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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 3 days ago

Xi Jinping : une réelle mainmise sur l’avenir de la Chine ?

Fri, 19/11/2021 - 17:48

Dans le sillage du 6e plénum du Congrès du Parti communiste chinoise (PCC), le président XI Jinping semble affirmer sa pleine puissance sur le pays. Mais qu’en est-il réellement ? Le président chinois est-il désormais sans opposition ? Quelles sont ses ambitions pour l’avenir du PCC et de la Chine ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Le 6e plénum du Congrès du Parti communiste chinois s’est tenu du 8 au 11 novembre dernier. En quoi consiste-t-il et quelles grandes annonces ont été faites ?

Le XIXe Congrès du PCC, qui prendra fin l’an prochain au terme de cinq ans, est jalonné de plénums au cours desquels se retrouvent les délégués du parti et leurs suppléants, pour un total d’environ 400 personnes. En règle générale, le 6e plénum a une importance particulière en ce qu’il permet de préparer le futur congrès, et notamment la nomination de nouveaux responsables. Dans le cas actuel, puisque Xi Jinping a fait adopter la levée de la limite à deux mandats présidentiels, et qu’il restera très probablement au pouvoir au-delà de dix ans, et donc après 2022, les grandes annonces portèrent sur une mise en perspective historique, avec l’adoption d’une « Résolution du Comité central du Parti communiste chinois sur les réalisations majeures et le bilan historique des cent années de lutte du Parti ». Ce type de résolution est rarissime, puisqu’il ne s’agit que de la troisième depuis la fondation du PCC, en 1921, après celle de 1945 qui consacrait la ligne de Mao Zedong et lui ouvrait les portes du pouvoir en vue de la victoire communiste de 1949, et celle de 1981 qui consacrait le leadership de Deng Xiaoping et la voie du libéralisme économique en rupture avec le maoïsme et la révolution culturelle. Ce long texte reprend les grandes lignes de l’histoire du parti communiste chinois depuis sa fondation et en révise le contenu, en s’articulant autour de trois grands axes : la consolidation de la Chine sous Mao Zedong, sa croissance économique sous Deng Xiaoping, et enfin son affirmation de puissance sous Xi Jinping, qui complète ainsi un trio présenté comme les trois principales figures du parti depuis sa création et les trois principaux dirigeants chinois. Cela revient à hisser la « pensée Xi Jinping » comme ligne directrice de la Chine contemporaine et source d’inspiration pour le développement de ce pays dans les prochaines décennies. Cette résolution historique est donc à la fois un acte de révisionnisme historique et de légitimation du pouvoir du président chinois actuel.

Ce plénum conforte-t-il l’emprise de Xi Jinping sur le PCC et sur l’avenir politique du pays ? Est-il exempt de toutes critiques au sein du PCC ?

Indiscutablement, l’objectif de cette résolution est de conforter le pouvoir de Xi Jinping et de légitimer son maintien au pouvoir. Cette volonté s’explique par l’approche du XXe Congrès du PCC, mais aussi par les oppositions qui existent au sein de l’appareil d’État. Le président chinois dispose ainsi, on le sait, de pouvoirs plus importants que ses prédécesseurs après Deng Xiaoping et plusieurs mesures prises pendant son mandat, comme la lutte contre la corruption, lui ont permis d’asseoir son autorité. Mais, il fait cependant face à des critiques sur plusieurs dossiers. Parmi ceux-ci on trouve la gestion de la crise de Covid-19, qui interroge sur la transparence de l’information, la mise en place d’un confinement aux conséquences économiques et sociales évidentes, ou encore l’isolement dans lequel se trouve actuellement la Chine. Xi Jinping n’est peut-être pas responsable de cette crise, mais son leadership fut-il le bon ? La question reste entière. Le président chinois est également critiqué pour ce qui constitue le plus grand chantier de sa présidence, les nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative, BRI). Il en fut l’instigateur en 2013, même si dans les faits la Chine était déjà très présente sur le terrain des investissements avant cette date, et il incarna cette politique d’investissements pharaoniques à échelle internationale. On reproche cependant à cette BRI son coût extrêmement élevé, des retours sur investissements qui tardent à se manifester et, dans certains cas, ne se manifesteront jamais. Tandis que la Chine investissait des milliards de dollars à l’étranger, ce sont des régions chinoises qui restaient confrontées à des difficultés sociales à grande échelle, que le ralentissement de la croissance économique a accentuées. Enfin, la position ambigüe de Xi Jinping sur Taïwan, de même que l’impact négatif des pressions sur Hong Kong sur l’image de la Chine (même si cela est présenté comme un succès dans la résolution historique…) questionnent. Entre conservateurs et réformateurs, Xi Jinping ne fait pas toujours l’unanimité, et en inscrivant son œuvre dans l’histoire de la Chine, il cherche à renforcer sa légitimité.

Face aux tensions grandissantes avec Taïwan, pourrait-on se diriger vers un conflit armé ?

Dans un discours prononcé le 9 octobre dernier, Xi Jinping est revenu sur la question taïwanaise en ces termes : « Réunifier la patrie par des moyens pacifiques est dans l’intérêt général de la nation chinoise, y compris des compatriotes de Taïwan. La réunification de notre pays peut être réalisée et le sera ». Très peu médiatisés dans le monde occidental, ces propos ont suscité une vive et légitime réaction à Taïwan, dans un contexte de fortes tensions entre Pékin et Taipei et de nombreuses incursions chinoises dans l’espace maritime et aérien taïwanais depuis quelques semaines, en plus de déclarations très agressives de militaires chinois. La détermination de Pékin est ici exprimée une fois de plus, en dépit du caractère illégitime de cette volonté de réunification, à laquelle s’oppose l’écrasante majorité des Taïwanais. Cependant, il faut aussi voir dans ce discours de Xi Jinping un appel à la retenue, voire un désaveu de l’option va-t-en-guerre que semblent privilégier plusieurs militaires et responsables de haut rang. Compte tenu des conséquences, pour le moins hasardeuses et très certainement catastrophiques, d’une invasion militaire de Taïwan, le président chinois a choisi la prudence, se contentant de rappeler les poncifs que l’on trouve dans le discours officiel chinois à propos de Taïwan depuis des décennies. En mettant en avant les « moyens pacifiques », il cherche surtout à calmer les esprits. Certes, cela ne signifie pas pour autant que l’hypothèse d’un conflit armé dans le détroit de Taïwan doit être totalement écartée, compte tenu des très fortes tensions qui subsistent et se maintiendront. Mais il faut voir dans le choix des mots utilisés par le président chinois la volonté de vouloir éviter ce scénario, sans pour autant en énoncer un nouveau. En d’autres termes, Xi Jinping montre par ce discours l’impasse dans laquelle la Chine se trouve sur la question taïwanaise, et se contente ainsi de faire des déclarations d’intentions, mais sans fixer le moindre agenda. Et c’est une bonne nouvelle pour ceux qui s’inquiètent d’un conflit dans cette région.

Vers une relance de la vie régionale en Amérique latine ?

Fri, 19/11/2021 - 17:21

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Amérique latine/Caraïbe, vous donne régulièrement rendez-vous pour ses “Chroniques de l’Amérique latine”.

Aujourd’hui, Christophe Ventura analyse les grands enjeux politiques et échéances électorales en cours et à venir en Amérique latine, à l’occasion de la parution de sa note « Retour sur le VIe sommet de la Celac : vers une relance de la vie régionale en Amérique latine ? » réalisée pour le compte de l’Agence française de développement Sommet de la Celac, élections…, ces mouvements signent-ils le retour d’une vie régionale plus dynamique entre ces pays ?

➡️ Retrouvez tous les épisodes des « Chroniques de l’Amérique latine » sur la chaîne Youtube de l’IRIS.

➡️ Pour aller plus loin, lire la note « Retour sur le VIe sommet de la Celac : vers une relance de la vie régionale en Amérique latine ?« , par Christophe Ventura. 

📄 Les contenus du programme « Amérique latine/Caraïbe » de l’IRIS.

COP26 : peut-on parler d’un échec ?

