurait pas nécessairement misé en pareille circonstance.

Naturellement, cette atypique ‘’discrétion’’ nord-coréenne pourrait ne pas durer. Occupé à digérer la surprise de l’élection du candidat républicain à la présidentielle américaine, le régime nord-coréen pourrait très vite retrouver ses (mauvais) esprits et recouvrer sa traditionnelle logorrhée critique et calomnieuse à l’endroit de Séoul, en forçant comme il se doit sur les traits.

Si l’agitation verbale de Pyongyang sur cette thématique sensible est pour l’heure le cadet des soucis de l’administration Park, il en va bien différemment de l’arrivée prochaine de Donald Trump à la Maison-Blanche. Au plus haut niveau de l’Etat, au quartier-général des principaux partis de l’opposition, dans les états-majors de l’armée sud-coréenne comme dans les influents centres de recherche et think tanks du pays, la stupeur du succès républicain (ni anticipé, ni appelé de ses vœux) a jeté ce qu’un euphémisme commode nommerait un froid polaire, en cet automne précoce sur le plan politique, partisan et stratégique.

Des premiers échanges sur le sujet auprès de ces diverses autorités, il ressort une préoccupation générale quant aux contours à venir de la relation jusqu’alors privilégiée américano-sud-coréenne, pierre de touche sécuritaire et stratégique de Séoul des dernières décennies. Les diverses sorties de Donald Trump ces derniers mois sur le sujet – fussent-elles à l’occasion contradictoires et à replacer dans un contexte de campagne électorale faisant peu cas de mesure (cf. financement de la présence militaire américaine en Corée du Sud ; retrait possible des troupes US) – ont sensiblement ébranlé les cercles du pouvoir et de réflexion au sud du 38e parallèle, précipitant ces derniers vers la nécessité de concevoir de possibles ajustements politiques, militaires, géopolitiques.

Troublés plus que réellement apeurés, les responsables sud-coréens, déjà accaparés ou affligés par la crise politique domestique en cours, guettent et espèrent de leurs vœux les premiers signaux rassurants en provenance de la future administration américaine, pourvu qu’ils aillent majoritairement dans le sens de l’apaisement et qu’ils confirment Séoul dans son statut d’alliée stratégique majeure des Etats-Unis en Asie-Pacifique. En ces temps intérieurs difficiles, le ‘’pays du matin calme’’ et ses 51 millions d’individus n’ont aucune appétence pour des lendemains stratégiques incertains ; le voisinage avec l’imprédictible et menaçante Corée du Nord suffit amplement à leur peine.

«Une politique étrangère des Etats-Unis plus imprévisible»

Thu, 10/11/2016 - 16:04

Donald Trump a fait beaucoup de déclarations sur la politique étrangère des Etats-Unis. Pas facile de s’y retrouver. Y a-t-il une ligne directrice ?

La politique étrangère de Donald Trump devrait être très transactionnelle, pas forcément cohérente mais au coup par coup, basée sur les qualités de négociateur dont il aime se féliciter. Ce qu’il y a de certain, c’est que nous aurons à faire avec une politique des Etats-Unis moins cohérente, en tout cas plus imprévisible, notamment sur les trois grands chantiers internationaux laissés par le président sortant Barack Obama derrière lui : l’Europe de l’Est, c’est-à-dire l’Ukraine et la Russie, le Moyen-Orient et l’Asie.

Quels changements apparaissent cependant envisageables dans les relations avec la France et l’Europe ?

Il est sûr que le nouveau président aura moins de respect pour ses vieux alliés européens, dont la France, qui risquent d’être davantage à l’épreuve. L’Europe devra s’organiser. Quand je dis l’Europe, c’est surtout l’Allemagne et la France pour définir une attitude commune car la Grande-Bretagne se retrouve pour longtemps écartée de toute influence internationale. Si la France et l’Allemagne ne sont pas capables de parler d’une même voix pour exprimer une politique commune sur les grands sujets, cela risque de poser problème.

Un certain nombre de traités sont en question, en négociation, en processus de ratification (Cop 21, Tafta…). Peut-il y avoir une en remise en cause ?

Sur un point, Trump a été clair. Il a déjà dit qu’il ne voulait pas de la COP 21 sur le climat, que ce n’était pas un traité, et d’ailleurs que le Sénat américain, qui ratifie les traités – aux Etat-Unis, ce n’est pas le président –, ne l’aurait pas fait.

II y a les dossiers sensibles du terrorisme, la Syrie, l’Irak. Trump prône l’isolationnisme, avec quelles conséquences ?

Il faudra de toute façon que le nouveau président compose avec tous les éléments institutionnels de la diplomatie américaine. Il ne sera pas seulement un homme fort ou une grande gueule. Il pourrait s’entendre avec la Chine par exemple dans une stratégie à long terme. Sur le problème syrien, l’establishment a les clés, le problème de la Syrie et de l’Irak, par effet de conséquence, se règle au niveau de la Turquie, membre de l’Otan, l’Iran et l’Arabie saoudite. Quant au Proche-Orient, on remarque qu’on ne parle plus du problème israélo-palestinien.

Le caractère provocateur, «à l’emporte-pièce» de Donald Trump, mis en exergue par ses déclarations pendant la campagne peut-il donc être «contrôlé» par l’administration ?

L’establishment va jouer son rôle pour lisser la politique étrangère. Mais dans le même temps, Donald Trump peut dire : «J’ai un mandat du peuple américain». Ce qui n’était pas évident avant, avec Barack Obama, l’est davantage aujourd’hui, parce que le Congrès est aussi républicain. Cela dit, je crois que pour mieux connaître la politique étrangère mise en œuvre par Trump, il ne faut pas se baser sur ses déclarations de campagnes mais plutôt sur ses futures déclarations. Il a déjà commencé à changer, d’ailleurs, dès son élection. Dans sa première déclaration, il s’est posé en rassembleur. Alors…

Recueilli par D.H.

« La victoire de Sanders dans les États du Nord aurait été extrêmement probable »

Thu, 10/11/2016 - 14:31

Quels ont été les facteurs déterminants du basculement des États du nord des États-Unis ?

