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Elections européennes: l'extrême-droite et la droite radicale parviendront-elles à s'unir?

jeu, 24/01/2019 - 01:09

Faut-il craindre une déferlante «populiste» et europhobe lors des élections européennes de mai ? L’arrivée au pouvoir du Mouvement Cinq Etoiles (M5S) et de la Ligue en Italie, du FPÖ en Autriche, la percée de l’extrême droite du SD en Suède, de Vox en Andalousie tout comme le mouvement des gilets jaunes en France peuvent le laisser penser. Le Rassemblement national (RN) français, qui a déjà lancé sa campagne, en fait le pari comme le montre son slogan : «On arrive !»

Pourtant, le nombre de députés europhobes ou populistes ne devrait pas beaucoup varier. En effet, ces partis sont en recul ou affaiblis dans plusieurs pays (Pays-Bas, Danemark, Pologne). Ou alors, ils sont déjà largement présents : ainsi, le Front national est arrivé en tête en 2014 avec 24 eurodéputés (même s’il n’en reste que 16 dans le groupe aujourd’hui), un score qu’il n’a guère de chance d’améliorer. Surtout, le Brexit va priver les eurosceptiques du Parti conservateur (19 sièges) et les europhobes de l’Ukip (19 députés)… Une compilation des sondages déjà effectués montre que les démagogues de droite pourraient passer de 151 dans une Assemblée à 751 sièges à une fourchette comprise entre 153 et 168 députés dans une Assemblée réduite à 705 membres après le Brexit. Même si on ajoute la Gauche radicale (GUE) et la cinquantaine de sièges qu’elle devrait conserver, l’euroscepticisme progresserait (de 20 à 24% des sièges), mais sans bouleverser l’échiquier politique européen.

Le vrai enjeu est ailleurs : les démagogues seront-ils capables de s’unir pour peser sur les travaux parlementaires, ce qu’ils n’ont jamais réussi à faire jusque-là, leur seul point commun étant leur détestation de l’Union ? Une alliance entre gauche et droite radicales étant exclue, la question se pose uniquement pour les partis de droite radicale style Droit et Justice (PiS) en Pologne, pour les démagogues purs style M5S et pour les partis d’extrême droite comme le RN, le Vlaams Belang belge, le VVD néerlandais, etc. Pour l’instant, ils sont éclatés entre trois groupes (les conservateurs eurosceptiques de l’ECR, l’EFDD formé autour de l’Ukip et du M5S, l’ENF dont la colonne vertébrale est formée du RN et de la Ligue), sans compter quelques non-inscrits trop radioactifs comme le Jobbik hongrois ou l’Aube dorée grecque.

Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien et patron de la Ligue, a entamé des travaux d’approche avec le fidesz hongrois de Viktor Orban, le PiS polonais et le FPÖ autrichien, en vain pour l’instant. De même, le M5S acceptera-t-il de siéger avec le RN et Vox au risque de perdre définitivement son identité ? Nul ne peut dire s’il y aura un, deux ou trois groupes à la droite du PPE, le groupe conservateur.

Est-il imaginable, comme le rêve l’idéologue de la droite radicale américaine Steve Bannon, que le PPE, qui devrait rester le premier groupe, même affaibli (entre 180 et 188 députés contre 218), s’allie avec ces partis eurosceptiques et europhobes ? Cela paraît improbable, car son unité n’y résisterait pas.

N.B.: article paru dans Libération du 21 janvier

Catégories: Union européenne

L"euro, bouclier de la crise des gilets jaunes

mer, 23/01/2019 - 16:41

L’euro a fêté son vingtième anniversaire le 1er janvier. Aujourd’hui, il n’est plus un sujet de débat politique et même les partis «populistes» ont remisé la sortie de la monnaie unique européenne au fond de leur programme, à l’image du Rassemblement national en France, du Mouvement Cinq Etoiles en Italie, ou du Parti de la liberté en Autriche. Il faut dire que la sortie de l’euro est devenue un repoussoir puissant puisque 64 % des citoyens de la zone euro y sont attachés, seuls 25 % voulant le quitter (sondage Eurobaromètre).

Le mouvement des gilets jaunes en France offre une nouvelle fois l’occasion de constater l’efficacité du bouclier qu’il offre aux pays de la zone euro qui, désormais, n’ont plus rien à craindre des marchés quelle que soit la gravité des crises nationales qu’ils traversent. Imaginons un instant que le franc existe toujours alors que l’Hexagone est politiquement paralysé depuis des mois. Que se passerait-il ? Il suffit de regarder les précédentes crises équivalentes.

Dans un premier temps, les investisseurs étrangers, mais aussi français, auraient fui massivement le pays, non pas pour punir les manifestants, mais tout simplement pour placer leur argent dans des pays plus stables qui ne mettent pas en péril leurs investissements et surtout leur assurent une rentabilité suffisante. Conséquence : le franc aurait perdu inéluctablement du terrain, notamment face au mark allemand, la monnaie européenne alors jugée la plus sûre. Pour défendre sa valeur et retenir les investisseurs, la Banque de France n’aurait pas eu d’autre choix que d’augmenter les taux d’intérêt à court terme, ce qui se serait répercuté sur le loyer de l’argent réclamé par les banques commerciales aux entreprises et aux ménages. Résultat, le ralentissement de l’économie dû à la crise se serait accentué.