Fri, 19/11/2021 - 10:31

Du 1er au 13 novembre dernier s’est tenue la COP26 à Glasgow. Très attendues, les négociations ont abouti à la signature du Pacte de Glasgow, s’inscrivant dans la continuité de l’Accord de Paris. Entre une ambiance tendue lors les négociations, des restrictions sanitaires impactant leur déroulé et des annonces en demi-teinte, les résultats de la COP26 ne sont pas à la hauteur de l’urgence climatique. Le point avec Julia Tasse et Sofia Kabbej, chercheuses au sein du Programme Climat, énergie et sécurité de l’IRIS.

Dans quel contexte s’est déroulée la COP26 ?

Commençons par resituer un peu le contexte de cette COP. Elle se tenait après avoir été annulée en 2020. Il s’agissait donc de l’édition de l’an dernier, le tout dans un contexte pandémique toujours complexe : une partie des représentants officiels et des observateurs (ONG climat, peuples indigènes, etc.), en particulier ceux des pays du Sud, n’ont pas pu se rendre à cette COP.

Ensuite, il est important de rappeler que la COP26 s’est tenue après la sortie du rapport AR6 du GIEC, plus précisément du premier volet du rapport qui est sorti en août et qui posait plusieurs conclusions importantes. Le premier élément est que le lien entre les changements climatiques et les activités humaines est définitivement établi et ne peut pas être remis en cause ; le second que les événements climatiques extrêmes liés aux changements climatiques sont de plus en plus nombreux, en indiquant que de plus en plus d’études permettent d’établir un lien entre la multiplication de ces évènements et les changements climatiques. Enfin, et c’est certainement le point le plus important pour les négociateurs à la veille de la COP, le rapport du GIEC établit que la hausse de la température terrestre risque d’être supérieure à 1,5°C par rapport à la période préindustrielle d’ici 2030, soit bien avant l’objectif fixé par l’Accord de Paris qui prévoit de limiter l’augmentation de la température moyenne à 2°C, voire 1,5°C d’ici 2100.

En amont de la COP26, comme le prévoit le texte de l’Accord de Paris, de nombreux pays ont soumis de nouvelles feuilles de route. Celles-ci ont pour but d’indiquer les stratégies des pays, notamment en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La publication de ces feuilles de route en amont de la COP permettait donc de prendre le pouls et de déterminer si l’orientation à l’échelle globale était positive ou non. Or, les feuilles de route, dont plusieurs ont été publiées au dernier moment, présentaient des chiffres peu encourageants, puisque, sur la base des objectifs présentés, on s’orientait vers +16% d’émissions d’ici à 2030 comparé à 2010 – soit vers un monde à + 2,7°C en 2100, très loin donc de l’objectif des + 1,5°C.

Les discussions de la COP26 étaient donc principalement orientées autour des objectifs de réduction des émissions, afin de permettre le respect des objectifs fixés dans l’Accord de Paris.  Un autre point concernait les financements : il s’agissait là d’augmenter les engagements financiers des pays développés vers les pays en développement pour atteindre les 100 milliards de dollars par an qui devaient être atteints en 2020, et qui pour l’heure ne le sont pas. Toujours sur les financements, les pays devaient négocier la mise en place d’un mécanisme spécifique pour « compenser » la perte et les préjudices que les pays en développement subissent à cause des changements climatiques. Enfin, la COP devait permettre d’avancer sur la mise en œuvre de l’article 6 de l’Accord de Paris, qui comprend entre autres la mise en place d’un marché carbone international.

Le déroulement de la COP a été assez contraint d’un point de vue sanitaire, entravant partiellement la bonne tenue des négociations, avec des représentants absents et des sessions de négociations fermées aux observateurs. À noter que cette COP a aussi été marquée par l’importante présence du lobby pétrolier, qui a envoyé plus de 500 représentants à la fois en tant qu’observateur, mais aussi au sein des délégations de certains pays.  Enfin, les absences de Vladimir Poutine et de Xi Jinping lors de l’ouverture de la COP ont cristallisé l’attention, mais le symbole s’est amoindri suite à la déclaration conjointe de la Chine et des États-Unis, qui en soit ne change pas la donne, mais a permis de dépolitiser, dans une certaine mesure, l’enjeu climatique.

Quelles sont les grandes décisions et les grandes déceptions à retenir à l’issue de cette COP26 ?

Les décisions qui ressortent de cette COP sont largement insuffisantes pour répondre à l’urgence climatique. Une petite anecdote marquante en ce sens : le président de la COP était au bord des larmes en donnant son discours de clôture, ce qui témoigne d’une certaine manière de la situation et de la faiblesse des décisions qui ressortent de ces deux semaines de négociations. Les séances plénières où se retrouvent les chefs d’États et de gouvernements ont été marquées par des prises de parole assez poignantes, notamment des représentants de pays insulaires, dont celle du ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, qui a donné son discours en costume, les pieds dans l’eau, pour témoigner de l’élévation du niveau des mers qui menace son territoire.

De cette COP ressort le Pacte de Glasgow. Il ne s’agit pas d’un nouvel accord, mais plutôt d’une feuille de route permettant de continuer la mise en œuvre de l’Accord de 2015. S’agissant de l’atténuation des émissions carbone et de la sortie des énergies fossiles, les feuilles de route, initialement rendues avant la COP, ont été légèrement mises à jour. La situation pré COP tablait sur une augmentation de 16% des émissions d’ici 2030. À l’issue des négociations, cette estimation diminue à +10% d’émissions d’ici à 2030, ce qui reste une augmentation. Sur ce point, le GIEC estime qu’il faudrait atteindre -45% d’émission pour rester sous les 1,5°C. L’écart entre les décisions et les recommandations est donc toujours très important. De tels engagements nous dirigent vers un réchauffement de +2,4 degrés d’ici à 2100, bien loin des ambitions de l’Accord de Paris, avec toutes les conséquences que l’on connaît, notamment en termes de catastrophes naturelles qui impactent les territoires, y compris européens.

Pour pallier ce manque d’ambition, il a été décidé la mise en place d’un mécanisme spécifique. L’Accord de Paris établissait normalement une révision à la hausse tous les cinq ans des feuilles de route. Désormais, on demande aux États de revenir l’année prochaine, en 2022 à l’occasion de la COP27, avec de nouveaux engagements en termes de réduction. Cela rapproche l’échéance avec pour but de resserrer l’écart qu’il y a entre les engagements actuels et les objectifs de l’Accord de Paris.

S’agissant de l’accélération de la sortie des énergies fossiles, dans le texte de l’Accord de Paris, les énergies fossiles, que ce soit le gaz, le pétrole ou le charbon, ne sont absolument pas mentionnées. Dans le Pacte de Glasgow, la mention d’accélération de la sortie des énergies fossiles et la réduction du charbon est bien présente. C’est une avancée en soi, malgré le passage d’une « sortie » à une « réduction » de l’utilisation des énergies fossiles. C’est l’Inde qui a fait la demande de cette modification, mais il faut rappeler qu’elle n’a émis que 3% des émissions cumulées, et qu’elle s’appuie sur le charbon et l’énergie solaire pour son développement.

Sur la question de l’adaptation et des pertes et préjudices, il s’agit là de la grande déception de la COP, alors même qu’il s’agissait d’un enjeu crucial. Pendant longtemps, on a beaucoup parlé de l’importance de réduire les émissions. Depuis quelques années on commence à parler d’adaptation, des questions de pertes et préjudices : soit celles liées aux impacts que subissent déjà les pays en développement, sans disposer de moyens de réponse adaptés. Ils ont donc besoin de financements pour s’adapter et pour pouvoir répondre aux pertes importantes qu’ils subissent. A donc été négociée la mise en place d’un mécanisme de dédommagement pour répondre aux pertes et préjudices, mais sans aboutir à aucun engagement. Ce qui a simplement été décidé est la mise en place d’un dialogue pour discuter de ces enjeux, ce qui donne quelques années de plus aux États qui ne souhaitent pas s’engager. C’est ce point de crispation entre pays développés et pays en développement qui a provoqué 24 heures de retard dans les négociations. Les États-Unis et l’Union européenne sont les principaux responsables de ces blocages pour la mise en place un mécanisme de compensation. Cela risque de ne pas être sans conséquence sur les négociations à venir.

S’agissant des engagements financiers, nous restons très loin des 100 milliards de dollars annuels en 2020. Alors que les pays développés s’y étaient engagés dès 2009, ces derniers devraient être atteints en 2022-2023. D’un point de vue financier, cette COP n’est donc pas non plus une réussite.

