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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 2 months 2 days ago

Italie : tout change pour que rien ne change, encore (?)

Fri, 01/07/2022 - 16:44

 

Pour la première fois sous la cinquième République, la France ne trouve pas de majorité à l’Assemblée nationale. Cette situation est bien plus commune chez nos voisins transalpins, qui connaissent ce format depuis 2018. La semaine dernière, les remous politiques en Italie ont fait penser à une nouvelle crise du gouvernement, mais l’expérience dans le domaine de la non-majorité semble éviter un énième blocage de l’État.

Énième crise politique interne, mais sans impact

L’annonce officielle a été faite mardi 21 juin : le ministre des Affaires étrangères italien, Luigi di Maio, quitte le Mouvement 5 étoiles, emportant avec lui plus d’une cinquantaine de députés pour un nouveau groupe parlementaire. Cette annonce – pressentie depuis plusieurs mois – a semé le doute quelques instants : le parti le plus représenté au parlement se scinde, qu’en sera-t-il de la coalition gouvernementale ? La frayeur fut de courte durée, car même si le MoVimento 5 Stelle implose, les deux partis devraient faire partie de l’alliance du gouvernement, pour des raisons différentes. D’un côté, le Mouvement 5 étoiles appuie déjà le gouvernement actuel, bien que leur leader Giuseppe Conte soit de plus en plus critique envers les politiques exercées par Mario Draghi. C’est d’ailleurs cette prise de distance qui a fait naître la faction dimaiaina (favorable à Luigi di Maio), proche du gouvernement et à vocation plus centriste. Pour résumer, le Mouvement 5 étoiles a changé et une frange conséquente devient un parti avec Luigi di Maio, tandis qu’une autre reste plus proche de l’idée originale du Mouvement, avec Giuseppe Conte.

Cette dissidence était à prévoir, car Luigi di Maio a considérablement changé lors des deux dernières années, passant de l’euroceptisme voué à la cause des gilets jaunes à un discours modéré pro-Europe. Son parti s’appellera Insieme per il futuro (Ensemble pour le futur), un nom qui rappelle bien entendu la coalition pour la majorité présidentielle d’Emmanuel Macron. Une position centriste qui annonce de potentielles alliances encore inimaginables il y a quelques mois, mais l’histoire politique italienne nous apprend que le paysage politique est en constante évolution : près d’un tiers des parlementaires ont changé de groupes durant les quatre dernières années. Luigi di Maio, grand artisan de ce phénomène, plaidait lui-même pour une amende de 150 000€ pour toute personne quittant le Mouvement 5 étoiles avant la fin de la législature.

Luigi di Maio quitte son Mouvement, mais reste au gouvernement. Il continuera de collaborer avec le Parti démocrate, qui ne serait pas contre l’idée de le recruter. Même le pire ennemi de Luigi di Maio, Vincenzo de Luca (Parti démocrate) s’est dit ouvert au dialogue. Récupérer l’actuel ministre des Affaires étrangères serait une manière de rendre encore plus fort le principal parti de centre gauche et d’enrayer la grande coalition centriste qui pourrait voir le jour.

Le gouvernement élargi de Mario Draghi donne des idées au centre

D’autres acteurs politiques commencent à se placer en vue des élections législatives de mai 2023, et une large alliance du centre est possible, bien qu’aux prémisses. Elle pourrait notamment comprendre Italia Viva de Matteo Renzi, Forza Italia de Silvio Berlusconi et – hypothétiquement – Matteo Salvini. Le leader de la Ligue est en perte de vitesse, doublé par la droite par Giorgia Meloni. Monsieur Salvini cherche donc une nouvelle place sur l’échiquier politique, et l’exemple de Luigi di Maio pourrait lui donner des idées. Matteo Salvini a largement réduit les attaques agressives, citant de plus en plus le Pape et se montrant plus spirituel que jamais. Une nouvelle orientation pour le capitano qui pourrait lui ouvrir les portes d’un centre droit encore existant, mais sans meneur. Seul Azione, de Carlo Calenda, ne semble pas intéressé par cette grande coalition, monsieur Calenda ayant toujours abhorré le Mouvement 5 étoiles, et donc Luigi di Maio. Un doute plane sur Forza Italia également. Les personnages forts du parti (Mara Carfagna et Renato Brunetta) sont plutôt favorables à cette union centriste, mais Silvio Berlusconi ne l’entend pas de cette oreille et compte revenir au premier plan cette année, malgré ses 85 ans.

Cette possibilité de grande coalition prend déjà forme à l’échelle locale. Des membres d’Italia Viva ont soutenu – officieusement – le nouveau maire de Palerme Roberto Lagalla (Union du centre) lors des dernières élections municipales. Ce même scrutin a vu entrer au conseil municipal la Nuova Democrazia Cristiana, une nouvelle version du parti politique centriste qui a régné sur l’Italie de l’après-guerre aux années 90.

La Nouvelle Démocratie chrétienne pourrait-elle être l’étendard de ce nouveau centre ? Difficile, car les créateurs de ce retour historique de la DC sont Marcello dell’Utri et Totò Cuffaro, tous deux condamnés pour association mafieuse, une bien mauvaise publicité pour un parti qui avait disparu suite à l’opération mains propres (contre la corruption) des années 90. Malgré cela, la Nouvelle DC est au conseil municipal de Palerme, avec plus de 5% des voix. L’idée semble difficile à réaliser, mais reste valable.

Un grand remue-ménage sur la scène politique italienne, dont la presse locale se régale, mais qui n’est donc que relatif : cette grande coalition du centre est estimée à 10-15% des intentions de vote. Une alliance qui ne peut pas gagner l’élection, mais qui pourrait être un levier pour une majorité lors des prochaines élections.

La sécurité Draghi, la multiplication des partis et des transferts

Il semble évident que Mario Draghi restera à son poste au moins jusqu’à la fin de la législature, et l’idée de le reconduire dans ses fonctions pour cinq années supplémentaires se fait déjà entendre. La confiance internationale retrouvée pour l’Italie après la turbulente période du gouvernement des extrêmes Lega-5 étoiles. Dans ce climat de stabilité retrouvée et dans le cadre de la préparation des élections de mai 2023, chaque candidat potentiel crée son courant politique, afin de pouvoir négocier une place dans la future coalition victorieuse ou dans l’opposition. Nous assistons à une multiplication des partis, souvent avec “Italia” dans le titre : Italia Viva, Italia al centro, Ancora Italia, Noi con l’Italia, Italia dei valori, Sogno Italia… L’omniprésence du nom du pays dans les intitulés indique aussi une certaine tendance à la prédominance de la nation, pour certain en opposition à l’Union européenne (comme Italexit per l’Italia de G. Paragone). Une quantité de partis qui adhéreraient quasi tous à la même coalition du centre, tout en étant rivaux. Selon l’historien Paolo Mieli, le grand centre italien prend un format similaire à celui de l’Union européenne : stable dans sa hiérarchie, mais où chaque petite entité peut bloquer l’engrenage pour différentes raisons qui sont propres à ses intérêts.

Malgré toutes ces difficultés, le système politique italien actuel fonctionne, tant qu’une personne accepte de prendre les rênes d’un centre fractionné de plus en plus difficile à contenter à chaque nouvelle création d’un groupe parlementaire dissident. La figure de Mario Draghi fonctionne parfaitement dans ce rôle, tant que celui-ci accepte d’y rester.

L’alternative grandissante à l’extrême droite : Giorgia Meloni

Une partie de la Lega plus au centre avec Matteo Salvini, une autre plus proche de son territoire avec Luca Zaia (le président de la région Vénétie), la Ligue ne miserait plus autant sur le souverainisme ou le populisme qui avait fait la notoriété de Matteo Salvini. La Ligue cherche sa nouvelle identité et perd du terrain – elle est aujourd’hui à environ 15% – et laisse le champ libre à Giorgia Meloni et Fratelli d’Italia, seule sur le pan de la droite dure. Madame Meloni a l’avantage de ne pas avoir (trop) d’alliances faites puis défaites, ce qui lui donne une image de personne qui garde la même ligne directrice. Son parti n’est pas sans reproches pour autant : alors que la légalité et d’ordre sont des mots sanctifiés chez les Frères d’Italie, Francesco Lombardo (leur candidat à l’élection de Palerme) était arrêté pour avoir acheté des voix à la mafia. Néanmoins, les forces acquises à la cause de Madame Meloni sont fidèles, et il y a fort à parier que Fratelli d’Italia sera le premier parti en Italie lors des prochaines élections, si nous ne prenons pas en compte les coalitions plus larges.

Dans ce jeu des alliances parfois inattendues, il semble bien difficile de trouver une majorité homogène pour la prochaine élection législative. La nomination du prochain président du conseil sera donc de nouveau un casse-tête qui rappelle celui de l’élection du président de la République et qui pourrait finir de la même façon, à savoir la reconduction dans ses fonctions du président sortant. Encore faut-il que Monsieur Draghi accepte, lui qui avait très ironiquement déclaré qu’il avait “une très belle équipe [de ministres]”. Mario Draghi pourrait donc rester à son poste, peut-être contre son gré, comme ce fut le cas pour le président de la République Sergio Mattarella, faute de mieux.

De grandes stratégies politiques avec des alliances parfois rocambolesques, pour revenir aux mêmes présidents. Il faut que tout change pour que rien ne change, comme disait l’écrivain Tommasi di Lampedusa.

« Équitablisme contre néolibéralisme prédateur » – 3 questions à Étienne Godin

Fri, 01/07/2022 - 15:39

Étienne Godin, expert en politique internationale et coopération au développement, répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage « Équitablisme contre néolibéralisme prédateur » aux éditions Edilivre.

Vous dénoncez un fossé abyssal entre les citoyens et leurs représentants qui ne méritent plus vraiment ce terme selon vous. Quelles en sont les causes ?

Oui, l’image est à peine exagérée. Tout comme est abyssal l’accroissement exponentiel des inégalités, que ce soit entre les régions du monde ou entre les gens. Les écarts se creusent à un rythme annuel de l’ordre de 10 à 15%. C’est énorme ! En gros, 95% de la richesse globale est concentrée entre les mains de 35% des Terriens (diversement répartis de par le monde). Et parmi ceux-ci, 1% en monopolise une bonne moitié. Alors que des milliards d’êtres humains crèvent littéralement de misère, les extra-riches, eux, vivent dans l’opulence et le gaspi. Environ 3.000 milliardaires, des dizaines de millions de multimillionnaires, tous leurs affidés…  Irrémédiablement, le pouvoir a glissé du monde de la politique vers celui de l’économie et de la finance. Les gouvernements (les parlements aussi, bien sûr) sont devenus de simples chambres d’entérinement de décisions prises dans les conseils d’administration des grosses banques et des multinationales. Il y a belle lurette qu’il n’est plus possible pour les mandataires politiques (à supposer qu’ils l’eussent un jour souhaité) de s’attaquer significativement aux intérêts de l’Oligarchie financière. « There is no alternative ! » martelait déjà Margareth Thatcher et, depuis une trentaine d’années, toutes les familles politiques traditionnelles, les anciennes et les plus récentes se sont converties sans grandes nuances à l’idéologie néolibérale. Croissance, compétitivité, libre-échangisme, contraintes budgétaires pour assurer le service de la dette (colossale et impayable sur plusieurs générations), sont les leitmotivs au nom desquels on détricote allégrement les services publics et la sécurité sociale. Dans ces Assemblées où prédomine un vaste centre mou, jamais aucun discours de rupture d’avec la pensée dominante n’est toléré. Dans les meilleurs des cas, il y est juste question d’instaurer l’une ou l’autre réformette cosmétique défensive. Aux deux bouts des hémicycles, s’agitent, sans grands effets, d’un côté une extrême droite haineuse qui crache son fiel nauséabond et de l’autre côté, une gauche radicale en panne d’imagination qui a souvent bien du mal à sortir des stéréotypes passéistes sclérosés. L’offre politique, donc, est peu diversifiée. Mais ce n’est pas tout ! La plupart des partis fonctionnent verticalement, comme des entreprises privées dont la finalité première est la distribution de mandats juteux. Prisonniers de leurs égos, de leurs ambitions personnelles, des avantages (gros salaires, collaborateurs, voitures, chauffeurs, restos, voyages, prestige…) liés à la fonction, la plupart des mandataires sont incapables de se remettre en question, ou de faire preuve de vision prospective. Alors, ils s’accrochent opiniâtrement au pouvoir. Les promesses électorales sont rarement tenues, çà et là éclatent des scandales de corruption. Difficile, donc, pour beaucoup de citoyens d’y trouver leur compte. Leur désorientation est d’autant plus grande que les dangers environnementaux et climatiques sont prégnants et que les crises, sécuritaires, sanitaires, énergétiques, les guerres, l’afflux de réfugiés se succèdent sans désemparer. Pas étonnant, dès lors, que la lassitude, le doute et l’inquiétude les saisissent. D’autant plus que leur pouvoir d’achat se détériore considérablement. La frustration et le mécontentement augmentent…

L’intelligence artificielle est-elle un danger ?

