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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 2 days ago

Côté d’Ivoire : impact de la nouvelle constitution et état des lieux

Fri, 04/11/2016 - 18:05

Quelles sont les caractéristiques de la nouvelle constitution ivoirienne ? Pourquoi l’opposition y était-elle farouchement opposée ?

Cette constitution, la troisième, prépare la naissance d’une IIIe République en Côte d’Ivoire. Une de ses caractéristiques majeures est la suppression de l’« ivoirité ». Mis en place en août 2000, lors de la seconde constitution, ce principe établissait comme critère d’éligibilité à la présidence du pays le fait d’être né de père et de mère ivoiriens. Cela avait un impact important auprès des personnes originaires du Burkina Faso, et notamment Alassane Ouattara, l’actuel président (d’origine burkinabaise, il n’avait pu se présenter aux élections de 2010 qu’à la faveur d’un décret).

Deuxième élément important, la création d’une seconde chambre, un Sénat, où deux tiers des représentants sont élus au suffrage indirect. L’autre tiers sera, en revanche, nommé par le président. Cette disposition cristallise les critiques de l’opposition qui dénonce l’autoritarisme d’Alassane Ouattara.

Une autre disposition a fait couler de l’encre est celle de la création d’un poste de vice-président. L’initiative est originale car elle s’inspire du système américain (en cas de décès ou d’incapacité, le vice-président doit succéder au chef de l’Etat) alors que la constitution ivoirienne s’inscrit plus dans une tradition présidentielle à la française. L’opposition accuse Alassane Ouatarra de vouloir nommer un vice-président pour en faire son dauphin.

Il existe d’autres nouveautés, moins importantes, à cette constitution : l’abolition de la limite d’âge à 75 ans pour se présenter à une élection présidentielle et l’abaissement de l’âge plancher à 35 ans. En outre, la nouvelle constitution formalise également la création d’une chambre nationale des rois et des chefs traditionnels.

Lors du scrutin, l’abstention a été forte (58%) et l’opposition a rejeté l’ensemble des textes. Elle est, aujourd’hui, en situation de faible représentativité et de très forte contestation du pouvoir. Elle considère que la création d’une nouvelle constitution vise à renforcer la main mise d’Alassane Ouattara sur la Côte d’Ivoire.

Quel bilan, en termes politique et économique, dressez-vous d’Alassane Ouattara depuis son arrivée à la présidence du pays en 2011 ?

Le bilan d’Alassane Ouattara, sur le plan économique, est plutôt une réussite. Il est, en effet, parvenu à sortir un pays en pleine crise économique, sociale et politique. Il a notamment fait jouer ses relations, dans les milieux financiers et en tant qu’ancien directeur adjoint du FMI, afin d’attirer des investisseurs et des capitaux étrangers. Ainsi, son arrivée au pouvoir a indéniablement favorisé la reprise de la croissance et de l’investissement.

Ce retour à la croissance n’a cependant profité qu’à une partie des Ivoiriens dans un pays aux inégalités conséquentes. De ce point de vue, Alassane Ouattara peine à répondre aux défis d’une croissance inclusive.

Sur le plan politique, le pays est, certes, stabilisé après dix ans de guerre, mais le désarmement est encore loin d’être acté. Si le « Désarmement Démobilisation Réinsertion » (DDR) des militaires engagés dans les conflits s’est réalisé dans de bonnes conditions, il n’a pas été suivi d’une réconciliation nationale.

Du point de vue de l’opposition et des partisans de Laurent Gbagbo, il existe, en Côte d’Ivoire, une justice à deux vitesses. L’échec d’Alassane Ouattara sur cet aspect est criant. Il a beau avoir mis en place une Commission dialogue, vérité et conciliation, comme ce fut le cas en Afrique du Sud, celle-ci n’a pas donné les résultats escomptés. Les tensions subsistent et la Côte d’Ivoire gagnerait à ce que l’opposition soit plus représentée.

Quels sont les principaux atouts économiques de la Côte d’Ivoire ? Quel rôle joue le pays sur la scène régionale ?

Le secteur agricole est un secteur dynamique et constitue un atout essentiel de la Côte d’Ivoire, premier producteur de cacao au monde. Mais cette économie de rente à ses limites. La Côte d’Ivoire manque notamment de terres pour accroître ses productions agricoles.

Le pays jouit d’une relative diversification de son économie mais il doit faire face à plusieurs défis : la transformation des produits primaires avec la mise en place d’une dynamique d’industrialisation et l’accès aux nouvelles technologies numériques, notamment dans le domaine de l’information et de la communication. L’un des principaux défis sera la création d’un réseau de micro-entreprises et de PME qui seraient en relation de sous-traitance ou de complémentarité avec des groupes plus importants, nationaux ou multinationaux. Cela favoriserait l’émergence d’un tissu économique en mesure d’offrir des perspectives aux jeunes car la Côte d’Ivoire ne fait pas figure d’exception dans une région où le taux de chômage chez les jeunes reste élevé. L’émergence de ce tissu économique pourrait se constituer autour d’une croissance verte en passant, par exemple, de la biomasse et des centrales thermiques, génératrices de gaz à effet de serre, à l’énergie solaire, éolienne ou hydraulique. La transition constitue, à mon sens, un enjeu stratégique pour la région et pour la planète.

Sur la scène régionale, le Côte d’Ivoire est un moteur de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) à l’instar du Ghana et du Nigeria. La Côte d’Ivoire et les autres membres de l’UEMOA sont économiquement liés par une union douanière mais ils sont également liés par les flux d’investissement et les flux migratoires. Elle doit, en ce sens, faire valoir son rôle de leader régional. Concrètement, elle doit devenir, avec le Ghana, un pôle d’attractivité pour les investissements et pour les migrants qui, aujourd’hui, se dirigent vers le nord ou vers le sud. La Côte d’Ivoire doit également aider les pays enclavés et les perdants d’une union douanière qui ne peut prospérer qu’avec le transfert de ressources des gagnants vers les perdants. Son rôle au sein de l’UEMOA est donc central.

Pour résumer, les défis que doit relever la Côte d’Ivoire sont les suivants : sécurité, stabilité, reprise de la croissance et des investissements, ainsi que l’accueil des migrants.

Brexit and the EU’s Balance of Power: Why Do Some Hope for the Worst?

Fri, 04/11/2016 - 17:42

The fact that Theresa May is depicted in several European capitals as a die-hard Eurosceptic testifies to the confusion created by the new balance of power within the EU and the eurozone. While most national bureaucracies have tended to reduce politics to the “European project” over past decades, they have actually been marginalised in the context of Germany’s new leadership. As a result of this paradox, most European governments feel that the EU’s woes fuel their own discredit at home and seem more prone to anxiety in the face of Brexit than their German counterparts.

France is a good example of this trend, as the country is simultaneously confronted with a failing economy and the decline of its political influence, despite the French elite’s traditional ambition to preside over European politics. Even if the British government were willing to scrap its red line on European immigration, for instance in order to facilitate parliamentary approval for the whole deal, some member states might still not warm up to the idea of a mutually beneficial association. Although a shift on immigration would certainly help to move the balance on the continent in favour of a soft Brexit, some government circles hold the view that a painless divorce would not only compromise the bloc’s integrity but also undermine their own political legitimacy.

It came as a surprise to most people bearing in mind the acrimonious debates over Greek bailouts that the German government took a more benign stance towards Britain after the referendum than did most other European governments. Even Wolfgang Schäuble, well known across Europe for his political toughness and inflammatory rhetoric, has shown a great deal of restrain since the 23rd of June. In contrast, the harshest threats have been expressed, in defiance of economic logic, in what has become Germany’s political periphery.

Having in mind Germany’s €51 billion trade surplus with the UK (Germany’s third export destination with €90 billion worth of exports in 2015) , Angela Merkel struck a rather conciliatory tone towards Britain in the aftermath of the referendum. After flying to Berlin alongside Matteo Renzi in order to harmonise the founding countries’ response, François Hollande followed suit and shifted to a more amenable position than during the referendum campaign. The de-escalation proved short-lived towards the end of the summer however. It became clear by then that Brexit was perceived as an existential threat less by Germany or even EU institutions than by national bureaucracies elsewhere.

For three decades, government circles in countries like France and Italy have invoked the European project (and monetary convergence in particular) in order to shirk their traditional responsibilities and simultaneously increase their informal hold over the corporate sector. The fact that they undermined capitalism in their country while pretending to promote free markets adds to the crisis of meaning that afflicts them. Despite François Hollande’s collapsing approval rating (below 5 percent) and what increasingly looks like a state crisis, there is no sign that any of his possible successors would be willing to embark on a more pragmatic path, notably when it comes to their response to Brexit.

While there would be no point in denying that the UK’s departure is an utmost complex and problematic issue, widespread denial on the other hand can only make the matter worse. The continental debate about the terms of Brexit has got off to a poor start since it implicitly rests on the narrative that Britain seeks to cast off from an ocean of progress and prosperity. Denial about the state of the EU is a recurring political reflex, yet this time seems to be different as, especially in Paris, right-minded federalist speech has decayed into calls for a scorched earth policy. The rhetorical shift from purported benevolence to reprisal is yet another indication of the bureaucracy’s anguish of dealing with the current political and economic impasse, which stretches far beyond the issue of Brexit.

This trepidation is understandable. In the current European framework little can be done to assuage fears that Brexit prefigures a more general reconfiguration. Since the referendum, several European leaders have called for a federalist leap forward so as to make it clear to the world that the European project is still moving. They however have great difficulty finding policy areas where such calls could be taken seriously. The eurozone is certainly not one of them. The German public remains fundamentally opposed to the type of mutualisation (of public debt or banking risk) and institutional constructs that believers in the theory of “optimal currency areas” think would be sufficient to make the eurozone viable. More importantly macro-economic coordination among governments is still nearly nonexistent, in the eurozone or in the EU more broadly, eight years into the crisis.

Although the UK has economic excesses of its own, these have at the very least been aggravated by the eurozone’s chaos, which has fuelled the long episode of sterling overvaluation, sky-high current account deficits and the property bubble. Bureaucratic retaliation against the UK under the shape of tariffs or a disruptive offensive against London’s status as Europe’s main financial centre would result in an additional layer of economic instability, discredit for national establishments and an even weaker EU in general.

The Leave vote has resulted from an array of causes. It would certainly be an exaggeration to reduce those to xenophobia. It would be naïve on the other hand to cheer Brexit as the victory of “common decency” (as some distant disciples of Orwell put it) against the forces of European evil. Yet Brexit undoubtedly lays bare Europe’s fault lines in an unprecedented fashion. Accountability should induce all European governments to work out a solution that both respects the British people’s vote and our common interests. Preserving intra-European trade should not be seen as a mere technical requirement. It is a funding principle of European cooperation beyond ideological lines.

It is therefore quite paradoxical that some of the political circles that have been advocating a federal model of integration for decades end up betting on a major disruption in order to discourage other electorates from following the “precedent” set by Britain. This line of thought does not seem to be concerned with the European project, let alone prosperity, any longer. Quite the contrary, it centres on the preservation of an unsustainable status quo and entrenched interests. The European system will have to devise a new path in order to let its participating countries cooperate in a freer and more pragmatic way and, subsequently, move towards the ideal of a united Europe.

L’Europe face au Brexit : certains espèrent-ils le pire ?

