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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 week 1 day ago

La guerre en Ukraine vue par Edgar Morin

Wed, 18/05/2022 - 18:29



L’Afghanistan sous le régime taliban : où en est-on ?

Wed, 18/05/2022 - 12:38

Les talibans, de retour au pouvoir depuis août 2021, font face à de nouveaux défis et voient leur légitimité remise en question. Quels sont les effets de ce bouleversement politique sur la population afghane ? Quelle est la situation économique du pays, alors que les talibans ont relancé leur guerre contre l’opium, le pavot étant une ressource rurale majeure ? Quid de la situation sécuritaire alors que les attentats se multiplient et que les tensions s’accroissent avec le voisin pakistanais ? Le point avec Georges Lefeuvre, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de l’arc de crise Afghanistan-Pakistan.

 

Quelle est la situation économique actuelle du pays sous l’autorité du chef Haibatullah Akhunzada ? Quels sont les effets de ce bouleversement politique sur la population afghane ?

Vingt ans après avoir gouverné l’Afghanistan de 1996 à 2001, les talibans ont repris le pouvoir le 15 août 2021 au terme d’une reconquête éclair qui a surpris le monde entier et les talibans eux-mêmes. Certes l’échec américain était déjà inscrit dans l’accord de Doha, signé le 29 février 2020 entre le représentant américain Zalmay Khalilzad et le négociateur taliban Mollah Baradar, mais personne n’imaginait que l’État afghan, construit et financé par la communauté internationale à coup de milliers de milliards de dollars depuis 2001, était fragile au point de s’effondrer comme un château de cartes en quelques heures et sans résistance, alors que les talibans n’étaient pas encore entrés dans Kaboul !

La mesure de rétorsion de Washington, le jour même de la prise de Kaboul, fut de bloquer tous les avoirs afghans détenus en dollars, à commencer par les 9,5 milliards de la Banque centrale d’Afghanistan, et toutes les aides transitant par le FMI et la Banque mondiale. L’effondrement économique fut immédiat et sans précédent puisque 9,5 milliards représentent la moitié du PIB annuel et que 80 % du budget de l’Afghanistan était jusqu’alors financé par des sources extérieures. Cet effondrement, ajouté à une sécheresse extrême, déclenche « la plus grave crise alimentaire mondiale » selon le Secrétaire général de l’ONU António Guterres qui estime, dès le 11 octobre, que 18 millions d’habitants sont au bord de la famine, soit près de la moitié de la population. Le 21 octobre, il estime à 660 millions de dollars le besoin d’absolue urgence, c’est-à-dire très peu quand on sait que les dépenses militaires américaines ont été de presque 300 millions par jour pendant 20 ans ! De surcroît, le froid hivernal s’est installé dès la mi-décembre avec des températures nocturnes de -10° à Kaboul et -17° dans le Hazarajat. Le 11 janvier, l’ONU fait un nouvel appel de fonds de 5 milliards de dollars, un quart du PIB, simplement pour permettre au pays de redémarrer au-delà de l’aide d’urgence, mais la communauté internationale ne réagit pas : « Un cauchemar », s’émeut António Guterres : « Le gel des températures et le gel des avoirs sont une combinaison létale ». Les sanctions imposées par Washington prennent toute la population en otage, au prétexte, précise le président américain Joe Biden, que toute transaction en dollars qui passerait par le gouvernement afghan, équivaudrait à la reconnaissance du nouvel Émirat islamique.

Et pourtant des fonds d’urgence sont disponibles, le problème étant de trouver les moyens de contourner le blocage de Washington. En octobre, l’Union européenne annonce un milliard d’euros qui seront fournis en aides directes par l’envoi de denrées alimentaires et d’abris contre le froid. Le 10 décembre, le Banque mondiale décide de puiser 280 millions de dollars dans les réserves du Fonds spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (ARTF) et de les réaffecter via l’Unicef et le Programme alimentaire mondial (PAM). Le 20 janvier, l’agence des États-Unis pour le développement international (USAID) annonce une contribution de 308 millions… Mais tout cela reste compliqué donc lent et à peine suffisant face à l’urgence extrême. Au sortir de l’hiver, le désastre humanitaire est structurellement très loin d’être réglé puisqu’il n’y a pas de récoltes de printemps pour assurer la jonction alimentaire. Selon une étude du PAM publiée par l’ONU le 9 mai, « près de la moitié de la population est encore confrontée à une faim aiguë. »

