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Ursula von der Leyen: la stratégie du Bunker

mer, 18/09/2019 - 19:19

Ursula von der Leyen a la réputation d’être intelligente, bosseuse et surtout capable de survivre en milieu hostile, des qualités qu’ont en commun les vieux crocodiles de la politique. Pourtant, tant à Bruxelles que dans plusieurs capitales européennes, on commence à se poser des questions face à l’amateurisme persistant de la nouvelle présidente de la Commission.

Désignée, le 2 juillet, à la surprise générale - et sans doute à la sienne propre - par les chefs d’État et de gouvernement, elle ne connaissait pas grand-chose à l’Europe et rien du tout à la Commission. D’où des débuts particulièrement chaotiques lors de ses premières rencontres avec les députés européens qui lui ont valu d’obtenir un vote de confirmation particulièrement étroit le 16 juillet à Strasbourg (383 voix contre 327). On aurait pu alors croire qu’elle allait s’entourer d’une équipe solide pour préparer et la répartition des portefeuilles entre les commissaires désignés par les États et son programme d’action. C’est tout le contraire qui s’est passé.

Car Ursula von der Leyen ne fait confiance qu’à deux hommes qu’elle a déjà imposés dans les mêmes fonctions au ministère de la Défense à Berlin, son chef de cabinet Bjoern Seibert, et son porte-parole, l’ancien journaliste Jens Flosdorff, qui ne connaissent strictement rien aux affaires européennes. Gênant alors qu’ils sont censés pallier les manques de leur présidente. Seibert s’est même déjà taillé une réputation peu enviable : paranoïaque, tyrannique, refusant le moindre conseil. Quant à Flosdorff, il a étalé son incompétence lors de la première conférence de presse d’Ursula von der Leyen, le 10 septembre : incapable de reconnaitre le moindre journaliste, puisqu’il refuse tout contact avec la presse (son numéro de téléphone ne figure nulle part), il a donné la parole à des représentants de think tank à la grande surprise des médias… « Ce trio n’accepte absolument aucun conseil tant de l’intérieur de la Commission que de l’extérieur, comme s’ils étaient entourés d’ennemis », raconte un diplomate interloqué. « Alors que les fonctionnaires européens et les États sont là pour les aider à réussir. Mais ça ils ne le comprennent manifestement pas », poursuit-il.

Preuve de cet enfermement : von der Leyen n’a toujours pas constitué son cabinet, ce qui est sans précédent. Elle se contente pour l’instant des quatre fonctionnaires (toutes des femmes) que Martin Selmayr, le secrétaire général désormais déchu, lui a fourni et dans lesquelles elle n’a aucune confiance. « En plus, Seibert cherche à s’entourer uniquement d’Allemands, ce qui n’est pas précisément l’esprit de l’Europe », raconte sidéré un diplomate européen. Un fonctionnement en cercle fermé sans doute adapté au panier de crabes du ministère de la défense allemand, ce qui a permis à von der Leyen de survivre à ce poste quasiment six ans, mais absolument pas à l’exécutif européen.

« Ils ont failli planter la répartition des portefeuilles par amateurisme et c’est l’intervention de Selmayr (conseiller hors classe de Jean-Claude Juncker) qui, pour le coup, a permis de justesse d’éviter le pire ». Résultat : von der Leyen a découragé beaucoup de bonnes volontés. Ainsi, elle n’a toujours pas trouvé quelqu’un pour diriger le service du porte-parole, personne ne voulant travailler dans de telles conditions. Sa volonté d’installer un appartement de fonction au 13èmeétage du Berlaymont, le siège de la Commission, en rupture avec tous les usages, ne présage pas d’une volonté d’ouverture au monde...

Photo: dpa

Catégories: Union européenne

Euro: "Super Mario" tire son dernier coup

ven, 13/09/2019 - 19:57

Mario Draghi a tiré son dernier coup monétaire à la tête de la Banque centrale européenne (BCE), et quel coup ! L’Italien, qui va laisser la place à Christine Lagarde le 1er novembre, est une nouvelle fois passé sur le corps des banquiers centraux allemands et néerlandais pour soutenir une activité dangereusement faiblarde en décidant de réactiver le «quantitative easing» européen (QE, assouplissement quantitatif), un programme de rachats des dettes publiques et d’obligations privées mis en sommeil en décembre dernier. En clair, Francfort va recommencer à faire tourner la planche à billets. Il a aussi annoncé que le principal taux d’intérêt de l’institut d’émission (le Refi) resterait à zéro aussi longtemps que l’inflation n’aurait pas «solidement convergé» vers son objectif de 2%, ce qui annonce une longue période de taux faibles. La BCE confirme donc son choix de sacrifier les épargnants au profit des travailleurs.

A l’annonce de ces mesures, jeudi après-midi, les Bourses ont bondi, l’euro a faibli (1,10 dollar) et les taux des emprunts des Etats de la zone euro se sont encore détendus. Donald Trump a immédiatement réagi par un tweet rageur en accusant les Européens de «déprécier l’euro», ce qui nuit «TRÈS FORT» (en majuscule d’origine) aux exportations américaines. Le président américain menace ainsi implicitement de frapper d’un droit de douane supplémentaire les importations européennes, en particulier les voitures allemandes. Il s’en est aussi pris une nouvelle fois à la Réserve fédérale, dont les membres sont désormais traités de «crétins» par le locataire de la Maison Blanche : elle «reste assise sans rien faire», a-t-il écrit sur Twitter.

«Faiblesse de longue durée»

Pourtant, il y a une différence de taille entre les deux rives de l’Atlantique : si aux Etats-Unis la croissance est forte, elle ralentit de plus en plus en zone euro et l’inflation reste désespérément proche de 1%, en dépit de toutes les liquidités injectées par Francfort depuis quatre ans. La BCE a ainsi revu jeudi une nouvelle fois à la baisse ses prévisions de croissance : 1,1% en 2019 et 1,2% l’an prochain avec une inflation de 1,2% cette année et de 1% l’an prochain. Pour Mario Draghi, il faut s’attendre à une «faiblesse de longue durée» de l’économie de la zone euro à cause de la «faiblesse continue du commerce international dans un environnement d’incertitudes mondiales prolongées». En clair, le monde commence à payer les guerres commerciales de Trump.

Le premier QE lancé par la BCE en mars 2015, en dépit de l’opposition de la Bundesbank, visait à lutter contre le spectre de la déflation qui menaçait alors les 19 pays de la zone euro. Durant un an, elle a racheté 60 milliards d’euros par mois de bons du Trésor sur le marché secondaire, celui de la revente, avant de porter son volume de rachat à 80 milliards par mois en mars 2016 tout en l’étendant aux obligations d’entreprises.

En octobre 2017, elle a réduit ce volume à 30 milliards par mois avant de stopper le QE en décembre 2018. En tout, elle détient dans ses coffres 2 600 milliards d’euros d’obligations publiques (d’une maturité moyenne de huit ans) et privées, soit plus de 20% du PIB de la zone euro. Des titres qui seront renouvelés à leur échéance afin de ne pas perturber le marché. Ces rachats massifs, qui s’apparentent à une mutualisation de facto des dettes publiques nationales, ont permis de faire baisser le coût de l’argent, plus la plus grande joie des Etats, des entreprises et des ménages emprunteurs, et de dégager des liquidités censées être réinjectées dans l’économie réelle.

Limiter la casse

Evidemment, les épargnants ont particulièrement souffert de cette politique, les placements non risqués ne rapportant désormais plus rien quand ils ne sont pas rongés par l’inflation. Mais cela a aussi touché la rentabilité des banques. La réactivation du QE à partir du 1er novembre pour une durée non précisée, même si le volume est plus restreint que précédemment (20 milliards d’euros par mois), ne va pas arranger leurs affaires. D’autant que la BCE fait payer depuis 2016 les dépôts au jour le jour que les banques font à ses guichets.

Elle a même décidé de faire passer ce prélèvement de -0,40% à -0,50%. L’idée est de contraindre les banques à prêter leurs excès de liquidités plutôt que de les mettre à l’abri. Mais le poids de ce taux négatif est important : il est estimé, pour 2018, à 7,5 milliards d’euros, principalement supporté par les banques allemandes et françaises.

Pour limiter la casse, Mario Draghi a annoncé qu’une partie des liquidités excessives des banques serait à l’avenir exemptée de ce taux négatif. Dernier élément de ce paquet de mesures de relance, la BCE va lancer dès le 19 septembre une troisième série de prêts géants (TLTROIII) aux banques à des taux négatifs (et sur trois ans) afin de les encourager à prêter aux entreprises et aux ménages.

Liquider l’héritage

«Super Mario» va donc laisser à Christine Lagarde une BCE qui n’a plus rien à voir avec celle qui a présidé au lancement de l’euro en 1999 : l’héritage de la Bundesbank a été liquidé, et Francfort se comporte désormais comme toutes les autres grandes banques centrales du monde. Mais la politique monétaire ne pourra à elle seule régler les déséquilibres de la zone euro qui expliquent la faiblesse de son activité : au-delà des réformes structurelles que les Etats doivent mener pour remettre leurs économies d’aplomb, la monnaie unique souffre de l’égoïsme allemand (et néerlandais), des Etats qui n’investissent plus depuis dix ans leurs excédents d’épargne au sein de la zone euro, mais en Chine ou aux Etats-Unis et de leur refus de relancer les investissements publics. «Super Mario» a d’ailleurs appelé ces pays à en finir avec leur rigueur budgétaire d’un autre temps. L’Allemagne, première bénéficiaire de la monnaie unique et de la construction communautaire, estime qu’elle n’a aucune responsabilité vis-à-vis de ses partenaires alors qu’elle serait la première à souffrir d’un éclatement de l’euro. Jens Weidmann, le patron de la Buba, a une nouvelle fois fait la démonstration de cet autisme germanique en estimant dans le quotidien Bild Zeitung, que la BCE avait «dépassé les bornes» en relançant le QE, estimant tout à la fois que cette politique faisait souffrir les épargnants (allemands) et brouillait «la ligne de démarcation entre politique monétaire et politique budgétaire» en permettant aux Etats endettés de se refinancer à bon compte. Autant dire que la solution des problèmes de la zone euro ne passe pas par Francfort, mais par Berlin.

Catégories: Union européenne

La Commission von der Leyen, une armée mexicaine?

ven, 13/09/2019 - 01:01

Clap de fin pour la crépusculaire « commission de la dernière chance » du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker (2014-2019). Alors que les crises des années 2008-2015 qui ont secoué l’Europe se sont apaisées, Ursula von der Leyen, la présidente élue de la Commission, entend rompre avec le discours apocalyptique de ces dernières années. En présentant hier sa nouvelle équipe et la répartition des portefeuilles entre ses vingt-six commissaires, elle a souhaité que le nouvel exécutif, qui doit prendre ses fonctions le 1er novembre, soit simplement « agile et moderne ». Signe le plus évident de cette modernité revendiquée : pour la première fois, la Commission est présidée par une femme et le collège, comme elle l’avait demandé aux États, est paritaire (14 hommes et 13 femmes, les Britanniques en plein « Brexit drama » n’ayant désigné personne). La commission Juncker, elle, ne comptait que 9 femmes.

Une commission bureaucratisée

Mais la structure que l’ex-ministre de la défense allemande a dévoilée hier semble aller à l’encontre de son objectif d’agilité : afin d’essayer de faire fonctionner un collège qui compte bien trop de commissaires pour les compétences limitées dévolues à l’Union, elle a fait le choix de le hiérarchiser à l’extrême et partant de le bureaucratiser. En théorie, les commissaires, qui sont désignés par leur gouvernement respectif, sont égaux et les votes sont acquis à la majorité simple. Autrement dit, nul n’est maitre de son dossier et chaque commissaire peut dire son mot sur ceux de ses collègues. Mais depuis la Commission Prodi (1999-2004), la tendance est à la présidentialisation et à la spécialisation. Il est désormais rare que des votes aient lieu : le commissaire traite avec le président ou plutôt avec son chef de cabinet et l’affaire est close. Juncker avait été plus loin en créant des postes de vice-présidents chargés de coordonner le travail de plusieurs commissaires (« cluster » en anglais), mais sans autorité directe sur les directions générales de la Commission (et donc les fonctionnaires) qui restaient contrôlées par le commissaire en titre.

