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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 week 6 days ago

G20 : un directoire mondial ou un forum inutile ?

Mon, 14/11/2022 - 19:14

 

Le sommet 2022 du G20 s’ouvre demain, 15 novembre, en Indonésie dans le contexte international particulièrement tendu de la guerre en Ukraine. La semaine dernière, la Russie a annoncé qu’elle ne serait pas représentée par son chef d’État Vladimir Poutine, mais par son ministre des Affaires étrangères, dérogeant ainsi à la tradition du G20. L’occasion de revenir, dans cette vidéo illustrée, sur le rôle, la symbolique mais aussi les contradictions de ce groupe qui prend depuis 2008 la forme d’un sommet annuel des chefs d’États et de gouvernements.

Lula 2023-2027, quelle politique étrangère ?

Sat, 12/11/2022 - 18:32

Lula a emporté sur le fil les présidentielles brésiliennes le 30 octobre dernier. Le Brésil devrait bientôt entrer en alternance politique. Le changement attendu est multiforme. Il est démocratique, et sans doute social. Mais sera-t-il aussi diplomatique ?

La politique extérieure n’est jamais au cœur des campagnes électorales. Qu’il s’agisse du Brésil, de la France ou de tout autre pays du monde. Malgré tout, elle figure toujours en bas de page, en queue de débats, voire au hasard d’initiatives et de publications consacrées à d’autres sujets. La question concernant le Brésil mérite cela dit une attention particulière. Lula, de 2003 à 2010, pendant donc ses deux mandats présidentiels, avait attiré l’attention des médias et des chancelleries en raison de son activisme international. Son ex-ministre des affaires étrangères, Celso Amorim, lui avait trouvé une appellation d’origine révélatrice : celle de « política externa ativa e altiva ». Dénomination que l’on pourrait traduire de la façon suivante, « une politique active et ambitieuse [1]».

La formule a été revendiquée pendant cette campagne tout à la fois par Celso Amorim et par Lula. Dans sa « Lettre pour le Brésil de demain [2]», publiée le 27 octobre, trois jours avant le deuxième tour, le candidat du PT, réaffirme en effet en paragraphe 12, la nécessité pour le Brésil, « de retrouver une politique extérieure souveraine active et ambitieuse ».

Il est difficile d’interpréter à partir de là, le cap que pourra prendre la politique extérieure brésilienne. Le point 12 de la lettre adressée par Lula aux électeurs du deuxième tour reste en effet très général. Le Brésil, est-il annoncé, dialoguera « démocratiquement » et en « respectant l’autodétermination des peuples » avec, dans l’ordre, « les BRICS [3], les pays africains, l’Union européenne, et les États-Unis ». Il agira pour « l’intégration régionale », plus particulièrement celle du Mercosur. Suivent ensuite des engagements non précisés sur « le commerce extérieur, la coopération technologique, des relations plus justes et démocratiques entre pays, le développement durable dans le cadre de la Convention du climat ».

Son conseiller diplomatique et ex-ministre des Affaires étrangères Celso Amorim a donné quelques explications de texte, permettant de nourrir le point 12 de la Lettre au Brésil de demain« Quelles seront les grandes lignes de la politique extérieure de Lula » lui a demandé un journaliste espagnol [4] au lendemain de la courte victoire du candidat pétiste ». Réponse du diplomate, « Elle ne sera pas très différente de celle qu’elles ont été dans le passé, défense du multilatéralisme, bonnes relations avec les États-Unis, mais aussi avec l’Union européenne, la Chine, avec les BRICS (principales économies émergentes), tout comme avec l’Afrique, si importante pour le Brésil, (..) et le plus important l’intégration sud-américaine, de bonnes relations avec les voisins. La lutte contre le changement climatique sera un aspect clef (..), la pandémie, les droits humains et la justice sociale internationale ».

En réponse à d’autres questions et à d’autres sollicitations, l’ex-ministre a apporté quelques compléments, en particulier sur les BRICS et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ces additifs arrondissent quelque peu les propos tenus par Lula le 5 mai 2022. « Ce gars-là », avait-il dit en parlant de Zelensky, « est aussi responsable que Poutine (..) Comme Saddam Hussein était aussi coupable que Bush ». Les BRICS selon Celso Amorim, peuvent jouer un rôle positif dans le règlement du conflit entre la Russie et l’Ukraine, des BRICS renforcés par l’adhésion de l’Argentine [5]. L’invasion, a-t-il expliqué, doit être condamnée parce qu’elle rompt les principes fondamentaux de la Charte des Nations unies. Cela dit, la Russie « a de sérieux motifs permettant de comprendre son désagrément ». C’est pourquoi les BRICS peuvent jouer un rôle positif, parce que la Russie est l’une des parties au conflit et la Chine, qui a une forte influence, pourrait avec les Européens et le Brésil agir en recherche de paix.

L’intégration, a-t-il confirmé, est celle de l’Amérique du Sud. Elle peut être accélérée par le renforcement du Mercosur et son élargissement à la Bolivie. D’autant plus que beaucoup de gouvernements sont à gauche. Il va être plus facile aujourd’hui par exemple de dialoguer avec la Colombie de Gustavo Petro, qu’avec hier celle d’Álvaro Uribe. D’autre part, conséquence de la guerre en Ukraine, les États-Unis et l’Europe ont besoin du pétrole vénézuélien. Ce qui va « ouvrir la voie à une négociation, quelle qu’elle soit » conduisant ces pays à « ne plus insister dans les stratégies de reconnaissance d’un quelconque nouveau Juan Guaidó [6]».

La mise en musique reste à mettre en partition. Celso Amorim se dit prêt à répéter sur la crise russo-ukrainienne, son geste médiateur de 2011 sur le nucléaire iranien. Mais les contraintes sont aujourd’hui bien nombreuses. Intérieures tout d’abord, politiques, parlementaires, comme économiques et sociales. Elles vont accaparer l’agenda gouvernemental. Mais extérieures aussi. Européens et Nord-américains ont jusqu’ici ignoré l’hypothèse BRIC pour résoudre le conflit européen.

En revanche ils pressent Lula de préserver la forêt amazonienne. Le représentant des États-Unis à la COP 27, Al Gore, par exemple, se référant à la victoire de Lula s’en est félicité, parce qu’a-t-il dit « le peuple brésilien a choisi d’arrêter la destruction de l’Amazonie ». Zelensky et Poutine, quant à eux, ont de concert mais parallèlement envoyé des télégrammes de félicitations au vainqueur. Côté intégration latino-américaine les choses méritent décantation. Andrés Manuel López Obrador (AMLO) du Mexique a invité Lula, comme il l’a fait au lendemain de l’élection du Chilien Gabriel Boric à faire le pari de la zone de libre-échange de l’Alliance du Pacifique. Alors que l’Uruguay, faisant fi de la solidarité Mercosur, négocie bilatéralement un accord commercial avec la Chine .

 

Cet article est une republication du site Nouveaux espaces latinos.

