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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 2 days ago

« Comprendre l’islam politique » – 3 questions à François Burgat

Mon, 12/12/2016 - 11:53

François Burgat, politologue, est directeur de recherche au CNRS. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage Comprendre l’islam politique : une trajectoire de recherche sur l’altérité islamique, 1973-2016 aux Éditions La Découverte.

En quoi vous éloignez-vous de l’interprétation de l’islam politique que font, dans un genre différent, Gilles Kepel et Olivier Roy ?

Gilles Kepel et Olivier Roy accordent leur caution universitaire à deux grandes approches du phénomène djihadiste. La première, de très loin la plus répandue parce que très proche du sens commun, est celle de Kepel. Elle considère les djihadistes comme des “fous de Dieu”, c’est-à-dire des individus pervertis par une doctrine religieuse radicale, clivante, qui les place irrésistiblement sur la pente du terrorisme : le salafisme, qui viendrait briser le beau rêve du pacte républicain français. La seconde, que porte Olivier Roy, revient en quelque sorte à faire des djihadistes des “fous “ tout court, c’est-à-dire des individus atteints d’une pathologie psycho-sociale “nihiliste”. Cette approche s’oppose à celle de Kepel en ce qu’elle réfute la centralité de la variable religieuse, prenant notamment appui sur la fragilité de la culture et de la pratique religieuses des révoltés, réputés étrangers aux préoccupations de leurs coreligionnaires. Mais ces deux interprétations ont en commun de nier ou « euphémiser » la part de responsabilité des “interlocuteurs” non musulmans (ou, s’agissant des leaders autocrates, musulmans) des djihadistes. Ce faisant, elles évacuent une causalité qui, à mes yeux, est absolument décisive : la persistance des multiples manifestations des rapports de domination Nord-Sud et les failles béantes qu’elles nourrissent, aussi bien à l’échelle internationale que française, dans notre “vivre ensemble”.

Roy disqualifie très explicitement cette hypothèse en la qualifiant de “vieille antienne tiers-mondiste”.  Pour reprendre ses termes, il ne saurait ainsi être question de corréler l’origine du phénomène djihadiste avec « la souffrance postcoloniale, l’identification des jeunes à la cause palestinienne, leur rejet des interventions occidentales au Moyen-Orient et leur exclusion d’une France raciste et islamophobe”. Si l’intention (exonérer la majorité des musulmans de toute relation avec la violence djihadiste) est fort noble, le prix analytique à payer est à mon sens terriblement élevé : cela n’aboutit qu’à extraire la dynamique djihadiste de toute détermination sociale et politique.

Avec G. Kepel et le sens commun mon désaccord est encore plus profond. Alors qu’il pense que c’est le salafisme qui brise le pacte républicain, j’ai pour ma part, sans nier la dimension clivante de cette interprétation de la foi musulmane,  l’intime conviction que la causalité est inverse : c’est notre façon très égoïste et très unilatérale de mettre en œuvre ce pacte républicain, le plafond de verre auquel se heurtent les musulmans dans l’ascenseur social et, tout autant,  les grossières manipulations de leur représentation qui .. »fabriquent » des salafistes !  Or Kepel, non seulement évacue ces causalités, mais il criminalise ceux qui les prennent en compte ! Chez les musulmans qui les revendiquent, il dénonce avec ironie un inacceptable “penchant à adopter une posture victimaire”. Et c’est à tous ceux qui tentent de corriger en les dénonçant les dérives islamophobes de nos élites qu’il entend paradoxalement faire porter la responsabilité de la fracture républicaine.  Kepel se focalise en fait sur l’étude pointilleuse des modalités de la violence djihadiste :  la généalogie de ses médiateurs humains, de ses vecteurs idéologiques ou technologiques. Mais cette volonté de tout savoir sur le « comment » de cette violence cache à mes yeux une propension à ne rien vouloir entendre de son « pourquoi ». Or c’est sur ce « pourquoi » que je m’efforce d’attirer l’attention des analystes et des politiques.

Pourquoi estimez-vous que la dimension stratégique de l’islam politique soit occultée au profit d’un aspect culturaliste ?

Quiconque qui, dans une situation de domination, est confronté à une forme de révolte a tendance à préférer les explications qui l’exonèrent de sa responsabilité. Et le fait de penser la violence djihadiste comme un des penchants propres à l’Autre, inhérent à sa culture ou spécifique à sa pratique religieuse, offre bien cet avantage ! Cela nous permet par exemple d’occulter une donnée aussi essentielle que celle-ci : nous n’avons subi aucun attentat en France avant de déclarer unilatéralement la guerre à Daech en Irak puis en Syrie ! À l’inverse, une lecture plus politique permet de réintroduire une variable incontournable : pour se révolter, se radicaliser, il faut être deux ! Et le rôle du “second” ne saurait être purement escamoté – comme c’est le cas quand on limite la recherche des causalités à la seule personnalité de l’agresseur.

Comment expliquer ces « difficultés françaises à gérer rationnellement l’altérité islamique » ? 

J’identifie deux catégories de spécificités françaises dans ce domaine. D’abord, la violence de notre passé colonial n’a jamais été assumée. Après la formule de Nicolas Sarkozy en 2007 (“le rêve de civilisation”), celle de François Fillon en 2016 (“le partage des cultures”) le souligne à l’évidence ! C’est ensuite l’actuel dévoiement très nationaliste de la laïcité à la française qui contribue à construire le curieux cocktail hexagonal de notre relation à l’Autre musulman : sa présence dans le tissu national est prise entre l’enclume de l’islamophobie droitière, qui conteste la concurrence d’un dogme qui n’est pas celui de notre mémoire collective, et le marteau de l’islamophobie “de gauche”, qui dénonce, fût-ce de façon très sélective, l’illégitimité de la présence de la religiosité dans l’espace public.

Derrière ces deux crispations très françaises, il y a le fait que nos élites intellectuelles et politiques ont été jusqu’à nos jours enivrées par la fugitive centralité de nos « Lumières », érigées en modèle intangible et rigide d’universalité. Peut-il être « des nôtres », celui qui « ne critique pas sa religion comme nous autres » ? Nos élites sont incapables de faire un pas de côté pour observer l’histoire du point de vue des sociétés dominées et de concevoir que la référence religieuse puisse y jouer en 2016 un rôle très différent de celui qu’elle a joué chez nous au XVIIIe et au XIXe siècle. Dans une France en lutte contre l’absolutisme politico-religieux de la monarchie, la référence religieuse jouait clairement dans le camp du refus de la modernité politique. Mais dans les sociétés musulmanes aujourd’hui, elle joue un rôle substantiellement différent : dans une démarche de mise à distance de la domination que le monde occidental continue de faire peser sur elles, elle a valeur de référent identitaire. Elle est le support d’une affirmation culturelle qui prolonge et complète les volets politique et économique de la décolonisation. C’est cela que nos élites peinent à admettre : que l’histoire de la planète ne s’écrit pas, partout et toujours, avec le seul lexique de “notre” vieille révolution.

Lutte anti-corruption : où en est la France ?

Fri, 09/12/2016 - 14:45

Eric Alt est magistrat et vice-président de l’association ANTICOR. Il a répondu à nos questions à l’occasion de la conférence  » Le dispositif anti-corruption français est-il adapté au secteur sportif ?  » organisée par l’IRIS le 8 novembre 2016 :
– Comment se positionne la France en matière de lutte contre la corruption ?
– La loi « Sapin II » votée en novembre va-t-elle améliorer la lutte contre la corruption ?
– A quelques jours du procès en appel d’Antoine Deltour, comment sont protégés les lanceurs d’alerte en France et en Europe ? La loi « Sapin II » modifiera-t-elle la donne ?

L’empire du Milieu contre-attaque : la Chine à l’assaut de la domination de la Nasa sur l’espace

Wed, 07/12/2016 - 13:15

La Chine souhaite devenir la première puissance mondiale en termes de technologie spatiale. Pour ce faire, elle est prête a débloquer des moyens techniques et financiers colossaux.

La Chine a mis au point un plan sur 5 ans visant à faire des découvertes en sciences fondamentales et être à la pointe dans la technologie spatiale. Une douzaine de chercheurs souhaiteraient que le gouvernement chinois débloque davantage d’argent et que les investissements dans la technologie spatiale passent de 695 millions de dollars entre 2011 et 2015 à 2,3 milliards de dollars à l’horizon 2026-2030. Enfin, la Chine compte se doter de sa propre station spatiale. Peut-elle réussir à rattraper les Etats-Unis et la Russie dans le domaine spatial ?

« La Chine veut la Lune ».

Tel était le titre du livre[1] écrit en 2007 par Philippe Coué, spécialiste français des programmes spatiaux chinois. Il annonçait l’exploration de notre satellite par « des explorateurs automatiques » qui prépareraient « l’arrivée des taïkonautes sur la Lune dans les années 2020 ». Presque 10 ans plus tard, un premier robot chinois s’est déjà posé sur la Lune (en 2013) et les ambitions chinoises restent les mêmes.

Dans le domaine spatial ce plan de 5 ans est l’un des volets du très vaste XIIIème plan quinquennal (2016-2020), dans une société et une économie qui demeurent rythmées par ce système de planification hérité de l’Union soviétique et jamais abandonné. La volonté de progresser de manière continue et cohérente est manifeste, pour devenir une grande puissance spatiale et, surtout, pour développer et mettre au point des technologies capables de se comparer à ce qui se fait de mieux dans le monde. Le tir réussi d’un nouveau lanceur, une Longue Marche 7, en juin 2016, inaugure ce nouveau plan de manière assez frappante. En effet, la LM 7 est la première d’une nouvelle génération de lanceurs qui permettra de remplacer ceux de la génération précédente, aujourd’hui très dépassés et qui utilisent des ergols particulièrement polluants. Les grands objectifs de la politique de Pékin sont annoncés depuis quelques années déjà par l’agence spatiale chinoise : amélioration de la compétitivité dans le domaine scientifique, mise en œuvre d’une station orbitale, envoi d’hommes sur la Lune, puis établissement d’une base lunaire habitée et enfin, envoi d’une mission habitée vers la planète Mars. Le plan quinquennal actuel est axé sur les deux premiers de ces objectifs. Il est certain que les moyens actuellement alloués demeurent insuffisants, d’autant plus que les coopérations avec les Etats-Unis et la Russie demeurent très limitées et que les développements entièrement indépendants coûtent cher. Le budget de l’ensemble du secteur spatial en Chine est très difficile à évaluer, tant est grande l’imbrication entre différents secteurs et complexe l’organisation. Il était estimé par l’OCDE à 7 milliards de dollars par an en 2014, loin derrière les Etats-Unis (40 milliards) mais devant la Russie (4 milliards). L’appel de quelques scientifiques pour une nette augmentation du budget de l’Agence, qui finance en grande partie le domaine purement scientifique, est cohérent avec les buts recherchés, mais il n’est pas certain que les priorités dans d’autres domaines permettent un tel accroissement. On peut cependant être certain que les efforts nécessaires seront faits, en particulier pour la mise en fonction d’une station spatiale habitée dans les cinq ans à venir.

Il est aujourd’hui courant d’entendre que la Chine a rattrapé son retard dans le domaine spatial vis-à-vis des Etats-Unis et de la Russie. Le premier satellite chinois a été lancé une douzaine d’années après Spoutnik et Explorer. Mais le premier vol d’un être humain chinois n’a eu lieu que 42 ans après les vols russes et américains. Ce retard d’un peu plus de 42 ans se retrouve pour toutes les grandes étapes : premier arrimage dans l’espace, premier robot sur la Lune, première « brique » d’une station spatiale. Ces différences demeurent importantes, mais elles ont vocation à se combler, surtout parce que les pays en pointe ont simplement arrêté de courir.

Pourquoi la Chine, qui est déjà la première puissance économique mondiale cherche-t-elle à devenir un acteur majeur du domaine spatial ?

La Chine n’est la première puissance économique mondiale qu’en parité de pouvoir d’achat, ce qui n’est sans doute pas un critère dans le domaine spatial. Les raisons qui la poussent à vouloir en devenir un acteur majeur sont multiples. Il y a bien entendu le prestige que confère une telle capacité et l’impact positif que cela peut avoir sur le plan géostratégique. Mais il faut d’abord penser aux avancées technologiques nécessaires au spatial et aux retombées qu’elles ont dans tous les domaines. Elles sont cruciales pour un pays qui est l’objet de sérieuses restrictions de coopération de la part de la plus grande partie des pays plus évolués.

Les embargos décidés par les Occidentaux après les événements de juin 1989 ont théoriquement bloqué, à l’exception de quelques contournements, toutes les ventes et tous les transferts de technologies à usage militaire. En dehors de ce seul domaine, les pays détenteurs des savoir-faire les plus évoluées sont très réticents à les vendre ou les transférer à une Chine qui a démontré qu’elle n’hésitait jamais, quand elle le pouvait, à les contrefaire ou à en utiliser les éventuelles capacités duales, entre autres au profit de programmes d’armement. Elle doit donc accomplir, par elle-même ou en utilisant des moyens détournés, toutes les avancées technologiques nécessaires. C’est particulièrement vrai dans le domaine du spatial militaire, où on la voit afficher une volonté de se hisser au meilleur niveau. Pékin a démontré sa volonté de s’impliquer dans la guerre dans l’espace en abattant l’un de ses propres satellites à l’aide d’un missile. La Chine est aussi le seul pays à avoir en développement un système de missiles balistiques antinavires. Ces derniers sont clairement conçus dans le seul but de détruire les porte-avions américains (qui, pour des raisons techniques, ne peuvent être « visés » que par des satellites). Il y a eu enfin le développement, en partie grâce à l’aide des Européens, d’un programme national de géopositionnement, Beidou, concurrent des systèmes GPS, Glonass et Galileo.

La Chine, a aussi espéré, avant même le début des années 1990, devenir un fournisseur de lancements commerciaux, en proposant des mises sur orbite à des prix nettement inférieurs à ceux de la concurrence. Les échecs qui ont marqué les premières années ont rendu très prudents les éventuels clients. Jusqu’en 2010, le nombre de lancements très variable d’une année sur l’autre a pu aussi être perçu comme un manque de cohérence et de maturité. La fiabilité s’est largement améliorée dans les dernières années, mais la Chine n’est toujours pas un acteur majeur dans ce segment. De plus, le ralentissement du marché et l’apparition de nouveaux acteurs tant privés qu’étatiques rend la concurrence plus difficile.

Quels objectifs peuvent atteindre les Chinois sachant qu’ils ont déjà réussi à explorer l’espace et aller sur la Lune ?

Le simple fait d’être capable de réaliser, en complète autonomie, des lancements de satellites de tous types, militaires ou civils, habités ou non, et d’avoir commencé à entreprendre la construction d’une station orbitale fait de la Chine une grande puissance spatiale. Par contre, les deux Grands ont commencé plus tôt qu’elle et d’une manière nettement plus cohérente, dans une ambiance de compétition pure. Celle-ci semble actuellement terminée, mais un certain nombre d’étapes majeures ont déjà été franchies et les outils mis en place dans les années 1960 demeurent solides. Les prochaines « premières » que l’on peut envisager sont l’établissement d’une base permanente sur la Lune et l’envoi d’hommes vers Mars. Ces deux projets font partie des objectifs à long terme de la Chine. Elle les a clairement annoncés et les prépare, mais les délais sont importants et il faudrait que les concurrents, qui gardent de l’avance, ne se relancent pas dans la course pour qu’elle puisse réussir enfin une grande première.

