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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 2 months 3 days ago

Turquie : à propos des séismes qui bouleversent sa scène politique…

Wed, 10/05/2023 - 18:36

Le 6 février dernier, la Turquie a été frappée par deux séismes consécutifs d’une magnitude 7,8 et 7,4 sur l’échelle de Richter dont l’épicentre était situé dans les provinces de Gaziantep et de Kahramanmaraş. Ces séismes ont touché onze provinces dans le sud-est du pays. Plus de 50 000 personnes y ont perdu leur vie, ce qui constitue pour la Turquie la plus grande tragédie contemporaine, après le séisme de 1999 à Gölcük, près d’Istanbul. Or, les deux catastrophes, en plus de leur caractère tragique, partagent des similarités par leur contexte politique, qu’il semble pertinent d’analyser. En effet, le séisme de 1999 avait démontré la capacité d’une catastrophe naturelle – un tremblement de terre – à bouleverser radicalement la scène politique. La conséquence politique, combinée à d’autres facteurs, en avait été l’arrivée au pouvoir d’un seul parti pour la première fois depuis vingt ans et surtout d’un nouveau parti marginalisé jusqu’alors par le système, l’AKP (Adalet ve Kakınma Partisi, Parti de la justice et du développement) de Recep Tayyip Erdoğan.

Un bouleversement aussi important pour le pays et un contexte comparable nous amènent à poser la question suivante : le récent séisme peut-il changer radicalement la scène politique une nouvelle fois à l’occasion des prochaines élections ?

Le séisme de 1999 d’une magnitude de 7,4 avait affecté la zone la plus industrialisée du pays et avait fait plus de 17 000 morts. Cette catastrophe, qui a profondément marqué la mémoire récente de la société turque, a été dévastatrice pour l’image de l’État fort et paternel (Devlet Baba), ainsi que pour la confiance de la population envers le gouvernement de coalition composé à l’époque de trois partis[1]. Les premières 48 heures très critiques de la catastrophe avaient montré l’incapacité des autorités turques à gérer la situation et à porter secours aux milliers de victimes. Les médias avaient accusé ouvertement le personnel politique et avaient révélé la corruption des fonctionnaires qui avaient fermé les yeux sur les violations du code de la construction. Tout ceci s’ajoutait à la période turbulente des années 1990, marquées par des coalitions, une instabilité politique et économique, la révélation de l’État profond avec le scandale de Susurluk[2], la lutte violente contre le terrorisme ainsi que la tutelle constante de l’armée. Le budget nécessaire pour la réparation des dommages matériels était estimé à 10-20 milliards de dollars, soit l’équivalent de 5 à 10% du PIB du pays. L’économie turque, qui était dans une situation déjà fragile, avait alors connu une des plus importantes crises économiques et financières du pays en 2000 et 2001. La lire turque s’était soudainement dépréciée de façon considérable, le chômage était monté en flèche et la population s’était retrouvée appauvrie du jour au lendemain. Des études documentées ont démontré que la piètre performance des gouvernements des années 1990 quant à la prévention d’un séisme avait considérablement influencé le vote dans les élections parlementaires de 2002[3]. Le séisme de 1999 est considéré en effet comme un évènement qui a déclenché des changements irréversibles pour la société et la vie politique turques.

Les élections de 2002 qui ont suivi le séisme ont été marquées par un vote de protestation des électeurs mécontents du manque d’efficacité du gouvernement[4]. Tout d’abord, on peut constater que le taux de participation aux élections de 2002 a reculé, passant à 79,14%, une diminution importante en comparaison des 87,19% de 1999. Les recherches indiquent que cette augmentation de l’abstention était liée à la méfiance envers les responsables politiques, à l’idée que les élections ne produiraient pas un changement important et au fait que les partis précédents n’avaient pas mis en œuvre leurs promesses[5]. Tous les partis qui avaient partagé le pouvoir dans les années 1990 ont ainsi été sanctionnés en recueillant tous moins de 10% des votes. Ils se retrouvaient ainsi en dessous du seuil électoral, dans l’incapacité d’entrer au parlement[6]. Les trois partis formant le gouvernement qui avaient reçu 53,4% en 1999 n’avaient obtenu que 14,7% en 2002. Deux partis seulement avaient réussi à entrer au parlement. Le CHP (Cumhuriyet Halk Partisi, Parti républicain du Peuple) avait obtenu 19,38% des votes et le jeune parti AKP qui se présentait « hors du système », « hors de l’establishement » avait obtenu 34,29% des votes pour sa première participation à une élection. Les sondages de 2002 indiquent qu’un tiers des électeurs étaient allés au scrutin à la recherche d’un « nouveau parti »[7]. Effectivement, l’AKP avait séduit les citoyens par son discours affirmant une rupture de la structure et du système politiques. Seulement un quart des votes que l’AKP avait reçu provenait des votes des électeurs de FP (Fazilet Partisi, Parti de la Vertu), le prédécesseur idéologique de l’AKP[8]. Alors que le fondateur et président charismatique du parti, Recep Tayyip Erdoğan, était encore sous le coup de l’interdiction de participer à la politique, il se trouvait dans la position de devenir Premier ministre. Cette interdiction était consécutive à la récitation d’un poème nationaliste[9] par Erdoğan pendant son discours à Siirt en 1997. L’AKP s’était également vu attribuer la majorité absolue des sièges au parlement en raison du système de répartition. Les partis qui avaient dominé le système politique pendant plus d’une décennie, et même certaines figures politiques qui avaient été au pouvoir depuis quatre décennies, étaient effacés de la scène politique turque. Erdoğan pour sa part retrouvait son droit à la participation politique quelques mois après les élections. Il allait s’accrocher à son poste de Premier ministre et par la suite de président pendant deux décennies. Le traumatisme sociétal du séisme, l’approfondissement de la crise économique qui s’ensuivit et la corruption avaient cristallisé un profond malaise au sein de la société. Ce dernier avait profondément affecté le comportement électoral en conduisant les citoyens à s’abstenir ou à voter pour un parti hors du système qui leur promettait que « rien ne serait plus comme avant ».

De nombreuses années sont passées depuis les élections de 2002 et nous avons devant nous une Turquie connaissant des dynamiques similaires comme beaucoup d’observateurs l’ont souligné. Lorsque l’AKP se présentait aux élections en 2002, Erdoğan avait été privé de ses droits. Ceci n’avait fait qu’amplifier sa popularité à travers un discours de victimisation, un outil souvent utilisé vis-à-vis de l’électorat turc. À la veille des prochaines élections, deux figures politiques de l’opposition ont été interdites et menacées : le maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, du CHP et l’ancien président du HDP, Selahattin Demirtaş (Halkların Demokratik Partisi, Parti démocratique des peuples).

Quant à l’économie, la Turquie traverse une crise financière et économique profonde depuis 2018. La crise qui pèse extrêmement lourd sur les citoyens est caractérisée par une très forte inflation et une dépréciation importante de la lire turque, un déficit de la balance des paiements qui bat des records et des défauts du paiement. Pendant que le pouvoir d’achat des Turcs a chuté, la corruption des fonctionnaires d’État, qui se révèle dans des modes de vie extravagants, suscite de fortes réactions au sein de la société. La question de la corruption des représentants de l’État a de nouveau émergé après le séisme de février 2023. Comme en 1999, les dommages ont été amplifiés par les constructions illégales et de mauvaise qualité dans les endroits densément urbanisés. La cause est de nouveau soit la corruption soit des liens clientélistes qui ont permis d’ignorer les codes de construction des bâtiments. De plus avec l’AKP, il est devenu habituel d’amnistier les condamnations pour des constructions illégales juste avant les élections. En 2018, notamment, cinq semaines avant les élections présidentielles et législatives, 3 millions de bâtiments qui avaient été construits sans respecter les règles avaient bénéficié d’une amnistie. En 2022, on estime que 7 millions de bâtiments ont joui de l’amnistie de 2018, dont 5,8 millions de logements résidentiels. D’ailleurs, pour les mêmes objectifs électoraux, une nouvelle amnistie a été proposée en 2022 par le BBP (Büyük Birlik Partisi, Parti de la grande unité) qui fait partie de l’Alliance populaire dirigée par l’AKP. Donc les législations antisismiques n’ont été, une nouvelle fois, ni respectées ni contrôlées alors que dans son discours en novembre 2022, le président Erdoğan avait assuré que le pays était prêt pour un éventuel séisme et que les précautions étaient prises pour prévenir les pertes humaines. Or, tout comme le séisme de 1999, le mythe d’un État fort et patriarcal a été fortement remis en question. Durant les premières 48 heures du tremblement de terre en février, l’aide depuis l’AFAD (Afet ve Acil Durum Yönetimi Başkanlığı, la présidence de la gestion des catastrophes et des situations d’urgence) et d’autres agences gouvernementales est arrivée très en retard et s’avéra insuffisante. Pour beaucoup d’analystes, ceci est la conséquence de la centralisation extrême du système qui, depuis 2017, a concentré tous les pouvoirs entre les mains du président. En conséquence, les responsables attendent des ordres explicites d’Erdoğan pour agir.

Il y a vingt-quatre ans, tous ces éléments avaient bouleversé la scène politique turque et produit des conséquences incalculables. Le mécontentement populaire envers l’« established system » dans ces circonstances similaires avait permis à l’AKP, parti dénonçant le système, d’accéder au pouvoir.