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[1] Celso Amorim, Teerã, Ramalá e Doha, memórias da política externa ativa e altiva », São Paulo, Benvira, 2015

[2] Carta para o Brasil do Amanhã

[3] C’est à dire la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud

[4] Sebastián Fest, « El futuro de Brasil, la entrevista », El Mundo, 1er novembre 2022, p 22

[5] Flavia Marreiro, Brad Haynes, « Amorim defende Argentina nos BRICS », Reuters, 19 octobre 2022

[6] In Nueva Sociedad, n°301, septembre-octobre 2022

 

Après les élections de mi-mandat, qu’attendre de la présidence Biden ?

Fri, 11/11/2022 - 11:20

Les « midterms » de 2022 étaient le premier scrutin aux États-Unis depuis la tentative d’insurrection au Capitole, le 6 janvier 2021.

C’était un test pour la démocratie : autant la présidentielle de 2020 avait été marquée par une participation record (66,8 %), autant l’incertitude planait cette année. Or, l’électorat s’est fortement mobilisé : il s’éleverait à environ 48 %, soit un peu moins des 51,8 % de participation aux midterms de 2018, ce qui était très élevé pour ce type de scrutin – rappelons qu’aux États-Unis le taux de participation est calculé par rapport au nombre de personnes ayant le droit de vote et non par rapport au nombre d’inscrits sur les listes électorales.

Le deuxième test portait sur la résistance des Démocrates, et celle-ci fut inattendue : même si, à ce stade, les résultats définitifs ne sont pas encore connus, Joe Biden n’a pas été la victime du vote sanction qu’on lui prédisait. Les Démocrates conservent même leur majorité au Sénat après leur victoire dans le Nevada.

Fin limier de la politique américaine, Biden dispose d’une très bonne connaissance des rouages électoraux et des attentes de son électorat. Il demeure sous-estimé, y compris dans son propre camp. L’inflation n’a pas eu raison de lui et il est probable également que les énormes réformes qu’il a engagées, par la voie législative, en faveur des infrastructures, des emplois verts ou de la relance économique post-Covid, auxquelles il faut ajouter la décision d’annuler en partie la dette étudiante pour plus de quarante millions d’Américains, ont été plus récompensées que prévu.

Une fois encore, la démocratie a résisté aux attaques

À droite, force est de constater que le trumpisme marque le pas.

C’était le troisième test. Il est loin d’avoir disparu puisqu’il persiste sous les traits du plus grand rival de Donald Trump à ce jour, le gouverneur de Floride Ron DeSantis, triomphalement réélu et tout aussi extrémiste que Trump sur le fond, et puisque des dizaines de « deniers » – ceux et celles qui nient le résultat de la présidentielle de 2020 – ont gagné.

Ils et elles sont cependant beaucoup moins nombreux qu’on le redoutait. Trump ne serait-il donc pas le faiseur de rois (et de reines) que beaucoup pensaient ? Dans les meetings qu’il a tenus aux côtés de candidates et candidats qu’il avait choisi de soutenir – plus en raison de leur flagornerie et leurs excès que pour leur compétence –, il a surtout parlé de lui-même et de son obsession de « l’élection volée » (selon lui) il y a deux ans. Mais gagner une primaire républicaine, où c’est surtout la base la plus fervente qui vote, n’est pas la même affaire que remporter une élection face à une ou un adversaire démocrate. La leçon de l’extrémisme du Tea Party de 2010, qui avait déjà plombé les Républicains deux ans plus tard avec la réélection de Barack Obama, n’a, semble-t-il, pas été retenue, tant le culte de la personnalité de Trump l’a emporté.

Le rejet de Trump et du trumpisme et du danger que l’ancien président fait courir à la démocratie (limitation de l’accès au vote des minorités, refus de certifier des élections si elles sont perdues, etc.) a, ainsi, mobilisé les Démocrates, et notamment les femmes – sans doute aussi les jeunes, à l’échelle nationale.

Depuis l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême le 24 juin dernier, plusieurs États fédérés (Californie, Kentucky, Vermont, Michigan) ont mis au vote, le 8 novembre, des référendums pour inscrire, ou au contraire supprimer le droit à l’avortement dans la loi ou leur Constitution. Chaque fois, c’est le camp des pro choice qui l’a emporté.

Au-delà des référendums, les sondages de sortie des urnes indiquent que la préservation de ce droit a très largement motivé les Démocrates à voter pour un ou une candidate qui garantirait aux femmes cette liberté. « Les femmes ne sont pas sans pouvoir politique ou électoral », écrivait (ironiquement ?) le juge ultra-conservateur à la Cour suprême Samuel Alito dans l’arrêt « Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization » en juin dernier. Il ne croyait pas si bien dire.

Biden appelle à renforcer le compromis avec les Républicains

Si les Républicains remportent la Chambre (les Démocrates conservent le Sénat, leur marge sera bien moindre qu’attendu.

Le président Biden, qui a profité des deux premières années de son mandat pour faire voter une série de grandes réformes, aura toutefois beaucoup plus de difficultés désormais parce qu’il est peu probable que les nouveaux élus républicains – qui prendront leurs fonctions en janvier 2023 – lui facilitent la tâche, à un peu plus d’un an de la prochaine campagne présidentielle.

C’est pourtant bien le sens de l’appel que Biden leur a lancé, le 9 novembre au soir : il estime que le compromis politique est une attente de la société, et a toujours dit faire du combat contre la polarisation politique du pays une priorité. Comme pour conjurer la perspective de deux années de paralysie institutionnelle, voire celle de possibles shutdowns (blocage du fonctionnement de plusieurs administrations fédérales) si jamais le plafond de la dette ne pouvait être relevé en cas de besoin ou si le budget de la nation ne parvenait pas à être voté en 2023 et 2024. En effet, c’est la Chambre des représentants qui donne le « la » sur les dépenses.

Le président devra encore renforcer ses efforts en matière de négociations et de tractations avec l’opposition parlementaire pour poursuivre la mise en œuvre de son programme – non seulement sur le plan socio-économique, mais aussi, et ce sera plus difficile, en matière de protection environnementale. Les Républicains le contraindront, de leur côté, à faire des compromis sur la fiscalité.

Selon le New York Times, il est cependant peu probable que Biden modifie son cap économique : la transition énergétique, qui nécessite de renoncer progressivement aux énergies fossiles, l’effort de réindustrialisation du pays dans la course avec la Chine sur les hautes technologies, la création d’emplois durables, la défense du pouvoir d’achat, la préservation des acquis de l’Obamacare, la lutte contre l’augmentation des prix des médicaments, le combat contre les inégalités sont sur sa feuille de route, surtout dans la perspective d’une possible récession l’an prochain. En revanche, plusieurs grandes lois fédérales promises à l’électorat démocrate pour, notamment, pallier les vides juridiques sur l’immigration, réguler la vente et la circulation d’armes à feu, combattre les discriminations raciales dans l’accès au vote, n’ont aucune chance d’aboutir d’ici fin 2024.

