Arnaud Dubien, chercheur associé à l’IRIS et directeur de l’Observatoire franco-russe, répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de l’ouvrage Russie 2021. Regards de l’observatoire franco-russe – 2021, qui sera officiellement présenté mardi 18 janvier à La Maison de la Chimie.
N’est-ce pas un travail de Sisyphe que de consacrer un livre collectif en français sur la Russie, étant donné l’image de ce pays en France ?
Cet ouvrage, qui est la 8e édition de notre rapport annuel sur la Russie, représente en effet un travail considérable. Plus de soixante experts français et russes y ont contribué et apportent leurs éclairages sur la situation politique intérieure, le contexte économique, la diplomatie et les régions de la Fédération de Russie. Ce tour d’horizon est complété par des miscellanées, avec des articles sur la culture (« Pourquoi Dostoïevski n’aimait-il pas la France ? ») ou l’histoire (nous publions notamment des portraits du Marquis de Traversay, qui fut ministre de la Marine russe au XIXe siècle, ou de Pierre Cubat, le cuisinier d’Alexandre III et de Nicolas II ; des pages plus tragiques – comme celle des « malgré nous » à Tambov – sont également traitées).
L’image de la Russie est effectivement déplorable ces dernières années, ce qui tient à la fois à certaines réalités – notamment politiques – de ce pays, mais aussi aux perceptions – partielles et souvent partiales – en France. Si l’on regarde l’histoire longue, on est frappé par la récurrence de ces modèles, y compris avant la conclusion de la grande alliance franco-russe à la fin du XXe siècle. L’idéologie a toujours été – depuis 1789 en tout cas – un puissant facteur d’éloignement voire de confrontation entre nos États, qui se sont toutefois retrouvés au cours des deux guerres mondiales, ce qui semble malheureusement peu connu de la jeune génération française.
Quel est l’objectif de cet annuaire ?
L’objectif de Russie 2021 n’est pas de donner une bonne image de la Russie – ce n’est pas le travail de chercheurs et d’experts dignes de ce nom – mais d’offrir l’analyse la plus complète et la plus honnête possible sur ce pays. On pourrait comparer notre rapport annuel à l’Année stratégique de l’IRIS ou au Cyclope sur le marché des matières premières. Alors que la Russie est au cœur de l’actualité internationale et que les débats à son sujet sont très polarisés, nous souhaitons faire entendre une voix sérieuse et nuancée. Ce qui n’est pas aisé, j’en conviens.
Qu’est-ce qui pourrait susciter un déblocage, une avancée dans les relations entre Paris et Moscou ?
Le président Macron a tenté – de façon plutôt inattendue d’ailleurs – plusieurs ouvertures en direction de la Russie. Dès son élection, en mai 2017, en invitant Vladimir Poutine à Versailles. Puis en 2019, probablement sur les conseils de Jean-Pierre Chevènement – envoyé spécial de la France depuis 2012 – et d’Hubert Védrine, qui souhaitaient, semble-t-il aider à tourner la page d’une présidence Hollande marquée par une dégradation spectaculaire des relations bilatérales empoisonnées par le conflit en Syrie puis par la crise ukrainienne. On se souvient de la visite du président russe à Brégançon, suivie de la relance de formats bilatéraux et de l’adoption d’une ambitieuse feuille de route bilatérale. Mais les choses ne sont pas allées très loin. La faute au Covid-19, qui a empêché la visite qu’Emmanuel Macron devait faire à Moscou en mai 2020 à l’occasion du 75e anniversaire de la victoire contre l’Allemagne nazie, à l’affaire Navalny et, plus généralement, au durcissement du contexte intérieur russe. Peut-être aussi à cause de « l’État profond » que le président français avait dénoncé dans son fameux discours aux ambassadeurs d’août 2019. On ne peut que regretter que cette impulsion gaullienne soit restée sans lendemain, surtout dans le contexte actuel. Le dialogue souhaité par la France se fait aujourd’hui sans elle, directement entre Moscou et Washington.
Un déblocage est possible, y compris à assez brève échéance. Cela implique que les discussions entamées la semaine dernière entre Russes et Occidentaux produisent quelques effets. Une mise en œuvre réelle des accords de Minsk sur le Donbass – y compris par Kiev, qui a jusqu’ici bloqué leur volet politique – et un compromis sur les armements en Europe et les activités militaires en Baltique/mer Noire seraient de nature à nous y conduire. L’élection présidentielle en France est un autre facteur qui peut jouer.
La relation avec l’autre est-elle encore un objectif stratégique majeur pour la France et la Russie ?
Aujourd’hui, très clairement, la Russie n’est pas prioritaire pour la France et cette dernière ne l’est pas aux yeux de Moscou. Il y a une tentation de l’indifférence, quoique pas totalement symétrique. Beaucoup de Russes sont déçus de la France, dont ils gardent l’image – un peu idéalisée et datée – d’une puissance indépendante, à la fois sur le plan culturel, économique et politique. En d’autres termes, celle du général de Gaulle et de Pompidou. Peu de Français ont visité la Russie – paradoxalement, les sociétés se connaissent moins bien aujourd’hui qu’à l’époque de la Guerre froide. Le plus inquiétant est que les jeunes générations semblent s’ignorer largement, ce qui résulte en large partie de l’affaiblissement des liens culturels, qui ont toujours joué un rôle crucial entre nos deux pays. Ceci étant, tout ne va pas mal : les relations économiques sont importantes (combien de Français savent que leur pays est le 2e investisseur et le 1er employeur étranger en Russie ?) ; la France est le pays avec lequel la Russie a le plus de doubles diplômes universitaires ; les échanges culturels restent, malgré tout, particulièrement denses. Fondamentalement, je suis convaincu la France et la Russie ont intérêt à accroître leurs coopérations. Ce qui, tôt ou tard, trouvera sa concrétisation.
Vous, le géopoliticien, allez répondre jeudi aux questions des étudiants de Sciences Po Bordeaux. Comment définir votre discipline ?
Pour faire simple, c’est l’étude des rivalités internationales dans une approche pluridisciplinaire. Elle s’appuie sur l’histoire, la géographie, les sciences sociales. D’ailleurs, nos étudiants de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques, NDLR) en mastère de géopolitique viennent d’horizons très divers.
Il est question, bien sûr, de la paix et de la guerre. Croyez-vous que celle-ci puisse éclater… Croyez-vous que celle-ci puisse éclater en Ukraine, après une semaine intense de diptomatie qui semble n’avoir rien donné ?
Les choses n’ont guère avancé. Mais Américains et Russes se sont parlé et c’est une bonne nouvelle, même si cela se fait par-dessus la tête des Européens. Poutine sort renforcé car il est traité par les États-Unis sur un pied d’égalité alors que la puissance russe n’a plus rien à voir avec la puissance soviétique. Va-t-il pour autant attaquer l’Ukraine ? Je ne le pense pas, car il se mettrait dans un bourbier, en déclenchant une guérilla dans le Donbass. Malgré sa brutalité et son autoritarisme, comme on vient de le voir avec la dissolution de l’association Memorial, le président russe est responsable.
On vient pourtant d’assister à une cyberattaque massive sur les sites gouvernementaux à Kiev…
Il est en effet probable que Moscou soit derrière. Mais aussi agressive qu’elle soit, cette attaque ne saurait se comparer à une offensive armée. C’est plutôt une démonstration de force comme la Russie aime à les faire. Et une guerre de communication.
Comment peuvent répondre les Occidentaux?
Washington sort de la négociation en ayant resserré les rangs de l’Alliance atlantique (Otan, NDLR) et fait à nouveau figure de grand protecteur d’Européens qui ne parviennent pas à s’organiser. Ces derniers sont perdants. Car malgré un progrès dans la prise de conscience qu’il faut une alternative à la protection américaine, ils hésitent. La Pologne, par exemple, craint que l’avancée sur la défense européenne ne hâte un désengagement américain. Paris et Berlin avaient bien essayé de mettre
sur pied un sommet Union européenne (UE) et Russie, mais la Suède, la Pologne et les Pays-Bas
s’y sont opposés. Résultat : les Russes renoncent à traiter l’UE en acteur géopolitique et s’adressent directement à Joe Biden.
Deux autres « points chauds » inquiètent : l’Iran et Taïwan. Allons-nous vers des conflits armés ?
À Téhéran, c’est l’impasse. Le régime s’est durci au moment où les États-Unis élisaient un président plus ouvert au dialogue et au retour à l’accord de 2015 sur le nucléaire. Cette divergence de calendrier est dommageable, et il existe maintenant un front international anti-iranien uni. On voit bien une ébauche de rapprochement entre Téhéran et Riyad, mais l’éclaircie est timide. Quant à Taïwan, je ne crois pas un instant que Pékin se lancera dans une guerre de reconquête qui aurait des conséquences
économiques négatives. Xi Jinping, qui brigue un troisième mandat au Congrès du PCC en novembre, sait que la réussite matérielle est le pilier du régime. Donc l’immobilisme me semble bien plus probable que l’aventurisme.