[1] La Chine veut la Lune, Philippe Coué, A2C Medias, 2007

Les affaires courantes, et le reste… Les deux scénarios très noirs qui pèsent sur la fin du quinquennat Hollande

Wed, 07/12/2016 - 12:45

Alors que les cinq prochains mois du gouvernement seront forcément marqués par les échéances électorales à venir en 2017, la menace terroriste et le risque de crise financière au sein de la zone euro pourraient bien plomber la fin du quinquennat de François Hollande.

Par ailleurs, la démission de Matteo Renzi en Italie suite à son échec lors du référendum de ce dimanche a remis sous le feu des projecteurs le risque de crise financière au sein de la zone euro. Une telle crise est-elle possible selon vous ? Comment pourrait-elle se déclencher ?

Avec 360 mds d’euros de prêts douteux à son actif, le secteur bancaire italien inquiète à juste titre. En même temps, un certain nombre de banques d’autres pays, comme la Deutsche Bank, sont aussi en grande difficulté et seraient affectées par une crise systémique en Italie.

Alors que les créances des banques italiennes ne peuvent que se détériorer davantage tant que l’économie ne rebondit pas réellement, l’Italie est confrontée à la nécessité de recapitaliser les institutions au bord du gouffre, comme Monte dei Paschi di Sienna (à hauteur désirée de 5 mds d’euros pour l’heure). Les nouvelles règles européennes de l’union bancaire obligent à mettre à contribution les créanciers de la banque (souvent de simples épargnants auprès de qui on a fait passer de la dette bancaire pour des dépôts) avant toute intervention publique. Un compromis entre l’Italie et l’UE consistait à attirer des investisseurs extérieurs, notamment le Qatar, et tenter de limiter les dégâts pour les créanciers.

Sans gouvernement présent dans la durée, un tel projet vole en éclat aux yeux de la plupart des actionnaires potentiels. La perspective de recapitalisations en douceur s’évapore pour MPS et s’éloigne pour l’ensemble des banques italiennes. On en revient à l’alternative d’une injection d’argent public et d’une application stricte des règles de l’union bancaire. Dans le contexte de faiblesse actuelle, la généralisation de ce mécanisme entraînerait une vague de pertes financières et de tension qui se propagerait à travers le secteur bancaire européen et, union bancaire ou pas, aux Etats. L’équation politique étant particulièrement complexe, les marchés patientent pour l’heure tout en espérant que Mario Draghi les maintiendra sous perfusion, avec l’accord de Berlin.

Quelles seraient les conséquences d’une telle crise pour la France ?

La France ne serait naturellement pas épargnée. Elle est largement exposée économiquement et financièrement à l’Italie. De plus, bien que la structure du secteur bancaire français, très concentré, diffère de celle du secteur bancaire italien, le problème de la rentabilité se pose comme partout en Europe avec l’héritage de la crise, l’absence de rebond économique véritable et les effets pervers des taux négatifs. Une crise financière viendrait défaire le processus de normalisation progressive des volumes de crédit et affecterait la timide amélioration économique qui a été encouragée par la dépréciation de l’euro.

Face à un emballement de la crise bancaire italienne, on évoquerait à nouveau les fonds européens. Néanmoins, on se retrouverait dans une situation avec des gouvernements fantômes en Italie et en France face à un gouvernement allemand en pleine campagne électorale rigoriste. Un cocktail pour le moins toxique qui montrerait, de façon encore plus crue que dans le passé, l’absence de gestion de la zone. La BCE aura beau tenter d’éteindre une nouvelle fois l’incendie sous un déluge de liquidités, les failles du dispositif politique en seront d’autant plus visibles, mettant de nouveau en doute la viabilité de la monnaie unique.

Pourquoi une journée internationale de lutte contre la corruption ?

Tue, 06/12/2016 - 16:01

Vendredi 9 décembre sera, pour la neuvième année consécutive, la journée internationale de lutte contre la corruption, organisée pour la première fois en 2008 à l’initiative de l’ONU. Elle commémore le lancement par les Nations unies de la Convention mondiale contre la corruption qui est entrée en vigueur en décembre 2005.

Cette Convention est l’un des tous premiers instruments internationaux juridiquement contraignant pour lutter contre la corruption. Elle a été ratifiée par plus des deux tiers des 193 membres de l’ONU. Le secrétaire général des Nations unies expliquait dans son discours, à l’occasion de cette journée en 2015, que « la corruption s’attaque aux fondements des institutions démocratiques en faussant les élections, en corrompant l’Etat de droit et en créant des appareils bureaucratiques dont l’unique fonction réside dans la sollicitation de pots-de-vin. Elle ralentit considérablement le développement économique en décourageant les investissements directs à l’étranger et en plaçant les petites entreprises dans l’impossibilité de surmonter les « coûts initiaux » liés à la corruption. On pourrait rajouter qu’elle est souvent en cause dans les diverses instabilités politiques, sociales et géopolitiques qui peuplent notre actualité, derrière les récentes élections ou référendum (Brexit, USA, Italie, Colombie ou encore Autriche) ou encore derrière les drames les plus terribles (Bangladesh, Syrie, etc.), planent souvent des affaires de corruption !

Cette Convention des Nations unies, proposée en 2000 dans le cadre des objectifs du Millénaire, vient compléter 30 années de montée en puissance de la lutte contre ce qui a longtemps été considéré un « mal nécessaire » : la corruption.

En effet, c’est un énorme scandale touchant l’entreprise de défense américaine Lockheed, qui poussent les Etats-Unis à mettre en place une nouvelle législation de lutte contre la corruption, le Foreign Corrupt Practice Act (FCPA), en 1977. Le FCPA devient la première loi qui fait de la corruption d’un agent public étranger un crime, prévoyant des poursuites à l’encontre de toute entreprise américaine ou ayant des intérêts aux Etats-Unis. Conscients que ce texte national pouvait pénaliser les entreprises américaines, les autorités du pays vont tenter de pousser les autres pays à aller dans le même sens en mettant en place le même type de législation. Un groupe de travail est mis en place à leur initiative au sein de l’OCDE et mené par Mark Pieth, professeur en Droit et Criminologie de l’Université de Bâle en Suisse.

Parallèlement à cela, en 1993, est fondé à Berlin Transparency International. Cette ONG classe les pays grâce à son indice de perception de la corruption (IPC) et élabore tous les ans un baromètre mondial de la corruption. Parfois accusée d’être un bras armé des Etats-Unis, au prétexte que son fondateur Peter Eigen a été directeur de plusieurs entités régionales de la Banque mondiale, il n’en reste pas moins que cette ONG voit le jour dans un contexte d’après-guerre froide et de globalisation, au moment même où les Etats-Unis tentent de rallier leurs principaux partenaires au sein de l’OCDE ou des Nations unies.

Le groupe de travail de l’OCDE, pour sa part, est chargé d’une étude comparative des différentes législations en vigueur parmi les membres de l’OCDE. Il ne peut que constater que, même si des textes existent dans certains pays, la corruption fait rarement l’objet de poursuites. Il recommande alors l’élaboration d’une convention afin d’harmoniser les législations et les pratiques de lutte. La Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales est adoptée le 17 décembre 1997 par les 35 pays membres de l’OCDE. Elle entre en vigueur en février 1999 et 41 pays y sont aujourd’hui parties prenantes, l’Estonie et l’Afrique du Sud l’ayant ratifié en 2004, Israël au moment de son adhésion en 2008, la Russie en 2011, la Colombie en 2012, la Lettonie en 2014.

Elle fixe le cadre en définissant la corruption comme une infraction pénale et pousse les Etats à mettre en place des législations qui permettront de réellement poursuivre les entreprises ayant ce type de pratiques. La Convention avait, au départ, en 1997, prévu deux phases : la première prévoyait l’adoption d’un cadre juridique de lutte, la deuxième sa mise en œuvre. À partir de 2007, une troisième phase engage les Etats à réaliser des progrès dans l’analyse du phénomène ainsi que dans l’amélioration des dispositifs juridiques pour lutter contre la corruption et leur application concrète. Cette phase 3 consiste à examiner précisément les poursuites réellement engagées et les sanctions prononcées suite à la mise en œuvre de législations de lutte contre la corruption. Une phase 4 est également prévue.

Ce texte a conduit à une réelle intensification de la lutte contre la corruption, d’abord aux Etats-Unis qui n’hésitent plus à poursuivre et condamner nombre d’entreprises, y compris des entreprises étrangères. C’est ainsi que Siemens écopera d’une amende de 800 millions de dollars dans ce pays. Le Royaume-Uni, longtemps accusé de manque de volonté en la matière (Tony Blair ayant refusé de poursuivre BAe Systems dans le cadre du contrat El Yamanah) a adopté en 2010 une législation, leUK Bribery Act, qui est considérée comme la plus sévère jamais adoptée par un pays. La France, enfin, vient de se mettre au diapason de ses partenaires grâce à la loi Sapin II adoptée début novembre. Par ailleurs, si des économies aussi déterminantes que la Chine ou l’Inde ne sont pas parties prenantes de cette convention, elles participent à l’Initiative de lutte contre la corruption en Asie et dans le Pacifique de la Banque asiatique de développement et de l’OCDE (Initiative BAD-OCDE).

Parallèlement à la Convention de l’OCDE, les textes, traités ou groupes de travail tentant de lutter contre la corruption vont se multiplier. Nous avons déjà parlé, au début de ce texte, de la Convention des Nations unies mais on peut aussi citer : le groupe des Etats contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe, le groupe de travail anticorruption du G20… Cette inflation de mesures met en évidence l’intolérance croissante des opinions publiques vis-à-vis de certaines pratiques et dans un contexte de discrédit croissant des élites politiques, des entreprises internationales et des institutions financières. La condamnation de la corruption apparaît en tête des critiques, qu’ils concernent des entreprises ou des Etats. Il y a quelques jours à peine, les Brésiliens sont descendus dans la rue pour protester contre un projet de loi venant dénaturer la loi de lutte contre la corruption en vigueur. Les députés coréens sont en train quant à eux, de s’interroger sur la possibilité de destituer leur présidente pour avoir extorqué de l’argent aux grands groupes du pays…

Est-ce la recrudescence des affaires dans un contexte de globalisation qui entraîne ce regain d’indignation ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que les moyens d’information et le relais de cette information grâce aux réseaux sociaux rendent plus visibles de telles pratiques et que, dans un monde où les inégalités s’accroissent, elles deviennent de moins en moins tolérables et tolérées. Pourtant, la lutte contre la corruption est encore loin d’avoir abouti et pour l’instant, seule la corruption active est réellement condamnée. Aujourd’hui, les entreprises savent qu’elles ne peuvent s’adonner à ce genre de pratique en toute impunité. De ce point de vue, la lutte engagée est un succès. Elle n’aboutira pourtant jamais si elle ne prend pas aussi en charge la corruption passive. De ce point de vue-là, la question est beaucoup plus politique qu’il n’y paraît. Autant il est facile pour un Etat d’imposer une contrainte forte et de punir les entreprises qui ne la respectent pas, autant il est plus compliqué de s’engager sur la voie de la transparence, de règles claires et universelles dans un monde global où les intérêts, et donc les conflits d’intérêts, sont nombreux et souvent contradictoires. La crise financière de 2008 est un autre sujet mais elle était déjà un rejeton de cette problématique !

Ce n’est donc pas un hasard si la journée de lutte contre la corruption a vu le jour en 2008 !

 

L’IRIS vous invite à participer à la conférence-débat ce jeudi 8 décembre à 18h30 à l’IRIS sur « Le dispositif anti-corruption français est-il adapté au secteur sportif ? ». En savoir plus

Aller plus loin avec la Revue internationale et stratégique n°101 sur « Corruption » (printemps 2016).

Le paradoxe des urnes

Tue, 06/12/2016 - 12:42

La fin de la guerre froide n’a-t-elle été qu’un événement stratégique et géopolitique majeur ? Ce fut aussi un fait économique de toute première importance : la fin de l’un des deux systèmes économiques en cours à ce moment-là. C’était la fin de l’histoire, la preuve pour beaucoup de dirigeants occidentaux de la pertinence du système capitaliste donc des valeurs qui le fondent, en tête desquelles se trouve le libéralisme. Les choix politiques libéraux qui avaient été initiés à partir de la fin des années 1960 puis dans les années 1970 et 80 s’en trouvaient plus que jamais légitimés. Le consensus de Washington (1) en 1994 universalisait cet ultralibéralisme et ouvrait la voie à une dérégulation généralisée.

Vingt-quatre ans plus tard, c’était LA crise, une crise financière majeure, et les mêmes qui avaient œuvré pour la dérégulation se mirent à réclamer des règles nouvelles et des interventions politiques fortes afin d’éviter le pire. La question fut posée de savoir si l’ultralibéralisme avait vécu, et ce, d’autant plus qu’au-delà de la crise en elle-même, cette dernière mettait plus en évidence que jamais les effets pervers des choix faits trente ans plus tôt : la montée des inégalités, une dépendance extrême à la croissance économique et des conséquences environnementales inquiétantes. Les mouvements contestataires se multiplièrent partout dans le monde, les votes devinrent de plus en plus populistes, extrêmes, aujourd’hui imprévisibles, traduisant une volonté de changement et le rejet de la mondialisation ultralibérale.

Est-ce que, pour autant, le paysage politique qui se dessine actuellement apportera des réponses et apaisera les tensions ? Rien n’est moins sûr, à court terme dans tous les cas. L’élection de Donald Trump, comme le choix du Brexit pour le Royaume-Uni, ou, plus récemment en France, le score de François Fillon aux primaires de la droite ont surpris nombre d’observateurs ; le dire constitue une banalité. Beaucoup ont parlé de déni pour expliquer les erreurs des sondeurs et des analystes de toute nature. Ils ont probablement raison.

Les économistes en ont également pris pour leur grade, accusés de soutenir que le libre-échange a du bon et de refuser de voir ou d’intégrer dans leurs modèles les effets pervers de la mondialisation. Ils n’auraient pas pris toute la mesure des inégalités, du déclassement et du mal-être ambiant. C’est vrai qu’il y a eu, là aussi, une sorte de déni qui était fondé sur l’idée qu’au fond en entraînant la croissance et un développement économique plus universel que jamais, tous les individus en profiteraient à un moment ou à un autre, d’une manière ou d’une autre.

La principale erreur de jugement des économistes est de n’avoir pas su identifier et interpréter le ressenti des individus dans ce contexte : celui d’un sentiment d’injustice profond créé par les inégalités et qui se révèle plus fort que celui suscité par la pauvreté. Ce phénomène n’est pas statistique et c’est pour cette raison que les statistiques ne viennent pas corroborer le ressenti des individus : le déclassement, par exemple, n’est pas une réalité sauf pour une minorité.

Une autre erreur réside dans l’appréciation de la concurrence. Dans la mondialisation libérale, la concurrence s’est immiscée partout entre les individus, les travailleurs, les entreprises, certes, mais aussi les pays ou les régions. Elle redéfinit la valeur de tout au plus grand profit du consommateur, consommateur dont les besoins ne sont jamais totalement satisfaits, et qui par définition, finit par en être frustré ! Cette concurrence, devenue globale, est une échelle probablement plus juste que les privilèges dus à son nom, à son lieu de naissance ou à son origine sociale. Pour autant, elle rétrograde voire marginalise ceux dont les compétences ne sont plus au top niveau parce qu’ils n’ont pas de diplômes ou n’ont pas réussi à s’adapter.