Cette triple crise, monétaire, économique et alimentaire, n’est pas de nature à assouplir le régime des talibans. En reprenant le pouvoir, ils avaient trois défis à relever : éviter une crise économique, former un gouvernement ouvert à des segments non talibans de la population, et assurer la sécurité en neutralisant les réseaux terroristes de l’État islamique Khorasan province (EIKP, version afghane de Daech). Ils ont jusqu’à présent échoué sur chacun de ces trois points. En réalité les talibans ont, 20 ans après leur chute en 2001, retrouvé un pays qui reste rural à 72 % de la population, là où ils sont à l’aise, mais dont la capitale Kaboul est devenue une mégalopole de 5 millions d’habitants qu’ils ne reconnaissent plus et ne savent pas gérer. Qu’y a-t-il de commun entre un jeune taleb de 35 ans qui, depuis ses 15 ans, n’a rien connu d’autre que les armes et les combats, et des jeunes Kaboulis, garçons et filles, qui n’ont jamais connu les talibans au pouvoir, mais utilisent des ordinateurs, naviguent sur les réseaux sociaux et déambulent librement dans les rues ? Kaboul a été pendant 20 ans le bénéficiaire prioritaire de la manne financière internationale jusqu’à créer un déséquilibre supplémentaire avec le reste du pays. La deuxième plus grande ville, Kandahar, compte à peine plus de 600.000 habitants ! Tout cela est perceptible au sein même du pouvoir et de l’élite talibane : qu’y a-t-il de commun entre un Sirajuddin Haqqani, chef du réseau terroriste éponyme, devenu ministre de l’Intérieur, et le vice-premier ministre Abdul Ghani Baradar, qui a négocié avec habileté les accords de Doha et s’est familiarisé avec la bienséance des conférences internationales ? Et qu’y a-t-il encore de commun entre cette élite et la base combattante qui n’attend de la victoire que les butins de la guerre, et peine à passer du djihad à la gestion civile du pays ?

Le gouvernement présenté en septembre dernier est le résultat de tous ces malentendus. Abdul Ghani Baradar avait depuis longtemps promis un gouvernement d’ouverture et de paix, nous avons un gouvernement replié sur la seule nomenclature talibane, plutôt homogène dans la reconquête du pays, déjà fissurée à l’épreuve du pouvoir.

Dans ces conditions, aucun pays n’a reconnu le nouvel Émirat islamique d’Afghanistan, pas même ceux qui, craignant davantage Daech que les talibans, lui étaient par pragmatisme favorables, comme la Russie, la Chine, la Turquie, les républiques d’Asie centrale, les États du Golfe, et même l’Iran ! D’autant que Daech a en effet repris vigueur en avril et multiplié les attentats meurtriers (près de 300 tués en un mois) à Kaboul, mais aussi dans les villes du nord en bordure de l’Asie centrale.  Quant au Pakistan dont les médias continuent par habitude de dire qu’il est maître du jeu, il fait en réalité face à de sévères affrontements de frontière.

En réponse à toutes ces incertitudes, sociologiques, économiques, alimentaires, terroristes et politiques, les talibans sont plutôt en mode crispation qu’en mode ouverture, d’où les dernières interdictions d’accès des jeunes filles à l’école, et l’obligation pour toutes les femmes de revêtir à nouveau la burqa et d’être accompagnées par un homme de la famille lorsqu’elles sortent de chez elles.

Les talibans ont relancé la guerre contre l’opium. Quelle est l’importance de la culture du pavot par rapport aux productions de blé et de safran en Afghanistan ? Quelles peuvent être les conséquences de cette interdiction pour l’économie et la paysannerie afghane ?

Akhunzada, chef suprême des talibans, a en effet interdit la culture du pavot, le 3 avril dernier. Une surprise ? Pas vraiment, et pourtant presque tout le monde croit que les talibans ont été les grands promoteurs du pavot quand ils étaient au pouvoir de 1996 à 2001, et qu’ils n’auraient aucune raison de ne pas recommencer, ce qui n’est pas exact. Déjà en 1998, Mollah Omar avait déclaré l’opium non islamique et  la production de pavot avait alors chuté de 4.600 tonnes en 1999 à seulement 185 tonnes en 2001, selon le rapport de la mission de l’ONU pour le contrôle des drogues en Afghanistan (UNDCP)  ; les cartes du rapport montrent d’ailleurs que ces cultures résiduelles étaient situées dans le Badakhshan, non contrôlé par les talibans mais par l’Alliance du nord du commandant Massoud ; ça dérange un peu les idées reçues, mais c’est ainsi. Tout cela pour dire que la culture du pavot n’est pas l’apanage des seuls talibans, mais de tous ceux qui sont engagés dans la guerre et doivent la financer, qu’ils soient de célèbres « seigneurs de guerre » comme Massoud dans le nord-est, ou Rashid Dostum dans le nord ou Ismaël Khan à l’ouest, ou les talibans au sud.