Midterms : le républicain Kevin McCarthy rêve de présider la Chambre des représentants, France 24 9 novembre 2022.

Il est un autre chantier délicat : celui de l’aide militaire à l’Ukraine. Sur le papier, un Congrès en partie républicain peut s’opposer à de nouvelles dépenses décidées par la Maison Blanche, ou voter des coupes (mais le président possède un droit de veto sur les lois). Dans les faits, le scénario le plus probable à ce stade est que les Républicains exigent davantage de transparence sur l’utilisation des moyens débloqués. Il n’empêche qu’en matière de dépenses militaires en général, la cohérence gagnerait à s’imposer dans les deux partis, démocrate et républicain : avec un budget de plus de 800 milliards de dollars, il est légitime de s’interroger sur le poids que ces dépenses font peser sur le contribuable dans une période inflationniste comme aujourd’hui.

Et 2024 ?

Une fois les derniers résultats des midterms connus (cela peut prendre encore quelques jours pour la Chambre), la course sera lancée pour la présidentielle de 2024. Même s’il laisse entendre le contraire, il est peu probable que Joe Biden, qui aura alors alors 82 ans, se représente. Qui, alors, pour lui succéder ?

Plusieurs leaders démocrates émergeront après leur élection ou réélection de la semaine dernière, sans oublier la vice-présidente Kamala Harris, qui devront continuer à composer entre une aile gauche et son électorat impatient (les jeunes en particulier) mais mobilisé donc incontournable, d’une part, et une culture de parti plus modérée d’autre part.

Chez les Républicains, le trumpisme nouvelle formule de Ron DeSantis s’imposera-t-il ou bien la doctrine plus traditionnelle l’emportera-t-elle, par pragmatisme ? À la Chambre, les Républicains mettront, dès janvier 2023, un terme à l’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole, comme si rien ne s’était passé. Mettront-ils leurs menaces à exécution en lançant de nouvelles enquêtes, sur les conditions du retrait de l’Afghanistan, et sur le business du fils de Joe Biden, Hunter ? Cela ne parviendra pas à masquer le fait que, lors de ces midterms, les Républicains ont raté leur coup et que pour espérer l’emporter en 2024, ils doivent également se concentrer sur une question majeure : avec ou sans Trump ?

 

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

J’ai lu… « Géopolitique des énergies » par Emmanuel Hache

Tue, 06/09/2022 - 20:17

 

Pascal Boniface reçoit Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS, à l’occasion de la parution de son ouvrage « Géopolitique des énergies » en 40 fiches illustrées aux éditions Eyrolles. Un ouvrage qui tombe à point nommé au moment où les questions énergétiques sont au coeur de l’actualité géopolitique.

Éthiopie : une guerre civile qui ne trouve pas d’issue

Mon, 05/09/2022 - 12:42

Depuis le 24 août 2022, la région du Tegray est au cœur d’affrontements entre les forces gouvernementales éthiopiennes et les rebelles tegréens. Déjà dans un situation économique désastreuse, le pays est plongé dans la guerre civile depuis maintenant près de deux ans. Quelles sont les origines de ce conflit ? Qui sont les acteurs en présence ? Et jusqu’où peut dégénérer cette guerre civile ? Le point avec Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines, enseignant à IRIS Sup’ et spécialiste de l’Éthiopie.

Alors qu’une trêve avait été signée entre le gouvernement éthiopien et les rebelles tegréens en mars dernier et qu’un dialogue national avait été amorcé, la région du Tegray est à nouveau le théâtre d’affrontements. Pourriez-vous revenir rapidement sur les origines de ce conflit et nous expliquer pourquoi cette trêve n’a pas duré ?

La région-État du Tegray s’est opposée au gouvernement fédéral depuis l’arrivée au pouvoir de Abiy Ahmed, le Premier ministre en 2018. L’organisation par les autorités tegréennes de leur propre élection[1] a mis le feu aux poudres et la guerre civile dans ce pays de la Corne de l’Afrique a commencé dans la nuit du 3 au 4 novembre 2020. D’un côté, l’armée éthiopienne (Ethiopian National Defense Forces – ENDF) aidée depuis les premières heures du conflit par l’armée érythréenne (Eritrean Defense Forces – EDF), les milices amhara et afar. De l’autre, les forces de défense du Tegray (TDF). Les forces gouvernementales ont dans un premier temps réussi leur engagement en mettant en place un gouvernement de transition et une occupation militaire. En juin 2021, les TDF ont repris une grande partie de leur territoire en chassant les autorités civiles et militaires imposées par le Premier ministre. Dans leur offensive, les forces tegréennes se sont approchées d’Addis Abeba, puis se sont repliées. Les combats avaient pratiquement cessé depuis la trêve de mars 2022[2] et l’aide humanitaire avait commencé à parvenir dans la région.

La volonté de Abiy Ahmed de mettre fin à cette guerre par un accord de paix et un grand dialogue national en signe de réconciliation s’est heurtée aux Tegréens et à leurs prérequis pour se lancer dans l’ouverture des discussions et donc une cessation des hostilités. Le Premier ministre veut un dialogue sans conditions préalables et le TPLF[3], qui représente la région-État du Tegray, estime que les services (eau, électricité, communications et services bancaires) dont ils sont privés depuis novembre 2020 doivent être rétablis avant toute discussion. Les positions étant diamétralement opposées, il était difficile de penser que la situation allait rester ainsi. Chaque camp a donc profité de cette trêve pour se reconfigurer, s’entraîner pour une reprise des combats et affiner sa stratégie pour les prochains mois.

Jeudi dernier, les rebelles ont annoncé une offensive conjointe effectuée par l’Éthiopie et l’Érythrée. Quel est le rôle de cet acteur dans le conflit au Tegray ?

L’Érythrée est un acteur essentiel du conflit et sur lequel compte beaucoup Abiy Ahmed. Sous couvert de l’Accord de paix de 2018, l’alliance entre les deux États a été scellée. L’Érythrée, par sa position stratégique, bloque le Tegray par le Nord et comme le Président Issayas Afeworki voue une haine farouche aux Tegréens depuis la guerre de 1998-2000, il est entré en guerre dès le début du conflit aux côtés du gouvernement fédéral. En jouant sur la soif de revanche du président érythréen, le gouvernement fédéral éthiopien s’est adjoint un allié sur la scène régionale même si ce pays est en marge de toute intégration régionale comme continentale et est le plus mauvais élève de l’Union africaine. Nous nous retrouvons face à la même situation qu’en novembre 2020 : le siège de la région est assuré par l’armée éthiopienne, les milices et les forces érythréennes. Les opérations conjointes ont déjà eu lieu par le passé et il n’est donc pas surprenant qu’elles soient encore d’actualité. L’implication de l’Érythrée dès 2020 montre que le principe de souveraineté intérieure clamé par Abiy Ahmed pour bloquer toute ingérence au début du conflit n’était qu’illusion. D’autre part, sur le plan militaire, sans l’apport des forces érythréennes et des milices afar et amhara, il est peu probable que les ENDF aient pu réussir à bloquer l’avance des TDF en novembre 2021.