L’identification géographique est claire : tous ces États appartiennent à la « rust belt », cette région qui correspond au bassin minier et industriel des États-Unis. Depuis plusieurs décennies, la présence démocrate était presque automatique, sauf pour l’Ohio. C’est donc une très grosse surprise. Les États du Michigan, de Pennsylvanie et du Wisconsin étaient considérés comme des bastions démocrates.
Il faut donc remonter aux primaires démocrates pour comprendre comment Hillary Clinton n’a pas réussi à capter ces régions. Elle avait notamment perdu contre son principal adversaire lors de la primaire, Bernie Sanders, au Michigan et au Wisconsin, où il y avait un vote très anti-establishment incarné par M. Sanders. Il y a une rupture entre l’image de Clinton, haute dignitaire du Parti démocrate, et l’attente des populations dans ces États qui veulent un candidat différent des élites traditionnelles.
Il faut ajouter qu’elle a très peu fait campagne dans ces régions. Elle ne s’est même pas rendue au Wisconsin depuis la convention démocrate d’août dernier. Elle présumait ces bastions pour acquis et n’a pas cherché à comprendre les raisons de son échec face à Bernie Sanders lors des primaires. Les électeurs de Sanders n’ont soit pas voté, soit choisi Trump.

Si Bernie Sanders avait affronté Donald Trump, il aurait donc enrôlé l’électorat ouvrier de ces régions ?

Le discours sur le retour à une politique de proximité, sortir Washington de sa tour d’ivoire et surtout le fait de redonner aux citoyens oubliés leur dignité, a eu un écho très fort chez les cols bleus du nord des États-Unis. Ces idées étaient au début portées par Sanders avant d’être récupérées par Trump. La victoire de Sanders dans toute cette région aurait été extrêmement probable. J’irais même plus loin : je pense sincèrement que Sanders aurait battu Trump à l’élection. La rhétorique et le positionnement anti-establishment de Trump n’auraient pas fonctionné avec Sanders, qui n’était pas un candidat du système et qui représentait l’aile gauche dure du Parti démocrate. Trump avait donc en face de lui l’adversaire idéal qu’était Clinton. Plus que la défaite des idées du Parti démocrate, c’est la défaite de l’establishment de ce parti, représenté par Hillary Clinton. Il va falloir changer la manière de faire la politique : on arrête cette prééminence de Washington et on revient à l’écoute des citoyens.

Et pour l’Ohio, qu’est-ce qui a influencé le vote des électeurs ?

L’Ohio, État-clé du scrutin qui rapporte 18 grands électeurs, est à l’instar de Michigan ou du Wisconsin une région sinistrée par la désindustrialisation. Il a donc été remporté par les républicains pour les mêmes raisons que ses voisins : un ressentiment contre les élites traditionnelles. Or celui-ci n’était pas un bastion démocrate, mais un « swing state » : il a voté pour Obama en 2008, Bush avant lui en 2000 et Bill Clinton encore avant. Les écarts entre candidats y sont souvent très réduits et les pronostics incertains, mais Sanders aurait pu très probablement remporter cet État.

Victoire de Trump : sauvegarder à tout prix l’alliance américano-japonaise

Thu, 10/11/2016 - 14:17

La victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine le 8 novembre peut-elle menacer l’alliance vitale entre les Etats-Unis et le Japon et déstabiliser la région asiatique ?

Donald Trump a critiqué le traité de défense unissant Washington et Tokyo car il ne force pas le Japon à venir en aide aux États-Unis en cas d’attaque. « Nous avons un traité avec le Japon qui dicte que si le Japon est attaqué, nous devons utiliser toute la force et la puissance des États-Unis », a dit le candidat républicain à ses partisans lors d’une réunion publique à Des Moines, dans l’Iowa. « Si nous sommes attaqués, le Japon n’a rien à faire. Ils peuvent rester chez eux à regarder leurs télévisions Sony », a-t-il poursuivi. Donald Trump, dont l’un des slogans de campagne est « L’Amérique d’abord » (« America’s first »), entretient depuis plusieurs mois la menace d’une renégociation ou d’un abandon des accords de défense avec les alliés traditionnels de Washington. « Ils doivent payer, car nous sommes à une autre époque qu’il y a 40 ans », a insisté Donald Trump. Et il a déploré, comme technique de négociation, les déclarations de responsables comme Hillary Clinton et Barack Obama qui répètent que ces alliances sont sacrées. « Il faut toujours être prêt à claquer la porte. Je ne pense pas que ce sera nécessaire, mais on ne sait jamais ! » a menacé Donald Trump. « Il est possible que le Japon soit obligé de se défendre contre la Corée du Nord ».

Le risque est donc, si M. Trump applique sa politique déclaratoire, d’une remise en cause des alliances traditionnelles. On peut attendre donc le risque de la désintégration des alliances américaines et un renversement de l’élan généré par l’administration Obama à travers son « rééquilibrage » vers l’Asie. Le Japon et la Corée du Sud sont, après les prises de position du milliardaire new-yorkais, plus susceptibles de développer des armes nucléaires. Donald Trump estime que les alliés ne paient pas leur part pour les garanties de dissuasion étendue aux États-Unis.

La remise en cause de l’alliance avec les Etats-Unis pourrait donc avoir des conséquences graves. Elle pourrait accroître les tensions déjà aiguës dans la région en initiant une course aux armements régionale car le Japon serait fortement incité à accroître ses dépenses de défense. Elle peut perturber l’équilibre régional car si les Etats-Unis n’apportent plus leur capacité de dissuasion, c’est tout l’édifice sécuritaire qui est menacé. Et le statu quo peut être remis en cause. Si le Japon n’a plus le parapluie nucléaire américain, il peut être tenté de se doter d’armes nucléaires. Ce qui serait illusoire, car il ne pourrait protéger efficacement son territoire si exigu, et dangereux, car il menacerait la Chine qui, inquiète, pourrait être tentée de mener une politique encore plus agressive. Cela introduirait également la possibilité que la Corée du Nord – la principale source de menace dans la région – réagisse de façon imprévisible. Si, sans remettre en cause l’alliance, il s’agit d’accroître fortement l’effort de défense du Japon, cela risque de mettre en difficulté une économie nippone encore fragile.

Une remise en cause de l’alliance ou un rééquilibrage trop brutal peuvent donc avoir des effets potentiellement dévastateurs. Personne ne sait réellement qu’attendre de Donald Trump, ce qui est déstabilisant dans une région sous haute tension.

