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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 3 days ago

Discours sur l’état de l’Union : la stratégie de l’UE sur les puces et les microprocesseurs

Fri, 17/09/2021 - 15:12

Edouard Simon vous donne régulièrement rendez-vous pour sa chronique « Vu d’Europe » traitant de l’actualité de l’Union européenne et de ceux qui la font. Cette semaine il revient sur l’adoption d’une stratégie sur les puces et les microprocesseurs, proposée par Ursula von der Leyen lors de son discours sur l’état de l’Union prononcé le 15 septembre 2021.

➡️ Retrouvez tous les épisodes de la chronique « Vu d’Europe » sur la chaîne Youtube de l’IRIS : https://cutt.ly/sEyvtUY

 

« Au-delà du mirage » – 4 questions à Etienne Copel

Fri, 17/09/2021 - 12:16

Etienne Copel avait défrayé la chronique lorsqu’il avait démissionné de l’Armée de l’air en 1984 et publié un livre choc « Vaincre la guerre » qui critiquait sur de nombreux points la posture de défense de la France. Major de l’Ecole de l’air et de l’Ecole supérieure de guerre, il était devenu le plus jeune général de France. Si on peut ne pas partager toutes les opinions de l’auteur, son intégrité et sa sincérité sont indiscutables. Avec « Au-delà du mirage », paru aux éditions Favre, il nous offre un livre passionnant, de ses mémoires où il revient sur les sujets essentiels à son regard sur les enjeux sécuritaires.

Vous êtes toujours favorable à l’énergie nucléaire mais réticent face à la dissuasion alors que vous avez largué une bombe atomique sur Mururoa…

Il n’y a plus de contestation sérieuse de la relation directe entre la combustion des énergies fossiles, la hausse de l’effet de serre et le dramatique réchauffement de la planète. Alors tout ce qui crée de l’énergie sans rejeter de gaz carbonique est bon à prendre. Le nucléaire a cette caractéristique, sachons en profiter. L’urgence climatique est telle qu’il faut faire feu de tout bois. Certes le nucléaire a ses défauts mais son rejet systématique n’est pas raisonnable. Même les problèmes posés par les déchets sont minimes par rapport aux désastres que causent et vont causer la hausse des températures, en particulier au sein des pays les plus pauvres de la Terre.

Oui, j’ai largué une bombe atomique au-dessus du Pacifique, je n’en suis pas honteux. Il fallait montrer que la technologie française devait être prise au sérieux. Suis-je aujourd’hui réticent face à la dissuasion ? En fait je suis toujours persuadé qu’il est plus difficile d’attaquer ou de faire chanter un pays nucléaire qu’un pays qui ne l’est pas. Donc, je ne rejette pas en bloc toute forme de dissuasion nucléaire. En revanche, j’estime qu’il ne faut pas « en rajouter ». Il n’est absolument pas nécessaire de moderniser sans cesse notre arsenal. C’est contraire à l’esprit du TNP (Traité de Non-Prolifération nucléaire) et cela prive nos armées de ressources financières qui pourraient être plus utiles ailleurs. En particulier, pour nos forces d’intervention face aux terroristes islamistes en Afrique.

Vous avez attiré l’attention il y a juste 30 ans sur le risque représenté par les centrales nucléaires face au terrorisme, aujourd’hui par les barrages…

Oui, en 1991, dans « Le Nécessaire et l’Inacceptable », j’ai expliqué qu’on avait besoin de l’énergie nucléaire en raison des dommages à prévoir avec la hausse de l’effet de serre (le nécessaire) mais aussi qu’il fallait craindre les conséquences d’éventuelles attaques terroristes (l’inacceptable). Aujourd’hui, mes craintes sont bien moindres : les réacteurs refroidis au sodium ont été arrêtés, des gendarmes armés se trouvent à l’intérieur du périmètre des centrales et surtout « grâce » au 11 septembre 2001, les détournements d’avion par des pilotes suicides sont devenus beaucoup plus compliqués. L’EPR est même complètement protégé contre la chute d’un avion aussi gros soit-il.

Restent les barrages. Je ne veux pas contribuer à des craintes inutiles mais quelques barrages sont vulnérables à une attaque terroriste, certes difficile à mettre en œuvre mais pas plus que celles dont les Américains ont été victimes à New-York et Washington. Le plus rageant est que protéger cette poignée de barrages est simple et relativement peu coûteux.

Pensez-vous que la défense civile est insuffisamment prise en compte ?

Depuis que Maurice Schumann m’a appelé au Haut Comité pour la Défense Civile de nombreux progrès ont été réalisés. En particulier en ce qui concerne les feux de forêts. Mais il reste énormément à faire. Par exemple pour mieux préparer les populations aux conséquences d’attaques chimiques ou d’épandage de produits radioactifs.

Le plus à redouter me semble aujourd’hui la crise terroriste longue. Si, un jour, une usine chimique est attaquée, si un relais de transmission est saboté, si une voie ferrée est déboulonnée dans un tunnel, si un préfet est assassiné  … et si les attaques se répètent, le gouvernement voudra naturellement  protéger pendant des mois des multitudes de points sensibles et encadrer les nombreuses victimes de ces attaques. Or, depuis la fin du service militaire, la France n’a plus de réservistes en nombre suffisant pour faire face à toutes ces menaces.

C’est pourquoi je défends fermement le « service d’un mois » proposé par le président Macron dans la mesure où il lui donne une composante militaire marquée. L’idée serait de s’inspirer des « classes » du service militaire d’antan pour former en peu de temps non pas des combattants aptes à guerroyer Outre-mer, mais des hommes et des femmes capables d’être des sentinelles autour des points sensibles et des intervenants de première urgence en cas de catastrophe, naturelle ou non.

Vous préconisez des armes nucléaires tactique de puissance raisonnable et de grande précision. Mais n’y a-t-il pas le risque de faire des armes nucléaires non plus des armes de dissuasion mais des armes d’emploi ?

Notons d’abord que les apôtres de « La Dissuasion » avec un grand D, me font plutôt sourire lorsque, tout en fustigeant les Présidents supposés incapables « d’appuyer sur le bouton » ils se vantent de mettre en œuvre une arme de « non-emploi ». Comment peut-on faire peur, comment peut-on dissuader en affirmant que la menace que l’on brandit n’est pas faite pour être employée ?

En matière de dissuasion, la crédibilité est la qualité première. C’est pourquoi pendant la guerre froide je pensais que la menace d’emploi de nos armes contre les villes soviétiques n’était pas suffisante pour nous protéger, tant le passage à l’acte, ignorant les représailles massives qui suivraient, était peu plausible. C’est, comme je le signale dans mes souvenirs, ce que m’a clairement confirmé le Président Giscard d’Estaing.