Fri, 04/11/2016 - 17:35

Le fait que Theresa May soit décrite dans plusieurs capitales européennes comme la représentante d’un euroscepticisme extrême témoigne de la confusion résultant du nouvel équilibre des forces au sein de l’UE et de la zone euro. Alors que la plupart des bureaucraties nationales ont eu tendance, au cours des dernières décennies, à réduire leur positionnement sur tous types de sujets à la notion de « projet européen », elles se sont en réalité retrouvées marginalisées dans le cadre du leadership allemand. Dans ce contexte, la plupart des gouvernements européens estiment que la crise de l’UE alimente leur propre discrédit sur leur scène nationale respective et semblent davantage pris d’anxiété face au Brexit que leurs homologues allemands.

La France est un bon exemple de cette tendance, le pays étant confronté simultanément à la défaillance de son système économique et au déclin de son influence politique, malgré l’ambition traditionnelle de l’élite française à occuper le devant de la scène politique européenne. Même si le gouvernement britannique était prêt à abandonner sa ligne rouge sur l’immigration européenne, par exemple, pour faciliter l’accord du Parlement sur l’accord dans son ensemble, l’establishment des Etats membres les plus remontés ne se rallierait pas nécessairement à l’idée d’une association mutuellement bénéfique. Un apaisement sur la question de l’immigration encouragerait certainement un déplacement de l’équilibre en Europe en faveur d’un « soft Brexit ». Toutefois, aux yeux de certains cercles gouvernementaux européens, un Brexit indolore compromettrait non seulement l’intégrité de l’Union dans son ensemble, mais porterait surtout atteinte à leur propre légitimité politique.

Ce fut une surprise pour quiconque ayant à l’esprit les débats acrimonieux au sujet du renflouement grec que le gouvernement allemand prît, cette fois, une position plus favorable envers la Grande-Bretagne à la suite du référendum que celle de la plupart des autres gouvernements européens. Même Wolfgang Schäuble, connu de par le monde pour sa dureté politique et sa rhétorique incendiaire, s’est efforcé d’afficher une certaine retenue depuis le 23 juin. A l’opposé, les menaces les plus sévères ont été exprimées, au mépris de la logique économique, dans ce qui fait désormais office de périphérie politique de l’Allemagne.

Ayant à l’esprit l’excédent commercial de l’Allemagne vis-à-vis du Royaume-Uni, qui s’est élevé à 51 milliards d’euros en 2015 (pour 90 milliards d’euros d’exportations) , Angela Merkel a été jusqu’à adopter un ton plutôt conciliant au lendemain du référendum. Après s’être envolé pour Berlin aux côtés de Matteo Renzi afin d’harmoniser la réponse des pays fondateurs de l’UE, François Hollande a emboîté le pas de la Chancelière et opté pour une position plus favorable que celle qu’il avait affichée au cours de la campagne référendaire. La désescalade s’est cependant révélée de courte durée vers la fin de l’été. Il est alors devenu clair que le Brexit est perçu comme une menace existentielle moins par l’Allemagne (ou même, dans une certaine mesure, au sein des institutions européennes) que par les autres bureaucraties nationales.

Depuis plus de trois décennies, les cercles étatiques de pays comme la France et l’Italie invoquent le projet européen (et la convergence monétaire en particulier) afin de se dérober à leurs responsabilités traditionnelles et à accroître simultanément leur mainmise informelle sur le secteur privé. Le fait qu’ils aient sapé les fondements du capitalisme dans leur pays tout en prétendant promouvoir les mécanismes de marché ajoute à la crise de sens qui les afflige. Bien que la cote de popularité de François Hollande s’effondre en deçà de 5% et que la situation politique et sociale du pays semble virer à la crise de régime, aucun de ses successeurs potentiels ne semblent prêts à s’engager sur une voie plus pragmatique, notamment en ce qui concerne leur réaction au Brexit.

Le départ du Royaume-Uni est un problème indubitablement complexe. Les réactions de déni ne peuvent en revanche qu’aggraver la situation. Le débat continental sur les termes du Brexit a pris un mauvais départ puisqu’il repose implicitement sur l’idée que le Royaume-Uni cherche à quitter un océan de progrès et de prospérité. Le déni quant à l’état de l’Union européenne est un réflexe politique récurrent, mais le problème semble s’aggraver, surtout à Paris, où les discours fédéralistes ont désormais tendance à dégénérer en appels à une politique de la terre brûlée. Le glissement rhétorique d’une bienveillance affichée vers le répertoire des représailles révèle l’angoisse de la bureaucratie face à l’impasse politique et économique actuelle, qui s’étend bien au-delà de la question du Brexit.

Cette inquiétude est compréhensible. Dans le cadre européen actuel peu d’options s’offrent aux dirigeants pour apaiser les craintes que le Brexit ne préfigure une reconfiguration plus générale. Depuis le référendum, plusieurs d’entre eux ont appelé à un bond en avant fédéraliste afin de signifier au monde la survie du projet européen. Ils éprouvent cependant la plus grande difficulté à trouver des domaines où ces appels puissent être pris au sérieux. La zone euro n’en fait certainement pas partie. L’opinion allemande reste fondamentalement opposée aux mécanismes de mutualisation (des dettes publiques ou du risque bancaire) et aux constructions institutionnelles que les adeptes de la théorie des « zones monétaires optimales » estimeraient à même de pérenniser la zone euro. De façon plus importante, la coordination macro-économique entre gouvernements est, huit ans après l’éclatement de la crise, tout simplement inexistante au-delà d’une vision strictement fiscale de la réalité, au sein de la zone euro et dans l’Union européenne plus largement.

Bien que le Royaume-Uni pâtisse de ses propres excès économiques, ceux-ci ont pour le moins été aggravés par le chaos de la zone euro, qui a alimenté le long épisode de surévaluation de la livre sterling, un déficit courant spectaculaire et la bulle immobilière. Des représailles bureaucratiques contre le Royaume-Uni sous forme de droits de douane ou d’une offensive généralisée contre le statut de Londres comme principal centre financier européen produiraient une strate supplémentaire d’instabilité économique, discréditeraient davantage les bureaucraties nationales et affaibliraient l’UE à un niveau critique.

Le vote britannique résulte d’un entremêlât de causes diverses. Il serait certes exagéré de le réduire à une manifestation de xénophobie généralisée mais il serait naïf en revanche de le célébrer comme le triomphe de la raison populaire. Dans tous les cas, le Brexit met à nu, de façon inédite, les lignes de fractures qui traversent et paralysent l’Union européenne. L’éthique de responsabilité devrait inciter tous les gouvernements européens à élaborer une solution qui respecte à la fois le choix du peuple britannique et nos intérêts communs. La préservation du commerce intra-européen (en créant un cadre de taux de change raisonnable) ne devrait pas être considérée comme une simple exigence technique mais comme un principe fondamental de la coopération européenne, au-delà des clivages idéologiques.

Il est donc paradoxal que certains des cercles politiques qui préconisent un modèle d’intégration fédéral depuis des décennies finissent par parier sur un choc majeur afin de décourager les électorats européens de suivre le « précédent » britannique, au risque de nourrir en fait davantage l’extrémisme politique. Cette stratégie ne relève plus du projet européen, sans même parler de prospérité, mais au contraire du maintien d’un statu quo intenable et d’intérêts établis. Le système européen devra inventer une voie bien différente afin de permettre aux pays qui le composent de coopérer de manière plus libre et pragmatique et, sur cette base, d’évoluer vers l’idéal d’une Europe unie.

François Hollande et le football : des rapports ambigus ?

Fri, 04/11/2016 - 11:50

Le 11 novembre 2016 aura lieu au stade de France un match qualificatif pour la Coupe du monde 2018 : France/Suède. Il se tiendra presque an jour pour jour après les attentats qui ont meurtri la France, dont l’un eut précisément lieu en ce stade. Le président de la République va-t-il assister à la rencontre ?

François Hollande est un passionné et un fin connaisseur du ballon rond. Il était déjà un fidèle soutien des bleus avant d’être élu président de la République. Mais les révélations du livre « Un président ne devrait pas dire ça… »[1] sont venus troubler profondément ses relations avec le monde du football. Le président y tient des propos peu amènes sur les footballeurs, requalifiés d’enfants gâtés ayant besoin de muscler leurs cerveaux. Si les propos remontent à 2012, il n’en est pas moins troublant de voir le président rejoindre la cohorte de ceux qui ont des préjugés négatifs sur les footballeurs. Comme si les dérapages de quelques-uns concernaient la totalité. Les leaders politiques dans leur ensemble auraient-ils un comportement plus vertueux que les sportifs ? N’y-a-t-il pas non plus des dérapages chez les artistes ? Mais, une fois encore, les amalgames sont plus faciles sur les sportifs en général, et les footballeurs en particulier, qui, par leur visibilité, constituent des cibles faciles et n’ont dans la réalité aucun pouvoir de rétorsion. Et François Hollande a ainsi abondé dans le sens d’un mépris traditionnel des élites françaises à l’égard des sportifs.

L’écart entre son comportement durant le quinquennat et ses propos est pour le moins paradoxal : on peut lui reprocher son manque de sincérité alors qu’il prétend jouer la transparence. Si les footeux sont peu estimables, pourquoi dès lors avoir été aussi assidu auprès des bleus ? François Hollande a assisté à chaque match de l’Euro 2016, est allé rendre visite aux joueurs à Clairefontaine-en-Yvelines au début et reçu les joueurs à l’Élysée à la fin de la compétition. Son jugement n’est-il pas sévère pour Laurent Koscielny qui a investi 600 000 € – sans le claironner – pour sauver une usine de son département ? Pourquoi avoir insisté pour que Blaise Matuidi l’accompagne lors d’un déplacement en Angola ? Il est notable que le président se soit excusé auprès des magistrats pour des propos négatifs qu’il a tenus à leur égard mais qu’il n’est pas jugé nécessaire de le faire pour les footballeurs. Un « deux poids, deux mesures » dû, peut-être, à une supposée capacité de réaction des uns que n’auraient pas les autres. Y-aurait-il une profession à ménager plus qu’une autre ?

Mais il y a dans le livre une autre révélation également gênante. Le président a appelé l’émir du Qatar pour que la chaîne qatarie BeIN sports ne vienne pas gêner Canal + lors de l’attribution des droits opérés par la Ligue de football professionnel. Une sorte de Yalta aurait été établie entre les deux chaînes. Canal + se plaignait de la concurrence de BeIN sports et soulignait son rôle dans le financement du cinéma français, qui aurait été compromis si BeIN Sports marchait trop sur ses plates-bandes. En effet, lors de la vente des droits pour la période 2016-2020, malgré une concurrence apparemment féroce entre les deux diffuseurs, BeIN sports n’a pas voulu renchérir sur les offres de Canal +. Si le football français a obtenu 726 millions d’euros, une concurrence réelle aurait pu ajouter 100 à 150 millions de plus, renforçant ainsi la compétitivité européenne des clubs français, déjà pénalisés par une fiscalité et des charges sociales importantes. Les Allemands, Italiens et Espagnols risquent de dépasser les Français en termes de droits télévisuels, qui le sont déjà depuis longtemps par les Anglais. Ce qui s’est passé, c’est donc tout simplement une entente qui peut être considérée comme une entrave à la concurrence. Le Qatar n’a pas voulu donner l’impression de vouloir tout rafler et s’est rendu aux arguments de François Hollande.