De même, les taux d’intérêt réclamés par les investisseurs pour prêter de l’argent à la France à moyen et long terme grimperaient face aux incertitudes. Ce qui accroîtrait la charge d’une dette qui dépasserait rapidement le niveau de 100 % du PIB. Pour y faire face et éviter une dégradation des comptes publics qui accentuerait encore la fuite des capitaux - les marchés doutant de la capacité de la France à rembourser - l’exécutif n’aurait d’autre choix que de couper dans la dépense publique, seule variable d’ajustement qu’il contrôle, ce qui dégraderait encore l’activité économique.

Certes, la dévaluation du franc serait, dans un premier temps, favorable aux exportations. Mais tous les produits importés, comme le pétrole ou le gaz, augmenteraient mécaniquement. Cette inflation importée dégraderait le pouvoir d’achat et la consommation, et donc l’activité économique. Bref, sans l’euro, la crise des gilets jaunes aurait été une catastrophe économique. En revanche, grâce à lui, la croissance a certes ralenti, mais le taux de change de la monnaie unique n’a pas bougé d’un iota, pas plus que les taux d’intérêt, la France ayant emprunté la semaine dernière à un taux record…

Catégories: Union européenne

« Il faut achever l’euro », le livre

mer, 23/01/2019 - 15:45

Mon nouveau livre est en vente dans toutes les bonnes librairies depuis le 2 janvier (666 pages, 22,50€). Un sacré travail qui raconte la construction de la monnaie unique depuis 1968.

Je ne sais pas combien d’entre vous sont encore présents sur ce blog depuis la disparition des commentaires du site de Libé, en septembre dernier. Je n’ai aucune information sur leur retour. Comme je vous l’ai dit, vous pouvez discuter sur mes pages Facebook ouvertes à tous.

J’en profite aussi pour souhaiter une excellente année 2019, même si je crains le pire pour la France.

Catégories: Union européenne

Comment sortir du piège du Brexit?

lun, 21/01/2019 - 17:41

Les partisans d’un Brexit « dur » ont incontestablement marqué un point : après le rejet de l’accord de divorce par la Chambre des communes, un « no deal », c’est-à-dire une sortie brutale de l’Union européenne (UE) le 29 mars, semble plus probable que jamais, même si une majorité de députés britanniques reste hostile à une telle perspective catastrophique pour l’économie du pays. Désormais, et faute d’une solution miracle immédiatement disponible, le seul moyen d’éviter ce « hard Brexit » serait que le gouvernement de Theresa May demande un délai supplémentaire à ses futurs ex-partenaires, voire retire unilatéralement sa demande de sortie de l’Union (article 50 du traité sur l’UE).

«On ne va pas sacrifier les intérêts des Européens»

En tout état de cause, la clef du Brexit se trouve à Londres et nulle part ailleurs comme l’a reconnu Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, en appelant « le Royaume-Uni à clarifier ses intentions dès que possible ». « Nous attendons maintenant ce que la Première ministre propose », lui a fait écho la chancelière allemande, Angela Merkel. Puisque ce sont les Britanniques qui ont décidé, lors du référendum du 23 juin 2016, de quitter l’Union, il leur revient de dire comment ils entendent le faire tout en respectant les « lignes rouges » fixées par ses partenaires. Or, celles-ci n’ont pas bougé : « On ne va pas sacrifier les intérêts des Européens pour régler un problème de politique intérieure des Britanniques », a ainsi martelé le chef de l’État français, Emmanuel Macron, lors de son dialogue avec les maires : « La pression est du côté de la Grande-Bretagne », puisqu’elle sera la première « perdante d’un « no deal »».

De fait, il n’est pas question, pour aucun pays, de renégocier le volumineux accord de retrait péniblement conclu en novembre dernier (585 pages, trois annexes et une déclaration politique de 26 pages). « On a été au bout de ce qu’on pouvait faire dans l’accord », estime Emmanuel Macron. « La marge de négociation est proche de zéro » confirme-t-on dans son entourage. Une position d’autant plus ferme que, vu l’ampleur du rejet, il n’y a guère de chance que des changements à la marge, les seules imaginables pour l’Union, satisferaient une majorité de députés britanniques.

Prolonger le délai

Parmi les idées évoquées pour gagner du temps, la prolongation du délai de deux ans prévu par l’article 50 entre son activation et la sortie effective. Il faudrait que Londres la demande et que les 27 l’acceptent à l’unanimité. Or, pour Alain Lamassoure, eurodéputé conservateur, ce serait un « piège » : « les députés qui n’ont pu se mettre d’accord en trois ans ne le feront pas en trois semaines », tranche-t-il. À Paris, on estime aussi qu’un tel report ne pourrait être accordé qu’à condition que Londres ait un plan précis susceptible de réunir une majorité à la Chambre des communes. Or, ce n’est absolument pas le cas, ce qui rend l’extension de l’article 50 sans objet : « il faut sortir de cette approche qui consiste à demander une minute de plus au bourreau avant qu’il ne fasse son office », tranche un proche du gouvernement.