Une citation me vient à l’esprit : « Malheur aux peuples dont les robots sont devenus les maîtres ! » Et c’est vrai, le monde n’est pas à l’abri de certains esprits dérangés du type docteur Folamour, capables de fabriquer des armes infernales, des robots tueurs, ou encore des cyborgs transhumanistes à la Frankenstein. Ceci précisé, comment ne pas reconnaître les potentialités extrêmement bénéfiques de l’intelligence artificielle dans toute une série de domaines, comme par exemple l’imagerie médicale (qui m’a sauvé), l’astronomie, l’aéronautique… ? N’ayant personnellement aucune compétence scientifique, mon essai aborde la troisième révolution industrielle (intelligence artificielle, numérique, robotique, biochimie…) dans une optique sociétale, en tant que phénomène qui pèse lourdement sur nos modèles de vie. Tout ce qui permet à l’humanité de sortir quelque peu de l’obscurantisme est bon à prendre. Aucune réserve, donc, sur la recherche fondamentale, si ce n’est que ses résultats appartiennent au patrimoine commun de cette même humanité et que personne, aucun État, aucune entreprise privée ne devrait être en mesure de se les approprier. Quant à la recherche appliquée, elle devrait impérativement être balisée, réglementée, contrôlée, voire régentée par l’autorité publique. Dans mon essai, je propose une régulation selon le format UREED (Utile, Renouvelable, Ethique, Equitable, Démocratique). Bornons-nous ici à trois considérations. Tout d’abord, l’ADN du néolibéralisme est de produire et fourguer aux consommateurs tout et n’importe quoi. Or, vu que les nouvelles technologies sont fortement énergivores et voraces en minerais rares, une vision utilitariste s’impose : il faut opérer un tri rigoureux ! Ensuite, il convient absolument de réduire la fracture numérique (sociale, générationnelle, géopolitique). Enfin, dans l’intérêt de la démocratie et de nos libertés (pour éviter les scénarios de type orwellien), ce secteur devrait être placé sous la gouvernance mondiale.

Qu’appelez-vous le Multilatéralisme-Transcendantal ?

C’est une dimension essentielle de cet essai, car la vision équitabliste est avant tout humaniste, internationaliste, voire universaliste. Au plan mondial, le multilatéralisme n’a de sens que s’il forme un tout cohérent et que sa gouvernance s’exerce dans tous les domaines permettant le bien-être de l’ensemble des humains (près de 8 milliards) et la sauvegarde de la planète. Or, ce n’est pas comme cela que l’architecture institutionnelle mondiale fonctionne actuellement. Elle s’est construite autour de deux axes indépendants, deux systèmes clairement antinomiques. D’une part l’ONU qui, en tant qu’émanation démocratique des États souverains, prône la coexistence pacifique, la coopération et la solidarité. D’autre part l’OMC qui (avec le FMI et la Banque Mondiale) est régie de manière ploutocratique. Dans le droit fil de la doxa néolibérale, elle s’évertue à déréguler les marchés pour permettre le libre-échange, la protection des investissements et la compétition. C’est, en fait, la consécration de la loi de la jungle qui favorise la domination des puissants sur les faibles, l’exploitation des peuples, le pillage et le gaspillage des richesses naturelles. C’est absurde puisque, dans bien des cas, l’action de l’OMC rend dramatiquement inopérante celle de l’ONU (faim, réfugiés, environnement…). La première chose à faire serait donc de placer le commerce, l’économie et la finance sous la coupole d’une ONU transformée et revigorée (dans l’esprit de la Charte de San Francisco). Schématiquement, le Conseil de sécurité serait rééquilibré pour le rendre à la fois plus représentatif des réalités géopolitiques actuelles et plus opérationnel en empêchant les blocages excessifs. On créerait une nouvelle instance (sous le chapeau de l’Assemblée générale et du Conseil) pour le développement durable et le bien-être des peuples. Via diverses branches, elle s’occuperait  de la régulation économico-sociale (y compris le commerce et la finance), des grandes orientations en matière d’environnement et de climat, de la sécurité alimentaire, de la santé, de la révolution numérique (y compris l’espace) et de la mobilité. Elle disposerait des moyens nécessaires à cet effet dans tous les domaines : politique (un Directoire composé de personnalités indépendantes des États et du privé élues par l’AG de l’ONU au départ d’une liste établie par le Conseil de sécurité) ; administratif (efficace, mais pas pléthorique) ; scientifique (Centres spécifiques de recherches qui coopèrent avec les universités et autres centres publics et privés) ; financier (une Banque Centrale mondiale, un Fonds vert vraiment significatif, et, pourquoi pas une monnaie mondiale ; juridique (règlementations et tribunaux du type CPI). Utopique cette proposition ? Ce qui serait utopique, en tout cas, c’est de croire que l’on peut continuer comme actuellement sans risquer un effondrement majeur…

 

Le Sénégal au bord de la rupture politique ?

Thu, 30/06/2022 - 17:40

Les Sénégalais sont attendus aux urnes le 31 juillet prochain pour les élections législatives. Ces élections se préparent dans un climat de très fortes tensions, rythmées par des manifestations organisées par l’opposition dont une partie a été écartée de la course. Dans quel contexte socio-économique va se tenir ce rendez-vous électoral, alors que la crise ukrainienne fait des émules au Sénégal comme sur tout le continent africain ? Pourquoi la situation est-elle très tendue dans le pays ? Le point avec Caroline Roussy, directrice de recherche à l’IRIS, en charge du programme Afrique/s.

Quel est le contexte économique et social du Sénégal à quelques semaines des élections législatives ?

Le contexte socio-économique est fortement dégradé. Sur le plan économique, le pays a été affecté par la crise du Covid-19 avec une diminution du fret maritime et subséquemment des échanges ce qui a, entre autres, entraîné une augmentation du prix des denrées alimentaires de base. À cela vient s’ajouter le conflit en Ukraine et l’impossibilité pour le marché sénégalais, comme d’autres marchés africains du reste, à s’approvisionner en blé et en oléagineux.

Outre la cherté de la vie, qui rend insupportable les inégalités et l’opulence de certains, les secteurs prioritaires sont dans un état délétère. Dans les universités, les étudiants accusent deux à trois semestres de retard … quand le système hospitalier se révèle complètement défait.  En mai dernier, onze nourrissons sont décédés dans un incendie survenu à l’unité néonatale d’un hôpital de Tivaouane. Comment supporter l’intolérable ? Cet épisode bouleversant n’est malheureusement que l’écume du quotidien des Sénégalais confrontés à la banalisation de la mort et de la violence.

Le contexte est inflammable et les manifestations cristallisent le ras-le-bol populaire.

Suite à des manifestations de l’opposition le 19 juin dernier, 3 personnes sont décédées. Comment expliquer ces tensions préélectorales ? Sont-elles une menace pour la démocratie au Sénégal ?

Les tensions préélectorales s’expliquent par le contexte socioéconomique, préalablement esquissé, mais aussi par l’invalidation d’une des listes de l’opposition – celle d’Ousmane Sonko troisième homme de la présidentielle de 2019 – pour les élections législatives du 31 juillet prochain par suite d’une décision du Conseil constitutionnel.

On observe depuis deux types de manifestations : organisation de marches et concerts de casseroles. Le 19 juin dernier, trois personnes ont perdu la vie ce qui a fortement résonné en écho avec les manifestations de mars 2021 au cours desquelles quatorze personnes sont décédées, décès pour lesquels les responsabilités tardent à être établies.

Après avoir laissé planer la possibilité d’une nouvelle manifestation, l’opposition entraînée par Ousmane Sonko – l’homme par lequel était arrivé les manifestations de mars 2021 où poursuivit dans une affaire de viol la justice s’était étonnamment révélée d’une rare célérité jetant la suspicion sur la gravité des faits reprochés – a décidé de jouer la carte de l’apaisement et d’aller aux élections législatives. Comment ce qui hier était impensable se révèle aujourd’hui possible, rappelons que trois personnes sont décédées ? Un statu quo a été trouvé dans le fait que la liste des titulaires a été invalidée, mais pas celle des suppléants. L’opposition battra désormais campagne pour faire élire la liste de ses suppléants. Quant au président de la République, Macky Sall, il entretient le doute sur la possibilité de briguer un troisième mandat en 2024… La confusion dans les différents camps peut difficilement créer les conditions de la concorde.

Le débat démocratique est polarisé par des postures quand les manifestants montrent une aspiration pour une respiration démocratique. Est-ce que cette demande sera réellement entendue au-delà du registre discursif ? La question reste posée. Macky Sall honorera-t-il son engagement à nommer un Premier ministre ? Les mois à venir seront à observer de près…

Dépendant de Moscou et de Kiev pour les céréales, les dirigeants africains continuent de défendre leur neutralité vis-à-vis du conflit russo-ukrainien. Comment se positionne l’Union africaine présidée par Macky Sall ? Quels en sont les enseignements ?

La question est intéressante, car si les dirigeants défendent une certaine neutralité vis-à-vis du conflit ukrainien, en réalité ils défendent leurs intérêts. Comme au Sénégal, un certain nombre de dirigeants ont peur de la rue qui dans les mois à venir pourrait se soulever. Dans cette équation, il faut considérer, sinon à faire le lit de la patrimonialisation de l’État quoique…, que les partenariats de nombreux pays se sont diversifiés d’où la volonté de préserver les intérêts économiques avec la Russie et l’« Occident ».

On a tendance à dire que les dirigeants africains ont voté contre la résolution mise au vote à l’Assemblée générale de l’ONU le 2 mars dernier dénonçant l’offensive russe en Ukraine. En réalité, seuls 17 États sur 54 se sont abstenus. Ce qui est loin d’être la majorité. L’abstention du Sénégal avait particulièrement retenu l’attention des Européens et des Français, eu égard à la proximité entre les deux pays. Plusieurs niveaux d’explication permettent d’éclairer ce vote tel que les deux propositions déjà énoncées auxquelles s’ajoute le fait que Macky Sall, sans doute entretenu du vote en ordre dispersé de ses homologues, et président en exercice de l’Union africaine a décidé de cette neutralité pour pouvoir exercer son mandat qui concerne avant tout l’avenir du continent africain.

Pour l’heure, on observe que Macky Sall s’est déplacé au nom de l’Union africaine en Russie début juin. Il a rencontré Valdimir Poutine à Sotchi qui l’a rassuré sur le fait de tout faire moyennant la collaboration de l’Ukraine pour que les marchés africains soient approvisionnés en blé et oléagineux. Le 21 juin, le président Zelensky s’est quant à lui exprimé devant quatre présidents africains. Il a joué la carte de la collusion en comparant ce conflit à « une guerre coloniale » sans remporter un franc succès au vu de la très faible audience réunie pour échanger avec lui… La neutralité serait-elle en train de basculer ? Les Occidentaux sont perçus comme responsables de la famine qui vient.

Si les Africains restent les parents pauvres des relations internationales, car rarement écoutés, il reste intéressant d’observer qu’une voix même timide se laisse entendre depuis le continent. Les Occidentaux auraient tort de ne pas l’écouter.