Enfin, la contestation est aussi nourrie par l’incapacité des politiques à améliorer une situation, à régler les problèmes. Il est vrai que la mondialisation réduit les marges de manœuvre des pouvoirs publics et, dans le même temps, l’efficacité des politiques publiques. Cependant, elle n’empêche pas de lutter contre l’argent sale, la corruption, les paradis fiscaux et les trafics en tout genre, phénomènes d’autant plus choquants qu’ils amplifient encore les inégalités…

C’est tout cela qui est exprimé par les votes ou les refus de voter des électeurs. Pour autant, et c’est là tout le paradoxe des urnes aujourd’hui, les programmes ne garantissent en rien qu’on va vraiment régler ces problèmes. À court terme tout au moins, les baisses d’impôts annoncées par M. Trump seront favorables aux plus aisés, quand le protectionnisme augmentera certainement les prix donc pénalisera les plus pauvres… Une chose est sûre, par contre, la mondialisation si contestée n’en sera que plus affectée, les pays du Nord se repliant toujours plus sur eux-mêmes. Le pari fait par les politiques de ces pays est que dans un deuxième temps, cela leur rendra leurs marges de manœuvre et relancera leur économie, l’emploi et le pouvoir d’achat. Ce pari repose toutefois sur un élément qu’ils ne maîtrisent pas, la capacité des pays du Sud, Chine en tête, à stimuler leur propre consommation pour éviter une nouvelle crise mondiale.

Faut-il repenser les missions de l’Organisation des Nations unies ?

Mon, 05/12/2016 - 12:39

Le nouveau secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, aura pour défi de rendre l’ONU plus efficace et démocratique :

– efficace, car il faut donner plus de pouvoir d’application pratique à toutes ses décisions, ses résolutions, ses conventions, qui sont de beaux textes mais qui souvent restent lettre morte. L’ONU devrait pouvoir exercer, par exemple, des sanctions financières contre les entreprises qui ne respectent pas les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Il faut que l’ONU contrôle les multinationales, au lieu de les associer et de leur donner du pouvoir ;

– démocratique, car il faut rendre plus transparent le recrutement et il faut mettre fin à l’injustice du veto, qui est un privilège que possèdent les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (France, États-Unis, Royaume-Uni, Chine, Russie). Ce veto bloque souvent l’ONU, comme actuellement avec la crise en Syrie, où la Russie a, en 2016, à plusieurs reprises, opposé son veto à la résolution française proposant de faire cesser les frappes en Syrie.

Pour que l’ONU parvienne vraiment à faire régner la paix dans le monde, il faudrait que le système de sécurité collective qui avait été pensé par les pères fondateurs de l’ONU en 1945, et qui est exprimé dans le chapitre VII de la charte de l’ONU, à savoir que l’ONU puisse déployer de véritables forces militaires en cas de menaces contre la paix, et pas seulement des casques bleus dépourvus du droit d’intervenir vraiment dans les affrontements, voie enfin le jour. Cela permettrait à l’ONU de se réaffirmer par rapport à l’Otan, organisation dominée par les États-Unis qui tend de plus en plus à se présenter comme l’agence la plus à même de régler les conflits dans le monde. Or, l’ONU, organisation universelle, est bien plus légitime que l’Otan pour intervenir dans les conflits. En Syrie comme ailleurs, c’est l’ONU qui doit intervenir et non pas telle ou telle grande puissance de manière unilatérale.

Loin d’être devenue obsolète ou inutile aujourd’hui, l’ONU a un rôle majeur à jouer au XXIe siècle, car avec la mondialisation, beaucoup de problèmes sont devenus transnationaux, ils transcendent les frontières étatiques : le problème des conflits, car aujourd’hui le conflit en Syrie a des répercussions sur les autres pays (pensons aux attentats en Europe), mais aussi le problème des inégalités dans le monde, qui s’accroissent de plus en plus, et que l’ONU pourrait s’attacher à réduire, ou encore le problème de la finance, que l’ONU pourrait s’employer à réglementer, le problème de l’évasion fiscale, que l’ONU pourrait interdire, le problème de la mafia, le problème de l’environnement, etc.

Loin de perdre confiance en l’ONU à cause de ses défauts et de sa fréquente inefficacité, il faut soutenir l’ONU, la faire mieux connaître du public et l’aider à s’améliorer, car c’est l’organisation internationale la plus démocratique : en effet, avec son Assemblée générale, où quasiment chaque État du monde est représenté (193 États membres), elle est l’instance la plus universelle, bien plus que l’OCDE, par exemple, qui ne rassemble que 35 pays parmi les plus riches du monde, ou que les G7, G8, G20, qui ne sont que des clubs de pays riches. L’ONU, avec son système « 1 État = 1 voix » (à l’Assemblée générale) est également plus démocratique que des organisations comme le FMI qui ont un système de vote pondéré, c’est-à-dire où ce sont les pays les plus riches qui disposent de davantage de voix.

Ces institutions financières internationales – Banque mondiale, Organisation mondiale du commerce et FMI – devraient d’ailleurs être placées sous la direction effective de l’ONU. Ainsi, l’ONU pourrait agir de manière juste et efficace pour réduire les inégalités dans le monde, en interdisant l’évasion fiscale, en contrôlant la finance.

La création de l’ONU, en 1945, était la victoire de l’esprit pacifiste, l’affirmation du multilatéralisme, belle idée progressiste. Il faut maintenir cet idéal multilatéraliste face aux velléités d’unilatéralisme. Il faut garder l’optimisme et l’espoir en l’ONU. Cette institution, actuellement en grave crise, est réformable et peut être améliorée.

The Georgian parliamentary election: Georgian Dream still at the helm

Mon, 05/12/2016 - 11:37

Last month’s parliamentary election in Georgia is a reminder that its democratic and Euro Atlantic course remains steadfast. Compared to its eastern neighbour, Azerbaijan, where a recent constitutional referendum has significantly strengthened the president’s prospects for ruling indefinitely, the last Georgian election is again evidence of the country’s commitment to competitive electoral processes and real power shifts.

The election: winners and losers

The winning party in the parliamentary elections on October 8th turned out to be the incumbent and main coalition member Georgian Dream Democratic Georgia (in short, Georgian Dream), with 48.6 per cent of the votes. The main opposition party, United National Movement (UNM), gathered 27.1 per cent, while the Alliance of Patriots of Georgia, a right-wing populist party, received 5 per cent. The following majoritarian run-offs, conducted on October 30th, secured the Georgian Dream 76 per cent of the total number of seats in parliament, enough to change the constitution. While the Georgian Dream was generally considered to be one of the strongest parties in the election, opinion polls from this summer had indicated that the party lingered at 17% support (some polls suggested a little bit higher), and the UNM at around 13% (again, subject to different polls), suggesting that neither party would win an outright majority. Pundits had speculated whether the large share of undecided voters would go to “third parties”, who made a relatively strong appearance during the election campaigning; yet in the end all but one failed to clear the threshold. The election result was therefore contrary to beliefs earlier this year that Georgia was likely to get another coalition government. The last party to enter parliament has been this election’s biggest wild card: The Alliance of Patriots of Georgia, a small nationalist party with a distinctly more Russia-neutral and anti-Turkish line than its colleagues in the new parliament. Its ‘Georgia First’ line resonates with populist movements in Europe and the US. However, with only six seats in the parliament they are not expected to gain much significant bargaining power.

Noticeably, all the other former coalition parties failed to break the 5% threshold. Perhaps the biggest disappointment for many Western observers was the poor performance of the Free Democrats and the Republicans, two of the most pro-EU and pro-NATO parties in the Georgian party landscape. The resignation of the former Republican party leader, Davit Usupashvili, now also outgoing Chair of Parliament, alongside the loss of several of his minister colleagues has been considered ill-afforded. Widely credited for bringing the parliament back as a vital political institution in Georgian politics, Usupashvili’s resignation from the Republicans is likely to be a blow also to the party, which despite being a former member of the Georgian Dream coalition only managed to attract 1.55 per cent of the votes in this election. Irakli Alasania, now former leader of the Free Democrats, has also announced that he will be leaving Georgian politics. Alasania was the former UN ambassador and special representative in talks with breakaway Abkhazia, and has been recognised for building a good working relationship with Abkhaz officials. More generally, he has represented a diplomatic and rational voice in Georgian politics. Both parties’ decision to run separately in the election proved detrimental, as creating a power bloc – like so many of the other third parties – would have significantly increased their chances of breaking the threshold.

Surprisingly, this year’s election campaign differed from previous years of Georgian politics in that it was not entirely dominated by the dichotomy between multibillionaire Bidzina Ivanishvili (GD) and former president, now governor of Odessa, Mikhail Saakashvili (UNM). Instead, it featured a wider range of normal politicians as well as newcomers, including State for People leader and former opera singer Paata Burchuladze and former first lady cum UNM majoritarian candidate Sandra Roelofs. Also current Prime Minister Giorgi Kvirikashvili (GD) – who is recognised as a much needed political bridge builder and for lessening the political tension in Georgia – seems to enjoy significant popularity both at home and internationally. Arguably, Kvirikashvili is more independent than his predecessors and more capable of removing the premiership further away from the backstage control of Ivanishvili. If this is the case, he would be the first prime minister to have achieved this after Ivanishvili himself withdrew from being prime minister in 2013, allegedly only to continue to oversee and instruct the premiership from behind the scenes. That is not to say that the Georgian election campaign came without the usual scandals, rumours, accusations and rivalries, which per the Georgian normal tend to take centre stage at the expense of interest representation and strong party platforms. This year’s UNM election line of regime change took a dramatic turn when Saakashvili, in a released recording, expressed his intentions to return to Georgia and start a revolution if the Georgian Dream win the election. Moreover, isolated instances of violence occurred in the weeks running up to the election, as well as on the election day, but were mostly limited to scuffles between UNM and Georgian Dream supporters. The most serious incident, however, was when the car of a UNM-member exploded three days before the election. This was a sharp reminder that there are still forces in Georgia that seek to undermine the country’s democratic processes.

Health barometer: Georgian democracy

In the aftermath of the October 8th election, concerns have quickly risen over the extent to which the Georgian Dream will attempt to consolidate power even further, creating a de facto one party rule. Civil society activists expressed fear that a super-majority would constitute a threat to democracy and encouraged voters to support opposition candidates in the majoritarian runoffs. These fears are likely to be reinforced as the party now holds not only a parliamentary but also constitutional majority. Playing into these concerns, only ten days after the election on October 8th Prime Minister Kvirikashvili announced that he would introduce constitutional amendments. This would involve changes that mandate parliament to appoint the president instead of appointment by popular elections, as the current constitution instructs. As Lincoln Mitchell has recently argued, this suggestion would be problematic as it would create a confusion of power responsibilities without any political rationale. Already under the last government disagreements and power struggles between the President and Prime Minister were not uncommon and it is questionable to what extent two leaders deriving from parliament would benefit Georgian decision making. Moreover, in recent years President Margvelashvili has played an important role as a check on the government and been an important critic of the coalition’s at-times chaotic governance style. Hence, the Georgian Dream will have to carefully evaluate to what extent these constitutional changes are beneficial to the Georgian political system in executive terms, as well as how the new majority government and their democratic credentials will be evaluated should it choose to go through with it.

Concerns about the party’s one party dominance might be considered unfair, but not entirely unfounded.

Although the election has been concluded as competitive, well-administered and in respect of fundamental freedoms, this summer’s campaigning came at the backdrop of a year that has posed questions over Georgia’s democratic course. The biggest question pertained to the much criticised lawsuit against Georgia’s most popular TV-station and government critic, Rustavi 2, which questioned the credibility of two governments – past and present. While the alleged involvement of Saakashvili’s party in passing the station to UNM-connected owners in the mid-2000s was probably no big shock to the broader Georgian public, the court’s decision to temporarily replace Rustavi 2’s senior managers was certainly concerning for many in terms of the Georgian Dream coalition’s commitment to media freedom and the rule of law. The concerns arose not only from the suspicion of direct involvement by the government, but also from an impression that the judiciary is still politicised along party lines. In response, and in effort to legitimise themselves upon the faults of the previous government, the Georgian Dream coalition resorted to comparisons between the state of media freedom then (under the UNM) and recently under coalition-rule. And granted, since the Georgian Dream coalition came to power in 2012, media pluralism and freedom has increased and substantial reforms have been implemented to ensure a more transparent and independent judicial system.

Moreover, the victory of the ruling Georgian Dream means that the reforms that have been initiated in the last four years are likely to continue, which will be greatly beneficial to the stability and development of Georgia’s political institutions. This is good news for a country where changes in power have previously been synonymous with tearing down or fundamentally reorganising institutions and governmental structures. When the UNM were elected to power in 2003, Saakashvili was quick to implement a ‘hyper state building’ project. While many of these efforts were inherently positive, like rooting out corruption in the lower echelons of government such as in the public services and law enforcement, the Georgian political system also saw the concentration of executive powers in the presidency and increasingly curbed media freedoms. Since the election in 2012 the Georgian Dream coalition has been determined to rub out some of the UNM government’s legacy. From the outset the coalition took important steps to decentralise the country by introducing direct elections of district governors. They changed the system of government from presidential to semi-presidential, vested more powers in the parliament, and – in contrast to the neoliberal policies under Saakashvili – increased pensions and brought in the state as the main provider of public services such as health care. In addition to this, they have started reforms of the Interior Ministry and the Prosecutor’s Office to ensure more transparency. Hence, with the Georgian Dream still in power, Georgia is likely to continue on the same path of reform and stabilisation.

However, the development of Georgia will also depend on the Georgian Dream’s ability to become a more cohesive and capable political force when it comes to solving Georgia’s immediate problems. Looking back, it is difficult to discern an overarching and consistent programme for the economic development of the country; that is to say, the government has to a large extent relied on the assurances of a prosperous Georgia (once its integration processes with the EU are completed) as their main vision for the country. Furthermore, consistency and progress have arguably been hampered by the Georgian Dream coalition’s internal preoccupations. During the last four years the Georgian Dream coalition saw no less than three changes of prime minister, four changes in foreign ministers, and four changes in defence minister, to mention some. Although primarily a symptom of the coalition’s internal fragmentation, starting when Alasania and the Free Democrats broke out in 2014 after a row with former prime minister Irakli Garibashvili, the rapid change in ministers arguably created instability in the relations between the government and external actors, such as civil society, foreign diplomats and investors.

The coalition also busied themselves with efforts to prosecute former UNM government members suspected of corruption and abuse of power. From the Georgian Dream side, this has primarily been a question of legitimising the coalition’s governance by displaying a firm commitment to accountability, while critics have regarded it as selective justice and as a sign of a backsliding Georgian democracy. Upon warnings from particularly American, but also EU and NATO officials, the Georgian Dream coalition government did to some extent accommodate the Western preferences concerning the prosecution processes and political independence of the judiciary, but have nevertheless ignored calls to stop the prosecutions entirely. Getting beyond this rearward looking way of governing would be a crucial next step for the re-elected government, both in order to rebuild some of the confidence that seems lost on some Western officials, and to guarantee Georgia’s chances to move forward in a time of economic decline and widespread disillusionment.

Halting this preoccupation with the past would also be important for the consistency of Georgia’s democratic development. It would signal to Georgia’s multiple political parties that elections and the potential for a change in majoritarian rule is not a threat to an incumbent party’s future survival, or the survival of opposition parties in general. Several analysts have been surprised that the UNM has managed to survive as a party, given the former coalition’s efforts to undermine them, but also because of the tendency of Georgian politicians to switch party alliances or quit politics when faced with electoral loss. As already mentioned, both the Republican and Free Democrats have started to disintegrate after their leaders announced that they would temporarily quit politics. Ridding the political competition of this mentality would arguably foster a more meaningful form of party politics and pluralism, based on consensus building, negotiations and compromises rather than the typical accusations of being “enemies of the state” or a Russia stooge, aimed at destroying the opponent’s reputation. At the moment, given the antagonism that exists between the Georgian Dream and the UNM, it does not bode well for constructive parliamentary sessions under the new composition.