Sans compter qu’un délai supplémentaire poserait des problèmes juridiques, les élections européennes devant avoir lieu en mai prochain. Il faudrait d’une part se mettre d’accord sur la durée de ce délai, ce qui dépendra largement de la capacité de Theresa May à élaborer une solution qui soit acceptable à la fois par la Chambre des communes et par l’Union, et, d’autre part, trancher la question de leur participation aux institutions communautaires. Ce qui passera par un amendement aux traités qui devra être ratifié par les vingt-huit parlements. Trois solutions sont possibles : soit le Royaume-Uni organise des élections européennes, soit elle maintient ses députés actuels en fonction, soit elle envoie des députés nationaux pour siéger à Strasbourg. La question de la répartition des 73 sièges actuellement occupés par les eurodéputés britanniques qui a déjà été décidée (27 ont été attribués à des pays gravement sous-représentés comme la France (+5 sièges), le reste étant gelé pour les futurs élargissements) ne pose pas de problème, puisque le texte a prévu ce cas de figure : la composition du Parlement ne serait tout simplement pas modifiée dans un premier temps. La nouvelle répartition n’entrera en vigueur que lors de la sortie effective du Royaume-Uni.

Renégocier les traités européens

Autre possibilité hautement improbable : un retrait unilatéral de l’article 50, une possibilité reconnue par la Cour de justice européenne dans un arrêt de principe du 10 décembre dernier. Mais cela impliquerait soit un nouveau référendum, soit des élections législatives anticipées valant référendum... Ce retrait pourrait certes n’être que temporaire, rien n’empêchant Londres d’activer à nouveau l’article 50 dans un ou deux ans… Un cauchemar pour l’Union qui vivrait pour longtemps au rythme du Brexit.

À Paris, qui est à la manoeuvre pour trouver une solution, on commence à envisager, pour sortir par le haut de ce tête-à-tête impossible avec Londres, de profiter de cette crise pour remettre sur la table l’ensemble des traités afin de créer cette Europe à géométrie variable qu’Emmanuel Macron a esquissé lors de son discours de la Sorbonne en septembre 2017. Cela permettrait de régler au passage le problème britannique en créant un statut « d’État proche » associé à l’Union au sein d’un partenariat économique et politique. Un second cercle serait constitué du marché unique et des valeurs fondamentales. Un troisième, d’une zone euro fédérale… Mais faut-il entamer une telle négociation avec le Royaume-Uni encore à bord, c’est-à-dire avec son droit de véto, ou attendre le choc cathartique d’une sortie chaotique ? La réflexion, et surtout le travail de conviction de Paris vis-à-vis de ses partenaires européens, ne fait que commencer.

N.B.: article paru dans Libération du 17 janvier

Sur RFI, le 14 janvier: http://www.rfi.fr/emission/20190114-brexit-accord-parlement-viticulteurs-pecheurs-irlande-plats-cuisines-medicaments

Catégories: Union européenne

L'Union européenne reste fragile face au choc américain

ven, 28/12/2018 - 23:56

Il y a presque douze ans, en février 2007, la crise des « subprimes » éclatait aux États-Unis. Dix-huit mois plus tard, elle a entrainé l’Europe dans la plus grave crise financière, bancaire et économique depuis 1929, une crise dont elle mettra huit ans à sortir et dont les stigmates sont toujours présents. Sommes-nous à la veille d’un choc de même ampleur ? Sans doute pas. Mais une nouvelle fois, l’Europe, largement dépendante de la locomotive américaine, va souffrir : non seulement elle ne dispose pas de relais suffisants de croissance, mais ses faiblesses structurelles la rendent particulièrement vulnérable aux chocs externes.

« La crise américaine qui s’annonce ne sera pas de même nature qu’en 2007 », souligne Philippe Waechter, économiste chez Ostrum Asset Management. Cette fois-ci, la crise ne sera pas financière et bancaire, mais avant tout économique : les États-Unis risquent d’être confrontés à une récession dans les 12 à 18 mois qui viennent. C’est du moins la conviction des marchés, comme le montre l’inversion en cours de la courbe des taux : dans peu de temps, il sera plus cher d’emprunter à 2 ou 5 ans qu’à 10 ans, alors que cela devrait être l’inverse. Cela indique que les investisseurs pensent qu’il y a un risque de tempête à court terme.

Cette conviction doit essentiellement à la politique de Donald Trump. En particulier, la guerre commerciale tout azimut déclenché par le président américain, mais aussi les tensions diplomatiques causées par son unilatéralisme agressif, commencent à produire des effets délétères sur le commerce mondial. Un indicateur ne trompe pas : après une croissance du trafic des conteneurs, qui représente 80 % des biens échangés dans le monde, de 6 % en 2017, elle n’est plus que de 2 % en 2018. Ce qui entraine mécaniquement une baisse des investissements, la confiance dans le commerce mondial diminuant. Autre élément inquiétant qui, lui, n’est pas imputable à Trump : la normalisation de la politique monétaire de la Réserve fédérale, dont les taux sont passés de 0 à plus de 2%, a des effets déstabilisateurs sur les pays émergents, les capitaux placés chez eux étant rapatriés aux États-Unis, ce qui impactera leur croissance et partant la croissance mondiale.