Tandis que l’histoire ne se répète jamais de la même façon, il est néanmoins admis dans les sciences sociales que des dynamiques similaires produisent des effets similaires. Or, il est nécessaire de souligner qu’il y a des différences importantes entre les deux périodes, notamment concernant la liberté d’expression, la capacité d’autocritique du gouvernement et la nature du pouvoir que le gouvernement actuel détient. Que peut-on attendre alors ?

La crise économique qui s’est encore aggravée à la suite du séisme de 2023 et la colère au sein de la population contre un gouvernement considéré comme irresponsable et impuissant produiront certainement des effets considérables durant les élections comme cela a été le cas en 2002. Cependant, l’AKP reste un parti au pouvoir assez exceptionnel dans l’histoire politique de la Turquie, ayant détenu la majorité absolue pendant plus de 20 ans. Ceci engage la loyauté d’une partie importante de la population et a permis au gouvernement de l’AKP de pénétrer profondément au sein de l’appareil étatique et de contrôler la majorité des médias. Alors qu’en 1999 les médias avaient critiqué sévèrement et ouvertement le manque d’anticipation et les carences du gouvernement durant le séisme et par la suite durant la crise, il apparaît qu’aujourd’hui une grande partie de la presse est privée de cette liberté. La liberté d’expression et la liberté de la presse en Turquie se sont considérablement dégradées depuis une décennie, phénomène aggravé avec les purges qui ont suivi la tentative de coup d’État en 2016. Récemment, en 2023, le rapport de Reporters sans frontières a classé la Turquie à la 165e place sur 180 pays au niveau de la liberté de la presse (derrière la Russie, l’Afghanistan et le Soudan), un sérieux déclin comparé à sa 98 e place en 2008. L’absence de critiques au sein d’une grande partie des médias dans leur traitement de la catastrophe et des pertes humaines influencera certainement l’opinion publique dans les provinces rurales. De plus, il faut également souligner qu’après le séisme de 1999, les dirigeants avaient fait leur autocritique alors que celle-ci est jusqu’alors totalement absente de la réaction des dirigeants de l’AKP.

Un autre élément que l’on peut attendre à la suite de ce séisme serait un relatif affaiblissement de la polarisation dans la société. La société turque est marquée par une profonde polarisation politique largement utilisée par Erdoğan. La polarisation est une tactique souvent employée par des acteurs autoritaires dans les démocraties, perçues comme un obstacle, pour achever des objectifs politiques et même antidémocratiques[10]. Même si les clivages entre les conservateurs/laïcs et le centre/la périphérie existaient avant l’arrivée d’Erdoğan, ce dernier a refondé les formes d’alignements politiques afin d’aboutir à une polarisation politique encore plus prononcée dans la société. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, en effet, les clivages comme conservateur/laïc, centre/périphérie, mondialiste/nationaliste, riche/pauvre, turc/kurde, sunnite/alévi, ont été renforcés à travers le discours du « vrai peuple conservateur » contre « les élites kémalistes/laïques ». Ceci a permis de mobiliser la partie socio-économiquement modeste, rurale et conservatrice de la population située en Anatolie ou dans les « gecekondu » (bidonvilles) des grandes villes. Un exemple concret de ceci est l’émergence de la dichotomie identitaire, stéréotypique et simpliste du « Turc noir » et du « Turc blanc »[11] au début des années 2000[12] qui s’est infiltrée dans le discours de la « Nouvelle Turquie » vantée par Erdoğan. Or, ce traumatisme collectif auquel la société turque a dû faire face, a impulsé un formidable élan de solidarité qui, couplé au chagrin partagé par tout le pays, pourrait potentiellement amoindrir les discours polarisants d’Erdoğan dans sa campagne électorale.

Finalement, il est fort probable qu’il y ait des votes de protestation durant ces élections, comme en 2002. Le faible nombre d’actualisations des inscriptions électorales de la part des électeurs affectés par le séisme est un signal illustrant ce phénomène. À la suite du séisme, 1,5 million citoyens électeurs ont dû émigrer vers d’autres provinces, mais les dernières données indiquent que seulement 300 000 d’entre eux ont mis à jour leur inscription sur les listes électorales. Avec les électeurs qui sont restés dans la région, il est estimé qu’environ 2 millions d’électeurs ne voteront pas. Sachant qu’à peu près 8 millions d’électeurs dans la région du sud-est ont été directement affectés, il est assez probable qu’il y ait une diminution de la participation comparée aux élections précédentes. Pour préciser, les 11 provinces affectées par le séisme ont presque toutes voté majoritairement pour l’AKP et Erdoğan durant les élections en 2018, et votent habituellement de cette façon. Nous pouvons donc nous attendre à une diminution des votes pour l’AKP et pour Erdoğan des électeurs directement affectés par le séisme. Malgré la participation qui pourrait ainsi diminuer dans la région, le taux de participation général restera fort probablement élevé en raison de l’importance des enjeux.

[1] La coalition politique menée par le DSP (Demokratik Sol Parti, Parti de la gauche démocratique) et composée d’un parti de gauche (DSP) et de deux partis de droite, le MHP (Milliyetçi Hareket Partisi, Parti d’action nationaliste) et l’ANAP (Anavatan Partisi, Parti de la mère patrie) ont gouverné la Turquie entre mai 1999 et novembre 2002.

[2] Notion désignant l’ensemble des personnes, généralement soutenues par des groupes d’intérêt, dont on suppose que les rôles clés au sein de l’État leur permettent d’influencer discrètement la politique gouvernementale ou de contrecarrer sa mise en œuvre. L’affaire Susurluk (1996) est la révélation des liens étroits entre des hommes politiques, la police et la mafia d’extrême droite à la suite d’un accident de voiture dans la ville de Susurluk.

[3] Akarca, A. T., et Tansel, A., 2008. “Impact of the 1999 Earthquakes and the 2001 Economic Crisis on the Outcome of the 2002 Parliamentary Election in Turkey”.

[4] Un « vote de protestation » désigne un vote qui manifeste le mécontentement de l’électeur à travers le choix d’un parti ou d’un candidat marginalisé qui se distingue du système politique existant ou par un vote d’abstention.

[5] Tokdemir, K., et Karakuş, A., 2020. “1999’dan 2002 Genel Seçimlerine Giden Süreçte Türkiye’de Kritik Yeniden Saflaşma Ve Kritik Seçim Teorisi Üzerine Bir Değerlendirme.” IBAD Sosyal Bilimler Dergisi. https://doi.org/10.21733/ibad.800911

[6] Özel, S., 2003. “After the tsunami”. In Journal of Democracy (Vol. 14, Issue 2, pp. 80–94). Johns Hopkins University Press. https://doi.org/10.1353/jod.2003.0043

[7] Tarhan Erdem, “Seçmen Profili” (Voter profile), Radikal (Istanbul), 6 November 2002, 4.

[8] Esmer, Y., 2002. “Analyse post-électorale,” [en turc], Milliyet (Istanbul), pages 15–19 novembre 2002.

[9] « Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques/les mosquées sont nos casernes, les croyants nos soldats/cette armée divine garde ma religion/allahou akbar, allahou akbar. » – Ziya Gökalp

[10] Voir: Somer, M., McCoy, J.L., Luke, R.E., 2021. “Pernicious polarization, autocratization and opposition strategies,” Democratization, 28(5), pp. 929–948. Accessible sur: https://doi.org/10.1080/13510347.2020.1865316..

[11] Apparus suite aux changement sociétaux après 1980, ces termes constituent des étiquettes caricaturales. Le « Turc blanc » est conçu comme occidentalisé, urbain, laïc et éduqué alors que le « Turc Noir » est envisagé comme celui issu de la population anatolienne, religieux, conservateur et moins éduqué (Paksoy, 2018).

[12] Par exemple discours prononcé le 24 juin 2015.

Élection du Conseil constitutionnel au Chili : l’extrême-droite en force

Wed, 10/05/2023 - 14:35

Le 7 mai 2023 s’est tenue au Chili l’élection des membres du Conseil constitutionnel, marquant la victoire de l’extrême-droite. Le Parti républicain de José Antonio Kast a en effet remporté 22 sièges sur 50. Les élus doivent maintenant rédiger une nouvelle constitution afin de remplacer celle en vigueur qui date de la dictature de Pinochet.

Christophe Ventura analyse la situation politique actuelle au Chili Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Amérique latine/Caraïbe, vous donne régulièrement rendez-vous pour ses “Chroniques de l’Amérique latine”.

📕 Se procurer son ouvrage « Géopolitique de l’Amérique latine« , Eyrolles (2022).

 

Guerre Russie/Ukraine : vers une intensification du conflit ?

Wed, 10/05/2023 - 11:17

 

« Rien n’est plus important actuellement que votre tâche militaire.[…] l’avenir de notre État et de notre peuple dépend de vous ». Tels sont les mots prononcés par Vladimir Poutine lors des commémorations de la victoire des Alliés du 8-9 mai 1945, marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Des paroles fortes, alors que les affrontements continuent en Ukraine. Seulement quelques jours après avoir dénoncé une tentative d’attaque du Kremlin par les Ukrainiens à l’aide d’un drone, attaque démentie côté ukrainien, et alors que le groupe Wagner a menacé de se retirer de Bakhmout faute de munitions, certains considèrent que Moscou vacille. La Russie est-elle encore en mesure de se battre en Ukraine ? Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste de la Russie, répond à nos questions. 

Moscou a annoncé avoir déjoué une attaque de drones lancée contre le Kremlin le 3 mai dernier et repoussé une seconde ce dimanche en Crimée. Les autorités russes ont accusé Kiev d’être à l’origine de ces attaques, ce que le président ukrainien a démenti. Doit-on s’attendre à une intensification du conflit et à une surenchère de la Russie ?