Expliquez-moi… Les GAFAM et les BATX

Thu, 30/06/2022 - 16:25

La rivalité entre les États-Unis et la Chine est devenue globale : elle s’étend sur tous les domaines de la puissance et s’exprime l’ensemble du globe. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont imposé leur leadership d’un point de vue financier, économique, stratégique ou encore culturel, et, depuis la révolution numérique, dans le secteur technologique. Ce leadership s’est notamment traduit par le développement exponentiel de 5 géants du numérique américain : les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft). Leur succès financier et technologique sans pareil, qui s’est accéléré au cours de la dernière décennie, leur donne désormais les moyens d’étendre leurs champs d’actions à certains domaines préalablement réservés aux États. Leurs dirigeants/fondateurs forment désormais la grande majorité du club des hommes les plus riches de la planète. Mais la prospérité des GAFAM connait aujourd’hui plusieurs obstacles, dont un de taille, la concurrence chinoise. L’innovation chinoise dirigée par le PCC qui veut faire de la Chine une « cyber superpower », a façonné ses propres champions : les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Autrefois copies parfaite des GAFAM, les BATX concurrencent désormais directement les leaders américains, en profitant notamment d’un important soutien du régime chinois. Depuis l’attaque frontale de Donald Trump envers les entreprises chinoises Huawei et TikTok, la guerre froide technologique entre la Chine et les États-Unis est devenue une réalité. Cette vidéo a été réalisée dans le cadre d’un partenariat entre l’IRIS et Hachette Éducation, autour de la version numérique du manuel « Histoire-Géographie, Géopolitique et Sciences politiques » destiné aux élèves de Première.

Rédaction et coordination éditoriale : Victor Pelpel
Montage : Joseph Medouni
Animations : Frédéric Petit (https://supralude.com/)

NRA, Cour suprême & Donald Trump : où en est la démocratie américaine ?

Thu, 30/06/2022 - 14:49

Romuald Sciora, chercheur associé à l’IRIS, essayiste, spécialiste des États-Unis, répond à nos questions sur l’actualité américaine :

  • Pourquoi assiste-t-on aux États-Unis à une révolution conservatrice de plus en plus présente dans les institutions et une tolérance croissante pour les tactiques autoritaires au sein du Parti républicain ?
  • La Cour suprême américaine a consacré, jeudi 23 juin, le port d’armes hors du domicile en invalidant une loi de l’État de New York. Quels sont les enjeux de cette mesure ? Pourquoi le lobby de la NRA continue d’être si puissant ?
  • Dans ce contexte, où en est le parti républicain ? Qui est Ron Desantis, le favori des républicains pour la présidentielle américaine de 2024 ? Quid de Donald Trump ?

L’OTAN : une alliance anti-chinoise ?

Wed, 29/06/2022 - 18:49

Ce mardi 28 juin s’ouvrait le Sommet de l’OTAN à Madrid. L’OTAN est renforcé depuis le début de la guerre en Ukraine, l’organisation sous égide américaine apparaissant aux yeux des Européens comme la seule en capacité d’assurer la sécurité du Vieux continent. Malgré certains malentendus stratégiques ces dernières années entre européens et américains, ils sont plus que jamais soudés pour faire face à Vladimir Poutine. L’entrée de la Suède et de la Finlande, traditionnellement neutre diplomatiquement, concrétise la réviviscence de l’OTAN. Cependant, il semble que les Etats-Unis aient à long terme une autre ambition pour l’organisation. Si l’urgence est bien de faire barrage à la Russie sur le flanc est-européen, la priorité stratégique des États-Unis continue d’être la rivalité avec la Chine. Et l’OTAN constitue en cela un moyen pour les Etats-Unis d’emporter avec eux les Européens dans cette lutte et de constituer au-delà un axe des démocraties contre les régimes autoritaires. En témoigne l’invitation du Japon, de la Corée du Sud et de la Nouvelle Zélande au sommet, des alliés de premier plan pour Washington dans l’Indo-Pacifique. Même si les Européens ont des divergences nettes avec la Chine, qu’ils ont à plusieurs reprises exprimées, celles-ci ne datent pas de la crise ukrainienne. En ce sens, accepter que l’OTAN devienne une organisation antichinoise et ainsi s’aligner sur l’agenda stratégique américain à l’égard de Pékin constituerait une double erreur.

L’analyse de Pascal Boniface

Les espaces maritimes, nouveaux territoires de la sécurité internationale

Wed, 29/06/2022 - 18:42

Les tensions sur l’accès aux ressources des mers et des océans comme le durcissement touchant les revendications sur les frontières maritimes montrent combien les espaces marins sont devenus importants dans les calculs des États et dans la dynamique des relations internationales contemporaines.

Avec un accent mis sur la connectivité maritime et sur la liberté de navigation, le concept d’Indo-Pacifique est l’illustration la plus récente de l’importance des espaces maritimes au sein des relations internationales. Si, pour certains États, les rivalités de puissances se sont déplacées en mer, pour d’autres, l’horizon au-delà des côtes est devenu une source de croissance et de richesse qu’il faut pouvoir protéger. En effet, au moment où nombre de pays découvrent la valeur de leur « économie bleue », ils en réalisent les fragilités, qu’il s’agisse de l’amenuisement des stocks halieutiques ou de l’impact des dérèglements climatiques sur la santé des océans. Quel que soit l’objectif recherché, la sécurisation des espaces océaniques et une meilleure gouvernance maritime sont à l’ordre du jour.

La « navalisation » des mers, c’est-à-dire l’accent mis par beaucoup d’États sur le développement de marines modernes, est l’expression la plus visible de ces prises de conscience. Dans un contexte de concurrence accrue pour l’accès aux ressources et le contrôle des principales voies de communications maritimes, la Chine a rapidement développé ses capacités navales grâce à un effort de construction sans précédent.

Mais, au-delà des questions de prestige et d’acquisitions de projection de puissance qui sont le propre des marines de guerre, on assiste à la création et à l’essor de flottes de garde-côtes chargées de la police maritime et de la lutte contre la criminalité en mer. En effet, les ressources qui se trouvent sous la surface de l’océan sont de plus en plus menacées de surexploitation. La pêche illégale dévaste les stocks mondiaux déjà réduits et pourrait bientôt constituer une source non négligeable de crise. En mer de Chine méridionale, la concurrence pour les droits de pêche ainsi que pour les réserves de pétrole et de gaz offshore constitue l’un des principaux facteurs de tensions et de conflits.

Le domaine maritime met en évidence les tensions entre la souveraineté nationale et les défis transnationaux, entre les régions littorales de l’océan en tant que zones économiques exclusives et la haute mer en tant que bien commun mondial. Il s’y greffe désormais la question des grands fonds et de leur exploitation.

Au final, on observera que le domaine maritime, si longtemps sous-estimé dans la couverture des affaires internationales, occupe pourtant une place décisive dans la diplomatie bilatérale, régionale et multilatérale. Au moins quatre problématiques majeures liées à l’insécurité maritime se détachent dans la hiérarchie des préoccupations des principaux acteurs et usagers de la mer : la territorialisation des espaces maritimes, la navalisation et les dynamiques globales de réarmement naval, tout comme la persistance de la piraterie et du brigandage maritime en parallèle au développement d’une criminalité bleue transnationale où l’impact du changement climatique sur les océans tient une place grandissante.

La territorialisation des mers

Aussi variées que communes, les tensions portant sur l’accès et l’usage du milieu maritime ont pris une importance croissante dans les stratégies nationales des États. Elles sont à l’origine du développement des principaux outils et acteurs tant civils que militaires de la sécurité en mer. Nationalisme bleu et crispations sur l’exploitation des ressources maritimes — poissons, minéraux, énergies — ont le potentiel de multiplier les zones de tensions, à la faveur de revendications abusives et d’expansions territoriales non fondées en droit.

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), qui fête ses 40 années d’existence en 2022, a pourtant instauré des règles permettant de délimiter les espaces maritimes ainsi que les droits et obligations des États côtiers. Il faut admettre que celles-ci sont complexes et certains États comme le Brésil, l’Inde ou la Chine en ont adopté des interprétations diverses.

La CNUDM distingue trois types de territoires en mer : les eaux territoriales, qui s’étendent sur 12 milles marins à partir de la côte, et qui s’accompagnent d’un droit de « passage inoffensif » pour les navires de pavillons étrangers ; une zone de police contiguë, qui s’étend sur 12 milles supplémentaires ; une zone économique exclusive (ZEE), qui s’étend jusqu’à 200 milles marins (soit 370 km) du littoral. La délimitation de ces frontières liquides figure au premier plan des questions qui alimentent les différends.

Cette tendance à l’appropriation fait que le principe de la liberté des mers, prônée par le juriste hollandais Grotius au XVIIe siècle, apparait de plus en plus contestée. La CNUDM s’est pourtant efforcée de trouver un compromis entre ce principe et les États côtiers soucieux d’affirmer leur souveraineté sur leurs espaces maritimes. Ainsi, si la liberté de navigation en haute mer a pu être préservée, la mise en place de délimitations maritimes a favorisé des litiges entre États désireux d’accroitre leur potentiel économique et stratégique et favorisé un phénomène de territorialisation des mers.

Autres espaces maritimes très convoités, les grands fonds représentent un enjeu géopolitique de taille. La France s’est dotée d’une stratégie de grands fonds en février 2022 (1) comme l’ont fait avant elle la Chine, les États-Unis ou le Royaume Uni. Ce document souligne qu’il n’est pas seulement important de pouvoir intervenir à de très grandes profondeurs, mais également de pouvoir surveiller ce qui s’y passe, en particulier autour des câbles sous-marins et des ressources minérales. Comme l’espace et le cyberespace, les profondeurs représentent un champ de conflictualité potentielle. De par les ressources naturelles qu’elles recèlent — dont les métaux rares —, elles suscitent de plus en plus de convoitises.

Navalisation et rivalités de puissance en mer

Les pays du monde entier améliorent leurs marines et intensifient leurs activités en mer. Cela inclut la Chine, qui a réalisé en très peu d’années des avancées qualitatives et quantitatives de son outil naval, mais aussi l’Inde, le Japon, la Corée du Sud ou la Turquie. La tendance est à la production d’unités polyvalentes intégrant les nouvelles technologies critiques (drones, robotique, intelligence artificielle) appelées à être mises en œuvre dans les conflits du futur.

La Chine appartient désormais au groupe restreint des marines disposant de porte-avions — un troisième sera bientôt mis à l’eau — et de sous-marins nucléaires. Les réalisations chinoises et la mise en œuvre de stratégies anti-accès cherchent notamment à affaiblir la dissuasion militaire des États-Unis dans la région, ce qui a conduit certains États à s’interroger sur la capacité d’intervention de Washington en cas de conflit de haute intensité impliquant la Chine. Le scénario d’une crise dans le détroit de Taïwan est dans de nombreux esprits depuis l’agression russe de l’Ukraine. Ces rivalités incluent des efforts pour obtenir l’accès à des ports et à des facilités de stationnement, car si pour l’heure la Chine ne possède qu’une seule base navale à l’étranger avec Djibouti, elle s’efforce, comme la Russie ou l’Inde, d’étendre sa présence dans l’Indo-Pacifique. Fait nouveau, elle propose des partenariats économico-sécuritaires aux États du Pacifique Sud, dont certains sont peu disposés à amorcer une coopération policière ou dans le domaine de la sécurité maritime avec Pékin.

Cette recherche du statut de puissance navale va au-delà d’ambitions étatiques et touche l’Europe, elle-même soucieuse de s’affirmer comme un acteur global de la sécurité maritime. Elle a d’ailleurs réussi à se construire une légitimité dans ce domaine. Elle peut s’appuyer sur sa stratégie de sûreté maritime (SSMUE) adoptée en 2014 et sur le plan d’actions, révisé en 2018, qui en découle. L’Union européenne s’est également dotée de stratégies régionales, dont celle sur le golfe de Guinée, puis en 2021 sur l’Indopacifique, suivant en cela l’exemple d’États membres comme la France, l’Allemagne et les Pays Bas. L’Union européenne s’est déjà montrée capable de mobiliser efficacement des moyens d’actions, face aux trafics en tous genres par voie maritime (migrants, armes, stupéfiants). Elle reste d’ailleurs engagée face à la piraterie et à l’insécurité maritime dans l’Ouest de l’océan Indien, où l’opération « Atalante » déployée depuis 2008 lui permet d’élargir ses partenariats grâce à une diplomatie navale très active.

La persistance du phénomène de piraterie et de brigandage maritime

Les dernières statistiques publiées par le MICA Center (2), organisme dépendant de la Marine nationale et basé à Brest, montrent que la piraterie reste un enjeu maritime récurrent. Les États s’efforcent de développer des coopérations et de collaborer pour s’attaquer à ce problème, mais il se révèle difficile à éradiquer dans la mesure où les solutions de long terme se trouvent à terre. Bien que la piraterie ait globalement diminué dans le monde, avec un total de 317 actes de piraterie et de brigandage maritime en 2021, le phénomène reste préoccupant en Indo-Pacifique, notamment dans le détroit de Singapour, qui totalise 57 incidents, auxquels s’ajoutent les 14 survenus dans les eaux philippines.