Le problème, pour l’Union, est que son activité économique n’est pas folichonne (2,1% en 2018 pour la zone euro contre 2,4 % en 2017 et moins de 2% espérés en 2019) et qu’elle est donc exposée au moindre coup de vent extérieur : « si la croissance reste à 4 % en Asie, il est clair que l’Europe n’a pas beaucoup d’atouts pour attirer les investisseurs », tranche un économiste de l’OCDE. D’autant qu’elle est totalement « absente de la guerre technologique que se livrent les États-Unis et la Chine », souligne Philippe Waechter, « ce qui est très inquiétant sur le long terme ».

Autre facteur de risque pour l’Union, les incertitudes politiques qu’elle accumule comme à plaisir : crise des gilets jaunes en France ; poussée de partis d’extrême droite ou démagogiques partout, ce qui pourrait se traduire par un Parlement européen ingouvernable en mai 2019 et une Commission gravement affaiblie ; renouvellement de la moitié du directoire de la Banque centrale européenne et bien sûr le Brexit qui constituera un choc plus ou moins brutal selon qu’il sera avec accord ou pas…

Enfin, l’Union et surtout la zone euro ne sont pas dotées d’une autonomie de décision leur permettant de répondre à un choc économique. En effet, ce sont les États qui dictent la marche à suivre et en particulier l’Allemagne qui a imposé sa vision de la politique économique durant la crise de 2010-2012. En clair, Berlin s’opposera fermement, y compris en s’emparant des leviers du pouvoir à la Commission et à la BCE, à toute politique budgétaire accommodante pour faire face au choc qui s’annonce, ce qui va aggraver ses effets et déstabiliser davantage la zone euro à son profit, l’Allemagne apparaissant comme le seul pays vraiment sûr pour les marchés…

Seules bonnes nouvelles pour l’Europe : l’union bancaire a permis un considérable renforcement des banques de la zone euro, ce qui leur permettra d’absorber un choc équivalant à celui de 2007, et le prix du pétrole restera bas pour longtemps. Deux airbags, c’est peu pour éviter les effets du ralentissement à venir.

N.B.: article paru dans Libération du 27 décembre

Catégories: Union européenne

Le Parlement européen exige la démission de Martin Selmayr

ven, 21/12/2018 - 16:54

Martin Selmayr doit démissionner ! Le Parlement européen a durci le ton pour obtenir le départ de l’omnipotent secrétaire général allemand de la Commission qui s’est emparé de son poste le 21 février à la suite d’un véritable «coup d’Etat» interne, comme il l’a dénoncé en avril - mais sans appeler à son départ- sans que cela ait eu le moindre effet.

Jeudi, les eurodéputés, réunis en session plénière à Strasbourg, n’ont pas fait dans le détail en estimant en substance que la Commission n’a pas grand-chose à envier à la Hongrie de Viktor Orban dans ses pratiques internes. En effet, pour eux, elle «n’a pas respecté les principes de transparence, d’éthique et d’état de droit dans la procédure qu’elle a utilisée pour nommer Martin Selmayr». Ils déplorent donc «vivement la décision de la Commission de confirmer M. Selmayr […] malgré les nombreuses critiques émises par les citoyens de l’Union et le préjudice que cela cause à la réputation de l’Union». Pour le Parlement, aucun doute, «M. Selmayr doit démissionner de son poste». Des phrases extrêmement dures figurant dans une résolution, adoptée à une écrasante majorité, sur le rapport annuel de la médiatrice de l’Union, Emily O’Reilly, qui, en septembre, avait, elle aussi, estimé que la nomination de Selmayr était illégale.

La volonté du Parlement d’avoir la peau de ce haut fonctionnaire proche de la CDU allemande est d’autant plus déterminée que la Commission Juncker a traité par le mépris tous ceux qui ont osé remettre en cause sa nomination. Rien d’étonnant puisque Selmayr est le président de l’ombre de l’exécutif européen, puisqu’il cumule les fonctions de secrétaire général, de chef de cabinet (de facto) et de sherpa (négociateur international) de Jean-Claude Juncker qui n’est plus que l’apparence titubante du pouvoir. Autrement dit, c’est lui qui fait la politique de cet organe, aucun commissaire n’osant l’affronter…

Un pouvoir démesuré, sans précédent dans l’histoire communautaire, qui se renforce au fil du temps. Ainsi, il n’a pas renoncé, comme je l’avais annoncé en février dernier, à démanteler le service juridique de la Commission qui joue le rôle du Conseil d’Etat français auprès du gouvernement. Ainsi, Selmayr ne pourra plus être contredit par personne...

Pourtant, les d’eurodéputés estimaient, pour justifier leur refus de censurer la Commission en avril dernier, que les jours de Selmayr étaient comptés du seul fait que ses manœuvres pour s’emparer des leviers du pouvoir avaient été exposées au grand jour (d’abord par Libération, puis par le Parlement et la médiatrice). Or, celui-ci a réussi, contre toutes attentes, à consolider son pouvoir au point qu’en interne beaucoup estiment qu’il a désormais de bonnes chances d’être maintenu à son poste. Non seulement il place ses femmes et ses hommes partout et écarte les gêneurs afin de verrouiller l’appareil, mais il a parfaitement compris que son sort se jouait à Berlin : il fait donc tout pour complaire à son pays d’origine et s’érige en défenseur des intérêts allemands.