Cette attaque de drones à Moscou est la première à l’encontre du Kremlin. La déclaration du porte-parole du Kremlin suite à celle-ci est intéressante : pour la première fois, de façon très claire, Dmitri Peskov, a mis en cause la responsabilité des États-Unis pour ce qui a été présenté comme un attentat contre le président russe. Or, si on impute les attaques contre le Kremlin aux États-Unis, on rentre dans une nouvelle phase de la guerre.

Cela rejoint ce que le pouvoir russe a dit jusqu’à présent à ses citoyens russes : si la Russie perd cette guerre, ce ne sera pas à cause des vaillants Ukrainiens, mais parce qu’ils ont contre elle tout « l’Occident collectif », selon la formule créée par le Kremlin. D’où la volonté du pouvoir de resserrer la solidarité légitimiste des Russes autour de lui, et de menacer de représailles au-delà de la seule Ukraine.

Il y a plusieurs explications possibles à cette attaque de drone : soit c’est l’Ukraine, ce qui est peu probable, car le drone était petit et qu’il pouvait difficilement parcourir 700/800 kilomètres et frapper directement le Sénat ; soit il s’agit d’une provocation russe visant à démontrer que les Américains les attaquent (ce qui serait alors aussi inquiétant) ; soit – et c’est la version la plus vraisemblable – les responsables sont des groupes de résistants plus ou moins appuyés par l’Ukraine. Quoi qu’il en soit, le résultat est le même : les Russes envoient le message que cette fois-ci, l’« Occident collectif » s’attaque au cœur du pouvoir en Russie.

À ce contexte viennent s’ajouter les nombreuses annulations des défilés du 9 mai, célébrant la victoire de la Russie sur l’Allemagne nazie, dans le pays et dans les territoires ukrainiens annexés en raison de « problèmes sécuritaires » selon les autorités russes. Moscou a néanmoins maintenu le maintien de la parade militaire sur la Place Rouge. Quel message le Kremlin souhaite-t-il faire passer en maintenant ce défilé ?

Il y a plusieurs messages, car il y a plusieurs cas de figure.

Sur le maintien du défilé sur la place Rouge, tous les Russes ont en tête le maintien du défilé de novembre 1942, alors que les nazis étaient à 20 kilomètres du cœur du Moscou. La fête nationale avait eu lieu en pleine guerre comme un sursaut national, pour montrer à la fois la fierté et la capacité de défense de la Russie, dans la neige, dans le froid et sous les canons allemands. Dans ces circonstances, annuler le défilé du 9 mai à Moscou aurait été perçu comme une défaite psychologique et symbolique importante par rapport aux heures de gloire de la Seconde Guerre mondiale.

Sur les autres annulations de défilés, on peut distinguer deux catégories. Il y a les villes frontières, dont certaines ont été régulièrement bombardées – Belgorod, Krasnodar –, et qui ont dû annuler les défilés pour des questions de sécurité. Et puis il y a les villes du Nord beaucoup plus lointaines du front, où la guerre n’a encore pas été trop ressentie en dehors de la mobilisation. Dans ce dernier cas, le motif de sécurité intérieure est certainement à évoquer : alors que les regroupements de populations sont normalement interdits, le pouvoir prenait le risque de faire face à des manifestations d’hostilité. Il n’a pas voulu prendre ce risque, et n’avait d’ailleurs pas exclu cette hypothèse dans de grandes villes comme Moscou, où il a redoublé de précautions. Mais je n’ai jamais pensé que les Ukrainiens bombarderaient un défilé de la Victoire, car, que ce soit le 8 mai ou le 9 mai, ils ne peuvent s’attaquer à ce symbole : le pouvoir ukrainien considère que la victoire de 1945 est aussi celle de l’Ukraine, très chèrement payée. En choisissant le 8 mai pour la célébrer, comme la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis, Zelenski a simplement voulu marquer son ancrage aux pays occidentaux, rupture avec la Russie accentuée par la décision de fêter justement le 9 mai le jour de l’Europe.

En parallèle de ces récents événements, le groupe Wagner a promis à Moscou d’approvisionner les troupes de Bakhmout en munitions, après avoir menacé le Kremlin de se retirer de la ville quelques jours plus tôt. Quel état des lieux peut-on dresser des affrontements à ce jour ? La Russie a-t-elle les moyens militaires de continuer la guerre ?

Wagner a été jeté dans le conflit après la défaite de septembre 2022 dans l’oblast de Kharkiv, où les Russes avaient perdu tous les territoires gagnés au moment de l’offensive surprise. Il y a alors eu un mouvement de panique au sein des autorités russes, qui ont cherché à colmater les brèches. C’est là qu’on a fait appel à Wagner et ouvert les prisons.

Prigojine, le patron de Wagner, s’est par ailleurs senti pousser des ailes politiques. Il a commencé à entrer dans le jeu des déclarations, à la fois de brutalité et de franchise, disant que les Ukrainiens se battaient bien, que l’armée russe était désorganisée, que la Russie manquait de munitions, et que ce n’était pas un hasard si le pays n’arrivait pas à gagner.

Bakhmout, qui a été une sorte d’abcès de fixation pour Wagner, demeure jusqu’à présent le symbole de l’échec de cette milice armée. La bataille continue, et cela fait déjà plusieurs mois que Wagner annonce presque tous les jours que ses hommes sont en train de prendre la ville. À partir de là, il y a un jeu politique de Prigojine, qui affirme qu’il ne parvient pas à prendre Bakhmout en raison du manque de soutien de l’armée régulière russe.

Cette liberté de parole de Wagner témoigne d’une sorte de délitement des institutions russes. Il aurait été inconcevable pendant la Seconde Guerre mondiale – la « Grande Guerre patriotique » – que des milices prennent la parole et remettent en cause le ministre de la Défense, le chef d’État-major général des armées, et donc, par ce biais, Staline. La liberté de parole de Wagner laisse apparaître des difficultés politiques intérieures.

Quant à savoir dans quel état est l’armée russe, malgré ses faiblesses évidentes, j’ai tendance à penser qu’elle est plus forte qu’on ne l’imagine. Je ne crois pas qu’il y ait un manque de munitions, car rien n’est plus facile pour les Russes que de fournir des obus, car les installations qui les fabriquent tournent 24/24h et ont été maintenues même après l’effondrement de l’URSS. Je pense qu’il y a moins de difficultés d’approvisionnement en obus (simples sans système de guidage) du côté russe que du côté ukrainien.

« L’économie de guerre, un défi européen »

Tue, 09/05/2023 - 15:54

La guerre en Ukraine a fait basculer notre industrie d’armement d’une industrie formatée pour le temps de paix à une industrie qui doit adapter sa production au temps de guerre.

Dès le 24 février 2022, il était clair qu’aucun pays européen ne tolérerait que les frontières du continent soient remises en cause par la force. Nous étions donc appelés à devenir la base arrière de l’Ukraine pour lui fournir les armements et les munitions qu’elle ne pouvait fabriquer elle-même en quantité suffisante – pour rappel, leur haut niveau de consommation n’a plus été constaté depuis la Seconde Guerre mondiale.

Dès le 13 juillet 2022, le Président de la République a utilisé l’expression d’« économie de guerre ».

Cela ne veut pas dire que les Français sont en guerre et que toute notre économie doit basculer pour soutenir un effort de guerre. Cela ne concerne qu’une partie de nos industries d’armement qui doivent fournir davantage de matériels nécessaires, et plus vite. Or, cette tâche n’est pas si aisée.

La remontée en puissance de l’industrie d’armement nécessite de redimensionner toute la chaîne d’approvisionnement jusqu’aux composants et matériaux critiques, de faire appel à du personnel compétent pour assurer le surcroît de production, voire de développer de nouvelles lignes de production. Ce sera le cas notamment pour la fabrication de poudres : Eurenco va la relocaliser à Bergerac, avec une capacité supérieure aux besoins de l’armée française.

Ce défi dépasse en effet le cadre français, il concerne tous les pays européens. L’accroissement des capacités de production implique un coût que les entreprises ne peuvent assumer que si des garanties leur sont données en termes de commandes. Pour ce faire, des solutions sont en cours d’élaboration au niveau européen. Objectif : mutualiser les achats des États membres. Dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix[1], un instrument portant sur les acquisitions de munitions pour l’Ukraine pourrait voir le jour.

La Commission européenne développe également deux autres dispositifs[2] pour que l’acquisition d’armement en commun devienne la règle.

Cela permettrait à la fois de soutenir l’industrie d’armement européenne et d’accroître notre autonomie stratégique. La Commission envisage aussi de renforcer la politique de remontée en puissance de l’industrie de défense par des aides spécifiques. Si toutes ces initiatives devaient voir le jour, cette situation de crise aura permis à l’Union européenne de réaliser un bond en avant, à l’instar de l’acquisition de vaccins lors de la pandémie de Covid-19.

 

Une tribune publiée dans le dossier « Produire plus et plus vite, le défi ! » du septième numéro d’Esprit défense, le magazine trimestriel du ministère des Armées.

_________________

[1] Instrument financier pour renforcer les capacités de l’UE en matière de sécurité et de défense et pour contribuer à préserver la paix dans le monde.

[2] EDIRPA (European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act) et EDIP (European Defence Investment Programme).