Aussi, le Japon a immédiatement réagi à l’élection de Donald Trump. Le pays a décidé d’envoyer un haut fonctionnaire, Katsuyuki Kawai, assistant politique du Premier ministre Shinzo Abe en charge de la diplomatie, à Washington, dès la semaine prochaine, pour essayer de rencontrer ceux qui seront responsables de la prochaine administration de la Maison Blanche.
Le secrétaire général du cabinet nippon, Yoshihide Suga, a déclaré : « Nous nous préparons pour pouvoir répondre à n’importe quelle situation, parce que notre position est que notre alliance avec les États-Unis reste la pierre angulaire de notre diplomatie ». Et surtout, le Premier ministre japonais Shinzo Abe va rencontrer Donald Trump la semaine prochaine, ont annoncé jeudi des responsables officiels après une conversation téléphonique entre les deux hommes au lendemain de la victoire du milliardaire à l’élection présidentielle. M. Abe et Trump ont échangé pendant une vingtaine de minutes. Le Premier ministre japonais rencontrera probablement le futur président américain le 17 novembre, juste avant sa venue au Pérou, pour le sommet du groupe de coopération économique en Asie-Pacifique (Apec), a déclaré à l’AFP une responsable du ministère japonais des Affaires étrangères. Au cours de l’entretien téléphonique, M. Abe « a parlé de l’importance de la relation bilatérale et de l’alliance américano-japonaise », a déclaré la responsable du ministère. Shinzo Abe a félicité mercredi Donald Trump pour son élection à la présidence des Etats-Unis qualifiant les deux pays d’« alliés inébranlables ».
En réponse, M. Trump a dit espérer renforcer la relation américano-japonaise, a affirmé la responsable et il a également dit, selon elle, apprécier la politique économique de M. Abe.

M. Trump mettrait-il déjà de « l’eau dans son vin » et atténuerait-il ses positions de campagne ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est donc pas dans l’intérêt du Japon et des Etats-Unis de remettre en cause une alliance multidécennale et de risquer des conflits en Asie orientale, dont les répercussions pèseraient sur l’économie américaine et la stabilité des Etats-Unis. L’isolationnisme américain n’a jamais été bon pour la paix internationale. A l’inverse, une implication des Etats-Unis dans les affaires mondiales a pu souvent jouer un rôle historique stabilisateur et pacificateur, à l’exemple de l’intervention dans les deux conflits mondiaux du XXe siècle.

On peut espérer que Donald Trump n’agira cependant pas comme il l’a fait pendant la campagne présidentielle où il est apparu totalement imprévisible, vindicatif et hostile au commerce international. Il est possible que sa prise de fonction le rende plus raisonnable et qu’il agisse donc différemment. C’est l’espoir que la fonction présidentielle rende l’homme plus rationnel. Cela dépendra aussi de l’équipe qui se constituera autour de lui, actuellement en cours de formation, dont on peut espérer qu’elle comportera des vieux routiers de la diplomatie et des affaires militaires, conscients des équilibres mondiaux et des risques de conflits.

L’équilibre asiatique et donc la sécurité mondiale sont en jeu.

L’élection de Donald Trump va-t-elle bouleverser l’ordre économique mondial ?

Thu, 10/11/2016 - 13:54

Dans quel contexte économique Donald Trump arrive-t-il à la Maison Blanche ? Son élection s’explique-t-elle aussi par les difficultés économiques dont souffrent les Américains ?

Donald Trump arrive paradoxalement dans un contexte économique plutôt bon aux Etats-Unis. Les Américains jouissent d’un quasi plein emploi avec un taux de chômage à 4,9%, tandis que leur croissance reste relativement stable et dynamique dans le contexte mondial actuel (2.1% en 2015 et probablement 1.8% en 2016). La plupart des analystes considèrent que la crise est passée et que l’économie américaine est plutôt dans une situation stabilisée. C’est d’ailleurs pour ces raisons que la réserve fédérale avait annoncé il y a quelques semaines une augmentation de ses taux directeurs en décembre. L’une des premières conséquences économiques de l’élection de Monsieur Trump risque d’être le maintien des taux. A suivre…
Par ailleurs, Barack Obama reste populaire. Début novembre 2016, l’Institut américain Gallup estimait sa popularité à 56% des personnes interrogées, un sommet de popularité pour lui (la seule fois où il fit mieux, c’était en octobre 2012, quelques mois avant sa réélection, il atteignait alors 57%) et un record pour un Président sortant. S’il avait pu se représenter, il aurait probablement été élu ! Ce vote n’est donc pas non plus un vote contestataire.
L’élection de Donald Trump ne s’explique pas directement par les difficultés économiques réelles des Américains. Certes, le nombre de pauvres a augmenté mais ces derniers ont plutôt voté démocrate. Le facteur clé pour comprendre l’élection de Donald Trump est probablement la montée des inégalités dans ce pays depuis 30 ans. En 2002, alors qu’il n’était encore que Professeur d’économie à Princeton, Ben Bernanke, l’ancien directeur de la réserve fédérale, avait fait déjà fait ce constat et expliquait combien ces inégalités remettaient directement en cause le modèle d’ascension sociale (le rêve américain en quelque sorte) de ce pays. Et avec cette élection, il semblerait que les Américains aient intégré cela au point de craindre un déclassement à venir. C’est ce qui s’exprime par la peur de « l’étranger », celui qui nous prend nos jobs, donc nos richesses, dans l’inconscient collectif… Or, alors que Barack Obama en avait fait sa priorité en 2012, il n’est pas parvenu à enrayer le phénomène de montée des inégalités.
Ce n’est donc pas une situation économique objective qui fait voter Donald Trump mais plus la peur du lendemain.

L’avènement d’un président qui prône le protectionnisme peut-il changer la nature des relations entre les Etats-Unis et ses partenaires commerciaux ?