Le hasard faisant bien les choses, l’un de ses amis, Peter Altmaier, actuel ministre de l’Economie et proche d’Angela Merkel, est donné comme prochain commissaire allemand, ce qui lui donnera un point d’appui non négligeable. Il parie aussi sur le fait que si l’Allemagne accepte que le futur président de la Commission soit un Français, elle exigera en rétribution que le poste de secrétaire général reste à un Allemand et donc à lui... Le Français le mieux placé pour remplacer Juncker étant Michel Barnier, qui lui doit son poste de négociateur du Brexit, n’aura aucun mal à assumer ce petit Yalta.

Bref, le Parlement européen se rend compte qu’il a fait une grave erreur en sous-estimant le pouvoir de nuisance de «l’homme le plus intelligent de la Commission», celui sans qui «rien ne fonctionnerait», comme il l’explique sans fausse modestie à ses visiteurs. Son appel à la démission apparaît bien vain devant la détermination de Selmayr de se maintenir coûte que coûte au pouvoir.

Catégories: Union européenne

Zone euro: Berlin douche les ambitions de Macron

mar, 18/12/2018 - 18:27

Emmanuel Macron a dû se contenter du minimum, loin, très loin des ambitions affichées lors de son discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017 dans lequel il appelait à une « refondation » de l’Europe d’ici à 2024 autour d’une zone euro quasi-fédéral. La « réforme » actée vendredi, par le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, se contente, pour l’essentiel, de confirmer la création d’une simple « ligne budgétaire » au montant non déterminé qui sera réservée aux dix-neuf pays membres de la zone euro au sein du budget de l’Union. Un maigre bilan qui s’explique par les réticences allemandes face à toute intégration supplémentaire qui mettrait en péril le « bon argent allemand », pour reprendre l’expression de Peer Steinbrück, l’ancien ministre des finances social-démocrate.

Berlin s’oppose au fédéralisme

Dans son discours de la Sorbonne, le Président de la République a plaidé pour un budget de la zone euro, non pour voler au secours des déficits publics, mais pour investir et disposer de « moyens face aux chocs économiques », car « un État ne peut, seul, faire face à une crise lorsqu’il ne décide pas de sa politique monétaire ». Un budget qui serait abondé par la taxe européenne sur les géants du numérique, la taxe carbone voire une partie de l’impôt sur les sociétés et qui pourrait atteindre plusieurs points du PIB de la zone euro. Il a aussi demandé la création d’un poste de ministre des finances européen (fusion du poste de commissaire aux affaires économiques et monétaires et de celui de président de l’Eurogroupe) chargé de piloter le Pacte de stabilité et la coordination des politiques économiques ainsi que l’instauration d’un contrôle parlementaire de la zone euro.

Il s’est immédiatement heurté à Berlin qui n’a guère envie de se lancer dans une réforme de la zone euro qu’elle domine de la tête et des épaules : son fonctionnement intergouvernemental (c’est-à-dire géré par les États) lui confère, en effet, un droit de véto sur toutes les grandes décisions, un pouvoir qui lui serait retiré en cas de fédéralisation. L’accord de grande coalition de janvier 2018 entre les conservateurs et les socio-démocrates a semblé dégager la voie, puisqu’il reprenait en grande partie ses idées. Mais une fois installés au pouvoir, le SPD n’a pas montré plus d’allant que la CDU.. Il faudra quelques centaines d’heures de négociations pour enfin aboutir, lors du sommet franco-allemand de Meserberg (nord de Berlin) du 19 juin 2018 à un compromis : Berlin accepte certes la création d’un budget de la zone euro d’ici 2021, mais à l’intérieur du budget à 27, ce qui donnera à des pays non membres de la monnaie unique un droit de véto… Même si aucun chiffre n’est avancé, il ne devrait pas dépasser les 100 milliards sur 7 ans, loin des ambitions de Macron, et pourrait servir à financer « l’innovation et le capital humain » et « à financer de nouveaux investissements et venir en substitution des dépenses nationales ». Il pourrait aussi jouer le rôle de « stabilisation macroéconomique », soit par le biais d’une « suspension temporaire de la contribution au budget de la zone euro pour les pays touchés par un choc significatif », soit en alimentant un « fonds européen de stabilisation du chômage » qui ferait des prêts aux systèmes nationaux afin que l’État touché par une augmentation brutale des demandeurs d’emploi ne perde pas ses capacités de manœuvre. Rien, en revanche, sur le ministère des Finances de la zone euro ou le contrôle parlementaire…

Un budget de la zone euro réduit à la portion congrue

Les Vingt-sept ont finalement revu ce compromis à la baisse, à la grande satisfaction de Berlin : cet « instrument budgétaire », qui ne s’appellera pas « budget » pour satisfaire les Pays-Bas, servira seulement à financer les investissements dans l’innovation, la recherche et le capital humain. Le reste, c’est-à-dire sa fonction de stabilisation, est renvoyé à plus tard. Quant à son financement, il demeure mystérieux : la taxe sur les transactions financières (TTF) que Paris et Berlin voulaient lui affecter est toujours dans les limbes et l’Allemagne a réduit à la portion congrue l’impôt sur les géants du numérique (taxation de 3% du chiffre d’affaires des revenus tirés de la publicité et non plus de la vente de données) pour ne pas déplaire à Washington…

De même, le Mécanisme européen de stabilité (MES), doté d’une capacité de prêts de 750 milliards d’euros, continuera à être contrôlé par les États, et surtout les grands États, comme le voulait Berlin. En outre, il sera désormais chargé de préparer avec la Commission les programmes d’austérité que devront respecter les États de la zone euro qui ne pourraient plus se financer sur les marchés. La seule concession obtenue par Paris est que le MES puisse prêter de l’argent à un pays qui a un problème de liquidité (et non de solvabilité) sans exiger en retour une cure d’austérité : en clair, il s’agit des pays qui respectent le Pacte de stabilité, mais qui se heurtent à une méfiance des marchés, par exemple à la suite d’une crise bancaire.