Mais, là encore, on voit que le lobbying en faveur de la culture est toujours plus facile que celui en faveur du sport. Cette révélation a contribué à la critique de François Hollande, mais n’a pas déclenché de tollé sur le mauvais traitement du football. Imaginons qu’on ait soustrait 150 millions d’euros au financement du cinéma ; cela aurait été une bronca nationale. Le lobby culturel est sans aucune mesure bien plus puissant que celui du sport. Les autorités sportives n’ont pas violemment protesté contre ce manque à gagner plus que conséquent, tout simplement parce que, malgré sa puissance, le monde du sport est légitimiste. Fort de millions de pratiquants et de bénévoles, il ose à peine faire entendre sa voix. Le milieu culturel, lui, n’hésite pas à monter au créneau et à protester vigoureusement pour faire entendre ses revendications. Il y a pourtant également dans ce milieu des excès, des salaires mirobolants et du gaspillage. Et beaucoup de « navets » financés grâce à des aides publiques. Le budget de la culture est sanctuarisé contrairement à celui du sport. Le monde culturel trouverait insultant d’être financé par un jeu de hasard. Le mouvement sportif craint toujours de perdre la part du prélèvement sur les paris de la Française des jeux qui le finance. Peut-être, autant que des propos péjoratifs sur les footballeurs, ce choix de fausser la concurrence et de priver le sport de financements qu’il aurait dû normalement avoir, montre qu’inconsciemment, dans l’esprit des élites françaises – même « normales » – les préjugés ont la vie dure. On aime se faire prendre en photo avec les sportifs quand ceux-ci sont performants, mais il est moins naturel d’aider le sport. Ce dernier n’est finalement pas une priorité.

[1] DAVET (Gérard), LHOMME (Fabrice), Un président ne devrait pas dire ça…, Stock, 2016, 672 pp.

Quelle politique méditerranéenne de la France ?

Thu, 03/11/2016 - 17:43

Puissance moyenne à l’échelle mondiale, la France est une puissance majeure du bassin méditerranéen. Mais le rapport avec la Méditerranée n’est pas qu’une question d’intérêt et de « hard power » : il s’agit aussi de la capacité de la France à imposer sa puissance d’influence dans son environnement proche.

Si du point de vue strictement géographique, la France est plus atlantique que méditerranéenne (avec un littoral sud qui la rattache à la fois à la rive nord de la Méditerranée et à sa façade occidentale), son histoire est intimement liée au monde méditerranéen, comme l’attestent le rôle prédominant des « Francs » dans les diverses croisades lancées sur les rives est et sud, le Traité d’Alliance entre François Ier et l’Empire Ottoman de Soliman le Magnifique, l’expédition de Bonaparte en Egypte, la réalisation du Canal de Suez et surtout l’instauration de l’Empire colonial.

Son statut d’ancienne puissance coloniale d’actuels Etats méditerranéens et la fonction qu’elle s’est arrogée en matière de protection des Chrétiens d’Orient, placent la France dans une position particulière vis-à-vis d’une région où elle prétend encore pouvoir exercer un pouvoir d’influence (diplomatique, culturel et économique) et intervenir militairement dès lors que ses intérêts sont en jeu (en Libye et au Mali en 2011, en Irak en 1991 et 2014).

Les tensions et conflits dans les régions sahélo-saharienne et syrienne, ainsi que leurs conséquences en termes de trafics et de migrations clandestines confortent l’intérêt stratégique de la Méditerranée.

Il convient néanmoins de s’interroger quant à savoir si la France dispose des moyens (pas seulement militaires, mais aussi diplomatiques et financiers) d’une ambition nationale qui tend à conjuguer stratégies européennes et méditerranéennes. Le cas de l’échec du projet français d’Union de la Méditerranée illustre la difficulté de l’équation.

A défaut de cadre européen effectif pour mener une véritable politique méditerranéenne et l’absence de d’une Europe toute-puissante de nature diplomatique et militaire au sein de laquelle la France jouerait un rôle moteur, la France tente de trouver un équilibre dans une stratégie d’indépendance et de complémentarité avec la superpuissance américaine dans la région.

Le premier axe de cette stratégie est symbolisé par la « politique arabe », qui revêt une « dimension essentielle de sa politique étrangère » (le Président Jacques Chirac, discours au Caire, 1996). Cette idée de « politique arabe de la France », ancienne puissance coloniale au Maghreb et au Liban, renvoie aux liens privilégiés entretenus avec les pays monde arabo-méditéranéen, dont il faut veiller à respecter la souveraineté et l’indépendance.

La diplomatie française à l’Élysée et au Quai d’Orsay suit une ligne gaullo-mitterrandienne depuis le début de la Ve République, elle-même héritière d’une tradition remontant à Napoléon III et à sa politique du « royaume arabe ». Cette tradition est jalonnée d’étapes : de la condamnation de la guerre préventive israélienne en 1967 jusqu’à la décision de François Hollande de soutenir la demande palestinienne de se voir reconnaître un statut d’État (non membre observateur) à l’ONU (novembre 2012), en passant par le « discours du refus » d’une intervention américaine en Irak prononcé par Dominique de Villepin au Conseil de sécurité (14 février 2003).

Cette cohérence est trompeuse, comme le prouve la participation de la France à la coalition internationale pour mener la guerre contre l’Irak (1991). La politique française envers les Arabes varie en fonction des États comme de ses intérêts. Derrière la formule de « politique arabe », la logique qui prévaut est celle de la Realpolitik.

Ainsi, durant l’opération « Bordure protectrice » menée par l’armée israélienne à Gaza (été 2014), Paris a manifesté sa « solidarité » au gouvernement israélien en l’habilitant à « prendre toutes les mesures pour protéger sa population ». Le caractère partiel et partial du communiqué élyséen du 9 juillet 2014 a fait date.

Si la condamnation des tirs de roquettes du Hamas allait de soi, au nom du principe de légitime défense, elle devait être complétée par un rappel du droit international appelant à une riposte proportionnée au nom de la protection des civils. Cette omission volontaire a été interprétée comme un aval en forme de carte blanche donnée au gouvernement israélien.

L’expression de cette indignation sélective a traduit la tentation chez François Hollande d’infléchir notre traditionnelle ligne gaullo-mitterrandienne – une solution prônant deux Etats sur la base de négociations garantissant la sécurité (et donc l’existence) d’Israël et rendant justice au peuple palestinien.

Ne pas être à la hauteur des principes et valeurs que l’on dit incarner, c’est saper sa propre puissance d’influence. Si la France peut encore s’appuyer sur le vecteur linguistique – la langue française et la Francophonie sont bien ancrées sur le pourtour méditerranéen -, elle a plus que jamais du mal à représenter une « terre d’accueil » digne du « pays des Droits de l’Homme ».

L’esprit des Lumières se trouve étouffé par un obscurantisme identitaire et sécuritaire dont les réfugiés venus de Méditerranée paient aujourd’hui le prix.

Alexis Lacroix : journaliste ou porte-serviette de BHL ?

Wed, 02/11/2016 - 11:01

La charte de Munich, déclaration des droits et devoirs des journalistes, exige de leur part de publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner – si nécessaire – des réserves qui s’imposent, de s’interdire la diffamation et les accusations sans fondement. De son côté, la charte du syndicat national des journalistes adoptée en mars 2011, tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le mensonge, la manipulation et la non-vérification des faits, comme les plus graves dérives professionnelles.

Sans doute Alexis Lacroix n’a jamais lu ni l’une ni l’autre et n’entend pas les respecter. Dans le cas inverse, il n’aurait pas déclaré, le 21 octobre 2016 dans l’émission « Les informés » de France Info (aux alentours de la 44ème minute) :

« Si on cite des politiques, moi je veux bien, c’est l’époque qui veut ça, c’est le populisme déchaîné. Il faut aussi citer des intellectuels. Quelqu’un comme Pascal Boniface qui est un chercheur reconnu, qui a pignon sur rue, il est assez probable que ses liens avec certaines pétromonarchies lui permettent de faire subsister ses activités. »

L’animateur, Jean-Mathieu Pernin, lui a dit qu’il demanderait ce que j’aurai à répondre. Il aurait pu l’interroger sur les sources qui lui permettaient de proférer ces graves accusations contre mon intégrité. C’est quand même assez incroyable ! Des responsables politiques sont gravement accusés par des journalistes réputés – Christian Chesnot et Georges Malbrunot – d’avoir sollicité en échange de leur influence politique des cadeaux du Qatar [1]. Ils ont bien sûr le droit de leur répondre mais en parler c’est du « populisme déchaîné ». Par contre, me mettre en cause alors que je ne suis pas cité dans ce livre, c’est quoi ? De la calomnie pure et simple, contraire à toute déontologie journalistique.

Mais, si Alexis Lacroix se dit journaliste et qu’il n’en respecte pas les règles déontologiques, c’est qu’outre ses fonctions à Marianne, il est l’animateur du cercle La règle du jeu,créé par Bernard-Henri Lévy (BHL). C’est donc plutôt en porte-serviette de BHL et pour complaire à son bon maître qu’il me met en cause. BHL m’attaque depuis 2001. Parce que j’ai prôné une politique moins complaisante à l’égard du gouvernement israélien, je suis l’objet de sa vindicte. Lui qui se prononce contre le boycott des produits des colonies israéliennes pratique, grâce à ses obligés, le boycott des intellectuels français qui lui déplaisent. Il a bien failli réussir à faire mourir l’IRIS. Et je suis depuis accusé d’être « payé par les Arabes » [2]. Il est d’ailleurs assez intéressant de voir que les tentatives de faire disparaître un centre de recherche n’ont fait l’objet d’aucune enquête journalistique dans Marianne ou dans aucun autre journal français mainstream. Ce serait pourtant intéressant sur le plan des principes, de l’information et de la liberté d’expression. Mais nul ne s’y est attelé en France. Un universitaire australien que je n’ai jamais rencontré, Evan Jones, a réalisé l’enquête la plus fouillée sur le sujet [3]. En réalité, la seule. Si, effectivement, l’IRIS a survécu à ces multiples attaques, il ne doit en rien à des financements des pays du Golfe, mais à la qualité de son équipe, largement et internationalement reconnue. L’IRIS serait certes plus développé sans les attaques qu’il a subies, et ma carrière aurait certainement pris une autre dimension. Par ailleurs, si j’ai toujours combattu le Muslim bashing, je n’ai jamais hésité à critiquer la politique des États du Golfe, qu’il s’agisse du système judiciaire saoudien, des bombardements sur le Yémen, du système de la « kafala » du Qatar, de la condamnation du poète dans ce pays pour avoir critiqué l’émir ou du soutien financier de certaines familles du Golfe à l’égard de groupes djihadistes en Syrie.

Ne pas avoir cédé aux pressions, aux chantages et avoir publié les ouvrages « Les intellectuels faussaires » et « Les pompiers pyromanes », dans lesquels j’égratigne BHL sans qu’aucun démenti de ce que j’y ai écrit n’ait été apporté, ont bien sûr aggravé mon cas. Et sans doute Alexis Lacroix espère être récompensé pour avoir, sur une antenne publique, alimenter ces rumeurs.

Je ne suis pas payé pour ce que je dis ou écris ; j’ai payé pour l’avoir fait librement, contrairement à certains courtisans.

[1] CHESNOT (Christian), MALBRUNOT (Georges), Nos très chers émirs, Michel Lafon, 299 pp.