Les rebelles tegréens semblent rapidement progresser dans la région Amhara en direction de la capitale Addis Abeba. Quels sont les objectifs des rebelles ? Seraient-ils tentés d’aller jusqu’à renverser le gouvernement ? En d’autres termes, jusqu’où ce conflit qui dure depuis deux ans peut aller ?

Faute de communications vérifiables de la part des deux belligérants, il faut rester prudent quant aux actions militaires en cours. La montée en puissance des forces fédérales peut indiquer une volonté de reprendre les combats ou de se prémunir d’une potentielle offensive tegréenne. Les TDF, quant à elles, desserrent l’étau en s’engageant dans les régions-États amhara et afar, mais restent vigilantes sur leur front nord. Le processus de paix restant bloqué, toutes les options sont sur la table. Néanmoins, il sera difficile pour les Tegréens de mener une offensive sur Addis Abeba comme ils l’avaient réalisée en octobre-novembre 2021. Tant que l’un des deux adversaires n’aura pas subi une lourde défaite, il y a peu de chances que le processus de paix soit relancé ou aboutisse dans des délais de court terme. Il faudra une volonté sincère des deux camps pour y arriver.

Les conditions ne sont pas actuellement réunies. La population tegréenne, afar et amhara va encore supporter le poids de cet engagement militaire qui après bientôt deux ans laissera des stigmates profonds. Dimanche prochain, l’Éthiopie débutera l’année 2015 (calendrier julien). Malgré la mise en service d’une deuxième turbine sur le site du Grand barrage de la renaissance, l’économie éthiopienne déjà frappée par la faible croissance, l’inflation, le marché noir est en outre très affectée par ce conflit et la situation internationale. La population souffre et accepte pour l’instant de survivre. L’annonce d’une ère nouvelle par Abiy Ahmed en 2018 (calendrier grégorien) ne s’est pas concrétisée. Les timides tentatives de la Communauté internationale et donc le ballet des envoyés spéciaux n’apporteront aucun souffle à la paix. Le nouvel An sera bien triste dans la majeure partie des foyers éthiopiens.

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[1] Alors que les élections à l’échelle du pays avaient été reportées en raison de la pandémie de Covid-19.

[2] Trêve unilatérale décrétée par le pouvoir central et acceptée par le TPLF.

[3] TPLF : Tegray ‘s People Liberation Front.

« Histoire mondiale du protectionnisme » – 4 questions à Ali Laïdi

Fri, 02/09/2022 - 12:23

Ali Laïdi est docteur en sciences politiques, chroniqueur à France 24, responsable du Journal de l’Intelligence économique et chercheur au laboratoire de l’École de guerre économique (CR 451). Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage « Histoire mondiale du protectionnisme » aux éditions Passés Composés.

Selon vous le protectionnisme est indéboulonnable. De la Préhistoire jusqu’au XIXe siècle, les sociétés se protègent puis alternent période d’ouverture et de fermeture…

Les sociétés précolombiennes sont protectionnistes. Chez les Aztèques et les Mayas, les marchés ne sont pas totalement libres. Impossible de faire du commerce au long cours si on n’appartient à une caste particulière. Ce sont les seules à être autorisées à vendre et acheter des marchandises. De plus, le commerce entre ces deux civilisations avait lieu dans des lieux neutres. Ces sociétés n’étaient absolument pas interconnectées. Idem dans la Chine impériale et confucéenne, où l’activité commerciale est mal vue au point que, sous les Ming, il est quasiment interdit d’entretenir des relations commerciales avec des étrangers n’appartenant pas directement à la sphère d’influence chinoise. Comme Aristote, les empereurs chinois visaient l’autarcie. Excepté l’exportation de grands produits comme la soie et le thé, les Chinois entretenaient peu de relations commerciales extérieures et n’étaient pas intéressés par les produits occidentaux qu’ils considéraient comme de qualité inférieure. C’est pourquoi les Britanniques ont mené la première guerre de l’opium en 1839 dans le but d’accéder à coups de canon à l’immense marché chinois. Quelques ports chinois ont été contraints de s’ouvrir aux marchandises anglaises. C’était insuffisant, il a fallu une deuxième guerre (1856) pour obliger la Chine à adopter le libre-échange.

En fait, il faut attendre la révolution industrielle et la baisse des coûts de transport pour entrer dans une première véritable mondialisation des échanges. Cette fois, tous les produits sont concernés par les échanges, pas seulement les marchandises de luxe. Cette révolution industrielle est également une révolution intellectuelle. Pour conquérir les marchés extérieurs, les Britanniques ont dû vendre, voire imposer par la violence le libre-échange. Alternent ensuite des périodes d’ouverture et de fermeture des marchés au gré des intérêts géopolitiques et géoéconomiques des grandes nations commerçantes et de leurs grandes entreprises. Car l’État n’a pas l’apanage du protectionnisme : les cartels et les monopoles montrent que les entreprises savent défendre leurs intérêts. Nous entrons depuis quelques années dans une nouvelle phase : celle où les économies nationales se protègent des vents féroces et anarchiques de la concurrence mondiale. 

Vous écrivez que l’Amérique n’est pas un bon élève des leçons économiques qu’elle donne au monde…

En effet, le président américain Ulysse Grant (1869-1877) avait parfaitement analysé la stratégie commerciale des Britanniques et savait pertinemment que son pays la suivrait à la lettre. Voici ce qu’il disait « Pendant des siècles, l’Angleterre s’est appuyée sur la protection, l’a pratiquée jusqu’à ses plus extrêmes limites, et en a obtenu des résultats satisfaisants. Après deux siècles, elle a jugé commode d’adopter le libre-échange, car elle pense que la protection n’a plus rien à lui offrir. Eh bien, Messieurs, la connaissance que j’ai de notre pays me conduit à penser que, dans moins de deux cents ans, lorsque l’Amérique aura tiré de la protection tout ce qu’elle a à offrir, elle adoptera aussi le libre-échange. » Jusqu’à ce que le libre-échange nuise à ses intérêts et que l’Amérique renoue avec ses vieux réflexes protectionnistes comme en 1930 avec l’adoption par le Congrès du tarif douanier Hawley-Smoot qui voit les droits de douane grimper jusqu’à près de 60 %. En fait, le protectionnisme est ancré dans l’histoire de ce pays. Dès sa naissance pointe l’idée de protection. N’oublions pas que l’un des principaux ouvrages défendant le « protectionnisme éducateur » est rédigé par l’allemand Friedrich List (1789-1846) qui s’inspire de la politique d’Alexander Hamilton, le premier secrétaire au Trésor des États-Unis (1789-1795), un chaud partisan de la protection des industries dans l’enfance. Des leçons américaines que la Chine applique depuis la fin du maoïsme : une ouverture prudente, encadrée, qui protège les entreprises nationales et les prépare à affronter la concurrence internationale. Tout comme la Grande-Bretagne et les États-Unis, dans une première étape, la Chine se protège puis dans une seconde, s’ouvre au monde. Au point même de faire la promotion du libre-échange comme le fait le président Xi Jinping au Forum de Davos en 2017. C’est le monde à l’envers : au moment où l’Amérique de Trump se renferme sur elle-même, la Chine communiste prétend donner des leçons de libre-échange !    