Enfin, et là aussi c’est un progrès, les Dix-neuf ont accepté que le MES joue le rôle de « backstop » (filet de sécurité) ultime dans l’Union bancaire : à partir de 2024, le Conseil de résolution unique (CRU), qui dépend de la Banque centrale européenne, pourra y faire appel en cas de grave crise bancaire, dans la limite de 140 milliards d’euros si l’argent (70 milliards collectées auprès des banques) du Fond de résolution unique est insuffisant. Mais Berlin a bien veillé que l’activation du MES soit conditionné au feu vert de son Parlement (dans les 24 ou les 12 heures selon les cas)… Et elle continue à s’opposer à toute garantie européenne des dépôts.

Bref, comme François Hollande et Nicolas Sarkozy avant lui, Emmanuel Macron doit se contenter des miettes que l’Allemagne veut bien lui laisser…

N.B.: article paru dans Libération du 15 décembre

Photo: AP

Catégories: Union européenne

Brexit: "You can check out any time you like, But you can never leave"

ven, 14/12/2018 - 19:47

«Le Brexit est un véritable cauchemar», soupire une diplomate d’un pays d’Europe de l’Est. Le sommet européen des chefs d’Etat et de gouvernement- qui se réunit jeudi et vendredi à Bruxelles - va, une fois encore, être préempté, au détriment de sujets importants comme l’avenir de la zone euro ou les migrants, par une question que les Vingt-Sept espéraient avoir réglée fin novembre, avec l’accord de divorce conclu entre les négociateurs des deux rives de la Manche.

«Les Britanniques n’arrivent pas à savoir ce qu’ils veulent et on se demande s’ils vont arriver à quitter l’Union», s’interroge la diplomate. De fait, les interminables convulsions de la classe politique britannique depuis le référendum du 23 juin 2016 amènent à se poser la question. Certes, l’article 50 du traité sur l’UE, introduit par le traité de Lisbonne de 2007, prévoit bien une procédure de sortie, celle-là même qu’utilise Londres. Mais ce qui est juridiquement possible est-il économiquement et même politiquement réalisable ? Le Royaume-Uni est en train de répondre par la négative, au grand dépit de tous les europhobes. En effet, les liens juridiques, économiques, politiques entre un pays et l’Union sont si profonds que les rompre revient à se couper les deux jambes alors que le but affiché est de remporter un 100 mètres.

Après avoir affirmé en septembre 2016 qu’il n’était pas question pour le Royaume-Uni d’adopter un statut à la turque (union douanière), à la suisse (des accords bilatéraux permettant d’avoir accès au marché intérieur secteur par secteur, mais en appliquant les règles communautaires) ou à la norvégienne (accès total au marché intérieur en échange de l’application sans condition des lois européennes), la Première ministre, Theresa May, a dû effectuer une courbe rentrante en prenant conscience des dégâts qu’une rupture totale causerait à son économie, mais aussi au processus de paix nord-irlandais, qui reste fragile. D’où la cote mal taillée de l’accord de divorce qui ne satisfait personne : ni les «brexiters» les plus durs, ni ceux qui voudraient rester dans l’Union.

Aventure suicidaire

Et c’est bien le nœud du problème : en voulant faire trancher par référendum la question européenne qui pourrissait la vie du parti conservateur, David Cameron, l’ancien Premier ministre, a réussi à diviser profondément le peuple britannique en deux parts égales, les brexiters et les «remainers» (ceux qui veulent rester). Autrement dit, la vie politique britannique va, pour longtemps, être empoisonnée par un sujet que le référendum de 2016 était censé régler une fois pour toutes. Pourtant, le précédent de 1975 aurait dû servir d’avertissement. Deux ans après son adhésion, le Royaume-Uni a organisé une consultation pour la confirmer. Bien que le résultat ait été massivement positif, cela n’a rien réglé.

Le Brexit a cependant eu un effet positif. Il a fait prendre conscience à ses partenaires à quel point l’aventure était suicidaire. En effet, il revient à se priver des avantages du marché intérieur et à ne plus pouvoir peser sur le destin de l’Union sans rien en retirer en échange. Ce n’est pas un hasard si personne n’a été tenté de suivre ce précédent, y compris les pays les plus eurosceptiques : Hongrie, Pologne, Suède ou encore Danemark.

«Hotel California»

Si se séparer de l’UE est difficile, voire impossible, les six mois qui viennent le diront, on sait d’ores et déjà que quitter la zone euro relève du pur fantasme. La démonstration en a été apportée par la Grèce au premier semestre 2015. Alors que la gauche radicale de Syriza était déterminée à tenter l’aventure si ses partenaires ne cédaient pas à ses exigences, elle a dû y renoncer en dépit du référendum du 5 juillet 2015 rejetant le programme d’austérité négocié avec la zone euro en échange de son aide financière.