Comme c’était prévisible, les luttes de pouvoirs se sont multipliées à l’image de celles, homériques, qui ont opposé le Français Pierre Moscovici, chargé des affaires économiques et monétaires, et le Letton Valdis Dombrovkis, le vice-président censé le superviser. D’autres vice-président ont carrément renoncé et se sont laissé marginaliser, comme le Néerlandais Frans Timmermans qui s’est contenté de gérer le dossier polonais… Bref, le bilan de cette expérience est clairement négatif.

Pourtant, Ursula von der Leyen a décidé d’aller plus loin : à ses côtés, un premier vice-président (Frans Timmermans, chargé du « Green deal ») qui présidera la commission en son absence, deux vice-présidents de rang supérieur (Vladis Dombrovskis, chargé de l’économie, et Margrethe Vestager responsable de « l’Âge numérique »), quatre vice-présidents ordinaires (le grec Margaritis Schinas chargé de « protéger notre mode de vie européen », le Slovaque Maros Sefcovic qui entretiendra les relations avec les autres institutions et gérera la prospective, la Tchèque Vera Jourava qui veillera aux valeurs européennes et à la transparence, et la Croate Dubravka Suica, responsable de la protection de l’État de droit), le ministre des affaires étrangères (l’Espagnol Josep Borrel) qui a aussi le statut de vice-président et enfin un commissaire qui dépendra directement d’elle, l’inamovible Autrichien Johannes Hahn nommé au budget et à l’administration. Soit en tout huit vice-présidents, soit le tiers des commissaires…

Conflits

Pour ajouter un zeste de complexité, les trois vice-présidents de premier rang auront la gestion directe d’une direction générale (DG) à la différence des autres vice-présidents : Timmermans hérite de la DG climat, Vestager garde la concurrence, ce qui lui assure un record de longévité à ce poste, et Drombroskis gère la DG services financiers…

Le découpage des portefeuilles a aussi été revu et pas dans le sens de la simplicité. Ainsi, la Française Sylvie Goulard hérite du marché intérieur, comme Michel Barnier avant elle, mais sans les services financiers et avec le marché numérique et la nouvelle direction générale de la défense et de l’espace. Ou encore, l’élargissement et la politique de voisinage (confié au Hongrois Laszlo Trocanyi) sont séparés des « partenariats internationaux » (gérés par la Finlandaise Jutta Urpilainen) et du commerce (récupéré par l’Irlandais Phil Hogan qui va gérer la relation future avec Londres)…

Des conflits de compétences, d’égos et de nationalité risquent donc de se multiplier. D’autant que l’équilibre politique de la Commission est complexe. On compte pour la première fois plus de socio-démocrates (10) que de conservateurs (9), 5 libéraux, un apparenté vert, un indépendant (Slovénie) et un eurosceptique (Pologne). Si les querelles ont été violentes entre Moscovici et Dombrovskis, c’est aussi parce que l’un était socialiste d’un grand pays et l’autre ultra-conservateur d’un petit pays. Au passage, ce dernier va devoir une nouvelle fois composer avec un social-démocrate, Ursula von der Leyen ayant attribué le portefeuille des affaires économiques à l’Italien Paolo Gentiloni.

Mais tout n’est pas joué : il va maintenant falloir que les commissaires désignés passent un grand oral devant les commissions spécialisées du Parlement européen au début du mois d’octobre. Ceux dont les portefeuilles sont vastes, comme celui de Sylvie Goulard, vont devoir comparaitre devant plusieurs commissions. L’exercice n’est pas que de pure forme. Dans le passé, plusieurs impétrants ont dsoit rentrer chez eux, soit changer de portefeuille. Et le règlement intérieur du Parlement prévoit désormais que chaque commissaire doit être approuvé par une majorité des deux tiers des voix de commission, ce qui facilite les minorités de blocages, mais aussi les marchandages. D’ores et déjà, les auditions de la Française, du Polonais et du Hongrois s’annoncent houleuses. La première devra s’expliquer sur plusieurs affaires financières embarrassantes (lire par ailleurs). Le second, Janusz Wojciechowski, actuel membre de la Cour des comptes européenne, fait l’objet d’une enquête de l’OLAF, l’office anti-fraude de l’Union, pour avoir triché sur ses frais de transport (plusieurs dizaines de milliers d’euros)… Le troisième sur les lois liberticides qu’il a couvertes en tant que ministre de la Justice de Viktor Orban.

N.B.: article paru dans Libération du 11 septembre

Photo: AP

Catégories: Union européenne

BCE: Christine Lagarde dans les pas de "super Mario"

ven, 06/09/2019 - 20:33

Cela a été une promenade de santé pour Christine Lagarde. Auditionnée (pour avis) par la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, mercredi matin, la présidente désignée de la Banque centrale européenne (BCE) n’a, à aucun moment, été mise en difficulté par des eurodéputés. Ils semblaient s’être passé le mot pour éviter toutes questions embarrassantes, notamment sur son passé judiciaire… En réalité, une grande majorité d’entre eux aurait été conquise par n’importe quel candidat à condition qu’il ne soit pas Allemand. Chacun avait bien conscience que si Jens Weidmann, le très rigide patron de la Bundesbank, avait obtenu le poste à la place de la Française, le temps des politiques accommodantes et de l’argent gratuit aurait été révolu : l’homme n’a cessé de combattre la politique menée par l’actuel président de l’institut de Francfort, l’Italien Mario Draghi, depuis sa prise de fonction, le 1ernovembre 2011, y compris devant les tribunaux.

Plusieurs eurodéputés ont d’ailleurs tenu à souligner que c’est « Super Mario » - et non les États - qui a sauvé l’euro et les pays menacés de faillite par les marchés en lançant, le 25 juillet 2012 son fameux : « la BCE est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro. Et croyez-moi ce sera suffisant ». Il a ensuite convaincu une majorité des gouverneurs des banques centrales de la zone euro, mais pas Jens Weidmann, de se lancer dans des politiques dites « non conventionnelles », comme le rachat sans limites des obligations souveraines (OMT) attaquées par les marchés. C’est aussi lui qui a amené les taux de la BCE à zéro et a lancé, en mars 2015, un « quantitative easing » (QE, assouplissement quantitatif) afin de contrer avec succès la menace déflationniste. En clair, il a fait tourner la planche à billets afin de relancer l’activité économique et donc l’inflation. Résultat : Francfort a désormais dans ses coffres l’équivalent de 20 % du PIB de la zone euro et certains Etats empruntent à des taux négatifs sur les marchés. Draghi sera donc parvenu à liquider l’héritage de la Bundesbank qui a marqué les débuts de la BCE… C’est dire si l’homme est détesté outre-Rhin.

Comme les eurodéputés l’espéraient, Christine Lagarde, 63 ans, s’est résolument placée dans ses pas. « Sans la plasticité novatrice de la BCE, la crise de la zone euro aurait été bien plus profonde », a assumé celle qui vient de passer huit ans à la direction générale du Fonds monétaire international (FMI). Elle a reconnu, au passage, que les Banques centrales, vu la gravité de la crise de 2008-2012, ont dû « transgresser les traités ». Voilà qui va faire grincer des dents outre-Rhin. En dépit des critiques de plusieurs députés allemands et néerlandais sur « l’euthanasie des épargnants », elle a exclu tout retour à l’orthodoxie monétariste, « l’environnement actuel de basse inflation » dessinant un nouveau monde que personne ne comprend encore. « Au vu des menaces, il faut une politique monétaire qui s’adapte pour une longue période de temps ». Elle n’a d’ailleurs pas exclu que la BCE adopte de nouvelles mesures non conventionnelles même si les analystes estiment que sa boite à outils est vide : « personne n’aurait pu imaginer les nouveaux instruments inventés à l’époque » de la crise de la zone euro, a rappelé, un rien mystérieuse, Christine Lagarde. Pour elle, l’activité économique doit continuer à passer avant l’épargne, même si elle a reconnu qu’il fallait étudier « l’impact à long terme des politiques non conventionnelles », notamment sur la rentabilité des banques, l’épargne et le marché immobilier.

Elle a égratigné à plusieurs reprises l’Allemagne lors de son audition : « les banques centrales ne sont pas les seuls acteurs en ville. Certains pays de la zone euro peuvent faire usage de leurs marges budgétaires » afin de soutenir l’activité. Premières visées : l’Allemagne et les Pays-Bas. De même, elle a critiqué les plans d’assainissement appliqués à la Grèce largement inspirés par Berlin : elle a expliqué qu’elle s’était opposée à plusieurs mesures contreproductives. Elle estime notamment que le surplus primaire de 3,5 % du PIB exigé par l’Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances de la zone euro), mais surtout par l’Allemagne, est intenable et risque d’étouffer la reprise économique… Elle ne s’est pas arrêtée en si bon chemin en souhaitant la création d’un vrai budget de la zone euro, de bons du trésor européen, et l’achèvement rapide de l’union bancaire qui passe notamment par un fonds européen de garantie des dépôts, toutes innovations refusées en bloc par Berlin. « Il manque des maillons pour que l’euro soit un succès », a-t-elle souligné.

La présidente désignée veut enfin exercer son mandat en adoptant une vision plus large de la politique monétaire qui, selon elle, doit tenir compte des nouveaux défis que sont le changement climatique, l’intelligence artificielle et la remise en cause du multilatéralisme. En particulier, elle souhaite que la BCE élimine « progressivement » les titres financiers des entreprises polluantes qu’elle détient à la suite du QE.

Reste à savoir quelle présidente sera Christine Lagarde : elle a plaidé pour la concertation et pour le compromis. Or si Draghi a pu imposer sa politique, c’est en jouant du rapport de force brutal et en n’hésitant pas à passer sur le corps du patron de la Bundesbank. Chercher le compromis avec l’Allemagne, c’est la certitude du surplace…

Photo: AFP

Catégories: Union européenne

Sylvie Goulard : un choix risqué et contestable

lun, 02/09/2019 - 20:40

Emmanuel Macron ne pouvait pas, a priori, choisir personnalité plus idoine pour occuper le poste de commissaire européen que Sylvie Goulard, l’actuelle sous-gouverneure de la Banque de France : militante fédéraliste convaincue, elle a fait l’essentiel de sa carrière sur les questions européennes à Paris et à Bruxelles. D’abord à la Commission auprès de Romano Prodi, puis au Parlement européen où elle a été députée «libérale» entre 2009 et 2017. Et pour ne rien gâcher, cette énarque de 54 ans parle parfaitement allemand, anglais et italien, et connaît sur le bout des doigts l’Allemagne, un pays dont elle est très proche. Personne ne pourra mettre en doute ses compétences.

Mais, et c’est un énorme risque pris par le chef de l’Etat, il y a un côté obscur chez Sylvie Goulard, qui rend sa confirmation par le Parlement européen pour le moins incertaine. Après avoir rallié Macron dès octobre 2016, lui ouvrant son carnet d’adresses européen, Goulard avait dû démissionner de son poste de ministre des Armées, le 21 juin 2017, à peine un mois après y avoir été nommée, en raison de son implication dans le scandale des assistants parlementaires européens présumés fictifs du Modem. Or cette affaire n’est toujours pas jugée, ce qui donne la désagréable impression que ce qui empêche d’être ministre à Paris ne serait pas un obstacle pour occuper une fonction européenne. L’eurodéputé EE-LV Yannick Jadot l’a illico souligné sur Twitter.

Affaire gênante

A l’époque, la rapidité avec laquelle Goulard avait démissionné avait surpris. D’autant qu’elle a alors contraint François Bayrou, le ministre de la Justice et patron du Modem à qui elle devait son poste, à jeter l’éponge à son tour. Pour mieux se défendre, comme elle l’affirmait ? Ou pour éviter d’embarrassantes questions sur une autre affaire : ses liens avec un sulfureux milliardaire américain, Nicolas Berggruen, un «financier vautour» selon le magazine Forbes comme le rappelle Mediapart ? Entre 2013 et 2016, alors qu’elle était eurodéputée et donc rémunérée 8 760 euros brut mensuels, elle a touché «plus de 10 000 euros brut par mois»versés par un «think tank» financé par Berggruen. Pour quelles tâches ? Nul ne le sait. Ce n’était pas vraiment un secret, puisqu’elle l’avait signalé sur la «déclaration d’intérêts» que doivent remplir tous les eurodéputés. Mais un tel niveau de rémunération, sans être illégal, n’est pas anodin, Sylvie Goulard étant alors l’une des figures de proue du Parlement sur les questions économiques et financières. Une affaire pour le moins gênante pour celle qui clamait en octobre 2014, après avoir bataillé contre la nomination de Pierre Moscovici comme commissaire aux Affaires économiques et monétaires au motif qu’«il ne faut accepter que des personnalités incontestables, sinon les opinions publiques nous le reprocheraient».