Les États-Unis font de leur rivalité avec la Chine leur priorité. Mais ils semblent avoir perdu en crédibilité avec leur retrait d’Afghanistan…
Ce retrait aurait pu – et dû – se faire de façon moins chaotique car il a donné l’impression d’une débâcle et inquiétéy compris les alliés de l’Amérique. Mais il s’agit d’un changement de priorité : il était capital pour Washington de se désembourber de Kaboul pour se concentrer sur la Chine. Trump attaque Biden en l’accusant d’avoir sapé la crédibilité placé pour le faire car c’est lui qui a signé le premier accord avec les talibans. Aujourd’hui, le défi pour Biden est de restaurer la crédibilité américaine dont des alliés aussi proches que les États du Golfe ont commencé à douter. Or il préside un pays désuni où républicains et démocrates n’arrivent plus à se parler, comme en témoignent les difficultés du procès sur l’assaut du Capitole du 6 janvier 202L On finit d’ailleurs par se demander,
face aux difficultés de Biden avec le Congrès, s’il ne faut pas s’attendre à un retour de Trump à la
Maison Blanche en 2024.
Vous avez souvent dit que le sport était un sujet géopolitique. Or 2022, ce sont les JO d’hiver de Pékin et la Coupe du monde de football au Qatar…
Le sport est facteur d’importance croissante dans les relations internationales et on vient de s’en convaincre avec l’affaire Novak Djokovic. Le Premier ministre australien aurait-il eu la même attitude si le tennisman avait été américain ? On peut en douter. Aux Jeux olympiques, je pense que l’ère du boycott sportif est finie, mais le boycott diplomatique, comme celui qui affecte les JO d’hiver de Pékin
(4-20 février), montre que le sport peut être la continuation de la géopolitique par d’autres moyens. Et il n’est pas impossible qu’en 2024, des pays ou des organismes veuillent boycotter les Jeux d’été de Paris en invoquant telle ou telle raison contre la France.
Vous avez écrit que le Covid-19 avait déjà changé la face du monde. Vous confirmez ?
Ce que je dis, c’est que la pandémie n’a pas créé de facteurs géopolitiques nouveaux. En revanche, elle a amplifié et cristallisé plusieurs facteurs qui vont structurer les années qui viennent. Les deux principaux sont la rivalité entre les États Unis et la Chine, et la crise du multilatéralisme.
Depuis quelques mois, l’Amérique latine élit et va sans doute élire en 2022 des présidents « progressistes ». Après le Mexique, l’Argentine, la Bolivie, le Pérou et le Chili, la Colombie et le Brésil pourraient en effet se doter de chefs d’État classés « à gauche ». Ces choix effectués ou probables peuvent-ils provoquer un changement de cap des diplomaties ?
Ces dernières années, l’intégration de l’Amérique latine a été bousculée par son idéologisation. De 2010 à 2016, la marque bolivarienne et vénézuélienne ALBA, (Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique)[1] a concentré l’ensemble des initiatives interrégionales adoptées ou inventées. Alors que la CAN (Communauté andine des nations)[2] a été affaiblie et que le Mercosur (Marché commun du Sud)[3] a perdu sa cohérence, la Celac (Communauté d’États latino-américains et caraïbes)[4] et l’UNASUR (Union des nations sud-américaines)[5] ont pris le relais avec une coloration idéologique d’inspiration nationale-progressiste et les aléas électoraux ont fait pencher la balance régionale à droite en 2015. L’esprit néolibéral dominant alors a détricoté la quasi-totalité de l’existant régional, de la Celac à l’UNASUR, substituées par l’Alliance du Pacifique[6] pour l’économie, PROSUR (Forum pour le progrès et le développement de l’Amérique du Sud)[7] et le Groupe de Lima[8] pour la diplomatie. Ainsi, les alternances électorales, de sens politique opposé, ont successivement politisé les coopérations interaméricaines de façon contradictoire.
Les premières déclarations des présidents élus depuis 2018, celles des candidats « progressistes » en pôle position pour les votations de 2022, annoncent des diplomaties révisionnistes. S’agit-il pour autant d’un retour aux diplomaties engagées retour de cycle, conséquence d’une nouvelle alternance « à gauche » ? Oui au premier abord. Le mexicain Andrés Manuel López Obrador, dès sa prise de fonction le 1er décembre 2018, a pratiqué une politique de la chaise vide au sein du Groupe de Lima. Son homologue argentin Alberto Fernández est même allé plus loin, en retirant l’Argentine du Groupe de Lima le 24 mars 2021. Au Pérou, Héctor Béjar Rivera, ministre des Affaires étrangères de Pedro Castillo, a annoncé dès les premiers jours d’août 2021 que le pays allait lui aussi sortir du Groupe de Lima. Gabriel Boric, président élu du Chili mais pas encore en fonction, a été invité par le sortant néo-libéral Sebastián Piñera à participer avec lui à deux réunions se tenant à Bogota les 26 et 27 janvier 2022 : le Sommet présidentiel de l’Alliance du Pacifique, et le Forum pour le progrès de l’Amérique du Sud (PROSUR). Gabriel Boric a décliné courtoisement mais fermement cette éventualité.
Mais à y regarder de plus près, le nouveau paysage diplomatique latino-américain se hâte de changer avec une lenteur mesurée. L’ALBA n’a pas retrouvé son périmètre initial. Certes, elle a consolidé le 14 décembre 2021 son ultime triangle : Cuba, Nicaragua et Venezuela. Certes, les gouvernements de ces trois pays ont chaleureusement salué la victoire de Gabriel Boric. Mais l’Argentin Alberto Fernández, le Chilien Gabriel Boric, et le candidat de gauche colombien aux présidentielles Gustavo Petro ont clairement et publiquement pris leurs distances avec Caracas, La Havane et Managua. Alberto Fernández, comme le brésilien Lula da Silva et le Colombien Gustavo Petro, ont en revanche ostensiblement affiché leur proximité avec le gouvernement réformiste espagnol de Pedro Sánchez et Yolanda Díaz. Le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a confirmé le lien stratégique de son pays avec les États-Unis. Il assume une diplomatie traditionnelle de bons offices entre Washington et l’Amérique latine. Il veille avec sa garde nationale à l’imperméabilité de la frontière nord. Il entend préserver les accords de libre-échange existants : le T-MEC (Mexique-États-Unis-Canada) et l’Alliance du Pacifique. À l’issue de la visite à Santiago du mexicain Marcelo Ebrard, secrétaire aux relations extérieures, le 27 décembre 2021, Gabriel Boric a indiqué que « dans le futur nous allons prioriser l’Alliance du Pacifique. J’en ai parlé avec plusieurs présidents, en particulier, Andrés Manuel López Obrador, le président colombien (Iván) Duque et avec la chancellerie péruvienne ». Personne n’envisage de recomposer l’UNASUR. Et bien que ne participant plus à ses activités, la Bolivie, le Mexique et le Pérou n’ont pas quitté formellement le Groupe de Lima. Les chancelleries de Bolivie, du Mexique et du Pérou ont publié des communiqués signalant qu’elles allaient mettre à plat l’ensemble de leur politique interaméricaine, sans pour autant fixer de délai sur les conclusions tirées de ces réflexions.
Ce réalisme est malgré tout teinté de bémols marqueurs d’évolutions. Les multiples initiatives prises par Mexico pour trouver une issue négociée au court-circuit vénézuélien sont appuyées par les dirigeants « progressistes » élus d’Argentine, Bolivie, Chili et Pérou. Ils sont tout autant soutenus par les candidats de gauche aux élections de 2022, au Brésil et en Colombie. Tous conviennent aussi qu’il est nécessaire de reconstruire un lien consensuel et constructif entre Latino-Américains. Les défis posés par les pôles d’influence économique et technologique du monde exigent, pour être relevés, un minimum de convergences latino-américaines. Les têtes à queue intégrationnistes consécutives aux alternances partisanes « lof pour lof » des années 2000 à 2021, ont cassé et/ou affaiblis les institutions communes. Toutes choses expliquant la leçon qu’en a tirée de façon explicite le président élu par les Chiliens, Gabriel Boric : « nous allons chercher la plus grande intégration possible de l’Amérique latine, avec tous ceux qui le veulent bien, au-delà des affinités idéologiques » (des uns et des autres). En clair, les contenus coopératifs interaméricains doivent prendre le relais de l’ordre du jour militant des forums d’amis politiques, privilégiés alternativement par la gauche puis par la droite depuis une vingtaine d’années.