The most urgent challenge for the Georgian Dream will be to get Georgia’s economy up and running. Holding a clear majority will very likely improve their chances to push policy forward. However, this will depend on their ability to formulate, communicate, and efficiently implement policy proposals, especially on the economy. The former coalition government did make some relevant efforts to address the economic situation, which has been deteriorating with high inflation, a steep depreciation of the lari, rising unemployment (unofficial numbers indicate over 50%) and falling exports. However, most of the efforts in the last four years have gone towards doing preparatory work and approximating the Georgian production and export systems to those of the EU. While this foundational work was a requirement for the Association Agreement to come into force, it has given few immediate economic returns to the majority of Georgians, which has increased people’s impatience and sense of disillusionment. Hence, high expectations are tied to Georgia’s EU Association Agreement, which entered fully into force in June 2016 and is hoped to cure Georgia of some of its economic illnesses. Additionally, Kvirikashvili has introduced a four-point plan to reignite growth by investing in infrastructure, a labour market oriented education system, and governance (in terms of transparency and involvement), as well as a taxation system reform that aspires to increase investment. This plan is mainly aimed at the Georgian small and medium-sized enterprises (SMEs), which make up the bulk of the Georgian economy. This vision is also very much in line with Kvirikashvili’s proposals from his time as Economy Minister, and suggests that the new government is more disposed to a consistent and detailed vision for Georgia’s future economic engine.

The missing links: Abkhazia and South Ossetia

One of the most notable aspects of this year’s election campaign was the absence of Abkhazia and South Ossetia. Although Georgian leaders frequently condemn Russia’s actions in the breakaway territories, this has been about the extent that it has been dealt with in the national dialogue, not just in the elections, but over the last year. While Georgian politicians again condemned Russia’s military drills in South Ossetia and Abkhazia in August, and for holding elections for the State Duma inside the territories in September, few of parties partaking in the Georgian election presented a serious platform on the issue. According to opinion polls from the last year, territorial integrity still remains high on the list of the country’s most pressing issues, but is currently not in the top three.

Faced with deepening bilateral relations between Moscow on one hand and Sukhumi and Tskhinvali on the other, facilitated by the negotiated agreements on economic, security and judicial integration in 2014 and 2015, respectively, as well as continued Russian borderization (the erection and movement of border fences), Georgia is seemingly dealing with a less benign Russian foreign policy than has been the case in the last three years.[i] On top of this, the prospects for a South Ossetian referendum on accession to Russia, which was due to be held this year but has been postponed till 2017, will complicate matters further. Combined, this seems to have caused a sense of paralysis in the Georgian government in terms of finding appropriate responses or developing a clear plan for conflict resolution. Yet, despite the lack of a vision for resolving the conflicts in more substantial terms, the former coalition government worked hard to restore relations with Russia. They managed to reduce hostility, and ensured the resumption of economic ties, which has been – and continues to be – crucial to the Georgian economy. This continues to be a balancing act, ready to be exploited by the opposition if any of the government’s moves could be interpreted as giving concessions to Russia.

Overall, both the former, but most likely also the new government, will continue to pursue soft incentives to maintain a level of influence in the breakaway territories. These measures include offering free health care and education in Georgia to the breakaway populations. Moreover, the expected EU agreement on visa free travel in the Schengen and other goods of Georgia’s European agenda will be made available to Abkhazians and South Ossetians, as was made clear by Kvirikashvili in his speech to the UN Assembly in September. Measures like these might become even more important as the two breakaway territories are increasingly subject to Russian efforts to augment its presence with more soft power resources, like closer integration with the Eurasian Economic Union in the case of Abkhazia, or like in South Ossetia where expectations are high that living standards will significantly improve under the new alliance and integration treaty. While from the West the Eurasian Economic Union is largely seen as a Russian attempt to provide an alternative to the EU in the post-Soviet space, in the case of the breakaway territories it is precisely Georgia and the EU that are currently challenged with presenting a more attractive alternative.

Therefore, continued state building, democratic development, and the chances of progress on South Ossetia and Abkhazia will necessitate that Georgia’s Western friends up the game and deliver on their promises, such as the EU visa liberalisation agreement.[ii] For now, the agreement seems likely to be approved by the end of the year and will be a long awaited conclusion for Georgia after several years of negotiations and reforms.

[i] MacFarlane, N.S. (2015) ‘Two Years of the Dream Georgian Foreign Policy During the Transition’, Chatham House Research Paper, May.
[ii] De Waal, T. (2016). ‘Georgia holds an election without saviours’, Carnegie Europe, 26 September.

The article is based on a policy brief previously published by the Norwegian Institute of International Affairs (NUPI).

Nomination de James Mattis au poste de secrétaire d’Etat à la Défense : Donald Trump sous influence ?

Fri, 02/12/2016 - 16:53

La possible nomination du général James Mattis comme secrétaire d’Etat à la Défense [1], si elle ne permet pas encore de lever le voile sur la politique étrangère et de défense des Etats-Unis, permet en tous cas de donner quelques indications sur les rapports de force au sein de l’exécutif. Cette nomination contribue également à accentuer le doute sur la politique étrangère et de défense de Donald Trump si l’on s’en tient uniquement aux propos de campagne.

La première constatation qui s’impose est que si Donald Trump donne l’impression de choisir seul son secrétaire d’Etat à la Défense – comme le laisse penser sa rencontre avec James Mattis à son club de golf -, il est tout de même étonnant de constater que l’ancien général avait été sollicité au printemps par quelques pontes du parti républicain afin de faire obstacle à l’élection de Donald Trump. James Mattis n’est pas sorti de nulle part, loin de là.

La seconde constatation est que James Mattis est quasi unanimement respecté au sein de l’administration militaire. C’est un homme de poids qui a déjà reçu l’onction du sénateur John Mc Cain, ancien militaire, ancien candidat républicain à l’élection présidentielle en 2008 et surtout farouche opposant de Donald Trump.

Enfin, et surtout, James Mattis a des idées. Il n’est guère utile de s’attarder sur ses quelques propos crus de militaire, quiconque a côtoyé des militaires, ceux qui combattent, qui risquent leur vie et qui sont donc amener à tuer, savent que c’est parfois le lot de ces personnes. Plus intéressant est de constater que James Mattis occupa le poste de CENTCOM (Central Command) de 2010 à 2013 en tant que responsable des opérations pour le Moyen-Orient et l’Afghanistan, sous la présidence de Barack Obama. Mais il fut en 2013 démis de ses fonctions par ce dernier pour avoir trop insisté pour obtenir le déploiement d’un troisième porte-avions dans le détroit d’Ormuz pour accentuer la pression sur l’Iran. C’est une des premières caractéristiques du général Mattis : c’est un spécialiste du Moyen-Orient. De l’Irak en 2003 en passant par l’Afghanistan, puis en ayant la responsabilité entière du théâtre d’opération moyen-oriental à la fin de sa carrière, James Mattis est un fin connaisseur de la région. Et surtout il considère que les Américains doivent y conserver une place : il a toujours milité pour le maintien d’une présence militaire en Irak comme en Afghanistan, considérant que cette présence était un poste d’observation irremplaçable pour les Etats-Unis. Si la menace essentielle lui parait être l’Iran, ces derniers propos laissent à penser que l’accord sur le nucléaire avec l’Iran ne sera pas remis en cause. Il préconise toutefois que les 6 maintiennent la pression la plus grande afin que l’Iran respecte cet accord. James Mattis préconise par ailleurs de s’appuyer sur les pays arabes alliés traditionnels dans la région : Emirats arabes unis, Jordanie, Arabie Saoudite et Egypte. Israël est également considéré comme un allié des Etats-Unis mais James Mattis est partisan de la solution à deux Etats pour régler le conflit israélo-palestinien et considère que la politique de colonisation d’Israël fait obstacle à la paix au Proche-Orient. Enfin, il ne considère pas que la question de Daech soit la menace à traiter en priorité.

Tout ceci dépeint donc un tableau à la fois très contrasté, avec des positions qui s’éloignent déjà pour partie de celles tenues par Donald Trump durant la campagne électorale.

Mais surtout on voit mal James Mattis militer pour un retrait des Etats-Unis de l’OTAN alors même qu’il a été le dernier militaire américain à être à la tête du commandement allié à la transformation de l’OTAN de 2007 à 2009, avant qu’un Français ne prenne ce poste après le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’organisation. Il connaît donc bien cette institution et son intérêt. Lors d’une audition devant le comité des forces armées du Sénat américain en janvier 2015, il recommandait même une politique active des Etats-Unis dans l’OTAN afin que cette organisation fasse preuve de plus de vigilance face à la remontée en puissance de la Russie. Sa nomination devrait sans doute rassurer les pays d’Europe centrale et les pays baltes, mais également rendre plus aléatoire la perspective d’un accord américano-russe sur la Syrie.

Enfin, les propos de James Mattis laissent à penser que les armes nucléaires pourraient jouer un rôle moins central dans la politique de défense américaine. Il a ainsi posé la question de l’abandon de la triade et des missiles nucléaires basés à terre lors de cette même audition devant la commission des forces armées du Sénat. Il semble également remettre en cause, tout au moins partiellement, la politique du pivot tout en recommandant de développer les forces navales, notamment pour assurer la présence en Asie dans une phase de réduction des forces armées américaines. Homme de terrain, et d’occupation du terrain, il n’est pas certain qu’il milite pour une armée qui privilégie le tout technologique, ce qui pourrait le conduire à remettre en cause – ou tout au moins à infléchir – la Third Offset Strategy développée par l’ancien secrétaire d’Etat à la Défense depuis fin 2014.

Enfin, dans tous ses propos depuis 2013, James Mattis a focalisé ses critiques sur la présidence Obama sur l’absence de visibilité et de clarté de la politique stratégique américaine. Même si les Européens peuvent s’inquiéter de certaines des orientations préconisées par James Mattis, ils partageront tout au moins cette dernière avec lui à un moment où personne ne comprend véritablement quelle sera la politique étrangère et de défense du nouveau président américain.

[1] La règle actuelle ne lui permet pas d’occuper ce poste. Un militaire ne peut occuper une fonction au sein du pouvoir exécutif qu’après un délai de 7 ans après avoir quitté l’armée. Or, James Mattis occupait son dernier poste en 2013. Il faut donc que le Congrès lève cette interdiction pour autoriser cette nomination.

A six mois des élections présidentielles, où en est l’Iran ?

Fri, 02/12/2016 - 16:23

Donald Trump a promis de « déchirer » l’accord sur le nucléaire iranien durant sa campagne pour les présidentielles américaines. Comment les Iraniens ont-ils réagi à l’annonce sa victoire? Doivent-ils craindre une remise en cause de l’accord ?

Après les élections américaines, l’ayatollah Ali Khamenei, a prononcé un discours dans lequel il s’est dit « ni déçu, ni satisfait ». Pour lui, l’accord a d’abord été conclu entre l’Iran et les 5 +1. Les Américains ne sont donc pas les seuls garants de l’accord. Le guide suprême a toutefois critiqué l’attitude des Etats-Unis, qui selon lui, et contrairement à l’Iran, ne respectent pas les engagements pris à la signature de l’accord, notamment au niveau des sanctions financières. A propos du Congrès, il s’est montré menaçant en annonçant que l’Iran considérera tout vote de nouvelles sanctions économiques par les élus américains comme une attaque contre l’accord sur le nucléaire. Il laisse ainsi entrevoir une réaction ferme de l’Iran dans les cas où les Américains ne respecteraient pas leur part du contrat.
En ce qui concerne la société iranienne, les réformistes au pouvoir étaient plus favorables à Hilary Clinton, mais les différents courants politiques iraniens ne sont pas pour autant hostiles à Donald Trump. Ils ont tendance à le considérer comme un businessman pragmatique avec qui on peut s’entendre. De plus, le positionnement de Donald Trump sur la Syrie, qui souhaite collaborer avec la Russie, tranche avec la position de ses prédécesseurs et se rapproche de celle des Iraniens. Les réformistes ne voient également pas d’un mauvais œil le regard neuf de Donald Trump sur la région du Moyen-Orient, ainsi que sa volonté d’entreprendre un rapprochement avec la Russie et de moins s’intéresser aux affaires du monde pour se concentrer sur les affaires américaines.
Cependant, Donald Trump s’est montré, durant la campagne, très critique sur l’accord sur le nucléaire iranien. Il a adopté un discours ferme, conforme au discours en vigueur chez les Républicains sur ce sujet. Il s’est, en outre, entouré de personnalités parmi les plus hostiles à l’Iran. Dans son entourage, on compte notamment Rudolph Giuliani pressenti au poste de Secrétaire d’Etat, John Bolton, ainsi que plusieurs hauts responsables de la sécurité militaire.
Avec l’élection de Donald Trump, nous nous retrouvons dans l’incertitude quant à la nature de futures relations américano-iraniennes. Bien que pragmatique, Trump devra composer avec un Congrès, acquis aux Républicains, plutôt hostile à l’Iran et qui vient de voter le renouvellement des sanctions sur l’industrie énergétique iranienne.

Alors que les Etats-Unis viennent d’accorder leur feu vert pour les ventes d’Airbus à l’Iran, quid de l’ouverture effective de l’économie iranienne ? La France arrive-t-elle à tirer son épingle du jeu à l’image du méga contrat remporté par Total pour le développement d’un important gisement gazier ?

L’économie iranienne n’a jamais été fermée. Le pays commerçait beaucoup avec l’Europe avant 2006. Après l’entrée en vigueur des sanctions, elle s’est tournée vers l’Asie et les pays voisins comme la Turquie ou l’Afghanistan.
Depuis les accords sur le nucléaire, une ouverture économique se met en place progressivement. L’Iran a d’ores et déjà fait son retour en tant qu’exportateur d’hydrocarbures. Ses exportations ont repris leur niveau d’avant les sanctions. Une donne importante pour l’Iran, quand on sait que les hydrocarbures représentent 80% de ses exportations et la moitié de ses recettes budgétaires. L’OPEP, dans les récents accords, a d’ailleurs autorisé l’Iran à augmenter légèrement sa production.
Pour le reste, la mise en œuvre de l’ouverture de l’Iran est plus complexe et prend du temps. Des délégations étrangères, notamment des politiques et des entreprises européennes, se sont d’ores et déjà rendues en Iran. De son côté, Hassan Rohani a entrepris des visites en France et en Italie. Tout comme Total, Peugeot a récemment signé un contrat avec l’Iran. Cependant, la signature de ses contrats ne se vérifie pas encore dans les chiffres et la France ne fait pas partie des 10 premiers exportateurs sur le marché iranien. Un élément majeur bloque les avancées : les banques européennes refusent encore de coopérer avec l’Iran.
La réaction des banques européennes est compréhensible. Elle fait écho aux sanctions financières imposées à BNP Paribas par la justice américaine (BNP Paribas s’était vue affliger, en 2014, une amende record de 9 milliards d’euros pour non-respect des embargos américains ; elle avait notamment facilité des transactions en dollars avec Cuba, l’Iran et le Soudan). Aujourd’hui, certaines sanctions restent en vigueur, la banque qui y dérogerait se verrait infliger une amende ainsi qu’un retrait de sa licence pour accéder au marché financier américain. Malgré les opportunités d’affaires, aucune banque ne se hasarde à s’exposer aux sanctions américaines. C’est une question de gestion du risque, en l’absence de garanties, les grandes banques européennes refuseront de collaborer avec l’Iran.
Dans cette situation, les dirigeants européens doivent intervenir et offrir des garanties aux banques, d’autant plus que le gouvernement iranien met beaucoup de moyens en œuvre pour renouer des relations financières avec l’Europe. Ils ont notamment accepté d’appliquer une réglementation contre le blanchiment d’argent.
L’élection de Donald Trump est venue agrandir l’incertitude dans laquelle se trouvent les banques européennes, car le futur président des Etats-Unis laisse planer un éventuel durcissement des sanctions à l’encontre de l’Iran. Cette éventualité représente aussi une opportunité pour l’Europe. Nos politiques pourraient très bien refuser de se faire imposer leurs vues aux Américains et d’offrir des garanties aux banques pour investir en Iran. Malgré tout, je ne vois pas les entreprises françaises retrouver la part de marché qu’elles avaient auparavant (en 2005-2006, l’Iran était le premier marché de la France au Moyen-Orient), sans le retour des grandes banques européennes sur le territoire iranien.