La piraterie au large de l’Afrique de l’Ouest a attiré l’attention internationale au début des années 2010, alors que l’activité des pirates au large de la Somalie et de la Corne de l’Afrique commençait à faiblir. Lorsque la crise en Afrique de l’Est a décru — grâce à une combinaison de patrouilles navales internationales, de personnel de sécurité privé et de réformes des systèmes judiciaires régionaux —, le phénomène a paru se déporter dans le golfe de Guinée où, après le siphonnage du pétrole, des prises d’otage contre rançon se sont développées. Une grande partie de l’activité en Afrique de l’Ouest est en fait classée dans la catégorie des vols à main armée en mer, plutôt que dans celle de la piraterie, car elle se déroule essentiellement dans les eaux territoriales des États, alors que la piraterie se déroule par définition dans les eaux internationales.

Dans le golfe de Guinée comme dans d’autres régions du monde, on trouve la crainte que des organisations terroristes régionales imitent les pirates du delta du Niger et adoptent leurs tactiques, en particulier Boko Haram. En Asie du Sud-Est, des groupes extrémistes se sont tournés vers la piraterie, comme Abu Sayyaf, un groupe philippin lié à l’État islamique, qui a attaqué des navires dans les mers de Sulu et des Célèbes et pris des membres d’équipage ou des passagers contre rançon.

Dans ce schéma, criminalité et pauvreté s’auto-alimentent et les communautés côtières en subissent les conséquences. La piraterie et les vols à main armée privent les régions côtières d’opportunités de développement socio-économique et d’infrastructures. Elles entravent les économies régionales en perturbant des industries essentielles comme la pêche et le tourisme, tout en augmentant le coût de la vie. Ces coûts économiques, associés à des possibilités d’emploi déjà limitées, créent un cycle de criminalité qui est à la fois une cause et un sous-produit de la piraterie et des vols à main armée.

L’essor de la pêche illégale et de la criminalité bleue

La criminalité bleue (3) recouvre diverses activités illicites tant la mer est un moyen de transport qui se généralise, avec comme corollaire l’accroissement de nombreux trafics : drogues, êtres humains, armes, contrefaçons, espèces marines protégées.

La pêche illicite, non déclarée et non règlementée, constitue un fléau. Elle affaiblit les stocks halieutiques et les écosystèmes marins et son impact économique reste préoccupant. Elle prive les communautés de pêcheurs de revenus, d’emplois et peut menacer la sécurité alimentaire de toute une population. Le phénomène représente près de 20 % des captures annuelles mondiales. Un poisson sur cinq pêché dans le monde est capturé illégalement (4), ce qui mine les efforts pour s’attaquer officiellement aux problèmes de surpêche. Pourtant, les stocks mondiaux de poissons ayant diminué de près de 50 %, la pression est de plus en plus forte pour s’attaquer à la surpêche et aux gouvernements qui l’encouragent.

La pêche illégale découle généralement d’une gouvernance locale faible, mais aussi d’une carence en moyens de surveillance et de contrôle des espaces maritimes. L’insécurité face à des flottilles de pêches clandestines accentue ces dysfonctionnements qui, de façon globale, requièrent la mise en place d’équipements permettant une meilleure connaissance du domaine maritime, des moyens d’échanges d’informations mais aussi la formation de personnels spécifiques au sein d’agences maritimes spécialisées.

La flotte chinoise de pêche en eaux lointaines est de loin la plus importante au monde et opère dans toutes les régions du globe. En plus de répondre à une demande alimentaire, ces navires sont utilisés à l’étranger à des fins stratégiques. La Chine s’est toutefois efforcée d’améliorer son image de puissance maritime responsable. Pékin a instauré certains changements, notamment des réglementations plus strictes sur l’utilisation de pavillons de complaisance par les navires chinois. Mais la Chine continue de subventionner les opérations de la flotte de pêche en eaux lointaines, ce qui représente une menace importante pour la durabilité des ressources océaniques.

 

Publié sur Areion24news.

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Notes

(1https://​www​.defense​.gouv​.fr/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​s​/​a​r​m​e​e​s​-​s​e​-​d​o​t​e​n​t​-​d​u​n​e​-​s​t​r​a​t​e​g​i​e​-​m​i​n​i​s​t​e​r​i​e​l​l​e​-​m​a​i​t​r​i​s​e​-​f​o​n​d​s​-​m​a​r​ins

(2) Maritime Information Cooperation and Awareness Center, « Bilan annuel 2021 : Sureté des espaces maritimes » (https://​www​.mica​-center​.org/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​ns/).

(3) C. Bueger, T. Edmunds, « Blue Crime : Conceptualising transnational organised crime at sea », Marine Policy 119 , 2020 (http://​bueger​.info/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​0​/​0​8​/​B​u​e​g​e​r​-​a​n​d​-​E​d​m​u​n​d​s​-​2​0​2​0​-​B​l​u​e​-​C​r​i​m​e​.​pdf).

(4) Global Fishing Watch (https://​globalfishingwatch​.org/​c​o​m​m​e​r​c​i​a​l​-​f​i​s​h​i​ng/).

 

 

The Geopolitical Significance of Macron’s Re-election in France

Fri, 20/05/2022 - 09:02

On April 24 2022, Emmanuel Macron was elected for a second 5-year term as President of the French Republic. So, what does this mean for French (and European) international policy? According to the French Constitution, Macron cannot run again for the next election, thus he has free rein to run the diplomacy he truly wants. This second term is not dedicated to his re-election but rather to his historical legacy.

In Europe, and more broadly in the Western World, there was a strong sense of relief after Macron’s re-election. The reason is quite obvious: he was opposed to Marine Le Pen, the French far-right leader, whose hostility towards the European Union, and pro-Russian tendency, has been at the center of her political DNA. Even though she softened her policy on ditching the euro single currency, one of her major pledges 5 years ago, she still considers the European Union as detrimental to French sovereignty, leaving it incapable of protecting French people from the threats and perils of globalization. Le Pen also sought to reassess the Franco-German alliance (the bedrock of the European project since its inception), pull France out of NATO’s military command, and launch a strategic rapprochement between NATO and Russia, which could be considered somewhat bizarre given Russia’s ongoing military operation in Ukraine.

Le Pen’s admiration for Putin is motivated by ideological values – he claims to defend Christian civilization against Muslims and to share similar views with Le Pen on societal matters. However, there are also psychological and economic factors at play, such as the need to have a strongman leading the country and the millions of euros Le Penn borrowed  from a Russian bank 5 years ago to fund her presidential campaign.[1] As Macron told her during a debate between the two: “When you speak to Putin, you are speaking to your banker.”[2]

It was crystal clear why Marine Le Pen’s candidacy, and possible election, was perceived as a major threat by France’s European and Western partners. She was little known beyond the Western world, but broadly considered as lacking experience on international issues. Putin was probably the only head of state (besides the far-right Hungarian Prime Minister Viktor Orban) who had wished for Le Pen to enter the Elysée Palace. And if the French political system (two-round election) was considered a bulwark against extremist parties, there was a growing perception that Le Pen’s arrival at Elysée Palace was no longer impossible. She was Macron’s main opponent, and while disappointment with leaders is a general trend around the world, this sentiment was particularly strong in France. Macron, unlike in 2017, was no longer perceived, both in France and abroad, as a young and brilliant leader able to give a new dynamism to France, but rather was regarded as a president unable to understand the circumstances and problems of low-income citizens.

The duel between Emmanuel Macron and Marine Le Pen was a remake of the 2017 elections. Both these elections witnessed a confrontation between a pro-European, pro-globalization candidate, who saw opening to the world as an opportunity for France, and an anti-European, anti-globalization candidate, who considered the external world as a threat to national identity and social equity. Macron was considered as the president of the wealthy, those in favor of globalization, and Marine Le Pen as the champion of have-nots and underprivileged people.

If in 2017 Macron triggered a huge enthusiasm among European political leaders and the media (The Economist, at the time, had published on its front cover a picture of Macron walking on water, id est a man able to perform miracles[3]), this time his election was met with just a mere sense of relief. Macron’s election has not fulfilled a dream among European political leaders and commentators. It has, however, precluded the nightmare of Marine Le Pen as president.

Macron did not meet Europe’s expectations during his first term due to various difficulties. The protests of the “Yellow Vests” and the perception that he was the president of the wealthy[4] presented him with major challenges, as did international issues related to Trump’s policies, Brexit, and then the Covid-19 crisis. What can we expect from his second term? Clearly, the strategic landscape seems in no way to favor his ambitions. Most of the current international tendencies are not compatible with traditional French diplomatic ambitions and perspectives.

The Russian aggression in Ukraine, a clear violation of international law, rules out any possibility of a French-Russian partnership or cooperation in the coming years, at least not while Putin is in charge. And no one can bet on the possibility of a regime change in Moscow any time soon. Putin could still be in power at the end of Macron’s second term. Unfortunately, since De Gaulle and the creation of the Fifth Republic in 1958, playing with Moscow on the geopolitical field has been a main feature of French international policy. During the Second World War, De Gaulle was often at odds with Churchill and Roosevelt. Thus, Moscow served as a counterweight, enabling De Gaulle to enhance his capacity of action. According to De Gaulle, the future of Europe was contingent on the entente between Russia[5] and France. After De Gaulle, every French president, and first and foremost François Mitterrand, who was a fierce De Gaulle opponent, followed the same line, with their own personality.

France’s priority was independence, and US protection at times felt a bit oppressive. As a Western country not aligned with Washington, and as a non-communist country enjoying good relations with Moscow, France had a specific diplomacy with no equivalent, allowing her to punch above her weight. Due to its nuclear deterrence, France was less dependent on the US nuclear umbrella and less fearful of Moscow, and saw its relationship with Moscow as a way to reinforce its room of maneuver.

However, this is no longer the case. Relations between Russia and the West have been going downhill for the past 15 years. In 2007, Putin criticized the West’s strive for world domination. The war between Georgia and Russia in 2008, NATO’s military intervention in Libya in 2011 and the killing of Khadafi, a partner of Moscow, and Moscow’s support of the Bashar Al Assad regime during the Syrian civil war only added fuel to the fire. The overthrow of the pro-Russian Ukrainian President Yanukovych and the annexation of Crimea further worsened the situation. But a dialogue was still possible between Paris and Moscow. Nowadays, it is impossible. Relations have been frozen for a while now and Paris has lost some freedom of movement.

In November 2019, Macron declared that NATO was brain-dead.[6] His goal, when elected for his first term, was to push for European strategic autonomy and make Europe less dependent on Washington. Thanks to Putin’s aggression in Ukraine, NATO has never been so strong and united. Every European country is now certain that, as far as security is concerned, NATO is the only game in town and the only one that can deter a potential Russian aggression. US strategic credibility, which was at stake after the Kabul disaster, has never been so robust. US President Biden, by stating that Washington will not send US troops to protect Ukraine, has sparked interest in NATO membership – Finland and Sweden are considering departing from their neutrality to join the alliance. Therefore, pleading again for European autonomy would be considered a foolish idea for European partners. It is the French project of European strategic sovereignty which is brain-dead. It will take a very long time to resume normal relations with Moscow. Europe is once again divided.

It is quite ironic, actually. So far, Russia’s military performance has shown that its army is far from being an overwhelming threat. Unable to defeat the Ukrainian army, it is hard to imagine that the Russian army would be able to achieve victory against a NATO country. Nevertheless, European countries have increased their military defense spending since Russia’s aggression in Ukraine, while seeking protection by Washington.