Les enjeux des élections turques

Tue, 09/05/2023 - 14:07

Les 14 et 28 mai auront lieu en Turquie des élections à deux tours pour les présidentielles, à un tour pour les législatives qui peuvent changer le paysage politique du pays. Pour la première fois depuis qu’il est au pouvoir – deux décennies– Recep Trayiip Erdogan n’est pas sûr de sortir vainqueur des élections et son pouvoir est réellement menacé. Il est donné battu dans les sondages, même s’il convient de rester prudent. Les électeurs ne suivent pas forcément les sondés.

Qu’est-ce qui est venu affaiblir Erdogan pourtant, si sûr de son aura. Il y a bien sûr l’usure du pouvoir, phénomène traditionnel. Il y a aussi l’inquiétude face à la dérive autoritaire de nombreux Turcs craignant qu’un nouveau blanc-seing électoral à Erdogan ne lui permette d’établir une quasi-dictature. Il y a la gestion critiquée du tremblement de terre qui a fait plus de 50 000 victimes. Certes il s’agit là d’une catastrophe naturelle, mais le nombre de victimes est aussi dû au défaut de contrôle dans les constructions, non sans lien avec des affaires de corruption.

Enfin, et surtout, pèse contre Erdogan la situation économique déplorable du pays : l’inflation approche les 100 % par an, la livre turque a perdu 200 % de sa valeur face à l’euro, les difficultés quotidiennes et l’appauvrissement de nombreux Turcs…

Or, jusqu’ici, Erdogan était crédité d’une réussite économique, le pouvoir d’achat des Turcs a quadruplé pendant les 10 premières années de son pouvoir. Aujourd’hui, il est revenu au niveau de 2007/2008.

Certes, il y a les succès diplomatiques, les patriotes turcs lui sont reconnaissants d’avoir placé Ankara assez haut sur la scène internationale, face aux Occidentaux tout en étant membre de l’OTAN. La Turquie a d’excellentes relations avec la Russie tout en fournissant des drones à l’Ukraine et peut se targuer d’être à la tête du seul pays qui a su organiser des négociations directes entre Russes et Ukrainiens qui ont permis un accord sur l’exportation de céréales et éviter une crise alimentaire mondiale. La place de la Turquie sur la scène mondiale est bien plus importante qu’il y a 20 ans.

L’une des inconnues du scrutin repose sur les six millions de primo-votants, 10 % du corps électoral, qui devrait normalement être plutôt favorables au candidat de l’opposition du pays.

Si l’opposition venait à l’emporter, y aurait-il un changement radical ? Sur le plan intérieur, c’est certain il y aurait un souffle nouveau pour les libertés, les nombreux intellectuels qui ont fui la répression pourraient revenir au pays et la peur qui règne sur les journalistes, avocats ou professeurs qui prennent des positions qui déplaisent au pouvoir, prendrait fin.

Il n’est pas certain, en revanche, que la diplomatie turque connaîtrait une rupture.

Et celles-ci sont très rares dans le domaine géopolitique. Il y a en cas d’alternance, généralement des évolutions rarement des révolutions. S’il était élu, Kemal Kiliçdaroglu mettrait certainement fin aux diatribes, voire aux insultes, dont Erdogan a usé et abusé à l’égard des dirigeants européens. Il serait plus courtois. Pour autant il n’irait pas modifier l’ADN géopolitique de la Turquie. Il continuerait à avoir de bonnes relations avec Moscou et avec les Occidentaux parce que c’est l’intérêt national de la Turquie. La question kurde resterait centrale, il pourrait accepter l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Mais si Erdogan restait au pouvoir, il finirait par en faire de même.

Les Européens ne doivent pas se faire d’illusions excessives en cas d’alternance. Certes cela permettrait d’ouvrir une nouvelle page. Cependant Kemal Kiliçdaroglu a demandé de n’être pas soutenu publiquement par les Européens pour ne pas donner d’arguments à Erdogan en jouant sur la fibre patriotique et le rejet des interventions extérieures. Car si Erdogan a changé de politique, est devenu plus confrontationnel avec les Occidentaux, c’est dû au coup d’État manqué de 2016 (où il estime n’avoir pas été soutenu par ses alliés), mais aussi au sentiment que les pays européens n’ont pas été respectueux de la Turquie à partir de 2007-2008, en lui claquant la porte au nez pour les négociations. De même, les Turcs pensent majoritairement que les États-Unis les ont toujours considérés de haut et jamais comme de véritables partenaires. Le prochain président turc quel qu’il soit, voudra montrer à ses concitoyens qu’il sait faire respecter son pays sur la scène internationale.

« En matière de féminisme, l’Europe est un fer de lance mais peut mieux faire »

Sun, 12/03/2023 - 10:12

Les démissions récentes de Jacinda Ardern et Nicola Sturgeon sont-elles comparables ? Faut-il s’inquiéter de voir ainsi deux dirigeantes féministes renoncer à leurs fonctions ?

Il faut toujours être très précautionneux, on ne peut pas faire de généralités à partir de deux cas seulement. Mais en l’occurrence, Nicola Sturgeon et Jacinda Ardern, qui sont d’ailleurs assez proches en âge (respectivement 53 et 43 ans, ndlr), nous rappellent à travers leurs démissions respectives qu’il n’y a pas qu’une seule manière de faire de la politique. Elles nous montrent que l’activité politique n’est pas censée être une carrière, mais un moment de la vie très précis dévoué à l’intérêt général. En cela, elles déjouent le stéréotype de l’homme politique fort, viril, qui dort peu la nuit et qui résiste à tout. Il en ressort une réalité que l’on avait sans doute un peu tendance à oublier : les fonctions politiques sont généralement très prenantes et très stressantes, au point qu’elles peuvent éreinter celles et ceux qui les exercent. Selon moi, leur attitude est donc plus rassurante qu’inquiétante, car elle représente un leadership politique plus moderne.

Ces dernières années, il est devenu évident pour beaucoup que le féminisme était un enjeu social, un enjeu économique, ou encore un enjeu écologique. En quoi le féminisme est-il aussi un enjeu géopolitique ?

Le féminisme est un enjeu géopolitique parce que tous les thèmes à l’agenda de la diplomatie et des relations internationales sont concernés par le féminisme et les questions de genre. On ne peut pas aborder les sujets d’éducation, de conflits ou encore de migrations en faisant l’économie d’une approche consciente des enjeux de genre. D’une part, les hommes et les femmes ne vivent pas de la même manière les crises, les guerres et les migrations, comme l’a montré la pandémie de Covid-19. D’autre part, les droits des femmes et des minorités  sexuelles sont au cœur des relations diplomatiques. Le langage même des relations internationales peut être très genré (généralement viriliste).

Par ailleurs, on a très longtemps sous-estimé le rôle que jouent les femmes à l’international, à la fois dans les guerres mais aussi  dans la diplomatie au sens routinier du terme. Entre autres mobilisations, le mouvement #MeToo nous a invités à ouvrir notre regard et à considérer qu’en matière de féminisme, il existe une circulation très grande des influences – que ce soit au niveau des revendications, des modes d’action ou encore des priorités en matière de politiques publiques. Depuis son émergence, on ne peut plus dire qu’il y aurait, d’un côté, un féminisme occidental et, de l’autre,d’autres formes de mobilisations plus aléatoires. #MeToo  nous a obligés à regarder ce qui se passe dans le monde, à nous décentrer. Avoir un regard aveugle aux questions de genre, c’est par ailleurs se priver d’une partie de la réalité et envisager des solutions inadaptées.

En octobre 2022, on apprenait que le nouveau gouvernement conservateur de la Suède décidait d’abandonner sa « diplomatie féministe ». Que signifie au juste mettre en œuvre une « diplomatie féministe » ?

Il n’y a pas de définition canonique de ce que serait une diplomatie féministe. Chaque pays ou organisation internationale a sa propre vision de ce que cela doit signifier. Jusqu’à aujourd’hui, on est beaucoup dans le registre du branding, du slogan et des bonnes intentions. Dans les faits, cela ne change pas grand chose. Or une diplomatie féministe doit s’inscrire dans le temps long. Il y a à la fois un enjeu de gouvernance (aller vers davantage de parité, lutter contre l’entre-soi dans les postes à responsabilité) et un enjeu de politiques publiques – prendre en compte le fait que 80 % des déplacés climatiques dans le monde sont des femmes, comme le dit l’ONU, par exemple.

Il s’agit également de s’intéresser au rôle des femmes sur le terrain : quels sont leurs besoins, leurs attentes en termes de diplomatie ? Il convient de s’appuyer sur les savoir-faire locaux afin de ne pas plaquer des modèles pré-établis. Dans une grande partie du monde, on ne se reconnaît d’ailleurs pas forcément dans l’étiquette « féministe », qui est vue comme un terme occidental. Mais cela ne veut pas dire que dans ces pays-là les femmes ne luttent pas pour leurs droits.

La guerre en Ukraine a redéfini les équilibres géopolitiques mondiaux. Quelle lecture féministe peut-on faire de l’invasion russe ?

Il faut éviter d’essentialiser les choses : cela n’a pas de sens de penser que les dirigeants masculins sont forcément « enclins à la guerre », à rebours de dirigeantes féminines qui seraient « par nature pacifistes ». En Europe, on voit d’ailleurs très bien comment les mouvements d’extrême droite cherchent à s’appuyer sur des figures féminines pour casser leur image « dure ».