Nul doute que les eurodéputés s’en souviendront alors qu’ils sont déterminés à rappeler aux Etats qu’ils disposent du pouvoir de confirmer ou non les commissaires proposés par les gouvernements. Beaucoup d’entre eux n’ont pas digéré que Macron ait réussi à tuer le système des «Spitzenkandidaten» en convainquant le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, en juillet, de désigner l’outsider Ursula von der Leyen. La faible majorité que la ministre de la Défense allemande a ensuite obtenue devant le Parlement européen le 16 juillet (383 voix contre 327) est un bon indicateur du malaise ambiant. La tentation sera donc forte de faire payer à Goulard, proche du chef de l’Etat, la facture que celui-ci a laissée. D’autant qu’elle a su se constituer de solides inimitiés au Parlement européen et au-delà, notamment Moscovici, Sandro Gozi, actuel conseiller d’Edouard Philippe, Guy Verhofstadt, ancien président du groupe libéral, François Bayrou, etc. Elle se montre volontiers méprisante avec ceux qu’elle ne juge pas à sa hauteur.

Déontologie

Alors que la date limite du dépôt des candidatures était fixée à dimanche, Macron a fait connaître sa décision avec deux jours de retard. Ce qui trahit de grandes hésitations, quoiqu’en dise le chef de la délégation française «Renaissance» au Parlement européen, Stéphane Séjourné, qui osait saluer mercredi «le choix de l’évidence»… Si tel était le cas, cette désignation serait intervenue dès juillet. En fait, le chef de l’Etat a exploré jusqu’au bout d’autres pistes : les noms des ministres Florence Parly (Armées) et Bruno Le Maire (Economie et finances) ont circulé avec insistance, tout comme celui de Benoît Cœuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne. Le choix final a été arrêté en concertation avec la présidente élue de la Commission, l’Allemande Ursula von der Leyen. «Goulard sera dans les mains des Allemands» se désolait mercredi un député du Modem. De fait, plusieurs élus d’outre-Rhin pourraient être tentés de soutenir cette Française qui a toujours défendu la vision économique et budgétaire de Berlin. Au fond, les eurodéputés devront dire s’ils privilégient l’engagement européen et la compétence des candidats… ou plutôt leur déontologie, comme le souhaitait Sylvie Goulard en 2014 ?

N.B.: article paru dans Libération du 29 août

Catégories: Union européenne

Boris Johnson ou le déclin de l'Empire britannique

mer, 31/07/2019 - 09:46

Voici la version française de mon article paru dans The Guardian du 16 juillet.

La scène se passe le 16 juin 1998 à Cardiff. Le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement clôturant la présidence britannique de l’Union vient de se terminer et le Premier ministre Tony Blair donne sa conférence de presse. Le dépenaillé rédacteur en chef adjoint du Daily Telegraph, Boris Johnson, qui va fêter ses 34 ans, prend la parole et se lance dans une longue tirade qui est davantage un éditorial qu’une question. Blair, de 10 ans son ainé et qui a fréquenté les mêmes écoles que Johnson, ironise : « Boris, vous devriez être Premier ministre ! » L’anecdote prend tout son sel 21 ans plus tard alors que l’ancien journaliste conservateur devenu un politicien retord pourrait bien faire son entrée au 10 Downing street

L’ascension de cet europhobe opportuniste laisse sans voix à Bruxelles où l’on garde un souvenir douloureux de celui que l’on surnomme encore ici le « bouffon ». Fils d’un ancien fonctionnaire européen - et même eurodéputé de 1979 à 1984 -, il s’y est fait connaitre comme correspondant du Daily Telegraph dans la capitale de l’Union entre 1989 et 1994. Tous ceux qui l’ont connu à cette époque en gardent un souvenir ému, car c’est lui qui a inventé un genre journalistique, les « Euromyths » que l’on appellerait aujourd’hui « Fake news ». Il n’a pas hésité, avec l’approbation de sa rédaction en chef, à travestir la réalité, voire à inventer de toutes pièces des histoires, afin de donner de l’Europe l’image d’un monstre bureaucratique prenant des décisions les plus absurdes. Comme me l’a alors expliqué ce jeune homme de 28 ans qui portait toujours des vestes froissées à la propreté douteuse et une chemise à moitié sortie du pantalon (so british !) : « il ne faut jamais laisser les faits arrêter une bonne histoire ». On peut citer, parmi celles-ci, la police visant à vérifier la courbure des bananes, la standardisation des cercueils, l’interdiction des cocktails de crevettes ou encore le mode de vie forcément somptuaire d’eurocrates surpayés et ne payant pas d’impôt.

Pour les Européens, Boris Johnson était et reste l’incarnation de ce qui se fait de pire dans l’élite anglaise (et non britannique) formée dans les Public schools et « Oxbridge », c’est-à-dire subtilement arrogante, totalement cynique, gentiment xénophobe, sûre de sa supériorité culturelle. Sur ce dernier point, et contrairement à l’image populaire qu’il aime à se donner, Johnson est un homme fin et d’une culture immense qui faisait pâlir d’envie ses collègues. Ainsi, un journaliste espagnol se souvient l’avoir vu lire un livre en grec ancien lors d’un voyage en avion. Il a même un jour posé une question en latin en salle de presse, à une époque où seul le français y était autorisé, à propos d’un soi-disant projet de directive visant à imposer les noms latins des poissons afin de faciliter la politique commune de la pêche... Boris Johnson en salle de presse de la Commission, c’était le spectacle assuré.

Humainement, Johnson était un dilettante qui s’assumait, un bon camarade, bon vivant, toujours prêt à donner un coup de main. Et surtout, il était toujours à l’affut de « la » bonne histoire. Son antienne quotidienne, prononcée d’une voix de Stentor qui résonne encore dans ma tête était : « what’s the story today, Jean ? » Mieux valait peser ses mots pour éviter de retrouver une histoire délirante et non sourcée dans le Telegraph… Il était totalement désarmant, car il ne s’agissait pas d’un idéologue hargneux pour qui l’Europe était le mal absolu, le nouveau Reich de mille ans. Non, plus simplement, c’était un homme sans conviction que tout amusait et qui ne se préoccupait absolument pas des conséquences de ce qu’il écrivait ou du mal qu’il faisait. Doté d’un solide sens de l’humour, il savait faire taire rapidement les critiques les plus virulentes : comment combattre un homme qui assume ses mensonges et n’a aucune illusion sur un métier qu’il n’exerçait que pour obtenir de l’influence. De ce point de vue, sa réussite a été totale : il a réussi l’exploit de transformer durablement la presse britannique, et pas seulement la presse conservatrice, qui a couru après le succès des Euromyths, une presse qui a pavé le chemin du Brexit. Un ancien correspondant du Times (un journal qui avait pourtant viré Johnson au début de sa carrière pour mensonge) pleurait presque en racontant que ses articles étaient totalement réécrits à Londres afin de coller aux préventions europhobes locales. Mais il est vrai que la vérité est souvent moins spectaculaire et ne fait pas vendre.

Voir cet enfant gâté, qui ment comme un enfant, à l’idéologie aussi molle qu’un caramel par temps de canicule, aux portes du pouvoir donne le sentiment aux partenaires de Londres d’assister au « déclin de l’Empire britannique », pour paraphraser le titre d’un film québécois (« le déclin de l’Empire américain »). Une sorte d’épiphanie d’une séquence politique ouverte avec la décision d’un condisciple de Johnson, David Cameron, d’organiser un référendum sur l’appartenance de son pays à l’Union qui a ridiculisé pour longtemps aux yeux du monde un Royaume-Uni incapable de sortir de l’Union.

Au fond, Boris Johnson est à l’image de la classe politique britannique : un politicien qui joue cyniquement avec l’avenir de ses concitoyens et de son pays pour s’emparer du pouvoir. Mais sa force est aussi d’être dépourvu de vraies convictions, ce qui le rend imprévisible. On considère à Bruxelles qu’il est capable de tout, même de renoncer au Brexit s’il y voit son intérêt personnel. Après tout, ne s’est-il pas longtemps opposé au Brexit avant de prendre la tête de la campagne du « leave », n’hésitant pas à mentir, et à l’admettre, ou à insulter ses partenaires européens avant de faire marche arrière… Tout compte fait, mieux vaut un « bouffon » pragmatique qu’un idéologue fanatique. Mais attention : il peut trouver amusant de précipiter son pays dans le précipice, bien loin du sens de l’État d’un Churchill dont il a été un bon biographe.

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Vacances

ven, 19/07/2019 - 20:47

Et voilà, le temps des vacances est venu. Je disparais jusqu’au 22 août prochain.

L’année a été particulièrement riche en actualité et en évènements personnels: mon nouveau livre, «Il faut achever l’euro», la parution de la seconde édition de mes «salauds de l’Europe», deux prix de journalisme (Prix «mieux comprendre l’Europe» et prix catalan Ernest Udina de la trajectoire européenne), un documentaire, «Qu’est-ce qu’un bon impôt?», etc. Le tout couronné par la chute de Martin Selmayr, le secrétaire général de la Commission, dont j’ai démontré l’illégalité de la nomination et révélé ses manoeuvres dignes de Frank Underwood. Mais rien de personnel, comme le montre ce photomontage que je dois à @Berlaymonster ;-)

Je soupçonne votre frustration d’avoir vu disparaitre, en septembre dernier, les commentaires de ce blog à la suite d’un gros problème technique sur le serveur de Libération qui n’est toujours pas réglé à ce jour. J’espère qu’ils reviendront... En attendant, vous pouvez commenter sur Twitter (@quatremer) et sur mes trois pages Facebook (deux «Jean Quatremer» et une «Coulisses de Bruxelles»).

En attendant de vous retrouver, dans le journal, sur le net, à la télévision, je vous souhaite de bonnes vacances.

Fidèlement votre.

Catégories: Union européenne

Ursula von der Leyen s'offre la tête de Martin Selmayr

ven, 19/07/2019 - 20:08

Ursula von der Leyen, la présidente élue de la Commission, a fait tomber sa première tête, et pas n’importe laquelle : celle de Martin Selmayr, le sulfureux secrétaire général de l’exécutif européen, le poste le plus important de l’administration communautaire. C’est lundi soir, à la veille du vote d’investiture de la ministre de la Défense allemande, que Selmayr a annoncé à ses collaborateurs son départ effectif dès la semaine prochaine. Officiellement, selon le site Politico, à qui il a réservé la primeur de la nouvelle, afin d’éviter que les deux postes les plus importants de la Commission soient occupés par des Allemands.

Si cet élément a sans doute compté, il n’y avait en réalité aucune urgence à son départ puisque la nouvelle Commission ne prendra ses fonctions que le 1er novembre. Celui que Jean-Claude Juncker surnomme «le monstre» aurait donc pu rester en place jusque-là et continuer à placer ses affidés à tous les postes de direction comme il le fait depuis 18 mois. Les vraies raisons de ce départ précipité sont autres. Ce sont, en effet, les chefs d’Etat et de gouvernement qui ont exigé son départ le 2 juillet, lors du sommet consacré aux nominations des dirigeants de l’Union. Une première depuis 1958, les Etats ne se mêlant jamais directement des affaires internes des institutions communautaires. Mais cette fois, il en allait différemment, les Vingt-huit ayant pris conscience de la place démesurée prise par cet Allemand de 49 ans à qui Jean-Claude Juncker, le président sortant de la Commission, a littéralement confié les rênes du pouvoir. Sa nomination illégale au poste qu’il occupe, en février 2018, révélée par Libération, et dénoncée tant par le Parlement européen, qui a même réclamé à deux reprises sa démission, que par la médiatrice européenne, et ses abus de pouvoir manifestes ne l’ont pas ébranlé. Rien ne semblait pouvoir le déboulonner.