Oui. Si Donald Trump tient ses promesses en matière économique, cela changera radicalement la donne pour les Etats-Unis et pour l’économie mondiale. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en effet, les Etats-Unis sont les maîtres du jeu dans le domaine économique. L’ouverture des économies qui a conduit à la mondialisation dans laquelle nous vivons aujourd’hui a été leur choix et leur volonté depuis cette période. Par ailleurs, l’économie américaine a toujours été le principal moteur de la croissance mondiale, un peu affaibli au moment de la crise de 2008 et dans les années qui suivirent mais jamais totalement remis en cause. Or, le protectionnisme annoncé par Trump change radicalement la donne. En matière d’ouverture économique d’une part ; par les menaces qu’il fait peser sur la croissance américaine donc mondiale d’autre part.
Le garde-fou de cette politique radicale sera probablement la rue américaine. La politique annoncée par Trump aura un effet prix assez immédiat : un droit de douane entraîne l’augmentation immédiate des prix à hauteur du pourcentage de celui-ci (Trump a annoncé 45% pour les produits chinois !) sauf à pouvoir substituer par des produits domestiques ou pour les détaillants à accepter de réduire leurs marges… Cela paraît difficile dans certains secteurs (vêtements et chaussures, jouets, électroniques etc.) où l’importation fournit presque toute la demande aux Etats-Unis.

Après le Brexit, l’élection de Donald Trump s’inscrit-elle dans un contexte de rejet de la mondialisation et du libre-échange ?

Oui. Si à la fin des années 1990, la contestation de la mondialisation, l’altermondialisme, représentait une minorité de personnes, politiquement relativement bien identifiées, le rejet de la mondialisation et du libre-échange est aujourd’hui massif et généralisé.
Comme dans le cas de l’élection de Monsieur Trump, ce rejet n’est pas le résultat objectif d’une situation macroéconomique. Le bilan économique de la mondialisation est plutôt bon sur le long terme : sur les 70 dernières années, le niveau de vie a augmenté partout dans le monde, jamais autant de pays et d’individus n’avaient accédé au développement économique, etc. Pour autant, tout est loin d’être parfait dans ce monde économique. Les externalités négatives (réchauffement climatique, montée des inégalités, conséquences politiques, géopolitiques et sociales, comportements de certains acteurs, etc.) ont trop peu été prises en compte alors qu’elles sont porteuses de risques majeurs pour l’avenir et que, dans ce contexte, elles génèrent des craintes légitimes des populations partout dans le monde : peur du déclassement, peur des catastrophes naturelles, peur des étrangers…

L’agriculture face aux enjeux climatiques

Thu, 10/11/2016 - 13:17

Philippe Pinta est président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB). Il répond à nos questions à l’occasion de son intervention au colloque international “Climat, agriculture et sécurité alimentaire” organisé le 3 novembre 2016 par l’IRIS et l’AGPB :
– Pourquoi était-il important de traiter du sujet agriculture et climat lors de ce colloque ?
Pour quelles raisons avoir mis en avant l’exemple marocain ?
– Quelles sont vos solutions pour l’agriculture française face au réchauffement climatique ?
– Comment réformer le secteur agricole, dont le blé, pour répondre au défi de la croissance démographique d’ici 2050 ?

États-Unis « Le programme économique de Trump sera catastophique. »

Thu, 10/11/2016 - 10:29

Cette élection, c’est une remise en question de la politique économique d’Obama ?

Je ne crois pas que ce soit une réaction à la politique économique de Barack Obama. Obama est probablement le président sortant le plus populaire. C’est un point important car la situation macroéconomique des États-Unis est plutôt bonne. 4,9 % de chômage, ce qui est très faible, presqu’un niveau historique. Ils ont, quasiment à tout point de vue, effacé les impacts de la crise financière de 2008. Le PIB se maintient. La croissance est certes peu élevée, entre 2 et 3 %, mais elle est plutôt bonne, vue la situation de crise.

Justement comment va le pays ?

Ce qui choque les Américains, ce sont les inégalités entre riches et pauvres. On ne peut pas accuser, ni les médias ni les politiques, de ne pas avoir pris la mesure de ces inégalités. Mais les politiques ne sont pas parvenus à les enrayer. Les 3 % les plus riches concentraient 30,5 % du revenu total en 2013 contre 27,2 % en 2010.
Donald Trump a été élu sur un programme économique qui se veut fort, rassurant. Il rassure beaucoup d’Américains face à des changements qui sont peut-être allés trop vite. Avant d’être perçu comme protectionniste, il est perçu comme protecteur.

S’il applique son programme c’est tout un nouveau monde qui va se dessiner…

Tout à fait. Il veut taxer à 45 % les produits importés de Chine. S’il applique ça, c’est sûr que les Chinois ne vont pas se laisser faire.
Des études ont chiffré les conséquences de ses propositions. Une étude du Peterson institute for international economics, basée à Washington, a évalué sa politique commerciale à 27 millions de chômeurs supplémentaires.
S’il fait ce qu’il a dit, ce sera dramatique. Tout ce que critique Trump, c’est ce qui a fait la force de la société américaine ces soixante-dix dernières années : le commerce international, l’ouverture, la mondialisation. Les États-Unis se sont enrichis sur cette ouverture. Aucun autre pays, à part peut-être la Chine ces dernières années, l’a rattrapé. Dans un monde toujours plus riche, les États-Unis le sont toujours plus aussi.
Avec le ralentissement récent des économies émergentes, en partie des Brics, les États-Unis ont repris leur place de moteur de croissance mondiale. Si le marché américain se ferme et que la situation se dégrade, cela pèsera sur l’ensemble de la planète.

Est-ce que son programme est réalisable ?

C’est possible si, comme Donald Trump l’a souhaité, les États-Unis sortent de l’Organisation mondiale du commerce. Ses promesses dérogent aux engagements internationaux de facilitation des échanges commerciaux. Donald Trump est capable d’aller jusqu’au bout et de dire « ce n’est pas grave, on est les plus fort, on va sortir de tout ça. » Même si cette sortie prendra du temps, ça ne l’empêchera pas d’appliquer ses mesures.
Ce qui va freiner la mise en œuvre de son programme économique, ce sont les conséquences même des mesures qu’il propose et qui ne tarderaient pas à se produire.

C’est-à-dire ?