Malgré une demande de l’opinion publique (60 % d’opinion favorable) la crise de 2008 n’a pas engendré un retour au protectionnisme. Comment l’expliquez-vous ?

Dès 2008, nous observons un frémissement du retour du protectionnisme. La crise financière mondiale entraîne un basculement de l’opinion publique internationale qui réclame plus de protection, notamment tarifaire aux frontières. Mais vous avez raison, les États ne se referment pas comme dans les années 1930 après la crise de 1929. Au contraire, ils prennent le contre-pied des choix de l’époque et optent pour des programmes de relance macroéconomique.  Ce qui ne les empêche pas d’augmenter le nombre de mesures antidumping et autres afin de protéger leur marché domestique. En fait, à partir de 2008, on constate une nette dégradation du modèle libre-échangiste qui se confirme avec les crises suivantes : Brexit, élection de Donald Trump à la Maison Blanche, pandémie et guerre russo-ukrainienne.

L’OMC s’est-elle remise des attaques de Donald Trump ?

Pas tout à fait. Mais il faut noter que son état moribond ne date pas des années Trump. En fait, le multilatéralisme économique est mal en point depuis 2006, année où les dirigeants de l’OMC actent l’échec du cycle de Doha. Un petit espoir renait début décembre 2021 lorsque 67 pays (dont les États-Unis et la Chine) trouvent un accord pour faciliter les échanges de services. Mais vu la situation géopolitique mondiale sur fond de guerre en Ukraine et surtout de guerre froide économique entre Washington et Pékin, il est difficile d’espérer mieux dans les prochaines années.

 

 

Que retenir du discours de Macron aux diplomates ?

Thu, 01/09/2022 - 18:53

Emmanuel Macron a ouvert aujourd’hui la conférence annuelle des ambassadrices et ambassadeurs par le traditionnel discours présidentiel. Ce discours intervient dans un contexte international particulièrement instable dans lequel la France peine à faire entendre sa voix.

L’analyse de Pascal Boniface.

Tensions politiques en Irak : la crise peut-elle encore s’aggraver ?

Thu, 01/09/2022 - 16:20

Si le calme est revenu à Bagdad alors que de violentes manifestations ont fait 30 morts et près de 600 blessés ce lundi 29 août, l’Irak semble inexorablement dans l’impasse. Plongé dans une crise politique et communautaire depuis l’agression états-unienne de 2003, le pays semble à présent se déchirer sur fond de conflit intra-chiite. Quelles en sont les causes ? Dans quel état économique se trouve le pays près de 20 ans après la chute de Saddam Hussein ? L’Irak peut-il replonger dans une guerre civile ? Le point avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, en charge du Programme Moyen-Orient/Afrique du Nord.

 

Le retrait de la vie politique du leader chiite Moqtada al-Sadr ce lundi 29 août a provoqué des affrontements meurtriers à Bagdad. Que disent ces évènements de la crise politique qui secoue l’Irak et notamment la communauté chiite ?

Il semble tout d’abord nécessaire de rappeler que l’Irak subit encore aujourd’hui les conséquences différées de l’agression états-unienne unilatérale de 2003 qui a eu pour conséquence une dislocation de la société et de l’appareil d’État du pays. Le renversement du régime de Saddam Hussein, sous le fallacieux prétexte d’instaurer la démocratie, a entraîné des réactions en chaîne. Exacerbation des oppositions communautaires ethnico-confessionnelles et risques de partition du pays y afférant, affirmation de l’État islamique qui est parvenu à conquérir Mossoul, la deuxième ville du pays, en juin 2014 sont autant d’indices de la difficulté du pouvoir central, en outre soumis aux pressions antinomiques des États-Unis et de l’Iran, à assurer ses fonctions régaliennes.

La défaite en 2017 de l’État islamique sur le sol irakien pouvait laisser espérer un début de normalisation. Pourtant, le mouvement de contestation sociale de l’automne 2019 et la répression qui s’en suivit (environ 600 morts) indiquèrent assez clairement que les défis sociaux et politiques restaient entiers. L’organisation d’élections législatives en octobre 2021 n’a non seulement pas permis de stabiliser la situation, mais a renforcé les tensions. Le vainqueur de ces élections, Moqtada al-Sadr, dirigeant chiite, nationaliste et populiste, n’est en effet pas parvenu à constituer un gouvernement avec ses alliés sunnites et kurdes rompant avec la pratique qui prévaut depuis 2003 d’un pacte entre les différentes forces politiques représentées au Parlement. Les luttes d’influence avec les différents regroupements chiites pro-iraniens ont jusqu’alors empêché toute possibilité de parvenir à une solution de compromis.

Au mois de juin 2022, Moqtada al-Sadr tente un coup de poker en enjoignant aux députés de son mouvement de démissionner collectivement de leur mandat pour, espère-t-il, être rappelé en position de force. Mais ses adversaires chiites tentent de profiter de la situation pour former un gouvernement en son absence ce qui entraîne en réaction l’occupation du Parlement par les partisans de Moqtada al-Sadr à la fin du mois de juillet durant quelques jours. C’est enfin son annonce de se retirer définitivement de la vie politique – mais ce n’est pas la première fois qu’il fait une telle déclaration – qui a cristallisé une nouvelle vague de violences ces derniers jours.

Ce qui apparaît singulier, même si pas réellement inédit, c’est que les violences ont lieu actuellement au sein même de la « maison chiite » opposant les nationalistes incarnés par Moqtada al-Sadr aux organisations pro-iraniennes principalement regroupées dans le « Cadre de coordination ».

Les partisans de Moqtada al-Sadr qui ont exprimés leur mécontentement par les armes sont avant tout issus de milieux populaires. Quelle est la situation économique actuelle de l’Irak ?

Bien évidemment l’une des principales contradictions du pays est l’importance considérable des ressources pétrolières alors qu’une importante partie de la population vit dans une grande misère. La corruption, la prévarication, les prébendes sont consubstantielles au système actuel et les ressources de l’État sont littéralement mises en coupe réglée par des partis et des organisations politiques aux intérêts contradictoires. L’État fonctionne sans budget voté depuis deux ans et sans gouvernement effectif depuis octobre 2021. Outre l’antagonisme entre nationalistes et pro-iraniens déjà évoqué, un autre paramètre qui structure les violentes oppositions à l’œuvre réside dans la capacité de chacun des grands regroupements politiques à capter les ressources de l’État au profit de ses affidés. C’est une situation qui gangrène littéralement le pays. Vivement dénoncé par le mouvement de contestation de l’automne 2019 cet état de fait n’a malheureusement aucunement évolué.