Alors bien sûr, dès le retour en guerre des talibans pour reprendre le pouvoir perdu en 2001, la production a de nouveau explosé, de 185 à 3 400 tonnes en un an, et a même crevé les plafonds en 2007 avec 8 200 tonnes. 80 % des terres de la province du Helmand, bastion des talibans, sont alors semées en pavot, au détriment du blé qui requiert beaucoup plus d’eau que le pavot et rapporte 10 fois moins.  Ainsi, les revenus des opiacés représentent bon an mal an de 12 et 15 % du PIB. Selon un communiqué de la Croix-Rouge du 22 mars dernier, « la moitié des terres normalement ensemencées en blé étaient en jachère à la fin de la période de semis en décembre, à cause de la sécheresse persistante ». C’est l’équation fatale de la faim, de la drogue et de la guerre, qui mine aujourd’hui le pays. Et les surfaces cultivées en Safran, l’épice la plus chère du monde qui pourrait être une culture de substitution, sont de 40 fois inférieures à celles du pavot.

Le 16 avril, des raids aériens pakistanais ont fait plus de 40 morts dans la province de Khost en Afghanistan. Depuis l’arrivée des talibans au pouvoir les tensions semblent s’accroitre aux frontières. Quel bilan peut-on dresser des relations diplomatiques entre les deux pays frontaliers depuis l’arrivée au pouvoir des talibans ?

Ce retour des tensions entre Pakistan et Afghanistan, pour des raisons très complexes, est actuellement le plus grand défi de sécurité régionale. Car il s’agit d’un vieux contentieux de frontière, autour de la ligne Durand, sujet diplomatiquement tabou, mais qui fait pourtant l’objet de violences récurrentes depuis 75 ans. Cette fameuse ligne de démarcation entre l’Empire britannique des Indes et l’Afghanistan, avait fait l’objet de 4 traités entre 1893 et 1921, et c’est au nom de l’héritage de ces traités, en droit international, que le Pakistan en avait fait sa frontière de jure, au moment de sa création en 1947, ce que les régimes afghans successifs, y compris celui des talibans en 1996-2001, ont toujours refusé, au nom d’un autre droit, celui de récupérer les territoires dits « usurpés » (selon le mot de l’ancien président afghan Daoud -1973-78) afin de réunir en un « Grand Pashtounistan » les tribus pashtounes séparées par cette ligne Durand, l’argument juridique étant par ailleurs que le texte des traités définit les « sphères d’influence » (sic) entre Britanniques et Afghans, mais jamais une frontière internationale stricto sensu… Or, c’est exactement ce qu’a récemment ressorti Zahibullah Mujahid, porte-parole du gouvernement taliban, cité par le quotidien DAWN du 3 janvier : « La frontière est illégale et la question de la ligne Durand est non résolue ».

Or cette question est l’obsession des militaires car le rêve national pashtoune d’une réunification menace l’intégrité territoriale du Pakistan. Le général Naseerullah Babar qui fut ministre de l’Intérieur de Benazir Bhutto de 1993 à 1997, et le principal instigateur du mouvement taliban, ne faisait pas mystère lors de nos entretiens, qu’en retour il attendait des talibans qu’ils sécurisent d’abord la turbulente zone tribale transfrontalière, et à terme, une fois fermement installés au pouvoir, qu’ils reconnaissent la Ligne Durand comme frontière internationale. Non seulement le vœu ne fut jamais exaucé, mais les talibans d’aujourd’hui le retournent contre le Pakistan.  Que s’est-il passé entre temps ?