En revanche, il me semble tout à fait crédible de dire à une puissance moyenne qui menace un pays ami d’une attaque nucléaire : « Si vous lancez une attaque atomique contre tel ou tel allié de mon pays je répliquerai sur vos forces avec le même type d’armes. »  Si je ne dispose que de bombes vingt fois plus puissantes que celle d’Hiroshima, il est peu probable qu’on me croirait car elles feraient trop de morts parmi la population civile. Mais s’il s’agit d’une arme de quelques kilotonnes capable de raser un aérodrome sans répercussions notables sur les villes avoisinantes je serais bien plus crédible je serais beaucoup plus dissuasif.

Ainsi, avec une arme nucléaire de faible puissance et de haute précision, un Président pourrait dans certains cas faire respecter les engagements de la France et protéger la paix.

Rupture du contrat sur les sous-marins australiens : quelles conséquences pour l’industrie française ?

Thu, 16/09/2021 - 17:48

L’Australie vient d’annoncer la rupture de son contrat conclu en 2016 avec la France qui prévoyait l’achat de douze sous-marins conventionnels. Quelle lecture peut-on faire de ce « changement de besoin » selon les propos du Premier ministre australien ? Quelles conséquences pour Naval Group ? Le point avec Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS.

Quelles sont les conséquences géostratégiques de la rupture du contrat de commande de sous-marins à Naval Group ?

Ce n’est certes pas une bonne nouvelle pour Naval Group mais ce qu’il faut retenir principalement c’est l’accord de partenariat stratégique, dénommé AUKUS, signé entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie.

L’Australie était inquiète de l’attitude de la Chine qui avait décrété un embargo sur les importations de charbon, de bœuf et de vin australien suite à la demande du Premier ministre australien de mener une enquête internationale indépendante sur l’origine de la pandémie de Coronavirus. Les Australiens cherchaient donc certainement une réassurance de sécurité dans la région que les États-Unis pouvaient leur offrir.

De leur côté, les États-Unis exhortaient les Occidentaux à se regrouper pour faire face à ce qu’ils considèrent être devenus la menace numéro 1 : la Chine. Or ils ne sont parvenus qu’à moitié à convaincre les Européens de conduire cette croisade anti-chinoise lors du dernier sommet de l’OTAN, notamment du fait de l’Allemagne et de la France, qui militaient pour une approche plus équilibrée vis-à-vis de la Chine. Les États-Unis ont donc certainement cherché à matérialiser au plus vite une alliance de sécurité renforcée dans la région pour laquelle le Royaume-Uni et l’Australie étaient les partenaires rêvés. Et pour donner corps à cette alliance stratégique, la fourniture de sous-marins américains en lieu et place des sous-marins français est apparue être la bonne solution au prix de la rupture brutale du contrat commercial avec Naval Group et de l’éviction de la France du partenariat stratégique avec l’Australie.

Au total, la fin du contrat de Naval Group semble donc être davantage un dommage collatéral de cet accord stratégique entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni.

Reste que cette décision est particulièrement brutale et difficile à avaler pour les Français qui en ont été écartés sans même avoir été prévenus. Or, nous sommes alliés des Américains et des Britanniques au sein de l’OTAN et nous avions conclu un partenariat stratégique avec l’Australie accompagnant ce contrat de sous-marins, accord qui a été rompu.

Cela montre une nouvelle fois, après l’épisode afghan, que lorsque les Américains considèrent que leurs intérêts de sécurité ne recouvrent pas exactement ceux des Européens, ils agissent désormais seuls. L’unilatéralisme n’est plus le seul apanage des Républicains comme on pouvait le penser sous George W. Bush ou sous Donald Trump, cette méthode est devenue une des clés de l’action des États-Unis aujourd’hui.

Quant aux Britanniques, dont on a peu parlé dans cet accord, la doctrine « Global Britain », qui a accompagné le Brexit et qui devait signifier une plus grande indépendance et un plus grand rayonnement du Royaume-Uni sur la scène mondiale, semble en réalité devenue la doctrine « Global Partnership » avec les États-Unis. C’est inquiétant pour le futur des accords franco-britanniques de Lancaster House dans le domaine de la défense et de la sécurité.

La santé financière de Naval Group est-elle mise en cause par la fin du contrat australien ?

À court terme, il n’y a aucun risque majeur. Naval Group était payé au fur et à mesure du contrat, et les Australiens devront payer un dédit sur la rupture du contrat estimé dans la presse australienne à 400 millions de dollars. Toutefois, Naval Group était en train de négocier la phase 2 du contrat, la phase de définition, pour un montant de 1,4 milliard d’euros. Cela représente donc une perte sèche. Surtout, tout l’investissement réalisé sur place par Naval Group ou par les entreprises de la chaîne d’approvisionnement de Naval Group est perdu. Il va falloir rapatrier les personnels, leur trouver une activité.

Aujourd’hui, l’activité de Naval Group est largement assurée par les commandes de l’État français : la fourniture des sous-marins Barracuda est en cours, les premières études du nouveau porte-avions commencent et il faudra bientôt commencer à étudier et donc à financer la nouvelle génération de SNLE. Mais la commande publique française ne suffira pas sur le long terme à faire vivre Naval Group dans son périmètre actuel. Il faut donc des exportations pour compléter la commande publique française, à l’image du contrat passé avec les Australiens. Il s’agissait un méga-contrat – plus de 50 milliards d’euros – qui offrait à Naval Group une visibilité en termes d’activité sur 20 ans. Bien conduit, ce contrat était une garantie de sécurité de l’entreprise. Ce n’est plus aujourd’hui le cas même si Naval Group a des contrats exports en cours de réalisation et des prospects dans des pays comme les Philippines, l’Indonésie ou les Pays-Bas. La pression va donc être plus forte sur la direction commerciale de Naval Group.

Que peut-on dire du sous-marin américain qui sera vendu aux Australiens ?

À part que le sous-marin sera à propulsion nucléaire : rien ! L’appel d’offres conclu en 2016 entre Naval Group et l’Australie l’était pour la fourniture de sous-marins à propulsion classique. Et si aujourd’hui les Australiens se tournent vers les Américains, ce n’est pas parce que les Français ne pouvaient pas livrer des sous-marins nucléaires : le sous-marin proposé par Naval Group était dérivé du Barracuda français qui est un sous-marin à propulsion nucléaire. Donc les Français pouvaient parfaitement satisfaire la nouvelle demande des Australiens.