Une des particularités du mouvement de Moqtada al-Sadr est de posséder une impressionnante et très mobilisable base populaire. Ce sont probablement des millions de personnes paupérisées à qui ce dernier a distribué de l’argent, des postes, mais fournit aussi une forme de fierté d’appartenir à une communauté représentée par un leader qui exerce un véritable charisme sur ses troupes. Cela explique en partie les violentes réactions de ces derniers jours quand il a annoncé son retrait de la vie politique, ce qui probablement était voulu de sa part. En réalité, Moqtada al-Sadr n’abandonnera pas la vie politique, d’autant que se profile la question de la succession de Ali Sistani, très vieil homme et plus haute autorité religieuse chiite irakienne. Instrumentalisant une situation économique très dégradée, s’étant constitué une base militante disciplinée et réactive, Moqtada al-Sadr restera un des paramètres politiques incontournables de l’Irak des années à venir.

Le président irakien Barham Saleh s’est prononcé en faveur d’élections anticipées. Moqtada al-Sadr et ses rivaux du Cadre de Coordination s’accordent sur ce point. Mais si le clerc chiite souhaite dissoudre le Parlement pour renforcer sa majorité, ses adversaires veulent eux d’abord nommer un gouvernement. Selon vous, la tenue de ces élections est-elle envisageable et permettrait-elle une sortie de crise pour l’Irak ?

Aucun des paramètres actuels ne prédispose à un quelconque optimisme et à imaginer la possibilité d’un dénouement positif et à court terme de la crise. Les réponses strictement institutionnelles ont montré leurs limites dans le cadre actuel et ne peuvent malheureusement pas constituer une perspective crédible pour stabiliser la situation. La seule manière de parvenir à une forme de normalisation politique serait de mettre en œuvre les conditions de formation d’un gouvernement inclusif ménageant une représentativité à l’ensemble des composantes de la société irakienne. C’est indéniablement un vœu pieux aujourd’hui. Se pose aussi le défi d’une redistribution plus égalitaire des revenus pétroliers, inutile de préciser que c’est inenvisageable dans la conjoncture. Une période de turbulences est réouverte et il faut souhaiter, a minima, qu’elle ne dégénère pas en guerre civile. Ce danger semble évité dans l’immédiat, même si le positionnement de l’Iran, qui œuvre traditionnellement pour un Irak faible mais plutôt stabilisé, est dans le moment présent difficile à décrypter. La politique aujourd’hui suivie par Téhéran cherche visiblement à en découdre avec le mouvement sadriste par l’intermédiaire du dense réseau de milices et regroupements politiques divers méthodiquement édifié depuis dix-neuf ans.

On le voit l’Irak est ingouvernable et se trouve aujourd’hui dans une situation d’apesanteur politique au sein de laquelle tout peut très vite dégénérer.

La guerre en Ukraine : jusqu’où ?

Thu, 01/09/2022 - 16:01

La guerre lancée le 24 février par la Russie contre l’Ukraine entre dans son septième mois et celle-ci ne semble pas en voie de prendre fin. Cette « opération militaire spéciale », pour reprendre l’appellation officielle utilisée par le Kremlin, devient une guerre prolongée qui semble devoir durer encore longtemps.

Comment se terminent généralement les guerres ? Elles peuvent prendre fin lorsqu’une médiation internationale réussit. Cependant, dans ce cas, on ne voit pas qui pourrait prendre le rôle de médiateur. Aucun des pays occidentaux ne peut remplir ce rôle. Étant alliés à l’Ukraine, ces derniers ne peuvent être considérés comme neutres par la Russie. La Chine non plus, jugée trop proche de la Russie. Rares sont donc les pays qui peuvent être acceptés comme médiateurs par Kiev et Moscou. La Turquie, avec l’aide de l’ONU, a pu obtenir un accord minimal sur l’exportation de céréales à partir de la mer Noire, mais cela ne  permet pas à Ankara d’être tenu comme le faiseur de paix entre la Russie et l’Ukraine.

Deuxième hypothèse, la guerre peut également prendre fin par l’épuisement des protagonistes. Ce serait en effet parce que les belligérants sont épuisés que la guerre prendrait fin, en témoigne la fin de la longue et si coûteuse guerre entre l’Iran et l’Irak en 1988. Cependant, dans le cas présent, les protagonistes sont certes très atteints d’un point de vue matériel et humain, mais on ne peut pour le moment parler d’épuisement ni d’un côté ni de l’autre. D’autant que l’enjeu est trop important pour chaque protagoniste. Côté ukrainien, c’est le territoire national qui est en jeu. Côté russe, c’est le régime même qui pourrait tomber s’il était contraint à mettre fin à la guerre sur une défaite.

Troisième possibilité enfin, la guerre pourrait prendre fin par une victoire  d’un des deux protagonistes. Là aussi on voit difficilement qui pourrait réclamer une victoire, car il semble que l’affrontement s’équilibre. Il y a certes un avantage qui devrait s’accentuer côté ukrainien s’agissant du matériel militaire – grâce au soutien occidental – mais la Russie est désormais en position défensive dans le Donbass et pour reconquérir un territoire il faut généralement trois fois plus de troupes  à l’offensive qu’à la défensive. Le plus probable est donc que cette guerre d’une assez grande intensité s’inscrive dans la durée.

Du point de vue russe, on ne voit plus très bien ce qui pourrait constituer une victoire. Le rêve d’aller jusqu’à Kiev et de mettre en place un régime aux ordres de Moscou s’est évanoui et, du fait des difficultés de l’armée russe sur le terrain, on imagine mal de nouvelles avancées. L’armée russe peut peut-être tenir les territoires qu’elle a déjà conquis, mais elles auront bien du mal à pénétrer davantage en territoire ukrainien. Tenir le Donbass pourrait-il constituer une victoire pour Moscou, au risque de devoir supporter plus longtemps le coût de la guerre ? L’impopularité du régime russe pourrait être croissante à mesure que le coût humain de la guerre devient important. C’est d’ailleurs pour cela que Vladimir Poutine ne veut déclarer ni la guerre ni la mobilisation générale, craignant la réaction de la population. En effet, bien que les libertés aient été d’autant plus étouffées depuis le début de la guerre en Russie, la population pourrait commencer à s’opposer au régime si trop de fils et de maris perdaient la vie dans cette guerre .

Pour Vladimir Poutine, l’objectif est de maintenir sa position actuelle, mais encore faudrait-il que les Ukrainiens acceptent ce statu quo. Ce n’est évidemment pas le cas puisque l’Ukraine a déclaré avec vigueur, y compris par la voix du président Zelensky, qu’elle combattrait jusqu’à la victoire. De même, les pays occidentaux ont déclaré les uns après les autres leur détermination à soutenir l’Ukraine tout le temps qu’il faudra.