Manœuvres disqualifiantes

Mais il a franchi la ligne rouge en encourageant, le 30 juin, les chefs de gouvernement des pays de l’Est à refuser la nomination à la présidence de la Commission du socialiste néerlandais Frans Timmermans, comme le proposait Angela Merkel, la chancelière allemande, afin de promouvoir la candidature de «son» candidat, le Premier ministre croate, Andrej Plenkovic. En effet, il savait que le Néerlandais, qui le déteste cordialement, le virerait sans état d’âme, alors qu’un ressortissant d’un petit pays, débordé par l’ampleur de la tâche, le laisserait agir à sa guise. Pour ne rien arranger, durant tout le sommet du 30 juin au 2 juillet, il s’est comporté comme un chef de gouvernement, essayant d’influencer les négociations, ce qui a achevé de le discréditer.

Pour ne rien arranger, il a essayé de faire trébucher Ursula von der Leyen devant le Parlement européen afin de remettre Plenkovic dans la course. Il est presque arrivé à ses fins puisqu’elle lui doit largement sa faible majorité (383 voix alors qu’il lui en fallait 374). De fait, il lui a fourni une équipe de transition particulièrement faible qui l’a mal préparéе aux réalités européennes et il lui a donné des consignes de prudence totalement contre-productives : ses auditions devant les groupes politiques, la semaine dernière, ont été catastrophiques. Il a fallu que Paris et Berlin interviennent directement, d’où la qualité exceptionnelle de son discours mardi matin à Strasbourg qui lui a sans doute sauvé la peau.

Grand ménage

La coupe était dès lors pleine : Ursula von der Leyen, qui n’a jamais hésité à faire le ménage dans les différents ministères qu’elle a occupé, n’ayant pas pour habitude de se laisser diriger par des technocrates, a exigé la tête de Selmayr. L’homme va donc quitter la Commission par la petite porte, totalement discrédité. Mais il n’a pas dit son dernier mot : il compte bien rebondir ailleurs. Ainsi une rumeur le donne secrétaire général (un poste qui n’existe pas...) de Christine Lagarde à la Banque centrale européenne (BCE). Mais on imagine mal cette dernière s’encombrer d’une personnalité aussi nocive au risque d’apparaître comme une marionnette de Selmayr… En attendant, le collège des commissaires devrait le nommer, mercredi 24 juillet, directeur du bureau de la Commission à Vienne, certes une chute spectaculaire dans la hiérarchie, mais qui lui permettra de conserver son salaire de 17.000 euros par mois.

En attendant, les eurocrates de l’entourage du secrétaire général déchu ont commencé à retourner leur veste : chacun fait valoir ses actes de «résistance» face à l’autocrate pour sauver sa peau… Or, seul, l’Allemand ne serait pas arrivé là où il est. En particulier, il a pu compter sur le soutien indéfectible du directeur général du service juridique, l’Espagnol Luis Romero Requena : c’est lui qui a organisé sa nomination en violation du statut de la fonction publique européenne, un texte qu’il est censé faire respecter comme gardien du droit. Bref, von der Leyen a du ménage à faire. Elle devra s’appuyer sur un secrétaire général fidèle à l’institution plus qu’à ses propres intérêts : le nom du Français Olivier Guersent, le directeur général «services financiers» de la Commission, un haut fonctionnaire dont personne ne conteste les grandes qualités, est le plus souvent cité.

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La Commission et le Parlement européen refusent d’assister à la remise d’un prix de journalisme à Barcelone pour ne pas déplaire à Madrid

sam, 08/06/2019 - 14:05

Mon article sur le prix catalan Ernest Udina que j’ai reçu vendredi à Barcelone. Avec dedans de vrais morceaux de bêtise eurocratique...

https://www.facebook.com/676243474/posts/10158060266128475?s=676243474&sfns=mo

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Les députés européens catalans déclarés non grata au Parlement européen

sam, 01/06/2019 - 12:10

C’est un couac de belle ampleur : Carles Puigdemont et Toni Comin, deux indépendantistes catalans qui viennent d’être élus députés européens, n’ont pu pénétrer, mercredi après-midi, dans les locaux du Parlement pour obtenir leur accréditation. La décision a été prise par le président sortant du Parlement européen, l’Italien Antonio Tajani, et son secrétaire général, l’Allemand Klaus Welle, tout deux membres du PPE (conservateurs).

« Lorsque nous sommes arrivés avec d’autres élus espagnols, les huissiers ont demandé de décliner notre identité. Nous avons alors constaté que nos noms étaient en gris sur la liste. Ils ont passé un appel téléphonique et nous ont indiqué qu’ils avaient reçu instruction de refuser l’entrée aux élus catalans », nous raconte Carles Puigdemont, l’ancien président de la Généralité de Catalogne, auteur d’une tentative de sécession ratée en 2017 et qui s’est depuis réfugié en Belgique. « Deux responsables de la sécurité se sont succédés pour nous expliquer que l’Espagne n’avait pas communiqué la liste définitive des députés élus et que Klaus Welle avait donné instruction de ne pas nous laisser entrer. Pourtant, tous les autres élus ont obtenu leur accréditation sans problème », poursuit Puigdemont. « Et ils ont refusé de nous notifier par écrit ce refus d’entrée ! »

Il est vrai qu’en Espagne, on ne devient définitivement député (régional, fédéral ou européen) qu’après avoir prêté serment de fidélité à la Constitution devant la Commission électorale centrale. Mais, pour l’instant, aucun eurodéputé espagnol ne s’est acquitté de cette formalité. En clair, soit les 54 eurodéputés peuvent obtenir leur accréditation, soit aucun. Discriminer uniquement les élus indépendantistes catalans semble donc être une décision politique. D’autant que les autorités du Parlement européen savent que si Puigdemont et Comin se rendent à Madrid pour prêter serment, ils n’ont guère de chance d’en repartir, puisqu’ils font l’objet d’un mandat d’arrêt notamment pour « sédition ». « Pourtant, je suis aussi élu au Parlement catalan et j’ai prêté serment par écrit de Bruxelles », se défend Puigdemont. Mais voilà : le code électoral espagnol exige que les députés européens le fassent sur place, car ils sont considérés comme des députés nationaux (qui, eux, prêtent serment lors de la session constitutive des Cortes) envoyés à Strasbourg. Car chaque Etat fixe dans sa loi nationale les conditions que doivent remplir les élus avant d’être proclamés eurodéputés, et ce, en l’absence d’une loi électorale européenne uniforme.

Le Parlement européen précise d’ailleurs que l’accréditation fournie aux nouveaux élus n’est que provisoire et qu’elle est destinée à leur facilité le travail : elle ne deviendra définitive qu’avec la proclamation, pays par pays, de la liste définitive des élus. Et il lui est déjà arrivé de refuser de la délivrer, par exemple à deux Finlandais qui contestaient le comptage des voix et s’estimaient tous les deux élus. Mais la raison est cette fois différente : les autorités du Parlement, qui sont sûres que Puigdemont et Cormin ne seront pas sur la liste finale, faute de pouvoir se rendre à Madrid, se servent de leur accréditation provisoire pour opposer leur légitimité européenne à la légalité espagnole… Une appréciation toute politique donc, le Parlement européen ne voulant pas se retrouver en porte-à-faux avec un Etat membre.

D’autant n’est pas la première fois que Tajani se comporte en fidèle allié de l’Etat espagnol. En mars dernier, il a ainsi refusé de prêter une salle pour un évènement organisé par des eurodéputés, car Puigdemont devait y prendre la parole. Raison invoquée : problèmes potentiels de sécurité… On se demande bien lesquels, alors que le Parlement européen est devenu Fort Knox depuis les attentats de Bruxelles. Le problème catalan est bien devenu l’angle mort de la construction communautaire et met en évidence que les élections européennes n’ont d’européennes que le nom.

Devant le scandale, le Parlement a décidé, vendredi, de suspendre toutes les accréditations provisoires délivrées aux députés espagnols en attendant que Madrid lui communique la liste définitive de ses députés européens…

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Commission européenne: Manfred Weber est « out »

ven, 31/05/2019 - 19:35

Le successeur du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission ne sera pas l’Allemand Manfred Weber. Les présidents des groupes politiques du Parlement européen, qui se sont réunis mardi matin, n’ont pu que constater qu’il n’existait aucune majorité pour soutenir la tête de liste du PPE (conservateur) qui est arrivé en tête des élections européennes de la semaine dernière. La balle a donc été renvoyée dans le camp des chefs d’État et de gouvernement où le constat a été identique. La perle rare reste donc à trouver.

Les Vingt-huit avaient prévu de se retrouver dès mardi soir pour un diner informel afin de tirer les leçons des Européennes. Le PPE aurait aimé réitérer le coup de 2014, lorsqu’en accord avec les socialistes et fort de sa première place, il avait imposé au Conseil européen la nomination de Jean-Claude Juncker, leur tête de liste d’alors (« Spitzenkandidat » en allemand). Les chefs avaient accepté de se laisser forcer la main, car le Luxembourgeois était un ancien Premier ministre du Grand-Duché (1995-2013) et faisait donc partie du club. Surtout, conservateurs et socialistes avaient alors la majorité absolue à eux deux. Une époque désormais révolue : le PPE (180 élus sur 751) et les socio-démocrates (146 députés) enregistrent un recul historique et ont besoin d’un troisième groupe pour atteindre la majorité. En clair, sans les centristes (109 députés), ils ne peuvent rien faire.

Mardi matin, le Belge Guy Verhofstatdt, qui préside pour l’instant le groupe réunissant l’ADLE (libéraux) et les Français de Renaissance, a officiellement mis fin aux espoirs de Weber en refusant, avec d’autres présidents de groupes, d’entériner sa candidature. Certes, il a renouvelé son soutien à une résolution votée en février 2017 sur le système des Spitzenkandidaten (la liste arrivée en tête obtient la présidence de la Commission), mais celle-ci faisait explicitement le lien entre sa pérennisation et la création d’une circonscription transnationale (les têtes de liste devant se faire élire par l’ensemble des citoyens européens). Or le PPE a refusé sa création en 2018 afin d’affaiblir Emmanuel Macron qui la défendait.

C’est ce qui a poussé le chef de l’État français à s’opposer à cette nomination automatique, d’autant qu’elle revenait à assurer pour longtemps la présidence la Comission au PPE (qui possède le poste depuis 2004). La désignation par les instances dirigeantes du PPE (en réalité la CDU-CSU allemande) de Weber, qui n’a à son actif que la présidence du groupe politique du PPE et qui ne parle pas français, a achevé de convaincre le Président de rejeter ce système tant qu’une circonscription transnationale ne serait pas créée.

Sa tâche a été facilitée par l’excellente opération qu’il a réalisée dimanche dernier : certes, sa liste, Renaissance, est légèrement devancée par le Rassemblement national, mais avec ses 21 eurodéputés, il devient la force centrale du groupe charnière qu’il forme avec les libéraux, alors que l’extrême-droite, malgré ses 22 élus, ne pèse rien dans l’Assemblée européenne (elle siège dans un groupe de 58 députés totalement isolés). Surtout, Angela Merkel qui soutient le système des Spitzenkandidaten, alors qu’elle s’y opposait en 2014, sans doute parce que le candidat est cette fois Allemand, est considérablement affaiblie par la déroute du PPE et de la CDU. En outre, au sein du Conseil européen, l’équilibre politique a changé : le PPE est désormais à égalité avec les socialistes et les libéraux.

Le diner de mardi soir, qui a suivi une après-midi de rencontres bilatérales, a confirmé ce nouvel équilibre des forces. Un diner auquel n’ont assisté que les chefs qui ont été priés de laisser leur portable à l’extérieur… Curiosité de ce sommet : la présence de la Britannique Theresa May dont le pays aurait dû quitter l’Union le 29 mars dernier.

Merkel a dû reconnaitre de mauvaise grâce qu’il n’existait aucune majorité suffisante pour soutenir Weber. D’ailleurs, lors de sa conférence de presse, elle s’est abstenue de prononcer le nom de Weber dans son propos liminaire. En réponse à une question, elle a répété qu’elle le soutenait, mais que ce n’était pas le cas des socio-démocrates du SPD, son partenaire au sein de la Grande Coalition (GroKo)…

La chancelière a expliqué que le Polonais Donald Tusk, le président Conseil européen, va entamer des négociations avec le Parlement afin de trouver, d’ici le sommet des 21 et 22 juin, une personnalité susceptible de réunir une majorité absolue au sein du Parlement et une majorité qualifiée (55 % des États représentants 65 % de la population)au sein du Conseil. C’est un retour au traité de Lisbonne qui prévoit que les États nomment le président de la Commission « en tenant compte du résultat des élections européennes ».