Entre temps, il y a eu la naissance du Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP), en 2005, un avatar des talibans afghans, fondé au Waziristan dans la tribu Mehsud, et composé d’une vingtaine de groupes autochtones, mais aussi d’Ouzbeks, de Tchétchènes, de Ouïghours, c’est-à-dire toutes les cellules locales d’Al-Qaïda à l’origine des attentats massifs qui ont frappé le Pakistan entre 2007 et 2014. Or, chassé par l’opération militaire pakistanaise Zarb-e-Azb après 2014, le TTP était passé du côté afghan, d’où il a participé à la reconquête talibane afghane, et revient maintenant en force dans son fief au Pakistan. Cela signifie trois choses : d’abord une aubaine pour Kaboul qui s’était engagé à Doha à rompre avec Al-Qaïda, et trouve ainsi le moyen  de l’éloigner, mais de très mauvaise augure pour Islamabad qui retrouve la fournaise terroriste à sa frontière, et enfin une terrible ambiguïté dans la relation bilatérale entre l’Afghanistan et le Pakistan, tout simplement parce que le Waziristan pakistanais est depuis 30 ans une place forte du réseau afghan Haqqani et un continuum territorial, mais transfrontalier de la province afghane de Khost, fief d’origine des Haqqani. Cela veut dire que le TTP et les réseaux Al-Qaïda sont des purs produits de Jallaluddin Haqani, mort en 2018, mais père de Sirajuddin Haqqani, actuel ministre de l’Intérieur afghan. Et c’est bien par Sirajuddin, à la fois ministre de l’émirat afghan et maître du dispositif transfrontalier « Af-Pak » de la terreur, que la puissante armée pakistanaise essaie désormais de négocier la paix sur la frontière ! En vain puisque le TTP, revigoré sous l’autorité de Noor Wali Mehsud, a déjà obtenu les ralliements de groupes autochtones affiliés à al-Qaïda, tels les Jamaat-ul-Ahrar, Hizb-ul-Ahrar, Lashkar-i-Jhangvi et Lashkar-e-islam, proclame que la victoire des talibans afghans sera répliquée au Pakistan, et attaque régulièrement l’armée pakistanaise des deux côtés de cette ligne de fracture qu’est la ligne Durand, à l’instar d’ailleurs des talibans afghans avec qui il n’a pas rompu. Excédée, l’armée pakistanaise a mené un raid aérien létal dans la province afghane de Khost, comme un avertissement brutal à la famille Haqqani et ses affidés du TTP.

Ce n’est pas la première fois que le torchon brûle entre Islamabad et Kaboul à cause de la Ligne Durand, c’est cette fois plus grave que d’habitude compte tenu des autres éléments de détérioration de la situation afghane et régionale, dont nous avons vu ici quelques aspects, mais la communauté internationale détourne le regard, sans doute parce que l’idée reste tenace chez presque tous les commentateurs que le Pakistan est le mentor des talibans qui lui sont entièrement soumis. Si ce fut vrai, ça ne l’est plus vraiment ! Il est urgent de revoir nos grilles de lecture si nous voulons comprendre la suite.

 

 

 

L’Amérique latine et la guerre en Ukraine

Fri, 25/02/2022 - 16:19

Situés à des milliers de kilomètres de l’attaque guerrière lancée en violation du droit international et de la Charte des Nations unies par Vladimir Poutine contre l’Ukraine, les pays latino-américains n’en sont pas moins directement concernés par les événements qui affectent le Vieux-Continent.

Ces dernières semaines, les chefs d’État des deux principales puissances sud-américaines – le Brésil (Jair Bolsonaro) et l’Argentine (Alberto Fernandez) – avaient tour à tour fait le voyage à Moscou pour rencontrer le président de la Fédération de Russie, le remercier pour l’aide vaccinale déterminante apportée par cette dernière à l’Amérique latine (la Russie a en effet été le premier pays à fournir des vaccins Spoutnik V contre le Covid-19 à plusieurs pays latino-américains dépourvus en 2021) et réaffirmer leurs bonnes relations avec elle. Jair Bolsonaro (16/02/2022) avait ainsi exprimé, quelques jours avant la reconnaissance, le 21 février 2022, de l’indépendance des territoires séparatistes du Donbass par la Russie – les Républiques populaires de Donetsk et Louhansk, sa « solidarité » avec elle ; Alberto Fernandez (03/02/2022) avait confié, lui, vouloir faire de Buenos Aires « la porte d’entrée de la Russie en Amérique latine ». Parallèlement, de nombreux médias latino-américains et étatsuniens relataient les échanges téléphoniques entre Vladimir Poutine et Daniel Ortega au Nicaragua et les déclarations d’autres officiels russes évoquant la possibilité d’un renforcement de la présence militaire du pays dans la Caraïbe (Cuba) et en Amérique centrale et du sud (Nicaragua, Venezuela)… à quelques centaines de kilomètres des frontières avec les États-Unis… Comme un miroir inversé de la situation en Ukraine et en Europe orientale… (voir la Chronique de l’Amérique latine « L’Amérique latine, nouvel objectif stratégique de la Russie ? »).