La majorité des vêtements qui sont vendus aux États-Unis viennent de Chine. Si vous imposez des droits de douane de 45 %, ça veut dire que ces produits valent 45 % plus cher. Vous croyez que les Américains vont accepter ça ? La contestation viendra de la rue car l’augmentation des prix va être immédiate. À ce moment-là, il sera obligé de changer de cap.
Tout le monde critique le libre-échange aujourd’hui. Mais est-ce que les gens ont réfléchi aux conséquences que cela a eues sur leur vie quotidienne ? Pouvoir se payer un écran plat pour deux francs six sous et toujours moins cher, payer des vêtements peu chers. C’est ça le libre-échange.
Il dit qu’il va baisser les impôts. Très bien. Mais augmenter les droits de douane, c’est augmenter fortement les impôts pour tous les Américains.

Quid de sa proposition de taxer les entreprises qui délocalisent ?

Si Donald Trump rapatrie ces emplois, on ne les payera pas le même tarif. Donc on augmente encore une fois les prix aux États-Unis. Cela va satisfaire à court terme une partie des électeurs de Trump mais pour fabriquer des produits beaucoup plus cher et finalement recréer du chômage. Les Américains n’auront pas les moyens d’acheter autant qu’aujourd’hui.
S’il espère que les entreprises vont relocaliser aux États-Unis, il se fait des illusions. S’il met en place des incitations fiscales, les entreprises ne créeront pas ces emplois-là. Ils seront remplacés par des machines.

Est-ce qu’il va être soutenu par les élus Républicains du Congrès, en majorité favorables au libre-échange ?

C’est probable que oui dans un premier temps, puisqu’il vient d’être élu. Mais le Congrès américain est un véritable contre-pouvoir. Ils pourraient atténuer la politique annoncée par Donald Trump. Tout Républicains qu’ils soient, il y a une vraie séparation des pouvoirs aux États-Unis, contrairement à la France. Le Congrès, institution chargée de voter les lois, est réellement indépendant du pouvoir exécutif. Il n’est pas rare qu’un représentant vote dans une direction inverse de celle son parti.
Il y a aussi une énorme incertitude sur sa politique. Rien ne dit, après un affichage très virulent, volontariste, qu’il ne se tourne vers plus de modération.

Est-ce que l’Union Européenne doit s’inquiéter ?

Oui au niveau de la croissance économique. Les États-Unis restent le moteur de la croissance mondiale. Ce n’est pas le moment pour nous d’avoir un marché américain fermé. Mais des retombées peuvent être positives. Si Donald Trump renonce à l’Alena – l’accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique – et se froisse avec le Canada, on peut imaginer que cela renforce réellement nos relations avec ce pays.
Un certain nombre d’hommes d’affaires américains qui ne voudraient pas travailler sous Trump, qui se sentiraient pénalisés par sa politique, pourraient se repositionner en Europe. L’option la plus simple pour eux, car les liens entre UE et États-Unis sont forts. L’UE est le premier partenaire commercial et financier des États-Unis.

Trump, 45e président des Etats-Unis : le début d’une nouvelle ère ?

Wed, 09/11/2016 - 15:23

Comment analysez-vous la victoire de Donald Trump quand de nombreux observateurs estimaient que les jeux étaient faits en faveur d’Hillary Clinton ? Quelle Amérique illustre cette victoire ?

Les observateurs qui considéraient que les jeux étaient faits ont mal observé. Les jeux n’ont jamais été faits. Je n’ai cessé de répéter, depuis janvier, qu’il fallait prendre Donald Trump au sérieux. Le Républicain incarne à lui seul trois phénomènes. Le populisme, tout d’abord, celui que nous voyons partout en Occident, voire ailleurs. L’aspect Far West ou jacksonien qui correspond au caractère combattif de l’Américain, où les problèmes se résolvent par la confrontation. De nombreux Américains s’identifient à ce caractère de Donald Trump qui lui permet, aux Etats-Unis, d’être parfaitement reconnaissable, alors qu’en Europe, le Républicain est loin de représenter l’Américain tel que se le figure l’imaginaire collectif. Troisième phénomène : le réveil américain. Après des décennies, les Américains réalisent que le pouvoir d’achat du foyer moyen n’a pas avancé depuis 40 ans et que la crise financière de 2008 a eu des effets néfastes sur le pays. Barack Obama les a bercés pendant huit ans ; aujourd’hui, le moment est venu pour les Américains de s’ériger contre les élites qui les ont mis dans cette difficulté.

Le 8 novembre marque une double voire une triple défaite des démocrates qui ne sont pas parvenus à récupérer le Sénat et à la Chambre des représentants. Cette gifle est-elle à mettre au crédit de l’impopularité d’Hillary Clinton, de Barack Obama ou du Parti démocrate dans sa globalité ?

Cette défaite est aussi bien celle d’Hillary Clinton, de Barack Obama que du Parti démocrate. Cela fait une génération que les démocrates, tout comme la gauche en Occident, ne sont pas en mesure de produire des idées neuves. Après huit ans de présidence de Barack Obama, le Parti démocrate est considéré comme un parti qui est resté trop longtemps au pouvoir. Quant à Hillary Clinton, elle est présente dans les médias depuis plus de trente ans, ce qui suscite une sorte de rejet chez une partie de l’opinion.

Avec deux chambres acquises aux Républicains, que doivent attendre les Américains de la politique de leur nouveau président ?

Ce qu’il a promis ! Le propre de la politique, surtout aux Etats-Unis, est de promettre une chose, et une fois arrivé au pouvoir, d’en faire une autre. Aux Etats-Unis, les présidents américains ont souvent tenu des discours du type : « Le Congrès m’empêche de tenir mes promesses ».
Aujourd’hui, Donald Trump peut revendiquer avoir obtenu un mandat clair de la part du peuple américain car il a remporté la Pennsylvanie et bien plus de voix que nécessaire. En gardant la Chambre des représentants et le Sénat, Donald Trump a la possibilité de mettre en œuvre son programme, situation assez exceptionnelle pour un président américain. Et Donald Trump, compte tenu de son discours, doit impérativement l’appliquer. Cela signifie qu’il va peut-être essayer de mettre en place ses promesses les plus radicales, comme la construction d’un mur à la frontière mexicaine ou une baisse drastique des impôts.

« Make America great again » était le principal slogan de Donald Trump durant la campagne. Selon-vous, comment se dessineront les futures relations des Etats-Unis avec le monde ?