[2] http://www.iris-france.org/43995-oui-javoue-je-suis-pay-par-les-arabes/

[3]http://questionscritiques.free.fr/edito/CP/Lobby_Israel_politique_francaise_CRIF_090714.htm

Gel des dépenses publiques au Brésil : une erreur dommageable sur le long terme

Wed, 02/11/2016 - 10:40

Depuis 2014, le Brésil connaît une crise politique majeure. Le scandale de corruption entourant l’entreprise Petrobras, contrôlée par l’État, a éclaboussé la majorité des partis politiques brésiliens et révélé le niveau de corruption de la classe politique. Selon l’ONG Transparency International, 60% des députés et sénateurs sont inquiétés par la justice[1]. Dilma Rousseff, la présidente réélue en 2014, a été destituée par une procédure d’impeachment controversée. Enfin, Michel Temer, son successeur, est aussi impopulaire que Dilma Rousseff, et des manifestations sont régulièrement organisées pour demander sa démission.

Cette crise politique en cache une autre, d’ordre économique : le Brésil est entré en récession, et a enregistré une baisse de son PIB de 3.8% en 2015. Le taux de chômage a atteint 10%, ce qui représente onze millions de personnes sans emploi. De plus, la monnaie brésilienne, le real, s’est dépréciée de 30% en 2015. Surtout, la consommation des ménages, motrice de la croissance au Brésil, a décru de 4.8% en 2015 [ii].

Dans ce contexte économique incertain, Michel Temer a dévoilé, en mai, son programme économique pour remettre le Brésil sur le chemin de la croissance, avec pour mot d’ordre la maîtrise de la dépense publique. Son agenda de réforme se base sur un constat tiré par le président : « Un nouveau cycle de croissance devra s’appuyer sur les investissements privés et sur une meilleure compétitivité à l’international » [iii]. Pour cela, le nouveau ministre de l’Economie a présenté un panel de mesures fortement impopulaires auprès des Brésiliens : réforme du système des retraites, augmentation des impôts, refonte du droit du travail…

Parmi toutes ces mesures, la plus importante reste sans conteste la proposition d’amender la constitution pour y proscrire toute augmentation des dépenses publiques pendant vingt ans. Or, un gel des dépenses publiques signifie moins d’efforts dans des secteurs clés comme l’éducation ou la santé. Par cette mesure, le gouvernement brésilien commet une erreur courante : considérer que l’éducation et la santé ne représentent que des dépenses. Au contraire, toute dépense dans ces deux secteurs doit être vue comme un investissement à long terme.

Selon l’économiste Kamel Ghazouani, une société peut être divisée en quatre institutions : le politique, le marché, l’humain et le socioculturel [iv]. Ce découpage de la société fait apparaître un paradoxe. En effet, le politique et le marché sont les deux institutions à la fois les plus visibles et les plus médiatiques, les plus facilement réformables, mais aussi les moins efficaces en économie. Au contraire, l’humain et le socioculturel, bien que moins visibles, sont plus pertinentes en termes de développement économique et d’attraction des investissements étrangers. Plusieurs études tendent à démontrer cet état de fait : Eckhard Janeba [v] ou Zouhour Karray et Sofiane Toumi [vi] ont montré que les incitations fiscales n’avaient que peu d’effet sur les flux d’investissements étrangers. Au contraire, Miao Wang et Sunny Wong [vii] ou Vibe Pedersen [viii] affirment qu’une politique d’éducation volontariste est efficace pour attirer les investissements privés étrangers.

Le programme économique brésilien est d’autant plus dommageable que le Brésil avait produit des efforts considérables ces dernières années. Si l’on compare les dépenses publiques dans l’éducation des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), entre 2006 et 2012, dernière année connue, le Brésil se distingue. Sur cette période, le pays a accru ses dépenses, passant de 4.8% du PIB dédié à l’éducation à 5.9%. Dans le même temps, l’Inde et la Russie stagnent, passant respectivement de 3.1% à 3.8%, et de 3.9% à 4.2%[ix]. Le Brésil a su mettre en place des programmes d’éducation ambitieux, comme « Ciência Sem Fronterias » (Science sans frontières), dont le but est d’accorder, entre 2010 et 2014, cent mille bourses à des Brésiliens pour étudier à l’étranger. Ce programme correspond précisément au type de politique à mener. Il permettra de former une génération de Brésiliens non seulement éduquée, mais aussi ouverte sur le monde et sur les cultures des pays dans lesquels ils ont étudié, donc plus à même de s’insérer dans la mondialisation et d’en tirer les bénéfices.

En gelant les dépenses publiques dans ces secteurs clés, Michel Temer et son gouvernement privilégient le temps court au détriment du temps long. Cette erreur est bien plus conséquente que la crise politique ou que les difficultés économiques conjoncturelles dont souffre le pays.

[1] TransparênciaBrasil, site consulté le 26 septembre 2016, disponible sur : http://excelencias.org.br/@casa.php?tribs

[ii] Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde, site consulté le 26 septembre 2016, disponible sur :

http://databank.worldbank.org/data/reports.aspx?source=world-development-indicators

[iii] Agência Brasil, PMDB party circulates document with proposals to revive growth, publié le 31 octobre 2015.

[iv] Ghazouani, Kamel. « L’attraction des IDE est une question d’adaptation institutionnelle : Modèle théorique et estimations pour les régions PECO & MENA ». Revue Tunisienne d’Économie, 2005, 104‑63

[v] Janeba, Eckhard. « Attracting FDI in a Politically Risky World ». Cambridge, MA: National Bureau of Economic Research, juillet 2001.

[vi] Karray, Zouhour, et Sofiane Toumi. « Investissement Direct Etranger et Attractivité : Appréciation et enjeux pour la Tunisie. ». Revue d’Economie Régionale et Urbaine, 2007, 479‑501.

[vii] Wang, Miao, et M. C. Sunny Wong. « FDI, Education, and Economic Growth: Quality Matters ». Atlantic Economic Journal 39, no 2 (28 mai 2011) : 103‑15. doi:10.1007/s11293-011-9268-0.

[viii] Pedersen, Vibe Qvist. « Quality in Education as a Means to Development: The Case of Sierra Leone ». Aalborg University, 2013.

[ix] Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde, site consulté le 26 septembre 2016.

 

 

Au forum de Valdaï, Poutine droit dans ses bottes

Mon, 31/10/2016 - 10:57

Le forum de Valdaï 2016 s’est tenu du 24 au 27 octobre à Sotchi. Poutine, qui participait à la dernière table-ronde, en a profité pour réaffirmer – et justifier – ses positions en matière de politique étrangère.

La treizième réunion du forum de Valdaï s’est tenue à Sotchi du 24 au 27 octobre 2016, et a réuni cent-cinquante participants issus des cinq continents. Les Russes ne représentaient qu’un-cinquième du total : universitaires de renom, journalistes et anciens responsables politiques de premier rang étaient présents. Les débats étaient ouverts, contradictoires et souvent vifs. Ce n’était en rien une réunion de Putinolâtres – la politique russe a souvent été mise en cause – et, si un point commun devait être trouvé aux participants, ce serait celui d’avoir une approche réaliste des relations internationales.

Cela fut tout de même l’occasion pour le pouvoir russe d’affirmer ses positions, notamment lors de deux conférences : une session spécifique de questions-réponses avec le ministre des Affaires Étrangères, Sergueï Lavrov ; une table-ronde de deux heures trente, animée par Timothy Colton (Harvard), où Vladimir Poutine était entouré des anciens présidents sud-africain (Thabo Mbeki), autrichien (Heinz Fischer) et finlandais (Tarja Halonen), suivie d’une séance de questions-réponses du président russe, de deux heures et demi également.

Poutine s’est montré à la fois offensif et à l’aise, faisant preuve d’humour (demandant à un universitaire américain qui l’interrogeait en russe s’il était un espion en précisant que c’était un très beau métier) et semblant même prendre plaisir à cette joute intellectuelle, y compris avec ceux qui le contredisaient.

Le principal sujet de controverse concernait les agissements de l’armée russe à Alep, vivement mis en cause par de nombreux participants, et l’attitude de la Russie en général dans la crise syrienne. Une universitaire émiratie a même demandé à Poutine si la guerre civile en Syrie n’aurait pas déjà pris fin sans l’intervention russe. Pendant la table-ronde, Poutine a été vigoureusement attaqué par les anciens présidents finlandais et autrichien. Poutine, comme Lavrov, s’est défendu sur ce point (sans réellement convaincre), précisant qu’il s’agissait de combattre le terrorisme et que l’intervention russe a empêché les djihadistes de s’emparer du pouvoir à Damas. De plus, les Américains ne leur auraient pas fourni les indications permettant de distinguer l’opposition modérée des terroristes et la rupture du cessez-le-feu serait due à un de leur tir sur des positions de l’armée syrienne. Ils ont dressé un parallèle avec Mossoul, soulignant également qu’on parlait davantage d’Alep que du Yémen. Un intervenant russe est allé jusqu’à dénoncer le fait que les bombardements américains soient qualifiés de « dommages collatéraux », quand ceux des Russes étaient jugés de « catastrophe humanitaire ». En général, sur la Syrie, les Russes se sont défendus en disant que l’objectif majeur était de venir au secours d’un gouvernement légal et légitime contre le terrorisme et qu’il fallait mettre de côté les divergences de la coalition, ce qui n’allait pas dans le sens de la volonté américaine d’exercer un leadership international. En 2011, on avait dit aux Russes qu’ils étaient du mauvais côté de l’Histoire, mais Bachar Al-Assad est toujours au pouvoir et le Proche-Orient (pour lequel Poutine appelle à un « plan Marshall » auquel il se dit prêt à participer) est devenu un laboratoire pour le terrorisme. Il se félicite de la future prise de Mossoul.

Sont revenus de façon récurrente dans le discours russe, et notamment dans celui de Poutine, le fait qu’à la fin de la guerre froide, les États-Unis n’ont pas voulu bâtir un nouvel ordre mondial mais, au contraire, souhaité exercer un leadership en ne tenant pas compte des intérêts des autres nations. Cette interprétation de la politique américaine des années 90 est par ailleurs précisément celle que Mikhaïl Gorbatchev fait régulièrement, bien que le dernier Secrétaire général du parti communiste de l’Union soviétique se montre critique à l’égard de Poutine. L’actuel président russe a de nouveau évoqué l’élargissement de l’OTAN, la mise en place d’un système de défense antimissiles, la guerre du Kosovo (rappelant son caractère illégal au regard du droit international) afin de prouver la volonté de domination américaine. Il a également évoqué les interventions militaires extérieures (Irak, Libye), qui ont une très grande responsabilité dans le chaos stratégique actuel. Sur la Libye, il a rappelé que les Russes s’étaient abstenus lors du vote de la résolution 1973, qui n’a pas été respectée par les Français et Qataris : les armes à destination de la Libye supposées sous embargo ont été fournies à la rébellion, se retrouvant entre les mains des djihadistes qui ont voulu s’emparer de Bamako. Les Russes ont pourtant soutenu l’intervention française au Mali. Poutine souligne la nécessité de lutter contre le terrorisme, politique qui ne change pas en fonction des circonstances, contrairement aux Occidentaux. Il souhaite réformer le Conseil de sécurité des Nations unies, mais rappelle la nécessité d’un large consensus. L’ONU est indispensable : sans elle, ce serait le chaos le plus total. Il faut préserver et renforcer les Nations unies. En 1999, il y a eu une agression contre la Yougoslavie parfaitement illégale. Après la chute de l’URSS, les États-Unis ont voulu dominer le monde : est-ce que l’ONU a sanctionné les États-Unis pour la guerre d’Irak de 2003, la Libye en 2011, où le sens de la résolution 1973 a été perverti ?