L’Iran est à six mois de son élection présidentielle. Hassan Rohani peut-il parvenir à se maintenir au pouvoir ? Les « modérés ont-ils su apporter les changements attendus par la société iranienne ?

Hassan Rohani fait en effet partie des conservateurs modérés qui ont scellé une alliance avec le camp des réformistes pour s’opposer aux conservateurs plus radicaux.
Les élections présidentielles se tiendront dans 6 mois. Comme dans toute élection, il est difficile de prévoir qu’elle en sera son issue. On sait qu’il existe un mécontentement général des Iraniens par rapport aux résultats de la politique d’Hassan Rohani sur le plan économique.
Grâce une levée progressive de l’embargo, l’Iran a optimisé ses exportations d’hydrocarbures et le pays enregistre une croissance de 4% par an. Les habitants n’en perçoivent cependant pas les retombées. Les sanctions continuent de peser sur les banques européennes, ce qui freine le développement de l’économie iranienne. De plus, il faut, en général, plusieurs années consécutives de croissance avant que des impacts positifs sur la population ne soient générés. Le pays reste marqué par d’importants problèmes d’inégalités et surtout de chômage. Il y aurait 18 % de chômeurs et les jeunes diplômés souffrent de problèmes d’insertion dans le monde professionnel.
Sur le plan social, les tensions sont fortes en Iran et Hassan Rohani n’a pas été en mesure d’améliorer la situation quotidienne des Iraniens. Il est vrai que les radicaux se sont également opposés à toute évolution de la société iranienne. A travers la justice notamment, ils ont mené une politique de répression systématique sur les artistes, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme. Beaucoup de concerts ont, par exemple, été annulé par la justice. Celle-ci est indépendante de l’exécutif et plutôt acquise aux conservateurs radicaux. Par conséquent, Hassan Rohani n’a pas été en mesure d’exercer une influence sur cette instance. Avec les groupes les plus radicaux, mais aussi avec l’aide du Guide suprême, la justice a mené une politique de « sabotage » de la politique d’ouverture économique et de normalisation des relations de l’Iran avec l’étranger.
Malgré le bilan mitigé d’Hassan Rohani sur le plan économique et social, les radicaux ne semblent cependant pas en mesure de trouver un candidat susceptible de représenter une alternative crédible. Parmi les radicaux, Mahmoud Ahmadinejad conserve une certaine popularité, notamment parmi les classes les plus pauvres de la population iranienne mais le Guide lui a « conseillé » de ne pas se présenter aux élections. D’autre part, la population iranienne est mature, bien éduquée et semble peu enclin à un retour en arrière. Les radicaux sont, par exemple, très hostiles à l’accord sur le nucléaire alors que la majorité de la population le soutient.
Si Hassan Rohani, durant les deux premières années de son mandat, s’est focalisé sur la signature d’un accord sur le nucléaire, il doit désormais apporter des réponses sur le mécontentement économique et social de la population s’il souhaite se maintenir au pouvoir.

L’Initiative de « Trois mers » – la coopération Nord-Sud au centre de l’Europe, le nouvel axe de la politique étrangère polonaise

Fri, 02/12/2016 - 10:20

Les 25 et 26 août 2016, lors du Forum International de Dubrovnik (Croatie) qui a réuni les représentants de 12 pays d’Europe centrale, tous membres de l’Union européenne, une nouvelle plateforme de coopération, appelée l’Initiative de « Trois mers », a été lancée. Initiative conjointe polonaise et croate, ce Forum a permis de concrétiser l’idée d’une coopération renforcée au centre de l’Europe, dans l’espace entre la Baltique, l’Adriatique et la mer Noire, autour de grands projets communs. La Déclaration, adoptée par les représentants de l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République Tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie, souligne la nécessité d’une coopération Nord-Sud en Europe centrale dans des domaines stratégiques pour les économies des pays de la région, tout en restant dans le cadre de l’Union européenne. Les représentants des Etats-Unis et de la Chine ont également participé au Forum.

L’Initiative des « Trois mers » (Baltique, Adriatique, Mer noire) plonge ses racines dans l’histoire polonaise. Le projet politique « Intermarium » (« Miedzymorze » en polonais) de Jozef Pilsudski est né dans l’entre-deux-guerres et prévoyait de fédérer les pays d’Europe centrale et orientale dans l’espace s’étendant entre trois mers : Baltique, Adriatique et Mer Noire [1]. Une telle fédération devait permettre à l’Europe centrale de faire contrepoids à la suprématie de l’URSS et de l’Allemagne, deux puissances dominantes dans la région, et de sécuriser l’indépendance nouvellement acquise par certains pays de la région face à la menace qui se profilait tant à l’Est qu’à l’Ouest de la région. Dans l’entre-deux-guerres, en raison de la situation géopolitique complexe de la région (entre autres les différends frontaliers, les problèmes liés aux minorités nationales) et malgré quelques initiatives, le projet « Intermarium » en est resté au stade de concept. Par ailleurs, cette idée renouait avec la tradition bien plus ancienne de la République des Deux Nations, union politique et militaire entre le Royaume de Pologne et le Grand-Duché de Lituanie, scellée par l’Union de Lublin en 1569.

L’idée d’une coopération plus forte entre les pays du centre de l’Europe dans l’espace correspondant à « Intermarium », a été remise en avant par le président polonais, Andrzej Duda, au cours de sa campagne présidentielle. Une fois élu président, il a pris l’initiative conjointe avec la présidente croate, Kolinda Grabar-Kitarovic, d’organiser une première rencontre des pays de la région. L’occasion se présenta en 2015, lors de 70ème session de l’Assemblée de l’ONU. Les représentants d’Europe centrale ont discuté notamment de la nécessité de construire ensemble des infrastructures permettant de relier leurs pays suivant l’axe Nord-Sud. Par la suite, le président polonais a poursuivi l’action diplomatique dans toute la région : afin de promouvoir son idée, Andrzej Duda a rencontré tous les présidents des pays concernés.

La préparation du sommet de l’OTAN à Varsovie (les 8-9 juillet 2016) a été une opportunité particulièrement intéressante de rencontres et de promotion de la coopération entre les pays d’Europe centrale. Ainsi, à l’initiative des présidents polonais et roumain, la réunion des chefs d’Etat de neuf pays d’Europe centrale situés sur le flanc Est de l’OTAN a eu lieu le 4 novembre 2015 à Bucarest [2]. Il s’agissait de préparer une position commune en vue du sommet de l’OTAN de Varsovie. A l’issue de cette rencontre, les représentants de tous les pays participants ont signé un document, dans lequel les pays signataires soutenaient l’idée du renforcement du flanc Est de l’OTAN par la présence des forces armées de l’Alliance. La Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque n’ont pas demandé la présence militaire de l’Alliance sur leurs territoires, mais ont soutenu la demande des autres. Le résultat de la réunion de Bucarest a été considéré comme un succès. Pour le président polonais c’était la preuve qu’une initiative de coopération comme celle de « Trois mers » pourrait aussi, en dehors des aspects économiques, permettre d’améliorer la sécurité dans la région.

Le Forum de Dubrovnik 2016, qui lança officiellement l’Initiative de « Trois mers » a eu lieu 25 et 26 août 2016 à Dubrovnik, en Croatie, sur le thème « Renforcer l’Europe – Relier le Nord et le Sud ».

Dans son discours prononcé lors du Forum, Andrzej Duda a souligné que le projet de renforcer les liens entre les pays de l’espace de « Trois mers » était constamment présent dans ses rencontres bilatérales et multilatérales. Ensuite, il a exposé trois composantes essentielles, à ses yeux, de cette nouvelle coopération : les infrastructures de transport et de communication, l’approvisionnement énergétique et la coopération scientifique et culturelle. Ainsi, il a insisté sur le fait que les pays de la région de « Trois mers », partie importante de la communauté euroatlantique, souhaitaient enrichir cette dernière et contribuer activement à son développement suivant l’axe Nord-Sud (dont le potentiel n’est pas pleinement utilisé) qui devrait compléter l’axe Ouest-Est. L’intégration européenne devrait être renforcée par des liens Nord-Sud, notamment par le développement des infrastructures de transport et de communication. Cela est essentiel pour la coopération régionale, mais également pour la coopération économique avec les partenaires globaux, comme la Chine. Le défi majeur dans ce domaine, mentionné par le président Duda, est la réalisation du couloir de transport Baltique – Adriatique. Des projets concrets, Via Carpatia et Via Baltica, prévoient la construction d’infrastructures routières et ferroviaires. Via Carpatia est un projet d’une route internationale « Nord – Sud » reliant Klaïpeda en Lituanie à Salonique en Grèce. Cette route passera par la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la Grèce et elle reliera la Baltique à la Mer Noire et la Méditerranée. Via Baltica, dont la construction doit être achevée en 2020, reliera l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne. Son complément ferroviaire, Rail Baltica, devra assurer la liaison entre Berlin et Helsinki en passant par Varsovie.

D’après le président polonais, une meilleure utilisation du potentiel de l’axe Nord-Sud permettrait d’enrichir le processus d’intégration européenne. Dans son discours, il soulignait la nécessité de nuancer les relations entre le « centre » et les « périphéries », caractérisées par les transferts en sens unique de solutions politiques, culturelles et économiques, ne prenant pas en compte le contexte historique particulier des périphéries. « Nous voulons l’unité et l’intégration, mais cela ne signifie pas que nous voulons l’uniformisation. L’intégration n’est pas l’ennemie de la diversité. Cette logique, nous pouvons la changer en développant la coopération entre les pays de « Trois mers » et dans l’axe Nord-Sud », a-t-il dit.

Le développement des infrastructures énergétiques dans la région de « Trois mers » occupait une place particulièrement importante dans le discours d’Andrzej Duda. Il a évoqué la menace pour les approvisionnements de la plupart des pays de la région résultant de la domination russe en tant que principal fournisseur en énergie. La réponse à ce problème est la diversification des approvisionnements. Le projet phare dans ce domaine serait la mise en place d’un couloir gazier Nord-Sud, reliant le terminal LNG à Swinoujscie, en Pologne, au terminal croate sur l’île de Krk. La réalisation de ce projet permettrait de diversifier les sources d’approvisionnement en gaz liquéfié en provenance, entre autres de l’Afrique du Nord, des Etats-Unis, du Canada et du Moyen-Orient. Par ailleurs, un autre projet, Nord Stream 2, est au cœur des préoccupations énergétiques de plusieurs pays d’Europe centrale. La Pologne est en effet particulièrement opposée à la construction de ce gazoduc reliant la Russie et l’Allemagne via la mer Baltique et qui accroîtrait encore plus la dépendance de l’Europe vis-à-vis du gaz russe. D’autres domaines de coopération évoqués dans le discours du président polonais sont la coopération scientifique et culturelle ainsi que les échanges de jeunes. D’après ses propos, la proximité géographique des pays doit s’accompagner d’un rapprochement entre les sociétés civiles.

Lors du Forum de Dubrovnik, les représentants des 12 pays de l’Initiative de « Trois mers » ont adopté une Déclaration commune sur la coopération dans les domaines de l’énergie, des transports, du numérique et de l’économie. La Déclaration souligne l’importance pour les pays de la région de relier leurs économies et leurs infrastructures dans le sens Nord-Sud, afin de compléter le marché commun européen construit essentiellement suivant l’axe Ouest-Est. Le renforcement de la coopération dans ces quatre secteurs permettrait de rendre les pays d’Europe centrale plus sûrs et plus concurrentiels en renforçant l’Union européenne dans son ensemble. Dans la Déclaration, les participants ont exprimé leur conviction que la coopération dans la région Baltique-Adriatique-Mer Noire, aussi bien à l’intérieur de l’UE que dans l’espace transatlantique plus large, devait être renforcée, « toutefois sans la mise en place de structures parallèles aux mécanismes déjà existants de coopération ». L’initiative est considérée donc comme une « plateforme informelle » de coopération des pays d’Europe centrale qui permettra d’obtenir l’appui politique nécessaire pour réaliser des projets transrégionaux et macro-régionaux d’importance stratégique dans ces quatre domaines. D’après le texte, l’Initiative de « Trois mers » est ouverte aux partenariats avec les sujets économiques et étatiques du monde entier qui respectent des valeurs et les principes fondamentaux de l’Union européenne.

Lors de la conférence de presse commune d’Andrzej Duda et de la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarovic, le président polonais a insisté sur deux éléments : l’infrastructure énergétique, permettant la diversification des approvisionnements et l’aide mutuelle en cas de crise énergétique et l’infrastructure routière et ferroviaire, notamment les projets précis Via Baltica et Via Carpatia. Ainsi, l’approfondissement de l’intégration, renforcerait la cohésion de l’Union européenne et de ses régions, et en conséquence permettrait l’amélioration du niveau de vie des populations. « Nous voulons nous développer, resserrer les liens, construire cet espace commun de coopération économique et dans le domaine de la sécurité », a dit le président polonais. De son côté, la présidente croate a insisté sur le fait, que l’Initiative de « Trois mers » n’avait pas pour objectif d’éloigner les pays engagés dans l’Initiative de l’UE, mais de réduire les disparités entre ces pays et les autres pays membres de l’UE, ce qui contribuerait au renforcement de l’Union.

A propos de cette nouvelle coopération en Europe centrale, la question reste ouverte de savoir dans quelle mesure cette initiative peut intéresser d’autres pays de la région, en particulier l’Ukraine, pays auquel la Pologne porte une attention particulière.

La veille du Forum de Dubrovnik, le 24 août 2016, Andrzej Duda s’est rendu en Ukraine à l’occasion de 25ème anniversaire de l’indépendance de l’Ukraine où il a présenté sa vision d’intégration des pays d’Europe centrale et orientale. C’est à Kiev que le nom d’Initiative de « Trois mers » a été utilisé pour la première fois, à la place de « Intermarium », trop marqué historiquement. Dans le discours prononcé lors de la réunion annuelle des ambassadeurs ukrainiens, il a insisté sur le fait que cette intégration devrait se construire dans le cadre de l’UE et de l’OTAN. Cependant, le président polonais a suggéré qu’il s’agissait de construire un bloc autonome par rapport aux grands Etats de l’Ouest et de l’Est de l’Europe. Selon ses propos, repris ensuite à Dubrovnik, il est nécessaire de changer la vision de l’Europe, constituée du centre et de la périphérie, où le transfert des modèles se fait d’une façon unidirectionnelle, des pays occidentaux vers l’Est de l’Union. Dans cette vision, l’Ukraine pourrait être alliée de la Pologne « dans la construction de la communauté des nations de la région ». Le président polonais a présenté à Kiev les trois piliers de cette nouvelle forme d’intégration régionale. Le premier pilier serait la sécurité de la région, basée sur le potentiel militaire de tous les pays de la région, la présence permanente des forces armées de l’OTAN et la coopération militaire construite sur le modèle de la brigade Lituanie-Pologne-Ukraine. Les soldats de cette brigade ont défilé à Kiev à l’occasion de la fête d’indépendance. Le deuxième pilier est l’énergie, en particulier la construction d’infrastructures énergétiques permettant de diminuer la dépendance vis-à-vis de la Russie. La réconciliation entre les nations serait le troisième pilier. Par ailleurs, le président polonais a encouragé l’intégration transatlantique de l’Ukraine par le biais de la coopération avec la région des « Trois mers ». Toutefois, dans l’immédiat, le président Porochenko ne s’est pas exprimé à propos de la vision de « Trois mers » présentée par Andrzej Duda à Kiev.