Enfin, l’article 6 de l’Accord de Paris constitue un point de blocage depuis de nombreuses années. Il s’agit du mécanisme qui doit permettre la mise en place du marché carbone international et des mécanismes de compensation. Cet outil est considéré par beaucoup comme indispensable pour atteindre les objectifs fixés. Sur ce point, il y a eu quelques avancées, notamment en termes de double comptabilité. Par ailleurs, devrait désormais être mis en place un mécanisme indépendant pour régler les griefs entre pays, notamment sur les problématiques d’accaparement des terres et de violation des droits de l’Homme qui sont liés à certains projets de reforestation.

Qu’en est-il des autres annonces spécifiques sur l’arrêt des financements des énergies fossiles, la déforestation, les émissions de méthane… ?

En parallèle des négociations formelles, dont on sait que l’issue est souvent décevante, ont été pris plusieurs engagements à l’initiative de coalitions de pays. Ces engagements volontaires permettent notamment de détourner le vote à l’unanimité qui est nécessaire pour faire adopter tout texte officiel.

Ainsi, on peut noter trois initiatives majeures. La première est l’adoption d’un accord, réunissant 34 signataires, qui vise à stopper le financement à l’étranger des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) d’ici 2022. Bien que considéré comme une avancée majeure, il convient de noter que les principaux pays exportateurs ne sont pas signataires de l’accord d’une part, mais aussi que le financement resterait possible si les projets sont annexés à de la capture et stockage de carbone ou s’ils sont « alignés avec les objectifs de l’Accord de Paris ».

Un autre accord qui vise spécifiquement la diminution des émissions de méthane de 30% d’ici 2030 a également été adopté. Cette initiative menée par les États-Unis et l’Union européenne n’aura pas réussi à rallier les plus gros émetteurs (Chine, Inde, Russie, Australie et Iran).

Enfin, près de 180 pays se sont engagés à stopper la déforestation d’ici 2030, notamment à travers la mobilisation de 16,5 milliards d’euros pour la protection et la restauration des forêts.

Crise migratoire en Biélorussie : quelles réactions européennes ?

Thu, 18/11/2021 - 12:43

Édouard Simon vous donne régulièrement rendez-vous pour sa chronique « Vu d’Europe » traitant de l’actualité de l’Union européenne et de ceux qui la font. Cette semaine il revient sur la crise migratoire entre la Biélorussie et la Pologne et ses conséquences au niveau européen.

➡️ Retrouvez tous les épisodes de la chronique « Vu d’Europe » sur la chaîne Youtube de l’IRIS. 

➡️ Pour aller plus loin : 📽️ « Discours sur l’état de l’Union : vers un renforcement du rôle de l’UE en matière de défense ?« , par Édouard Simon.

📄 Les notes du programme « Europe, stratégie, sécurité » de l’IRIS.

Élections en Argentine : un nouveau cycle libéral-conservateur en Amérique latine ?

Tue, 16/11/2021 - 18:06

La législative de mi-mandat, qui s’est déroulée le dimanche 14 novembre en Argentine, a incontestablement été gagnée par la coalition de droite « Ensemble pour le changement » (Juntos por el Cambio). Pour autant, ce résultat annonce-t-il ou confirme-t-il l’émergence d’un cycle libéral et conservateur en Amérique latine ?

Le succès de l’union des droites est indiscutable. « Ensemble pour le changement » a gagné avec une avance nette, 41,9% des suffrages exprimés, contre 33,5% pour le « Front de tous » (Frente de todos), nom du conglomérat soutenant l’exécutif péroniste, Alberto Fernández et Cristina Kirchner. Les forces de la majorité gouvernementale ont perdu dans les cinq provinces les plus peuplées du pays, Buenos Aires, Cordoba, Mendoza, Santa Fé et San Luis. Les terres historiques du péronisme et du kirchnérisme, La Pampa et Santa Cruz, sont tombées dans l’escarcelle de l’opposition. Les droites unies ont obtenu 47% des voix dans la capitale et un candidat d’extrême droite a obtenu un surprenant 17%.

Ces législatives d’étape ne sont pas des élections générales. Seuls la moitié du Congrès des députés et le tiers du Sénat étaient soumis à renouvellement. Cela n’a pas empêché les forces de droite de faire basculer la Chambre haute. C’est l’émergence d’une extrême droite, ayant fait son entrée au Congrès avec quatre députés, qui a permis au Frente de todos de préserver sa place de première minorité[1]. Cette droite victorieuse est néanmoins loin d’être unie : la victoire a même généré des envies de présidentielles chez plusieurs de ses têtes médiatiques, Patricia Bullrich, cheffe du parti PRO, ou Horacio Rodriguez Larreta, maire de la capitale. Mais être concurrents dans un courant porteur adoucit les aspérités. L’année 2023, durant laquelle se tiendra la prochaine présidentielle, s’annonce dans un tel contexte sous un jour favorable aux forces libérales et conservatrices.

Peut-on affirmer pour autant que les élections argentines du 14 novembre 2021 confirment un nouveau cycle, droitier, en Amérique latine ?

Oui si l’on ajoute à ce résultat celui, toujours en Argentine des « Primaires Ouvertes Simultanées et Obligatoires », PASO dans le jargon électoral argentin, du 12 septembre 2021. Oui si l’on y ajoute la victoire du candidat de droite, Guillermo Lasso, en Équateur le 11 avril 2021 (Alliance CREO-PSC). Oui encore si l’on tient compte des dernières élections au Pérou le 11 avril 2021. La présidence a certes été gagnée par un homme de gauche, Pedro Castillo (Pérou Libre), mais les électeurs ont envoyé au Parlement des députés de droite. Oui si l’on y inclut le résultat des présidentielles des années 2018/2020. Au Paraguay, le 23 avril 2018, elles ont été gagnées par Abdo Benítez (Parti libéral). Au Guatemala, Alejandro Giammattei a été élu le 11 août 2019 (liste « Allons vers un Guatemala différent – VAMOS »), et au Salvador par Nayib Bukele (Grande Alliance pour l’unité nationale – GANA). Enfin, en Uruguay, le 27 octobre 2019, Luis Alberto Lacalle Pou (parti national) avait accédé à la magistrature suprême.

Non si l’on regarde vers la Bolivie, où Luis Arce (Mouvement Socialiste) est devenu le 18 octobre 2020 chef de l’État. Le Mexique a élu un nationaliste et progressiste, Andrés Manuel López Obrador, le 1er juillet 2018. Non encore si l’on en croit les sondages qui annoncent au Brésil (le 2 octobre 2022), au Chili (le 21 novembre 2021), en Colombie, (le 29 mai 2022), au Honduras (le 28 novembre 2021) la victoire de candidats aux idées avancées : Luiz Inácio Lula da Silva (PT) au Brésil, Gabriel Boric (J’approuve la Dignité) au Chili, Gustavo Petro (Colombie Humaine) en Colombie, et Xiomara Castro (parti Liberté et Refondation Libre) au Honduras. Non encore si l’on met dans la besace progressiste Cuba qui a confirmé un président communiste Miguel Díaz-Canel en 2018, le Nicaragua qui a reconduit le président sortant Daniel Ortega le 7 novembre 2021, et le Venezuela qui a sanctionné la victoire de Nicolas Maduro le 20 mai 2018 (Parti Socialiste Unifié du Venezuela-PSUV).

Peut-on, au vu de ces résultats qui chevauchent « en même temps » listes de gauche et de droite tout aussi victorieuses, identifier des cycles électoraux, tantôt de droite, tantôt de gauche ? L’incertitude est d’autant plus grande que certaines victoires ont été acquises sans gloire, faute d’opposition en bonne et due forme, à Cuba, au Nicaragua et au Venezuela. Mais également que les sondages ne permettent pas de lire avec certitude le marc de certaines élections, au Chili comme au Honduras.

Un curseur paraît plus pertinent et offre une lisibilité meilleure pour tenter, faute de cycle, de trouver une clef de lecture plus satisfaisante. On pouvait la trouver dans La Razón, quotidien argentin, daté du 15 novembre. Ce journal a fait le commentaire suivant, pour expliquer à ses lecteurs les causes de « l’amère défaite du péronisme » aux législatives partielles du 14 novembre : « la pauvreté et l’inflation galopante ont miné la coalition officialiste ». Et en effet, la plupart des alternances à la loyale constatées ces dernières années en Amérique latine ont bel et bien une origine économique et sociale. Les électeurs se sont définis, ici en Argentine, et là au Mexique, en fonction de leur quotidien, bien davantage que par idéologie. L’inflation en Argentine dépasse les 41%, le chômage absolu 10% et la pauvreté touche plus de 40% de la population. Ces chiffres avaient déjà fait tomber Mauricio Macri (droite) aux précédentes présidentielles argentines, en 2019.