Il est vrai que cette option est quelque part dictée par les circonstances. Le contexte politique intérieur des différents pays, comme la conjoncture économique et sanitaire, se prêtent mal aux aventures radicales et obligent les exécutifs à chercher des compromis pour surmonter un présent incertain. Depuis une dizaine d‘années, les taux de croissance, qui jusque là étaient dynamisés par la demande chinoise en produits primaires locaux, sont en berne. La pandémie du coronavirus n’a rien arrangé. Dès lors, les conséquences sociales de cette double contrainte pèsent sur la stabilité des pays et leur gouvernabilité : 700 000 victimes du Covid-19 au Brésil et 300 000 au Mexique depuis 2019. On compte également plus de 50 000 homicides au Brésil et 34 000 au Mexique en 2020. Le travail dit informel représente plus de 40% de l’emploi total au Brésil et 54% au Mexique en 2021. La prudence des élus « progressistes » s’explique aussi par leur fragilité politique. Certains, comme au Mexique, ont à gérer le voisinage intrusif de la plus grande puissance économique et militaire du monde, les États-Unis. Les autres sont assis sur des institutions à bascule. Élus, et souvent bien élus, ils n’ont pas de majorité parlementaire. En Argentine, au Chili, au Pérou, et sans doute demain si Gustavo Petro et Lula da Silva l’emportent en Colombie et au Brésil, les députés de gauche sont ou seront minoritaires.
____________
[1] Créée à La Havane (Cuba) le 14 décembre 2004
[2] Constituée à Carthagène (Colombie) le 26 mai 1969
[3] Fondé à Asunción (Paraguay) le 26 mars 1991
[4] Traité signé à Playa del carmen (Mexique) le 23 février 2010
[5] Officialisé à Brasilia (Brésil) le 23 mai 2008
[6] Initiée à Lima (Pérou) le 28 avril 2011
[7]Acté à Santiago (Chili) le 22 mars 2019
[8] Institutionnalisé à Lima le 8 août 2017
L’affaire Djokovic secoue le milieu du tennis et du sport international depuis quelques jours. Novak Djokovic a dans un premier temps été arrêté dans l’attente d’une décision des autorités australiennes sur sa participation au tournoi de Melbourne du fait de sa non-vaccination contre le Covid-19. Finalement, le gouvernement australien a tranché hier en annulant le visa du numéro 1 mondial et en lui interdisant l’entrée sur le territoire pour 3 ans. Un choc pour le tennis mondial alors que Djokovic se rendait au tournoi de Melbourne pour y battre le record de victoires, étant déjà nonuple champion. S’il ne se fait pas vacciner, cet évènement pourrait marquer la fin de la carrière du joueur serbe, qui risquerait de ne pas pouvoir participer aux autres tournois internationaux. Cette affaire met en lumière plusieurs enjeux géopolitiques : l’impact majeur de la pandémie de Covid-19 ; l’utilisation de cette affaire par le gouvernement australien de Scott Morrison et le traitement qu’il réserve aux migrants et réfugiés qui souhaitent entrer sur le territoire australien ; la position de la Serbie sur la scène internationale, Djokovic étant certainement le principal porte drapeau de son pays.
L’analyse de Pascal Boniface.
Le 7 février 2019, la France rappelait son ambassadeur en Italie après que Luigi Di Maio, ministre du Développement économique et vice-président du Conseil des ministres italien, eut rencontré des gilets jaunes à Montargis. Un peu moins de trois années plus tard, le 26 novembre 2021, Mario Draghi et Emmanuel Macron signaient à Rome un traité « pour une coopération bilatérale renforcée » entre les deux pays. À leurs côtés, Sergio Mattarella, président de la République italienne, et Luigi Di Maio, désormais ministre des Affaires étrangères. L’accord, également connu sous le nom de « traité du Quirinal », apparaît à la fois comme la concrétisation d’une relation d’une grande intensité sur un certain nombre de segments, économiques notamment, et comme un point de départ politique d’une relation institutionnelle plus aboutie. S’il constitue ainsi un moment franco-italien et européen significatif, il ne va pas sans quelques incertitudes.
Une relation fragile ?
L’histoire de ce traité[1] est illustrative de la relation franco-italienne elle-même. L’idée émerge en septembre 2017, à l’occasion du sommet de Lyon. Il s’agit de pouvoir disposer de mécanismes réguliers de concertation bilatérale, après que les débuts de la présidence d’Emmanuel Macron eurent cristallisé des épisodes de tensions entre Paris et Rome, qui préexistaient déjà pour certaines[2] et qui concernent alors notamment la Libye, la gestion des flux migratoires et des rivalités économiques, particulièrement autour du cas des chantiers de l’Atlantique.
Alors que les travaux sont lancés au début de l’année 2018, la séquence électorale italienne débouche sur la constitution d’un attelage gouvernemental composé du Mouvement 5 étoiles (M5S) et de la Ligue. Matteo Salvini, pour la seconde, articule un narratif anti-élites et anti-européen pour lequel Emmanuel Macron fait figure d’ennemi idéal. Quant à Luigi Di Maio, pour le premier, entre autres critiques du rôle de Paris en Afrique, il finit donc par rencontrer une délégation de gilets jaunes en février 2019, entraînant le rappel pour consultations de l’ambassadeur de France, Christian Masset – lui-même déjà convoqué à deux reprises par les autorités italiennes au cours des mois précédents. C’est le point le plus bas dans la relation bilatérale durant l’après-guerre.
La fin de cet épisode gouvernemental à l’été 2019 et la formation d’un nouvel attelage cette fois composé du M5S et du Parti démocrate permettent la relance du processus, avec un sommet à Naples en février 2020, puis une visite de Jean-Yves Le Drian à Rome au mois de juin. Entre les deux, la crise sanitaire a encore favorisé le rapprochement des deux pays, notamment autour du plan de relance européen. Enfin, l’arrivée de Mario Draghi à la présidence du Conseil, en février 2021, va constituer un facteur décisif. Outre la proximité entre l’ancien président de la Banque centrale européenne et Emmanuel Macron, il y a désormais « un moment franco-italien qu’il ne faut pas manquer »[3]. Entre l’élection à venir du président de la République en Italie – et la fin du mandat de Sergio Mattarella, qui a joué un rôle important dans les relations avec la France, particulièrement quand celles-ci atteignaient leur point le plus bas –, la présidence française de l’Union européenne et la campagne présidentielle qui s’ouvrent, ainsi que le changement d’exécutif à Berlin, la fenêtre d’opportunité semble en effet assez étroite.
Une relation européenne ?
Le parallèle avec l’Allemagne, qui était le seul pays avec lequel la France disposait d’un tel traité bilatéral, apparaît comme une évidence, jusque dans les termes. « Traité du Quirinal », du nom du siège de la présidence de la République italienne – alors que la signature des traités relève, en Italie, des prérogatives du gouvernement –, constitue un calque du « traité de l’Élysée ». Si l’Italie de 2021 n’est pas l’Allemagne de 1963, la genèse de l’accord a prouvé, s’il en était besoin, que le cours de la relation franco-italienne n’était pas forcément linéaire. Outre le fait de consolider des liens économiques déjà significatifs, il s’agit donc d’aller plus loin dans la structuration et l’institutionnalisation de la relation politique. Au-delà de ses dimensions thématiques – les affaires étrangères, la sécurité et la défense, les affaires européennes, la gestion des migrations, la Méditerranée, les politiques industrielles et commerciales, un développement durable, social et inclusif, la coopération spatiale, la coopération transfrontalière, entre autres sujets –, cette initiative vise à créer un « réflexe franco-italien » pouvant déboucher sur une « vision géopolitique commune », selon les termes du président français.
Le traité, dont la mise en œuvre est assurée par un comité stratégique paritaire au niveau des secrétaires généraux des ministères des Affaires étrangères, prévoit ainsi un certain nombre d’espaces d’échanges, notamment au niveau interministériel. Chaque trimestre, un membre du gouvernement de l’un des deux États doit prendre part au conseil des ministres de l’autre État. Le conseil franco-italien de défense et de sécurité, au niveau des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, est relancé et un forum annuel de concertation économique, toujours au niveau des ministres, est institué. Pour les sociétés civiles, le texte prévoit notamment la création d’un Conseil franco-italien de la jeunesse – qui rappelle l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) – et la mise en place d’un service civique franco-italien.
De la sorte, cette entente doit pouvoir, in fine, constituer à son tour une forme de socle pour le projet européen, dont il traduit également la volonté de peser sur les règles, en étendant notamment le recours à la majorité qualifiée. Il peut ainsi être perçu comme une forme de coopération contre l’austérité. Alors que les nouvelles règles budgétaires européennes doivent être négociées à l’horizon 2022, la feuille de route liée au traité fait explicitement mention de la révision du pacte de stabilité et de croissance. Il en va de même s’agissant d’une volonté commune de « réforme de la politique européenne migratoire et d’asile », avec un renforcement de « l’intégrité de l’espace Schengen », dont cette même feuille de route « entend promouvoir une refondation » et dont la réforme figure parmi les priorités de la présidence française de l’Union européenne.