Ceci étant dit, l’invasion de l’Ukraine est fondée depuis le départ sur une rhétorique d’écrasement et de domination de la part de Vladimir Poutine. Ce dernier voit dans le peuple ukrainien un pion perverti de l’Occident, sur fond de stéréotypes homophobes et sexistes. C’est l’idée selon laquelle l’Occident voudrait mettre en péril les valeurs russes ancestrales en imposant son « idéologie » LGBT et féministe. Poutine parle d’ailleurs de « prostituée de l’Europe » à propos de l’Ukraine. Cette manière de justifier le conflit est très marquée par une approche genrée des relations internationales.

Enfin, il faut noter qu’une partie du discours médiatique a présenté la résistance ukrainienne comme étant essentiellement masculine, en négligeant le rôle des femmes, surtout au début du conflit. Même si ce sont, de fait, surtout des femmes et des enfants qui fuient le pays, aujourd’hui, l’Ukraine dispose de l’une des armées les plus féminisées au monde avec environ un quart d’effectifs féminins, sans compter la résistance féminine très forte que l’on observe sur le terrain.

Dans le livre, vous pointez par ailleurs l’émergence d’un discours « fémonationaliste », y compris en France . De quoi s’agit-il ?

Le fémonationalisme consiste notamment à instrumentaliser le féminisme pour le renverser à des fins nationalistes. L’extrême droite a bien compris que le féminisme était dans l’air du temps, et donc qu’elle avait tout intérêt à l’utiliser à ses propres fins. D’où ces discours sur la crainte des migrations et du cosmopolitisme en lien avec l’idée du contrôle des naissances : dans la tête des leaders nationalistes, la natalité devient un moyen de lutter contre les migrations. On retrouve ce discours-là chez l’extrême-droite américaine, mais aussi française, polonaise, hongroise… Il est également fait allusion à cette rhétorique dans le camp de la droite plus traditionnelle, par exemple lorsqu’on entend dire que pour pallier le déficit des retraites ou les pénuries de main d’œuvre, il faudrait augmenter les naissances. La lutte contre l’avortement s’inscrit précisément dans cette dynamique.

Un autre exemple est celui de la récupération des idées écologistes, et notamment l’idée du « retour à la nature » contre la science et la technique. Il s’agit de glorifier la nature féminine, sur la base de ce vieux stéréotype « femme = nature, homme = culture ». In fine, cela sert surtout à justifier la fragilisation des droits reproductifs des femmes (contraception, avortement, etc.). Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il est remis au goût du jour par le prisme de l’actualité écologique.

Et qu’en est-il de ce que vous appelez les « résistances masculinistes » ? Qu’est-ce que ces différentes formes de résistance à travers le monde ont en commun ?

Depuis quelques années, on observe une plus grande visibilité des mouvements féministes, pas forcément parce qu’ils sont plus puissants mais surtout parce qu’ils sont plus visibles qu’avant. Les réseaux sociaux et la presse permettent de diffuser des images, des slogans, des mobilisations. Cela a été le cas en Iran, au Chili, en Argentine… À chaque fois, ces mouvements occasionnent des résistances très fortes de la part des opposants, soit parce que ceux-ci comprennent bien les privilèges qu’ils pourraient perdre, soit parce que d’une manière générale les États autoritaires ne tolèrent aucune contestation.

C’est particulièrement le cas lorsque ces revendications s’étendent aux sphères culturelle et médiatique, avec la sortie de documentaires et de livres notamment. Ces contenus culturels se confrontent au pouvoir que détiennent encore majoritairement les hommes. Mais outre l’hostilité, il faut parler de l’indifférence au sort des femmes : en France, on observe encore une relative négligence vis-à-vis des violences faites aux femmes, par exemple. Le phénomène est assez intéressant à observer précisément parce qu’il n’est pas spécifique aux régimes non-démocratiques. On le voit beaucoup aussi sous nos yeux. Ces deux forces s’opposent dans tous les pays du monde, avec un continuum d’oppression qui va de l’indifférence aux crimes en passant par la violence verbale. Même si le curseur est évidemment positionné différemment selon les pays et les cultures.

En ce moment, l’Union européenne mène une campagne de communication autour de certaines « valeurs » qui seraient attachées au Vieux Continent : les droits humains, l’indépendance énergétique, mais aussi l’égalité femmes-hommes. Comment l’UE peut-elle espérer peser sur la scène internationale en matière de féminisme ?

L’Union européenne fait beaucoup de choses, et parfois plus que les États qui la composent, en matière de lutte pour l’égalité femmes-hommes. Cette priorité est inscrite dans un nombre de domaines assez important : programmes de recherche, politiques sportives… Mais il y a encore des progrès à faire, ne serait-ce que parce que le droit à l’avortement n’est pas inscrit dans la charte des droits fondamentaux de l’UE. De même, on pourrait s’attendre à davantage de soutiens aux Afghanes ou aux Iraniennes qui souffrent de violence, par exemple en termes de sanctions et de fonds. Une décision prise récemment, ce mardi 7 mars, va d’ailleurs dans ce sens.

Ceci étant dit, on voit bien dans les discours de certains dirigeants à travers le monde à quel point la rhétorique anti-féministe peut s’appuyer sur la critique de l’Europe. Précisément pour cette raison-là : aux yeux de certains dirigeants d’Afrique et du Moyen-Orient, l’Union européenne est une puissance pervertie par le féminisme et les causes LGBT. Cela veut bien dire que dans une grande partie du monde, l’Europe est perçue comme défendant ces droits. Pour résumer, je dirais qu’en matière de féminisme, l’Europe est un fer de lance qui peut toujours mieux faire.

 

Propos recueillis par Pablo Maillé pour Usbek & Rica.

Accord irano-saoudien : quelles causes, quelles conséquences ?

Sat, 11/03/2023 - 10:21
Comment interpréter l’annonce surprise du rétablissement des relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite?

Ce n’est pas totalement une surprise. Le rapprochement avait débuté en avril 2021 à Bagdad, en Irak, sous les auspices de l’ancien Premier ministre, Moustapha Al-Kazimi, à l’occasion d’une première réunion non-officielle entre le chef des services de renseignements saoudiens, le général Khaled ben Ali Al Humaidan, et des responsables iraniens mandatés par le chef du Conseil suprême de la sécurité nationale iranienne, l’amiral Ali Chamkhani. Une demi-douzaine de sessions s’étaient tenues par la suite jusqu’au milieu de l’année 2022. En juillet 2022, était même annoncée une réunion prochaine des ministres des Affaires étrangères respectifs des deux pays qui s’était fait attendre du fait des aléas géopolitiques régionaux et de la situation intérieure de l’Iran confrontée à une vague inédite de contestation à partir de septembre 2022. Au point de lancer un avertissement à Ryad en termes explicitement menaçants.

L’Iran, pourtant demandeuse, probablement du fait de son isolement accru, d’un rétablissement des relations rompues avec les pays du CCG en janvier 2016, avait averti les pays de la région, notamment l’Arabie Saoudite, qu’il riposterait aux actions de déstabilisation supposées, visant la République islamique :  » Je voudrais dire à l’Arabie Saoudite que notre destin et celui d’autres pays de la région sont liés les uns aux autres en raison de notre voisinage « , avait ainsi déclaré, le 9 novembre 2022, le ministre iranien des Renseignements, Esmaïl Khatib.  » Pour l’Iran, toute instabilité dans les pays de la région est contagieuse, et toute instabilité en Iran peut être contagieuse pour les pays de la région « , avait-il mis en garde. Et d’ajouter :  » si la République islamique décide de punir ces pays, leurs palais de verre s’effondreront et ils ne connaîtront plus la stabilité « .

Une rencontre entre le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhane et son homologue iranien, Hossein Amir-Abdollahian , allait tout de même avoir lieu, le 21 décembre 2022, en marge de ladite  » deuxième conférence de Bagdad  » tenue à Amman en Jordanie. Les deux parties se déclarant prêtes à poursuivre le dialogue. Hossein Amir-Abdollahian, avait même annoncé, le 12 janvier 2023, avoir conclu un accord avec l’Arabie saoudite, lors de la récente conférence dite Bagdad II, tenue le mois précédent en Jordanie, pour mener un dialogue bilatéral en vue de la normalisation des relations entre les deux pays. Le ministre iranien des Affaires étrangères avait déclaré, le 29 janvier, que l’Iran et l’Arabie saoudite allaient bientôt reprendre leurs pourparlers sur la normalisation de leurs relations. Des négociations qui ont débouché sur l’annonce spectaculaire du 10 mars 2023 qui referme le cycle de conflictualité ouverte en janvier 2016 même si le contentieux est loin d’être apuré.

Il demeure que l’Arabie saoudite a considéré qu’il en allait malgré tout de son intérêt, notamment pour ne pas hypothéquer en interne la réalisation du fameux  » Plan Vision 2030  » lancé par le prince héritier Mohammed ben Salmane, laquelle est indissociable, pour attirer les investissements nécessaires, d’une forme d’apaisement de la conflictualité régionale.

Quel impact cette annonce peut avoir sur la région, notamment sur les dossiers libanais, yéménites et syriens ?

Ce sont notamment ces dossiers régionaux qui constituaient des points de blocage pour Ryad dans la perspective d’une éventuelle normalisation des relations avec Téhéran, régulièrement accusé de s’ingérer dans les affaires arabes via ses proxys: au Liban avec le poids du Hezbollah sur l’échiquier politique, en Syrie depuis l’engagement résolu dès 2013 auprès de Damas pour sauver le régime alaouite de Bachar al-Assad, menacé par les insurgés, et, au Yémen, avec leur soutien de plus en plus avéré à la milice zaydite houthie qui n’hésite pas à cibler le royaume saoudien depuis la frontière méridionale du royaume, au point d’être stigmatisée par Ryad comme un Hezbollah-bis.