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[1] 118 députés Front de tous / 116 Ensemble pour le changement

Sommet Biden/ Xi : surplace et guerre des mots

Tue, 16/11/2021 - 17:25

Joe Biden et Xi Jinping ont organisé un sommet en visioconférence ce lundi soir, le premier depuis de longues semaines. Ils ne se sont parlé officiellement que deux fois, au téléphone, depuis l’élection de Joe Biden. Quelle importance revêt ce sommet ? Quels étaient les intérêts des deux pays ? 

Les deux hommes se connaissent depuis très longtemps. Joe Biden a toutefois reproché à son homologue chinois de ne pas être sorti de Chine depuis deux ans. Officiellement pour des raisons liées à la pandémie. Officieusement sans doute pour des raisons de sécurité liées notamment aux échéances du parti communiste. Les deux États, on le sait, ont des contentieux très importants. Que ce soit dans le domaine de l’économie mais aussi et surtout sécuritaire. Avec au centre même de leurs préoccupations des questions liées à Taiwan, le respect de son intégrité aérienne et maritime. Il est capital que les deux représentants des États  les plus puissants du monde se parlent davantage, pour éviter qu’il y ait des dérapages. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a salué  les initiatives de la Chine en matière de lutte contre la pollution même s’il a aussi rappelé  qu’aucun officiel chinois de haut rang n’était présent à Glasgow. Il n’y pas grand chose à attendre de ce sommet même si le simple fait d’échanger revient à reconnaître des positions affirmées  de part et d’autre. Et cela est toujours une avancée.

Plusieurs sujets complexes pèsent sur les relations sino-américaines depuis des mois :  Taiwan, la guerre économique, etc.Que sait-on de ce qui a vraiment été mis sur la table lors de ces discussions ? De ce que l’on sait, des avancées ont-elles été faites  ?

On assiste tout d’abord à une guerre de mots. Les Américains parlent de « compétition vive ». Alors que les Chinois s’y refusent. Sur le climat, les uns et les autres pourraient se retrouver même si dans les faits la Chine ne sera pas au rendez-vous des attentes escomptées en matière de décarbonation de l’économie. Là où les différends sont les plus nombreux tournent autour de Taïwan. Washington est plutôt favorable au statu quo tandis que les Chinois sont plus pressants sur la question. Bref, les rapports sont évidemment dissonants. Mais le ton entre Américains et Chinois aura déjà changé comparé à la rencontre désastreuse qui s’était tenue, il y a quelques mois, à Anchorage. Il est un peu plus courtois et les Américains ont saisi que la question des droits de l’Homme était avant tout une pierre d’achoppement. On parle d’achat éventuel de Boeing, aux dépens des Airbus européens par exemple. Business as usual, en somme, pour tenter de se rabibocher mais c’est en réalité, je le crains, un pis aller.

L’absence des européens à de telles discussions est-elle préjudiciable ? Faut-il y voir le signe d’une moindre considération ? Quelle place cela laisse-t-il à l’Europe pour ses propres discussions ?

Ni les Américains ni les Chinois ne souhaitent la participation des Européens dans leurs échanges. Non plus que les Européens d’ailleurs. A chacun son histoire. Celle des relations sino-américaines est devenue potentiellement conflictuelle. La relation sino-européenne l’est moins. Les Européens doivent se cantonner à un second rôle, pour le moment. C’est une position que nous devons assumer moins en tant qu’acteurs qu’observateurs. Comprenons le comme une opportunité. Lorsque vous êtes premiers en tout, vous avez des obligations qu’Américains et Chinois sont d’ailleurs incapables de tenir. Il y a donc pour Bruxelles un temps de maturation avant de définir ce que sera son orientation tant vis vis des Etats-Unis que de la Chine en nous ménageant un espace de dialogue et d’action qui ne nous aliène d’aucune façon et nous préserve de la guerre. Cela a un nom: la diplomatie.

Demain la Chine : guerre ou paix ? 4 questions à Jean-Pierre Cabestan

Fri, 29/10/2021 - 18:59

Jean-Pierre Cabestan est directeur de recherche au CNRS rattaché à l’Institut de recherche sur l’Asie de l’Est de l’Inalco. Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Demain la Chine : guerre ou paix ? », aux éditions Gallimard.

Vous sentez monter une poussée nationaliste dangereuse chez les jeunes Chinois…

Oui, il n’y a aucun doute. La montée en puissance de la Chine, le matraquage idéologique de la propagande du Parti qui pratique l’amnésie historique à grande échelle, vante les succès du pays tout en présentant le reste du monde comme chaotique et pousse l’opinion à prendre sa revanche sur l’Occident et le Japon, la volonté de Xi Jinping d’accélérer coûte que coûte l’unification avec Taiwan, sans quoi la « renaissance de la nation chinoise » ne pourrait advenir, à quoi s’ajoute depuis 2020 la pandémie de la Covid qui contribue à isoler la société chinoise du reste du monde et à conforter le camp des durs, tous ces facteurs ont rendu le nationalisme chinois incandescent et aveugle. Il est en d’autres termes devenu un facteur de guerre.

Selon vous, le discours sur le caractère fondamentalement pacifiste de la Chine est un écran de fumée comparable aux discours sur la paix de l’URSS…

Oui, le discours sur la paix est une caractéristique des pays socialistes de type soviétique. Et plus ces États deviennent agressifs, plus ils brandissent ce discours. Rappelez-vous de Brejnev. En effet, comment réconcilier les propos pacifistes du pouvoir chinois avec les menaces de plus en plus ouvertes contre Taïwan, la prise de contrôle et la militarisation progressives de la mer de Chine méridionale par l’Armée populaire de libération (APL) et les incursions répétées des garde-côtes chinois dans les eaux environnantes des Senkaku, ces îlots japonais depuis 1895 que Pékin appelle les Diaoyu et revendique depuis les années 1970 ? Plus grave encore, comment réconcilier ce discours avec la course aux armements dans laquelle la République populaire est engagée avec les États-Unis, tant sur les plans naval, aérien et spatial qu’en matière de missiles hypersoniques ?

A propos de Taïwan, vous pensez que la Chine n’a pas le projet de détruire l’économie et de décimer la population d’une province qu’elle veut annexer…

La Chine veut annexer Taïwan d’une manière ou d’une autre. Le scénario idéal pour elle serait que Taïwan capitule sans combattre, accepte de devenir une région administrative spéciale de la République populaire, comme Hong Kong, après avoir réalisé que ses forces armées ne pourraient pas résister à une offensive de l’APL (Armée populaire de libération) et que les États-Unis les lâcheront afin d’éviter toute nucléarisation du conflit. Dans ce but, Pékin agit sur deux fronts : d’une part, les intimidations militaires, de plus en plus fréquentes et intrusives ; d’autre part, ce que l’on appelle le travail de « front uni » destiné à peu à peu gagner à sa cause les élites économiques, politiques et intellectuelles de l’île.

Le problème est que cette double stratégie n’a pour l’instant pas démontré son efficacité, d’où les risques croissants de guerre. Les Taiwanais se sentent de moins en moins chinois. Le Kuomintang, le parti d’opposition plus favorable à un accommodement avec Pékin, perd du terrain. Mme Tsai, la présidente de Taiwan, accélère la mise en place d’une capacité de défense destinée à rendre prohibitif le coût de toute attaque chinoise. Et Washington, sous Trump comme sous Biden, a renforcé son engagement en faveur de la défense de Taïwan. Certes, cet engagement reste ambigu : aucun traité de sécurité ne lie les États-Unis à Taïwan. Mais toute administration américaine sait pertinemment que si elle abandonnait Taiwan, non seulement ce serait la fin de la Pax America dans le Pacifique occidental, mais cela constituerait aussi un revers énorme pour le camp des démocraties face au camp des dictatures et autres régimes autoritaires. Comment les États-Unis pourraient-ils l’accepter ? En d’autres termes, dans un avenir prévisible, les risques d’une intervention américaine en cas d’attaque chinoise de Taïwan restent très élevés. Une réalité dont Xi est parfaitement conscient et à mon sens continue de l’inciter à agir dans ce que l’on appelle les « zones grises » entre la guerre et la paix, mais le dissuade de passer le Rubicon de l’offensive armée.