L’Initiative de « Trois mers » en tant que nouvel axe de la politique étrangère polonaise a été confirmée récemment par Andrzej Duda dans l’interview publiée le 23 octobre 2016 [3]. Il a souligné que la Pologne, en tant que pays le plus important en Europe centrale, assumerait une plus grande part de responsabilité dans la sécurité de la région et à ce titre devait être en position de construire une communauté régionale d’intérêt. La coopération avec tous les pays d’Europe centrale et orientale est un des piliers de la souveraineté et de la position forte de la Pologne en Europe. Dans cette coopération régionale, les projets économiques méritent autant d’attention que le projet politique. L’Initiative de « Trois mers » doit permettre la réalisation de ces projets. Dans son interview, le président polonais a encore une fois insisté sur l’importance du développement des infrastructures suivant l’axe Nord-Sud, dont la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Tallinn et Dubrovnik avec des embranchements vers Vienne, Kiev, Bucarest, Sofia et Belgrade. Il a souligné, que l’idée de renforcer le potentiel économique de la région pouvait être coordonnée avec la coopération dans le Format « 16+1 », entre les seize pays d’Europe centrale et la Chine. Les réalisations dans le cadre de l’Initiative de « Trois mers » pourraient être ainsi reliées à la « Nouvelle Route de la Soie » : l’Europe centrale deviendrait le principal centre logistique de la « Nouvelle Route de la Soie » sur le continent, ce qui est un des principaux objectifs de la coopération dans le Format « 16+1 ».

L’ambition du président polonais est que la région des « Trois mers » devienne le partenaire des pays à l’Est (en particulier l’Ukraine) et au Sud de l’Union européenne, non membres de l’UE et pour certains n’appartenant pas à l’OTAN. A la fin de mois d’août 2016, a eu lieu une rencontre parlementaire des pays d’Europe centrale et orientale organisée par le président de la Diète (chambre basse du Parlement polonais) avec la participation des présidents et vice-présidents des Parlements de Biélorussie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Géorgie, Macédoine, Moldavie, Serbie, Ukraine ainsi que d’Azerbaïdjan, Arménie et Turquie. Le modèle que le président Duda souhaiterait concrétiser, c’est « la Pologne forte dans la région de « Trois mers », et la région forte dans l’espace de l’Europe centrale, orientale et du sud ». En conséquence, la région des « Trois mers » est un champ d’activité politique particulièrement important, qui donne, à travers des consultations avec les partenaires de la région, une possibilité d’élaborer une position commune, notamment lors des négociations au sein de l’UE. Le résultat pourrait effectivement contribuer à renforcer la position de la Pologne dans l’Union. Cela est d’autant plus probable, que le climat est favorable à l’intégration au centre de l’Europe. Entre autres, cela est confirmé par la coopération de l’Europe centrale avec la Chine dans le cadre du Format « 16+1 ». Le 5 novembre 2016, lors du dernier sommet du Format à Riga, le principal sujet des discussions était la coopération maritime entre les seize pays d’Europe centrale et la Chine, en intégrant dans cette coopération aussi le cadre de l’Initiative de « Trois mers ».

Les critiques sur l’Initiative de « Trois mers » insistent surtout sur le retour à l’ancien concept d’Intermarium, considéré comme utopique. Les raisons du gouvernement conservateur sont jugées comme purement idéologiques, relevant d’une contestation du rapport de forces actuel en Europe, marqué par la domination de l’Allemagne. La construction de « Trois mers » nécessite l’élaboration d’une stratégie régionale par rapport à l’Union européenne, dans la mesure où, pour les pays de la région, ce sont Bruxelles et Berlin qui constituent le principal point de référence. L’absence au Forum de Dubrovnik de cette problématique doit être considérée comme une faiblesse de l’Initiative. Pour l’instant, le pragmatisme dominant favorise avant tout la coopération économique. Mais l’Initiative pourrait prendre d’autres formes, en particulier la coopération politique. A Dubrovnik, où la crise ukrainienne était débattue, le premier pas a peut-être été fait en ce sens. L’Ukraine pourrait être invitée au prochain sommet de l’Initiative, en juin 2017 à Wroclaw, en Pologne.

En aucun cas, l’Initiative de « Trois mers » ne peut constituer une alternative à l’Union européenne. Dans ses discours, Andrzej Duda a bien insisté sur ce fait. Il est question de coopération régionale centre européenne, portant sur des projets concrets, s’effectuant dans le cadre de l’Union européenne et contribuant à une plus grande cohésion et au développement régional de l’Union. Tout récemment, le Parlement européen, dans son « Rapport sur le renforcement du maillage et de l’accessibilité des infrastructures de transport en Europe centrale et orientale », daté du 6 octobre 2016, souligne l’importance de la construction de Via Carpatia pour le développement des régions situées à la périphérie de l’Union européenne et encourage la mise en place de financements européens pour ce projet. Le même Rapport insiste sur le potentiel de développement de la « Nouvelle Route de la Soie » pour l’Europe centrale et orientale, qui grâce à sa situation géographique avantageuse, pourrait devenir un « centre logistique important et un pivot pour les communications entre l’Europe et l’Asie ».

[1] Pologne, Biélorussie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Ukraine, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie, Yougoslavie, éventuellement Finlande.
[2] Dans la réunion de Bucarest ont également participé le président de la Bulgarie – Rossen Plevneliew, de l’Estonie – Toomas Hendril Ilves, de la Lettonie – Raimonds Vejonis, de la Lituanie – Dalia Grybauskaite, de la Slovaquie – Andrej Kiska, de la Hongrie – Janos Ader, et le président de la chambre basse du Parlement de la République tchèque – Jan Hamaczek
[3] « Polski Przeglad Dyplomatyczny » Revue Diplomatique Polonaise PISM.

« Les États-Unis dans le monde » – 3 questions à Célia Belin et Frédéric Charillon

Fri, 02/12/2016 - 10:00

Célia Belin, docteure en science politique de l’Université Panthéon-Assas, est chargée de mission États-Unis/relations transatlantiques au CAPS. Frédéric Charillon est professeur des Universités en science politique à l’Université d’Auvergne, notamment. Ils répondent à mes questions à l’occasion de l’ouvrage Les États-Unis dans le monde, paru aux Éditions CNRS.

Vous évoquez une opposition entre « Amérique forteresse » et « Amérique flambeau ». Quels en sont les termes et les enjeux ?

Au-delà des joutes verbales et des guerres de twitter, ce qui s’est joué dans l’élection présidentielle américaine de 2016, est le positionnement de l’Amérique sur la scène internationale. Hillary Clinton et Donald Trump offraient aux électeurs une véritable alternative entre deux approches diamétralement opposées de la relation des États-Unis au reste du monde.

La candidate démocrate, proche de l’establishment, a clamé son attachement au rôle des États-Unis comme garant de l’ordre libéral international mis en place à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Perçue comme interventionniste, notamment à cause de ses positions en faveur de la guerre en Irak et en Libye, Hillary Clinton croit en l’exceptionnalisme américain et considère que les États-Unis, superpuissance indispensable, ne doivent pas se soustraire à leurs responsabilités internationales. Elle s’inscrit ainsi dans la pensée internationaliste encore dominante à Washington, incarnée par des intellectuels tels que Robert Kagan, auteur de The World America Made, ou Bruce Jones, auteur de Still Ours to Lead, pour qui l’Amérique, flambeau du monde libre, aurait encore vocation à guider les nations alliées hors des ténèbres, quitte à entretenir un réseau d’alliances en Europe, en Asie et au Moyen-Orient, encombrant mais rémunérateur.

À l’inverse, Donald Trump a remis en cause la légitimité de cette vision dominante, en développant une approche de tendance « jacksonienne », du nom du président Andrew Jackson, décrit par Walter Russell Mead comme un mélange d’isolationnisme, nationalisme et unilatéralisme. Donald Trump juge que les alliés de l’Amérique bénéficient des garanties de sécurité de la première puissance mondiale, sans assurer l’effort nécessaire à leur propre sécurité. Le candidat républicain, devenu président-élu, perçoit les relations internationales comme un jeu à somme nulle dans lequel les États-Unis doivent défendre leurs intérêts au sens strict. Dans le même temps, D. Trump cultive une vision obsidionale des États-Unis, qui seraient envahis de toute part, par les immigrés mexicains comme par les musulmans, auxquels il faut interdire l’accès « tant que l’on ne se sait pas ce qu’il se passe ». C’est cette Amérique forteresse avec laquelle le monde devra désormais composer.

Barack Obama a-t-il su adapter le leadership américain au monde post-américain ?

Dès le début de son premier mandat, le président Obama a eu l’ambition de remettre en adéquation la politique étrangère des États-Unis avec les moyens réels du pays et les évolutions géopolitiques.

Le président a d’abord axé son effort sur une stratégie du « retranchement stratégique », incarnée par le retrait d’Irak, la réduction des dépenses militaires, le passage d’une stratégie de contre-insurrection à une stratégie de contre-terrorisme, un usage accru des moyens de la guerre furtive (drones, surveillance, forces spéciales) pour gérer l’instabilité sans procéder à des changements de régime.

Parallèlement, Barack Obama a voulu miser sur de nouvelles formes de leadership, selon la logique du smart power, qui combine hard et soft power dans l’objectif que l’Amérique ne fasse plus un usage systématique et coûteux de la force brute. Le pivot vers l’Asie, le leading from behind en Libye, les négociations commerciales avec l’Asie ou l’Europe et les sanctions économiques à l’encontre de l’Iran et de la Russie sont autant de modalités différentes de ce smart power, avec des succès variables.

Enfin, il a choisi de faire évoluer certains blocages historiques, en ouvrant la possibilité d’une relation pragmatique avec Cuba, le Vietnam ou encore la Birmanie. Si l’accord sur le nucléaire iranien a fait tomber l’un des plus gros tabous de la politique étrangère américaine, il est fragilisé par le retour au pouvoir du camp républicain, qui ne croit pas en son efficacité.

Le président Obama a donc fait fortement évoluer la posture américaine dans le monde. Pour certains, il l’a rationnalisée et renforcée afin de mieux appréhender les défis futurs, mais, pour d’autres, il a aussi contribué à accélérer le passage au « monde post-américain », notamment en créant une impression de vide de pouvoir, par exemple en Syrie, et en favorisant l’affirmation de la Russie et de la Chine. Le débat reste ouvert.

Vous évoquez une position insolite pour les États-Unis : celle d’avoir comme priorité extérieure l’ensemble du système international. Pouvez-vous développer ?

Contrairement à la plupart des puissances qui organisent leurs priorités de politique étrangère autour de deux ou trois cercles d’intérêt (généralement l’environnement stratégique régional, la relation avec les puissances globales, et éventuellement des régions plus lointaines avec lesquelles des liens historiques existent), les États-Unis ont le monde entier pour priorité. D’abord parce qu’ils en ont les moyens : c’est la première puissance mondiale, avec un niveau de dépenses militaires qui continue d’approcher 40% du total de la planète. Ensuite parce qu’ils se considèrent comme une nation exceptionnelle, indispensable, dont dépend la sécurité internationale. Enfin parce qu’il est exact que leurs intérêts politiques et économiques sont globaux.

Dans ces conditions, la priorité n’est pas dictée par la géographie, mais plutôt par l’actualité. Toute crise de nature à remettre en question le système international et les valeurs sur lesquelles repose la suprématie américaine (libre échange, stabilité de partenaires clefs), où qu’elle se situe, devient une priorité. C’est naturellement le cas de beaucoup de pays du monde, à cette différence que seuls les États-Unis ont le réseau diplomatique, l’influence politique et la capacité de projection militaire pour intervenir seuls si besoin à l’échelle universelle.

Un mot enfin sur cette préoccupation typiquement américaine pour le « système international ». Depuis l’époque bipolaire, la question de la structure du système international (est-il devenu unipolaire ? – ce que personne ne soutiendrait plus aujourd’hui – est-il multipolaire ? Apolaire ?) est omniprésente dans le débat intellectuel aux États-Unis. Cette préoccupation existe certes également en Russie et de façon croissante en Chine, mais plutôt sur une tonalité critique, pour contester les équilibres actuels de ce système. Nulle-part autant qu’aux Etats-Unis, elle n’est abordée avec autant de conservatisme. Conservatisme, parce que la question est de savoir si, après, un XXe siècle « américain », le XXIe le sera également. En d’autres termes, il y a aux États-Unis, à juste titre, le sentiment que le pays a réussi à constituer un système international globalement conforme à ses intérêts. Et de façon très singulière, ce système, en soi, et sa préservation (ou son évolution dans le maintien des équilibres) constituent un enjeu de politique étrangère fort.

« Les États-Unis dans le monde » – 3 questions à Célia Belin

Thu, 01/12/2016 - 18:22

Célia Belin, docteure en science politique de l’Université Panthéon-Assas, est chercheure associée au Centre Thucydide et chargée de mission États-Unis/relations transatlantiques au CAPS du ministère des Affaires étrangères. Elle répond à mes questions à l’occasion de l’ouvrage Les États-Unis dans le monde, co-écrit avec Frédéric Charillon et paru aux Éditions CNRS.

Vous évoquez une opposition entre « Amérique forteresse » et « Amérique flambeau ». Quels en sont les termes et les enjeux ?

Au-delà des joutes verbales et des guerres de twitter, ce qui s’est joué dans l’élection présidentielle américaine de 2016, est le positionnement de l’Amérique sur la scène internationale. Hillary Clinton et Donald Trump offraient aux électeurs une véritable alternative entre deux approches diamétralement opposées de la relation des États-Unis au reste du monde.

La candidate démocrate, proche de l’establishment, a clamé son attachement au rôle des États-Unis comme garant de l’ordre libéral international mis en place à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Perçue comme interventionniste, notamment à cause de ses positions en faveur de la guerre en Irak et en Libye, Hillary Clinton croit en l’exceptionnalisme américain et considère que les États-Unis, superpuissance indispensable, ne doivent pas se soustraire à leurs responsabilités internationales. Elle s’inscrit ainsi dans la pensée internationaliste encore dominante à Washington, incarnée par des intellectuels tels que Robert Kagan, auteur de The World America Made, ou Bruce Jones, auteur de Still Ours to Lead, pour qui l’Amérique, flambeau du monde libre, aurait encore vocation à guider les nations alliées hors des ténèbres, quitte à entretenir un réseau d’alliances en Europe, en Asie et au Moyen-Orient, encombrant mais rémunérateur.

À l’inverse, Donald Trump a remis en cause la légitimité de cette vision dominante, en développant une approche de tendance « jacksonienne », du nom du président Andrew Jackson, décrit par Walter Russell Mead comme un mélange d’isolationnisme, nationalisme et unilatéralisme. Donald Trump juge que les alliés de l’Amérique bénéficient des garanties de sécurité de la première puissance mondiale, sans assurer l’effort nécessaire à leur propre sécurité. Le candidat républicain, devenu président-élu, perçoit les relations internationales comme un jeu à somme nulle dans lequel les États-Unis doivent défendre leurs intérêts au sens strict. Dans le même temps, D. Trump cultive une vision obsidionale des États-Unis, qui seraient envahis de toute part, par les immigrés mexicains comme par les musulmans, auxquels il faut interdire l’accès « tant que l’on ne se sait pas ce qu’il se passe ». C’est cette Amérique forteresse avec laquelle le monde devra désormais composer.