Les Vingt-huit ont dressé une liste de critères. Ils veulent que le candidat prépare un programme précis traitant de la croissance et de l’innovation, de l’environnement, de la sécurité, de l’immigration, de la politique de défense et de l’Europe sociale. En outre, afin de rentre la pilule plus facile à digérer, cette nomination fera partie d’un paquet qui comprendra aussi les présidences du Parlement et du Conseil ainsi que le poste ministère des Affaires étrangères. La présidence de la Banque centrale européenne fera, elle, l’objet d’une négociation séparée entre les États. Il faudra enfin que la parité hommes-femmes soit parfaite, ce qui est une énorme nouveauté, et que l’équilibre est-ouest, sud-nord et bien sûr idéologique soit respecté. Bref, le candidat idéal sera une femme de l’Est acceptable par la droite, la gauche et le centre. Angela Merkel a cependant mis garde contre une bataille rangée qui laisserait des traces durables et pourrait empêcher l’adoption du cadre financier pluriannuel 2021-2027… De longues nuits de tractations s’annoncent et elles n’aboutiront sans doute qu’à la fin de l’été, comme en 2014 où il avait fallu réunir trois Conseils européens de rang.

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A Bruxelles, la bataille des postes est lancée

ven, 31/05/2019 - 19:31

La bataille pour la présidence de la Commission a débuté dès dimanche soir, alors que les résultats définitifs des élections européennes n’étaient pas encore connus. Le Français Joseph Daul, qui préside le Parti populaire européen (PPE, conservateurs), a immédiatement revendiqué le poste pour son camp : «Nous avons gagné les élections. Nous ne réclamons qu’un seul poste : la présidence de la Commission pour Manfred Weber», l’Allemand de la CSU «tête de liste» des conservateurs.

Charnière.

Pour Daul, l’affaire ne prête pas à discussion : depuis un accord passé en 2014 entre les groupes politiques du Parlement européen, c’est la tête de la liste arrivée première des élections qui doit s’installer au 13e étage du Berlaymont, là où se trouve le bureau du président de la Commission (système des «Spitzenkandidaten»). Mais c’est aller un peu vite en besogne. L’accord a pu être mis en œuvre à l’époque parce que le PPE allié aux socio-démocrates disposait de la majorité absolue de 376 voix. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. A eux deux, ils n’ont que 326 voix au maximum (180 pour le PPE, 146 pour les socialistes). Il faudra donc convaincre soit le nouveau groupe charnière ADLE-Renaissance (109 sièges) ou les Verts (69 sièges). Mais cela s’annonce difficile. D’une part, on voit mal les écologistes soutenir un membre de la CSU bavaroise. D’autre part, les Français d’En marche, première délégation nationale au sein du groupe centriste, ne veulent pas entendre parler de Weber, jugé sous-dimensionné pour le poste. L’homme n’a jamais exercé la moindre fonction ministérielle et il ne parle pas un mot de français, ce qui est pour le moins gênant à l’heure du Brexit. «Le PPE a placé la barre tellement bas en choisissant Weber que cela ouvre le jeu», se félicite une éminence française.

Le PPE n’est même pas certain de rallier les socialistes autour de la candidature de Weber, ceux-ci ayant rompu le précédent accord de coalition en 2016 en refusant de voter en faveur du conservateur italien Antonio Tajani pour la présidence du Parlement européen. Une prise de conscience tardive d’avoir servi de marchepied à la domination du PPE dans les institutions communautaires depuis vingt ans. Enfin, le PPE n’est plus en position de force : avec 180 élus, il perd 38 sièges par rapport à 2014 et est à son plus bas niveau depuis… 1989, époque où l’UE ne comptait que douze Etats membres. Surtout, la CDU est en fort recul en Allemagne.

Chance.

Afin d’éviter de laisser la main au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement qui n’a pas apprécié de se faire déposséder de son pouvoir de nomination (le Parlement européen se contentait avant 2014 de confirmer son choix), les présidents de groupes se réunissent ce mardi à 10 heures, avant le dîner des 28 prévu le soir même. Mais un accord est improbable : ni ADLE-Renaissance, ni les eurosceptiques, ni la gauche radicale n’accepteront de laisser la main au PPE.

D’autant qu’au Conseil européen, «il y a très peu de chefs qui soutiennent Weber, affirme un diplomate de haut rang. Personne, pas même Merkel, n’a dit que c’était le candidat idéal.» Mieux : onze pays ont déjà dit non, ce qui constitue une minorité de blocage (les nominations se décident à la majorité qualifiée). Ne serait-ce que parce que le PPE occupe la présidence de la Commission depuis quinze ans. La candidature de l’actuel commissaire néerlandais, Frans Timmermans, tête de liste des socialistes, n’a guère plus de chance de prospérer, car il s’est mis à dos les pays d’Europe de l’Est sur la question du respect de l’Etat de droit. Si les Spitzenkandidaten sont écartés, le jeu peut s’ouvrir à d’autres candidats possibles : la libérale danoise Margrethe Vestager, actuelle commissaire à la concurrence, Michel Barnier, le négociateur du Brexit, Christine Lagarde, la patronne du FMI, Dalia Grybauskaite, présidente de la Lituanie, Mark Rutte, Premier ministre néerlandais, Charles Michel, son homologue belge, etc.

Une seule chose est certaine, le poste de président de la Commission fera partie d’un paquet incluant toutes les autres fonctions à pourvoir afin de donner quelque chose à chacun : vice-présidence de la Commission, présidence du Parlement et de la Banque centrale européenne, ministère des Affaires étrangères de l’Union. Une partie d’échecs en trois dimensions.

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Européennes: la poussée europhobe n'a pas eu lieu

ven, 31/05/2019 - 19:29

L’histoire était écrite d’avance : un tsunami «populiste» et europhobe, amplifié par une abstention record, allait s’abattre sur le Parlement européen et paralyser l’Union. On allait voir ce qu’on allait voir : les électeurs allaient signifier au mieux leur indifférence, au pire leur défiance, pour cette aventure communautaire si éloignée de leurs préoccupations quotidiennes.

Mais les citoyens européens ont décidé de ne pas suivre ce scénario : la participation a atteint un niveau record depuis vingt ans, à 51 % (contre 42,6 % en 2014), et le tsunami annoncé s’est transformé en vaguelette. Bref, les Européens ont envoyé un message de leur attachement à la construction communautaire. Une divine surprise, certes, mais en réalité pas totalement imprévisible. En effet, les sondages Eurobaromètre ont enregistré, depuis le référendum sur le Brexit de juin 2016 et l’élection de Trump en novembre de la même année, un regain prononcé en faveur de l’idée européenne, après le creux historique lors de la crise de la zone euro (2010 et 2012) : 65 % se sentent attachés à l’Europe (et 56 % à l’Union). D’autres enquêtes montrent qu’il n’existe nulle part, et notamment pas en France, de majorité pour suivre le Royaume-Uni dans son aventure solitaire.

Plafond de verre.

Bref, tout s’est passé comme si le Brexit avait réveillé les opinions publiques en leur montrant l’extrême fragilité de l’Union à l’heure où les enjeux dépassent clairement les frontières nationales : environnement, économie, migration, terrorisme, etc. Les séquences électorales nationales qui se sont succédé depuis 2016 ont confirmé cette prise de conscience : cela a d’abord été la défaite du candidat de l’extrême droite autrichienne (FPÖ), Norbert Hofer, lors de l’élection présidentielle de décembre 2016. La séquence s’est poursuivie au printemps 2017 aux Pays-Bas, où le PVV de Geert Wilders n’a pas terminé en tête comme attendu, en Italie, lors des municipales, où le Mouvement Cinq Etoiles (M5S) n’a pas obtenu les résultats espérés, et surtout en France, où Marine Le Pen a subi une défaite plus importante que prévue.

Les partis dits populistes ont appris de cette séquence désastreuse en abandonnant ou en reléguant au fond de leur programme la destruction de l’Europe, le sujet étant devenu un plafond de verre quasi infranchissable. Ainsi, il n’est plus question d’un référendum sur l’euro ou l’appartenance à l’Union depuis que le M5S et la Ligue sont au pouvoir en Italie. Le Rassemblement national a fait de même, tout comme le FPÖ ou les partis d’extrême droite nordiques. Seule l’AfD allemande a fait campagne sur ce thème, ce qui a limité sa progression. Désormais, le mot d’ordre est de changer l’Europe de l’intérieur. Plus de la dynamiter.

Mais cela n’a manifestement pas suffi à rassurer les opinions publiques si l’on en juge par les résultats des européennes. Certes, Matteo Salvini réalise un score historique en Italie en envoyant 28 députés à Strasbourg, mais son allié le RN ne réitère pas son exploit de 2014 : 22 députés contre 24. De même, l’extrême droite a fait moins bien qu’attendu aux Pays-Bas, en Slovaquie ou en Finlande. Et là où elle perce, comme en Flandre avec le Vlaams Belang, c’est dans des pays qui comptent peu de députés, ce qui limite l’effet dans un Parlement aux 751 sièges répartis en fonction de la taille des Etats (74 pour le France, 96 pour l’Allemagne). Ainsi, les fascistes flamands ont obtenu 3 élus, pas de quoi bouleverser les équilibres.

Carottes.

En réalité, le nombre de députés eurosceptiques et europhobes au sens large passe seulement de 151 à 171, essentiellement grâce à la percée de la Ligue. Et encore, on mélange des choux et des carottes, car il n’y a rien de commun entre les Tories, les conservateurs britanniques qui y figurent, et le RN. De même, en dépit des appels du pied de Marine Le Pen, le PiS polonais, qui siège actuellement au sein du groupe ECR (59 membres) avec, précisément, les conservateurs britanniques, n’a aucune envie de se retrouver sur les mêmes bancs qu’elle, pas plus que le Fidesz de Viktor Orbán qui veut rester au sein du PPE (conservateurs).

Il est même impossible d’additionner les 54 députés de l’EFDD - Europe de la liberté et de la démocratie - présidé par Nigel Farage, leader du parti du Brexit et les 58 membres de l’ENL - Europe des nations et des libertés - du duo Le Pen-Salvini : les premiers, y compris l’AfD, jugent les seconds infréquentables. Mieux : les 16 députés italiens du M5S ont annoncé qu’ils voulaient quitter l’EFDD pour rejoindre le groupe centriste ALDE-Renaissance ou, à défaut, créer un groupe propre. S’ils y parviennent, les populistes et l’extrême droite n’auront pas progressé d’un iota par rapport à 2014. Ils régresseront même lors du départ des Britanniques. Surtout, ils resteront divisés en trois petits groupes inconciliables (ECR, EFDD et ENL) qui ne pèseront rien. Les vrais vainqueurs sont donc bien les forces pro-européennes, avec plus de 75 % des élus. Des forces dont la légitimité est plus forte que jamais grâce au regain de participation

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Européennes: les six leçons du scrutin

lun, 27/05/2019 - 20:42

La cuvée 2019 des élections européennes réserve son lot de surprises, mais confirme aussi les grandes tendances anticipées. En effet, les plaques tectoniques de la vie politique européenne bougent lentement, car l’élection des 751 eurodéputés a lieu dans le cadre de 28 circonscriptions nationales. Surtout, elles ont lieu à la proportionnelle et le nombre de députés varie de 6 à 96 en fonction de la taille du pays. Autrement dit, la percée d’un parti démagogique dans un petit pays disposant d’un nombre limité de députés européens (par exemple 13 sièges pour le Danemark) n’aura pas le même effet que celle d’un parti social-démocrate ou de droite dans un grand Etat (96 sièges pour l’Allemagne ou 74 pour la France). L’analyse du scrutin se complique du fait de la présence inattendue du Royaume-Uni : lorsque le Brexit aura eu lieu, 73 sièges seront libérés dont 27 redistribués entre différents pays. Ainsi, la France bénéficiera de 5 sièges de plus à répartir entre les partis disposant d’élus. La composition des groupes politiques sera donc revue (notamment avec le départ du gros contingent du parti du Brexit de Nigel Farage qui siège à l’EFDD, ou encore des lib-dem qui font partie du groupe centriste ADLE-Renaissance).