L’objectif stratégique de l’Arabie saoudite consiste à s’efforcer de réduire l’empreinte iranienne dans la région. N’y étant pas parvenu par la confrontation, l’Arabie saoudite estime qu’une logique transactionnelle serait susceptible d’être plus efficiente avec la prise en compte d’un intérêt bien compris par les deux parties: réduire son isolement croissant pour Téhéran, assurer une forme de stabilité régionale pour Ryad, condition sine que non pour garantir le succès de la réalisation de son « Plan Vision 2030 ».

La Chine a-t-elle influé sur ce réchauffement des relations ?

Pékin, où a été faite l’annonce, a incontestablement joué un rôle important, même s’il n’est pas exclusif, dans la finalisation de ce rapprochement entre les deux rivaux géopolitiques régionaux. Et cela parce que la Chine, gourmande en produits énergétiques, se targue d’entretenir de bonnes relations avec chaque partie prenantes. Dans leur communiqué commun, l’Iran et l’Arabie saoudite ont, de fait, ostensiblement remercié « la République d’Irak et le sultanat d’Oman d’avoir accueilli des pourparlers entre les deux parties en 2021 et 2022, ainsi que les dirigeants et le gouvernement de la République populaire de Chine pour avoir accueilli et soutenu les pourparlers menés dans ce pays ».

Dans son exercice d’équilibrisme géopolitique pour des raisons géoéconomiques, la Chine, premier client pétrolier officieux (30 % des exportations iraniennes) et 2ème fournisseur officiel de l’Iran (25 % des importations iraniennes), entretient des relations étroites avec Téhéran, qui a d’ailleurs signé en mars 2021 un vaste accord de partenariat stratégique sur 25 ans, largement au profit de Pékin dans des domaines aussi variés que l’énergie, la sécurité, les infrastructures et les communications.

Cet accord est devenu à la faveur de la visite du président iranien Ebrahim Raïssi à Pékin, du 14 au 16 janvier 2023, un « partenariat stratégique global ». Dans le même temps, le voyage du président chinois Xi Jinping à Ryad le 8 décembre 2022 a montré à Téhéran que Pékin considérait le royaume saoudien comme un partenaire énergétique essentiel. Celui-ci est devenu le premier fournisseur pétrolier de Pékin qui a fait du royaume de l’or noir le premier récipiendaire des IDE chinois (20 % du montant total) dans la région. Cette visite avait d’ailleurs donné lieu à la signature de pas moins d’une vingtaine de  » Memorandum of Understanding  » (protocole d’accord). La Chine entend désormais tenir le rôle de  » honest broker  » (honnête courtier) et se substituer à la puissance américaine en se prévalant auprès de ses interlocuteurs régionaux de n’avoir aucun passé colonialiste. Elle semble pour l’instant y parvenir même si cela demande à être confirmé en cas de crise majeure, par exemple, un échec total des négociations sur le nucléaire iranien.

Le séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie a permis un nouveau rapprochement entre Damas et les pays du Golfe. Cela peut-il avoir joué sur le réchauffement entre Téhéran et Riyad ?

De manière peut être indirecte, dans le sens où Téhéran constate qu’il y a des velléités de normalisation avec le régime de Damas après une décennie de guerre. C’est le cas notamment de la part des Émirats arabes unis qui ont rouvert, fin décembre 2018, avec Bahreïn, leur ambassade à Damas. Ils pratiquent aujourd’hui, avec d’autres pays arabes comme l’Irak ou l’Égypte, voire la Jordanie, une forme de lobbying pour réintégrer la Syrie dans la grande « famille arabe » que constitue l’organisation de la Ligue arabe. Les conséquences humanitaires du séisme en Syrie ont justifié la réactualisation d’une certaine solidarité arabe avec le régime syrien. Une situation dont il joue d’ailleurs, avec une certaine limite néanmoins, car cela n’est pas censé se faire au détriment de l’Iran dont il est débiteur. Il demeure que cette réintégration, tant espérée par Damas, ne pourra se faire sans l’aval saoudien. Or, du point de vue arabe, cette normalisation est largement conditionnée par une prise de distance de Damas vis-à-vis de Téhéran. C’est là que l’on retrouve les attendus incertains de l’annonce du rétablissement des relations entre Ryad et Téhéran.

Propos recueillis par Rémi Amalvy pour Ici Beyrouth.

« La fonction sociale de l’artiste n’est pas toujours celle que l’on croit » : Marcel Amont dans la RIS

Fri, 10/03/2023 - 11:12

Décédé le 8 mars 2023, Marcel Amont fut tout à la fois compositeur, acteur, animateur à la télévision et écrivain. Il avait notamment connu de grands succès avec ses titres « Le Mexicain » et « Bleu Blanc Blond ». En 2017, il répondait aux questions de Pascal Boniface, revenant pour le compte de La Revue internationale et stratégique sur son parcours, son rapport à la géopolitique et sa perception du rôle social de l’artiste.

 

« La fonction sociale de l’artiste n’est pas toujours celle que l’on croit », entretien avec Pascal Boniface, La Revue internationale et stratégique, n° 106, IRIS Éditions – Armand Colin, été 2017, p. 7 à 17 (en libre accès).

 

Pourrions-nous revenir un instant sur votre parcours et sur ce qui vous pousse encore à monter sur scène à l’âge de 88 ans ?

Marcel Amont – J’ai renoncé à être professeur d’éducation physique il y a maintenant soixante-dix ans pour choisir, au grand dam de mes parents, le métier d’artiste. J’ai fait le Conservatoire d’art dramatique, joué les valets de Molière, été chanteur d’orchestre. En 1950, j’ai compris qu’il ne se passait pas grand-chose à Bordeaux. Alors, j’ai fait le grand saut vers la capitale où, évidemment, personne n’attendait le jeune Marcel Miramon. Puis, les choses ont commencé à fonctionner. Pourquoi aurais-je abandonné ?

Depuis, cela reste ma vocation, ma raison de vivre, et je ne vois pas à 88 ans ce qui pourrait me donner autant de plaisir. Et puis, je ne sais rien faire d’autre. Mais j’ai pris des risques à cette époque. Mon père disait toujours : « tu n’auras pas de retraite, tu te figures qu’on va te payer pour chanter des bêtises ? »

Quelles ont été vos influences et vos sources d’inspiration ?

Marcel Amont – L’arrivée du poste de TSF dans les foyers ouvriers – puisque de paysans, mes parents sont devenus ouvriers – a véritablement changé la vie. C’était très œcuménique. Du jour au lendemain, nous avions accès à tout, en vrac : Berthe Sylva, des chanteurs d’opéra, Ray Ventura, Jean Sablon, Charles Trenet. Tout cela cohabitait, c’était le Bombay de Salman Rushdie, il n’y avait pas de clivages, les influences étaient tous azimuts. Bien entendu, je préférais entendre Jean Sablon, Ray Ventura et ses Collégiens et, évidemment, Charles Trenet. Mais nous recevions toutes ces influences en même temps.

Quel était alors votre rapport à la géopolitique ?

Marcel Amont – Ma génération – j’avais dix ans au moment de la déclaration de guerre – a baigné dans une actualité terrible dès le plus jeune âge. Souvent, les gens qui ne connaissent pas l’histoire me disent : « à Bordeaux, vous étiez en zone libre ». Non seulement nous étions en zone occupée et nous avons connu la botte de l’occupant, mais en plus, il s’agissait d’une base sous-marine. Nous avons été bombardés pendant toute la guerre, qui plus est par nos amis, qui cherchaient à nous délivrer. Nous étions donc dans l’actualité la plus brûlante, la plus terrifiante à longueur de journée. On écoutait Londres et on voyait bien que ce qu’on lisait dans les journaux autorisés à la publication n’était pas cohérent. On suivait tout cela sur la carte en piquant des petits drapeaux. Je peux encore vous dire où sont Benghazi, El Alamein, Bir Hakeim, Smolensk, etc. On était plongé dans l’actualité des belligérants à longueur de journée. On vivait les privations, on n’avait pas à manger, on prenait des bombes et on écoutait les informations. Les gens de ma génération étaient au sein même de l’actualité : comment y échapper ?

Est-ce cette comparaison entre le discours officiel des journaux pétainistes et l’écoute de Radio Londres qui a forgé votre esprit critique ?

Marcel Amont – Bien sûr, totalement. Aujourd’hui encore, je continue à douter en permanence. Les gens assénaient à l’époque des vérités premières, même mes braves parents chacun de leur côté, avec beaucoup de bonne foi. Et puis, ils m’ont donné la chance de poursuivre mes études après l’école primaire. Cela est capital pour aider à se débarrasser éventuellement d’œillères familiales.

Deux vérités premières différentes donc, puisque votre père était communiste et votre mère catholique.

Marcel Amont – Différentes mais qui, tout compte fait, se rejoignaient. Mon père n’était pas inscrit au Parti – ce qui lui a sauvé la vie d’ailleurs pendant l’occupation.

Puis, grâce à l’école, on reste quinze jours sur Socrate, la maïeutique, le positivisme, Auguste Comte. Tout à coup, on a l’impression que l’on peut devenir critique sur tout un ensemble de sujets. J’ai donc développé mon esprit critique entre « papa coco » et « maman catho », plus le fait d’écouter Londres pendant que la presse et la radio pétainistes disaient autre chose, plus le fait que ce qu’on me disait à la maison et à l’école ne correspondait pas tout à fait.