Entre temps, sidéré, le monde a basculé dans l’hiver de la guerre et dans une nouvelle ère géopolitique particulièrement dangereuse. Comment se positionnent aujourd’hui les pays latino-américains face à l’agression russe ? Qu’ont-ils à craindre des conséquences du conflit ?

La situation en Ukraine met sous tension les coalitions d’alliances stratégiques en Amérique latine. La plupart des pays du sous-continent relèvent dans leurs positions – pour la regretter – la non-prise en compte suffisante par les Occidentaux, depuis de nombreuses années, des exigences russes en matière de sécurité. Mais, à partir de là, plusieurs positions se dessinent.

Principal allié des États-Unis dans la région – et seul « partenaire global » de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Amérique latine – la Colombie condamne fermement et nommément la Russie, ainsi que le Chili, l’Équateur, le Paraguay, l’Uruguay et dans une moindre mesure le Pérou.

D’autres pays condamnent l’usage de la force dans la résolution des conflits et appellent à un cessez-le-feu immédiat, ainsi qu’à une solution politique entre les parties dans le cadre des Nations unies. Dans cette catégorie se trouvent l’Argentine (qui demande à la Russie de cesser ses « actions engagées »), la Bolivie, le Mexique ou le Brésil. Dans ce dernier pays – membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies pour l’année 2022-2023 et également des BRICS -, on note une polyphonie de la parole officielle. C’est surtout au sein du ministère des Relations extérieures et de la diplomatie brésilienne multilatérale que la position du pays s’exprime. Jair Bolsonaro se bornant lui à s’exprimer sur la protection des ressortissants brésiliens sur la zone de guerre. Quant à lui, le général Hamilton Mourao, vice-président du pays, a affirmé que « Le Brésil n’est pas d’accord avec une invasion du territoire ukrainien » et s’est exprimé en faveur d’un « soutien à l’Ukraine »… avant d’être désavoué par le président : « Celui qui parle sur ces questions s’appelle Jair Mesías Bolsonaro » a ainsi cinglé ce dernier.

Enfin, du côté des alliés traditionnels de la Russie en conflit avec les États-Unis, le Nicaragua prend position pour Vladimir Poutine, Cuba et le Venezuela considèrent quant à eux que l’expansion permanente de l’OTAN aux frontières de la Russie et l’échec des accords de Minsk – pour eux imputable aux États-Unis et aux pays de l’OTAN – sont les causes d’une crise qui a fini par produire de « fortes menaces contre la Fédération de Russie, son intégrité territoriale et sa souveraineté » (communiqué officiel du Venezuela). Caracas appelle à « reprendre le chemin (…) du dialogue (…) pour éviter l’escalade (…) et [aboutir à] une résolution pacifique de ce conflit » tout en condamnant les « sanctions illégales et les attaques économiques contre le peuple russe ».

L’Amérique latine aborde donc l’invasion russe en Ukraine en ordre dispersé, selon des lignes correspondant aux doctrines nationales de politique étrangère et aux logiques affinitaires avec/ou contre les États-Unis et la Russie. Mais, comme toutes les autres, cette région sera collectivement concernée et affectée par les conséquences de ce conflit. Et ce, notamment sur le plan économique dans un premier temps. L’augmentation des prix du pétrole ou du gaz sur les marchés mondiaux viendra nourrir les dynamiques inflationnistes déjà partout avancées en Amérique latine, région confrontée à la pire crise économique de son histoire avec la pandémie de Covid-19.

Et quelle que soit l’issue de la guerre en Ukraine – rapide ou longue -, les pays latino-américains – désunis – sont désormais projetés dans un monde où les poussées néoconservatrices et militaristes vont se renforcer chez tous les acteurs des relations internationales, raidissant chaque système d’alliance, confortant le règne de l’unilatéralisme contingent dans les relations internationales et révélant plus que jamais la faiblesse des Nations unies et de toute instance internationale à régler les menaces et les conflits.