En revanche, les Britanniques et les Américains ne fabriquent pas de sous-marins à propulsion classique, ils ne fabriquent que des sous-marins à propulsion nucléaire, et ni l’un ni l’autre n’ont jamais vendu des sous-marins à l’export.

L’offre américano-britannique laisse en réalité perplexe sur plusieurs points.

En premier lieu, une des conditions que devait remplir Naval Group pour gagner le contrat australien était que les bateaux soient construits en Australie. L’objectif était de rebâtir de A à Z une capacité australienne dans le domaine de l’industrie navale dans la région Sud de l’Australie et Naval Group avait accepté que 60% de la valeur du contrat – environ 20 milliards d’euros – soient dépensés en Australie. C’était un objectif très ambitieux à atteindre. De ce fait, on voit mal comment un tel objectif pourrait être atteint avec un sous-marin américain à propulsion nucléaire à la technologie plus sensible que le sous-marin français, et en plus couvert par la législation américaine ITAR, très restrictive sur les transferts de technologie.

En second lieu, on voit mal les Américains ou les Britanniques développer un sous-marin spécifique pour les Australiens. On prendra donc soit le design de la Virginia Class américaine ou de l’Astute britannique. Ce sont de très gros sous-marins d’environ 7 500 tonnes, alors que le Barracuda français fait 5 000 tonnes et sa version australienne devait avoisiner les 4 000 tonnes. À tout ceci, il faut ajouter que les Britanniques ont connu de multiples retards et surcoûts sur leurs sous-marins Astute, qu’ils n’ont pu terminer de développer qu’avec l’aide d’ingénieurs américains. Le sous-marin vendu par les Américains et les Britanniques coûtera donc certainement très cher aux Australiens, la durée de réalisation d’un tel projet, qui n’a même pas été réellement envisagée, risque d’être très long et les Australiens ne seront pas près de sitôt de remplacer leurs sous-marins de la class Collins.

De ce fait, le sentiment est qu’Américains, Australiens et Britanniques ont signé un accord politique au niveau de leurs dirigeants, avec quelques grandes lignes directrices dont cette fourniture de sous-marins, mais que rien n’a réellement été défini pour mettre en place les termes de cet accord. Quand on connaît les difficultés pratiques auxquelles a été confrontées Naval Group dans le contrat australien, on a du mal à imaginer la faisabilité du projet américano-britannique sauf à ce que les Australiens renoncent au développement de leur industrie navale dans le sud de l’Australie.

 

 

Discours sur l’état de l’Union d’Ursula von der Leyen : vers un renforcement du rôle de l’UE en matière de défense ?

Thu, 16/09/2021 - 17:13

Edouard Simon vous donne régulièrement rendez-vous pour sa chronique « Vu d’Europe » traitant de l’actualité de l’Union européenne et de ceux qui la font. Cette semaine il revient sur le volet défense du discours sur l’état de l’Union prononcé le 15 septembre 2021 par Ursula von der Leyen.

Rupture du contrat des sous-marins : « Il s’agissait d’un partenariat stratégique sur 50 ans avec l’Australie »

Thu, 16/09/2021 - 16:46

Cette résiliation de contrat est-elle un « coup dans le dos », comme l’a martelé le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian ?

Oui. Nous avions ce contrat avec les Australiens, il est rompu brutalement. Les Américains ont d’abord souhaité conclure une alliance de sécurité dans la région avec les Britanniques et les Australiens. Et ils ont dû faire pression sur eux. Les Australiens, qui ont fait l’objet d’un embargo de la Chine, étaient beaucoup plus inquiets en termes de sécurité qu’ils ne pouvaient l’être il y a cinq ans, lors de la conclusion du contrat. À un moment, la question des sous-marins est entrée dans la discussion. D’où cette vente. Sachant que les Américains n’ont jamais vendu de sous-marins nucléaires, qu’on ne sait pas de quel type d’appareils il s’agira. Il se pourrait d’ailleurs que ce soit des sous-marins britanniques.

Dans quelle mesure s’agissait-il d’un contrat important pour la France ? 

On y avait mis énormément d’énergie. Ce contrat avait été gagné de haute lutte dans une compétition avec les Allemands et les Japonais, sans les Américains à l’époque. Ils sont entrés « par la fenêtre » ces derniers mois. C’est ce qui agace énormément les Français : on est, théoriquement, entre alliés. C’est une forme de trahison. Il faut savoir qu’il s’agit d’un très gros contrat, plus de 30 milliards d’euros pour 12 sous-marins. Ce sont des appareils de la taille du Barracuda, très gros. Nous avions fait un énorme effort diplomatique pour gagner ce contrat, qui allait beaucoup plus loin qu’une simple vente : il s’agissait d’un partenariat stratégique sur 50 ans avec l’Australie ! On s’était engagé pour la sécurité de la région.

Il s’agissait par ailleurs de sous-marins nucléaires, convertis pour être conventionnels. On était donc capable de fournir ce que demande aujourd’hui l’Australie. C’est une rupture d’alliance, brutale. Et imprévue : Américains et Britanniques se sont bien gardé de prévenir les Français qu’ils étaient en train de négocier. D’où la colère de Paris sur le sujet. D’autant plus que les Australiens étaient en train de faire pression sur Naval Group pour faire baisser le prix du contrat…

La France fait-elle les frais des ambitions des USA dans la région indo-pacifique ?

Les Américains faisaient pression sur leurs alliés de l’Otan pour que la Chine soit mise en tête de liste des menaces. Ce que les Européens n’ont pas accepté, lors du dernier sommet de l’Organisation. Français et Allemands se sont, d’une certaine manière, opposés aux États-Unis en souhaitant avoir un discours plus mesuré. Les États-Unis se sont dit : « N’attendons pas nos alliés, tournons-nous vers les Australiens et les Britanniques ». Ces derniers sont d’ailleurs en train de s’aligner de plus en plus nettement sur les Américains. On le voyait à l’Otan, on le voit sur ce nouveau pacte Aukus. Cela ne sera pas sans conséquences négatives sur l’avenir du traité de Lancaster House (conclu en 2010 entre Paris et Londres, et destiné à un rapprochement en matière de défense, NDLR).

Que nous dit ce revirement australien sur la place de Paris dans le ballet diplomatique international ? La voix de la France pèse-t-elle encore ?

Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’influence française. Mais il faut bien voir quel est le motif de cette alliance : se défendre contre la Chine. Quelle sera la réaction de Pékin ? Ce qui vient d’être décidé peut être perçu comme une marque d’agressivité, une posture plus offensive dans la région. Ce que ne voulaient pas les Européens. On n’allait donc pas s’aligner sur ce que voulait les Américains. On retrouve avec l’Australie le même phénomène que l’on voit avec les pays baltes, la Pologne, en Europe : quand il y a une menace majeure, on se tourne vers la puissance militaire la plus importante. À savoir les Etats-Unis et pas la France. Il faut relativiser la perte d’influence française, mais ce n’est pas agréable.

Quid de l’Europe ?

On a vu la réaction française, pas celle des Européens. Certes, la France n’est pas l’Europe, mais elle a été trahie. Tout comme les Européens l’ont été sur l’Afghanistan. Les Américains défendent leurs intérêts, avec un unilatéralisme qui ne diffère pas de celui de Donald Trump. Si les intérêts ne sont pas totalement convergents avec ceux des Européens, ce sont les États-Unis qui priment. Cela peut faire réagir les Européens, qui pourraient se demander s’ils ne vont pas subir le même coup de poignard que Paris.

Discours sur l’état de l’Union : l’Europe a-t-elle (enfin) vu la lumière sur ses tourments économiques ?

Thu, 16/09/2021 - 14:38

Lors de son discours sur l’état de l’Union devant le Parlement européen de Strasbourg, Ursula von der Leyen a promis que l’UE « ne répétera pas l’erreur » de la rigueur budgétaire commise lors de la dernière crise financière. A quelle erreur fait-elle exactement référence ? Quelles en ont été les conséquences sur l’Europe ?

Rémi Bourgeot : Au-delà de la question européenne, un débat mondial, peu inspiré sur le plan historique, avait penché en faveur de l’austérité budgétaire en pleine crise financière mondiale. Des universitaires de renom comme Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart de l’Université de Harvard, avait été jusqu’à maltraiter des données pour expliquer que dette élevée rimait avec faible croissance – ce qui ne signifiait pas pour autant qu’il faille pratiquer l’austérité en pleine crise. Mais c’est surtout en Europe que ce débat s’était matérialisé sur le plan politique, du fait des tensions entre cultures économiques nationales et du contexte de mise sous tutelle des décisions budgétaires des pays sous programmes d’aide par la fameuse « troïka ». C’est également dans ce contexte qu’a été développée par la BCE, comme pour pallier le manque de soutien budgétaire, une réponse monétaire devenue peu à peu illimitée, au péril des pires bulles financières et immobilières.

Aujourd’hui, l’UE a-t-elle définitivement tiré les leçons de 2008 ?

Si l’austérité et la mise sous tutelle aveugle des pays sous aide ont effectivement été une aberration, cela ne suffit pas qu’il suffise de faire l’inverse. Des questions bien plus importantes se posent comme celle de l’inclusion des compétences, en particulier technologiques. Toute politique qui conduit à l’exclusion d’une génération est catastrophique. Ça a été un des effets des politiques d’austérité aveugles. On peut pour autant imaginer une politique de soutien et de dépense massive qui cible certaines catégories tout en laissant se poursuivre ou s’accélérer un phénomène d’effondrement industriel et d’exclusion généralisée des compétences concrètes. C’est dans cette situation que se trouve aujourd’hui la France et l’ensemble des pays d’Europe du Sud.

L’Allemagne n’est pas un modèle, car elle peine à se repositionner industriellement dans la révolution technologique en cours, mais jamais le pays ne s’est lancé dans une logique généralisée d’exclusion des compétences technologiques. Nos gérontocraties européennes, ultra-administratives, ne parviennent plus à concevoir une emprise sur l’économie réelle. Et il ne serait pas d’un grand secours que de chercher à trancher le bon vieux débat sur la relance keynésienne. On peut relancer à coût de milliards déversés sur l’hôtellerie-restauration et autres dérivés du mirage touristique en passant à côté des enjeux de la concurrence technologique en cours dans le monde. 

Suite à cette prise de position d’Ursula von der Leyen, à quoi peut-on s’attendre en termes d’orientation économique ? Faire le constat de l’échec de la rigueur suffit-il à régler tous les problèmes économiques de l’UE ?

L’explosion de la dette est un problème qu’on ne peut nier. Et sa gestion risque encore de justifier l’écrasement des taux par une politique de relance monétaire à l’origine de bulles qui minent aussi bien la stabilité économique et sociale que notre compétitivité. Malgré le constat d’échec quant à l’idéologie de l’austérité par temps de crise, ce sujet va peser lourdement. Les relations européennes ne manqueront pas de se tendre davantage face à cette situation, sans parler naturellement du refus accru de toute forme réelle de solidarité budgétaire, qui en découlera. L’enjeu pour tous les pays européens est aujourd’hui de mettre en œuvre les conditions d’une véritable croissance, fondé sur le progrès technologique et les gains de productivité. C’est la seule voie de sortie de cette situation d’effondrement industriel et social tout comme de la situation d’hyper-endettement. Les projets technologiques doivent revenir sur le devant de la scène, sans se laisser parasiter par de vains débats d’économistes et de bureaucrates. On constate par exemple en ce moment une prise de conscience du retard européen face à la pénurie de semi-conducteurs. Cette prise de conscience est salutaire et donne lieu à des projets intéressants. Il faudra veiller à ne pas s’égarer dans d’interminables débats macroéconomiques ni à laisser la politique technologique être prise en otage par divers effets de mode.

 

Propos recueillis par Atlantico.

Manipulation des rencontres sportives : une préoccupation grandissante au sein du monde du sport

Wed, 15/09/2021 - 20:47

Entretien avec Christian Kalb, directeur de CK Consulting, expert des paris sportifs et des questions de gouvernance du sport, dans le cadre du projet EPOSM, co-financé par le programme Erasmus + Sport de la Commission européenne.

Mené par Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Sport et Géopolitique.

En savoir plus sur le projet EPOSM – Evidence-based Prevention Of Sporting-related Match-fixing. 

Amérique latine : la discrimination des femmes n’y fait pas exception

Thu, 02/09/2021 - 16:55

Si l’on s’en tient aux médias « mainstream », la condition des femmes afghanes se trouverait au cœur des préoccupations occidentales et extrême-occidentales. L’Extrême-Occident, plus précisément l’Amérique latine, ferait figure de modèle opposé avantageusement aux réalités afghanes, au même titre que l’Amérique du Nord et l’Europe.