A plus long terme, on doit s’inquiéter des moyens offensifs conventionnels comme nucléaires accumulés par l’APL : afin d’éviter un bain de sang et une destruction de l’économie taiwanaise, on ne peut exclure que Washington soit contraint de tordre le bras des Taïwanais et leur demande d’accepter un compromis : leur appartenance à une Chine non définie en échange de la préservation de leur démocratie et assortie d’une neutralisation militaire de l’île ? Il est trop tôt pour le dire. Mais le rapport des forces régionales risque à terme d’imposer des choix douloureux à Taipei et à Washington, sauf évidemment évolution, peu probable à ce jour, du régime chinois et affaiblissement, improbable également, de son économie.

Quel est le choix pour Pékin entre montrer ses muscles et cultiver, aux yeux notamment des pays asiatiques, l’image d’une grande puissance responsable ?

Plus que ses prédécesseurs, par son agressivité, Xi Jinping a placé son pays face à un dilemme : d’un côté, il veut effrayer les Taïwanais, faire peur aux États qui contrôlent aussi des îlots en mer de Chine méridionale et au Japon, mettre en garde les États-Unis et, de l’autre, amadouer ses voisins et l’ensemble des pays du Sud grâce à sa puissance économique, ses nouvelles routes de la soie, et accessoirement sa puissance douce, son soft power.

La Chine de Xi est parvenue à répandre l’idée qu’elle est désormais une très grande puissance, la seule à pouvoir défier et à terme ravir la place occupée encore aujourd’hui par les États-Unis. Mais une « grande puissance responsable », cette image est contestée à la fois par ses voisins et non des moindres – outre Taïwan, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud, le Vietnam, les Philippines, l’Indonésie, Singapour et même la Malaisie à présent – et par une grande majorité des pays du Nord qu’ils soient alliés des États-Unis (membres de l’OTAN, Australie) ou pas. La Chine est clairement devenue un facteur de tensions et donc d’instabilité internationales.

Aujourd’hui Pékin a nettement choisi de montrer ses muscles et de reléguer au second plan le renforcement de sa puissance douce. D’une certaine manière, Xi Jinping a fait sien le précepte de Machiavel selon lequel il est préférable d’être craint qu’aimé. Il l’applique avec assiduité, tant sur la scène mondiale que sur la scène intérieure, avec le succès et les limites que l’on sait. Cette stratégie pourrait-elle changer à l’avenir ? Sans doute pas, sauf si Xi Jinping perd le pouvoir, ce qui n’est pas impossible.

 

 

COP26 : le sommet de la dernière chance ?

Fri, 29/10/2021 - 16:52

Six ans après les Accords de Paris, la COP26 se tiendra à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre. Les enjeux sont de taille : entre retour des États-Unis dans les discussions et défection de la présence sur place du président chinois, que peut-on attendre de ces négociations alors que les rapports alarmistes se multiplient ? Le point avec Sofia Kabbej, chercheuse au sein du Programme Climat, énergie et sécurité de l’IRIS.

La COP26 se tiendra à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre. Quels en sont les enjeux ?

Ils sont déterminants pour pouvoir atteindre les objectifs fixés en 2015, lors de l’adoption de l’Accord de Paris. Il est demandé aux parties prenantes de réellement passer de la déclaration aux actes. Il s’agit en effet d’une demande pressante de la part des sociétés civiles, mais également des pays du Sud, pour qui les impacts des changements climatiques deviennent de plus en plus fréquents et intenses.

Le premier enjeu de cette COP26 concerne la mise à jour des feuilles de route des États. C’est ce qu’on appelle les Contributions déterminées au niveau national. Elles doivent être révisées à la hausse tous les 5 ans, tel que le prévoit le texte de l’Accord de Paris. La première échéance était en 2015, au moment de la COP21. La seconde devait avoir lieu l’année dernière, au moment de la COP26, finalement décalée à cette année en raison de la pandémie. La première demande faite aux États est donc de rehausser leurs ambitions en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le deuxième enjeu est celui du financement. Dans le cadre de l’Accord de Paris, les États développés se sont engagés à fournir aux pays en développement 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020, de manière à leur permettre de financer les mesures d’atténuation et d’adaptation nécessaires. Des demandes spécifiques sont également émises afin que soient augmentés ces financements sur l’adaptation et sur les pertes et préjudices déjà nombreuses sur les territoires des pays en développement, de manière à pouvoir se reconstruire après un cyclone ou une tempête par exemple.

Le troisième enjeu principal de cette COP26 est relatif à la négociation de l’article 6 de l’Accord de Paris qui concerne la mise en place d’un marché carbone international. Cet article fait l’objet d’oppositions par certains pays depuis la COP21, retardant sa mise en œuvre alors même qu’il constitue un des principaux outils pour que les États parviennent à atteindre leurs objectifs. C’est un système qui repose sur les échanges de quotas d’émissions, et les projets de compensation carbone notamment. Son adoption sera déterminante.

Quel état des lieux pouvons-nous dresser ? Comment cela impactera-t-il les négociations ?

Malgré les nouvelles feuilles de route soumises par les États en amont de la COP26, l’état des lieux est malheureusement extrêmement négatif.

Une centaine de pays ont, ces derniers mois, soumis des feuilles de route qui sont soit nouvelles, soit mises à jour. Une majorité d’entre elles fait état d’objectifs de neutralité carbone ou climatique pour 2050-2060, soit dans la deuxième moitié du XXIe siècle. Or, le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques a publié en début de semaine une synthèse très alarmante de toutes ces contributions. Il en ressort en effet que les engagements pris par les États sont nettement insuffisants puisqu’on se dirige vers une augmentation de +16% des émissions de GES d’ici à 2030 comparé à 2010, alors même que le GIEC estime qu’il faudrait réduire ces émissions de 45% d’ici à 2030 pour rester sous les 1,5°C d’augmentation. Sur la base des nouvelles contributions, on se dirigerait vers une augmentation de 2,7°C de la température moyenne globale. On est donc très loin de l’objectif fixé en 2015.Ce bilan est donc très inquiétant, car plus la température augmente, plus les impacts des changements climatiques sont, et seront, importants.

L’autre point négatif concerne les 100 milliards de dollars qui devaient être collectés en 2020 pour financer les mesures d’atténuation et d’adaptation. Un rapport paru ce début de semaine nous informe qu’ils ne seraient atteints qu’en 2023, soit trois ans après la date initiale, les sommes collectées s’élevant aujourd’hui à environ 80 milliards de dollars. Cette situation inquiète beaucoup les pays du Sud qui ont besoin de cet argent pour pouvoir mettre en œuvre les politiques publiques nécessaires.

À noter que ces rapports sont publiés en amont de la COP, dans le but d’influer sur les ambitions de cette conférence de Glasgow : les feuilles de route peuvent en effet toujours être révisées avant et pendant la COP.

Un autre point potentiellement négatif est l’absence physique du président chinois à la COP26, alors que son pays est l’un des principaux contributeurs d’émissions de gaz à effet de serre. Si cette absence pourrait témoigner d’un désintérêt du pays pour ces questions, il faut néanmoins la mettre en perspective avec le fait que Xi Jiping n’est pas sorti de la Chine depuis le début de la crise de Covid-19 d’une part, et que des restrictions sont imposées par la situation sanitaire tant du côté britannique que chinois. En effet, les délégués chinois se rendant au Royaume-Uni devraient être soumis à une quarantaine à leur retour, modifiant quelque peu la taille de la délégation chinoise. Il faut espérer que la Chine restera néanmoins proactive pendant cette COP. Le président a d’ailleurs annoncé ce jour qu’il serait présent en vidéo à la COP, et le pays vient de rendre public sa nouvelle contribution, avec des modifications mineures à ce qui avait été précédemment annoncé.

Le 19 février dernier, Joe Biden replaçait les États-Unis dans les Accords de Paris. Mais aujourd’hui, le président américain semble devoir revoir son programme environnemental à la baisse. Dans quelle dynamique se trouvent les États-Unis ? Quel impact sur la COP26 ?