Le texte paraît aussi rappeler le logiciel européen de ses deux signataires. D’un côté, il mentionne « une Europe démocratique, unie, souveraine », référence au discours du président français à la Sorbonne en septembre 2017. De l’autre, il contient des éléments proches du discours programmatique à forte tonalité européenne délivré par le président du Conseil italien devant le Sénat en février 2021. L’« autonomie stratégique » européenne y figure à cinq reprises dans des articles portant sur des thématiques différentes, comme un but à atteindre, tandis que l’ancrage vis-à-vis de l’Alliance atlantique est également réaffirmé. De telles dispositions sont-elles de nature à renforcer la dimension personnelle de cet accord ? C’est en tout cas un paradoxe de ce processus que de chercher à dépasser les contingences politiques alors qu’il repose lui-même sur des circonstances particulièrement favorables. Lors de la conférence de presse suivant la signature du traité, Emmanuel Macron, se tournant vers Mario Draghi, déclarait ainsi vouloir appliquer « à nous-même cette bonne formule connue entre Montaigne et La Boétie, définissant chez nous ce qu’est l’amitié : “parce que c’était lui ; parce que c’était moi”. Ce traité du Quirinal, c’est un peu cela. Parce que c’était lui ; parce que c’était moi. Nous ne pouvons le signer qu’entre nous, parce qu’il y a une forme d’évidence devenue indicible, mais que nous rendons, ce faisant, plus explicite, pour la rendre plus forte encore. C’est cela l’amitié fraternelle qui nous lie. Merci pour cela, Président, et merci pour tout ce qui nous reste à faire. »
Une relation à construire ?
Au-delà donc d’un important moment franco-italien et européen, ces éléments traduisent un équilibre qui pourrait se révéler fragile eu égard à la pratique qui devra faire vivre ce traité. Les perspectives de part et d’autre quant à cet accord ne sont d’ailleurs pas sans rappeler une certaine asymétrie de la relation, jusque dans son traitement médiatique, abondant en Italie, confidentiel en France. Pour Paris et Emmanuel Macron, le renforcement du lien avec Rome s’inscrit dans le cadre d’une stratégie qui cherche à « construire l’Europe de proche en proche »[4]. Pour l’Italie, il a aussi valeur de symbole, celui d’un retour à la table des grands pays fondateurs[5], d’une insertion dans un partenariat privilégié auparavant réservé à la seule Allemagne, l’occasion d’être considérée à son tour comme une alliée forte et crédible.
Surtout, la fenêtre d’opportunité semble déjà presque refermée à la vue des échéances qui s’annoncent, avec de part et d’autre, et dès les prochains mois, les élections des présidents de la République. Côté italien, il est en outre significatif que ce traité soit signé sous la charge d’un gouvernement technique. Alors que les élections générales doivent se tenir au premier semestre 2023, le panorama actuel ne permet que difficilement d’envisager la constitution d’une majorité politique aussi proeuropéenne. En France, enfin, tout autre président qu’Emmanuel Macron affichera une proximité moindre avec l’Italie[6]. Et s’il pouvait, en cas de victoire en mai 2022, être conduit à reconsidérer ses positions actuelles, peut-être alors pourra-t-il toujours compter sur Luigi Di Maio : le 28 novembre, ce dernier déclarait qu’en France, il voterait pour Emmanuel Macron[7].
______________
[1] Lire sur ce point Jean-Pierre Darnis, « Une vision stratégique des relations franco-italiennes : vers un traité bilatéral ? », Note de la FRS, n° 56/20, Fondation pour la recherche stratégique, 29 juillet 2020, ainsi que Jérôme Gautheret, « Entre Emmanuel Macron et l’Italie, une relation en dents de scie », Le Monde, 25 novembre 2021.
[2] Pour une perspective historique, lire là encore Jean-Pierre Darnis, « France, Italie et Europe : une relation fragile ? », Le Grand Continent, 12 avril 2018.
[3] Christian Masset, Colloque Italie au Sénat, Paris, 3 décembre 2021.
[4] Laurent Marchand, « C’est quoi le “Traité du Quirinal”, cet accord que signent la France et l’Italie aujourd’hui ? », Ouest France, 26 novembre 2021.
[5] Gianni Rosini, « Trattato del Quirinale, Draghi: “Patto storico, Italia e Francia più vicine”. Migranti, diplomazia, “scambio” di ministri: cosa c’è nell’accordo », Il Giornale, 26 novembre 2021.
[6] Francesco Bechis, « Sul Trattato l’ombra dell’altro Quirinale. Parla Marc Lazar », Formiche.net, 26 novembre 2021.
[7] À l’occasion de la « Fête de l’optimisme » organisée par le quotidien Il Foglio.
« La réponse est oui, je prévois de me présenter à ma réélection. C’est le plan », a récemment déclaré Joe Biden, confirmant ainsi à la stupeur générale qu’il envisageait de se présenter à la présidentielle de 2024.
Cette annonce intervient alors que dix mois après son entrée en fonction, l’actuel président américain est devenu aussi impopulaire que Donald Trump à la même période de son mandat. Certaines enquêtes d’opinion le donnant même largement perdant face à son prédécesseur en cas de nouveau face-à-face.
C’est donc dans l’espoir de relancer sa présidence que Biden a fait cette annonce surprise, dans l’espoir de n’être plus considéré par son propre camp comme un lame duck, comme quelqu’un que l’on pensait voir partir à la retraite bien avant l’échéance de 2024 et dont on ne respectait déjà plus vraiment l’autorité.
Échec sur toute la ligne. Avec sa déclaration, le locataire de la Maison-Blanche n’aura fait que se discréditer un peu plus tout en rendant un très mauvais service à son parti à un an des midterms. Au parti démocrate, on commence en effet à paniquer après de récentes défaites électorales en Virginie et dans le New Jersey, deux États remportés par Biden en 2020.
Discrédité un peu plus, car même s’il ne l’avait jamais explicitement dit, il était évident pour tout le monde que l’âge et la santé du 46ème président américain le condamnait à un seul mandat. Âgé aujourd’hui de 79 ans, Biden en aura 82 en 2024 au moment de la présidentielle. En imaginant qu’il soit réélu, il aurait plus de 86 ans à la fin de son second mandat. Quand on connait sa fébrilité physique et son affaiblissement intellectuel qui, entre autres épisodes du même genre, lui a récemment fait confondre devant les caméras sa petite fille avec son fils Beau, disparu depuis plusieurs années, il paraissait clair qu’il ne serait l’homme que d’un seul mandat. Lui-même s’était présenté lors de sa prise de fonction comme un président de transition ayant pour mission de remettre le pays sur les rails avant de passer le flambeau à la nouvelle génération.
En annonçant sa candidature pour 2024, Biden semble donc ne pas avoir conscience de son état de santé – ou s’en moquer – et vouloir s’accrocher au pouvoir à tout prix. Bref, pour beaucoup d’américains il est devenu ce « vieillard sénile » dénoncé par ses ennemis, « vieillard replié sur lui-même et aveugle aux réalités du monde » alors que sa présidence connait une succession de difficultés si ce n’est d’échecs tant sur le plan international qu’intérieur.
Quant au mauvais service rendu par le président des États-Unis au Parti démocrate avec sa déclaration de candidature, on ne pouvait guère faire pire. Car si on avait encore un doute sur la volonté de Trump de se lancer dans la course pour la prochaine présidentielle, ce coup-ci on peut être sûr que le Donald va y aller. Comme Apollo Creed dans « Rocky II », le milliardaire va vouloir à tout prix sa revanche sur celui qui l’a humilié. Et même si pour finir ce n’est pas Biden qui est sur le ring, ce coup-ci Trump, ultra populaire et porté par une vague réactionnaire sans précédent, a toutes les chances de l’emporter et avec lui les Républicains.
Quid de Kamala Harris dans tout cela ? Joe Biden vient juste de la flinguer. Et sans sommation.
La vice-présidente, injustement marginalisée sur la scène intérieure par la garde rapprochée du chef de l’État – trop talentueuse ? – faisait néanmoins jusqu’ici pour l’opinion figure de dauphine. En disant vouloir se représenter, Biden donne donc à penser qu’elle n’est pas prête à lui succéder. Ce qui implique que dans le cas plus que probable ou il ne pourrait aller jusqu’au bout de sa candidature, Kamala Harris décrédibilisée en tant que « successeur naturel » devrait faire face à plusieurs adversaires coriaces lors d’une primaire potentiellement très difficile d’où le candidat démocrate sortirait affaiblit. Good job Mr. President !