On n’abordera pas ici la nature de la part existant entre l’intervention armée occidentale à Kaboul et la situation de la femme afghane, afin de provoquer selon le jargon interventionniste un « regime change ». Pas plus qu’on ne traitera de la primauté accordée à cette question dans le désengagement militaire des Occidentaux. Quelques ajustements toutefois sont proposés ici, hors « regime change », concernant l’état des lieux latino-américains, contexte mieux connu par l’auteur de ce billet.

L’ex-présidente du Chili Michelle Bachelet, latino-américaine, aujourd’hui Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, a, cela dit, le 24 août 2021, posé en termes vigoureux le cadre éthique de ce qui pourrait légitimer une nouvelle intervention. La façon dont seront traitées les femmes et les filles, a-t-elle dit ce jour-là, constituera une ligne rouge. Faute de quoi, une action unie et sans équivoque des États membres signalera aux Talibans qu’un retour à ces pratiques ne sera pas accepté par la communauté internationale.

Ladite « Communauté internationale » s’accommode pourtant, sans particulière réticence, des errements discriminatoires dont sont victimes les femmes latino-américaines. Et en premier lieu de leur droit à la vie, contesté par la violence masculine.

L’Observatoire de l’égalité des genres de l’Amérique Latine et de la Caraïbe a signalé l’assassinat de 3529 femmes en 2018. Les taux les plus élevés sont enregistrés au Salvador (6,8/100 000 femmes) et au Honduras (5,1/100 000 femmes). En chiffres absolus, le Brésil et le Mexique sont en tête de ce classement avec respectivement 1206 et 898 féminicides. Le quotidien péruvien La Republica indiquait le 3 décembre 2019 qu’une femme était assassinée au Pérou toutes les 48 heures. En 2019, la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’ONU a tiré la sonnette d’alarme : 12 féminicides sont enregistrés chaque jour en Amérique latine, qui, selon la CEPAL, serait la région du monde avec les taux de violences à l’égard des femmes les plus élevés du monde. De fait, sur les 25 pays du monde aux taux les plus marquants, on en trouve 13 en Amérique latine et dans la Caraïbe.

La maîtrise de leur corps n’est toujours pas admise de façon universelle. L’IVG est condamnée par la loi au Honduras, au Nicaragua et au Salvador. Aux antipodes, Argentine, Uruguay et la ville de Mexico l’ont dépénalisée. Les autres pays ne l’autorisent quant à eux que pour des circonstances exceptionnelles : mise en danger de la vie de la mère, non-viabilité du fœtus, viol, inceste. Les codes de la famille selon une étude conjointe d’ONU femmes et du Secrétariat général ibéro-américain, signale que dans un certain nombre de pays, les femmes ne bénéficient pas de droits égaux à ceux reconnus aux hommes. L’âge requis pour se marier est par exemple beaucoup plus bas pour les jeunes filles à peu près partout, à l’exception de l’Argentine, du Chili, de l’Équateur, et du Salvador.

Dans d’autres secteurs, en particulier l’accès à la propriété et au crédit, le constat est celui d’une discrimination indirecte. Bien qu’inclusive, la loi s’applique en réalité difficilement. Seulement 30% des femmes détiennent des terres agricoles. Avec de gros écarts entre les pays : elles sont par exemple 8% au Guatemala et 30% au Panama. Les mêmes remarques peuvent être faites concernant la présence des femmes sur le marché du travail. 56% des femmes avaient, avant le coronavirus, une activité rémunérée, contre 85% des hommes.

Ce contexte d’inégalités a été amplifié par la pandémie de la Covid-19. Selon la CEPAL, la participation des femmes au marché du travail a chuté à 46% en 2020. Un pourcentage qui est le double de celui constaté pour les hommes. L’OIT (Organisation internationale du travail) a chiffré à 13,1 millions le nombre de femmes latino-américaines ayant perdu leur emploi en 2020. Ce repli est encore plus fort pour les femmes noires. D’après l’institut brésilien IBGE (Institut brésilien de géographie et de statistiques), le taux de femmes noires au chômage a atteint les 18,2% en 2020. Le phénomène a été si violent qu’une économiste argentine, Candelaria Botto, a pu le qualifier de « féminisation de la pauvreté »[1]. Qui plus est, à la pauvreté est venue s’ajouter la violence. L’ISP de Rio (Institut de sécurité publique) a enregistré 250 cas de violences à l’égard des femmes pendant le confinement entre les 13 mars et 31 décembre 2020[2]. Constat confirmé en Équateur dans la province d’Azuay par le SIS (Service intégral de sécurité)[3].

En conclusion, tout ne va pour le mieux dans le meilleur des mondes extrême-occidental. Même si en Amérique latine le quotidien des femmes n’est pas, en septembre 2021, aussi incertain qu’en Afghanistan. Des collectifs de femmes en Argentine, en Colombie, au Mexique parviennent en effet à forcer les gouvernants à respecter leurs revendications. En février 2020, l’ex-président équatorien Lenin Moreno a ainsi présenté ses excuses pour un propos déplacé sur le harcèlement où il affirmait que les femmes ne dénonceraient que si l’auteur est « un homme laid ». Près d’un an plus tard, AMLO, Andrès Manuel Lopez Obrador, président en exercice du Mexique, après avoir dénoncé la main de la droite agitant le féminisme, s’est vu contraint de préciser, le 8 mars 2021, « qu’il n’avait rien contre le féminisme (..), mais qu’il condamnait « la corruption et la manipulation ».

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[1] In « Ambito financiero », 7 mars 2021

[2] In Jornal do Brasil, 8 mars 2021.

[3] In El Mercurio de Cuenca, 8 mars 2021

Avortement : la Cour suprême refuse de suspendre une loi texane, une « gifle anti-#MeToo d’après une spécialiste des États-Unis

Thu, 02/09/2021 - 14:39

Êtes-vous surprise par cette décision ?

Il est important de préciser que la Cour suprême ne se prononce pas sur la constitutionnalité de la loi et ne se prononce pas sur le fond. Sans doute sera-t-elle amenée à le faire un jour, mais elle se prononce sur la procédure. Elle invoque des questions de procédure complexes et nouvelles qu’elle ne souhaite pas trancher. Néanmoins, évidemment, dans un contexte politique et de polarisation politique très fort aux États-Unis, et y compris au sein de la Cour suprême, il est difficile de séparer complètement les questions de fond, des questions de forme.

Le président John Roberts, qui est attentif à ne pas faire de la Cour suprême un instrument idéologique, a voté avec les juges progressistes. L’État texan, qui est sous l’influence de militants anti-avortement extrêmement puissants, extrêmement bien informés, extrêmement inventifs, a formulé la loi de manière à ce que ce ne soit pas aux autorités de faire respecter ce texte, mais exclusivement aux citoyens. Et c’est là-dessus que la Cour suprême refuse de se prononcer, non pas sur le fond.