Barack Obama a-t-il su adapter le leadership américain au monde post-américain ?

Dès le début de son premier mandat, le président Obama a eu l’ambition de remettre en adéquation la politique étrangère des États-Unis avec les moyens réels du pays et les évolutions géopolitiques.

Le président a d’abord axé son effort sur une stratégie du « retranchement stratégique », incarnée par le retrait d’Irak, la réduction des dépenses militaires, le passage d’une stratégie de contre-insurrection à une stratégie de contre-terrorisme, un usage accru des moyens de la guerre furtive (drones, surveillance, forces spéciales) pour gérer l’instabilité sans procéder à des changements de régime.

Parallèlement, Barack Obama a voulu miser sur de nouvelles formes de leadership, selon la logique du smart power, qui combine hard et soft power dans l’objectif que l’Amérique ne fasse plus un usage systématique et coûteux de la force brute. Le pivot vers l’Asie, le leading from behind en Libye, les négociations commerciales avec l’Asie ou l’Europe et les sanctions économiques à l’encontre de l’Iran et de la Russie sont autant de modalités différentes de ce smart power, avec des succès variables.

Enfin, il a choisi de faire évoluer certains blocages historiques, en ouvrant la possibilité d’une relation pragmatique avec Cuba, le Vietnam ou encore la Birmanie. Si l’accord sur le nucléaire iranien a fait tomber l’un des plus gros tabous de la politique étrangère américaine, il est fragilisé par le retour au pouvoir du camp républicain, qui ne croit pas en son efficacité.

Le président Obama a donc fait fortement évoluer la posture américaine dans le monde. Pour certains, il l’a rationnalisée et renforcée afin de mieux appréhender les défis futurs, mais, pour d’autres, il a aussi contribué à accélérer le passage au « monde post-américain », notamment en créant une impression de vide de pouvoir, par exemple en Syrie, et en favorisant l’affirmation de la Russie et de la Chine. Le débat reste ouvert.

Vous évoquez une position insolite pour les États-Unis : celle d’avoir comme priorité extérieure l’ensemble du système international. Pouvez-vous développer ?

Contrairement à la plupart des puissances qui organisent leurs priorités de politique étrangère autour de deux ou trois cercles d’intérêt (généralement l’environnement stratégique régional, la relation avec les puissances globales, et éventuellement des régions plus lointaines avec lesquelles des liens historiques existent), les États-Unis ont le monde entier pour priorité. D’abord parce qu’ils en ont les moyens : c’est la première puissance mondiale, avec un niveau de dépenses militaires qui continue d’approcher 40% du total de la planète. Ensuite parce qu’ils se considèrent comme une nation exceptionnelle, indispensable, dont dépend la sécurité internationale. Enfin parce qu’il est exact que leurs intérêts politiques et économiques sont globaux.

Dans ces conditions, la priorité n’est pas dictée par la géographie, mais plutôt par l’actualité. Toute crise de nature à remettre en question le système international et les valeurs sur lesquelles repose la suprématie américaine (libre échange, stabilité de partenaires clefs), où qu’elle se situe, devient une priorité. C’est naturellement le cas de beaucoup de pays du monde, à cette différence que seuls les États-Unis ont le réseau diplomatique, l’influence politique et la capacité de projection militaire pour intervenir seuls si besoin à l’échelle universelle.

Un mot enfin sur cette préoccupation typiquement américaine pour le « système international ». Depuis l’époque bipolaire, la question de la structure du système international (est-il devenu unipolaire ? – ce que personne ne soutiendrait plus aujourd’hui – est-il multipolaire ? Apolaire ?) est omniprésente dans le débat intellectuel aux États-Unis. Cette préoccupation existe certes également en Russie et de façon croissante en Chine, mais plutôt sur une tonalité critique, pour contester les équilibres actuels de ce système. Nulle-part autant qu’aux Etats-Unis, elle n’est abordée avec autant de conservatisme. Conservatisme, parce que la question est de savoir si, après, un XXe siècle « américain », le XXIe le sera également. En d’autres termes, il y a aux États-Unis, à juste titre, le sentiment que le pays a réussi à constituer un système international globalement conforme à ses intérêts. Et de façon très singulière, ce système, en soi, et sa préservation (ou son évolution dans le maintien des équilibres) constituent un enjeu de politique étrangère fort.

La Chine, rempart pour le climat dans l’ère du trumpocène ?

Thu, 01/12/2016 - 11:15

Co-écrit avec Clémence Bourcet, diplômée de Grenoble Ecole de Management (GEM) et étudiante au sein du master Géopolitique et Prospective de l’IRIS.

Alors que l’Accord de Paris est effectivement entré en vigueur le 4 novembre dernier, les Etats-Unis et la Chine, qui représentent près de 40 % [1] des émissions de Gaz à effet de serre ou GES selon la comptabilité de l’ONU, avaient déjà, début septembre, à la veille du sommet du G20 à Hangzhou, affirmé leur volonté en la matière en signant simultanément le traité. La dynamique internationale de prise en compte et d’action pour lutter contre le changement climatique semblait bel et bien amorcée ! Cependant, l’élection du climatosceptique Donald Trump à la tête des Etats-Unis pourrait selon toute vraisemblance menacer ces avancées.

Qui pourrait alors prendre le leadership en opposition à la tendance américaine ? La Chine, premier émetteur mondial de GES et représentant plus de 20 % des émissions, connait actuellement des mutations économiques et environnementales importantes à même de structurer les évolutions climatiques internationales. Ainsi, la concomitance du rééquilibrage économique chinois (résultant notamment du 12ème plan quinquennal national achevé en 2015) et d’un 13ème plan fortement axé sur les thématiques environnementales, est sûrement une chance pour la Chine, mais également pour la sphère climatique internationale.

Rééquilibrage économique chinois : où en est-on ?

La Chine a enregistré une croissance annuelle de 6,9 % pour l’année 2015 et les prévisions pour 2016 montrent que l’économie chinoise devrait atteindre, au mieux, environ 6 %, et ce même si les estimations officielles tablent sur 6,7 %. Ces éléments conjoncturels confirment le ralentissement de l’empire du Milieu. Après avoir culminé à plus de 14 % en 2007, le taux de croissance de son économie est passé de 10,6 % en 2010 à 6,9 % en 2015, son taux le plus faible depuis près de 25 ans. Ce mouvement s’observe alors que le pays est en train de vivre l’un des plus importants changements de modèle de l’histoire économique mondiale, et ce dans un contexte international plutôt défavorable : la croissance mondiale est revue à la baisse trimestre après trimestre par les institutions internationales (FMI, Banque mondiale) et devrait juste dépasser 3 % cette année ; le commerce mondial devrait enregistrer, pour sa part, une croissance de 2,8 %, soit le même chiffre qu’en 2015. La transformation économique du modèle chinois est en outre génératrice de multiples incertitudes quant à la croissance future des pays émergents (récession actuellement au Brésil et en Russie), des pays producteurs de matières premières notamment les pays pétroliers, et des pays développés. Depuis le début 2016, la situation semble toutefois moins volatile en Chine et le pays a enregistré une stabilisation de son activité traduite par une croissance nationale en adéquation avec les prévisions gouvernementales (6,7 % sur les trois derniers trimestres), le maintien de la croissance de sa production industrielle à environ 6 %, les profits des entreprises en hausse de plus de 8 %, malgré de fortes disparités sectorielles, et une légère reprise de l’investissement manufacturier. Aussi, la Chine a, semble-t-il, enregistré un point bas en termes de croissance début 2016 après une année 2015 marquée par une forte correction boursière (un effondrement d’environ 40 % de la Bourse de Shanghai entre juin et décembre 2015), une forte volatilité des marchés financiers et de très fortes incertitudes sur le taux d’endettement des agents économiques (Etat, entreprises et ménages).

La Chine est ainsi entrée dans une véritable « décennie de transition » et elle fait face à de nombreux défis : avec un PIB par tête d’environ 8 000 dollars courants [2] en 2015, selon la Banque mondiale, le pays doit sortir de la trappe des pays à revenu intermédiaire en rééquilibrant sa croissance économique vers la consommation et les services, en réussissant la montée en gamme de ses chaines de valeur, et en adoptant des politiques monétaires permettant de piloter plus efficacement le dégonflement des bulles spéculatives immobilières et boursières observées depuis quelques années. La part du secteur tertiaire représente désormais la majorité du PIB chinois (50,5 %), contre environ 48 % en 2014 ; celle de la consommation privée est en forte progression et le commerce extérieur chinois, pivot de la croissance économique depuis près de 15 ans, voit son poids reculer. Sur l’année 2015, les exportations chinoises ont chuté d’environ 2,5 % et les importations d’environ 14,5 %. Toutes deux devraient encore reculer d’environ 4 % en 2016.

Représentant environ 15 % du PIB mondial en 2015, contre moins de 3 % en 1976, la Chine a connu une période de croissance ininterrompue supérieure à 10 % depuis près de 30 ans. Elle est devenue, en une décennie, le 1er consommateur mondial sur la majorité des marchés de matières premières et le principal importateur. Le pays a ainsi dépassé la moyenne mondiale de consommation pour un certain nombre d’entre elles et a même atteint un niveau de consommation par tête comparable aux Etats-Unis pour certains métaux non-ferreux. Il représente aujourd’hui près de 54 % de la consommation d’aluminium, 50 % de celle de nickel, 48 % de celle de cuivre, et plus généralement, son poids dépasse 40 % dans la consommation mondiale sur les marchés de métaux non-ferreux. Sa part importante dans la demande mondiale de coton (30 %) ou dans celle de nombreuses matières premières alimentaires (30 % pour l’huile ou le tourteau de soja, 30 % pour le riz, 22 % pour le maïs, 17 % pour le blé…) en fait un acteur global sur les marchés. Au final, son poids dans la consommation mondiale de pétrole (environ 12 %) ou de gaz (5,5 %) est relativement plus faible que sur les autres segments de matières premières ; en revanche, sa part dans la demande mondiale de charbon dépasse les 50 %, en liaison notamment avec la structure de sa demande d’énergie primaire.

L’impact du ralentissement chinois se diffuse ainsi au premier abord à l’ensemble des pays producteurs de matières premières et engendre des conséquences sectorielles marquées à travers le canal du commerce international. Ainsi, le secteur du transport maritime connait une déprime importante depuis 2010. Certes, le Baltic Freight Index (BFI/BDI) a enregistré un rebond depuis début 2016 mais il a été divisé par près de 4,5 depuis fin 2009 et reste toujours inférieur à son niveau initial de 1985 !

La Chine peut-elle trouver sa voie dans la croissance verte ?

Géant énergétique, le pays a surpassé les Etats-Unis comme premier consommateur mondial d’énergie dès 2008. En outre, l’accélération de la consommation énergétique chinoise, qui a doublé entre 2003 et 2015, a permis un rattrapage du niveau mondial moyen par habitant et lui est désormais supérieur de près de 20 %. Par ailleurs, la consommation énergétique du pays représente le tiers de la consommation moyenne américaine. Ce mouvement a eu pour conséquence une multiplication par trois entre 2001 et 2014 des émissions de CO2 chinoises. L’empire du Milieu représente désormais plus de 26 % des émissions de CO2 devenant ainsi le premier émetteur de la planète.

Le 13ème plan est particulièrement symptomatique de la volonté chinoise de prendre le leadership mondial sur les questions environnementales. En effet, les autorités sont conscientes des risques associés aux questions de pollution, notamment les risques de déstabilisation et de contestation politique de la part des citoyens chinois ainsi que les enjeux économiques et financiers associés. Le gouvernement chinois a mis en place, à travers son plan d’action stratégique en matière d’énergie (PASE 2014-2020) et le 13ème plan quinquennal national (2016-2020), un ensemble d’objectifs à atteindre en matière énergétique et environnementale. Ainsi, parallèlement à l’établissement d’un véritable cadre structurel favorable à l’investissement vert [3] et d’une commission (Green Finance Task Force) dès 2014, la question centrale de la transition énergétique chinoise repose sur la limitation de la consommation énergétique, la décarbonation progressive du mix énergétique et les efforts d’efficacité énergétique.

En matière de consommation énergétique, le 13ème plan fixe un plafond à environ 5 milliards de tonnes équivalent charbon (Gtec), contre 4,3 milliards actuellement, soit une hausse de seulement 16 % sur la période 2016-2020, pour une croissance annuelle du PIB de 6,5 % ! Si le charbon ne représenterait plus que 58 % de la consommation d’énergie primaire en 2020, contre 64 % actuellement, plus globalement l’intensité carbone du PIB doit être réduite de 18 % par rapport à 2015, sachant que l’objectif du 12ème plan (-17 % en 2015 par rapport à 2010) a été dépassé avec une baisse de près de 20 %. L’atteinte de cet objectif en 2020 permettrait donc à la Chine de parvenir à une réduction de 48 % de ses émissions entre 2005 et 2020, soit un dépassement par rapport à son objectif fixé à Copenhague de réduction de 40 à 45 % de ses émissions et l’engagerait vers la réduction de 60 à 65 % des émissions acceptée lors de l’Accord de Paris en 2015 ! L’intensité énergétique du PIB connaitrait également une réduction de 15 % d’ici 2020, sachant encore une fois que cette dernière a enregistré une diminution de 18 % en 2015 alors que l’objectif initial était de 16 % par rapport à 2010.

 

Tableau 1 : Capacité de production électrique

Source : D’après Tianjie, M. (2016) China’s 5 Year Plan for Energy. The Diplomat

La décarbonation du mix énergétique chinois passe par divers canaux : les investissements dans les capacités en énergies renouvelables (ENR) et le déclassement progressif des centrales à charbon. Si le gouvernement est particulièrement actif pour le premier point, le 13ème plan reste plus silencieux pour le second. En effet, la Chine affirme son leadership dans les investissements dans les ENR (elle représente 36 % des investissements internationaux en 2015, soit 102,9 milliards de dollars, avec un taux de croissance annuel moyen de 38 % depuis 2004 !). Toutefois, les efforts à venir de la Chine dans la limitation de sa consommation de charbon et le recul relatif de ce dernier dans le total de la consommation énergétique primaire (par exemple, l’objectif d’un poids des énergies non-fossiles de 15 % dans ce dernier total), affirmés dans le 13ème plan sont des pas importants montrant cette volonté de changer de modèle.

Les objectifs du 13ème plan en matières énergétique et environnementale pourraient, en outre, bénéficier des transformations du modèle économique actuel chinois. En effet, le rééquilibrage sectoriel en Chine permet de substituer progressivement le secteur des services, beaucoup moins intensif en matière d’émissions de CO2, à la production de biens manufacturés dans la composition du PIB. Le recul des exportations et des importations chinoises permet aussi d’envisager un net recul des émissions de GES liées à une certaine relocalisation des chaînes de production mondiales. Une autre composante intéressante en Chine reste l’effort à réaliser dans le management de la demande énergétique. Souvent mis à l’arrière-plan des politiques énergétiques, la gestion efficace de la consommation trouve sa place dans la politique actuelle. Elle permet d’apporter un double dividende à la politique chinoise. En effet, si les créations d’emplois dans les ENR (fabrication, pose…) resteront importantes, il est probable que les systèmes de management de la demande énergétique seront créateurs d’emplois dans les années futures. Ils devraient permettre d’atteindre l’objectif de création de 25 millions d’emplois dans les années à venir.