L’autre « point fort » est la faiblesse de l’Europe. Poutine, comme Lavrov, ont souligné que cette dernière avait renoncé à l’indépendance politique et se contentait de suivre les États-Unis. Il s’est dégagé des travaux du forum un consensus : de nombreux intervenants non russes évoquaient l’idée d’un monde tripolaire composé des États-Unis, de la Chine et la Russie. Poutine a déclaré que les États-Unis grossissaient la menace russe pour assurer leur agenda stratégique (domination de l’Europe). La Russie, de par sa population et sa puissance militaire, ne peut en aucune façon être une menace réaliste pour l’OTAN. De même, les moyens de propagande prêtés à la Russie sont sans aucune mesure comparables à ceux dont disposent les États-Unis. L’Europe n’est plus considérée comme une puissance politique. Les Russes sont extrêmement déçus que les Européens ne lèvent pas les sanctions et préfèrent désormais s’adresser directement aux Américains, dont ils pensent qu’ils détiennent la clé. Selon John Mearsheimer, dans la mesure où la Chine est le grand défi géopolitique de demain, les États-Unis ne mènent pas une politique cohérente en poussant la Russie vers elle.

Le troisième message est que la Russie est de retour et compte défendre ses intérêts. Elle n’entend pas céder aux pressions extérieures. L’époque où elle était impuissante par rapport aux manœuvres américaines est révolue. La Russie ne veut pas dominer le monde mais elle entend se faire respecter ; message qui a certainement été le plus martelé par les responsables russes au cours de ces journées. Les menaces de boycott de la Coupe du monde 2018 n’impressionnent pas les responsables russes, confiants dans le fait qu’aucune équipe majeure ne refusera de participer au tournoi et que, de toute façon, la Russie ne déterminera pas sa politique étrangère en fonction d’un éventuel boycott.

Les critiques extérieures contre Poutine, venant essentiellement des médias occidentaux, sont perçues comme des critiques contre la Russie et, de fait, renforcent sa popularité interne.

Selon Vladimir Poutine, il est ridicule de penser que la Russie puisse exercer une influence sur les élections américaines. Les États-Unis ne sont pas une République bananière, a-t-il plaisanté, affirmant plus sérieusement qu’ils étaient trop puissants pour qu’on puisse orienter leur politique. La Russie ne dispose pas des moyens de propagande qu’on lui attribue. Le débat autour des élections américaines est surtout centré sur des attaques personnelles, allant des relations sexuelles à la corruption, mais aucun sujet sérieux ne lui semble vraiment abordé. Le succès de Donald Trump s’explique par le rejet des élites qui ont dominé les États-Unis depuis des décennies. Mais la Russie travaillera avec tout président élu, si ce dernier le souhaite également, et respectera le choix des Américains.

Les Russes ont surtout souhaité montrer que la cohérence était de leur côté, qu’ils n’étaient pas sur la défensive et que le rapport de force global s’était rééquilibré en leur faveur. Toute la difficulté consiste à apparaître assez fort pour ne pas paraitre en difficulté, mais sans être perçu comme menaçant.

La justice internationale existe-t-elle ?

Fri, 28/10/2016 - 16:45

Stéphanie Maupas est journaliste indépendante, spécialisée sur les questions de justice internationale. Elle répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes organisées les 30 septembre et 1er octobre 2016 par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole :
– Comment expliquer le mauvais démarrage de la Cour pénale internationale ?
– Quels sont les principaux succès de la CPI ?
– La CPI ne représente-t-elle pas une justice occidentale ? Pourrait-on voir un jour G.W. Bush, T. Blair ou N. Sarkozy traduits devant cette Cour ?

Venezuela : les enjeux nationaux et régionaux de la bataille entre l’opposition et Nicolas Maduro

Fri, 28/10/2016 - 16:22

Dans quel contexte politique se trouve le Venezuela aujourd’hui ? Quels sont les acteurs et les revendications des deux camps dans cette crise ?

Le Venezuela est, aujourd’hui, le théâtre d’affrontements politiques intenses entre le gouvernement chaviste et son opposition majoritaire à l’Assemblée nationale sur fond d’approfondissement de la crise économique et sociale qui secoue le pays depuis 2013. C’est cette dernière, qui s’est abattue sur toute l’Amérique latine, notamment du Sud, en 2013 lorsque Nicolas Maduro remportait au même moment l’élection présidentielle, qui est le point de départ de la situation actuelle.

Le pays vit la plus grave crise économique de son histoire. Cette dernière se déploie dans un contexte plus global de récession économique en Amérique latine et de chute de la demande mondiale et d’effondrement du prix des ressources naturelles et des matières premières. Le Venezuela dépend quasi-exclusivement de ses exportations de pétrole.

La dégradation constante de l’économie, des conditions de vies matérielles de la population a atteint un point critique. Ceci a dégénéré en mécontentement social – notamment au sein des secteurs populaires qui constituent la base sociale du chavisme -, puis en crise politique radicalisée. Les tensions entre le chavisme et la droite ont accompagné la vie du pays depuis le premier jour de la Révolution bolivarienne (1998). Ce n’est pas la première fois que la polarisation qui caractérise la vie politique et sociale vénézuélienne prend un tour dramatique – rappelons-nous du coup d’Etat contre Hugo Chavez en 2002 -, mais aujourd’hui, la situation semble de nouveau indiquer la possibilité d’un point de rupture.

Les développements actuels (accusation mutuelle de « coup d’Etat » entre le gouvernement et l’Assemblée, appels à la grève générale, mobilisations de chaque camp dans la rue – l’opposition appelle ses partisans à marcher vers « Miraflores », le palais présidentiel, le 3 novembre, ce qui a déclenché l’appel similaire des chavistes pour le protéger – , bataille médiatique et sur les réseaux sociaux, guerre juridique d’interprétation de la Constitution et de l’application de ses dispositions, etc.) révèlent un engrenage volcanique au Venezuela.

Dans cette bataille, chaque bloc brandit ses armes. L’opposition détient l’Assemblée nationale, quelques Etats du pays, des villes. Elle dispose de relais puissants dans les secteurs économiques et financiers et les médias. Elle bénéficie aussi du soutien de puissances étrangères, notamment les Etats-Unis. Elle peut également désormais compter avec le soutien des nouvelles droites au pouvoir dans la région, notamment en Argentine (Mauricio Macri s’est directement impliqué dans le dossier vénézuélien pour relayer les revendications de l’opposition), au Brésil et au Pérou (dont le Congrès vient de condamner « la rupture constitutionnelle et le coup d’Etat » au Venezuela, les termes exactes de l’opposition vénézuélienne).

Quant aux chavistes, ils conservent le pouvoir exécutif, un soutien ultra-majoritaire au sein de l’autorité électorale et du Tribunal suprême, dont les magistrats sont proches du gouvernement. Ce dernier bénéficie surtout du soutien de l’armée vénézuélienne, qui vient de réaffirmer sa position publiquement en se désolidarisant clairement des initiatives récentes de l’Assemblée nationale. Dans son document « pour la restitution de l’ordre constitutionnel au Venezuela », cette dernière demandait notamment à la Force armée nationale de ne pas obéir à des décisions contraires aux principes constitutionnels issues du pouvoir exécutif ou judiciaire. L’armée a rejeté la légitimité de cette demande et indiqué qu’elle considérait que l’opposition ne respectait pas cette Constitution qu’elle prétend défendre. Il ne faut pas oublier que le chavisme repose sur une alliance entre le mouvement bolivarien et les forces militaires du pays.

Dans la bataille, les deux camps se rendent coup pour coup et utilisent un panel de méthodes variées ayant pour but d’affaiblir l’adversaire, notamment par la mobilisation de la rue, des médias et le lancement de multiples procédures institutionnelles judiciaires, nationales et internationales. C’est une guerre politique dont l’appareil d’Etat est devenu le théâtre des opérations. Ces derniers jours, l’opposition a décidé d’accuser Nicolas Maduro responsable d’un « coup d’Etat » du fait notamment de la décision du Conseil national électoral de suspendre le référendum révocatoire pour cause de « fraudes » identifiées par des tribunaux locaux dans la collecte des signatures nécessaires à son activation dans cinq Etats du pays.

Depuis, la crise s’est aiguisée et l’opposition semble désormais brûler tous ses vaisseaux dans la bataille. L’Assemblée nationale a proposé une batterie de procédures visant à exiger la restitution de l’ordre constitutionnel au Venezuela, selon elle bafouée. Cette restitution passerait par la révocation des juges et magistrats du Tribunal suprême, du Conseil national électoral (dont elle demande qu’ils soient jugés par la Cour pénale internationale), le départ du président – accusé de « probable double nationalité » et d’avoir « abandonné les fonctions constitutionnelles de la présidence » – par la voie d’une procédure de mise en cause de sa responsabilité. Ce point reste vague car il n’existe pas de procédure de destitution au Venezuela. L’opposition évoque l’organisation d’un « procès politique » contre Nicolas Maduro, notion également inexistante dans la Constitution. Elle le cite néanmoins à comparaître devant l’Assemblée le 1er novembre.

Compte tenu des tensions entre les deux camps, il est difficile de prédire si les différentes instances régionales et internationales de médiation – le Vatican s’est récemment posé en médiateur pour appuyer les initiatives de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) – parviendront à instaurer un dialogue entre les deux partis. Un acquis est que, finalement, une partie de l’opposition – rappelons que celle-ci est très divisée au-delà de son rejet de Nicolas Maduro – semble accepter de participer à une première réunion prévue le 30 octobre. Elle exige que soit reconfirmé le référendum révocatoire et que soit arrêté un calendrier électoral général pour 2017. En attendant, toutes ses composantes poursuivent leur appel à « prendre » la rue, sur un mode de plus en plus insurrectionnel.

Quel est le bilan de Nicolas Maduro ? Comment gère-t-il cette crise ?

Nicolas Maduro est arrivé au pouvoir dans des circonstances imprévues : le décès d’Hugo Chavez. Des élections anticipées ont été organisées durant lesquelles il a été élu avec une courte avance ; l’opposition en avait contesté le résultat. Tout part de là. En réalité, l’opposition n’a jamais accepté cette victoire. Dès 2014, elle avait appelé à « sortir » Nicolas Maduro. Certaines de ses franges, par tous les moyens. 2014 et 2015 ont été deux années de stratégie de la tension impulsée par l’opposition, jusqu’à la victoire du 6 décembre 2015 à l’Assemblée nationale.

En plus de devoir succéder au très populaire Hugo Chavez, le nouveau président vénézuélien s’est trouvé, dès son investiture, confronté à un environnement économique beaucoup plus difficile que celui qui a présidé aux années de pouvoir du fondateur de la Révolution bolivarienne.

La réaction de Nicolas Maduro à la crise a d’abord été de tenter de sanctuariser les bases sociales populaires du pays, terreau militant et électoral du chavisme, en essayant de les protéger de la crise. Aujourd’hui, le gouvernement arrive à poursuivre certaines politiques sociales (logement notamment) et améliore l’approvisionnement de ces populations. Il a également annoncé un relèvement de 40% du salaire minimum à la veille de la grève générale annoncée par l’opposition. Mais sur le plan économique, aucune transformation significative d’ordre macro-structurel n’a été entreprise, le Venezuela reste donc fortement dépendant du pétrole. Autre problème, celui du contrôle de change instauré par Hugo Chavez, qui a abouti à la création de multiples taux de change et à l’émergence d’un marché noir monétaire hyper-spéculatif. Cette situation, non modifiée par le gouvernement, stimule toutes les contrebandes imaginables (en partie responsables des pénuries) et provoque la montée en flèche de l’inflation, qui détruit en retour le pouvoir d’achat des Vénézuéliens et annihile toute politique économique favorisant la croissance et le développement.