Côté ukrainien, quelle situation pourrait être considérée comme une victoire ? Difficile à dire puisque les objectifs de Kiev ont évolué depuis le début du conflit. Dans un premier temps,  la victoire signifiait reprendre les territoires perdus depuis le 24 février. Fin août, Volodymyr Zelensky affirmait que la victoire passerait notamment par la reconquête de la Crimée annexée en 2014 par Moscou, ainsi que les Républiques autoproclamées de Donetsk de Lougansk. Cette perspective pose plusieurs problèmes. Qu’en est-il de la faisabilité d’une telle opération ? L’armée ukrainienne est-elle en capacité de reconquérir ces territoires sans une intervention plus directe des pays occidentaux ? Ensuite, même si l’annexion de la Crimée fut illégale du point de vue du droit international, la population de cette région se sent majoritairement russe et ne veut pas redevenir ukrainienne. Cette reconquête se ferait donc contre l’assentiment de la majorité de la population. De même, chercher à reconquérir la Crimée risquerait de pousser à l’intensification du conflit. Il est en effet difficilement envisageable que Vladimir Poutine accepte de perdre  la Crimée sans réagir vivement.

En ce sens, les pays occidentaux, qui assurent vouloir soutenir l’Ukraine jusqu’au bout, ne devraient-ils pas discuter avec Zelensky des objectifs de la guerre et de ce qui pourrait constituer une victoire ukrainienne ? Ne faudrait-il pas exprimer notre soutien en ce qui concerne la reconquête des territoires perdus depuis le 24 février, mais pas concernant la Crimée ? D’ailleurs, au tout début de la guerre, un compromis qui semblait envisageable et avoir était accepté par les Ukrainiens était de distinguer et de repousser les négociations sur le statut final de la Crimée pour se concentrer sur la récupération des territoires conquis depuis le déclenchement de la guerre.

Sans l’aide occidentale, l’Ukraine aurait certainement déjà perdu cette guerre. Cette aide lui est nécessaire pour résister et reconquérir les territoires perdus depuis le 24 février. L’aide apportée devrait donner quelques moyens de levier aux pays occidentaux pour discuter de ce que pourrait être la victoire finale et éviter de s’enfoncer dans une guerre interminable qui pourrait s’intensifier et complètement dégénérer.

Les pays occidentaux doivent être solidaires de l’Ukraine, mais cette solidarité ne doit pas empêcher une négociation avec Kiev. L’Ukraine n’a pas à déterminer l’agenda stratégique des pays occidentaux. Il ne faudrait pas tomber dans une sorte de solidarité passive et laisser Volodymyr Zelensky décider seul de l’avenir de la guerre, sans que les pays qui le soutiennent aient leur mot à dire.

 

Visite d’Emmanuel Macron en Algérie : entre enjeux mémoriel, énergétique et stratégique

Wed, 31/08/2022 - 15:26

Le président français, Emmanuel Macron, vient de se rendre en Algérie pour une visite de trois jours. Le choix de l’Algérie comme première destination du second mandat du président de la République française traduit l’importance d’une telle rencontre dans un contexte marqué par le retour de la diplomatie algérienne sur la scène régionale, la dégradation des relations bilatérales entre l’Algérie et la France et la crise énergétique mondiale causée par la guerre en Ukraine. C’est aussi un moment symbolique, car l’Algérie a fêté en juillet son soixantième anniversaire d’indépendance. Paris vise à rétablir la confiance entre les deux pays après plusieurs mois de frictions qui ont refroidi leurs liens et relancer la coopération bilatérale.

En effet, les relations entre Alger et Paris ont été ébranlées à la suite des révélations dans le journal Le Monde des propos du président français qualifiant le régime algérien de « politico-militaire » et l’accusant d’entretenir « une rente mémorielle » pour maintenir sa légitimité. Ces propos ont heurté les dirigeants algériens et ont débouché sur un grave incident diplomatique : Alger a rappelé son ambassadeur à Paris et fermé son espace aérien à l’armée française qui le survole vers le Mali dans le cadre de l’opération Barkhane.

Décryptage des enjeux de cette visite.

Accompagné d’une délégation de 90 personnalités issues des mondes économique, politique, académique et culturel, la visite d’Emmanuel Macron a été qualifiée d’« officielle » et « d’amitié », et présentée par l’Élysée comme une occasion de déminer le terrain notamment sur la question mémorielle. Elle constitue une étape indispensable pour dépassionner la relation entre l’Algérie et la France et sortir de l’engrenage des tensions chroniques sur le passé colonial qui envenime les rapports entre les deux États. Une commission mixte composée d’historiens algériens et français sera mise en place dans le but de travailler sur l’histoire coloniale « avec lucidité », comme l’a annoncé le président français depuis Alger. Cette commission fait suite à la feuille de route tracée par le rapport Stora et une série de gestes du président français, comme la restitution des crânes de combattants algériens et la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans l’assassinat du mathématicien Maurice Audin et de l’avocat Ali Boumendjel, deux militants pour l’indépendance de l’Algérie.

Le courant semble être bien passé entre les deux présidents, qui ont affiché leur volonté d’améliorer les relations entre les deux pays et de poser les jalons d’une nouvelle forme de coopération basée sur le respect et l’intérêt mutuels. Souvent sujet de crispation, la question de mobilité des personnes était aussi au cœur des discussions entre les deux gouvernements. La France avait réduit de moitié le nombre de visas délivrés aux Algériens en réaction au contentieux sur la délivrance de laissez-passer par les services consulaires algériens à leurs ressortissants expulsés par les autorités françaises. L’Élysée a annoncé ainsi accueillir 8 000 étudiants de plus chaque année et faciliter l’octroi des visas pour les artistes et autres catégories de professionnels. Cette démarche s’inscrit dans la perspective de l’immigration choisie, visant à promouvoir les échanges dans les domaines de la recherche, de la culture et surtout de l’économie. Car si cela a été peu évoqué dans le discours d’Emmanuel Macron, cette visite était loin d’être désintéressée dans le cadre de la coopération économique, notamment dans le domaine énergétique. Guerre en Ukraine et embargo russe obligent.

Le gaz algérien représente en effet un enjeu majeur pour l’Union européenne (UE) en général. Depuis le début de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine provoquée par la Russie, l’UE se tourne vers l’Algérie, dans le top dix des plus grands producteurs de gaz au monde, afin de réduire sa dépendance au gaz russe. Si la France est moins dépendante au gaz russe que ne le sont ses partenaires européens, elle n’est pas moins intéressée par le gaz algérien pour de multiples raisons. D’abord, un nouvel accord sur l’augmentation de l’importation du gaz algérien permettra de maintenir des prix préférentiels et de sécuriser l’approvisionnement du produit en diversifiant les sources, en plus du gaz norvégien. De plus, derrière la coopération énergétique, il existe un marché colossal à conquérir pour les entreprises françaises. Alger compte d’ailleurs accroître sa production en gaz en vue de répondre à la demande européenne. Troisième fournisseur en gaz de l’Europe après la Russie et la Norvège, l’Algérie est devenue aujourd’hui le premier fournisseur de certains pays comme l’Italie.