Donald Trump n’a aucune expérience en politique étrangère. Dans ce domaine, on peut s’attendre à une cohérence inversée. C’est-à-dire que les réponses de Donald Trump sur les grandes questions manquent de logique. Sa seule cohérence sera celle de la défense des intérêts des Américains. Donald Trump a été le premier à dire que le pays va mal. Par le slogan « Make America great again », il entend remédier à ce problème et rétablir la grandeur des Etats-Unis.
Barack Obama laisse au nouveau président trois grands vides stratégiques : les relations avec la Russie, notamment sur l’Ukraine ; le Moyen-Orient au sens large, incluant la Turquie, l’Iran ainsi que l’Arabie Saoudite ; et le pivot vers l’Asie qui n’a pas fonctionné. Si Donald Trump sera contraint de traiter ces sujets un à un, je n’ai pas l’impression qu’il ait une stratégie globale et cohérente.
L’ère des Etats-Unis omniprésents sur la scène internationale est révolue.

Maroc : agriculture et enjeux liés au changement climatique

Mon, 07/11/2016 - 16:56

Mohammed Sadiki est secrétaire général du ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime du Maroc, co-auteur de « Agriculture et climat : du blé par tous les temps » (IRIS Editions / MaxMilo). Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation au colloque international “Climat, agriculture et sécurité alimentaire” organisé le 3 novembre par l’IRIS et l’AGPB :
– Comment se positionne l’agriculture marocaine au niveau régional et international ?
– En quoi consiste le Plan Maroc vert ? Quelle est la place de l’agriculture au niveau national ?
– Plus globalement, la pénurie d’eau qui frappera l’Afrique du Nord et le Proche-Orient d’ici 2025 peut-elle engendrer des tensions d’ordre géopolitique dans la région ?

Stratégie du pivot : clap de fin ?

Mon, 07/11/2016 - 12:06

Après les Philippines, c’est au tour de la Malaisie d’opérer un rapprochement spectaculaire avec la Chine. Le Premier ministre malaisien, Najib Razak, a annoncé cette semaine depuis Pékin, où il était en visite officielle, l’établissement de liens militaires plus étroits avec la Chine. Il avait été précédé de quelques jours par Rodrigo Duterte, le tonitruant président philippin, lui aussi invité en Chine, et lui aussi visiblement ravi d’annoncer une série d’accords avec un pays avec lequel les relations furent pourtant très tendues ces dernières années.

Ce ballet diplomatique en Chine est surtout un coup très dur porté à la stratégie du pivot vers l’Asie portée par l’administration Obama depuis le début de la décennie, avec pour ambition annoncée de replacer les Etats-Unis au centre de l’échiquier asiatique. Les deux facettes de cette stratégie sont l’économie (avec notamment la signature du Partenariat transpacifique, ou TPP) et le politico-stratégique (avec la réaffirmation de partenariats existants et la recherche de nouveaux alliés). Si le TPP attend encore une ratification du Sénat américain, il se heurte surtout au fait que seuls cinq Etats asiatiques (Japon, Brunei, Singapour, Malaisie et Vietnam) l’ont signé, ce qui a pour effet de limiter très sensiblement sa portée, là où l’objectif à peine masqué était d’unir tous les pays de la région et d’exclure la Chine (ce qui explique d’ailleurs sans doute son semi-échec). A cela s’ajoutent les avancées chinoises en parallèle, notamment la montée en puissance des investissements en Asie du Sud-est. En clair, le TPP a le mérite d’avoir été signé en 2015, mais il reste un accord au rabais, et qui pourrait ne jamais décoller. Au niveau stratégique, si les Etats-Unis ont réaffirmé le partenariat avec des alliés traditionnels comme le Japon, la Corée du Sud ou l’Australie, c’est du côté du Vietnam et des Philippines que de nouveaux dialogues sont à mettre au crédit de l’administration Obama. Mais le revirement spectaculaire de Manille depuis l’arrivée au pouvoir de Duterte, qui a déclaré souhaiter tourner le dos à Washington, est un coup de poignard dans le dos de la diplomatie américaine, et d’un pivot stratégique qui perd l’un de ses principaux soutiens.

La campagne présidentielle affligeante, qui se termine enfin, n’a fait qu’affaiblir un peu plus la place de Washington en Asie, et les perspectives ne sont pas positives. Barack Obama, qui a passé une partie de son enfance à Jakarta, est resté populaire dans la région, et son capital sympathie a sans doute permis d’entretenir l’espoir d’un repositionnement américain dans une région de plus en plus marquée par la montée en puissance chinoise. Mais ni Hillary Clinton, ni Donald Trump, ne bénéficient de la même image positive. S’ajoute à cela une absence de vision de la part des deux candidats sur l’avenir de la stratégie du pivot, à laquelle Trump ne semble pas s’intéresser sinon pour dénoncer le TPP, et que revendique Hillary Clinton, mais sans pour autant en avoir fait l’un des axes de sa campagne sur les dossiers de politique étrangère. D’ailleurs, n’est-il pas étonnant qu’aucun des deux candidats n’aient proposé de politique asiatique, préférant porter leurs discussions en matière de politique étrangère sur le nœud syrien et une anachronique obsession russe ? Jamais, depuis les années Bush et les débats sur la guerre en Irak, une campagne présidentielle américaine a à ce point ignoré les enjeux politiques, économiques et militaires en Asie. A l’image de cette campagne dans son ensemble : creux, vide de sens, et surtout inquiétant pour l’avenir.