Nicolas Maduro annonce aujourd’hui vouloir corriger le tir et amorcer une diversification de l’économie vénézuélienne. Il parle de « révolution productive ». Mais ces transformations sont désormais d’autant plus dures à orchestrer aujourd’hui que le pays ne dispose plus des ressources nécessaires issues de la rente pétrolière pour permettre leur mise en œuvre.

Dans un environnement polarisé autour de deux camps, on ne peut pas dire que le contexte soit propice au rétablissement de l’économie. C’est pourtant la priorité absolue pour l’avenir du pays. Le Venezuela est actuellement dans une situation de pré-conflit et le risque de guerre civile en cas d’aggravation de la situation ne peut plus être exclu.

Peut-il être destitué ?

Comme je le mentionnais, il n’existe pas de procédures de destitution au Venezuela. Les opposants peuvent décider de déclarer le président inapte à assumer ses tâches (« abandon de poste ») mais cela ne saurait trouver une matérialisation directe dans le cadre d’une destitution.

Pour obtenir le départ de Nicolas Maduro, il faut en passer par les élections (prévues en 2019) ou le référendum révocatoire à mi-mandat. Quand bien même il devait avoir lieu et déboucher sur un résultat défavorable à Nicolas Maduro, le référendum aboutirait désormais au remplacement du président par son vice-président. L’opposition n’obtiendrait donc pas la chute du gouvernement et c’est pour cela qu’elle militait pour la tenue d’un référendum au plus tard le 10 janvier 2017. Avant cette date, il aurait abouti sur la tenue d’élections anticipées.

Nicolas Maduro, malgré son impopularité manifeste, ne semble pas en position de tomber, d’autant plus qu’il jouit du soutien du gouvernement et de l’armée, et même d’une légère remontée du prix du pétrole après l’accord des pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) signé à Alger le 28 septembre pour faire baisser la production et remonter les cours mondiaux (dossier dans lequel s’est très largement investi Nicolas Maduro depuis des mois).

Comment se situe actuellement le Venezuela sur la scène régionale ? La crise a-t-elle un impact sur les pays voisins ?

Le Venezuela cristallise aujourd’hui les nouveaux antagonismes régionaux entre les gouvernements progressistes de gauche et les gouvernements de droite et de centre droit. Ces derniers tentent de marginaliser la position du Venezuela sur la scène régionale. Le Marché commun du Sud (MERCOSUR) est le théâtre de ces affrontements où l’Argentine, le Brésil et le Paraguay (avec l’accord rétif de l’Uruguay) sont parvenus à retirer au Venezuela sa présidence semestrielle du bloc qui devait lui revenir entre juillet et décembre 2016. Les trois détracteurs de Nicolas Maduro tentent également de suspendre le Venezuela de l’Organisation des Etats américains (OEA) arguant que l’autoritarisme et l’incarcération de « prisonniers politiques » enfreignent la charte démocratique de l’organisation. L’objectif est de marginaliser le Venezuela sur la scène internationale, espérant l’exposer ainsi à un rejet et à des sanctions de la « communauté internationale » pour, in fine, porter un coup fatal au mouvement chaviste.

Mais Nicolas Maduro bénéficie aussi de soutiens, parmi lesquels, l’Equateur, le Nicaragua, la Bolivie et Cuba. Ainsi, il existe aujourd’hui une fracture entre deux Amériques latines dont le Venezuela est devenu la frontière.

Entre les deux camps, l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), qui intègre tous les pays d’Amérique du Sud multiplie les efforts, à l’instar du Pape François, pour créer les conditions d’un dialogue entre l’opposition et le gouvernement vénézuélien. Car le basculement du pays vers une guerre civile ou tout type de conflit de haute intensité aurait des conséquences incalculables pour l’ensemble de la région. Le voisin colombien par exemple, en plein processus fragile de négociation de paix avec les FARC, a tout intérêt à ce que le Venezuela, pays clé dans la négociation, ne sombre pas dans l’instabilité. Même Washington, hostile aux chavistes, semble redouter les conséquences d’une éventuelle dégradation de la situation. Avec Nicolas Maduro, ils savent à qui et à quoi ils ont affaire. Mais que deviendrait le pays dans une autre configuration ? Serait-il moins ou bien plus instable ? Un saut dans l’inconnu que personne ne souhaite réellement.

Une COP22 déterminante pour confirmer la dynamique de Paris

Fri, 28/10/2016 - 11:31

Les ratifications de l’Inde et de l’Union européenne vont permettre à l’Accord de Paris de franchir le double seuil nécessaire à son entrée en vigueur. A quelles actions peut-on s’attendre dans les prochaines semaines ? Quid des pays n’ayant pas encore ratifié l’Accord de Paris ?

Les prochaines semaines devraient être occupées par l’investissement des équipes de négociations dans la préparation de la COP22 mais aussi des diplomaties, marocaine notamment, afin de porter le message de mobilisation de la communauté internationale, particulièrement vis-à-vis des pays les plus récalcitrants. Peu de chefs d’Etat – une vingtaine, dont François Hollande – ont pour l’instant annoncé leur participation à la conférence. Rappelons que parmi les grands pays exportateurs d’hydrocarbures, notamment ceux de l’OPEP, seuls les Emirats arabes unis ont déposé leurs instruments de ratification. L’Arabie saoudite et la Russie n’ont pas témoigné d’un intérêt particulier vis-à-vis de la procédure. L’Accord de Paris avait de toute manière banni toute référence à un prix du carbone ou à l’extraction des ressources fossiles.

Le protocole de Kyoto était entré en vigueur seulement huit ans après sa signature. Comment expliquer l’engouement suscité par l’Accord de Paris ?

L’accord a bénéficié de l’investissement jusqu’alors plutôt limité des deux premiers émetteurs mondiaux : les Etats-Unis et la Chine. En annonçant leur ratification ensemble dès le mois de septembre, ils ont mis la pression sur les autres signataires qui, autrefois, pouvaient arguer de leur mauvaise volonté pour dénoncer le manque d’avancées des négociations internationales. Si tous les blocages ne sont pas levés, cet argument est désormais caduc. Ce changement de posture des pays autrefois considérés comme des facteurs d’obstruction de la régulation internationale a été un important facteur de réussite de la COP21, tout comme le considérable investissement des acteurs non étatiques, des collectivités territoriales aux ONG en passant par la société civile. Cette dynamique s’est ainsi concrétisée par une ratification record à laquelle doit maintenant succéder une période de mise en œuvre.

Ségolène Royal, présidente de la COP 21 a annoncé que la COP22 à Marrakech serait celle de l’action où de nombreux partenariats seront présentés. Que doit-on attendre de la COP22 ? Quels genres de projet sont à l’étude ?

L’Accord de Paris est le premier accord universel et contraignant conclu en vue de lutter contre le changement climatique. Objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C, révision quinquennale des ambitions de réduction des émissions, plancher de 100 milliards pour les financements, les avancées sont certes présentes mais encore à consolider. A ce titre, la COP22 de Marrakech est aussi importante que la COP21 dont elle doit à tout prix confirmer la dynamique, sans quoi les négociations rentreront dans un nouveau cycle de blocage comme celui qui avait débuté après Copenhague en 2009. Les Etats n’ont pas encore précisé les mesures qui vont normalement leur permettre d’atteindre les objectifs qu’ils ont déposés auprès du secrétariat de la Convention climat avant la COP21, les modalités d’abondement de l’enveloppe de 100 milliards et de répartition des fonds ne sont pas encore tranchées, comme nombre d’autres questions. La COP22 a ainsi valeur de test pour la communauté internationale. Soit les Etats confirment leurs engagements en faveur d’une action responsable a minima, soit c’est le retour aux prises de positions unilatérales, aux obstructions et l’explosion du fragile consensus auquel la COP21 a permis d’aboutir.

Sauver le climat, quelle réponse des banques ?

Fri, 28/10/2016 - 09:33

Article co-écrit avec Déborah Leboullenger, Laboratoire Economix, University Paris Ouest – Nanterre La Défense

Dans la continuité de l’accord de Paris en décembre 2015, les bonnes nouvelles se sont accumulées dans le champ environnemental. Depuis le 5 octobre 2016, le seuil minimum permettant l’entrée en vigueur du traité de Paris a été atteint, à savoir 55 pays représentant au moins 55 % des émissions de Gaz à effet de serre. Dès le 4 novembre prochain, soit 30 jours après l’atteinte de ce plancher, l’accord aura une valeur internationale. Dès le début du mois de septembre et à la veille du sommet du G20 à Hangzhou, la signature simultanée du traité par l’Empire du milieu et par les Etats-Unis, soit près de 40 %[1] des émissions globales, avait permis d’envisager une évolution positive et une ratification de l’accord avant la tenue de la COP 22 au Maroc à Marrakech, du 7 au 18 novembre prochain.

Un contexte encore favorable aux investissements durables

D’autres facteurs intervenus sur la première partie de l’année poussent à l’optimisme. Ainsi, les investissements dans les énergies renouvelables (ENR) au niveau mondial ont, selon le dernier rapport de l’UNEP[2], Global Trend in Renewable Energy Investment, atteint un nouveau record à près de 286 milliards de dollars[3] en 2015. Les investissements ENR dans les capacités électriques ont atteint près de 266 milliards de dollars, soit plus du double du montant observé pour les investissements réalisés dans les centrales à charbon et à gaz (130 milliards de dollars).

Le montant global d’investissement dans les ENR, en hausse de 5 % par rapport à 2014, dissimule de fortes disparités régionales et laisse apparaitre un leadership désormais affirmé de la Chine dans le secteur (103 milliards de dollars d’investissements). Le pays représente près de 36 % des investissements mondiaux, avec un taux de croissance annuel moyen de 38 % depuis 2004 ! L’Inde (10,2 milliards de dollars d’investissements) et le Brésil (7,1 milliards) complètent le panorama des émergents dans les ENR[4]. En Europe, le constat est beaucoup plus alarmant. Certes les investissements ont atteint environ 49 milliards d’euros, mais ils enregistrent une forte diminution (21 %) par rapport à 2014. En outre, ces montants restent très éloignés des niveaux records enregistrés en 2011, à près de 123 milliards de dollars. Ce retournement marqué est largement dû au contexte macroéconomique observé en Europe et à l’austérité budgétaire (diminutions ou coupes fiscales dans certains pays européens (Espagne, Roumanie…), qui réduisent de facto les incitations à investir dans les ENR. Seul le Royaume-Uni, avec une véritable dynamique d’investissements dans les éoliennes off-shore, est à contre-courant de la tendance européenne globale.

D’un point de vue macroéconomique, la croissance mondiale résiste autour de 3,1 % et le risque Chine, même s’il reste toujours présent, ne focalise plus autant l’attention des investisseurs qu’en fin d’année dernière. En outre, le secteur des ENR pourrait bénéficier de la remontée des prix du pétrole (autour de 50 dollars le baril), alors que les cours de l’or noir étaient à leur plus bas niveau en décembre 2015. .