Venezuela : entre évolutions politiques et reprise économique

Fri, 25/02/2022 - 14:56

Temir Porras, professeur invité à Sciences Po Paris et ancien vice-ministre des Affaires étrangères de la République bolivarienne du Venezuela, répond à nos questions sur la situation politique et économique du Venezuela :

– Après les élections régionales et locales du 21 novembre 2021, quelle est la situation politique interne et quels sont les rapports de force entre le chavisme et ses oppositions au Venezuela ?

– Pour la première fois après sept années de récession consécutives, une croissance positive est annoncée en 2022 dans le pays. Comment s’explique cette nouvelle situation ? Quelles en sont les perspectives ?

– Le 15 février dernier, le Département d’état des États-Unis s’est réjouit du résultat d’une réunion internationale sur le Venezuela. Celle-ci a réaffirmé l’objectif d’aboutir à une “solution négociée” aboutissant à l’organisation “d’élections présidentielles et législatives transparentes” au plus tard en 2024. Cette position indique-t-elle une évolution de ces acteurs qui ne reconnaissent pas la légitimité de Nicolas Maduro ?

Ukraine / Russie : jusqu’où ira la guerre ?

Thu, 24/02/2022 - 15:39

 

Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS et ancien ambassadeur de France en Russie répond à nos questions sur la guerre Ukraine/Russie :

– Comment analyser le ton belliqueux de Vladimir Poutine lors de ses différents discours ? Pouvait-on s’attendre à ces actions russes ?

– A quelles réactions peut-on s’attendre de la part de la communauté internationale ? Quels moyens ont-ils pour agir ?

– Quelles sont les perspectives d’avenir pour l’Ukraine et les Ukrainiens ?

Les enjeux géostratégiques de l’hydrogène

Thu, 24/02/2022 - 15:27

Une nouvelle géopolitique est en train d’émerger : celle de l’hydrogène. Pour s’imposer et maîtriser cette nouvelle industrie, la France y investira 7 milliards d’euros à l’horizon 2030 tandis que l’Allemagne est prête à aller jusqu’à 9 milliards d’euros. Mais l’UE et les pays européens ne sont pas les seuls en lice. Le Japon, la Corée du Sud, l’Australie ou encore la Russie ont également engagé d’ambitieuses stratégies de développement de leur filière hydrogène. Le point avec Pierre Laboué, chercheur à l’IRIS, pilote de l’Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques.

Pourquoi est-ce si stratégique de maîtriser la production de l’hydrogène ?

L’hydrogène pourrait prendre une place importante dans notre bouquet énergétique mondial et représenter près de 15% de la consommation finale d’énergie à l’horizon 2050 selon l’AIE, voire même 22% dans le scénario vert de BloombergNEF.

L’hydrogène a un atout majeur, il pourrait être la clé pour atteindre la neutralité carbone en trois décennies et réussir à décarboner des secteurs très émetteurs de gaz à effet de serre et pour lesquels il n’existe pratiquement pas de solution de substitution : l’industrie lourde et les transports lourds. De plus, l’hydrogène présente un intérêt en termes de sécurité énergétique pour l’UE. Il peut être produit, par exemple en été, pour stocker de l’énergie et consommer cette énergie en hiver, afin d’avoir des réserves stratégiques et se libérer de la dépendance envers certains fournisseurs d’énergie, comme la Russie. Dernier argument et non des moindres : tous les pays membres de l’UE seront, en théorie, en mesure de produire de l’hydrogène. L’hydrogène n’est pas une ressource fossile comme le pétrole et le gaz. Il pourrait donc être produit n’importe où dans le monde à partir de molécules d’eau par exemple.

L’industrie de l’hydrogène représente un énorme marché potentiel et les entreprises de l’UE sont très bien positionnées dans cette nouvelle compétition. Selon les experts d’Enerdata, Fabrice Poulin et Alice Jacquet-Ferrand, l’UE abrite environ 50% des fournisseurs mondiaux d’électrolyseurs, les solutions qui servent à produire de l’hydrogène décarboné. L’UE abrite également 40% des fournisseurs mondiaux de piles à combustible, qui utilisent de l’hydrogène pour produire de l’électricité. Ces deux segments sont les deux maillons clés de la chaîne de valeur de l’hydrogène.

Si l’hydrogène présente autant d’atouts, pourquoi n’avons-nous pas déjà une industrie mondiale de l’hydrogène ?