Pensez-vous que d’autres États emboitent le pas du Texas ?

C’est très probable. Cela donne un appel d’air, ça donne une dynamique. C’est une loi très clairement d’intimidation, à la fois des femmes et des personnels médicaux, des associations. Ça signifie qu’aujourd’hui, les droits ne sont pas les mêmes pour les femmes dans l’ensemble des États-Unis. En d’autres termes, ils ne sont pas suffisamment protégés. La Cour suprême est aujourd’hui à très forte majorité conservatrice, avec trois juges ultraconservateurs nommés par Donald Trump. Mais cela s’inscrit dans une histoire plus longue depuis les années Reagan, avec une recrudescence de l’Amérique conservatrice après les années 1970, de progrès des droits des femmes. Après, il y a eu les années George W. Bush qui ont encore remis un coup contre la liberté des femmes à disposer de leur corps. On assiste dans une partie des États-Unis, comme dans d’autres démocraties comme la Pologne, ou la Hongrie, par exemple, à une gifle anti-#MeToo.

Quelle est la position de l’opinion publique ?

Elle est majoritairement favorable au libre choix. Plus de 50 % des Américains sont favorables au libre choix, notamment dans les jeunes générations, mais pas seulement. En revanche, on a des crispations identitaires et des crispations conservatrices extrêmement fortes dans une partie des États américains. Il est important de préciser que d’autres États, comme la Californie par exemple, ou d’autres encore, ont renforcé leurs lois locales pour protéger davantage l’accès à l’avortement des femmes.

Est-ce que l’avortement pourrait être interdit aux États-Unis ?

C’est tout à fait possible. On voit mal dans les mois qui viennent que l’arrêt de la Cour suprême 1973 soit complètement invalidé. En revanche, le fragiliser en donnant davantage de latitude aux États fédérés, du côté de la Cour suprême en particulier, pour faire ce qu’ils veulent, c’est un peu ce qui est en train de se passer au Texas. Il y a une décision de la Cour suprême qui est attendue aussi sur une loi au Mississippi restreignant considérablement l’avortement, dans les mois qui viennent. Mais il y a quand même une jurisprudence qui, notamment, interdit aux États fédérés de faire peser ce que l’on appelle un fardeau excessif sur les femmes dans leur accès à l’avortement. Donc, il y a des failles juridiques, il y a une interprétation de la loi et de la Constitution qui est évidemment partisane à la Cour suprême et dans les tribunaux, et on suivra ça avec beaucoup d’intérêt parce qu’effectivement les droits des femmes sont menacés aux États-Unis sur ce terrain-là.

 

Propos recueillis par France info.

L’Amérique post-Amérique

Wed, 01/09/2021 - 18:34

Traits marqués, le débit lent, Joe Biden commence à lire son prompteur devant un parterre composé des journalistes accrédités à la Maison-Blanche.

Le vieil homme qui, il y a quelques mois, confondait devant les caméras sa petite fille avec son fils Beau, disparu depuis plusieurs années, semble, en ce 26 août au soir, plus perdu, plus fébrile que jamais.

« Nous vous pourchasserons et nous vous ferons payer », dit-il. Une sémantique vengeresse en contradiction avec son langage corporel, mais surtout avec la séquence du moment, si humiliante pour l’Amérique. Dans son allocution, le 46e président des États-Unis tente de s’abriter à plusieurs reprises derrière l’avis des responsables militaires pour justifier l’abandon définitif de l’aéroport de Bagrâm, qui aurait pu servir de hub alternatif à Kaboul, ou pour expliquer le refus de renforts, au-delà des 6 000 soldats déployés pour l’évacuation. En cette triste soirée d’été, il s’accroche à sa décision de vouloir respecter la date du 31 août pour conclure le retrait américain. En vérité, il veut mettre derrière lui cette débâcle au plus vite, sans doute la plus médiatisée -donc la pire- de l’histoire de son pays.

« Nous vous pourchasserons et nous vous ferons payer » …

Oui, bien sûr, dès les jours suivants des drones américains tueront certains des commanditaires des doubles attentats qui ont eu lieu en ce 26 août à proximité de l’aéroport de Kaboul et qui ont couté la vie à 13 militaires américains, deux soldats britanniques et à des dizaines de civils afghans. Oui, bien sûr… mais la parole présidentielle ne porte plus.

Ce « nous vous pourchasserons et nous vous ferons payer » qui devait résonner dans le cœur des Américains comme le discours de George W. Bush au soir du 11 septembre 2001, tombe dans le vide.

Une certaine foi en l’Amérique est morte en ce mois d’août à Kaboul.

Biden n’est évidemment pas responsable du désastre afghan dans son ensemble, mais cette débâcle sans précédent pour la puissance américaine est son œuvre et porte sa signature. Anthony Blinken, secrétaire d’État, et Jack Sullivan, conseiller à la sécurité nationale, ont eux aussi leur part de responsabilités dans la catastrophe actuelle ; et elle n’est pas négligeable. Mais c’est bien Joe Biden qui a voulu ce retrait précipité d’Afghanistan. Retrait précipité qui n’était pas nécessaire et qui a conduit à la victoire éclair des Talibans.

Tétanisés devant leurs écrans, les Américains ont vécu les événements des dernières semaines comme une insulte, un outrage fait au drapeau à la veille des cérémonies du vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre. « Tout ça pour ça … », entend-on un peu partout.

L’Amérique, traumatisée par l’assaut contre le Capitole en janvier dernier, n’en revient pas de voir aujourd’hui sa puissance militaire, puissance qu’on lui disait sans pareille dans l’histoire humaine, mise en échec par « des paysans munis de kalachnikovs et roulants sur des mobylettes ».

Il ne s’agit peut-être pas ici de la chute de Constantinople, mais l’onde de choc de la chute de Kaboul va continuer à s’étendre pendant encore longtemps dans la société américaine et dans le monde. Et ceux qui disent que les États-Unis s’en remettront, comme ils se sont remis de la chute de Saigon en 1975, se trompent. Non seulement parce que la prise de la ville de Saïgon par l’armée populaire vietnamienne a eu lieu deux ans après le retrait américain du Viêt Nam, épargnant ainsi au public des scènes de débâcles comparables à celles d’aujourd’hui et donc un traumatisme insurmontable, mais aussi et surtout parce que le contexte général est fort différent.