D’un point de vue monétaire et financier, le contexte est certes déroutant et « jamais vu », mais il n’en existe pas moins une conjoncture favorable aux investissements durables. Les politiques monétaires américaines, et plus généralement à travers le monde, restent globalement et exceptionnellement accommodantes. En effet, la hausse des taux d’intérêt directeurs décidée par la Réserve Fédérale des Etats-Unis (FED), par l’intermédiaire de sa présidente Janet Yellen, le 15 décembre 2015, devait annoncer le début d’une remontée graduelle des taux d’intérêt directeurs américains, concluant ainsi un cycle monétaire inédit de près de 7 ans. Or il n’en fut rien ! En résulte un environnement macro financier inédit : d’une part, un niveau « plancher » des taux d’intérêt inégalé depuis la période de la Renaissance[5] et une abondance des ressources financières dans la plupart des économies avancées : de l’ordre de 15 % du PIB en flux annuels (OCDE), soit 7 trillions de dollars, et l’on estime le stock d’épargne géré par les investisseurs institutionnels dans le monde à plus 110 trillions de dollars ! Cette situation paradoxale pousse les investisseurs à rechercher de nouvelles sources de rendement et beaucoup appellent à une relance des investissements de grande envergure comme les projets d’infrastructure. Car avec l’aplatissement de la courbe des taux d’intérêt, jamais le long terme ne fut aussi bon marché (ou respectivement le présent peu valorisé sur les marchés financiers).

A la recherche d’un financement structurel vert

Toutefois, certains éléments invitent également à la prudence. En effet, le ralentissement de la croissance en Chine est à coup sûr précurseur d’une décélération des investissements dans les ENR en 2016 -le pays ayant enregistré une quasi-stagnation (0,5 %) de sa consommation d’électricité l’année dernière- et les premières tendances tendent à montrer une forte décélération en 2016.

Dans ce contexte, la question qui se pose désormais reste celle d’un financement structurel de la transition énergétique et des investissements dans les ENR. Lors de la COP 21, il a été convenu qu’il faudrait consacrer près de 100 milliards par an à des projets ENR à partir de 2020. Plus globalement, la problématique financière risque de devenir le véritable nœud de la lutte contre le changement climatique.

De nombreuses initiatives sont en train d’émerger à l’heure actuelle mais là encore les disparités régionales risquent d’être très marquantes. En effet, les problématiques européennes et chinoises observées à l’heure actuelle sont particulièrement intéressantes.

Les institutions bancaires européennes souffrent actuellement d’un problème de rentabilité structurel en lien notamment avec la politique monétaire de faibles taux d’intérêt initiée par Mario Draghi mais également en raison de la faible croissance enregistrée depuis la crise financière de 2007-2008. En outre, certaines banques allemandes ou italiennes ont enregistré des chocs externes particulièrement marqués (exposition marquée notamment au financement de projet dans le secteur pétrolier, amendes records pour la Deutsche Bank aux Etats-Unis, etc.) et certains analystes pointent du doigt un risque systémique important en Europe à l’heure actuelle. En outre, et face à leur responsabilité dans la crise financière, le système bancaire et financier européen a été soumis à de nouvelles réformes, notamment en matière d’exigences de fonds propres et de liquidité.

Dans ce contexte, les banques peuvent-elles sauver le climat ? Certaines propositions de réformes laissent entendre qu’un système d’incitations pourrait être mis en place. Un système de bonus-malus pourrait notamment être envisagé. Le schéma serait le suivant : le financement d’un projet accompagnant une transition énergétique bas-carbone (projet d’infrastructures durables, d’efficacité énergétique, d’adaptation aux risques climatiques, etc.) ne serait pas soumis aux mêmes contraintes de liquidités et/ou de solvabilité qu’un projet dans une énergie carbonée. Dès lors, l’effet de levier de financement des projets durables s’en trouverait rehaussé contribuant ainsi à une réorientation des actifs bancaires. Cela pourrait notamment alimenter les demandes de crédits pour les investissements dits «compatibles» à une transition énergétique bas-carbone mondiale.

Les banquiers pourraient ainsi contribuer à sauver le climat ! Mais pourraient-ils par le même schéma résoudre les problèmes structurels auxquels leurs banques font face ? En œuvrant pour une meilleure transition énergétique, elles se prémunissent contre un risque climatique. Mais leur résilience face à une crise financière de l’ampleur de celle que nous venons de subir s’en trouve-t-elle améliorée ? Le fait qu’elles ne maitrisent ni la politique de la Banque centrale européenne (BCE), ni la croissance en Europe, tout comme aux Etats-Unis, interroge. Certains économistes (R. Gordon, L. Summers) ont mis en exergue la lenteur de la reprise observée dans certains pays développés, notamment aux Etats-Unis et ont remis au goût du jour la théorie développée par Alvin Hansen, en 1938, relative à la stagnation séculaire. Financer la transition énergétique permettrait sûrement ainsi de relancer l’activité bancaire mais ce mouvement se heurterait à deux écueils : les rendements des projets ENR, par exemple, restent toujours inférieurs à ceux des projets énergétiques carbonés et une réallocation excessive des crédits bancaires en faveur des projets durables pourrait déséquilibrer leurs actifs. Ce deuxième point est essentiel, une réallocation massive pourrait ainsi contribuer à exposer les banques à une dévalorisation de leurs actifs en cas, par exemple, d’éclatement d’une bulle sur les énergies renouvelables ou au sein du secteur immobilier, à la fois porteur de risque systémique financier et climatique. Se pose ainsi la question du type d’acteurs devant financer la transition énergétique et celle de l’intégration à une politique plus globale favorable à l’investissement dans les projets durables ?

Une banque européenne spécialisée dans les projets durables (ENR, efficacité énergétique, etc.) ?

La Chine donne un exemple intéressant d’intégration de la question financière dans sa propre transition énergétique. Les investissements nécessaires à la réalisation du 13ème plan sur le plan environnemental vont demander près de 350 milliards de dollars. Dès 2014, le gouvernement chinois a mis en place une commission (Green Finance Task Force) chargée de faire des recommandations en matière d’incitations dans les projets ENR. Ces dernières intègrent un système de bonus-malus permettant d’augmenter la rentabilité des projets durables et de diminuer celle des projets polluants. Plus globalement la Chine va proposer une infrastructure globale favorable à l’investissement vert : la création d’institutions financières spécialisées dans les projets ENR, une politique fiscale et financière incitative (prêts subventionnés, création de taxes créant de la distorsion en faveur des projets durables…), le développement des marchés de CO2 et la création d’un système de rating vert (indice boursier environnemental…) ainsi que d’un système d’assurance obligatoire pour mettre en exergue les potentiels dommages des projets polluants. Cet arsenal a le mérite d’intégrer différents outils économiques et cherche à prendre en compte la spécificité des projets de décarbonation à travers la création d’une institution spécialisée.

L’Europe devrait peut-être s’inspirer de la Chine dans sa gestion des projets de décarbonation. La création d’une banque européenne spécialisée constituerait un projet sur lequel l’Europe pourrait capitaliser pour relancer sa construction. Cette institution centralisatrice pourrait agir en chef d’orchestre de la massification des investissements durables intermédiés par des banques locales, tout en les protégeant de l’éclatement d’une nouvelle bulle liée à la redirection des actifs grâce, par exemple, à un mécanisme de résolution à l’échelle européenne. Un projet tourné vers l’avenir et source d’intégration, un projet qui, en outre, permettrait à l’Europe de concurrencer le leadership présent et futur de la Chine sur ces questions.

[1] Selon la comptabilité de l’ONU, la Chine, premier émetteur mondial, représente 20 % des émissions et les Etats-Unis environ 18 %.

[2] United Nations Environment Programme, http://fs-unep-centre.org/publications/global-trends-renewable-energy-investment-2016, 24 mars 2016.

[3] Ce chiffre comprend les investissements dans les capacités additionnelles, dans les nouvelles technologies et dans la R&D.

[4] Pour une étude plus détaillée des investissements dans les ENR, lire notamment Emmanuel HACHE, Renouvelables, derrière les chiffres, quelle géopolitique énergétique mondiale ? Quelle place pour l’Europe ?, 12 avril 2016, http://www.iris-france.org/74791-renouvelables-derriere-les-chiffres-quelle-geopolitique-energetique-mondiale-quelle-place-pour-leurope/

[5] Tiré de Granjean et Martini ; Financer la Transition Energétique ; 2016.

La politique étrangère de François Hollande

Thu, 27/10/2016 - 18:55

François Ernenwein est rédacteur en chef du quotidien La Croix. Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes organisées les 30 septembre et 1er octobre 2016 par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole :
– Quel bilan dressez-vous de la politique étrangère de François Hollande ?
– Quels sont les succès et les échecs de la diplomatie Hollande ?
– Quels défis attendent le futur président ?

Géo-économie du Maghreb

Thu, 27/10/2016 - 14:57

Le dernier rapport de la Banque mondiale au sujet de la situation économique et sociale au Maghreb (à l’exception de la Mauritanie) tire un bilan qui en dit long sur le statu quo et le manque de perspectives en la matière : l’Algérie, la Libye, le Maroc et la Tunisie « ont en commun les mêmes grands défis socioéconomiques avec, au premier rang d’entre eux, les taux élevés du chômage chez les jeunes et la nécessité d’y remédier en développant le secteur privé pour créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité ». Les inégalités qui persistent représentent « un obstacle majeur à l’objectif visant à mettre fin à l’extrême pauvreté dans le monde d’ici 2030 ».

De fait, les pays maghrébins sont toujours en quête d’un modèle de développement. Leurs économies se trouvent dans une situation de dépendance extérieure, pour l’importation (agricole en particulier) comme pour l’exportation (en hydrocarbures). La succession et la combinaison de politiques étatistes et de politiques d’ajustements structurels (ou de libéralisation de l’économie) ont échoué à sortir ces pays d’un sous-développement indiqué par le faible niveau du PNB annuel par habitant.

Après les indépendances nationales, dans le contexte de la Guerre froide et de confrontation idéologique, les orientations politiques et économiques ont divergé : d’un côté, l’ouverture à l’économie de marché, aux investissements privés et à la société de consommation (cas de la monarchie marocaine) ; de l’autre, l’adhésion au modèle socialiste de révolution agraire et d’industrialisation de l’économie, sous la tutelle d’un État interventionniste (Algérie, mais aussi Tunisie et Libye).

Dans les années 1980 et 1990, la libéralisation et la privatisation de l’économie ont produit de la croissance et des richesses, mais mal réparties (corruption et népotisme obligent). Malgré l’émergence de classes moyennes à la fin des années 1980, le libre-échange n’est pas synonyme de développement pour des pays maghrébins marqués par de fortes inégalités sociales et territoriales, et un chômage massif de la jeunesse urbaine et diplômée qui peine à trouver sa place sur le marché du travail et dans la société.

Aujourd’hui, les conclusions générales de la Banque mondiale sont claires et tiennent en trois points : l’extrême pauvreté régresse dans l’ensemble du Maghreb, mais de larges pans de la population risquent de retomber dans la pauvreté, tandis que le chômage, particulièrement élevé chez les jeunes, reste un défi de taille. Au-delà de ce panorama global, le rapport de la Banque mondiale apporte quelques analyses plus fines. Le niveau de pauvreté et de chômage diffère selon l’âge, le sexe et les territoires.

Ainsi, l’Algérie subit très fortement la baisse des prix pétroliers. Les capacités de redistribution sociale de l’Etat sont mises à l’épreuve dans un contexte déjà socialement tendu, avec 10% de la population – soit 4 millions de personnes – qui vivent dans une situation de précarité et risquent de basculer sous le seuil de pauvreté. Une réalité qui renvoie aussi aux disparités territoriales que connaît le pays : « La pauvreté est deux fois plus répandue dans le Sahara, et trois fois plus élevée que la moyenne nationale dans la région des steppes ».