Une participation en forte hausse

C’est la principale surprise de ce scrutin, celle que personne n’avait vu venir : la participation atteint 51 % dans l’UE, soit 8 points de plus qu’en 2014. C’est le plus haut niveau depuis vingt ans et la première augmentation significative depuis la première élection du Parlement européen au suffrage universel en 1979 (60,71%), à une époque où il n’avait aucun pouvoir. Curieusement, plus le Parlement en gagnait, au point, depuis le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009, d’être presque sur le même plan que le Conseil des ministres, l’enceinte où siègent les ministres représentant les Etats membres (sauf en matière budgétaire et pour les domaines où le vote à l’unanimité est la règle, comme la fiscalité), plus les citoyens se désintéressaient de l’élection. La participation est passée sous 50% en 1989 et a atteint son point le plus bas en 2009 avec 40,63%, 2014 ayant marqué un léger mieux avec 42,5%. Cette mobilisation des électeurs renforce la légitimité démocratique européenne, montre une européanisation de la vie politique européenne, les enjeux nationaux et européens étant de plus en plus concordant (environnement, migration, économie, sécurité, menaces extérieures), et la prise de conscience, après le Brexit, de la fragilité de la construction européenne.

La fin du duopole conservateurs-socialistes

Là, ce n’est pas une surprise : les conservateurs du PPE et les socialistes du S&D n’obtiennent pas à eux deux la majorité absolue de 376 sièges. Le PPE n’obtient que 180 sièges contre 218 dans l’assemblée sortante, son pire score depuis 1989, et le S&D 146 contre 189, soit 326 sièges. Depuis 1989, sauf entre 2002 et 2004, les deux groupes s’alliaient pour se répartir la présidence du Parlement (2,5 ans chacun) et les présidences des plus importantes commissions parlementaires. Désormais, il faudra en passer par un accord entre au moins trois groupes politiques, sans doute le PPE, S&D et le groupe centriste ADLE-Renaissance (109 sièges). Il n’est pas impossible que les Verts (69 sièges contre 52) soient aussi de la partie. Mais les conservateurs et les socialistes demeureront incontournables : il n’existe aucune majorité alternative de centre gauche ou de droite.

Le centre, groupe charnière

Dans cette nouvelle configuration, le centre, c’est-à-dire le groupe libéral devient le groupe charnière du nouveau Parlement avec 109 élus, bien plus qu’attendu. Ce groupe de faiseurs de rois sera dominé par les 22 Français de LREM qui pourront en revendiquer la présidence. Mais attention : les groupes ne sont pas encore constitués (la date limite est la mi-juin) et leur périmètre pourra varier. Ainsi, il n’est pas certain que tous les libéraux, notamment les Nordiques ou le FDP allemand, restent dans le groupe ADLE-Renaissance, ne serait-ce que parce que LREM est infiniment plus europhile que d’autres partis. Mais en quittant l’ADLE, ces petits partis à l’échelle européenne risquent de se retrouver sur le banc des non inscrits faute de parvenir à former un groupe politique (au minimum 25 députés provenant de 7 pays). Les grandes manœuvres ne font que commencer.

La poussée populiste stoppée

Le score impressionnant de la Ligue italienne de Matteo Salvini (28 élus) ne change rien à l’affaire : la poussée europhobe et eurosceptique a été contenue, voire stoppée contrairement à ce que beaucoup d’observateurs annonçaient. Ainsi, le Rassemblement national a obtenu deux députés de moins qu’en 2014 (22 contre 24) et l’extrême droite a fait moins bien qu’attendu aux Pays-Bas, en Slovaquie ou encore en Finlande. En excluant le Fidesz hongrois qui continuera de siéger au PPE, le nombre de députés eurosceptiques et europhobes passe de 151 à 171, essentiellement grâce à la Ligue. Et encore en comptant les 14 députés italiens du Mouvement Cinq Etoiles (M5S) qui ont déjà annoncé qu’ils voulaient quitter l’EFDD de Farage pour rejoindre le groupe centriste ou, à défaut, créer un groupe propre. S’ils y parviennent, la droite radicale eurosceptique n’aura pas progressé d’un iota (et elle régressera même lors du départ des Britanniques).

Certes, le groupe ENF (Europe des nations et des libertés), créé par Marine Le Pen avec son allié Salvini, passe de 35 à 58 députés, mais reste loin des 100 sièges que la présidente du RN visait. Elle va sans doute essayer de débaucher des troupes des autres groupes anti-européens. Mais la tâche s’annonce ardue, comme l’a montré la campagne, car elle est considérée comme radioactive par de nombreux partis démagogues, comme l’AfD allemande, qui n’ont aucune envie de droitiser davantage leur image. Il est donc douteux que, du moins d’ici le Brexit, il y ait moins de trois groupes démagogues à la droite du PPE, exactement comme aujourd’hui : l’ECR (dont les conservateurs britanniques et les 23 membres du PiS polonais) qui passe à 59 députés contre 73, l’EFDD de Farage (54 députés contre 43) et l’ENF. Une division qui les empêchera de peser sur les travaux du Parlement.

La percée des écologistes

C’est une surprise. On donnait le groupe des Verts en recul alors qu’il passe de 52 à 69 députés, soit un niveau équivalent à celui du groupe libéral pendant la législature 2014-2019. Cette poussée est très inégale, puisqu’elle concerne surtout l’Ouest européen (Allemagne, Irlande, Belgique, France). Ce groupe est renforcé par le parti Pirate tchèque et les indépendantistes catalans.

Un mercato européen imprévisible

Le PPE, arrivé en tête des européennes, comme depuis 1999, a immédiatement revendiqué la présidence de la Commission pour sa tête de liste, le Bavarois de la CSU Manfred Weber. Mais au moins onze Etats, dont la France, s’y opposent, les autres réservant leur position. Seule l’Allemagne le soutient franchement, mais la CDU-CSU enregistre un fort recul, ce qui affaiblit la position d’Angela Merkel. Le problème est qu’il faut un accord entre le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement et une majorité du Parlement, ce qui implique de convaincre au moins une partie du PPE… Et les Verts ont exclu de voter pour un autre candidat qu’une tête de liste déclarée (en allemand, Spitzenkandidat).

Les présidents de groupes politiques se réunissent mardi matin pour arrêter une position commune, juste avant le dîner des 28 chefs d’Etat et de gouvernement qui aura lieu le soir même à Bruxelles pour essayer se mettre d’accord sur les critères que devra remplir le candidat idéal qui sera désigné fin juin. Comme il n’est pas question que les deux institutions se livrent une guerre de tranchées, il est certain que le poste de président de la Commission fera partie d’un paquet incluant toutes les autres fonctions à pourvoir afin de donner quelque chose à chacun : vice-présidence de la Commission, présidence du Parlement et de la Banque centrale européenne, ministère des Affaires étrangères de l’Union. Le jeu s’annonce à la fois très ouvert et très complexe.

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Parlement européen: pourquoi un "accord de coalition" est nécessaire

lun, 27/05/2019 - 20:10

Aucun groupe politique n’a jamais obtenu la majorité absolue au Parlement européen, dure loi de la proportionnelle oblige. Pas d’autre choix donc, pour atteindre la majorité absolue, que de passer un accord de «coalition» avec d’autres familles politiques. Depuis 1989, le PPE (conservateurs) et les socialistes (PSE), les deux principales forces, se sont entendus pour gouverner ensemble. Mais loin d’un contrat de gouvernement sur le modèle de la «Grande Coalition» allemande, il s’agit d’un simple «accord technique» qui vise à se répartir la présidence du Parlement et celles des commissions parlementaires.

«C’est à la suite de l’élection du conservateur britannique Henry Plumb en 1987 que les deux groupes ont décidé que cela ne se reproduirait plus», explique Olivier Costa, professeur à Sciences-Po Bordeaux et au Collège d’Europe de Bruges : A l’époque, c’est l’incapacité des deux groupes à s’entendre qui a permis l’élection surprise d’un membre du Parti conservateur qui n’était pas membre du PPE et siégeait sur les mêmes bancs que le RPR gaulliste.» Depuis, avec une régularité métronomique, un socialiste succède à un conservateur tous les deux ans et demi à la présidence du Parlement, à l’exception de la période 2002-2004, lorsque le PPE s’est allié aux libéraux. Il s’agit là aussi d’une autre curiosité propre à cette institution : le mandat du président n’est que d’une demi-législature. Le but est de créer une alliance de circonstance afin d’atteindre la majorité absolue nécessaire pour la répartition des postes : je vote pour ton candidat si tu votes pour le mien à mi-mandat.

Equilibre

Bref, on est loin d’une coalition d’idées. D’ailleurs, chacun reste ensuite libre de ses votes, y compris au sein des groupes. Mais comme il faut obtenir une majorité absolue de 376 voix (sur 751) pour adopter, amender ou rejeter un projet de loi européen, cela impose de réussir à trouver un compromis avec ses adversaires. Si le Parlement n’y parvient pas, il laisse alors la main au Conseil des ministres, l’instance où siègent les Etats… Autrement dit, le compromis est dans l’ADN du Parlement. Il faut donc pour chaque vote aller à la pêche aux voix, non seulement dans les autres groupes, mais aussi dans sa propre famille, la logique nationale étant généralement plus forte que l’engagement idéologique. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’existe pas de discipline de vote à Strasbourg.

Rien de plus logique, l’UE n’étant pas une fédération mais une simple association d’Etats souverains. Il serait inacceptable pour les pays membres qu’un parti politique, fût-il européen, puisse non seulement obtenir une majorité absolue au sein du Parlement, mais aussi imposer ses choix à des gouvernements d’une autre couleur politique. C’est pour cela que les traités ont veillé à ce que l’équilibre idéologique et national soit garanti : proportionnelle et vote à la majorité absolue des membres au Parlement, et désignation des commissaires par les gouvernements.

Douteux

En 2014, l’Union est en partie sortie de cette logique via le système des «Spitzenkandidaten», soit les candidats à la présidence de la Commission : pour s’assurer une confortable majorité afin de décrocher le poste, Jean-Claude Juncker, tête de liste du PPE, s’était engagé auprès des socialistes et des libéraux sur une série «d’objectifs» : «Ce n’était pas un programme de gouvernement, mais cela s’en rapprochait davantage», souligne Olivier Costa. Il a volé en éclats fin 2016, lorsque les socialistes ont refusé d’honorer leur part du marché et de voter pour un PPE afin de succéder au socialiste Martin Schulz.

Dans le nouveau Parlement, il sera nécessaire de passer au moins un accord technique entre trois (l’ADLE-Renaissance a obtenu 109 sièges), voire quatre groupes, les conservateurs (180 sièges) et les socialistes (149) n’ayant que 326 sièges à eux deux, loin des 376 sièges requis. Un accord de «gouvernement» du type de celui de 2014 apparaît plus douteux, l’affrontement qui s’annonce pour la présidence de la Commission, notamment entre Allemands et Français, risquant de laisser des traces durables.

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Européennes: la vraie campagne commence lundi...

dim, 26/05/2019 - 21:25

La vraie campagne européenne, celle qui va engager l’avenir de l’Union, va enfin débuter. A partir de lundi, les partis politiques des 28 Etats membres vont entamer des négociations pour constituer les groupes qui vont structurer la vie du Parlement et se préparer à mener la bataille des nominations aux principaux postes de direction de l’Union. Des questions dont les citoyens n’ont, comme d’habitude, pas entendu parler : ils ont dû se contenter de 28 campagnes nationales qui ont vu des personnalités politiques locales s’affronter sur des questions sans grand rapport avec les compétences de l’Union et le vrai travail qui attend les députés européens.

Ainsi, le fait que le Rassemblement national arrive ou non en tête, l’enjeu de la campagne hexagonale, n’a aucune importance au niveau européen. Dès lundi, les élus d’extrême droite, tout comme leurs équivalents européens, vont devenir transparents, comme ils le sont depuis qu’ils sont représentés au Parlement : jugés infréquentables, incapables de s’unir et largement minoritaires dans une assemblée de 751 eurodéputés. Ils n’existent que lors des sessions plénières à Strasbourg, lorsqu’ils font du tapage dans l’hémicycle. On l’a vu en 2014, quand le FN est arrivé en tête avec 25 % des voix et 24 sièges : cinq ans plus tard, son bilan est proche du néant et son seul fait d’armes est de faire l’objet de procédures pour avoir détourné l’argent communautaire.