C’est terrifiant d’ailleurs, je suis tellement hanté par le doute que je suis très désemparé par ce qui se passe autour de moi pratiquement depuis que je suis né, mais particulièrement en ce moment. Comme il serait merveilleux, comme ma mère et sa sœur, de pouvoir botter en touche. Botter en touche, pour moi, c’est croire en Dieu. J’aimerais bien, mais cela ne vient pas. Heureusement, il me reste quelques convictions solides sur des sujets que je juge essentiels.

En 1956, vous faites la première partie d’Édith Piaf. C’est aussi l’année du soulèvement de Budapest. Comment vivez-vous alors ces événements ?

Marcel Amont – Je n’étais déjà plus dans la mouvance de mon père. Je n’avais pas à me désintoxiquer d’une influence : c’était déjà fait. J’ai parfaitement compris, et mon père aussi je crois, même s’il n’en parlait pas – même plus tard après qu’il m’eut accompagné durant ma tournée en URSS.

L’insurrection de Budapest et la façon dont le pacte de Varsovie, enfin dont les Russes ont réagi était très violente. Je retrouvais ce que j’avais vécu : là où il y a toute forme d’occupation étrangère – y compris le colonialisme ! –, les vainqueurs tiennent la matraque. Il est évident que les peuples cherchent la liberté et se battent pour la gagner ; encore ne faut-il pas que les forces en présence soient disproportionnées.

Il y eut ensuite différentes crises dans les années 1960 : le mur de Berlin, les missiles de Cuba. Comment les avez-vous perçues, à la fois personnellement et en tant qu’artiste ?

Marcel Amont – Je ne suis pas un artiste engagé dans son répertoire. Je trouve que c’est la chose la plus difficile à faire au monde que de faire passer des messages, des idées dans des chansons. C’est un don qui n’est pas à la portée du premier venu ; les bonnes intentions ne tiennent pas lieu de talent ; ne s’appelle pas Georges Brassens – et quelques rares autres – qui veut. C’est très difficile de ne pas tomber dans la médiocrité du prêchi-prêcha.

Moi, je chante les fleurs et les petits oiseaux, ma vocation est d’amuser la galerie. Mais en tant que citoyen du monde, je me tiens informé. On savait très bien qu’à l’origine Fidel Castro n’était pas communiste, on connaissait le blocus que les Américains imposaient dans leur territoire de chasse et le fait que Cuba était le casino et le bordel des États-Unis.

Je n’ai pas réagi publiquement. En quoi étais-je pertinent aux yeux et aux oreilles des gens pour manifester mon opinion ?

Vous avez évoqué le mur et le blocus de Berlin, les couloirs aériens selon un itinéraire bien précis, etc. Il n’y avait en réalité pas d’après-guerre, la guerre continuait à travers le monde sous d’autres formes. Tout cela a tellement d’importance, mais il faudrait être spécialiste. On a des vues globales, on essaie de s’informer ; même si cela se passe à l’autre bout du monde, cela peut nous concerner directement demain matin. C’est là qu’il faut se référer aux spécialistes si le sujet nous intéresse. D’ailleurs, je ne peux pas réussir à comprendre que cela n’intéresse pas du tout certaines personnes. Un copain m’a dit un jour – je ne dirai pas son nom, un compositeur de talent : « toi qui t’intéresses à tous ces trucs, qu’est-ce que c’est cette histoire de Biafra ? » Il y avait déjà 1 million de morts.

Évidemment, en tant que citoyen de la République française, il va de soi que je m’informe également et, globalement, je sais généralement où je mets les pieds.

Au moment de la crise de Cuba, craignez-vous une guerre nucléaire ?

Marcel Amont – Nucléaire, je ne sais pas, mais nous étions inquiets de voir des fusées en face de la Floride, bien sûr. Mon ami Pierre Tchernia était aux États-Unis pour une émission et il craignait que la guerre éclate et de ne pas pouvoir rentrer. Tout le monde avait peur.

Plus généralement, comment percevez-vous les grandes évolutions actuelles ? Avez-vous le sentiment d’un progrès général ou que les situations se dégradent ?

Marcel Amont – Il semblerait, d’après ce que je lis à droite et à gauche – tiens, je n’avais pas pensé que cela pouvait être un lapsus –, qu’on tendrait globalement vers un progrès, mais en passant par des péripéties dramatiques, des combats d’arrière-garde de toutes sortes à travers le monde. Je regarde évidemment consterné ce qui se passe au Moyen-Orient, en Corée du Nord, et même aux États-Unis et en Russie.

Il est vrai que les progrès technologiques sont impressionnants. Je vois encore ma grand-mère allant à la fontaine portant une cruche sur sa tête. Et maintenant, je vois des choses tellement incroyables. Un jour, j’étais avec mes enfants et nous regardions une retransmission d’une émission à laquelle je participais : eux trouvent naturel de voir leur père à côté d’eux et sur l’écran en même temps.

Je vois bien qu’il y a des progrès. On me dit toujours : « dans les Pyrénées, au grand air, les gens vivaient sainement ». Mes deux grands-pères étaient bergers et sont morts dans la quarantaine d’un chaud et froid. Là, les progrès sont évidents. On opère des gens à distance, on envoie une fusée se poser sur un satellite, etc.

Mais au-delà de cet indéniable progrès technique, les gens vous semblent-ils plus heureux ou mieux traités qu’auparavant ?

Marcel Amont – Tout est relatif. Ma mère, qui avait six ans quand son père est décédé, me dépeignait sa vie d’orpheline : « tant que l’on n’a pas connu autre chose, on pense que c’est comme cela, la vie ». Depuis les milliards d’années où les cellules ont commencé à s’agglomérer et se combiner pour devenir l’Homo erectus, puis l’Homo Sapiens, à quel point en est-on, en 2017, de l’évolution ? Chi lo sa[1] ? Je ne suis pas assez pertinent pour vous dire si l’on est en progrès ou non. C’est une interrogation que je me pose beaucoup, comme tout le monde, je suppose et j’espère.

Revenons à l’artiste, à propos duquel vous avez précédemment évoqué la notion d’engagement. Lui accordez-vous une fonction sociale particulière ?

Marcel Amont – Oui, et elle n’est pas toujours celle que l’on croit. J’ai eu personnellement la chance, je le répète, que mes parents m’envoient faire « mes humanités », comme on disait.

Est-ce que s’engager signifie prendre parti professionnellement sur des sujets de société ou non ? Je n’en suis pas sûr. J’ai personnellement toujours voulu être dans la mesure. Je le redis, si l’on juge que l’on n’a pas le talent pour changer la société, pour donner à penser aux gens, ce n’est déjà pas si mal de les faire sourire. C’est là où cette fonction existe. Modestement.

Par exemple, je me suis intéressé sur le tard à la peinture, que je ne connaissais pas, parce qu’à l’école et même au lycée on n’en parlait pas du tout. Quand on pense que Sandro Botticelli a dû brûler toutes ses toiles pour ne plus peindre que des descentes de croix, parce que l’inquisition lui avait dit qu’il irait en enfer… J’aime mieux voir sa Vénus, mais il est vrai qu’à l’époque, il ne fallait gagner son paradis qu’en parlant de choses sérieuses, en n’évoquant que les choses de la religion. Guernica est un chef-d’œuvre « engagé » ; cela ne condamne pas Antoine Watteau, Raoul Dufy ou Paul Cézanne à l’oubli éternel ou au mépris.

On peut ne voir en cela qu’un plaidoyer pro domo, mais moi, je suis un amuseur et je me revendique comme tel. Mais je sais le prix de mon bulletin de vote, j’ai connu l’occupation, et j’essaie d’être un citoyen. Je pense que la fonction de l’artiste – c’est là un des sujets qui me préoccupe le plus – est d’apporter, à sa façon, quelque chose aux autres. Personnellement, je répète que je prétends leur apporter un peu de gaieté, de bonne humeur, avec des textes pas trop mal fichus, dont certains sont de gens comme Georges Brassens, Claude Nougaro et d’autres qui sont de mon cru. Et je pense que ce n’est déjà pas si mal.

Vous considérez qu’une chanson doit être mise en scène pour être valorisée. Pensez-vous qu’il en va de même pour le discours politique ?

Marcel Amont – Il est des textes qui, se suffisant à eux-mêmes, se dispensent de toute mise en scène ou de toute intervention gestuelle. Moi, c’est mon fonds de commerce de me mettre en scène et de jouer des personnages. Peut-on faire un parallèle avec le discours politique ? Il me semble que non. Cela peut fonctionner quand l’on est un tribun : autrefois, j’imagine qu’il en était ainsi, que Léon Gambetta ou Georges Danton devaient être des voix du tonnerre. J’ai vu des documents où l’on voit Lénine monter sur une charrette et parler : là, c’est le tonus qui passe dans la voix. Mais mettre en scène un discours, c’est quoi ? Je ne sais pas. Cela a son importance, tout de même. Est-ce qu’il est nécessaire qu’il en soit ainsi ? Là non plus, je ne suis sûr de rien. En tant que Béarnais, j’aime bien François Bayrou comme individu. Mais ses traces de bégaiement le desservent un peu, qu’on le veuille ou non, alors que le timbre généreux de Jean-Luc Mélenchon valorise son discours.

 

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[1] NDLR : Qui sait ?

Retour sur la Conférence de haut niveau sur le Yémen : quelle aide prévue pour 2023 ?