Ces errements, associés à la réalité d’un basculement progressif, certes relatif mais réel, des « alliés » de Washington au profit de Pékin, peuvent-ils signifier la fin de la stratégie du pivot, qui restera ainsi un acte manqué de l’administration Obama ? Ce n’est pas à exclure. Car la marge de manœuvre est aujourd’hui beaucoup plus réduite qu’elle ne l’était en 2009, quand Obama prit ses fonctions et nomma Hillary Clinton au département d’Etat. Cette dernière avait alors choisi l’Asie comme destination de sa première tournée comme chef de la diplomatie américaine (une première dans l’histoire du pays). Si les Etats-Unis ont cherché à avancer en Asie, avec des succès, comme nous l’avons vu, mitigés, Pékin a considérablement renforcé sa présence et sa puissance. Les signes sont nombreux. Deuxième PIB mondial depuis 2010, la Chine a mis sur pied les contours d’une zone de libre-échange avec l’Asean, créé la Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures (AIIB, 2015), et multiplié les projets économiques et commerciaux dans son voisinage, y compris avec son ennemi de toujours, Taiwan. Dans le même temps, la puissance militaire, maritime surtout, de la Chine a considérablement augmenté, au point de devenir un potentiel concurrent aux forces américaines dans la région. Enfin, les ambitions chinoises, caractérisées par la ligne des neuf (désormais dix) points et les revendications territoriales et maritimes en mer de Chine orientale et méridionale, marquent une rupture avec une posture traditionnellement plus discrète. En huit ans, la Chine est passée d’un statut de puissance asiatique en devenir à celui de puissance assumée. Pékin a également profité, de manière habile, d’une certaine vacance du pouvoir américain en période électorale (Barack Obama lui-même étant visiblement actuellement plus impliqué dans le soutien à la campagne d’Hillary Clinton que dans la politique étrangère de son pays), pour avancer ses pions. La stratégie du pivot avait comme objectif à peine masqué d’endiguer la montée en puissance chinoise. C’est donc un échec, et si elle doit se réinventer, cette stratégie devra surtout s’adapter à une donne qui n’a pas évolué en faveur de Washington. Les postures des Philippines et de la Malaisie n’en sont qu’un indicateur, la dérive autoritaire de la Thaïlande, les quatre essais nucléaires nord-coréens depuis 2009 et les déboires de la Corée du Sud d’autres. Ils sont surtout la promesse de jours difficiles pour la diplomatie américaine face à un pays qui deviendra sans doute officiellement première puissance économique mondiale tandis que le 45ème président des Etats-Unis occupera la Maison-Blanche.

CETA : les Wallons ont-ils changé la donne ?

Mon, 07/11/2016 - 11:29

Jusque-là réfractaire à la ratification du CETA, la Wallonie a trouvé un accord avec le gouvernement fédéral. La Belgique l’a donc finalement ratifié. Comment interpréter ce retournement de situation ? Quel impact pour le reste de l’UE ?

Le positionnement des Wallons sur le CETA peut être interprété de deux manières : il s’inscrit tout d’abord dans les craintes habituelles que suscitent les traités de libre-échange aux élus de gauche puisque c’est le cas du gouvernement wallon. En effet, même si ces derniers reconnaissent, pour la plupart, l’existence d’aspects positifs liés aux accords de libre-échange, ils en dénoncent aussi leurs conséquences et externalités négatives telles que la montée des inégalités, signe d’une mauvaise redistribution des richesses ou encore les conséquences du libre-échange sur l’environnement. En ce sens, la position des Wallons était relativement cohérente. Par ailleurs, ce blocage s’inscrit aussi dans la crise politique que traverse la Belgique depuis plusieurs années et il a aussi été un moyen pour la région d’affirmer son poids aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.
On peut dès lors se demander pourquoi les Wallons ont finalement ratifié le traité. Je pense que l’Etat fédéral belge a bien compris le risque de la non-ratification du CETA. Ses dirigeants ont donc entrepris des négociations avec leurs homologues wallons durant lesquelles ils ont été en mesure de les rassurer sur l’existence de garanties autour des tribunaux d’arbitrage et autres sujets qui fâchent. Est-ce qu’au fond les Wallons voulaient vraiment bloquer la signature de ce traité ou plutôt alerter sur certains risques afin qu’ils soient mieux pris en compte ?
Pour l’Union européenne, l’accord a finalement été signé mais les réticences wallonnes ainsi que la sensation d’urgence et de « péril imminent » qu’ont suscité les réactions des dirigeants européens face à ces réticences n’ont sans doute pas contribué à améliorer l’image de l’UE, et encore moins l’idée que les citoyens se font de ces traités de libre-échange.
On le verra à son application, mais dans le texte, le traité apparaît plutôt favorable à l’Union européenne. Ainsi, en termes de normes, les Européens ont obtenu des garanties sur les appellations d’origine contrôlée. Malgré cela et malgré ce qu’en disent les grands leaders politiques européens, ce traité reste un grand classique en la matière. Il n’est pas radicalement différent d’autres accords de libre-échange et, de ce point de vue, difficilement considérable comme « moderne et progressif ». Quid des normes sociales et environnementales ? Quid de l’encadrement des activités et de la fiscalité des grandes entreprises multinationales ? Ce sont pourtant, aujourd’hui, des questions, certes complexes, mais essentielles pour l’avenir de la mondialisation ainsi que pour celui des citoyens/consommateurs européens, canadiens et même au-delà d’ailleurs. Les Wallons ont eu raison de le souligner. Ces questions ne sont, en effet, presque pas évoquées dans les accords si ce n’est sur la question des appellations. Sans ces évolutions et la prise en compte de ce que l’on appelle techniquement les « externalités » de la mondialisation, cette dernière est décriée, donc menacée. Le sujet est central aujourd’hui !

La mise en place de tribunaux d’arbitrage prévue dans l’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada constitue l’élément le plus controversé. Ce genre d’instance existe-t-il déjà dans d’autres accords ? Comment les tribunaux fonctionneraient-ils ? Représentent-ils un danger pour les citoyens européens ?

Si l’Union européenne a obtenu, voire imposé, ses normes au sujet des appellations d’origine contrôlée, la question des juridictions arbitrales fait encore couler beaucoup d’encre.
Sur le fond, ce genre de juridiction est légitime. On sait combien les Etats sont souvent enclins à défendre les intérêts économiques et financiers de leurs entreprises au détriment des autres. On sait aussi combien cela est peu équitable dans une économie mondiale où les pays ont des moyens d’action et d’influence très différents. En gros, les Etats-Unis peuvent tout se permettre et imposer toutes les règles qu’ils veulent, bien au-delà du principe de l’extraterritorialité de leur loi, alors que de petits pays sont plus limités.
Par ailleurs, ce genre de tribunal existe depuis longtemps et figure dans de nombreux accords commerciaux. Ces tribunaux peuvent être saisis par une entreprise s’estimant discriminée par les pratiques d’un Etat par rapport à la législation en vigueur dans cet Etat. Si les règles ne sont pas respectées, le tribunal demandera à l’Etat de revenir sur sa décision initiale. Néanmoins, les tribunaux ne peuvent imposer, a priori, aucune législation aux Etats et cela doit être maintenu. La souveraineté nationale est quelque chose qui reste fondamentale dans un monde où la gouvernance mondiale reste un concept ! A titre d’exemple, Philippe Morris avait récemment demandé un arbitrage privé contre la législation australienne sur les paquets de tabac neutres. L’entreprise américaine a finalement perdu son procès, le tribunal donnant raison au gouvernement australien dans sa démarche de lutte contre le tabagisme.
Dans tous ces tribunaux, c’est le cas du CETA, les juges seraient pour un tiers nommés par les Etats, un autre tiers les entreprises, et le dernier tiers de manière indépendante. Qu’est-ce que cela signifie ? Le CETA reste assez flou sur la réponse à cette question et c’est l’objet central du débat : s’ils devraient être nommés par les Etats, seront-ils réellement indépendants ?
Plus globalement, ces tribunaux posent la question du rôle des Etats dans la mondialisation. Comment libéraliser tout en régulant ? Car le libre-échange ne fonctionne jamais aussi bien que lorsqu’il est régulé. Une autre question s’impose autour de la manière dont seront désignés les juges indépendants : doit-on laisser ce choix à l’Etat ou aux entreprises ? Dans les deux cas, il sera difficile d’éviter les conflits d’intérêts.