Certes, tout le monde va observer si les démagogues, qui pourraient occuper 25 % des sièges contre 20 % dans la précédente assemblée, vont parvenir à constituer un groupe atteignant la centaine de députés. Jusqu’à présent, ils étaient éclatés entre l’ECR (77 députés essentiellement du PiS polonais et du Parti conservateur britannique), l’EFDD (42 membres dont le Ukip britannique de Nigel Farage et le M5S italien), l’ENF (37 membres dont le RN et la Ligue italienne) et, enfin, les non-inscrits (où siègent les néonazis grecs d’Aube dorée, par exemple). La campagne a montré que Marine Le Pen, considérée comme radioactive dans la plupart des Etats membres, et Matteo Salvini n’avaient pas réussi à élargir le cercle de leurs amis : ni le Fidesz hongrois ni le PiS polonais, en particulier, n’ont l’intention de les rejoindre. Il faudra attendre le Brexit (et le départ des troupes conservatrices et pro-Farage) pour, peut-être, assister à une recomposition du camp eurosceptique.

Mais l’objectif de constituer un seul groupe à la droite du PPE (conservateurs européens) paraît impossible à atteindre, tout comme celui de réunir plus de 100 eurodéputés autour du RN. L’affaire la plus intéressante va être la constitution du groupe centriste (Alde). Si les limites politiques du PPE ne devraient pas varier (il passera de 216 élus à environ 180 selon les sondages), comme celles des Verts (de 52 à 57), et de la gauche radicale (de 52 à 48), on n’est pas à l’abri de surprises du côté du groupe socialiste (donné à environ 150 sièges contre 185 aujourd’hui). En effet, l’arrivée en force de La République en marche et de l’espagnol Ciudadanos dans le groupe centriste (donné à 76 contre 69 actuellement) pourrait tenter des partis sociaux-démocrates de les rejoindre. A tout le moins, une partie des socialistes voudront passer des accords avec ce groupe, le PPE et les socialistes n’ayant plus la majorité absolue à eux seuls. C’est d’ailleurs pour cela que la vingtaine d’élus LREM pèsera bien plus que ceux du RN, renvoyés aux marges du système puisqu’ils seront la délégation nationale charnière d’un groupe charnière.

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En Belgique, on vote à tous les étages

dim, 26/05/2019 - 18:04

À Bruxelles, on ne compte plus les cafés, restaurants, commerces divers, appartements ou maisons individuelles qui placardent fièrement, sur leur vitrine ou sur leurs vitres, des affiches électorales aux couleurs criardes : rouge pour les socialistes (PS francophone et SPA flamand), bleu pour les libéraux (MR francophone et Open VLD flamand), orange pour les centristes (CDH francophone et CD&V flamand), vert pour les écologistes (Ecolo francophone et Groen flamand), noir et jaune pour les indépendantistes flamands de la N-VA, rose pour les défenseurs des francophones (Défi), etc.. Certains n’ont pas le cœur de choisir et ont quasiment rendu aveugle leur vitrine ou leur maison avec des dizaines d’affiches, parfois de toutes les couleurs. D’autres sont plus spécifiques et ça donne une sorte de rébus mystérieux pour le non-initié : X 3eRégion (rouge), Y 6efédéral (bleu), Z 1erEurope (orange). Chez ces gens-là, monsieur, on ne cache pas pour qui on vote, on le proclame, pour paraphraser un Belge célèbre, Jacques Brel.

Les panneaux officiels, eux, sont longs comme un jour sans pain vu le trop-plein d’affiches électorales. Ici, ce n’est pas le nombre de listes qui est en cause, comme en France, mais la multiplication des scrutins, tous à la proportionnelle, qui auront lieu ce dimanche : régional, fédéral, européen. Les électeurs devront donc glisser dans l’urne trois longs bulletins de vote comportant tous les noms précédés d’une case, chacun étant libre de changer l’ordre de la liste. D’où des résultats souvent très tardifs. Chacun votera dans la région où il habite pour des partis régionalisés (flamands, francophones et germanophones) (1).

484 députés

À l’issue de ce triple scrutin, seront donc élus des députés régionaux (124 pour le parlement flamand, 75 pour celui de Wallonie et 89 pour celui de Bruxelles), fédéraux (150, dont 88 néerlandophones et 62 francophones) et européens (21, dont 12 néerlandophones, 8 francophones, 1 germanophone). Il faut, bien sûr, y ajouter les 25 députés de la Communauté germanophone. Soit 484 députés en tout. Enfin, comme rien n’est simple outre-Quiévrain, 94 députés seront ensuite désignés en leur sein par les parlements wallon et bruxellois pour siéger au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles et les trois parlements régionaux éliront soixante sénateurs fédéraux… Dans une telle configuration, rien d’étonnant à ce que les enjeux européens soient totalement absents du débat électoral et les électeurs belges un rien déroutés face à ce mille-feuille institutionnel censé refléter la diversité d’un Royaume dont les espaces politiques sont désormais presque totalement séparés.

C’est la seconde fois depuis 2014 qu’un tel méga-scrutin a lieu : la sixième réforme de l’État, adoptée en 2011, a décidé de rallonger la mandature fédérale de 4 à 5 ans afin de la faire coïncider avec les régionales et les européennes. Les seuls scrutins non synchronisés restent les municipales et les provinciales qui ont lieu tous les six ans. Certes, une élection fédérale anticipée est possible si le gouvernement est mis en minorité, mais il faut voter une loi spéciale, ce qui n’est pas simple. C’est d’ailleurs la raison principale qui explique le gouvernement dirigé par le libéral francophone (MR) Charles Michel soit toujours en fonction : en effet, en décembre dernier, les indépendantistes flamands de la N-VA, le principal parti de la coalition regroupant les chrétiens-démocrates flamands (CD&V) et les libéraux (flamands et francophones), a claqué la porte parce qu’il refusait que la Belgique signe le pacte de Marrakech sur les migrations.

La région, clef de la Belgique

La clef de ce méga scrutin se jouera, comme toujours, au niveau régional, celui où réside le vrai pouvoir et donc commande le fédéral. Les européennes, dans ce cadre, ne sont qu’une variable d’ajustement pour les partis politiques. Soit ils s’en servent pour placer une star montante qui n’a pas trouvé une place à sa mesure : c’est le cas du socialiste Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi, tête de liste pour les européennes alors qu’il a annoncé qu’il ne siégerait pas au Parlement européen... Son ambition réelle est, de fait, de devenir Premier ministre, mais le vieillissant Elio di Rupo refusant de lâcher la tête du parti, la première place au fédéral est occupée. Et comme Magnette a déjà été ministre président wallon et n’a aucune envie de le redevenir, il occupe temporairement une place de prestige, ce qui n’est ni très démocratique, ni très européen. Soit les partis utilisent le Parlement européen comme cimetière des éléphants à l’exemple du CD&V qui se débarrasse de Kris Peeters, actuel vice-Premier ministre, en l’envoyant à Strasbourg, ou encore de la N-VA qui met à la retraite le ministre-président de la région flamande, Geert Bourgeois, qualifié de « notaire dépressif ». En son temps, l’ancien premier ministre Guy Verhofstadt (libéral flamand) avait aussi été dégagé à l’europarlement avant de se découvrir une vraie passion pour l’Europe… Enfin, les européennes peuvent servir à rendre service à des amis : ainsi Nicolas Barnier, le fils de Michel, le négociateur du Brexit, à défaut d’avoir été accueilli sur la liste LR en France, s’est fait placer en troisième position sur la liste MR… Bref, rien de bien enthousiasmant pour l’électeur, d’autant que l’attention politico-médiatique est centrée sur les enjeux locaux.

Les Flamands à droite, les Francophones à gauche

Le scrutin de dimanche devrait confirmer le divorce politique entre la Flandre, démographiquement majoritaire (6,5 millions d’habitants sur 11,3 millions), d’une part, et la Wallonie et Bruxelles, deux régions francophones, d’autre part. Au nord du pays, la droite restera largement majoritaire, alors qu’au sud, c’est la gauche qui continuera à dominer. Mais les sondages prévoient, à l’intérieur de ces blocs, plusieurs tremblements de terre. Ainsi, si la N-VA devrait rester la première force de la Flandre, même en perdant quelques plumes (de 32,4 % en 2014 à 28 %), on devrait assister à une remontée spectaculaire du parti fasciste Vlaams Belang, désormais dirigé par le jeune (33 ans) Tom Van Grieken : il passerait de 5,8 % à… 15 %, et deviendrait le troisième parti de Flandre. « Cette remontée était prévisible, car la N-VA est devenue un parti de gouvernement présentable et le VB s’est positionné comme le Rassemblement National plus à gauche sur les thèmes socio-économique, par exemple en proposant de ramener l’âge de la retraite de 67 à 65 ans », analyse Dave Sinardet, professeur à la « Vrije Universiteit Brussel » et à l’Université Saint-Louis de Bruxelles. Les chrétiens-démocrates du CD&V confirmeraient leur seconde position à 17 % (contre 18 % en 2014).

Dans cette configuration, il ne resterait donc que des miettes pour la gauche au sens large : ainsi les socialistes continueraient leur chute, de 14 à 11 %. En revanche, les verts de Groen, érigé en ennemi principal par la N-VA, passeraient de 8,6 % à 12 %. Une progression qui reste à confirmer, mais que l’on retrouve de façon encore plus spectaculaire dans les régions francophones : Ecolo deviendrait ainsi le premier parti de Bruxelles (23 % contre 10,5 % en 2014), même si la polémique sur sa tolérance à l’égard des dérives islamistes pourrait lui nuire dans la dernière ligne droite, et il se hisserait à la troisième place en Wallonie avec 19 % des voix contre 8 % en 2014.

Le pot au noir du gouvernement fédéral

« On voit à peu près les majorités qui vont se mettre en place au niveau régional », analyse Dave Sinardet. « En Flandre, la N-VA va gouverner avec les libéraux. Il est simplement possible que les chrétiens-démocrates du CD&V soient remplacés par les socialistes ». De fait, la N-VA a passé son temps à batailler contre les chrétiens-démocrates dans le gouvernement Michel, ceux-ci étant jugés trop à gauche par les indépendantistes… « En Wallonie, on aura une majorité socialiste et écologiste et à Bruxelles, une majorité socialiste, écologiste et Défi ».

En revanche, c’est le pot au noir pour le futur gouvernement belge : « depuis 2011 et surtout 2014, on sait qu’on peut avoir une majorité fédérale sans être majoritaire au sein des deux groupes linguistiques », poursuit Dave Sinardet. Le gouvernement Michel ne comptait, en effet, qu’un parti francophone, le MR et trois partis flamands. Et contrairement à toutes les prévisions, ce sont les Flamands qui n’ont cessé de se déchirer entre eux, notamment sur l’immigration et le social, Charles Michel jouant le rôle d’arbitre… Il est donc possible que le record mondial établi en 2010 soit battu : il avait alors fallu 541 jours pour former le gouvernement dirigé par le socialiste Di Rupo. Embêtant alors qu’il faudra désigner le futur commissaire belge d’ici fin août, un poste qui pèse lourd lors de la répartition des postes gouvernementaux entre les partis.

(1)Pour être complet, ajoutons que dans six communes de la périphérie bruxelloise situées en Flandre et dite « à facilités », car comptant un grand nombre de francophones, les électeurs pourront voter pour les listes de la région flamande ou bruxelloise, mais seulement pour les scrutins fédéral et européen…

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Comment le Parlement européen vint à Strasbourg

sam, 25/05/2019 - 19:46

Il n’y a plus guère que les Français qui parlent du «Parlement de Strasbourg», avec des trémolos dans la voix, en invoquant le symbole de la réconciliation franco-allemande que représente la capitale alsacienne. Leurs partenaires européens, eux, enragent devant la folie que représente une Assemblée de 751 membres et plusieurs milliers d’assistants et fonctionnaires contraints au grand écart entre Bruxelles, capitale officielle de l’Union, et Strasbourg, là où se tiennent les sessions plénières (trois jours et demi par mois, sauf en août, plus deux en octobre).

Un nomadisme incompréhensible pour les citoyens, hors de prix (entre 50 et 100 millions d’euros par an selon les sources), y compris sur le plan environnemental et, surtout, épuisant pour les élus, les fonctionnaires, les journalistes. La contestation s’est amplifiée au fil des élargissements : atteindre Strasbourg, gérable lorsqu’on vient du Benelux ou d’Allemagne, impose un gymkhana impossible lorsqu’on doit partir de Chypre, d’Estonie ou du Portugal… Aujourd’hui, 90 % des eurodéputés voudraient que le Parlement siège à Bruxelles. Mais la décision ne leur appartient pas : ce sont les Etats qui décident à l’unanimité de la localisation des institutions.