On the Sahel front, we could hesitate between ‘failure’ or ‘stalemate’ to describe the actual situation. But ‘success’ is far from the reality of the situation. The link between France and Mali is broken and victory against terrorism is not in sight. In 2013, just after the French intervention, which prevented jihadist groups from reaching Bamako, France and President Hollande were acclaimed in Mali.[7] However, they are now accused of being neocolonialists and are no longer welcome.[8]

In general, the situation is gloomy for France in Africa. Not only is Paris no longer Africa‘s cop, but its prestige has also deteriorated. The rise of the far right in France is part of the explanation, but so is France’s will to maintain relations with authoritarian French-speaking regimes (Togo, Chad, Cameroon, Congo-Brazzaville, Gabon), most of them inefficient and unpopular, as well as its will to establish links with the civil society and the young generation of students – two contradictory goals. France is perceived by the youth as a protector of corrupted regimes, incapable of developing their country and society, and only interested in protecting their own interests.[9]

The situation in the Middle East is also problematic. Lebanon is in big trouble and Macron does not have a magic wand to fix the problem. He challenged the political elite of the country, blaming them for the disaster the country was facing. But this elite is still in charge. Internal difficulties in Algeria (the Hirak mass protest movement) too have had a negative impact on French-Algerian relations. Paris has also given up on its efforts to resolve the Israeli-Palestinian conflict, as has the whole international community. Thus, Paris has lost the prestige it once had as the proud advocate of noble causes. Fortunately for Macron, relations between France and the United Arab Emirates, and to a lesser extent with Saudi Arabia, are at their peak, with intense cooperation on the economic, cultural and military fronts.

There could, however, be some hope for Macron if he can manage to make some positive contributions. So, what can he do? The first file would be the fight against climate change. France has strong arguments having hosted the COP21 summit in 2015, which successfully culminated in the signing of the Paris Agreement on climate change (for the first time in history, all countries were united under a common cause). Green issues are of particular importance, specifically among the younger populations, hence this would be a prime opportunity for Macron to take the lead in this mission.

The defense and promotion of multilateralism is another important area of focus for Macron. The crisis of multilateralism has been at the centre of some of the most critical strategic issues facing the world today. France is in a fortunate position to launch a campaign in an effort to create a united front in defense of multilateralism. Though France has sufficient power to exert influence in global affairs, it does not have enough to act unilaterally.

And last but not least, France could be a key player, along with other European actors such as Germany, in preventing a possible escalation between the Western world and Russia, thereby precluding a global confrontation between an authoritarian axis and a coalition of democracies. After more than 30 years since the end of the Cold war, between the US and China, France must strive to prevent a new division of the world and make this a strategic priority.

But the main challenge for Macron is to enhance, and even restore, France’s international soft power. His ability to reinforce France’s international influence, therefore, might lie on domestic issues. Due to the rise of the far-right movement, many internal political debates are focused on refugees and migrants, which are deemed as a threat. The same could be said about Islam and Muslims. Many political leaders and commentators seem to be obsessed by Islam. The proposal to ban the veil in universities, and even public spaces, is not only contrary to the true definition of the French concept of Laïcité[10] (which gives everyone the freedom to believe in what they want to believe in), but is also a subject that incites a great deal of consternation around the world.

France, which once portrayed the image of being active in the promotion of human rights, is now perceived as hostile to religious minorities, specifically the Muslim community. France, which at the beginning of this century was the most popular Western nation in the world, is now one of the most unpopular, not only in Muslim countries but also in Western ones that are more progressive on religious issues. In a globalized world, the national debates taking place within a country are monitored and scrutinized by the outside word.

 

Published by Trends.

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References 

[1] Romain Geoffroy and Maxime Vaudano, “What Are Marine Le Pen’s Ties to Vladimir Putin’s Russia?” Le Monde, April 21, 2022, https://www.lemonde.fr/en/les-decodeurs/article/2022/04/21/what-are-marine-le-pen-s-ties-to-vladimir-putin-s-russia_5981192_8.html.

[2] John Timsit, “Débat Macron-Le Pen : «Vous parlez à votre banquier quand vous parlez de la Russie», lance le président-candidat à sa concurrente” Le Figaro, April 20, 2022, https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/debat-macron-le-pen-vous-parlez-a-votre-banquier-quand-vous-parlez-de-la-russie-lance-le-president-candidat-a-sa-concurrente-20220420.

[3] “Electoral Victory Will Make France’s President a Potent Force,” The Economist, June 17, 2017, https://www.economist.com/leaders/2017/06/17/electoral-victory-will-make-frances-president-a-potent-force.

[4] He suppressed the symbolic wealth tax and made many comments perceived as scornful by low-income citizens.

[5] Most of the time, De Gaulle used the term Russia instead of Soviet Union or USSR, favoring the geographical definition over the political one and setting aside the fact that it was a communist regime.

[6] “Emmanuel Macron Warns Europe: NATO is Becoming Brain-Dead,” The Economist, November 7, 2019, https://www.economist.com/europe/2019/11/07/emmanuel-macron-warns-europe-nato-is-becoming-brain-dead.

[7] “French President Hollande Gets Warm Welcome in Bamako,” DW, February 2, 2013, https://www.dw.com/en/french-president-hollande-gets-warm-welcome-in-bamako/a-16572171.

[8] Paul Melly, “Why France Faces So Much Anger in West Africa,” BBC News, December 5, 2021, https://www.bbc.com/news/world-africa-59517501.

[9] Olivier Caslin, “En Afrique, un sentiment anti-français bien ancré,“ Jeune Afrique, December 18, 2020, https://www.jeuneafrique.com/1092996/politique/en-afrique-un-sentiment-anti-francais-bien-ancre/.

[10] According to Laïcité, there is no official religion in France (though Catholicism used to be the official religion). The state is neutral regarding religion. Every citizen is free to choose one or none.

Guerre en Ukraine : défend-on nos valeurs ou nos intérêts ?

Thu, 19/05/2022 - 18:03

Dans le cadre de la guerre en Ukraine, les Occidentaux, et notamment l’Europe, justifient leur soutien à l’Ukraine par la nécessaire défense de leurs valeurs. Si la dénonciation des crimes de guerre, la défense des droits de l’homme et d’une nation attaquée illégalement sont effectivement des valeurs défendues par les Européens, et qu’il existe une certaine proximité culturelle avec l’Ukraine qui justifie une mobilisation plus importante que dans le cadre d’autres conflits, il reste indéniable que ce soutien est également le fait d’intérêts qu’il est nécessaire d’assumer. Cela renforcerait la légitimité des Européens à soutenir l’Ukraine et rendrait certainement leurs positions plus audibles à l’égard du reste du monde.

L’analyse de Pascal Boniface.

Chine : terre d’islam ?

Thu, 19/05/2022 - 14:59

En 2011, un rapport du Pew Research Center estimait qu’en 2020, les musulmans seraient 28 010 000 sur le territoire chinois. Si l’Islam est encore souvent associé aux pays arabes, aujourd’hui il se situe pourtant majoritairement en Asie, et notamment en Chine. Combien le pays compte-t-il de musulmans ? Et qui sont-ils ?

Sur les 55 minorités officiellement reconnues en Chine, 10 sont majoritairement de confession musulmane sunnite. Les deux principales de ces minorités sont les Huis et les Ouïghours. Divers groupes dissidents de musulmans chinois estiment à 132 millions le nombre de musulmans pour l’ensemble du pays, soit près de 10 % de la population nationale. Leur nombre exact n’est pas communiqué officiellement, ou est revu délibérément à la baisse. Les Ouïghours, au nombre de 12 millions [d’après le recensement de 2017], vivent majoritairement dans le Nord-Ouest du pays, dans la province du Xinjiang. Ils sont turcophones et soufis. Les Huis sont d’ethnie han, tôt ou tard convertis à l’islam. Ils constituent la majorité des musulmans de Chine. Le gouvernement chinois, à l’instar autrefois des Soviétiques, leur reconnaît un statut de « minorité » (minzu) à part entière. Les Huis ont été associés à l’histoire des routes de la soie en se situant traditionnellement dans des régions de passages et de commerce. Ainsi les trouve-t-on au Qinghai, au Gansu dans le Nord-Ouest du pays, ou au Yunnan, dans le Sud (dans les régions respectivement limitrophes de l’Asie centrale et du Tibet) en tant que restaurateurs ou jadis, comme peaussiers et commerçants de musc ou de thé. Leur rôle a été considérable en tant que passeurs entre le monde musulman et la Chine proprement dite. Aujourd’hui encore, ils se reconnaissent à leur hybridité culturelle. Enseignes de restaurant en lettres arabes et en idéogrammes ou signes de reconnaissance vestimentaire constituent les codes les plus visibles de ce sentiment d’appartenance. Bien que se disant citoyens chinois, et reconnus comme tels, les Huis ont en partage avec les Ouïghours le sentiment d’appartenir à une communauté universelle, l’Oumma. Elle dépasse et de loin les frontières chinoises et désigne avant tout la communauté des croyants. Lui est associée l’usage de l’arabe. Langue de la Révélation, langue du Coran, l’arabe structure car elle est la langue de la foi, mais elle place aussi tout croyant non arabe en une sorte d’exil chez soi, au plus proche. Être un étranger chez soi : un impossible séjour, pourtant bien réel. Cette situation dit aussi une condition de l’homme moderne. Car, que l’on soit ouïghour, pachtoune ou pendjabi, c’est-à-dire issu d’un islam asiatique aujourd’hui majoritaire, les mythologies politiques et auxquelles on adhère sont inspirées d’un creuset arabo-musulman qui s’est forgé pour le Prophète et ses compagnons dans l’épreuve : celle d’une exclusion. Et, pour les membres de la communauté comme pour les États musulmans s’y référant, cet acte fondateur reste un marqueur identitaire. Ces référents mythologiques sont étrangers à la Chine han. Et en dépit d’une acculturation certaine de la communauté hui, celle-ci, au moins depuis le XIXe siècle, a été associée d’une manière récurrente à des crises politiques graves, qui ont largement concouru à la chute de la dernière dynastie impériale Qing (1644-1911). Xi Jinping est avisé sur ce point, comme il sait aussi que le succès de son projet colossal des nouvelles routes de la soie dépend très largement de relations stables entre la Chine et les pays musulmans. N’oublions pas que c’est successivement au Kazakhstan puis en Indonésie — deux États musulmans asiatiques — que le président chinois a officiellement annoncé, en 2013, le lancement des nouvelles routes de la soie terrestre et maritime. Le fait, par ailleurs, que le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, ait appelé son pays à établir des relations « amicales » avec le régime taliban, de nouveau au pouvoir en Afghanistan voisin, dès le mois d’août 2021, va également dans ce sens.

Quand l’islam est-il apparu en Chine et sous quelle forme ? Quelle a été la position du pouvoir chinois à l’égard de l’islam au cours de l’Histoire ?

Dès la première moitié du VIIe siècle, l’existence de communautés marchandes musulmanes dans les villes portuaires de Quanzhou ou Guangzhou (actuelle Canton) mais aussi dans la capitale impériale même, Chang’an (actuelle Xi’an), est attestée. Constituées d’arabophones et de persanophones, elles empruntent des routes terrestres et maritimes et sont d’une manière générale plutôt bien tolérées, jusqu’au moment où le pouvoir de la dynastie T’ang (618-907), se sentant menacé, organise de vastes conjurations contre le pouvoir des étrangers. Au même titre que les communautés bouddhistes alors persécutées, ces communautés subiront à plusieurs reprises des épreuves, marquées à la fois par la terreur et par la purge. En termes de gouvernance, il s’agit là de régulateurs politiques que le pouvoir chinois actuel n’a en rien abandonnés. Mais la grande période de l’islam en Chine correspond à deux autres phases bien plus déterminantes encore. C’est d’abord celle de la dynastie des Qarakhanides (XIIe siècle) se traduisant, et pour la première fois de leur histoire, par la conversion des populations turciques de l’actuel Xinjiang à la religion du Prophète. Leur capitale, Kachgar, en est un centre de rayonnement culturel et intellectuel.

L’acharnement des autorités chinoises depuis ces dernières années à vouloir détruire ce lieu de mémoire manifeste clairement leur volonté d’éradiquer toute trace de ce passé prestigieux auxquels peuvent s’identifier les Ouïghours. La seconde phase survient moins d’un siècle plus tard, avec l’instauration de la dynastie mongole des Yuan (1234-1368). Cette période est synonyme de brassages inédits pour des populations parfois originaires de l’Asie centrale. Au contact de la Chine, elles introduisent des spiritualités et une culture matérielle d’un genre nouveau. D’un pôle à l’autre de l’Eurasie, le conquérant mongol se fond alors dans les réalités culturelles et sociales préexistantes. Ainsi, dans l’espace persan, le pouvoir s’appuie sur la réalité locale, quitte à composer entre des traditions juridiques pourtant antinomiques (yasa mongole contre charia islamique) ou en faisant appel à des éléments étrangers pour se renforcer. Hommes de guerre, administrateurs et artistes de confession musulmane seront de ceux-là. L’empire mongol dispose d’une panoplie de moyens qu’il est le seul à mobiliser pour assurer la sécurité de ses intérêts.