Le 14 juillet, Alexis Tsipras, le Premier ministre, a expliqué qu’une étude, commandée au printemps précédent sur les conséquences d’un Grexit, l’avait convaincu qu’il s’agissait d’une folie : non seulement la Grèce aurait dû quitter l’UE, une simple sortie de l’euro étant impossible, mais elle se serait retrouvée ipso facto en faillite puisqu’incapable de se financer sur les marchés. D’ailleurs, aucun pays n’a même envisagé d’abandonner l’euro durant la crise de 2010-2012 et, aujourd’hui, 64 % des Européens sont convaincus des bienfaits de la monnaie unique. «C’est pour cela qu’il faut soigneusement se préparer avant d’adhérer à l’Union et à l’euro, car il n’y a pas de retour possible», admet un diplomate européen. Bref, l’UE, c’est l’Hotel California des Eagles : «We are all just prisoners here, Of our own device […] You can check out any time you like, But you can never leave» («Nous sommes simplement tous prisonniers ici, De notre propre initiative […] Tu peux régler ta note quand tu veux, Mais tu ne pourras jamais partir»).

N.B.: article paru dans Libération du 13 décembre 2018

Catégories: Union européenne

Brexit: la quadrature du cercle

ven, 14/12/2018 - 19:44

Theresa May espère que ses bientôt ex-partenaires européens auront la bonté de lui lancer une bouée de sauvetage pour lui éviter la noyade. Après avoir dû piteusement reporter sine die le vote de la Chambre des communes sur l’accord de retrait de l’Union du Royaume-Uni, la Première ministre a entamé ce mardi une mini-tournée européenne afin d’essayer d’arracher d’ultimes concessions sur l’épineuse question de la frontière entre les deux Irlandes juste avant le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de jeudi et vendredi. Ce mardi, elle a rencontré le Premier ministre néerlandais Mark Rutte à La Haye, la chancelière Angela Merkel à Berlin, et, enfin, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, ainsi que Donald Tusk, le président du Conseil européen, à Bruxelles. Mercredi matin, elle aura un entretien téléphonique avec Emmanuel Macron après la tentative avortée de ce week-end, le chef de l’Etat ayant été occupé par la crise des gilets jaunes.

Quelles concessions peut faire l’Union à Theresa May ?

Le ton est pour l’instant très ferme : Juncker et Tusk ont martelé, mardi, qu’il n’était «pas envisageable» de renégocier le volumineux contrat de divorce (585 pages plus trois protocoles) conclu fin novembre après vingt mois de difficiles négociations. C’est «le seul accord possible», a confirmé la ministre déléguée française aux Affaires européennes, Nathalie Loiseau. «Il n’y aura certainement aucune promesse que nous allons rouvrir la question et renégocier», a surenchéri son collègue allemand, Michael Roth. «Tout dépend de ce qu’on appelle concession», euphémise-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat français, «car il n’y a rien sur le fond qui soit à la fois acceptable par les Vingt-sept et susceptible de faire changer d’avis les députés britanniques opposés à l’accord». En particulier, il est hors de question de prévoir dans la «déclaration politique» accompagnant le contrat de divorce que le «filet de sécurité» («backstop») sera limité dans le temps comme le demandent une partie des députés conservateurs : «par définition, il ne peut y avoir de trou dans un filet de sécurité», ironise-t-on à Paris.

Ce backstop sera activé à l’issue de la période de transition (2021 ou 2022) si jamais aucun accord sur la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union n’est trouvé afin de maintenir ouverte la frontière entre les deux Irlandes. Il prévoit que la Grande-Bretagne restera dans l’union douanière (et donc ne pourra pas conclure d’accord de libre-échange avec des pays tiers) et l’Irlande du Nord dans le marché intérieur des marchandises, et ce, sans limite de temps. «En revanche, s’il s’agit simplement de dire que l’on fera tout pour éviter l’activation du backstop et que si on l’active on fera tout pour en sortir le plus vite possible, on le fera. Mais est-ce que cela suffira à aider Madame May», s’interroge un proche d’Emmanuel Macron. «C’est vraiment aux Britanniques de trouver une solution interne, de savoir ce qu’ils veulent. Si on fait semblant de négocier pour finalement se retrouver avec un refus du Parlement britannique juste avant le 29 mars 2019 [date de sortie prévue, ndlr], ce sera encore pire et là on risque vraiment un «no deal»», poursuit cette même source.

Pourquoi la frontière nord-irlandaise bloque-t-elle le Brexit ?Cette frontière, longue de 499 kilomètres qui compte 275 points, est un lieu de passage crucial pour l’économie irlandaise qui exporte la majorité de ses produits vers l’Union via l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni. Dans l’autre sens, les deux tiers des exportations d’Irlande du Nord vont vers le sud de l’île. Toute installation de postes frontaliers, tout contrôle ou ajout de bureaucratie risquent de perturber la fluidité des flux des marchandises. Cette absence de frontière physique est le résultat du Good Friday Agreement (GFA, accord du Vendredi saint) du 10 avril 1998 qui a mis fin à trente ans d’une guerre civile larvée (3 500 morts). Son objectif principal est de minimiser l’importance de la frontière, perçue comme le symbole des désaccords entre les communautés unionistes (pour le maintien au sein du Royaume-Uni) et les républicains (pour une réunification avec le sud). Sa portée politique est donc immense puisqu’il symbolise la pacification de l’île. Le retour d’une frontière physique pourrait aboutir à un retour des violences dans une communauté où les tensions restent vives, un risque «réel» selon George Hamilton, le chef de la police irlandaise.