Alors que Donald Trump avait quitté les Accords de Paris, le président Biden a décidé de les réintégrer une fois arrivé au pouvoir. Ce fut une des premières actions de son mandat, suivies par de nouveaux engagements soumis en amont de la COP26. Ceux-ci font état d’une réduction de 50% à 52% des émissions d’ici à 2030 comparés à 2010. Il s’agit d’un engagement assez conséquent pour l’un des émetteurs les plus importants au monde, mais toujours non-aligné avec l’objectif de température de l’Accord de Paris. Les États-Unis ont aussi montré une plus grande ambition sous l’administration Biden en augmentant les financements au Fond vert pour le climat. Cette augmentation se traduit par le doublement de sa contribution avec un total de 5,7 milliards de dollars. L’ambition de la nouvelle administration s’est également traduite par l’organisation en avril 2021 d’un Sommet pour le climat. Réunissant les leaders du monde entier autour de ces questions, les États-Unis ont montré qu’ils étaient de retour dans la gouvernance climatique et souhaitait se poser en leader sur la question, réunissant tous les pays autour de la table, y compris la Chine.

Au niveau national, le président Biden négocie actuellement un énorme plan d’investissements de 2 000 milliards de dollars touchant aux infrastructures, transports, et à l’énergie, dans le but de « verdir » l’économie américaine. Mais pour le moment, ce plan rencontre des blocages au sein du Congrès, du fait notamment des Républicains. Le président Biden pourrait donc être amené à revoir ses ambitions à la baisse du fait des blocages internes.

Lors de cette COP26, on peut s’attendre à ce que l’absence de la Chine renforce la position de leader des États-Unis, d’autant plus que l’administration Biden a fait des changements climatiques un enjeu de sécurité nationale. De fait, les États-Unis ont qualifié le changement climatique de menace, se traduisant dès janvier 2021 par la publication d’un premier ordre exécutif sous l’administration Biden, Tackling climate change at home and abroad. Ce dernier demande aux agences fédérales américaines de se restructurer afin de pouvoir répondre aux enjeux sécuritaires des changements climatiques, et s’est plus récemment traduit par la publication de 4 rapports, dont celui présentant les conclusions de l’ensemble des services américains de renseignement intitulé « Climate Change and International Responses Increasing Challenges to US National Security Through 2040 ».

Où va la Turquie d’Erdogan ?

Thu, 28/10/2021 - 18:14

Menace de renvoi de 10 ambassadeurs, situation économique dégradée, popularité en baisse, le président Erdogan se retrouve dans une situation inédite. À deux ans des élections présidentielles et législatives, son avenir politique est incertain. Peut-il se maintenir au pouvoir ? L’opposition est-elle assez forte pour lui infliger une défaite ? Le point avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Quelle est la situation économique de la Turquie ? Quelles explications Erdogan fournit-il ?

La situation économique est aujourd’hui très dégradée. La Turquie est touchée par une inflation qui augmente de façon nette, avoisinant actuellement les 20% en glissement annuel. C’est une situation nouvelle qui ne s’était pas produite depuis fort longtemps dans le pays. Or, une telle situation inflationniste est traumatique pour nombre de citoyens. Elle rappelle en effet à une partie de la population une époque où l’inflation, alors nettement supérieure à 20%, avait généré des troubles sociaux et de fortes turbulences politiques. De plus, si le chômage est officiellement évalué autour de 15% de la population active, il est certainement en réalité nettement plus élevé. Nous savons que la Turquie possède une économie informelle significative, ainsi, en intégrant les saisonniers et les personnes ne cherchant pas de travail, le taux de chômage avoisinerait les 28%. Enfin, le PIB par habitant est passé de 12 000$ en 2013, à un peu moins de 9000 $ en 2020. La situation économique du pays est donc préoccupante.

Outre les fortes contraintes extérieures qui pèsent sur le pays, notamment pour ce qui concerne l’approvisionnement en hydrocarbures dont la Turquie est totalement dépendante, cette situation est aggravée par les décisions politiques prises. En effet, le président Erdogan s’est improvisé économiste en chef, prenant une série de décisions singulières : renvoi des directeurs adjoints de la Banque centrale ; injonction à la direction de la Banque centrale, qui de ce fait n’est aucunement indépendante, de baisser le taux d’intérêt directeur ce qui entraina une dévaluation de facto de la livre turque. Recep Tayyip Erdogan affirme contrôler la situation et rejette la faute sur d’autres acteurs. Ainsi il s’en est récemment pris aux « supermarchés qui pratiquent des prix trop importants », mais aussi, de manière plus inquiétante, sur « les forces obscures qui veulent affaiblir la Turquie », ou sur « le lobby des taux d’intérêt » qui attaquerait la Turquie sournoisement.

La Turquie est donc confrontée à une situation objectivement difficile pour les citoyens turcs qui ont de plus en plus de mal à boucler les fins de mois. Ils voient le pouvoir politique, par ses décisions erratiques, amplifier leurs difficultés.

Comment cette situation économique rejaillit-elle sur la vie politique de la Turquie à deux ans des élections présidentielles et législatives ?

La situation politique dépend en effet largement du contexte économique. Aujourd’hui, le président turc n’arrive plus à convaincre tout son électorat que demain les choses iront mieux. On se souvient qu’il y a eu un souffle favorable à R. T. Erdogan dans les premières années où il était au pouvoir et durant lesquelles il traçait des perspectives enthousiasmantes pour le pays, mais cette situation est désormais derrière lui. En termes politiques, cela lui pose un défi d’importance alors que les échéances électorales de 2023 approchent à grands pas.

De fait, les sondages d’opinion créditent l’AKP d’environ 30% d’intentions de vote, loin des dernières présidentielles de 2018 qu’avait remportées Erdogan au premier tour avec près de 53% des suffrages exprimés. Pour faire face à cet affaiblissement, Erdogan doit désormais renforcer son alliance avec le Parti d’action nationaliste, parti d’extrême droite raciste et xénophobe crédité d’un peu moins de 10% d’intentions de vote.

Le grand défi de ces élections concerne l’opposition qui a enfin l’opportunité de battre R. T. Erdogan après plus de 20 ans de règne. Pour ce faire, elle devra constituer un front commun, constitué du parti kémaliste, le Parti républicain du peuple, et le Bon parti qui se situe au centre droit. Ces partis ont déjà noué une alliance électorale lors des municipales de 2019, et avaient ainsi remporté un nombre de villes du pays. On se souvient notamment que le Parti républicain du peuple a alors conquis Istanbul et Ankara. Aujourd’hui, l’opposition est créditée de 39% d’intentions de vote et se trouve donc aux coudes à coudes avec l’alliance menée par le président Erdogan. L’enjeu est donc pour elle d’élargir sa coalition à d’autres petits partis d’opposition, ce qui est en passe de se concrétiser. Une plateforme vient en effet d’être créée, rassemblant quatre partis supplémentaires. Elle pourrait permettre à l’opposition de remporter les élections face à un président de plus en plus affaibli.

Les partis d’opposition se retrouvent notamment sur le projet d’une réforme constitutionnelle visant le rétablissement d’un régime parlementaire. Depuis le coup d’État manqué de 2016, R. T. Erdogan a en effet instauré, par voie référendaire en 2017, un régime présidentiel lui conférant des pouvoirs élargis. Il a notamment supprimé le poste de Premier ministre et se trouve donc à la fois chef d’État, chef du gouvernement et chef du parti majoritaire au Parlement.

Une autre singularité de la vie politique turque concerne la loi du barrage électoral des 10%, système particulièrement inique instauré après le coup d’État militaire de 1980. En raison de cette loi, les partis obtenant, au niveau national, moins de 10% aux législatives n’obtiennent aucun député alors que ceux qui atteignent 10,01% des suffrages peuvent atteindre la représentation parlementaire. Cette loi avait permis à l’AKP, lors de sa première victoire en 2002, d’atteindre 65% de la représentation parlementaire avec 34% des suffrages exprimés, profitant alors d’un morcellement des voix des autres partis. Aujourd’hui, cette situation pourrait se retourner en son contraire pour le parti de R. T. Erdogan qui se retrouverait alors extrêmement affaibli lors des prochaines législatives si l’opposition parvenait à s’unir. L’avenir de cette loi qu’il est actuellement question de réformer constitue donc un des grands enjeux des prochains mois.