En Libye, la situation plus alarmante compte tenu des conséquences de l’insécurité et de l’instabilité politique sur la production pétrolière, quasi-unique source de revenus du pays. Ce pays potentiellement riche voit une frange de plus en plus importante de sa population côtoyer la pauvreté : avec 435 000 personnes déplacées et 1,3 million d’habitants en situation d’insécurité alimentaire, la Banque mondiale souligne que « plus d’un tiers de la population aurait besoin d’une aide humanitaire ».

Si la croissance économique au Maroc a permis d’enregistrer un recul du taux de pauvreté (de 8,9% en 2007 à 4,2% en 2014), le taux de chômage reste élevé chez les jeunes urbains (38,8%) et les inégalités demeurent criantes dans ce pays où 19% de la population rurale vit encore dans la pauvreté ou risque d’y basculer.

Enfin, en Tunisie, les projections de la Banque mondiale indiquent que la pauvreté a augmenté à la suite de la révolution de 2011, avant de revenir, en 2012, à son niveau précédent. Le taux de pauvreté extrême a stagné à 1,9 % sur la période 2013-2016, mais le rapport indique une légère baisse de la pauvreté modérée (passée de 8,3 % en 2013 à 7,9 % en 2015). Reste que le chômage continue d’atteindre des niveaux préoccupants, avec 22% chez les femmes et 31,8% chez les jeunes (31,2% chez les jeunes diplômés).

Dans le contexte de ralentissement de l’économie mondiale, la faiblesse persistante des prix du pétrole, l’escalade des tensions internes et régionales, les perspectives de reprise de la croissance à brève échéance sont peu encourageantes. Les Etats sont-ils pour autant condamnés à la passivité ? Pour que la jeunesse maghrébine retrouve espoir dans son avenir, les Etats n’ont d’autres solutions que faciliter l’égalité d’accès aux opportunités économiques.

Chine : un 6e plénum du Comité central du PCC décisif pour le pays et ses dirigeants ?

Thu, 27/10/2016 - 12:38

Les réunions du Comité central du Parti communiste chinois débouchent-elles sur des décisions importantes ? Comment fonctionnent les plénums et quels sont les enjeux du sixième qui a cours cette semaine ?

Le principe de ces réunions est double. Il s’agit tout d’abord d’identifier les personnes qui seront amenées à exercer un rôle important au sein du Parti communiste chinois dans les années à venir. Les réunions du Comité central sont donc l’objet de jeux de pouvoirs, parfois de chaises musicales où chacun essaye de trouver sa place, de faire entendre sa voix et d’obtenir des postes à échelle nationale.

Le deuxième objet principal des réunions du Comité central constitue à définir des orientations qui devront ensuite être validées par le gouvernement. Les domaines abordés sont nombreux. Ceux-ci s’étendent de la politique intérieure et internationale à la politique économique et sociale en passant par la politique de défense.

Dans le contexte actuel, le Comité central se penchera sur les moyens d’assurer la continuité de la politique exercée par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir en mars 2013. Cette politique se base sur deux axes : la lutte contre la corruption et le développement du phénomène dit « one belt, one road », c’est-à-dire de l’ouverture de la Chine dans le financement des infrastructures à travers le monde. Ainsi, les discussions porteront probablement sur les bilans de ces deux initiatives et des orientations nouvelles à leur donner. Le sixième plenum sera également une occasion de constater si le pouvoir de Xi Jinping est consolidé, ce qui sera probablement le cas, et de déterminer l’éventuelle existence et la nature des oppositions au septième président de la République populaire de Chine.

Les réunions du Comité central aboutissent parfois sur l’apparition de nouveaux slogans tels que l’« émergence pacifique de la Chine » ou le « soft power chinois ». Ces slogans sont essentiels et laissent entrevoir la manière dont la Chine se positionnera et s’autoproclamera sur la scène internationale.

L’ère Xi Jinping est marquée par une importante croisade anti-corruption. Le sujet sera probablement abordé durant le sixième plénum du Comité central. Des nouvelles mesures sont-elles susceptibles d’y être adoptées ? Quelle est la réalité de la corruption en Chine ?

La corruption est très présente en Chine mais elle est en voie de réduction. A son arrivée au pouvoir, Xi Jinping a fait de la lutte contre la corruption sa marque de fabrique, les autorités ont fortement investi dans ce domaine et obtiennent des résultats. L’objectif pour l’Etat parti est de recrédibiliser le pouvoir central ainsi que de rétablir son lien avec la population en prenant comme adversaire les échelons intermédiaires où les degrés de corruption sont, en général, élevés. En ce sens, les discours du pouvoir contiennent une rhétorique populiste, qui n’est pas sans rappeler la période du début de la révolution culturelle.

Cette purge a également pour but de renforcer le pouvoir de Xi Jinping en éliminant les cadres gênants. Des proches de Jiang Zemin (au pouvoir entre 1993 et 2003) ont notamment été inquiétés tandis que le clan de Xi Jinping n’est jamais éclaboussé par la vague de l’anti-corruption. Cette situation laisse clairement entrevoir un règlement de compte sous fond de lutte contre la corruption. Ses résultats concrets doivent donc être analysés avec prudence.

Dans le cadre des discussions, plusieurs mesures pourraient être prises comme l’obligation pour les principaux membres du parti de déclarer leur patrimoine. Cette idée peut cependant laisser perplexe quant à l’exhaustivité des documents qui seraient fournis dans le cadre de cette mesure. Xi Jinping accepterait-il de fournir tous les éléments concernant son propre patrimoine ? On peut en douter. Au final, la croisade s’apparente plus à un renforcement du pouvoir qu’à une véritable campagne anti-corruption.

Quelle que soit sa nature, la croisade anti-corruption comporte des risques et le gouvernement chinois pourrait être dépassé par l’engouement qu’elle suscite, de la même manière que la révolution culturelle avait pris de court les dirigeants chinois, contraints, à un moment donné, de suivre la révolution plutôt que de l’orchestrer. La Chine vit actuellement dans un climat d’hostilité de la population à l’égard des cadres corrompus. Le pouvoir central a contribué à alimenter cette hostilité et il est possible d’imaginer un effet boule de neige qui dépasserait les simples règlements de comptes souhaités initialement.

A la lumière de ces éléments, je pense que le Comité central débouchera plus probablement sur une volonté de réaliser un « effort de transparence » tout en annonçant la fin de la campagne anti-corruption. Xi Jinping est parvenu à éliminer ses détracteurs et à imposer son clan. Dès lors, il est souhaitable pour lui de ne pas pousser l’expérience trop loin. Sera-t-il possible d’arrêter la croisade anti-corruption ? Quelles seront les conséquences de la purge sur l’Etat parti ? Ces questions méritent d’être posées.

Cette réunion se tient dans un contexte de ralentissement économique pour la Chine, avec un taux de croissance qui a fortement diminué ces dernières années (14,2% en 2007, 6,9% en 2015). Comment se porte l’économie chinoise aujourd’hui ? Sa situation est-elle susceptible de remettre en cause la position de certains dirigeants chinois ?

La Chine est entrée, depuis quatre ans, dans un cycle de ralentissement de sa croissance économique. Les résultats de 2016 ne dépasseront pas ceux de 2015 (6,9%). Les dirigeants chinois ont conscience du problème et ne nient pas publiquement son existence. De plus, de la prospérité de la croissance dépend aussi celle du parti. En effet, il a été, ces 35 dernières années, le principal acteur de la croissance chinoise. Si celle-ci se porte moins bien, le Parti communiste chinois détient une part de responsabilité. Ses dirigeants veulent donc éviter que ce cycle de ralentissement ne s’inscrive dans la durée et qu’il ne génère des conséquences politiques.

Les solutions chinoises s’effectuent sur le plan interne et international. En interne, des mesures ont été mises en place dès 2008, alors que la crise internationale n’avait pas encore eu d’impact sur la Chine. Ces mesures visaient à augmenter les conditions de vie et les salaires des Chinois afin de relancer la consommation interne. Dans cette optique, les décisions prises, ces huit dernières années, portent leur fruit. La Chine parvient à faire émerger une classe moyenne, réduire l’extrême pauvreté et à maintenir un niveau de croissance qui, à défaut d’être bon, reste correct.

Sur la scène internationale, les mesures chinoises sont beaucoup plus ambitieuses. Si la Chine se situe actuellement dans un cycle de ralentissement de sa croissance, elle dispose d’importantes ressources en devises. Ces ressources seront mises au profit de vastes investissements à l’étranger, notamment dans les infrastructures et dans les pays émergents. Initié au début des années 2000, ce processus s’est accéléré ces dix dernières années. L’arrivée de Xi Jinping a également donné une impulsion nouvelle au mouvement. Le « one belt, one road » ne se limite pas aujourd’hui seulement à la consolidation d’infrastructures autour des routes de la soie terrestres et maritimes. Les investissements s’effectuent, aujourd’hui, dans le monde entier.

L’objectif de cette démarche est tout aussi bien d’accroître l’influence et le prestige chinois à l’international, que de pérenniser sa croissance en renforçant les voies commerciales à l’international et celles d’approvisionnement en ressources énergétiques. L’objectif est aussi d’accroître la consommation des pays en développement en édifiant des infrastructures et en créant des emplois afin que les locaux consomment des produits chinois.

La crise économique est finalement perçue comme une opportunité pour les Chinois de modifier leur modèle, de globaliser leur économie et d’asseoir leur influence sur le monde. La Chine est, en ce sens, passée à la vitesse supérieure. Les réunions du Comité central du Parti communiste chinois devront cependant trouver des réponses aux enjeux de cette nouvelle politique. Dans quelle mesure la Chine peut-elle accélérer le mouvement ? Quelles sont ses capacités réelles ? Les enjeux seront aussi ceux des implications liées à la volonté chinoise d’être de plus en plus présente sur les marchés internationaux en Afrique, Amérique latine, Moyen-Orient, Asie du Sud-Est où elle est très présente, ainsi qu’en Europe où elle multiplie les investissements.

L’agriculture face aux enjeux climatiques

Wed, 26/10/2016 - 15:31

Sébastien Abis est chercheur associé à l’IRIS depuis 2013, spécialisé sur les enjeux stratégiques de l’espace euro-méditerranéen, de l’agriculture, de l’alimentation et du commerce de céréales. Il répond à nos questions à l’occasion de la sortie de son ouvrage “Agriculture et climat : Du blé par tous les temps” (IRIS éditions, Max Milo) qu’il a co-écrit avec Mohammed Sadiki :
– En quoi la culture du blé est-elle nécessaire pour répondre aux besoins alimentaires mondiaux et au défi climatique ?
– Que doit faire la France pour rester compétitive dans ses exportations de blé ?
– En Afrique du Nord et au Proche-Orient, la diminution des quantités d’eau et la dégradation du climat peuvent-elles générer des tensions d’ordre géopolitique ?

Les citoyens et le politique : désintérêt ou crise de confiance ?

Fri, 21/10/2016 - 11:08

Marion Carrel est maitre de conférence en sociologie à l’université Lille 3 / Centre de recherche “Individus, Epreuves, Sociétés”. Elle répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes organisées les 30 septembre et 1er octobre 2016 par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole.

– En quoi consiste la démocratie participative ?
– Le Brexit et les référendums d’initiative populaire en Suisse sont-ils des bons exemples de démocratie participative ?
– Quelle peut-être la réaction d’une population exclue de la vie démocratique d’un pays ?

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