Tout cela est assez triste, mais il fallait si attendre ; car au fond, qu’est-ce que c’est que Joe Biden sinon un politicien somme tout assez moyen qui ne doit sa position actuelle qu’à sa longévité au Congrès (il a été élu pour la première fois sénateur en 1973) ? Longévité qui a fait qu’Obama l’a choisi comme colistier en 2008 afin de rassurer l’establishment qui le prenait pour un novice.
En élisant Joe Biden à la présidence et pour reprendre une formule cruelle, l’Amérique a confié sa destinée à un capitaine de pédalo alors qu’elle était en pleine tempête. Mais avait-elle vraiment le choix ?
——————————–
Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son dernier essai, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » est paru en Ebook chez Max Milo en 2020.
Romuald Sciora, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de la politique étrangère américaine et des Nations Unies, répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage Femme vaillante – Michaëlle Jean en Francophonie, aux éditions CIDIHCA France.
Vous vous livrez à un plaidoyer pour Michaëlle Jean, dont vous estimez que la non-reconduction à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie est à la fois une erreur et une injustice…
Ce court essai n’est pas vraiment un plaidoyer en faveur de Michaëlle Jean, dont le bilan à la tête de la Francophonie est assez positif, mais plutôt une mise en accusation de ceux qui ont apporté sur un plateau d’argent l’Organisation internationale de la Francophonie à Paul Kagame. En effet, en bradant pour des intérêts divers l’OIF à un président rwandais très contesté dans sa conception de la démocratie et des droits de l’homme, Emmanuel Macron, qui se présente comme le chantre du système multilatéral, n’aura en fait que contribué à la déliquescence de celui-ci. C’est l’histoire de cette faute politique grave sur le plan international que raconte le livre. Avec comme point culminant le sommet d’Erevan en 2018 au cours duquel Michaëlle Jean a été virée sans ménagement et remplacée comme secrétaire générale de l’OIF par Louise Mushikiwabo, la ministre des Affaires étrangères du Rwanda.
La francophonie est-elle en danger ?
Si par Francophonie on entend l’OIF, oui, celle-ci est aujourd’hui en danger. Louise Mushikiwabo est une femme intelligente et de talent, mais comme ancienne représentante d’un pays anglophone qui ne respecte pas vraiment la démocratie ni les droits de l’homme, elle n’a pas la légitimité nécessaire pour incarner les valeurs de la Francophonie. D’où un manque de visibilité de l’OIF sur la scène mondiale de plus en plus manifeste. De plus, elle est entravée dans son action par la volonté d’Emmanuel Macron, qui n’a jamais vraiment compris l’intérêt d’une Francophonie politique, de recentrer le travail de l’OIF sur la promotion du français. Comme si l’OIF était une Alliance française ! En revanche, si par Francophonie on entend le nombre de pays ayant le français en partage, là il n’y a pas danger, le nombre de personnes parlant français ne cessant de croitre. La langue de Molière a environ 300 millions de locuteurs à travers le monde aujourd’hui, en théorie on pourrait en compter quelque 700 millions en 2050.
Mais pour en revenir à l’OIF, un danger interne menace également l’organisation. En effet, de nombreux pays membres commencent à s’agacer du fait que le poste de secrétaire général soit presque systématiquement octroyé à un Africain. Après Boutros Boutros-Ghali et Abdou Diouf, Mushikiwabo est la troisième personne issue du continent africain à occuper la fonction sur quatre titulaires !
La Francophonie compte aujourd’hui 54 États membres de plein droit, 7 membres associés et 27 observateurs. Des pays comme le Cambodge, le Laos, le Viêt Nam, le Liban et la Syrie font partie de cette liste. En Europe, l’Albanie, Andorre, l’Arménie, la Belgique, la Bulgarie, la Grèce, le Luxembourg, la Macédoine du Nord, la Moldavie, Monaco, la Roumanie ou encore la Suisse ont rejoint l’OIF. Sous le mandat de Michaëlle Jean, la Louisiane s’est officiellement associée à la Francophonie, permettant ainsi à celle-ci d’avoir un pied aux États-Unis. Sans même mentionner la France ou le Canada, et bien que les États africains soient majoritaires au sein de l’OIF, il est clair que celle-ci n’est pas une organisation africaine. Un système de table tournante par continent, un peu comme à l’ONU, pourrait être envisagé pour ce qui est de la désignation du secrétaire général. Si rien n’est fait pour contrecarrer la mainmise de l’Union africaine sur l’Organisation internationale de la Francophonie qu’elle considère à tort comme sa chasse gardée, de plus en plus de membres non africains s’en détourneront.
Est-ce un enjeu stratégique ?
Bien sûr, la francophonie revêt une importance stratégique majeure pour la France. Aurait pu revêtir, devrais-je dire. Car depuis Jacques Chirac, il semble que nos dirigeants, à part peut-être François Hollande, n’ont pas su apprécier à sa juste valeur l’outil extraordinaire de soft power qu’aurait pu être la Francophonie. Sous Macron, il n’y a même pas de ministre délégué ou de secrétaire d’État qui lui soit dédié. L’OIF a-t-elle un avenir ? Je n’en suis pas certain. Outre la crise générale qui secoue le système multilatéral et fragilise l’ensemble de ses organisations, la Francophonie, par le choix qu’a fait Emmanuel Macron d’imposer en 2018 aux autres États membres la candidate du Rwanda, a perdu une partie de sa crédibilité. En offrant l’OIF à Paul Kagame, le président français n’aura pas seulement abandonné une organisation qui aurait pu devenir un formidable instrument de développement au service de tous, mais il aura contribué à envoyer aux poubelles de l’histoire le rêve d’un grand ensemble culturel et économique francophone esquissé par les pères fondateurs Léopold Sédar Senghor et François Mitterrand. Tout cela est assez triste et laisse une impression de gâchis, surtout quand on sait combien Emmanuel Macron a pu être compétent sur d’autres dossiers.
Après l’annonce d’un boycott diplomatique par les États-Unis, les pays suivant cette ligne se font de plus en plus nombreux. À l’inverse, la France vient d’annoncer ne pas boycotter les Jeux de Pékin. Derrière cette annonce symbolique faite par les États-Unis, quels sont les enjeux d’une telle décision ? Pourquoi le sport est-il sujet à une politisation croissante ? Le point avec Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS.
Les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni et le Canada ont annoncé un boycott diplomatique des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver de Pékin. En quoi consiste ce boycott ? Quel en est le but ?
Il est essentiel de définir de quoi nous parlons. La décision de la Maison-Blanche du 6 décembre suivie par l’Australie, le Royaume-Uni et le Canada le 8 décembre consiste en un boycott diplomatique des Jeux olympiques et paralympiques de Pékin. Aucun officiel (chef d’État, de gouvernement, diplomates) ne sera présent en Chine à l’occasion de ces Jeux. Généralement, les représentants viennent aux cérémonies d’ouverture et de clôture, et parfois durant les compétitions.
Ce boycott diplomatique, que l’on a déjà connu par le passé (lors de la Coupe du monde masculine en Russie de 2018 par le Royaume-Uni dans le cadre de l’affaire Skripal), doit être distingué du boycott sportif. Dans ce dernier cas, aucun sportif ni officiel ne se déplace pendant toute la durée des compétitions. Les exemples les plus connus sont Moscou 1980 et Los Angeles 1984, mais également Melbourne 1956, Montréal 1976 et Séoul 1988.
Comment expliquer cette décision ? Il faut rappeler que cette menace de boycott (désormais effectif) planait sur les Jeux depuis plusieurs mois. En mars 2021, Mitt Romney appelait dans une tribune parue dans le New York Times à un boycott économique et diplomatique. L’idée était de ne pas uniquement faire peser le poids de cette décision sur les athlètes. Quelques mois plus tard, en mai 2021, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des Représentants, plaidait également pour un boycott diplomatique, provoquant l’ire de Pékin. Plus récemment encore et notamment dans le cadre de l’affaire Peng Shuai (du nom de cette tenniswoman chinoise qui a accusé Zhang Gaoli, membre influent du Parti communiste chinois, de l’avoir violée et qui a disparu pendant plusieurs semaines) qui a éclaté au cours du mois de novembre 2021, de nombreuses voix, aux États-Unis comme ailleurs, posaient ouvertement la question d’un boycott des Jeux pour protester.