Dix ambassadeurs ont récemment été menacés d’expulsion de Turquie, accusés d’ingérence dans les affaires intérieures du pays par le président turc. Quelle est la signification de cette crise qui s’est finalement résorbée sans expulsion ?

Il est frappant d’observer actuellement en Turquie une atmosphère d’extrême polarisation. Pour autant, rien ne semble écrit à l’avance. R. T. Erdogan est un redoutable dirigeant politique qui utilisera tous les moyens pour rester au pouvoir.

Pour revenir à la question, dix ambassadeurs ont en effet publié un communiqué commun le 18 octobre pour demander un procès équitable et la libération d’Osman Kavala. Ce dernier est un mécène influent qui a mis une partie de sa fortune au profit de diverses causes et qui se trouve en prison depuis maintenant quatre ans. Homme de dialogue, partisan d’une réconciliation avec les Arméniens, d’une solution politique à la question kurde, cet homme est l’antithèse de ce que représente Erdogan et c’est très certainement pour ce qu’il symbolise qu’il reste en prison sans pour autant que des preuves tangibles soient fournies quant aux faits dont il est accusé.

En réaction à ce communiqué des ambassadeurs, le président turc a dénoncé une ingérence intolérable dans les affaires de justice et a déclaré ces derniers personae non gratae. Une solution de compromis a finalement heureusement été trouvée et aucune expulsion n’a été prononcée.

Au vu de la polarisation actuelle, on peut s’attendre à ce que la Turquie connaisse d’autres affaires de ce type visant pour Erdogan à essayer de stopper l’hémorragie de son électorat en agitant la fibre nationaliste pour resserrer les rangs.

Les affaires se multiplient en attendant. Au printemps dernier, un des chefs de la mafia turque, Sedat Peker, réfugié aux Émirats arabes unis, s’est lancé dans la diffusion de podcasts quasi quotidiens dans lesquels il dénonçait nominalement les collusions entre des mafieux et des hommes du pouvoir parfois proches de R. T. Erdogan. La presse d’opposition a, quant à elle, récemment dénoncé la Fondation de la jeunesse turque, dirigée par le fils du président turc, Bilal Erdogan, d’entretenir des liens étroits avec les confréries religieuses et de placer les membres de ces dernières au sein de l’appareil d’État. Bref, l’atmosphère est malsaine, sans parler des rumeurs persistantes de corruption.

Pour autant, rien n’est encore acté et les élections sont dans 18 mois. Beaucoup d’observateurs considèrent que le président turc pourrait encourir de nombreux problèmes judiciaires s’il venait à être battu. C’est pourquoi tous les coups seront permis dans les mois à venir. L’issue de ces élections dépendra donc de la capacité de l’opposition à proposer un projet alternatif mobilisateur capable de relancer la Turquie vers des perspectives d’avenir. En cas de victoire de ladite opposition, la tâche sera ardue, car il y aura beaucoup à reconstruire dans de nombreux domaines relevant y compris du régalien.

Enfin, le rôle de l’armée doit aussi être pris en considération. Suite au coup d’État raté de juillet 2016, on se souvient que celle-ci a connu une purge massive avec par exemple 45% des généraux mis en retraite anticipée. Si elle se fait aujourd’hui discrète, elle semble s’être réorganisée. L’actuel ministre de la Défense, et ancien chef d’État-major de l’armée au moment du coup d’État manqué de 2016, est un homme de pouvoir, qui a réussi à restructurer l’armée en procédant à une série de nominations. Aussi, l’armée aura un rôle déterminant à jouer en 2023, quel que soit le vainqueur des élections.

Comment rebondir après la volte-face australienne ?

Thu, 28/10/2021 - 17:41

L’abandon des commandes australiennes de sous-marins est-il une catastrophe pour Naval Group?

Cette affaire n’a rien d’anodin. Ces contrats représentaient environ 1000 emplois, dont environ 650 à Cherbourg et 350 en Australie. L’impact sur les fournisseurs est dur à estimer puisqu’on n’en était qu’aux phases d’études. Mais ce n’est pas dramatique pour un groupe qui compte près de 16000 personnes. Les effectifs concernés par le programme australien étaient surtout composés d’ingénieurs, qui pourront être réaffectés à d’autres projets. En particulier à celui du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération dont les premières études devraient être lancées bientôt. A long terme, il est bien sûr gênant de perdre des commandes qui allaient courir sur une trentaine d’années et représenter 10% de l’activité de l’entreprise. Mais le pronostic vital de Naval Group n’est en aucun cas engagé. Depuis, le contrat pour la vente de frégates multimissions (Fremm) à la Grèce a été signé. On parle de 3 milliards d’euros, ce qui compense la perte australienne.

II s’agit avant tout d’un revers stratégique pour notre pays?

La France fait d’abord face à une rupture stratégique avec ses alliés. Le seul reproche que l’on peut lui faire, c’est de ne pas l’avoir anticipée. Au-delà de la perte du contrat des sous-marins, les Australiens ont signé avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni un vrai pacte de défense, appelé Aukus. Nous avons été tenus à l’écart de ces négociations et l’on peut donc parler de trahison de la part de nos alliés, notamment des Américains. On vient quand même d’assister à la création d’une sorte d’OTAN bis dans le Pacifique. Cette affaire ne concerne pas que les Français, les autres Européens n’ont pas non plus été prévenus. C’est quand même problématique ! Même si on ne va pas se retrouver avec des intérêts stratégiques divergeant de ceux des Etats-Unis, nous
voyons bien que nous ne voulons pas traiter la question chinoise de la même façon qu’eux. Les Américains disent clairement que Pékin représente une menace à traiter militairement. Les Européens estiment qu’il faut surtout contrer la Chine sur le plan commercial et diplomatique. Ce qui est frappant aussi, c’est le positionnement de Londres qui se calque encore un peu plus sur celui de Washington. C’est sans doute un choix lié à la politique intérieure britannique : tout ce qui peut donner l’impression qu’ils se rapprochent des Européens doit être gommé dans cette période post-Brexit. Mais, initialement, le Royaume-Uni avait annoncé qu’il signerait un accord avec l’UE portant sur la politique étrangère. Ce qui n’est plus d’actualité aujourd’hui.

Que faire devant cette nouvelle donne?

On espérait quand même que tous les membres de l’espace euro-atlantique auraient une vision commune sur l’Asie. Et cela d’autant plus que l’Otan doit revoir sa doctrine dans le cadre d’un sommet prévu pour 2022. Son «concept stratégique», qui définit les menaces pesant sur les Etats membres et les moyens pour y faire face, date en effet de 2010 et il faut le renouveler. Ce document comprendra un volet indopacifique. Or les pays européens, et la France en particulier, n’ont pas envie de se retrouver comme des otages d’une sorte de nouvelle guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine.

Que vous inspirent les volontés de certaines personnalités politiques de sortir du commandement intégré de l’OTAN ?

II y a les élections dans six mois et le président de la République a subi un échec en Australie, alors il faut lui tirer dessus ! On n’est pas surpris que Jean-Luc Mélenchon veuille quitter l’Otan. Mais Xavier Bertrand qui veut remettre en cause la participation de la France dans le commandement militaire intégré, ce n’est pas très sérieux. Les socialistes avant 2012 s’interrogeaient sur un retour à la position du général de Gaulle, une France dans l’Alliance atlantique mais pas dans le commandement militaire intégré. Finalement, une fois élu, François Hollande avait commandé un rapport à Hubert Védrine sur la question. Sa conclusion reste toujours valable : il faut rester dans l’Otan et mieux s’y faire entendre. Ce n’est certes pas facile, mais que se passerait-il si l’on quittait cette organisation ? On perdrait le lien avec les Allemands et les autres pays européens, et l’on ne serait plus crédible dans l’UE. Face aux décisions unilatérales des Américains, en Afghanistan ou avec les sous-marins, l’ensemble des Européens voient bien qu’ils ont tout intérêt à coopérer. Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’UE, l’a d’ailleurs rappelé après l’annonce de la formation de l’alliance Aukus. Ce sont les Européens qu’il nous faut convaincre, et ce n’est pas en quittant l’Otan qu’on y arrivera. On a quand même l’impression que l’attitude des Américains est aussi dictée par le comportement belliqueux de la Chine, en particulier vis-à-vis de Taïwan… Taïwan est un énorme enjeu, c’est vrai, mais je ne pense pas que le scénario d’un conflit militaire soit possible, car cela déclencherait une crise internationale majeure, ce qui n’est pas dans l’intérêt de la Chine. En revanche, cela n’exclut pas que des pressions militaires fortes soient exercées. De plus, on voit bien que le
champ de la conflictualité se déplace, en Asie comme ailleurs, sous forme d’agressions économiques, de cyberattaques, de désinformation ou autres menaces hybrides. Prenez l’Estonie : au-delà de la menace militaire russe, le gouvernement craint surtout des manœuvres de déstabilisation interne. Les documents stratégiques estoniens insistent donc sur la nécessité de préserver la cohésion de la société et sa prospérité économique. Les Lituaniens ont été confrontés récemment à un souci majeur de ce genre, leur voisin biélorusse ayant organisé une filière de migrants majoritairement irakiens.