«Le siège de Strasbourg est devenu une nouvelle ligne Maginot française, ironise Pervenche Berès, députée européenne socialiste depuis vingt ans. On ne comprend pas à quoi il correspond. Si l’Allemagne a obtenu que le siège de la Banque centrale européen soit à Francfort, c’est parce que la monnaie lui est consubstantielle. Mais les sessions plénières à Strasbourg, ça représente quoi pour les Français, sérieusement ?» Un avis que ne partage pas la radicale Virginie Rozière qui siège pourtant sur les mêmes bancs socialistes. Pour elle, «Strasbourg reste un symbole, c’est l’image de la France et surtout, à la différence de Bruxelles, ce n’est pas une ville perçue comme technocratique».

Le siège de Strasbourg est une affaire ancienne : lors de la création de la CECA, la Communauté économique du charbon et de l’acier, en 1952, il a paru naturel d’y localiser, sept ans après la fin de la guerre, son Assemblée parlementaire, un aréopage de députés élus par leurs Assemblées respectives, dénué de pouvoir. Pourquoi ne pas faire de même en 1957 avec l’Assemblée parlementaire de la CEE (Communauté économique européenne), elle aussi désignée au second degré et sans plus de pouvoir que sa grande sœur ?

Mais, et cela l’histoire ne le dit pas, Strasbourg a été à l’origine d’un des plus beaux plantages de l’histoire diplomatique française. En effet, la France, puissance dominante de l’Europe des Six, devait accueillir sur son sol la Commission européenne et le Conseil des ministres. «Les institutions communautaires auraient dû occuper le site de Sophia Antipolis, à Nice, nous racontait en 2008 Georges Berthoin, ancien chef de cabinet de Jean Monnet. Mais le projet a avorté, car les Allemands trouvaient que cela ne faisait pas sérieux, trop «Club Med».» La France a alors proposé l’actuel site de La Défense ou de créer une ville nouvelle à Chantilly, à 30 km au nord de Paris. Las, un certain Pierre Pflimlin, ministre des Finances puis président du Conseil (juste avant que le général de Gaulle ne revienne au pouvoir), mais surtout maire de Strasbourg, a vu dans cette localisation une menace pour sa ville : si les institutions étaient en France, rien ne justifiait plus que l’Assemblée parlementaire soit localisée en Alsace. Les Belges ont alors gentiment proposé que Bruxelles devienne la capitale «provisoire» de la CEE. Il faudra attendre 1993 pour que le siège des institutions soit inscrit dans le droit européen et que Bruxelles s’impose définitivement…

Mais entre l’Assemblée parlementaire des débuts et le Parlement européen d’aujourd’hui, il n’y a plus rien de commun : depuis 1979, il est élu au suffrage universel et, avec le traité de Lisbonne de 2007, il a acquis presque les mêmes pouvoirs que le Conseil des ministres (l’instance qui représente les Etats). Or, elle reste la seule institution éclatée entre trois lieux : Strasbourg, pour le siège, Bruxelles, pour le travail en commissions et en groupes politiques, et Luxembourg pour le secrétariat général et les services de traduction et d’interprétation. Un enfer pratique.

Le Parlement a tout essayé pour que Bruxelles devienne siège unique : achat d’un «centre des congrès» doté d’un hémicycle en 1993, création de six «mini-sessions» annuelles de deux jours à Bruxelles, raccourcissement d’une journée des sessions de Strasbourg, vote de nombreuses résolutions. Il est soutenu par la quasi-totalité des Etats, l’Allemagne elle-même venant officiellement de lâcher la France dans cette affaire. «Il n’y a plus que les Français, les Italiens, les Espagnols et quelques Allemands à soutenir Strasbourg», comptabilise Pervenche Berès. Strasbourg ne doit sa survie qu’au verrou de l’unanimité. «On aurait dû négocier le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement en échange de l’abandon du siège du Parlement», regrette l’eurodéputée.

Face à cette offensive, Strasbourg n’a pas ménagé sa peine : construction d’un nouvelle hémicycle en 1999 que tout le monde s’accorde à trouver magnifique même si les espaces de travail sont exigüs, construction d’un tramway, piétonnisation de la ville, etc. Paris, après s’être fait tirer l’oreille, a enfin mis en place une liaison TGV Bruxelles-Strasbourg via Paris, la Belgique a longtemps refusé d’électrifier la ligne Bruxelles-Luxembourg afin de mettre des bâtons dans les roues de la capitale alsacienne (6h30 en train les bons jours avec une 4G intermittente…). Mais Strasbourg continue à souffrir de son enclavement : Air France s’est retirée de la ligne Bruxelles-Strasbourg désormais assurée par la seule Brussels Airlines qui pratique des prix de monopole. En outre, les liaisons directes à partir des villes européennes sont rares… « On ne voit pas ce que l’Etat français pourrait faire, sauf si Ryan Air faisait de Strasbourg l’un de ses hubs », regrette un haut fonctionnaire du Parlement.

La capitale alsacienne ne manque pourtant pas d’atouts : «Une fois qu’on s’est fait au rythme, les sessions plénières sont un moment unique, poursuit cet eurocrate. Tout le monde se retrouve pendant trois jours, c’est intense et sans commune mesure avec ce qui se passe à Bruxelles. Médiatiquement, cela oblige les journalistes à écrire sur le Parlement alors qu’à Bruxelles ils ont toujours autre chose à faire.» Et le sort joue en faveur de la ville : l’hémicycle de Bruxelles, bâti à la va-vite par des spéculateurs belges avant d’être racheté par le Parlement, menace de s’effondrer. «Depuis le début, ce bâtiment est un cauchemar qui accumule les problèmes. Il faudra soit le rénover (345 millions d’euros), soit le rebâtir (380 millions) lors de la législature 2024-2029», explique un autre eurocrate. Une occasion en or pour faire taire les polémiques autour du siège strasbourgeois.

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L'Europe méprise-t-elle les peuples ?

ven, 24/05/2019 - 20:39

L’Union européenne n’est pas seulement un «empire» dirigé par «Juncker et Merkel», elle méprise aussi les peuples. C’est pourquoi la volonté de Theresa May, la Première ministre britannique, de demander aux députés s’ils veulent organiser un nouveau référendum (soit sur l’accord de divorce, soit sur le maintien dans l’UE, ce n’est pas très clair), a déclenché l’ire de l’extrême droite française : «C’est une violation démocratique absolument inouïe, a clamé mardi Jordan Bardella, la tête de liste du Rassemblement national aux européennes. Le peuple britannique a été consulté par référendum en 2016. La démocratie n’a pas d’existence uniquement lorsque le peuple est d’accord avec vous.» C’est évidemment l’Union qui est visée. L’accusation est récurrente : lorsque les référendums sont négatifs, elle n’hésite pas à faire revoter les peuples…

De fait, les Danois ont ainsi dû revoter en 1993 sur le traité de Maastricht pourtant rejeté en 1992, tout comme les Irlandais l’ont fait en 2002 pour celui de Nice pourtant refusé en 2001 et, en 2009, pour celui de Lisbonne, lui aussi repoussé en 2008. Et que dire de la France et des Pays-Bas, qui ont adopté par voie parlementaire le traité de Lisbonne de 2007, qui n’était qu’un décalque du traité constitutionnel européen refusé par référendum en 2005…

Mais ce qu’oublient de dire les europhobes, c’est que la décision de faire revoter son peuple ou de passer par son parlement est une décision relevant de la seule souveraineté nationale. Jamais les institutions communautaires ne s’en sont mêlées, tout simplement parce qu’ils n’ont aucune compétence pour le faire. Mieux, les autres Etats membres ont à chaque fois accepté de rouvrir les négociations afin de permettre aux gouvernements qui le souhaitaient de soumettre un nouveau texte à référendum. Le Danemark a ainsi obtenu de ne participer ni à la monnaie unique, ni à la politique de sécurité intérieure, ni à la politique étrangère et de sécurité commune, ni à la citoyenneté européenne. L’Irlande, elle, a fait biffer la réduction du nombre de commissaires.

En revanche, un pays peut décider d’en rester là. Cela a été le cas lorsque le Danemark a confirmé par référendum, en 2000, sa décision de rester en dehors de l’euro. De même, alors que la Suède ne bénéficiait d’aucune dérogation, elle a néanmoins décidé par référendum en 2003 de ne pas participer à l’euro. Et ces deux pays sont toujours en dehors de la zone euro.

Bref, si le Parlement britannique décide de consulter à nouveau son peuple, ce sera une décision souveraine. Ajoutons qu’une telle décision ne ferait pas les affaires de l’Union. En effet, si le «remain» l’emportait finalement, ce serait sans doute de justesse et la question d’un nouveau référendum serait immédiatement posée. Bardella semble ignorer que le Royaume-Uni a déjà voté sur son appartenance à l’Union en 1975, deux ans après son adhésion. Et le oui l’avait emporté par 67% des voix. Est-ce à dire que le référendum de 2016, qui posait la même question qu’en 1975, était une «violation démocratique absolument inouïe» ? Surtout, est-ce que consulter son peuple pour faire approuver le résultat d’une négociation est anti-démocratique ? Bref, pour un europhobe, un non à l’Europe est définitif, un oui à l’Europe est forcément temporaire.

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Catégories: Union européenne

"L'UERSS", vraiment?

mer, 22/05/2019 - 16:24

Elle est «impériale, hégémonique et totalitaire […]. Sans le dire, malgré la reconnaissance déjà ancienne du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, nous revivons en 2019 la lutte immémoriale des empires contre la nation. L’UERSS contre nos nations».Marine Le Pen n’y est pas allée de main morte, le 1er mai, en revenant à une rhétorique europhobe brutale que son parti avait employée avec succès lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen.

Le plus amusant : cette Europe qui, selon la dirigeante du Rassemblement national, aurait été créée par des agents au service des «intérêts politiques financiers» américains est brocardée dans les mêmes termes par l’administration Trump. De plus, Le Pen est conseillée par Steve Bannon, artisan de la victoire du président américain… Cette comparaison ne tient évidemment pas la route : un empire, par définition, suppose un Etat dominant qui utilise la force militaire pour obliger d’autres pays à se soumettre à son autorité. L’Union, elle, est une association volontaire d’Etats souverains qui ont décidé de partager certaines de leurs compétences : il n’existe aucune armée européenne commandée par «Bruxelles» qui aurait obligé un pays à y adhérer. D’ailleurs, tous les Etats qui ont rejoint l’Union depuis 1973 ont organisé un référendum (à l’exception de la Grèce, de l’Espagne, du Portugal, la dictature ayant vacciné ces pays contre les référendums, de Chypre, de la Bulgarie et de la Roumanie). La Norvège a même voté par deux fois non sans qu’elle ne soit envahie par les chars bruxellois. De même, le Danemark, en 2000, et la Suède, en 2003 et en violation de ses engagements, ont refusé par référendum de rejoindre l’euro.

La comparaison avec l’URSS est encore plus stupide : l’Union n’est pas totalitaire, sinon les europhobes ne pourraient pas se faire élire dans un Parlement qu’ils veulent détruire. Surtout, un pays est libre de la quitter : le Royaume-Uni l’a décidé en juin 2016. Certes, c’est compliqué, comme le montre l’interminable saga du Brexit, mais la faute en revient aux élus nationaux incapables de se mettre d’accord sur la façon de sortir. Les Allemands de l’Est, les Hongrois ou les Polonais, eux, ont payé le prix du sang pour avoir essayé de quitter l’emprise soviétique alors même qu’ils ne faisaient pas partie de l’URSS. La comparaison a d’autant moins de sens que l’Union a non seulement été fondée par les Etats qui en sont membres, mais qu’elle reste contrôlée par eux via le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, son instance suprême qui décide à l’unanimité. Rien ne peut se décider contre eux.

La Commission n’est pas l’instance fédérale que les europhobes décrivent, sauf dans quatre domaines (politique de concurrence, union douanière, négociations commerciales, conservation des ressources de la mer). Dans tous les autres, elle ne peut que proposer des textes qui doivent être adoptés par les Etats en accord avec le Parlement. Mieux, 95 % des lois que la Commission propose ont été demandées par le Conseil européen… Enfin, tout le personnel politique est désigné par les Etats : commissaires, juges à la Cour de justice et même députés européens qui sont élus sur des listes élaborées par des partis nationaux. «UERSS» avez-vous dit ?

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