Les Américains ont cru voir leur démocratie vaciller en début d’année : la croyant éternelle ils l’ont comprise fragile. Ils croyaient leur pays débarrassé de ces vieux démons que sont le racisme et le ségrégationnisme : les émeutes de l’année dernière et le climat de semi-guerre civile qui a suivi la mort de George Floyd et vu les grandes villes se barricader derrière des panneaux de bois leur ont donné tort.

Jamais dans l’histoire récente les États-Unis n’ont connu de telles divisions, qu’elles soient culturelles, ethniques, religieuses ou politiques. De telles volontés de séparatisme dans certains territoires, voire de sécession dans différents États…

Sans parler de la pandémie de COVID-19 qui n’en finit pas de faire des ravages -jusqu’à 200 000 nouveaux cas quotidiens au cours des dernières semaines et plus de 1200 morts par jour-, ni des répercussions économiques et sociales de celle-ci qui ne font qu’accélérer la paupérisation d’une partie de la population et la tiers-mondisation du pays.

Bien sûr, Joe Biden a pris des mesures importantes depuis son arrivée à la Maison-Blanche afin de tenter de sauver l’économie et de rénover les infrastructures. Elles ont été plus que bienvenues, mais n’ont été que de circonstance, exceptionnelles. Rien n’a été entrepris pour vraiment changer les choses. Prendre le mal à la racine.

Alors non, les États-Unis, plongés dans un climat de déliquescence générale, ne se remettront pas des images de la chute de Kaboul. Le pays de l’Oncle Sam restera bien évidemment, pendant encore longtemps, la première puissance mondiale. La machine hollywoodienne de son côté continuera pendant encore de nombreuses années à exporter les phantasmes recyclés du rêve américain, mais celui-ci, déjà moribond depuis un bon bout de temps, a bien disparu corps et âme dans les émeutes du Capitole de janvier dernier, et ce qu’il en restait a été emporté par la tempête afghane.

Le mot Amérique signifiait autrefois bien plus que le nom d’un pays. Il reflétait un idéal. Il était synonyme de liberté et d’émancipation. Il était porteur d’espoir pour les peuples opprimés.

Lorsque Joe Biden, pourtant président démocrate et donc héritier de la tradition wilsonienne, déclare, après avoir abandonné une population en péril, que son pays n’a plus vocation à verser le sang de ses enfants pour les droits de l’Homme et la démocratie, il faut se rendre à l’évidence : la partie est finie et nous sommes entrés dans l’ère de l’Amérique post-Amérique.

 

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son dernier essai, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » est paru en Ebook chez Max Milo en 2020.

COVID-19 vaccines: Is it worth continuing funding the COVAX flop ?

Wed, 01/09/2021 - 15:32

Accountability has been a well-rounded discourse in liberal democracies, extensively used to impose norms in lower-income countries in the name of transparency and good governance. Yet, one can only wonder why the use of such a concept often seems to be only one-sided. For example, in the past six months, how is it that no single attempt has been made to hold the COVAX mechanism accountable for results, despite the fact that it has mainly been funded by public subsidies?

COVAX : Good intentions destroyed by global protectionism

But let’s start by being fair. COVAX was based on pretty good intentions. In the Summer of 2020, the World Health Organization (WHO) took the lead in promoting equal access to COVID-19 vaccine doses in a sincere try to avoid a two-tier world. The idea behind was to use a collective mechanism to negotiate with vaccines manufacturing labs to avoid escalating prices in a context of a demand-driven crisis. To put it rather bluntly: on the one hand, several billion doses were/are needed, on the other hand, existing supply lines were/are insufficient, the assumption therefore was that a strong multilateral mechanism could effectively regulate the demand side while respecting WHO’s strategy in terms of vaccination prioritization. At the onset of the pandemics, all countries were initially concerned by COVAX, regardless of their income.

It would be a euphemism to state that such an equal approach did not survive worldwide protectionism. As early as February 2021, the large majority of the rare available vaccine doses had been pre-purchased by the very few countries who could afford it, on a bilateral basis. Despite the high expectations placed upon COVAX, the use of the facility largely lagged behind in terms of number of pre-orders done through this channel. Upper-income countries moved out rather quickly, preferring direct arrangements with labs, and a tangible effect was to shape COVAX into an(other) aid instrument solely targeting the poor. In this race to vaccinate, COVAX has lacked both a clear governance impulse and an independent financial capacity to be able to play fairly in a geopolitical context clearly dominated by the countries where vaccines’ manufacturers are located.

Fragile COVAX supply system exposed

Notwithstanding the poor start, the first COVAX deliveries eventually occurred at the end of February 2021 in two West-African middle-income countries. Côte d’Ivoire and Ghana were the lucky recipients. The system was quickly put to a halt though. In view of the deteriorating situation in India, the Indian government requested the Serum Institute of India, the biotechnology and biopharmaceutical company most involved in COVAX,, to stop all vaccines deliveries abroad. Since 90% of COVAX supply-line were based on Indian suppliers – rather foolishly – the fragility of the system was fully exposed in March, with no clear prospect on how to address the growing discrepancies in vaccination coverage between the rich and the poor countries.

In view of severe supply shortage, several measures were taken not to let the mechanism die. In April, France was first to announce in-kind vaccine donation to the COVAX facility. Similar announcements were done later by the US, the UK, Germany, and it was also included into the EU strategy. An interesting turn was to authorize Chinese vaccines to be channeled through COVAX. Why they had been authorized by the WHO for months while not being tapped into by the COVAX purchase teams will probably remain a mystery, but at the end of July, the signature of supply agreements with the Chinese manufacturers SINOVAC and SINOPHARM were more than welcome, and the CoronaVac and BIBP vaccines started being dispatched using the COVAX channel.

As of mid-August, COVAX had shipped 205 million vaccines to 140 countries out of the 2 billion doses initially planned. As a comparison, 4.7 billion doses had been administered worldwide. Less than 5% of the vaccine doses had thus been channeled through this mechanism, leaving a general impression of failure, despite the energy and the communication deployed in promoting ‘social’ multilateralism.

Vaccine supply: a telling example from Togo

But how ‘social’ has it truly been? The question is not so ingenuous since ‘social’ is not synonymous to ‘free’. In mainstream views, COVAX has been surrounded with the halo of international solidarity and one easily forgets that countries who make use of the COVAX system also enter into contractual arrangements upon which they have little room to maneuver. Adopting the perspective of a recipient country helps to understand the financial stakes.