Le premier problème,  c’est qu’il faut décarboner la production de l’hydrogène. Aujourd’hui, la production mondiale d’hydrogène se fait à partir du vaporeformage du méthane. Cela génère 900 Mt de CO2 par an. C’est trois fois plus que les émissions de CO2 de la France. C’est énorme. L’objectif de l’UE est de produire de l’hydrogène vert, c’est-à-dire d’utiliser une électricité renouvelable pour casser une molécule d’eau en deux (H2O), récupérer l’hydrogène d’un côté et rejeter de l’oxygène de l’autre.

Le problème numéro deux, c’est le coût de production de l’hydrogène décarboné. L’hydrogène restera potentiellement plus cher que les énergies fossiles qu’il va remplacer. Tout l’enjeu sera de réussir à produire de l’hydrogène décarboné avec un prix compétitif.

C’est là que le problème numéro trois apparaît. L’UE va devoir importer d’énormes quantités d’hydrogène. Cette affirmation peut paraître paradoxale, car, techniquement, l’UE pourrait produire l’hydrogène dont elle a besoin. Mais comme le rappelle notre expert Manfred Hafner, ce n’est pas parce qu’une solution est techniquement faisable qu’elle est économiquement rentable. Et il sera potentiellement plus rentable pour certains pays de l’UE d’importer de grands volumes d’hydrogène que de le produire entièrement sur leur sol. Il faudra donc sécuriser les approvisionnements d’hydrogène.

Qui sont les pays les mieux positionnés pour fournir de l’hydrogène décarboné et s’imposer sur le nouvel échiquier mondial de la géopolitique de l’hydrogène ?

L’Australie, le Maroc ou encore le Chili pourraient devenir des fournisseurs majeurs du futur marché de l’hydrogène, selon notre expert Philippe Copinschi. Ces pays possèdent un grand potentiel de production d’énergie solaire et/ou éolienne, ou d’importantes réserves de gaz naturel, disposent d’abondantes ressources en eau, et peuvent attirer des capitaux importants pour financer des infrastructures nécessaires tant pour la production que pour l’exportation d’hydrogène.

Alors quid des pays du Moyen-Orient, qui sont aujourd’hui le centre de gravité de la géopolitique du pétrole ? Peuvent-ils devenir de grands exportateurs d’hydrogène décarboné ? Potentiellement non, car il leur manque une ressource critique pour produire de l’hydrogène à un prix compétitif : l’eau. Le poids des pays du Moyen-Orient dans la géopolitique de l’énergie de demain pourrait donc se réduire par rapport à la situation actuelle. La géopolitique de l’hydrogène pourrait donc renouveler en profondeur les facteurs de puissance et de dépendance de la géopolitique de l’énergie.

 

Pour aller plus loin et appréhender ces rapports de forces, vous pouvez retrouver le rapport exécutif de l’Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques sur « Les enjeux géostratégiques de l’hydrogène, une filière au cœur de la transition énergétique », sur le site de l’IRIS.

Poutine / Ukraine : de la crise à la guerre

Thu, 24/02/2022 - 11:15

La nuit dernière la Russie a lancé une offensive en territoire ukrainien. La situation de crise extrêmement tendue depuis l’annonce de la reconnaissance par la Russie des républiques autoproclamées du Donbass s’est transformée en situation de guerre. Il s’agit désormais d’une violation du droit international qui doit mobiliser non seulement les pays occidentaux mais également le reste du monde. Poutine a fait une erreur d’appréciation majeure en se lançant dans cette guerre, qui, si elle aura un coût indéniable pour l’Ukraine et pour l’Europe, pourrait également coûter cher à la Russie et à Poutine.

L’analyse de Pascal Boniface.

“Le pétrole pourrait dépasser aisément les 100 dollars”

Wed, 23/02/2022 - 16:39

Les prix du pétrole ont frôlé hier la barre des 100 dollars. S’agit-il d’une flambée conjoncturelle ou d’une tendance appelée à s’inscrire dans la durée ?

Le 22 février, vers 15h30 heure de Paris, le prix du pétrole Brent de la mer du Nord était proche de 98 dollars par baril. Ce niveau très élevé résulte de la conjonction entre un marché pétrolier mondial assez tendu (une demande en forte hausse, une offre qui a un peu de mal à suivre et des stocks pétroliers assez bas) et des tensions géopolitiques élevées, notamment la crise russo-ukrainienne. Si la demande pétrolière mondiale était moins forte et l’offre plus abondante, nous ne serions pas à un tel niveau de prix même avec la crise russo-ukrainienne. À l’inverse, sans de telles tensions géopolitiques, les prix du brut seraient un peu plus bas que leur niveau actuel. Ce sont principalement des facteurs économiques et pétroliers qui ont entraîné une hausse spectaculaire des cours de l’or noir, celle-ci ayant commencé en avril 2020. En revanche, l’augmentation récente des prix, au cours des derniers jours et des dernières semaines, découle principalement des tensions géopolitiques.