D’autres accords commerciaux sont-ils actuellement négociés par l’UE ?

Le traité le plus médiatisé est le TTIP dont les négociations se révèlent très compliquées. Plus généralement, la Commission européenne négocie avec nombre de partenaires afin d’asseoir ses échanges avec ceux-ci. La nouvelle stratégie pour le commerce proposée en 2016 affiche la volonté de développer ce type de coopération avec un certain nombre de pays d’Asie et d’Océanie : l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont notamment cités, tout comme des pays de l’Asean, tels que les Philippines ou l’Indonésie. Des partenariats pourraient être proposés aux pays africains et une amélioration des accords en cours pourrait être envisagée dans le cas de la Turquie ou du Mexique. L’enjeu est important, le commerce de l’UE avec le reste du monde génère plus de 30 millions d’emplois en Europe.

« Nos très chers émirs » – 3 questions à Christian Chesnot

Mon, 07/11/2016 - 11:16

Christian Chesnot est grand reporter à France Inter, spécialiste du Moyen-Orient. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage aux Éditions Michel Lafon : Nos très chers émirs : sont-ils vraiment nos amis ? co-écrit avec Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro.

Les cas de corruption que vous évoquez sont-ils une spécialité française ou des États du Golfe ?

Ce n’est pas une spécialité française. En fait, le Qatar, et plus généralement les autres pays du Golfe, comme l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis, s’intéressent de très près à trois pays occidentaux : les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Pourquoi ? Parce que ces trois pays, tous membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, sont les garants de leur sécurité. Washington, Londres et Paris ont tous signé des accords de défense avec les pétromonarchies et sont leurs principaux fournisseurs d’armements. Bref, les pays du Golfe dépendent entièrement d’eux pour leur sécurité. D’où la tentation de nouer des liens très proches avec les hommes et femmes politiques des pays occidentaux. Si certains élus ont été « arrosés » par le Qatar, essentiellement pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007 à 2012), nous révélons dans notre livre que le Qatar a également financé la campagne des travaillistes et conservateurs anglais en 2015. Aux États-Unis, le vice-prince héritier, Mohamed Bin Salmane, s’est vanté d’avoir participé à hauteur de 20% au financement de la campagne d’Hillary Clinton.

Comment distinguer les stratégies classiques de diplomatie d’influence d’une politique active de corruption ?

Les pays du Golfe, en particulier le Qatar et les Émirats arabes unis, ont développé une véritable stratégie de soft power, dont les principaux vecteurs sont l’éducation, la culture et le sport. Ce sont des États jeunes – leur indépendance datent du début des années 70 – donc ayant tendance à investir doublement dans ces domaines universels et apolitiques. Grâce à leurs immenses capacités financières, ils peuvent se permettre d’acheter tout ou presque : les tableaux les plus chers au monde ou des clubs de football prestigieux, comme le PSG ou Manchester City. Sur ce point, ils ne sont pas critiquables. Après tout, dans le village global actuel, leur argent ne provient pas de la drogue ! Pour autant, leur argent achète parfois les hommes, dans une forme de clientélisme. Et quand il y a un problème ou un obstacle, nous confiait un financier qui travaille dans les pays du Golfe, ils ont un réflexe qu’ils résument en une phrase : « Buy them ! » (Achetez-les !). Résultat : il y a eu des dérives dans notre classe politique, qui a parfois eu du mal à résister aux sirènes financières du Golfe. Mais sur ce point, les torts sont partagés : les Occidentaux ont tendance encore à considérer les émirs du Golfe comme des bédouins rustres et mal éduqués à qui il faut soutirer le maximum de pétrodollars, tandis que de leur côté, ils nous perçoivent comme des gens facilement achetables, via la diplomatie du carnet de chèque et de la Rolex.

Quelles seraient les bases d’une relation saine entre la France et les États du Golfe ?

Dans notre esprit, il ne s’agit pas de rompre nos relations avec les pays du Golfe, qui sont anciennes et bénéfiques pour la France. Ceci dit, nos rapports avec ces pays ont besoin d’être assainis et clarifiés pour éviter les malentendus et incompréhensions. Leur agenda diplomatique ou religieux n’est pas forcément le nôtre. Il y a aussi un besoin de transparence en matière de prosélytisme religieux au moment où le président François Hollande estime qu’il existe un problème avec l’islam. Par ailleurs, la région a connu un « big bang » avec la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, le 14 juillet 2015 à Vienne. C’est un fait majeur qui rebat les cartes au Moyen-Orient. Certes la France n’a pas à arbitrer les tensions entre chiites et sunnites, mais un alignement trop systématique sur les positions des monarchies du Golfe peut devenir contreproductif. On le voit dans le dossier du Yémen, aujourd’hui dans l’impasse, mais aussi dans la tragédie syrienne où la France a longtemps fermé les yeux sur le soutien tous azimuts de ces pays en faveur des rebelles, y compris les plus extrémistes comme le Front Al-Nosra, filiale locale d’Al-Qaïda. Les émirs ont une large responsabilité – partagée avec la Turquie d’ailleurs – dans la « jihadisation » de l’insurrection contre le régime de Bachar Al-Assad.

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