Dans le cas présent, rappelons que cette décision de boycott a été prise uniquement (officiellement) pour protester contre le « génocide et des crimes contre l’humanité en cours au Xinjiang ». Concernant les raisons expliquant cette décision, elles sont plurielles. D’une part, elle s’inscrit dans une relation bilatérale tendue entre les deux superpuissances, et ce depuis plusieurs années, à tel point que l’expression de guerre froide refait surface avec force. S’il paraissait impropre de qualifier cette situation il y a quelques années, force est de constater que les points de ressemblance se multiplient désormais. D’autre part, il s’agit pour les États-Unis de mettre la pression (symbolique certes, mais pression tout de même) sur Pékin dans un contexte international tendu pour l’Empire du Milieu, notamment au regard de l’affaire Peng Shuai précédemment citée. Washington cherche donc à enfoncer le clou et à polariser les débats. Par ailleurs, il s’agit pour Joe Biden de se montrer en chef de file du mouvement. Lors de la conférence de presse de Jen Psaki, porte-parole de la Maison-Blanche, cette dernière a rappelé à quel point la défense des droits humains est dans « l’ADN du peuple américain ». Cette décision permet aussi de mettre en avant les alliances avec d’autres États. Si la décision d’autres États de suivre cette prise de position a semblé tarder, il est néanmoins intéressant de voir quels pays ont suivi les États-Unis. Il sera d’autant plus essentiel de voir qui continuera à suivre le mouvement. Enfin, il ne faut pas l’oublier, la décision de sanction est aussi (toujours) motivée par des raisons de politique intérieure. En prenant cette décision, aussi symbolique soit-elle, Joe Biden montre qu’il agit, qu’il prend position, et qu’il n’est pas le Sleepy Joe raillé par Donald Trump.
Le boycott est-il une manœuvre symbolique ou peut-il avoir de réels effets sur la Chine ? Y a-t-il des précédents dans l’histoire ?
En matière de sanctions, trois questions doivent systématiquement se poser : d’une part, la question des objectifs que nous venons d’aborder ; d’autre part, la question du caractère collégial de ces décisions ; enfin, la question de l’atteinte de ces objectifs et de l’efficacité de la sanction. Concernant la « popularité » et le suivi du boycott par d’autres entités, c’est une dimension essentielle à ne jamais oublier : est-ce que votre mesure demeurera isolée ou sera-t-elle suivie par un nombre important d’acteurs ? En d’autres termes, le boycott n’est rien d’autre qu’un rapport de force puisque vous cherchez à mettre la pression sur un acteur, à l’isoler, à le pointer du doigt, à l’ostraciser. Si des acteurs vous rejoignent dans la dénonciation, cela renforce le poids de cette mesure. Dans ce cas précis, des effets tangibles pourraient être observés. En revanche, si cette décision n’est pas reprise ou seulement par quelques acteurs, le mécanisme de dénonciation s’inversera : l’entité à l’origine de la sanction se verra à son tour isolée, écartée. Dans ce cas précis, les États-Unis ont été rejoints après quelques jours par plusieurs États. Cette liste devrait d’ailleurs s’allonger : le Japon ou même l’Union européenne ont notamment annoncé une communication pour les jours à venir. Il sera intéressant d’étudier la liste des pays se joignant à l’appel ; et en creux, ceux qui ne le rejoignent pas, afin d’en interroger les raisons avancées.
Concernant les effets d’une telle manœuvre, la réponse dépendra des deux éléments que nous venons de voir. Ne pas envoyer les chefs d’État et de gouvernement forcera-t-il la Chine à agir sur la question des droits humains et sur la question ouïghoure ? C’est évidemment peu probable. En revanche, cette décision met le sujet sur la scène politique, en tête d’agenda et il est désormais impossible d’esquiver le sujet. Au-delà des États, des ONG vont sans doute (continuer à) se mobiliser sur le sujet, et il sera intéressant de voir si des acteurs sportifs prennent également position. On pense évidemment aux athlètes notamment à travers la règle 50 assouplie de la Charte du CIO, mais également les sponsors. Rappelons-le, ces derniers s’étaient particulièrement fait remarquer en menaçant de se retirer dans le cadre de la Coupe du monde de hockey sur glace qui devait être coorganisée par la Biélorussie et la Lettonie. Pour l’heure, aucun sponsor n’a communiqué sur le sujet, mais ce sera un élément essentiel à regarder dans les prochains jours.
On peut dès maintenant considérer que ces décisions ont produit des effets, notamment à travers le communiqué du CIO qui rappelle que le boycott diplomatique est une décision souveraine des États et qui se réjouit de l’absence de boycott sportif, un temps évoqué. Difficile de ne pas ressentir le soulagement de l’instance suisse dans ses mots.
Du côté de Pékin, la réponse n’a également pas tardé, accusant les États de politiser le sport et annonçant que des contre-sanctions seraient prises, sans toutefois être plus précise. Sur ce point, la stratégie chinoise est intéressante car, en laissant cette formule vague, elle peut ainsi dissuader des acteurs et États de se joindre à la dynamique étatsunienne. Par cette formulation, la Chine laisse donc imaginer qu’une épée de Damoclès pèse au-dessus des prochains suiveurs.
Mondial de football au Qatar fortement critiqué, boycott des JO, pressions sur les sportifs à se positionner sur les questions des droits de l’homme : est-ce légitime de faire porter sur le sport une telle responsabilité politique ?
Cet épisode montre, une fois de plus s’il fallait le démontrer, que le sport est politique. En dépit de ce que peut déclarer Thomas Bach, Pékin ou toute organisation sportive internationale, l’apolitisme du sport relève plus du mythe que de la réalité. 150 ans d’histoire moderne en témoignent. Jusqu’à présent, seules les organisations sportives, qui alors qu’elles promouvaient l’apolitisme du sport, ne se privaient pas de faire de la politique. Par l’attribution d’événements sportifs internationaux à certains États, par la constitution d’une équipe de réfugiés, elles s’affirmaient en éminentes promotrices de la politisation du sport.
En revanche, nous assistons désormais à une croissance de cette politisation qui peut s’expliquer par plusieurs aspects. D’abord, par la mondialisation du sport, parfaitement logique, qui soulève un certain nombre de questions là aussi parfaitement légitimes. Ensuite, par la mobilisation croissante de la société civile qui prend désormais part aux processus de candidatures ainsi qu’au déroulé de l’organisation. Rappelons par exemple que dans le cadre de la candidature pour l’organisation des Jeux de 2022, plusieurs villes ont retiré leur projet (Stockholm, Cracovie, Lviv et Oslo), décision que l’on retrouve également pour l’édition 2024. Bien que la population ait toujours été présente dans les processus de désignation, les doutes et mobilisations sont désormais réellement entendus, venant peser sur le débat politique. La crise économique, l’inquiétude quant aux enjeux environnementaux et les images désastreuses des « éléphants blancs » contribuent largement à diffuser cette approche. Enfin, il convient de souligner la place des sportifs dont la voix est de plus en plus entendue, mais qui surtout n’est plus automatiquement réprimée par les fédérations sportives internationales. Nous l’avons vu lors du dernier Euro masculin à l’été 2021, ou encore lors des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo 2021.
Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS, vous donne régulièrement rendez-vous pour ses “Chroniques géoéconomiques”.
Aujourd’hui, Sylvie Matelly analyse le dernier rapport de l’OCDE annonçant une reprise économique mondiale plus que jamais incertaine. Les économies se retrouvent désormais complètement déséquilibrées et l’inflation est au plus haut depuis 30 ans alors que les pays s’étaient globalement bien remis de la crise du Covid-19 en 2020. La reprise économique mondiale semble incertaine.
➡️ Retrouvez tous les épisodes des « Chroniques géoéconomiques » sur la chaîne Youtube de l’IRIS : https://www.youtube.com/watch?v=zcd5NAIvBnE&list=PL3c38cSa3wcAEjEITnBxLBUoDgICEt5Yc
➡️ Pour aller plus loin, retrouvez les notes du programme « Géopolitique et Entreprises » de l’IRIS : https://www.iris-france.org/programmes/geopolitique-et-entreprises/
Dans le sillage du 6e plénum du Congrès du Parti communiste chinoise (PCC), le président XI Jinping semble affirmer sa pleine puissance sur le pays. Mais qu’en est-il réellement ? Le président chinois est-il désormais sans opposition ? Quelles sont ses ambitions pour l’avenir du PCC et de la Chine ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.
Le 6e plénum du Congrès du Parti communiste chinois s’est tenu du 8 au 11 novembre dernier. En quoi consiste-t-il et quelles grandes annonces ont été faites ?