Let’s take Togo for instance, which is a country that has been praised for its vaccination strategy. What have been its options to get access to vaccines? To date, the country has received a batch of Johnson & Johnson doses purchased through the African Union (118,000, which also happens to be the first COVID-19 vaccines produced on African soil), a batch of AstraZeneca also channeled through the African Union (120,000), Sinovac doses from China (200,000), a batch of AstraZeneca channeled through the COVAX facility (296,000) and Pfizer doses, also using COVAX (100,620).

In view of the law of the jungle that prevailed in the beginning with such an unbalanced grabbing of the doses, it is likely that Togo also entered into direct agreements with pharmaceutical labs to pre-order vaccines. Four types were then acquired, using at least two different multilateral mechanisms, plus what was negotiated on a bilateral basis with sometimes uncomfortable clauses. The dose of AstraZeneca dealt directly cost differently than the dose of AstraZeneca bought by the African Union, which cost differently than the dose of AstraZeneca bought through COVAX, which also cost differently than the dose of AstraZeneca bought in the EU. And because this was not yet complicated enough, COVAX has come up with two internal processes of negotiation, depending on who pays.

The COVAX Facility targets self-financing economies while the COVAX Advance Market Commitment (AMC) was created to promote access to vaccines to lower-income economies. UNICEF has been in charge of all negotiations and purchases for the COVAX-AMC.

Local actors to support

In this context, perhaps then equal access to vaccines must foremost be framed in terms of trade. A few relevant questions then would be: what is the added value of COVAX compared to other mechanisms? Have the vaccines bought through this mechanism been less expensive than the ones bought from other channels? Who has been the best negotiator between UNICEF and the African Union? In economies under severe structural strains, these are key questions that should not be downplayed, and if one mechanism is less efficient than another in its attempt to put vaccines’ prices down, there is surely the need to reconsider funding it. After all, social multilateralism still falls under market law. Sadly. In July 2021, the WHO was still estimating a gap of USD 16 billion for financing the ACT-A partnership, on which COVAX depends. But in a context where financial envelopes are not expandable endlessly, it is probably time to acknowledge the presence and efficiency of the other actors, especially the African Union Vaccine Acquisition Task Team (AVATT), which is perhaps the best trader to support these days.

J’ai lu… « Le dessous des cartes – Le monde mis à nu » de Émilie Aubry et Frank Tétart

Tue, 31/08/2021 - 17:39

Dans cette vidéo, Pascal Boniface expose son point de vue sur l’atlas proposée par l’équipe de l’émission d’Arte Le dessous des cartes « Le dessous des cartes – Le monde mis à nu » (d’Émilie Aubry et Frank Tétart) qui parait le 2 septembre aux éditions Tallandier et Arte éditions, à l’occasion de la rentrée littéraire stratégique.

Gaz : « Il y a un risque de pénurie mais pour l’instant, l’effet visible, ce sont les prix »

Tue, 31/08/2021 - 14:29

Une nouvelle hausse des prix du gaz en ce début septembre. Ce mercredi marque une augmentation de 8,7 % du tarif réglementé de vente (TRV) d’Engie pour le gaz naturel. Cette hausse est de 2,7 % pour les clients utilisant le gaz pour la cuisson, de 5,5 % pour ceux qui ont un double usage, cuisson et eau chaude, et de 9 % pour les foyers se chauffant avec, a précisé la Commission de régulation de l’énergie (CRE) dans un communiqué.

Mais à quoi est due cette hausse, qui n’est pas un cas isolé – les tarifs réglementés ont crû de 15,8 % depuis le 1er janvier 2019 – ? Est-elle spécifique à l’Hexagone ? Pour le comprendre, 20 Minutes a interrogé Francis Perrin, directeur de recherche à l’Iris spécialisé en stratégies et politiques énergétiques.

Cette hausse des prix du gaz n’est-elle liée qu’à la France ?

La France est l’illustration d’une tendance plus générale à l’augmentation des tarifs. Sa principale cause, c’est la forte reprise économique en 2021. Et ça dépasse évidemment de loin notre pays. On a bien sûr eu une année 2020 extrêmement difficile, avec une récession mondiale. Et cette année, on s’attend à une croissance de 5 à 6 % en moyenne, ce qui est très élevé. Dans ce contexte, les prix de nombreuses matières premières augmentent : le gaz naturel, les produits agricoles, les ressources minières…

Quelle est la situation en l’Europe ?

Les pays qui exportent du gaz et du GNL, du gaz naturel liquéfié, peuvent, dans certains cas, faire un choix entre différents marchés pour le vendre. Et quand ils font ce type d’arbitrage, ils regardent de près une donnée clé : le prix. Or dans la période récente, les prix du GNL sur les marchés asiatiques sont supérieurs à ceux sur le marché européen. Ce qui fait que certains vendeurs ont arbitré en faveur du marché asiatique.

Quelle est la situation des stocks de gaz européens ?

En Europe, nous avons des stockages de gaz naturel à un niveau très bas. Nous sommes en été, donc on peut se dire ce n’est pas très gênant. Mais les réservoirs doivent être remplis pour la saison hivernale, c’est donc maintenant qu’il faut se précipiter sur le marché pour acheter du gaz. Non pas pour le consommer, mais pour le stocker. Et quand vous avez un certain nombre d’acteurs qui se précipitent pour remplir les stocks, ça a évidemment un impact sur les prix.

A quel point la France est-elle dépendante des importations ?

Nous importons 99 % du gaz naturel que nous consommons. Pour l’Union européenne, on approche des deux tiers. On sait très bien que l’UE, de façon générale, n’est pas une zone massivement productrice de gaz naturel. De pétrole non plus.

Peut-il y avoir un risque de pénurie cet hiver ?

Dans la mesure où les stockages européens sont à des niveaux très bas, c’est un sujet d’inquiétude, mais pas de panique. C’est pour cela que certains opérateurs gaziers se précipitent pour essayer de reconstituer leurs stocks, pour éviter justement un risque de pénurie dans les mois qui viennent.

On peut résoudre cette situation mais entre l’été et l’hiver, les choses se passent très vite et le gaz ne s’achète pas du jour au lendemain. Tout se prépare. Donc oui, il y a un risque de pénurie mais pour l’instant, l’effet visible, c’est que les prix augmentent.

Et cela impacte le budget des Français…

Carburant, gaz, électricité… Ce sont des prix très sensibles, souvent très politiques. On peut difficilement s’en passer, donc ça veut dire qu’on a un peu moins d’argent pour faire autre chose. Cela peut contribuer à accroître des mécontentements politiques et sociaux. Et il est clair que le gouvernement français ne considère pas que c’est un petit sujet.

 

Propos recueillis par Maureen Songne pour 20 minutes

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