L’aménagement d’un réseau de communication en est un. Le projet des nouvelles routes de la soie en est le lointain héritier. Bien avant la mise en place de ce projet, le pouvoir maoïste a saisi que l’utilisation des communautés musulmanes de Chine et de leurs représentants faciliterait la mise en contact du régime communiste chinois avec des pays musulmans étrangers, comme l’avait fait avant lui le gouvernement de Chiang Kaï-Shek, voire celui du Japon dans l’espoir de se concilier certaines populations centrasiatiques comme les Tatars contre les Russes. C’est par l’intermédiaire de ces missi dominici que Pékin établira ses premières relations avec l’Égypte de Nasser ou la Palestine de Yasser Arafat.

Quel est l’héritage de la religion musulmane dans la Chine actuelle ?

Culture et religion musulmanes sont indissociables. Et de ce point de vue, l’héritage est considérable. Sur le plan artistique et patrimonial tout d’abord, avec le plan même de la capitale, Pékin, que la tradition attribue à un architecte de confession musulmane, sans compter le « bleu blanc » de Chine, porcelaine des Ming, qui est la synthèse entre des techniques de cuisson proprement chinoises, la terre de kaolin et le bleu perse de cobalt. Son exportation dès le Moyen Âge à des dizaines de millions d’exemplaires inondera les contrées du Moyen-Orient et, plus tardivement, les pays d’une Europe qui connaîtra à son tour et au XVIIIe siècle une véritable sinophilie. Le régime communiste rappelle aussi avec fierté que Zheng He, amiral de confession musulmane, a, au XVe siècle, découvert la Corne de l’Afrique. Sa découverte confère à cette figure historique la valeur d’un mythe politique, mis en avant par l’État-Parti afin de montrer que la Chine impériale a su établir, bien avant les Européens, des relations avec des peuples de l’Asie et de l’Afrique, musulmans ou non. L’Islam a véhiculé aussi sur les marges de l’espace chinois une rationalité empruntée à la culture hellénistique et suscité d’un point de vue métaphysique des interrogations que se posera de nouveau l’élite chinoise au contact des premiers missionnaires jésuites. Que peut signifier la croyance en un Dieu unique ? Qu’est-ce que l’Être ? Qu’est-ce que la question du sens ? Qu’est-ce que la liberté ?… « Le Ciel lui-même parle-t-il jamais ? » s’interrogeait, déjà en son temps, Confucius. La Chine est sans doute de toutes les civilisations celle qui se situe le plus aux antipodes de nos traditions monothéistes. Même si des tentatives d’accommodements continuent d’avoir lieu, elles n’en sont pas moins très difficiles. La Chine est en cela un champ de forces et le combat des Ouïghours pour la défense de leur identité interroge sur le choix des valeurs. Quelle société voulons-nous ? Une société matérialiste, axée sur des impératifs de croissance, comme le prône Pékin, ou autre chose, en termes d’épanouissement spirituel par exemple ? Ce questionnement n’est pas vain. La Chine est l’un des pays au monde où le nombre de convertis à l’islam ou au christianisme connaît une accélération sans précédent (1). C’est un véritable défi pour l’État-Parti, tant sur le plan moral que politique.

Dans votre ouvrage, vous citez John Lagerwey (2) en comparant le fonctionnement de l’État chinois à celui d’une Église. Pourquoi ?

C’est que l’État-Parti a socialement reproduit une oligarchie, de plus de quatre-vingt-dix millions de membres aujourd’hui, avec ses prébendes et ses grand-messes. Excommunications, hérésies et réhabilitations en rythment l’histoire. Son accélération est synonyme de crises, de purges. Souvent très graves, elles mettent en péril l’équilibre de l’appareil. Son fonctionnement est incompatible avec une trop grande hétérogénéité de vues. Le Parti reste extrêmement vigilant pour contrôler l’opinion, ses relais et institutions. Autant de contre-pouvoirs considérés comme dangereux au monopole de son autorité. Gao Gang, Peng Dehuai, Liu Shaoqi, Bo Xilai ou Zhou Yongkang, caciques historiques du régime, en furent les plus illustres victimes. Sans compter les millions d’anonymes et parmi eux, de croyants. Jamais ces derniers n’ont été admis à critiquer l’État, son discours, ses fondements qui sont aussi ceux du Parti. Ce dernier fonctionne en soi comme une véritable église, en effet. Se comprennent d’autant mieux ses très grandes réticences à établir des relations avec des pouvoirs religieux, lesquels — durant le long et douloureux XIXe siècle — ont souvent été tout particulièrement associés au pouvoir des étrangers.

Existe-t-il des tensions ou une solidarité entre les ethnies hui et ouïghoure ?

Ethniquement, comme nous l’avons dit, les premiers sont des Hans — donc de culture chinoise —, tandis que les seconds sont turcophones. Toutefois, historiquement, des alliances ont pu avoir lieu entre différentes obédiences, du temps des Seigneurs de la guerre notamment, moins par solidarité entre musulmans, d’ailleurs, que par un commun rejet de l’État. On retrouve par ailleurs des clivages traversant dès la fin du XVIIIe siècle l’ensemble du monde musulman entre djadidistes (réformateurs) et conservateurs dans le choix des langues interprétatives des textes sacrés, certains étant favorables à l’usage du persan, tandis que d’autres s’emploient au recours exclusif de l’arabe. L’islam confrérique est par ailleurs beaucoup plus vivace chez les Ouïghours et permet à cette communauté persécutée de développer des connexions étendues bien au-delà du Xinjiang, en Asie centrale postsoviétique notamment. La Révolution culturelle (1966-76), son cortège d’atrocités et d’humiliations, a provoqué une prise de conscience de la difficulté à pratiquer sa foi en régime communiste. Des vexations discriminatoires (obligation de célébrer l’année du porc, destruction de mosquées au nom de normes architecturales proprement chinoises, refus d’une mise en circulation de biens de consommation hallal, interdiction du port du voile dans les lieux publics depuis 2001…) ont créé des crispations identitaires, et même si les persécutions sont sans commune mesure côté ouïghour, elles provoquent un mécontentement certain et des frustrations identitaires au sein de la communauté hui. Des choix de radicalisation avérés sont observables tant chez les Ouïghours que chez les Huis, et même si aucun État musulman n’a manifesté la moindre solidarité à leur égard, il n’est pas impossible que les choses changent. On note au Pakistan un nombre croissant d’attentats contre des ressortissants chinois, et des maquisards ouïghours ont rejoint des groupuscules terroristes en Afghanistan.

Alors que la communauté internationale, en particulier occidentale, s’insurge contre les exactions commises à l’encontre des Ouïghours — certains parlant de « génocide » —, pour quelles raisons le monde musulman ne se mobilise-t-il pas davantage pour soutenir cette minorité ?

Les Ouïghours apparaissent davantage comme un problème que comme une solution. Que pèsent 12 millions de personnes (autant au sein de la diaspora) face aux milliards de dollars d’investissements qui sont en jeu dans les échanges économiques entre la Chine et le reste du monde ? Pas grand-chose. Seuls les Turcs pourraient se montrer plus solidaires avec les Ouïghours, avec lesquels les affinités de langue, de culture et de religion sont grandes. Mais en tout cas pas les Arabes, encore moins les Iraniens qui, étant chiites, n’y voient aucun intérêt — et encore moins d’un point de vue de leur politique énergétique. Que l’administration américaine, avec Trump, puis les Européens, aient condamné les répressions s’inscrit dans le choix d’une radicalité tous azimuts à l’encontre de la Chine. Pour louable qu’elle soit, cette politique en matière de droits de l’homme manque toutefois et singulièrement de cohérence. Les Occidentaux continuent en toute impunité de bombarder des populations musulmanes au Moyen-Orient et ne disent mot sur les persécutions des chrétiens en Chine. Et le relatif silence des capitales occidentales concernant les exactions commises par Narendra Modi à l’encontre des musulmans en Inde en dit long aussi sur des partis pris qui sont en l’espèce avant tout instrumentalisés et de nature idéologique.

Avant même la chute de Kaboul le 15 août dernier et le retour au pouvoir des talibans, les diplomates chinois avaient pris soin d’accueillir certains de ces dignitaires islamistes. Quelle sera l’approche de Pékin vis-à-vis des talibans ? Quels sont les enjeux pour la Chine ?

Il s’agit avant tout pour Pékin de sécuriser son étranger proche et de pérenniser son projet des nouvelles routes de la soie. C’est le prolongement vers l’Afpak [Afghanistan-Pakistan] et l’ouverture sur l’Iran que convoite Pékin, pour ainsi, dans une alliance de revers, s’appuyer sur son allié pakistanais contre l’Inde. La connaissance par les diplomates chinois des talibans est ancienne. De 1996 à 2001, Pékin était la seule puissance avec Islamabad à avoir établi des relations diplomatiques avec le régime taliban. Avant même l’instauration de ce régime, la Chine avait, dans le contexte de la guerre froide, soutenu les moudjahidines aux côtés de la CIA contre les Soviétiques. Pragmatique, la diplomatie chinoise ne s’embarrasse pas d’idéologie. Mais son erreur est de concevoir le nouvel État afghan comme dépositaire de la seule légitimité politique. En réalité, l’Afghanistan est de facto régi par des principes anarchiques, où la vendetta, le code de l’honneur et la loi du talion constituent la règle. Elle s’impose entre grands féodaux, et Kaboul n’a jamais exercé qu’une autorité aussi relative que limitée dans le reste du pays, profondément marqué par ses structures claniques. Pékin semble avoir emporté la première manche en privilégiant les interlocuteurs talibans. Au reste, ce ne sont pas les seuls. Les Russes ont engagé des démarches similaires. Mais il y a fort à parier que ce qui s’apparente pour l’heure à une débandade américaine est un choix de retraite stratégique et que Washington va renforcer sa présence dans des pays riverains, livrant ainsi les Chinois à la béance afghane. Pékin fait le choix du développement économique pour acheter la paix sociale. Les opportunités dans l’exploitation des mines de cuivre ou des terres rares ne manquent pas. Seulement, les aspirations afghanes ne sont certainement pas celles des Chinois, et les pierres d’achoppement vont être nombreuses entre Pékin et les populations musulmanes dans cette partie du monde.

 

Propos recueillis par Léa Robert le 4 septembre 2021 pour Areion24news.

Crypto-Bubbles and the Decentralized Eldorado

Thu, 19/05/2022 - 14:48

 

The crypto rollercoaster has consequences beyond the realm of mass speculation. It shapes key discussions on the future of money and the Internet, which revolve around notions of decentralization and economic power.

Web3: The Quest of Decentralization, and the Market Hype

The idea of Web3, with blockchain at its core, is meant as a promise of decentralization, a return to the spirit of web1 (whose early protocols still underpin the Internet). It aims to supersede Web2, marked by the rise of social media giants. They filled the void left by the absence of an identification protocol in the original Internet, in order to expand their control over personal data, for advertising purposes. Giving users back control of their data, through the blockchain, and ensuring interoperability across services is the key rationale behind web3. The idea that artists could use NFTs – usually defined as digital property certificates – to directly market their creations and cut the middleman is undeniably appealing. Similarly, programmable blockchains like Ethereum, with decentralized apps (dApps), could offer a prospect to overcome the exorbitant privilege wielded by app stores.

However, the main promise of web3 clashes with the reality of blockchains, caught up in the centralization of large exchanges and key venture capital firms. Besides, the massive crypto bubbles – fueled by herd behavior, shaky digital constructs and (central) monetary policy – do not quite fit with the common vision of financial and digital decentralization… A bubble is generally defined as a mismatch between the trend of an asset price and some underlying value. In the crypto bubble, the very idea of an underlying asset – or reality – has been derided. Some NFTs have pushed that logic with undeniable humor, like those based on drawings of adorable monkeys and their ApeCoin…

The global financial landscape – with inflation-driven monetary tightening – is throwing many asset classes into trouble, drying up the liquidity flows that have fueled the rally. Extreme volatility has been a hallmark of cryptos since their inception, but the last few years have seen a considerable drift, based on authentic Ponzi schemes, with concepts as far-fetched as that of virtual land. The most recent projects rarely show the kind of monetary thinking that underpinned the (very experimental) creation of bitcoin in 2008, using the cryptographic concept of Merkle tree, developed as early as the 1970s.