Trois gazoducs relient l’Algérie à l’Europe : le gazoduc Maghreb-Europe (GME) traverse le Maroc, le Medgaz traverse directement la Méditerranée vers l’Espagne, et le gazoduc Enrico Mattei (Transmed) passe par la Tunisie vers l’Italie. En raison des tensions relatives au dossier du Sahara occidental, Alger a fermé le GME depuis la fin du contrat le 31 octobre 2021. La coopération entre Alger et Madrid souffre également depuis le dérapage du Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, sur la question du Sahara occidental qui a provoqué un grave incident diplomatique entre les deux États. Alger a suspendu le traité « d’amitié, de bon voisinage et de coopération », signé en 2002. C’est donc vers l’Italie que l’Algérie se tourne pour accroître ses exportations vers l’Europe. La coopération entre la compagnie algérienne Sonatrach et l’italienne Eni vise à augmenter le volume des exportations du gaz algérien de 9 milliards m3/an à partir de 2023. L’Italie souhaite ainsi devenir un hub gazier pour l’Europe, d’autant que ce gazoduc peut transporter jusqu’à 33,15 milliards de m3 par an, quatre fois plus le Medgaz qui relie l’Algérie à l’Espagne.

La volonté d’Alger d’augmenter ses capacités de production en gaz offre des opportunités inestimables aux compagnies étrangères en quête de coopération avec le géant énergétique algérien dans les domaines du forage, de l’exploitation et de la construction d’infrastructures. D’autant que l’Algérie a signé avec le Nigeria et le Niger un mémorandum pour le gazoduc transsaharien : un méga projet qui vise à acheminer le gaz nigérien, premières réserves en Afrique, vers l’Algérie afin de le redistribuer à l’Europe via Transmed.

Malgré les frictions, l’Algérie reste un partenaire économique important pour la France, avec environ 7 milliards d’euros d’échanges commerciaux en 2020, en pleine crise sanitaire, et 450 entreprises françaises implantées sur le territoire algérien. Les investissements français en Algérie concernent principalement les activités financières et d’assurance (36 %) et l’industrie manufacturière (29 %) partagée entre les secteurs de l’automobile, pharmaceutique et agroalimentaire. Pourtant, la position de la France souffre beaucoup ces dix dernières années face à la concurrence des autres puissances régionales et internationales, principalement la Chine et la Turquie, qui ne cessent d’augmenter leur part de marché en Algérie, dans les secteurs du BTP, du textile, et le secteur militaire qui reste dominé par la Russie qui fournit 67 % de l’armement algérien, loin devant la Chine qui détient 13 % des parts de marché.

La rencontre entre Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron a abouti à la signature d’une déclaration commune de coopération qui couvre différents secteurs. Cela traduit leur volonté d’approfondir la coopération entre les deux pays, élargie à tous les domaines. En revanche, le volet défense et sécurité comporte les dossiers les plus sensibles de cette rencontre. Ainsi, une réunion s’est tenue entre les deux chefs d’État en présence des chefs d’état-major et des responsables de la sécurité intérieure et extérieure des deux pays pour traiter de la sécurité au niveau régional, notamment au Sahel. Une telle réunion, inédite dans l’histoire des relations entre les deux pays, vise à renforcer les relations bilatérales dans le domaine sécuritaire.

Alger et Paris ambitionnent ainsi de promouvoir leur coopération stratégique dans une région très instable et un environnement géopolitique tendu, marquée par : le retrait de l’armée française au Mali, précipité par la dégradation des relations entre Bamako et Paris ;  le redéploiement de l’opération Barkhane au Niger et au Tchad ; le conflit en Libye ; l’escalade des tensions entre Alger et Rabat exacerbées par la normalisation entre le Maroc et Israël qui signent un partenariat stratégique inédit entre les deux États. Mise en difficulté par la présence russe au Mali, notamment via la présence des mercenaires de Wagner, la France cherche l’appui de l’Algérie pour maintenir son influence dans le pays et au Sahel. Deuxième force militaire en Afrique, l’Algérie est aussi chef de file de la médiation au Mali et préside le comité de suivi de l’accord de paix signé en 2015. L’Algérie s’impose donc aujourd’hui comme un acteur incontournable dans la région. Bien que proche de Moscou, Alger ne voit pas d’un bon œil l’ingérence étrangère chez ses voisins directs, encore moins des groupes privés comme Wagner.

Toutefois, la volonté de construire un partenariat stratégique risque de faire face à une réalité complexe via des intérêts qui ne sont pas toujours convergents. Il importe en effet de souligner qu’Alger rechigne à toute intervention militaire au Sahel. C’était déjà le cas lors de l’engagement de l’opération Serval en 2013. En effet, Alger a toujours privilégié une solution politique basée sur le dialogue. Malgré la réforme constitutionnelle permettant au président algérien d’envoyer son armée hors des frontières, il est très peu probable que le pays accepte d’intervenir militairement au Mali ou au Sahel. Par contre, une coopération avec Paris pourrait inciter Alger à redynamiser le Comité d’état-major opérationnel conjoint, créé sous l’égide de l’Algérie en 2010 avec le Mali, la Mauritanie et le Niger. Cette structure était relativement peu efficace et concurrencée par d’autres initiatives comme le G5-Sahel. Mais elle peut, toutefois, jouer un rôle dans le contexte actuel, d’autant que le Mali ne fait plus partie du G5-Sahel.

L’autre sujet de sensible concerne le conflit du Sahara occidental. Alger pourrait être amené à demander à Paris de clarifier sa position sur ce dossier et d’exiger au moins la neutralité. En revanche, si le rapprochement de Rabat avec l’axe Washington/Tel-Aviv n’est pas non plus du goût de Paris, cette dernière ne prendra pas le risque de fâcher le Royaume chérifien, allié traditionnel et premier client en Afrique de l’armement français, même si ses importations ont baissé récemment en faveur de Washington. Les positions algérienne et française sur le dossier libyen ne sont pas non plus sur la même ligne : Paris soutient activement le Maréchal Haftar, l’homme fort de l’Est ; tandis qu’Alger promeut une posture de neutralité, voire orientée en faveur du gouvernement à Tripoli, dans le respect de la légalité internationale. Enfin, Alger tient à sa diplomatie d’équilibre et entretient des partenariats solides avec d’autres puissances comme la Chine, la Russie, les États-Unis et la Turquie, qui restent des concurrents aux yeux de Paris. D’ailleurs, la Russie participera à des manœuvres militaires conjointes avec l’Algérie en novembre, sur la base militaire Hammaguir près des frontières marocaines, axées sur la lutte contre les groupes armés.

En somme, le contexte est bien propice pour que la France et l’Algérie consolident leur coopération. Un contexte marqué notamment par le retour de la diplomatie algérienne et l’instabilité au Sahel et au Maghreb qui pousse Paris à renouer la relation avec Alger. Mais le terrain reste miné et semé d’embuches.

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