Le XIXe Congrès du PCC, qui prendra fin l’an prochain au terme de cinq ans, est jalonné de plénums au cours desquels se retrouvent les délégués du parti et leurs suppléants, pour un total d’environ 400 personnes. En règle générale, le 6e plénum a une importance particulière en ce qu’il permet de préparer le futur congrès, et notamment la nomination de nouveaux responsables. Dans le cas actuel, puisque Xi Jinping a fait adopter la levée de la limite à deux mandats présidentiels, et qu’il restera très probablement au pouvoir au-delà de dix ans, et donc après 2022, les grandes annonces portèrent sur une mise en perspective historique, avec l’adoption d’une « Résolution du Comité central du Parti communiste chinois sur les réalisations majeures et le bilan historique des cent années de lutte du Parti ». Ce type de résolution est rarissime, puisqu’il ne s’agit que de la troisième depuis la fondation du PCC, en 1921, après celle de 1945 qui consacrait la ligne de Mao Zedong et lui ouvrait les portes du pouvoir en vue de la victoire communiste de 1949, et celle de 1981 qui consacrait le leadership de Deng Xiaoping et la voie du libéralisme économique en rupture avec le maoïsme et la révolution culturelle. Ce long texte reprend les grandes lignes de l’histoire du parti communiste chinois depuis sa fondation et en révise le contenu, en s’articulant autour de trois grands axes : la consolidation de la Chine sous Mao Zedong, sa croissance économique sous Deng Xiaoping, et enfin son affirmation de puissance sous Xi Jinping, qui complète ainsi un trio présenté comme les trois principales figures du parti depuis sa création et les trois principaux dirigeants chinois. Cela revient à hisser la « pensée Xi Jinping » comme ligne directrice de la Chine contemporaine et source d’inspiration pour le développement de ce pays dans les prochaines décennies. Cette résolution historique est donc à la fois un acte de révisionnisme historique et de légitimation du pouvoir du président chinois actuel.
Ce plénum conforte-t-il l’emprise de Xi Jinping sur le PCC et sur l’avenir politique du pays ? Est-il exempt de toutes critiques au sein du PCC ?
Indiscutablement, l’objectif de cette résolution est de conforter le pouvoir de Xi Jinping et de légitimer son maintien au pouvoir. Cette volonté s’explique par l’approche du XXe Congrès du PCC, mais aussi par les oppositions qui existent au sein de l’appareil d’État. Le président chinois dispose ainsi, on le sait, de pouvoirs plus importants que ses prédécesseurs après Deng Xiaoping et plusieurs mesures prises pendant son mandat, comme la lutte contre la corruption, lui ont permis d’asseoir son autorité. Mais, il fait cependant face à des critiques sur plusieurs dossiers. Parmi ceux-ci on trouve la gestion de la crise de Covid-19, qui interroge sur la transparence de l’information, la mise en place d’un confinement aux conséquences économiques et sociales évidentes, ou encore l’isolement dans lequel se trouve actuellement la Chine. Xi Jinping n’est peut-être pas responsable de cette crise, mais son leadership fut-il le bon ? La question reste entière. Le président chinois est également critiqué pour ce qui constitue le plus grand chantier de sa présidence, les nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative, BRI). Il en fut l’instigateur en 2013, même si dans les faits la Chine était déjà très présente sur le terrain des investissements avant cette date, et il incarna cette politique d’investissements pharaoniques à échelle internationale. On reproche cependant à cette BRI son coût extrêmement élevé, des retours sur investissements qui tardent à se manifester et, dans certains cas, ne se manifesteront jamais. Tandis que la Chine investissait des milliards de dollars à l’étranger, ce sont des régions chinoises qui restaient confrontées à des difficultés sociales à grande échelle, que le ralentissement de la croissance économique a accentuées. Enfin, la position ambigüe de Xi Jinping sur Taïwan, de même que l’impact négatif des pressions sur Hong Kong sur l’image de la Chine (même si cela est présenté comme un succès dans la résolution historique…) questionnent. Entre conservateurs et réformateurs, Xi Jinping ne fait pas toujours l’unanimité, et en inscrivant son œuvre dans l’histoire de la Chine, il cherche à renforcer sa légitimité.
Face aux tensions grandissantes avec Taïwan, pourrait-on se diriger vers un conflit armé ?
Dans un discours prononcé le 9 octobre dernier, Xi Jinping est revenu sur la question taïwanaise en ces termes : « Réunifier la patrie par des moyens pacifiques est dans l’intérêt général de la nation chinoise, y compris des compatriotes de Taïwan. La réunification de notre pays peut être réalisée et le sera ». Très peu médiatisés dans le monde occidental, ces propos ont suscité une vive et légitime réaction à Taïwan, dans un contexte de fortes tensions entre Pékin et Taipei et de nombreuses incursions chinoises dans l’espace maritime et aérien taïwanais depuis quelques semaines, en plus de déclarations très agressives de militaires chinois. La détermination de Pékin est ici exprimée une fois de plus, en dépit du caractère illégitime de cette volonté de réunification, à laquelle s’oppose l’écrasante majorité des Taïwanais. Cependant, il faut aussi voir dans ce discours de Xi Jinping un appel à la retenue, voire un désaveu de l’option va-t-en-guerre que semblent privilégier plusieurs militaires et responsables de haut rang. Compte tenu des conséquences, pour le moins hasardeuses et très certainement catastrophiques, d’une invasion militaire de Taïwan, le président chinois a choisi la prudence, se contentant de rappeler les poncifs que l’on trouve dans le discours officiel chinois à propos de Taïwan depuis des décennies. En mettant en avant les « moyens pacifiques », il cherche surtout à calmer les esprits. Certes, cela ne signifie pas pour autant que l’hypothèse d’un conflit armé dans le détroit de Taïwan doit être totalement écartée, compte tenu des très fortes tensions qui subsistent et se maintiendront. Mais il faut voir dans le choix des mots utilisés par le président chinois la volonté de vouloir éviter ce scénario, sans pour autant en énoncer un nouveau. En d’autres termes, Xi Jinping montre par ce discours l’impasse dans laquelle la Chine se trouve sur la question taïwanaise, et se contente ainsi de faire des déclarations d’intentions, mais sans fixer le moindre agenda. Et c’est une bonne nouvelle pour ceux qui s’inquiètent d’un conflit dans cette région.
Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Amérique latine/Caraïbe, vous donne régulièrement rendez-vous pour ses “Chroniques de l’Amérique latine”.
Aujourd’hui, Christophe Ventura analyse les grands enjeux politiques et échéances électorales en cours et à venir en Amérique latine, à l’occasion de la parution de sa note « Retour sur le VIe sommet de la Celac : vers une relance de la vie régionale en Amérique latine ? » réalisée pour le compte de l’Agence française de développement Sommet de la Celac, élections…, ces mouvements signent-ils le retour d’une vie régionale plus dynamique entre ces pays ?
➡️ Retrouvez tous les épisodes des « Chroniques de l’Amérique latine » sur la chaîne Youtube de l’IRIS.
➡️ Pour aller plus loin, lire la note « Retour sur le VIe sommet de la Celac : vers une relance de la vie régionale en Amérique latine ?« , par Christophe Ventura.
📄 Les contenus du programme « Amérique latine/Caraïbe » de l’IRIS.
Du 1er au 13 novembre dernier s’est tenue la COP26 à Glasgow. Très attendues, les négociations ont abouti à la signature du Pacte de Glasgow, s’inscrivant dans la continuité de l’Accord de Paris. Entre une ambiance tendue lors les négociations, des restrictions sanitaires impactant leur déroulé et des annonces en demi-teinte, les résultats de la COP26 ne sont pas à la hauteur de l’urgence climatique. Le point avec Julia Tasse et Sofia Kabbej, chercheuses au sein du Programme Climat, énergie et sécurité de l’IRIS.
Dans quel contexte s’est déroulée la COP26 ?
Commençons par resituer un peu le contexte de cette COP. Elle se tenait après avoir été annulée en 2020. Il s’agissait donc de l’édition de l’an dernier, le tout dans un contexte pandémique toujours complexe : une partie des représentants officiels et des observateurs (ONG climat, peuples indigènes, etc.), en particulier ceux des pays du Sud, n’ont pas pu se rendre à cette COP.
Ensuite, il est important de rappeler que la COP26 s’est tenue après la sortie du rapport AR6 du GIEC, plus précisément du premier volet du rapport qui est sorti en août et qui posait plusieurs conclusions importantes. Le premier élément est que le lien entre les changements climatiques et les activités humaines est définitivement établi et ne peut pas être remis en cause ; le second que les événements climatiques extrêmes liés aux changements climatiques sont de plus en plus nombreux, en indiquant que de plus en plus d’études permettent d’établir un lien entre la multiplication de ces évènements et les changements climatiques. Enfin, et c’est certainement le point le plus important pour les négociateurs à la veille de la COP, le rapport du GIEC établit que la hausse de la température terrestre risque d’être supérieure à 1,5°C par rapport à la période préindustrielle d’ici 2030, soit bien avant l’objectif fixé par l’Accord de Paris qui prévoit de limiter l’augmentation de la température moyenne à 2°C, voire 1,5°C d’ici 2100.
En amont de la COP26, comme le prévoit le texte de l’Accord de Paris, de nombreux pays ont soumis de nouvelles feuilles de route. Celles-ci ont pour but d’indiquer les stratégies des pays, notamment en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La publication de ces feuilles de route en amont de la COP permettait donc de prendre le pouls et de déterminer si l’orientation à l’échelle globale était positive ou non. Or, les feuilles de route, dont plusieurs ont été publiées au dernier moment, présentaient des chiffres peu encourageants, puisque, sur la base des objectifs présentés, on s’orientait vers +16% d’émissions d’ici à 2030 comparé à 2010 – soit vers un monde à + 2,7°C en 2100, très loin donc de l’objectif des + 1,5°C.