Most of the confusion this time came from stablecoins, which aspired to be the poster child of cryptos by offering a fixed exchange rate with a currency, like the dollar. Some, however, operate without collateral… This is the case with TerraUSD, which relies on a highly vulnerable system of rebalancing, using a floating crypto named Luna. TerraUSD has seen its peg to the dollar collapse as result of massive outflows. Collateral-based, centralized stablecoins like Tether already show more resilience. Beyond reports of destabilizing movements by large investment funds betting on the downside, the rout has, in any case, occurred against a background of severe fragility.

Blockchain Is Still an Experiment, However Fascinating

The concept of monetary decentralization, using cryptography, remains exciting. It is a substantial contribution to the discussion on the nature of our monetary and banking system, and its reform. This system is said to be centralized in the sense that it relies on central banks, but also on the privilege of massive money creation by commercial banks (through loan issuance out of thin air) – centralized institutions indeed. On the other hand, the concept of decentralization is also relevant in the face of Big Tech’s concentration in the digital sector and its control over user data. This control is likely to increase exponentially with the level of immersion, as will be the case with the metaverse.

Overall, the crypto world needs to further question the purpose, stability and legal status of its constructs. The crypto-currencies and assets that have only capitalized on the bubble of the past few years are unlikely to thrive. The (few) true pioneers of blockchain keep insisting on its experimental nature. For example, a crucial discussion centers on overcoming proof of work (a mining mechanism based on a cryptographic contest between blockchain nodes), which comes at an exorbitant energy cost. Considerable effort is being made in this direction in the case of Ethereum, to move towards the more reasonable concept of proof of stake – which accredits the nodes on the basis of their proven involvement, like a substantial holding of the cryptocurrency. It is hard to see how bitcoin could reform in this direction. If web3 is to bear fruit in favor of any kind of decentralization, the crypto ecosystem will first have to refocus.

Regulation and Central Bank Digital Currencies Will Redefine the Landscape

Emerging and updated regulations – like MiCA and TFR in the European Union – focus mainly on the issue of anonymity and trafficking. This type of rules may indeed disrupt the model of crypto platforms and can be expected to spread worldwide. At the same time, other important pieces of regulation target Big Tech, like the twin Digital Services and Digital Markets acts, which the EU is in the process of ratifying. Competition policy is waking up to the challenges of the digital age. However, governments will have to find a balance between tackling Big Tech monopolies and regulating decentralized players, which present major risks but also opportunities to restore a healthier level of competition.

Public digital projects, especially on the monetary stage, are also crucial to seize the opportunity for reform. Central bank digital currencies are not crypto currencies as such but official currencies in their own right. They will be backed by their respective central bank (rather than a cryptographic creation mechanism) and enjoy full equivalence with other forms – digital or physical – of the currency. The development of CBDCs must be pursued in a more ambitious way to give more meaning and stability to money, with a more direct link between monetary authorities and economic players. This brings us back to discussions that have endured underground since the Great Depression (on the fractional reserve system). Admittedly, the emergence of crypto-currencies helped to revive the interest in these ideas, after the great recession. The crypto rout could undermine the interest in digital currencies as a whole. On the contrary, we should engage in a broad political reflection on the use of digital innovation to stabilize our monetary system.

 

 

Wagner, bitcoin et histoire d’or en République centrafricaine

Thu, 19/05/2022 - 10:08

La République centrafricaine (RCA) fut pendant des années l’un des bastions de l’influence française en Afrique. Enclavé et sans accès maritime, ce pays plus grand que la France n’a jamais pu trouver un point d’équilibre démocratique ou les conditions d’une paix interne qui favoriserait son développement, malgré des ressources naturelles importantes – notamment en or – et un positionnement au cœur du continent. Lesquelles ressources ont de longue date entretenue un coupable intérêt des régimes militaires qui se sont succédé depuis l’indépendance acquise en 1960.

La RCA est très régulièrement épinglée comme l’un des pays les moins favorables pour y faire des affaires, l’un des plus corrompus au monde, sans réelle capacité d’émergence économique, et en tout état de cause dans une situation de guerre civile depuis 2013. La France a décidé fin 2021 de réorganiser sa présence militaire et son assistance financière en RCA, après avoir porté à bout de bras la sécurisation du pays dans le cadre de l’opération Sangaris de 2013 à 2016. Le coût estimé aurait atteint 200 millions d’euros en année pleine, sans même parler du coût humain que les combattants de ladite force ont dû supporter.

L’or de RCA, valeur refuge pour la Russie

Alors même que les forces françaises géraient au mieux les conditions de leur retrait, le président Faustin-Archange Touadéra semblait avoir pris ses dispositions pour la suite de ses mandats (élu en 2016 et réélu en 2020) puisque dès 2018, puis 2020, il avait fait appel aux services de la tristement célèbre milice Wagner, qui étendrait par la suite son influence sur neuf pays africains, dont le Mali, se retrouvant de fait en conflit avec les soldats de l’opération Barkhane sur la même zone.

Pourquoi diable ces miliciens, à l’aise dans le génocide et les tortures de tous ordres pour le compte du régime russe, allaient-ils déployer leurs macabres capacités dans des pays parmi les plus pauvres du monde ? Les leaders de cette milice, au premier rang desquels on compte le “cuisinier de Poutine”, Evgueni Prigojine, qui fait l’objet de sanctions financières de la part des Occidentaux, y trouveraient-ils un intérêt, justement dans un contexte de mise en œuvre de sanctions et de gels d’avoirs ?

“Il est l’or, Monseignor.” Nous avons tous en tête cette réplique culte de ‘La folie des grandeurs’, qui fleure bon l’ORTF et le choix entre deux chaînes. Mais finalement, c’est bien cet intérêt qui meut le système Wagner. Comme bien entendu, le pouvoir en RCA n’a pas les moyens d’assurer la sécurité de son régime, son externalisation auprès de Wagner (avec succès, puisque la milice a repoussé les groupes armés rebelles) a été organisée autour d’un deal qui déléguait à Wagner dans un premier temps la perception des droits de douane (!), puis finalement laissait les barbouzes tirer un profit direct des ressources minières, au premier rang desquelles… l’or.

Dans le contexte actuel de mise en œuvre des sanctions contre le régime russe, la valeur refuge du métal jaune retrouve tout son sens, dans la mesure où le Kremlin pourra toujours se procurer des ressources non monétaires (donc non gelées) via ce métal. L’or constitue, en tant que tel, un moyen performant et anonyme de pouvoir commercer avec l’extérieur pour un pays banni du système financier international. La position de la RCA lors du vote de condamnation de la violation d’intégrité territoriale de l’Ukraine par la Russie à l’ONU montre bien qui a contracté avec Wagner. Parmi les pays qui ont décidé de se taire lors du vote on retrouve… la RCA et le Mali.

Allons un cran plus loin.

La RCA à la pointe de l’innovation financière mondiale

Le 27 avril 2022, la RCA officialisait le bitcoin comme monnaie “de référence”, aux côtés du franc CFA. Et Touadéra de considérer que “cette démarche place la RCA sur la carte des pays les plus visionnaires au monde”.

Mais avec un fait sidérant : les transactions en bitcoin seront exonérées d’impôt. La RCA renonce de ce fait à un principe régalien de maîtrise de sa monnaie (certes jusqu’à présent, le franc CFA privait la RCA d’une part de ses prérogatives, mais il était garant du maintien de réserve de valeur) et de la détermination de sa politique budgétaire. Stupéfiant également : la RCA prétend presque faire ainsi d’un pays dans lequel 15 % seulement de la population a accès à l’électricité, une nouvelle et merveilleuse Cité d’or.

Pourquoi le bitcoin ? Pas pour le bien-être de la population locale, dont le besoin premier avant de commencer à “miner” serait déjà de disposer d’un IDH qui ne le place pas à l’avant-dernière place dans le monde.

À qui profitera cette décision ? Peut-être à une organisation qui, in fine, peut ne pas se contenter de spolier les ressources aurifères d’un pays en développement ? Peut-être au donneur d’ordres de cette organisation, qui a tout de même besoin de pouvoir commercer autrement qu’avec des valises de lingots ? Après tout, la Russie est l’un des pays les plus en pointe dans le domaine des cryptos, au même titre que la Corée du Nord, l’Iran, Cuba ou le Venezuela, autant de pays qui font l’objet de sanctions américaines et doivent donc trouver une alternative au dollar.

Il peut sembler évident que le régime de Touadéra aura eu une lecture très “intellectuelle” de ce que peut être un bitcoin, ou toute autre monnaie crypto – y compris les supposés “stable coins”. Il est dommageable, et évidement en premier lieu pour la population de la RCA, que ce choix irraisonné ai été fait. Il porte en lui les germes d’un abandon du pouvoir régalien que le gouvernement était encore en capacité d’assumer (il est facile d’exercer, plus délicat d’assumer).

Quitte à se damner, Faust sera porté par l’élégance de Berlioz, pas par ce malaise qui vient avec Wagner.

 

Publié par Le nouvel économiste.

La guerre en Ukraine vue par Edgar Morin

Wed, 18/05/2022 - 18:29



L’Afghanistan sous le régime taliban : où en est-on ?

Wed, 18/05/2022 - 12:38

Les talibans, de retour au pouvoir depuis août 2021, font face à de nouveaux défis et voient leur légitimité remise en question. Quels sont les effets de ce bouleversement politique sur la population afghane ? Quelle est la situation économique du pays, alors que les talibans ont relancé leur guerre contre l’opium, le pavot étant une ressource rurale majeure ? Quid de la situation sécuritaire alors que les attentats se multiplient et que les tensions s’accroissent avec le voisin pakistanais ? Le point avec Georges Lefeuvre, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de l’arc de crise Afghanistan-Pakistan.

 

Quelle est la situation économique actuelle du pays sous l’autorité du chef Haibatullah Akhunzada ? Quels sont les effets de ce bouleversement politique sur la population afghane ?

Vingt ans après avoir gouverné l’Afghanistan de 1996 à 2001, les talibans ont repris le pouvoir le 15 août 2021 au terme d’une reconquête éclair qui a surpris le monde entier et les talibans eux-mêmes. Certes l’échec américain était déjà inscrit dans l’accord de Doha, signé le 29 février 2020 entre le représentant américain Zalmay Khalilzad et le négociateur taliban Mollah Baradar, mais personne n’imaginait que l’État afghan, construit et financé par la communauté internationale à coup de milliers de milliards de dollars depuis 2001, était fragile au point de s’effondrer comme un château de cartes en quelques heures et sans résistance, alors que les talibans n’étaient pas encore entrés dans Kaboul !

La mesure de rétorsion de Washington, le jour même de la prise de Kaboul, fut de bloquer tous les avoirs afghans détenus en dollars, à commencer par les 9,5 milliards de la Banque centrale d’Afghanistan, et toutes les aides transitant par le FMI et la Banque mondiale. L’effondrement économique fut immédiat et sans précédent puisque 9,5 milliards représentent la moitié du PIB annuel et que 80 % du budget de l’Afghanistan était jusqu’alors financé par des sources extérieures. Cet effondrement, ajouté à une sécheresse extrême, déclenche « la plus grave crise alimentaire mondiale » selon le Secrétaire général de l’ONU António Guterres qui estime, dès le 11 octobre, que 18 millions d’habitants sont au bord de la famine, soit près de la moitié de la population. Le 21 octobre, il estime à 660 millions de dollars le besoin d’absolue urgence, c’est-à-dire très peu quand on sait que les dépenses militaires américaines ont été de presque 300 millions par jour pendant 20 ans ! De surcroît, le froid hivernal s’est installé dès la mi-décembre avec des températures nocturnes de -10° à Kaboul et -17° dans le Hazarajat. Le 11 janvier, l’ONU fait un nouvel appel de fonds de 5 milliards de dollars, un quart du PIB, simplement pour permettre au pays de redémarrer au-delà de l’aide d’urgence, mais la communauté internationale ne réagit pas : « Un cauchemar », s’émeut António Guterres : « Le gel des températures et le gel des avoirs sont une combinaison létale ». Les sanctions imposées par Washington prennent toute la population en otage, au prétexte, précise le président américain Joe Biden, que toute transaction en dollars qui passerait par le gouvernement afghan, équivaudrait à la reconnaissance du nouvel Émirat islamique.