Comment renforcer l’autonomie de la défense européenne ?

Le comportement des Etats-Unis est une opportunité pour resserrer les rangs, car ils s’occupent de leurs intérêts stratégiques avant tout, puis éventuellement de ceux des Européens s’ils coïncident avec les leurs. Construire une union politique de défense est une œuvre de longue haleine, mais on progresse petit à petit. Cela passe par une certaine souplesse : déjà, il ne faudrait pas s’interdire d’intervenir militairement parce que les 27 ne sont pas tous d’accord. L’Initiative européenne d’intervention lancée en 2018 par le président Macron va dans ce sens. Elle tend à établir une culture stratégique commune entre 12 Etats, dont, le Royaume-Uni et la Norvège, ne sont pas membres de l’Union. Même forme de souplesse d’organisation avec Talcuba, une force d’assistance au combat de 600 hommes, dont 300 Européens, pour l’armée malienne et qui s’insère dans le cadre de Barkhane. Enfin, la présidence française de l’UE, en 2022, verra l’adoption d’une «boussole stratégique». Sous ce nom abscons, se profile un véritable embryon européen de livre blanc sur la défense qui sera mise en place, c’est un progrès essentiel.

Et au niveau industriel ?

Il y a déjà eu de nombreuses coopérations en Europe dans le domaine de l’armement avec les Italiens, les Allemands ou les Britanniques, par exemple les Fremm, l’Airbus A400M, l’hélicoptère Tigre ou encore les missiles Meteor. Le lancement du programme du drone de reconnaissance Male, qui regroupe la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, est acté. II est soutenu à hauteur de 100 millions d’euros par l’UE. Ce qui permettra à terme de ne plus dépendre dans ce domaine des Américains et des Israéliens. Une des initiatives les plus prometteuses est le Fonds européen de défense, adopté en avril de cette année. Pour avoir accès à ces crédits communautaires, il faut que trois entreprises de trois Etats différents de l’Union proposent un projet commun. Parmi les technologies prioritaires figurent le cloud de défense, le spatial et le cyber. Le fonds dispose de 8 milliards utilisables sur sept ans pour la R&D, soit plus de 1 milliard par an, dont environ 300 millions pour la recherche fondamentale
de défense. Rien de négligeable puisque le budget global des pays européens dans ce domaine est de l’ordre de 1,6 milliard d’euros actuellement. Ce dispositif va permettre de doubler les coopérations industrielles, qui représenteront à terme 30%
de l’offre d’armement européenne. On commencera à voir des résultats concrets dans cinq ans, mais c’est une tendance très positive qui prouve que l’Europe s’organise pour devenir plus autonome.

On imagine que cela améliorera les ventes d’armes françaises dans l’Union européenne ?

Oui, dans l’UE et plus largement dans toute l’Europe, une zone qui est devenue notre première cliente depuis deux ans avec environ 25% des ventes en 2020. Une excellente chose, car les ONG ne trouvent pas trop à redire quand on vend des armes auxAllemands ou aux Italiens. Or, sur une période plus longue, nos principaux clients (59% de nos exportations entre 2016 et 2020) étaient l’Egypte, le Qatar, l’Inde, des pays qui ont de gros budgets de défense et peu ou pas d’industries. Sur la période 2016-2020, les ventes d’armement de la France ont augmenté de 44%. Qu’est-ce qui porte ces performances? Avec un peu plus de 8% de part de marché, la France est désormais le troisième exportateur d’armes derrière la Russie (20%) et les Etats-Unis (37%). Même si les Chinois se développent très vite en Afrique et en Amérique latine, ils restent encore derrière (5%). Plusieurs facteurs ont joué dans la hausse récente. II y a d’abord eu un changement d’attitude après l’élection de François Hollande. Depuis, l’Etat ne s’est plus mêlé des affaires des industriels. Sous Nicolas Sarkozy, ily avait confusion des rôles. Et cela avait conduit à plusieurs échecs, notamment au Maroc et au Brésil, où l’on n’avait pas réussi à vendre les Rafale. Maintenant, c’est l’industriel qui négocie, l’Etat apportant un soutien politique. Et puis le Rafale, notre plus belle vitrine, est devenu très compétitif, c’est un bon avion. II est entré en service il y a vingt ans. Au Mali, l’opération Barkhane mobilise actuellement certes, mais il a évolué avec le temps et a fait ses preuves au combat. Le F-35 américain est beaucoup plus cher et compliqué, et les pays qui l’achètent n’ont droit à aucun transfert de technologie. On a vendu le Rafale à l’Egypte, au Qatar, à la Grèce, à la Croatie et à l’Inde, ça commence à faire un beau palmarès. Parmi les best-sellers, on peut citer les missiles conçus par MBDA, numéro 2 mondial dans sa spécialité, les hélicoptères NH90 d’Airbus ou le Caesar, un canon autoporté développé par Nexter, qui en a vendu plus de 300 à l’exportation. Et puis, n’oublions pas les sous marins Scorpène, qu’on a vendus à l’Inde, au Chili, à la Malaisie et au Brésil. La force de notre industrie de l’armement est d’être présente sur tous les créneaux. A côté des contrats de gros matériel, ily a chaque année environ 4 milliards de «petits» contrats, inférieurs à 200 millions d’euros.

Comment s’explique la chute de 40%, à 4,3 milliards d’euros, des ventes en 2020 ?

Le niveau des ventes d’armes, ça se regarde sur au moins cinq ans. La tendance sur une année, ça ne veut rien dire, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Ces derniers temps, on était sur une tendance de 8 à 9 milliards par an, mais en 2020, à cause du Covid, tout était au ralenti, les commerciaux ne pouvaient pas se déplacer. Il y a eu aussi des problèmes de livraison de composants : chez Nexter, par exemple, on a connu des retards sur des pièces qui venaient du Royaume-Uni. Même les Américains ont eu des ruptures d’approvisionnement sur des éléments du F-35 fabriqués au Mexique. La France doit-elle rester au Mali et en a-t-elle les moyens ? Barkhane coûte près de 1 milliard d’euros par an ; rapporté à un budget militaire de près de 40 milliards, ce n’est pas rien. Cette force de 5 000 hommes va être progressivement divisée par deux. On va essayer de se retirer peu à peu en impliquant les locaux, mais on ne laissera tomber personne. II nous faut aussi renforcer la coopération avec des partenaires de l’UE, comme c’est déjà le cas avec Takuba ou la mission européenne de formation de l’armée malienne dans l’EUTM Mali. Seulement, c’est très compliqué, il y a beaucoup de choses que l’on ne maîtrise pas au niveau politique. En particulier le comportement imprévisible des militaires arrivés au pouvoir à Bamako. Ce qui devient délicat, c’est la montée du sentiment antifrançais. En tout cas, ce qui se passe au Mali n’a rien à voir avec l’Afghanistan, nous y sommes allés parce que les Maliens nous ont demandé de l’aide. Les Américains, eux, avaient agi de leur propre chef.

 

Propos recueillis par Claire bader et Éric Wattez pour Capital.

COP26 – Les changements climatiques, multiplicateurs de conflits ?

Thu, 28/10/2021 - 16:41

Alors que s’ouvre la COP26 à Glasgow à partir de ce week-end et que la question environnementale est désormais un élément central du débat stratégique, Pascal Boniface revient dans cette vidéo sur les liens entre enjeux climatiques et sécurité à partir des travaux de l’Observatoire Défense et Climat, coordonné par l’IRIS pour le compte de la DGRIS du ministère des armées.

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