Les discussions de la COP26 étaient donc principalement orientées autour des objectifs de réduction des émissions, afin de permettre le respect des objectifs fixés dans l’Accord de Paris. Un autre point concernait les financements : il s’agissait là d’augmenter les engagements financiers des pays développés vers les pays en développement pour atteindre les 100 milliards de dollars par an qui devaient être atteints en 2020, et qui pour l’heure ne le sont pas. Toujours sur les financements, les pays devaient négocier la mise en place d’un mécanisme spécifique pour « compenser » la perte et les préjudices que les pays en développement subissent à cause des changements climatiques. Enfin, la COP devait permettre d’avancer sur la mise en œuvre de l’article 6 de l’Accord de Paris, qui comprend entre autres la mise en place d’un marché carbone international.
Le déroulement de la COP a été assez contraint d’un point de vue sanitaire, entravant partiellement la bonne tenue des négociations, avec des représentants absents et des sessions de négociations fermées aux observateurs. À noter que cette COP a aussi été marquée par l’importante présence du lobby pétrolier, qui a envoyé plus de 500 représentants à la fois en tant qu’observateur, mais aussi au sein des délégations de certains pays. Enfin, les absences de Vladimir Poutine et de Xi Jinping lors de l’ouverture de la COP ont cristallisé l’attention, mais le symbole s’est amoindri suite à la déclaration conjointe de la Chine et des États-Unis, qui en soit ne change pas la donne, mais a permis de dépolitiser, dans une certaine mesure, l’enjeu climatique.
Quelles sont les grandes décisions et les grandes déceptions à retenir à l’issue de cette COP26 ?
Les décisions qui ressortent de cette COP sont largement insuffisantes pour répondre à l’urgence climatique. Une petite anecdote marquante en ce sens : le président de la COP était au bord des larmes en donnant son discours de clôture, ce qui témoigne d’une certaine manière de la situation et de la faiblesse des décisions qui ressortent de ces deux semaines de négociations. Les séances plénières où se retrouvent les chefs d’États et de gouvernements ont été marquées par des prises de parole assez poignantes, notamment des représentants de pays insulaires, dont celle du ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, qui a donné son discours en costume, les pieds dans l’eau, pour témoigner de l’élévation du niveau des mers qui menace son territoire.
De cette COP ressort le Pacte de Glasgow. Il ne s’agit pas d’un nouvel accord, mais plutôt d’une feuille de route permettant de continuer la mise en œuvre de l’Accord de 2015. S’agissant de l’atténuation des émissions carbone et de la sortie des énergies fossiles, les feuilles de route, initialement rendues avant la COP, ont été légèrement mises à jour. La situation pré COP tablait sur une augmentation de 16% des émissions d’ici 2030. À l’issue des négociations, cette estimation diminue à +10% d’émissions d’ici à 2030, ce qui reste une augmentation. Sur ce point, le GIEC estime qu’il faudrait atteindre -45% d’émission pour rester sous les 1,5°C. L’écart entre les décisions et les recommandations est donc toujours très important. De tels engagements nous dirigent vers un réchauffement de +2,4 degrés d’ici à 2100, bien loin des ambitions de l’Accord de Paris, avec toutes les conséquences que l’on connaît, notamment en termes de catastrophes naturelles qui impactent les territoires, y compris européens.
Pour pallier ce manque d’ambition, il a été décidé la mise en place d’un mécanisme spécifique. L’Accord de Paris établissait normalement une révision à la hausse tous les cinq ans des feuilles de route. Désormais, on demande aux États de revenir l’année prochaine, en 2022 à l’occasion de la COP27, avec de nouveaux engagements en termes de réduction. Cela rapproche l’échéance avec pour but de resserrer l’écart qu’il y a entre les engagements actuels et les objectifs de l’Accord de Paris.
S’agissant de l’accélération de la sortie des énergies fossiles, dans le texte de l’Accord de Paris, les énergies fossiles, que ce soit le gaz, le pétrole ou le charbon, ne sont absolument pas mentionnées. Dans le Pacte de Glasgow, la mention d’accélération de la sortie des énergies fossiles et la réduction du charbon est bien présente. C’est une avancée en soi, malgré le passage d’une « sortie » à une « réduction » de l’utilisation des énergies fossiles. C’est l’Inde qui a fait la demande de cette modification, mais il faut rappeler qu’elle n’a émis que 3% des émissions cumulées, et qu’elle s’appuie sur le charbon et l’énergie solaire pour son développement.
Sur la question de l’adaptation et des pertes et préjudices, il s’agit là de la grande déception de la COP, alors même qu’il s’agissait d’un enjeu crucial. Pendant longtemps, on a beaucoup parlé de l’importance de réduire les émissions. Depuis quelques années on commence à parler d’adaptation, des questions de pertes et préjudices : soit celles liées aux impacts que subissent déjà les pays en développement, sans disposer de moyens de réponse adaptés. Ils ont donc besoin de financements pour s’adapter et pour pouvoir répondre aux pertes importantes qu’ils subissent. A donc été négociée la mise en place d’un mécanisme de dédommagement pour répondre aux pertes et préjudices, mais sans aboutir à aucun engagement. Ce qui a simplement été décidé est la mise en place d’un dialogue pour discuter de ces enjeux, ce qui donne quelques années de plus aux États qui ne souhaitent pas s’engager. C’est ce point de crispation entre pays développés et pays en développement qui a provoqué 24 heures de retard dans les négociations. Les États-Unis et l’Union européenne sont les principaux responsables de ces blocages pour la mise en place un mécanisme de compensation. Cela risque de ne pas être sans conséquence sur les négociations à venir.
S’agissant des engagements financiers, nous restons très loin des 100 milliards de dollars annuels en 2020. Alors que les pays développés s’y étaient engagés dès 2009, ces derniers devraient être atteints en 2022-2023. D’un point de vue financier, cette COP n’est donc pas non plus une réussite.
Enfin, l’article 6 de l’Accord de Paris constitue un point de blocage depuis de nombreuses années. Il s’agit du mécanisme qui doit permettre la mise en place du marché carbone international et des mécanismes de compensation. Cet outil est considéré par beaucoup comme indispensable pour atteindre les objectifs fixés. Sur ce point, il y a eu quelques avancées, notamment en termes de double comptabilité. Par ailleurs, devrait désormais être mis en place un mécanisme indépendant pour régler les griefs entre pays, notamment sur les problématiques d’accaparement des terres et de violation des droits de l’Homme qui sont liés à certains projets de reforestation.
Qu’en est-il des autres annonces spécifiques sur l’arrêt des financements des énergies fossiles, la déforestation, les émissions de méthane… ?
En parallèle des négociations formelles, dont on sait que l’issue est souvent décevante, ont été pris plusieurs engagements à l’initiative de coalitions de pays. Ces engagements volontaires permettent notamment de détourner le vote à l’unanimité qui est nécessaire pour faire adopter tout texte officiel.
Ainsi, on peut noter trois initiatives majeures. La première est l’adoption d’un accord, réunissant 34 signataires, qui vise à stopper le financement à l’étranger des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) d’ici 2022. Bien que considéré comme une avancée majeure, il convient de noter que les principaux pays exportateurs ne sont pas signataires de l’accord d’une part, mais aussi que le financement resterait possible si les projets sont annexés à de la capture et stockage de carbone ou s’ils sont « alignés avec les objectifs de l’Accord de Paris ».
Un autre accord qui vise spécifiquement la diminution des émissions de méthane de 30% d’ici 2030 a également été adopté. Cette initiative menée par les États-Unis et l’Union européenne n’aura pas réussi à rallier les plus gros émetteurs (Chine, Inde, Russie, Australie et Iran).
Enfin, près de 180 pays se sont engagés à stopper la déforestation d’ici 2030, notamment à travers la mobilisation de 16,5 milliards d’euros pour la protection et la restauration des forêts.
Édouard Simon vous donne régulièrement rendez-vous pour sa chronique « Vu d’Europe » traitant de l’actualité de l’Union européenne et de ceux qui la font. Cette semaine il revient sur la crise migratoire entre la Biélorussie et la Pologne et ses conséquences au niveau européen.
➡️ Retrouvez tous les épisodes de la chronique « Vu d’Europe » sur la chaîne Youtube de l’IRIS.
➡️ Pour aller plus loin : 📽️ « Discours sur l’état de l’Union : vers un renforcement du rôle de l’UE en matière de défense ?« , par Édouard Simon.
📄 Les notes du programme « Europe, stratégie, sécurité » de l’IRIS.