Et pourtant des fonds d’urgence sont disponibles, le problème étant de trouver les moyens de contourner le blocage de Washington. En octobre, l’Union européenne annonce un milliard d’euros qui seront fournis en aides directes par l’envoi de denrées alimentaires et d’abris contre le froid. Le 10 décembre, le Banque mondiale décide de puiser 280 millions de dollars dans les réserves du Fonds spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (ARTF) et de les réaffecter via l’Unicef et le Programme alimentaire mondial (PAM). Le 20 janvier, l’agence des États-Unis pour le développement international (USAID) annonce une contribution de 308 millions… Mais tout cela reste compliqué donc lent et à peine suffisant face à l’urgence extrême. Au sortir de l’hiver, le désastre humanitaire est structurellement très loin d’être réglé puisqu’il n’y a pas de récoltes de printemps pour assurer la jonction alimentaire. Selon une étude du PAM publiée par l’ONU le 9 mai, « près de la moitié de la population est encore confrontée à une faim aiguë. »

Cette triple crise, monétaire, économique et alimentaire, n’est pas de nature à assouplir le régime des talibans. En reprenant le pouvoir, ils avaient trois défis à relever : éviter une crise économique, former un gouvernement ouvert à des segments non talibans de la population, et assurer la sécurité en neutralisant les réseaux terroristes de l’État islamique Khorasan province (EIKP, version afghane de Daech). Ils ont jusqu’à présent échoué sur chacun de ces trois points. En réalité les talibans ont, 20 ans après leur chute en 2001, retrouvé un pays qui reste rural à 72 % de la population, là où ils sont à l’aise, mais dont la capitale Kaboul est devenue une mégalopole de 5 millions d’habitants qu’ils ne reconnaissent plus et ne savent pas gérer. Qu’y a-t-il de commun entre un jeune taleb de 35 ans qui, depuis ses 15 ans, n’a rien connu d’autre que les armes et les combats, et des jeunes Kaboulis, garçons et filles, qui n’ont jamais connu les talibans au pouvoir, mais utilisent des ordinateurs, naviguent sur les réseaux sociaux et déambulent librement dans les rues ? Kaboul a été pendant 20 ans le bénéficiaire prioritaire de la manne financière internationale jusqu’à créer un déséquilibre supplémentaire avec le reste du pays. La deuxième plus grande ville, Kandahar, compte à peine plus de 600.000 habitants ! Tout cela est perceptible au sein même du pouvoir et de l’élite talibane : qu’y a-t-il de commun entre un Sirajuddin Haqqani, chef du réseau terroriste éponyme, devenu ministre de l’Intérieur, et le vice-premier ministre Abdul Ghani Baradar, qui a négocié avec habileté les accords de Doha et s’est familiarisé avec la bienséance des conférences internationales ? Et qu’y a-t-il encore de commun entre cette élite et la base combattante qui n’attend de la victoire que les butins de la guerre, et peine à passer du djihad à la gestion civile du pays ?

Le gouvernement présenté en septembre dernier est le résultat de tous ces malentendus. Abdul Ghani Baradar avait depuis longtemps promis un gouvernement d’ouverture et de paix, nous avons un gouvernement replié sur la seule nomenclature talibane, plutôt homogène dans la reconquête du pays, déjà fissurée à l’épreuve du pouvoir.

Dans ces conditions, aucun pays n’a reconnu le nouvel Émirat islamique d’Afghanistan, pas même ceux qui, craignant davantage Daech que les talibans, lui étaient par pragmatisme favorables, comme la Russie, la Chine, la Turquie, les républiques d’Asie centrale, les États du Golfe, et même l’Iran ! D’autant que Daech a en effet repris vigueur en avril et multiplié les attentats meurtriers (près de 300 tués en un mois) à Kaboul, mais aussi dans les villes du nord en bordure de l’Asie centrale.  Quant au Pakistan dont les médias continuent par habitude de dire qu’il est maître du jeu, il fait en réalité face à de sévères affrontements de frontière.

En réponse à toutes ces incertitudes, sociologiques, économiques, alimentaires, terroristes et politiques, les talibans sont plutôt en mode crispation qu’en mode ouverture, d’où les dernières interdictions d’accès des jeunes filles à l’école, et l’obligation pour toutes les femmes de revêtir à nouveau la burqa et d’être accompagnées par un homme de la famille lorsqu’elles sortent de chez elles.

Les talibans ont relancé la guerre contre l’opium. Quelle est l’importance de la culture du pavot par rapport aux productions de blé et de safran en Afghanistan ? Quelles peuvent être les conséquences de cette interdiction pour l’économie et la paysannerie afghane ?

Akhunzada, chef suprême des talibans, a en effet interdit la culture du pavot, le 3 avril dernier. Une surprise ? Pas vraiment, et pourtant presque tout le monde croit que les talibans ont été les grands promoteurs du pavot quand ils étaient au pouvoir de 1996 à 2001, et qu’ils n’auraient aucune raison de ne pas recommencer, ce qui n’est pas exact. Déjà en 1998, Mollah Omar avait déclaré l’opium non islamique et  la production de pavot avait alors chuté de 4.600 tonnes en 1999 à seulement 185 tonnes en 2001, selon le rapport de la mission de l’ONU pour le contrôle des drogues en Afghanistan (UNDCP)  ; les cartes du rapport montrent d’ailleurs que ces cultures résiduelles étaient situées dans le Badakhshan, non contrôlé par les talibans mais par l’Alliance du nord du commandant Massoud ; ça dérange un peu les idées reçues, mais c’est ainsi. Tout cela pour dire que la culture du pavot n’est pas l’apanage des seuls talibans, mais de tous ceux qui sont engagés dans la guerre et doivent la financer, qu’ils soient de célèbres « seigneurs de guerre » comme Massoud dans le nord-est, ou Rashid Dostum dans le nord ou Ismaël Khan à l’ouest, ou les talibans au sud.

Alors bien sûr, dès le retour en guerre des talibans pour reprendre le pouvoir perdu en 2001, la production a de nouveau explosé, de 185 à 3 400 tonnes en un an, et a même crevé les plafonds en 2007 avec 8 200 tonnes. 80 % des terres de la province du Helmand, bastion des talibans, sont alors semées en pavot, au détriment du blé qui requiert beaucoup plus d’eau que le pavot et rapporte 10 fois moins.  Ainsi, les revenus des opiacés représentent bon an mal an de 12 et 15 % du PIB. Selon un communiqué de la Croix-Rouge du 22 mars dernier, « la moitié des terres normalement ensemencées en blé étaient en jachère à la fin de la période de semis en décembre, à cause de la sécheresse persistante ». C’est l’équation fatale de la faim, de la drogue et de la guerre, qui mine aujourd’hui le pays. Et les surfaces cultivées en Safran, l’épice la plus chère du monde qui pourrait être une culture de substitution, sont de 40 fois inférieures à celles du pavot.

Le 16 avril, des raids aériens pakistanais ont fait plus de 40 morts dans la province de Khost en Afghanistan. Depuis l’arrivée des talibans au pouvoir les tensions semblent s’accroitre aux frontières. Quel bilan peut-on dresser des relations diplomatiques entre les deux pays frontaliers depuis l’arrivée au pouvoir des talibans ?

Ce retour des tensions entre Pakistan et Afghanistan, pour des raisons très complexes, est actuellement le plus grand défi de sécurité régionale. Car il s’agit d’un vieux contentieux de frontière, autour de la ligne Durand, sujet diplomatiquement tabou, mais qui fait pourtant l’objet de violences récurrentes depuis 75 ans. Cette fameuse ligne de démarcation entre l’Empire britannique des Indes et l’Afghanistan, avait fait l’objet de 4 traités entre 1893 et 1921, et c’est au nom de l’héritage de ces traités, en droit international, que le Pakistan en avait fait sa frontière de jure, au moment de sa création en 1947, ce que les régimes afghans successifs, y compris celui des talibans en 1996-2001, ont toujours refusé, au nom d’un autre droit, celui de récupérer les territoires dits « usurpés » (selon le mot de l’ancien président afghan Daoud -1973-78) afin de réunir en un « Grand Pashtounistan » les tribus pashtounes séparées par cette ligne Durand, l’argument juridique étant par ailleurs que le texte des traités définit les « sphères d’influence » (sic) entre Britanniques et Afghans, mais jamais une frontière internationale stricto sensu… Or, c’est exactement ce qu’a récemment ressorti Zahibullah Mujahid, porte-parole du gouvernement taliban, cité par le quotidien DAWN du 3 janvier : « La frontière est illégale et la question de la ligne Durand est non résolue ».

Or cette question est l’obsession des militaires car le rêve national pashtoune d’une réunification menace l’intégrité territoriale du Pakistan. Le général Naseerullah Babar qui fut ministre de l’Intérieur de Benazir Bhutto de 1993 à 1997, et le principal instigateur du mouvement taliban, ne faisait pas mystère lors de nos entretiens, qu’en retour il attendait des talibans qu’ils sécurisent d’abord la turbulente zone tribale transfrontalière, et à terme, une fois fermement installés au pouvoir, qu’ils reconnaissent la Ligne Durand comme frontière internationale. Non seulement le vœu ne fut jamais exaucé, mais les talibans d’aujourd’hui le retournent contre le Pakistan.  Que s’est-il passé entre temps ?

Entre temps, il y a eu la naissance du Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP), en 2005, un avatar des talibans afghans, fondé au Waziristan dans la tribu Mehsud, et composé d’une vingtaine de groupes autochtones, mais aussi d’Ouzbeks, de Tchétchènes, de Ouïghours, c’est-à-dire toutes les cellules locales d’Al-Qaïda à l’origine des attentats massifs qui ont frappé le Pakistan entre 2007 et 2014. Or, chassé par l’opération militaire pakistanaise Zarb-e-Azb après 2014, le TTP était passé du côté afghan, d’où il a participé à la reconquête talibane afghane, et revient maintenant en force dans son fief au Pakistan. Cela signifie trois choses : d’abord une aubaine pour Kaboul qui s’était engagé à Doha à rompre avec Al-Qaïda, et trouve ainsi le moyen  de l’éloigner, mais de très mauvaise augure pour Islamabad qui retrouve la fournaise terroriste à sa frontière, et enfin une terrible ambiguïté dans la relation bilatérale entre l’Afghanistan et le Pakistan, tout simplement parce que le Waziristan pakistanais est depuis 30 ans une place forte du réseau afghan Haqqani et un continuum territorial, mais transfrontalier de la province afghane de Khost, fief d’origine des Haqqani. Cela veut dire que le TTP et les réseaux Al-Qaïda sont des purs produits de Jallaluddin Haqani, mort en 2018, mais père de Sirajuddin Haqqani, actuel ministre de l’Intérieur afghan. Et c’est bien par Sirajuddin, à la fois ministre de l’émirat afghan et maître du dispositif transfrontalier « Af-Pak » de la terreur, que la puissante armée pakistanaise essaie désormais de négocier la paix sur la frontière ! En vain puisque le TTP, revigoré sous l’autorité de Noor Wali Mehsud, a déjà obtenu les ralliements de groupes autochtones affiliés à al-Qaïda, tels les Jamaat-ul-Ahrar, Hizb-ul-Ahrar, Lashkar-i-Jhangvi et Lashkar-e-islam, proclame que la victoire des talibans afghans sera répliquée au Pakistan, et attaque régulièrement l’armée pakistanaise des deux côtés de cette ligne de fracture qu’est la ligne Durand, à l’instar d’ailleurs des talibans afghans avec qui il n’a pas rompu. Excédée, l’armée pakistanaise a mené un raid aérien létal dans la province afghane de Khost, comme un avertissement brutal à la famille Haqqani et ses affidés du TTP.

Ce n’est pas la première fois que le torchon brûle entre Islamabad et Kaboul à cause de la Ligne Durand, c’est cette fois plus grave que d’habitude compte tenu des autres éléments de détérioration de la situation afghane et régionale, dont nous avons vu ici quelques aspects, mais la communauté internationale détourne le regard, sans doute parce que l’idée reste tenace chez presque tous les commentateurs que le Pakistan est le mentor des talibans qui lui sont entièrement soumis. Si ce fut vrai, ça ne l’est plus vraiment ! Il est urgent de revoir nos grilles de lecture si nous voulons comprendre la suite.

 

 

 

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