Thu, 09/03/2023 - 17:59

Depuis 2014, le Yémen est le théâtre d’un conflit brutal qui oppose les forces pro-gouvernementales appuyées par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite et les rebelles houthis soutenus par l’Iran qui contrôlent une partie du pays, entraînant une des pires crises humanitaires de ce début du XXIe siècle. Pour tenter d’y répondre et mettre en lumière ce conflit oublié, les Nations unies ont organisé à Genève une Conférence de haut niveau dédiée au Yémen, le 27 février dernier. Quels en étaient les objectifs et avec quels résultats ? Au vu de l’ampleur de la crise humanitaire, quels sont les besoins du Yémen à court et moyen terme ? Le point avec Fatou Élise Ba, chercheuse à l’IRIS, en charge du Programme Humanitaire et Développement.

Quels étaient les objectifs de cette conférence ?

Les Nations unies ont organisé la Conférence internationale des donateurs pour venir en aide au Yémen après huit ans de guerre. Le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a mis en évidence, en amont de cet évènement, des besoins humanitaires sans précédent et des populations extrêmement vulnérabilisées. Cette conférence arrive à point nommé afin d’identifier les besoins et mettre en place un plan stratégique qui permette d’offrir des réponses efficientes à une situation d’urgence et à des années de conflit. Cette conférence de haut niveau avait donc comme premier objectif de capter des fonds et d’assurer l’engagement des donateurs. Et c’est donc 1,2 milliard de dollars qui ont été captés, malgré les besoins estimés par le Plan de réponse humanitaire pour le Yémen (HPR) à 4,3 milliards de dollars pour aider 17,3 millions de personnes. Cette conférence s’inscrit dans une continuité d’actions engagées en 2022.

De la même manière, l’année passée, alors que la situation du Yémen était tout aussi  inquiétante et qu’il y avait une escalade du conflit, l’ONU avait fait un appel et organisé une conférence des donateurs pour le Yémen. Seule la moitié de la somme demandée avait été récoltée, source de questionnement pour les ONG et les organisations humanitaires dans la mesure où quasiment au même moment, la guerre en Ukraine a mobilisé et démontré une possibilité de débloquer plusieurs milliards de dollars dans des délais très courts pour répondre à des besoins urgents.

De manière plus stratégique, cette conférence avait pour objectif de sensibiliser les bailleurs de fonds, les acteurs internationaux et plus largement l’opinion publique, sur la grave crise humanitaire au Yémen et bien sûr, d’appeler à la fin du conflit. Ce qu’il se passe dans ce pays est une crise non visible, qu’on peut qualifier de « crise oubliée », dans la mesure où elle dure depuis trop longtemps, que les fonds engagés dans sa riposte ne correspondent pas totalement aux besoins réels des populations vulnérables, et que les médias internationaux ne s’emparent pas massivement de la question.

Au vu de l’ampleur de la crise humanitaire, économique et climatique, quels sont les besoins du Yémen à court et moyen terme ?

L’OCHA estime à ce jour que deux tiers de la population ont des besoins humanitaires et de services de protection. Le HPR a pour ambition de toucher en 2023 les 17,3 millions de personnes impactées par le désastre humanitaire. On estime que 80 % de la population a des difficultés d’accès à de la nourriture de base, à l’eau potable et à des services de santé. Le Yémen, c’est également plus de 4 millions de déplacés internes selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cette crise est, à l’heure actuelle, une des plus grandes crises humanitaires au monde et l’escalade de la violence entre 2021 et 2022 a accentué la vulnérabilité des populations. Par ailleurs, la situation humanitaire se détériore malgré la négociation d’une trêve entre avril et octobre 2022. Femmes et enfants souffrent de manière plus accrue et les violences basées sur le genre sont exacerbées selon le Fonds des Nations unies pour les populations (UNFPA). De surcroît , le pays est fortement menacé par les catastrophes naturelles. La sécheresse s’intensifie de plus en plus, tout comme l’insécurité alimentaire, ce qui rend la zone plus sujette aux situations de conflits et de crises. Le Yémen est l’un des pays les plus pauvres au monde, avec un fort niveau d’endettement et une économie très dépendante de l’aide internationale. Cette crise est multifactorielle et doit être abordée de manière pluridimensionnelle.

À court terme, il y a un véritable  enjeu en matière de résolution de conflit, les civils  étant les premières victimes. Il est nécessaire pour les instances internationales d’apporter une réponse cohérente avec un plan de financement associé qui ne soit pas minimisé. L’organisation Care a notamment pointé du doigt l’incohérence de la part de certains États occidentaux, notamment la France, qui ont vendu des armes aux belligérants, mais contestent la perpétuation du conflit. En outre, les fonds récoltés pour financer le HPR pour le Yémen restent insuffisants si l’on veut pouvoir riposter de manière efficiente aux causalités structurelles de la crise et aux réelles causes de la pauvreté chronique. Sur le long terme, il y a des besoins concernant plus largement le développement économique du pays,  la consolidation de la paix, la mise en place d’un processus de justice transitionnelle, la gestion des risques liés aux catastrophes naturelles, etc. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a également souligné que le manque de fonds risque d’aggraver la crise humanitaire. On peut donc craindre de faire face à un constat similaire lors de la prochaine Conférence de haut niveau en 2024…

En avril 2022, l’ONU avait réussi à obtenir une trêve, renouvelée à plusieurs reprises, entre les rebelles houthis et le gouvernement. Celle-ci n’est plus en vigueur depuis le mois d’octobre dernier. Quel est l’impact d’une reprise des combats sur l’aide humanitaire ? Que peut mettre en place l’ONU avec les différents acteurs locaux et régionaux pour parvenir à une nouvelle trêve ?

Effectivement, dès novembre 2022, l’ONU s’est inquiétée de la non-prolongation de l’accord de trêve. Durant la période de trêve, les acteurs humanitaires avaient pourtant noté une forte baisse des pertes civiles. La fin 2022 a notamment été le moment, pour les instances internationales et les ONG, de renouveler leur appel de fin de conflit. On estime qu’il n’y aurait pas de véritable reprise du conflit, en tout cas, tel que le Yémen l’a connu les huit années précédentes. Cependant, plusieurs incidents impliquant les forces gouvernementales et les Houthis, notamment des bombardements, ont été notifiés par le Bureau des droits de l’homme des Nations unies. Mais ce n’est pas parce qu’il y a une baisse du conflit que la situation du Yémen s’arrange dans la mesure où la pauvreté devient d’autant plus chronique, les besoins humanitaires sont toujours alarmants et les réponses restent trop faibles pour entrevoir une accalmie réelle. La crise économique continue aussi de s’accentuer et la situation sécuritaire des civils n’est toujours pas garantie.

Les efforts de la part des acteurs de l’aide, ONG et instances internationales, doivent être concentrés dans l’appui aux acteurs locaux et aux organisations de la société civile. Au Yémen, dans ce cadre de déstructuration des institutions étatiques et d’instabilité, ces acteurs  ont un rôle de soutien d’urgence de la population et pallient le rôle de l’État à travers la distribution de kits alimentaires, l’accès à des services de santé de base, etc. Par ailleurs, la sécurité des personnels humanitaire mériterait d’être améliorée sur le terrain, je fais notamment référence à la disparition et la détention de plusieurs membres du personnel humanitaire. Les femmes travailleuses humanitaires yéménites subissent par ailleurs des contraintes d’actions, étant dans l’obligation de rester sous la tutelle d’un homme, ce qui, de fait, freine la bonne mise en place des programmes et les empêche de mener à bien leurs missions, selon Amnesty International. Et ceci particulièrement dans les programmes de santé générale, de santé reproductive et plus largement pour l’aide apportée aux femmes et aux filles sur place. Cette règle du marham dans les zones contrôlées par les Houthis aurait entrainé, selon OCHA, plusieurs annulations de déplacement et de livraisons d’aide humanitaire. Face à la ségrégation entre les sexes, la situation des femmes et des filles semble très inquiétante. Les prochaines grandes discussions de médiation devront aborder la résolution de la crise et spécifiquement la condition des femmes et filles qui ne démontre pas, pour l’instant, une amélioration.

Ukraine : le Brésil se mobilise

Wed, 08/03/2023 - 18:07

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Amérique latine/Caraïbe, vous donne régulièrement rendez-vous pour ses “Chroniques de l’Amérique latine”. En direct de Brasilia, et suite à sa rencontre avec le conseiller spécial du président Lula pour les questions internationales, Celso Amorim, il nous partage les propositions du gouvernement brésilien en faveur de la paix en Ukraine.

➡️ Retrouvez tous les épisodes des « Chroniques de l’Amérique latine » sur la chaîne YouTube de l’IRIS : https://youtube.com/playlist?list=PL3c38cSa3wcDZJsQpzOJLqZzxFCWqJTPj
📽️ « L’Europe et le Brésil : un nouveau départ ? » : https://www.youtube.com/watch?v=fCdNevML38A
📽️ « Discours d’investiture de Lula : des engagements et des défis » : https://youtu.be/od9SpixUkUo
📽️ Podcast Comprendre le monde – « Le Brésil et l’Amérique latine face à la guerre en Ukraine », Christophe Ventura invité de Pascal Boniface : https://youtu.be/NGyoxFmmyac
📄 Les notes du programme « Amérique latine/Caraïbe » de l’IRIS : https://www.iris-france.org/programmes/amerique-latine-caraibe/
📕 Pour se procurer son ouvrage « Géopolitique de l’Amérique latine », Eyrolles (2022) : https://www.iris-france-boutique.org/collection-geopolitique-eyrollesiris/252-geopolitique-de-l-amerique-latine.html

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