Pour conclure, dynamique dans le contexte mondial de transition énergétique, la Chine espère imposer son leadership sur les questions environnementales et climatiques. Ainsi, elle a fait savoir à deux reprises son opposition au candidat Trump en matière environnementale lors de la campagne électorale américaine. Elle souhaite bel et bien entrainer d’autres pays dans ce mouvement et, comme sur de nombreuses autres questions (investissements en Asie centrale dans les infrastructures à travers le projet de route de la soie, création de la Banque asiatique pour les investissements dans les infrastructures…), elle cherche à affirmer un nouveau mode de gouvernance. Dans un contexte où l’action du futur président des Etats-Unis sera très certainement en rupture avec l’administration Obama, la Chine pourrait tenter de faire entendre sa voix non plus seulement dans le cadre des Conférences of Parties internationales mais en proposant des nouveaux modes de gouvernance climatique mondiale. Comme sur de nombreux autres sujets de géopolitique internationale, la Chine cherche sa voie entre intégration dans le système international et création (imposition ?) d’un système alternatif de gouvernance !

 

[1] Selon la comptabilité de l’ONU, les Etats-Unis représentent environ 18 % des émissions.

[2] Environ 14 000 dollars en parité de pouvoir d’achat selon la Banque mondiale en 2015.

[3] Pour plus de détails, voir E. Hache, D. Leboullenger : https://theconversation.com/en-investissant-pour-sauver-le-climat-les-banquiers-sauveront-ils-les-banques-67426

Pourquoi le match Trump contre la Chine pourrait finalement être gagnant-gagnant

Wed, 30/11/2016 - 15:11

30Si la Chine est actuellement l’un des pays les plus fermés aux investissements étrangers, l’élection de Donald Trump pourrait faire évoluer la situation.

Selon Bloomberg View, l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis est susceptible de créer de réelles opportunités économiques pour Pékin comme Washington. En forçant peu à peu la Chine à s’ouvrir aux capitaux étrangers, à la manière du Japon, la politique de Donald Trump pourrait-elle effectivement profiter aux deux économies ?

Jean-Vincent Brisset : En introduction et précision préalable à cet entretien, il me paraît important de mettre en avant quelques éléments. Donald Trump, au cours de sa campagne, a fait plusieurs déclarations contradictoires concernant la politique qu’il comptait mener vis-à-vis de la Chine. Il convient donc de préciser qu’on ignore ce qu’il fera. Si, à titre de précédents historiques, on revient sur les déclarations concernant la Chine d’Obama ou de Bush Jr en tant que candidats et les actions menées ensuite en tant que présidents, les différences sont colossales.

Cette situation impose une certaine forme d’humilité et pousse à rappeler qu’il ne s’agit, finalement, que d’une hypothèse.

Si Donald Trump respecte ses dernières déclarations et que cela crée une opportunité d’investissement américain en Chine, cela se fera davantage au profit de Pékin que de Washington. Investir en Chine reste en effet extrêmement complexe : ce n’est pas parce que la Chine autorise plus d’investissements étrangers qu’elle permet le fonctionnement de ces mêmes investissements. Nous avons déjà assisté à des situations où la Chine autorisait des investissements étrangers à la seule condition que tout ce qui était fabriqué sur son sol soit ensuite réexporté. De telles solutions lui permettaient d’éviter toute concurrence sur son marché intérieur tout en concurrençant les pays ayant investi chez elle.

Bloomberg View prend l’exemple du Japon et de la façon dont les États-Unis ont permis son ouverture. La comparaison, cependant, n’est pas tout à fait exacte. Il n’a jamais été reproché au Japon de manipuler sa monnaie. La période de contrefaçon japonaise était terminée depuis des lustres déjà quand Reagan a modifié sa politique à l’égard de l’archipel. En outre, le Japon était strictement dépendant des États-Unis d’un point de vue militaire. Cela n’a jamais été vrai pour la Chine. Comme vous le constatez et comme le souligne d’ailleurs l’article de Bloomberg View, les différences sont nombreuses.

L’hypothèse, évidemment, d’une ouverture réelle de la Chine aux capitaux étrangers est plus favorable aux États-Unis, mais seulement sur le court terme. Si la liberté d’investissement permettait de récupérer les bénéfices – comme ce serait le cas dans une situation d’ouverture totale –, elle conduirait probablement à un partage de compétences entre les États-Unis et la Chine. Ce partage existe déjà plus ou moins, mais il serait amplifié. Pour l’heure, cela se limite à de la désindustrialisation, mais cela pourrait aller beaucoup plus loin : pendant très longtemps, la Chine aura encore un désavantage compétitif dans certains domaines. Si l’encadrement et la capitalisation des industries implantées est autorisée, et ce pour fonctionner sur le marché chinois comme à l’exportation, cela impliquerait une montée en qualité et en compétitivité de la Chine. Par conséquent, les Occidentaux, et tout particulièrement les États-Unis, y perdraient. Nous avons besoin de la Chine, aujourd’hui, pour maintenir les prix à un niveau suffisamment bas. Si les tarifs et les droits de douanes augmentaient de façon brutale, on constaterait des hausses de prix violentes. Cela toucherait tout spécialement les biens de consommation immédiate, utilisés par la population la moins favorisée.

Encore une fois, si l’on se base sur les déclarations de Trump, la situation peut profiter aux États-Unis, sur le court terme. Concrètement, cela permettrait de réguler les prix sur certains biens de consommation de façon à ce qu’ils soient assez bas. Cela permettrait aussi de créer des emplois américains à l’expatriation, et donc de permettre une hausse de la production de biens de consommation directe. Mais, malheureusement, sur le long terme cela pose le risque d’une perte d’autonomie.

Une telle hypothèse vous paraît-elle crédible, cependant ? Dans quelle mesure la Chine est-elle prête à faire preuve de plus d’ouverture ? Que risque-t-elle, si elle s’entête à verrouiller son marché intérieur ?

Il est difficile de dire que la Chine est prête à davantage d’ouverture. A l’heure actuelle, le marché de l’emploi chinois est extrêmement tendu pour les gens qualifiés. La Chine fait face à un gros déficit de personnel qualifié. Cela provoque d’ores et déjà des hausses de prix. L’envoi d’expatriés donnerait lieu à des conflits que les Chinois ne supporteraient pas. Il ne faut pas non plus oublier les problèmes de prérogatives que cela pourrait créer, entre Chinois et non-Chinois. A l’heure actuelle, dans les joint-ventures (coentreprises), la Chine impose toujours un directeur chinois.

Si cette règle venait à être supprimée – ce qui serait finalement l’aboutissement de l’ouverture de la Chine et de son marché – cela engendrerait de réels problèmes sociaux. Tout particulièrement dans une classe sociale privilégiée, proche de la classe dirigeante et prompte à la colère quand elle ne récupère pas sa part du gâteau. Il y a donc un ferment d’instabilité sociale que les Chinois craignent beaucoup.

En outre, ce que les Chinois autorisent le plus facilement aujourd’hui, c’est l’implantation d’industries dans les zones les plus défavorisées. Ils n’appellent pas à l’implantation d’entreprises étrangères dans les régions côtières ou les zones plus aisées. Or, dans une situation de liberté plus absolue d’investissement, des entreprises américaines auraient davantage tendance à investir du côté de Shanghai, de Canton ou de Ningbo que du côté du Xinjiang. Concrètement, cela apporterait plus de déséquilibre à une situation d’ores et déjà déséquilibrée. Or, on constate que Xi Jinping semble avoir des difficultés à contrôler son pays. Il est obligé d’avoir recours à la lutte anti-corruption et à l’arrestation d’individus d’importance, ainsi que de prôner un nationalisme fort. Tous ces éléments montrent ses soucis de gouvernance. Le principal problème des dirigeants chinois, et ce depuis la période des empereurs, a toujours été la paix sociale – ou au moins l’absence de conflit. Trop d’ouverture amènerait probablement des conflits : cela signifierait libéraliser un système qui l’est déjà considérablement aux yeux des Chinois et, surtout, créer un système libéral à deux vitesses. D’une part, on aurait le système libéral des étrangers et d’autre part le système libéral des Chinois. Le secteur d’État, qui a de gros soucis et qui représente 20 à 25% des employés chinois, se retrouverait encore plus en porte-à-faux qu’il ne l’est déjà.

Une trop grande ouverture engendrerait donc une certaine instabilité sociale. Depuis 20 siècles, pendant toute l’histoire de la Chine donc, l’ouverture a été perçue comme une menace. Il est peu probable que cela change du jour au lendemain.

À quoi pourrait ressembler le commerce mondial, si la ligne chinoise évoluait effectivement ? Pour qui cela s’avèrerait préjudiciable ?

Cela impliquerait une modification très lourde qu’il faudrait mesurer branche par branche, dans chaque secteur. Nous avons d’ores et déjà accepté une telle évolution – pratiquement achevée – dans le cadre de certains domaines (chaussures, écrans plats, etc.). En dépit des tarifs douaniers, il n’existe plus – par exemple – d’écrans plats qui ne soient pas en provenance de Chine. Au niveau mondial, donc, il y a quelques domaines où cette évolution est réelle. Du fait de sa dimension, très limitée, ça s’est fait sans trop de dommages. Si cette évolution prend une dimension plus large, cela devient difficile à imaginer. On peut penser que le commerce automobile serait très largement impacté, au détriment du Japon et de l’Europe. Dans l’aéronautique et l’aviation de ligne, ce serait très probablement le cas aussi. Les marchés chinois et américain se fermeraient de facto à Airbus et la concurrence mondiale serait beaucoup plus sévère.

Certains analystes estiment que si Donald Trump ferme complètement les frontières, la Chine va inonder le marché européen et pratiquer encore plus le dumping. C’est possible. Encore une fois, nous ignorons complètement ce que fera Donald Trump. Nous ne le saurons pas avant plusieurs mois. In fine, tout cela relève beaucoup du putatif.

Football. Les investissements chinois, « un mouvement lancé par le haut »

Wed, 30/11/2016 - 14:53

Entretien avec Pascal Boniface, géopolitologue. Ce dernier nous donne des indications sur la démarche des Chinois et de leurs investissements dans le football, en France.

Que cherche la Chine à travers des investissements dans les clubs de football français et, plus largement, européen ?

Il y a à la fois la Chine et les Chinois. Les investissements que nous évoquons ne sont pas ceux de l’État chinois. On a très bien vu ce que le Qatar recherchait avec le Paris Saint-Germain, dans le cadre d’un investissement étatique. Là, ce sont des entreprises privées chinoises. Et, en même temps, ce ne sont pas uniquement des initiatives individuelles, car il y a une sorte de mouvement lancé par le haut, par le président Xi Jinping qui invite à s’intéresser au football au niveau national et international. Et on peut penser que les différents investisseurs, dans leur diversité, le font à titre personnel, mais aussi en se disant que c’est une bonne façon de se faire bien voir du président. Donc, ce n’est pas individuel comme pour Rybolovlev à Monaco, et pas tout à fait étatique comme dans le cas du Qatar à Paris. On est un peu dans un entre-deux. La politique étatique est en arrière-fond, mais elle ne sous-tend pas chaque investisseur.

On peut parler d’incitation gouvernementale ?

Très clairement, car le président Xi Jinping a lancé un grand plan national du football, dans le but de faire de la Chine, une puissance de ce sport. Tout simplement parce que pour la Chine, dont l’ambition est d’être la première puissance mondiale, ne pas exister dans le sport est une sorte d’anomalie. Les Chinois n’ont été qualifiés qu’une seule fois pour la Coupe du monde, en 2002, au Japon et en Corée, et ils ont été éliminés au premier tour. Le président Xi Jinping sait très bien que le rayonnement de son pays doit être multifacettes et pas seulement économique. Ce qui a été fait pour les Jeux de Pékin, en pesant sur le tableau des médailles, en était déjà une démonstration. Mais on ne peut pas être une grande puissance sportive si on n’apparaît pas sur les écrans radars du football.

Comme dans le cas du Qatar, il y a une démarche construite, dans le but d’obtenir l’organisation de la Coupe du monde ?

Tant pour la Chine que pour le Qatar, malgré leurs différences de taille, de poids stratégique, de démographie, il est plus facile d’organiser la Coupe du monde que de la gagner. Parce que gagner une Coupe du monde est un effort sur le très très très long terme, aléatoire, alors qu’on a estimé légitime que la Coupe du monde soit organisée dans un pays musulman où elle ne l’avait jamais été. Par ailleurs, par définition on estime normal que le plus grand pays du monde ne reste pas à l’écart du plus grand rendez-vous. Par conséquent, on peut considérer qu’il est peu probable que la Chine gagne la Coupe du monde 2018, pour laquelle elle n’est pas sûre d’être qualifiée, ni celle de 2022 et 2026, en revanche, il est plus que probable qu’elle l’organise en 2030.

Les investisseurs chinois vous semblent-ils fiables et durables ?

Il y a autant de réponses que d’investisseurs. Car tous, même s’il y a une incitation étatique, répondent à des objectifs privés. Quand le Qatar rachète le PSG, c’est un fonds d’investissement, mais c’est l’État du Qatar en fait. On sait qu’avant 2022, rien ne bougera car c’est une priorité nationale et internationale pour le Qatar. Lorsque des investisseurs privés viennent en France parce qu’ils pensent faire une bonne opération, et se faire bien voir de Xi Jinping, on ne sait pas quels peuvent être leurs revers de fortune, l’avenir de leurs propres entreprises. Il y a donc une part d’aléatoire, comme dans le cas de Monaco avec des fonds d’une autre provenance, mais avec déjà trois changements d’orientation stratégiques. Mais ce que l’on voit, correspondant à la montée en puissance globale de la Chine, c’est qu’il y a des capacités d’investissements très fortes, et qu’en plus, les clubs français sont peu chers par rapport à leur potentiel de développement. Investir dans un club français, c’est à la fois être dans l’air du temps à Pékin, se faire plaisir si on est passionné de football, se distinguer de ses concurrents en ayant quelque chose qu’ils n’ont pas, car un club de football est une sorte de plume au chapeau comme peut l’être une propriété viticole. Il y a un peu un effet nobiliaire, « show off ».

Y-a-t-il un risque de sino-dépendance pour le football français ?

Je ne crois pas. Il y a là un effet levier car cela concerne plusieurs clubs. Mais en même temps, ce ne sont pas des clubs phares. On ne parle pas de l’OM. À Marseille, le ticket d’entrée était tout autre et les attentes du public seront immédiates. Alors qu’à Sochaux, Auxerre ou Nancy, c’est plus accessible, et il y a plus de temps pour agir. Donc, vous pouvez très bien avoir des gens qui vont réussir, un qui va abandonner en cours de route parce qu’il n’aura pas de retour sur investissement ou qu’il n’aura pas la patience d’attendre.

La logique n’est toutefois pas toujours celle d’un rachat…

Non, on l’a vu à Lyon notamment où Jean-Michel Aulas élargit son capital tout en conservant le contrôle.

La FFF et la LFP ouvrent un bureau à Pékin début 2017…

C’est une excellente stratégie que d’anticiper sur le mouvement et de se positionner immédiatement sur le marché le plus prometteur. Parce que le football chinois se développe non seulement au plan masculin, mais également au plan féminin. Et vu l’appétit des Chinois pour le jeu, leur retard en termes de structures, de formation, de contrôle de la compétition après des années de pourrissement par la corruption, combattue par le président dans ce domaine comme dans d’autres, il y a là, une terre d’avenir.

Les capitaux chinois sont-ils aujourd’hui au-dessus de tout soupçon ?

À peu près oui. Je pense que le GAFI (Groupe d’Action FInancière qui lutte notamment contre le blanchiment) et la DNCG (Direction Nationale du Contrôle de Gestion) regardent ce qu’il se passe en termes d’investissements. Les Chinois et Xi Jinping n’ont de toute façon pas envie d’avoir un scandale sur le dos sur quelque chose d’aussi visible que le football, car l’effet boomerang serait terrible.

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