La crise ukrainienne risque-t-elle de tirer les prix du brut vers des records encore supérieurs à ceux actuels ?

Il y a clairement un potentiel supplémentaire de hausse en lien avec la crise russo-ukrainienne. En cas de nouvelle guerre, les prix du pétrole pourraient dépasser aisément le seuil hautement symbolique des 100 dollars le baril. La Russie est le deuxième producteur mondial de pétrole et un grand exportateur de brut. Et elle approvisionne l’Europe en pétrole et en gaz naturel. Une guerre pourrait entraîner des perturbations dans les exportations pétrolières de la Russie ou, autre scénario, les sanctions décidées par les pays occidentaux pourraient avoir un impact négatif sur la production et les exportations pétrolières de la Russie, ce qui, dans les deux cas, pousserait les prix à la hausse.

Quels impacts pourrait induire cette crise sur le marché du gaz ?
D’ores et déjà, les prix du gaz naturel sont orientés à la hausse et ils le seraient davantage en cas d’attaque de la Russie contre l’Ukraine. En termes de volumes exportés vers l’Europe, il est peu vraisemblable que la Russie restreigne délibérément ses exportations car c’est une source importante de recettes d’exportation pour ce pays. En revanche, il est possible que les opérations militaires qui seraient conduites en Ukraine aient un impact négatif sur le transit du gaz russe via l’Ukraine et vers l’Europe.
De plus, en cas de sanctions occidentales contre la Russie en représailles contre l’invasion de l’Ukraine, une partie de ces sanctions devrait logiquement frapper le secteur de l’énergie en Russie, dont le gaz. Le 22 février, les dirigeants allemands ont ainsi annoncé que le processus de certification du gazoduc Nord Stream 2 était interrompu. Ce gazoduc qui relie la Russie à l’Allemagne, en passant par la mer Baltique, a été achevé en septembre 2021, mais il n’a pas encore commencé à acheminer du gaz vers l’Allemagne. Les pays européens, la Commission européenne et les États-Unis sont donc en train, depuis quelque temps, de démarcher plusieurs pays exportateurs de gaz pour savoir si ceux-ci ne pourraient pas temporairement exporter plus de gaz vers l’Europe si besoin était.

L’Opep pourrait-elle revoir sa stratégie de quotas de production pour aider à stabiliser le marché ?

L’Opep+ (23 pays producteurs et exportateurs de pétrole) se réunit le 2 mars pour décider de son niveau de production en avril 2022. À ce jour, la position majoritaire est d’annoncer à nouveau une hausse de la production de 400 000 barils par jour. C’est la suite de la feuille de route que déroule l’Opep+ depuis l’été 2021 (+400 000 b/j chaque mois).

Mais si la Russie attaque l’Ukraine et que la guerre et tout ce qui l’entoure (y compris des sanctions économiques) génèrent des perturbations dans les approvisionnements pétroliers, l’Opep ou l’Opep+ (la Russie fait partie de l’Opep+ mais pas de l’Opep) prendrait évidemment en compte de tels éléments géopolitiques.

Les États-Unis et l’Union européenne ne manqueraient pas, dans ce scénario, de lancer des appels à ces pays pour qu’ils mettent plus de pétrole sur le marché, en particulier l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis qui sont politiquement très proches de Washington.
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Entretien réalisé par : AKLI REZOUALI

Que peut-on attendre de la présidence française de l’Union européenne ?

Tue, 18/01/2022 - 18:11

Edouard Simon vous donne régulièrement rendez-vous pour sa chronique « Vu d’Europe » traitant de l’actualité de l’Union européenne et de ceux qui la font. Cette semaine il revient sur les enjeux de la présidence française de l’Union européenne.

– Alors que la France vient de prendre la présidence de l’UE pour les 6 prochains mois, quelle influence cette présidence donne-t-elle à la France ?

– Quelles sont les grandes priorités de la France ? A-t-elle les moyens de les mettre en œuvre ?

– La PFUE est-elle l’occasion d’avancer sur la question d’une Europe de la défense ?

➡️ Retrouvez tous les épisodes de la chronique « Vu d’Europe » sur la chaîne Youtube de l’IRIS.

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