Que peut-il se passer d’ici au 29 mars 2019 ?

Le nombre de scénarios possibles est vertigineux. Si les députés britanniques, rassurés par les «concessions» des Vingt-sept, adoptent l’accord de retrait avant le 21 janvier, la route est claire pour une sortie de l’UE. En revanche, s’ils estiment les concessions insuffisantes et rejettent l’accord, May aura du mal à se maintenir au pouvoir. Elle pourrait alors démissionner après un vote des députés conservateurs qui la contraindrait à céder sa place à un autre député de son parti. Ou l’opposition, le Labour, pourrait lancer une motion de défiance. Si elle perdait ce vote, la porte serait alors ouverte à des élections générales anticipées. La Première ministre pourrait aussi interpréter le rejet de l’accord comme un refus du Brexit et retirer unilatéralement l’article 50. Un jugement de la Cour de justice européenne a confirmé lundi cette possibilité. Ou alors Theresa May ou un autre Premier ministre pourrait estimer que seul un nouveau référendum permettrait de sortir de l’impasse. Il faudrait alors résoudre le casse-tête de la ou les questions à poser : «rester ou sortir de l’UE ? Brexit avec l’accord conclu ou sans accord ?» Enfin, si l’accord est rejeté et qu’aucune solution alternative n’est trouvée, la solution par défaut est un «no deal», un épilogue extrêmement douloureux tant pour le Royaume-Uni que pour l’Union.

N.B.: article cosigné avec Sonia Delesalle-Stolper (à Londres)

Catégories: Union européenne

L'extrême-droite surfe sur la vague des "gilets jaunes"

mar, 11/12/2018 - 15:26

Voir Emmanuel Macron, le jeune chef de l’Etat français, assiégé dans son palais de l’Elysée par des émeutiers en jaune réjouit tout ce que la planète compte de démagogues et de régimes autoritaires, de Donald Trump, le président américain, à Recep Tayyip Erdogan, son homologue turc, en passant par la République islamiste d’Iran ou encore Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien et patron de la Ligue, parti d’extrême droite. Tous affichent leur soutien au mouvement des gilets jaunes et espèrent désormais ramasser la mise politique à quelques mois des élections européennes de mai 2019.

Samedi, à Bruxelles, où défilaient un petit millier de gilets jaunes locaux, Steve Bannon, l’ancienne «éminence noire» de Donald Trump, a retrouvé sa comparse Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national, et le Vlaams Belang, le parti fasciste flamand, pour dénoncer, lors d’un meeting, le «pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières» de l’ONU. Ce «pacte avec le diable» selon Marine Le Pen, préparerait le «grand remplacement» des blancs par les Africains et les Arabes, l’une des «infox» qui a connu un grand succès sur certains réseaux des gilets jaunes.

« Paris brûle »

Pour Bannon, qui rêve d’exporter la révolution conservatrice trumpienne sur le Vieux Continent, les «jaunes» sont l’équivalent de la classe moyenne blanche américaine qui a porté Trump au pouvoir : «Dans les petits villages, dans les zones rurales de France et dans les rues de Paris, les gilets jaunes, les «déplorables» de France, sont exactement les mêmes personnes qui ont élu Donald Trump […], le même type de personnes qui ont voté pour le Brexit. Ils veulent avoir le contrôle de leur pays, ils croient en l’Etat nation.» De fait, l’absence de diversité dans le mouvement des gilets jaunes n’a pas échappé à ce fin politique.

Marine Le Pen l’a parfaitement compris aussi : «A l’heure où dans mon pays se déroulent des évènements d’une gravité inquiétante, au moment même où les Français, guettés par la misère, des travailleurs et retraités pauvres se révoltent pour leur pouvoir d’achat et leur dignité, […] il est indécent d’envisager toute nouvelle immigration. […] Il est indécent de continuer à dilapider les aides sociales de nos pays dans des politiques insensées de distribution de notre argent à la terre entière, lorsque nos compatriotes n’ont plus les moyens de se soigner, de se déplacer, de se loger et parfois même pas les moyens de manger.» «Paris brûle, Londres est en crise. Le pacte mondial de Marrakech sur les migrations est mort avant sa signature», a martelé Steve Bannon.

Europe divisée

Même si ce pacte est juridiquement non contraignant et réaffirme le «droit souverain des Etats» à définir leur politique migratoire, qu’importe ! Ce texte, qui recense les principes et droits existants (défense des droits de l’Homme, des enfants) et formule 23 objectifs pour aider les pays à faire face aux migrations, offre le moyen rêvé de faire le lien entre angoisses identitaires, refus de l’immigration et peur du déclassement. Ce n’est pas un hasard si les pays européens dirigés par des populistes – ou les comptant dans leur majorité – ont décidé de ne pas le signer, offrant ainsi au monde le visage d’une Europe profondément divisée.

En Belgique, le gouvernement dirigé par le libéral francophone, Charles Michel, se retrouve même en lambeau après le départ, dans la nuit de samedi à dimanche, de la N-VA, le parti indépendantiste et de droite radicale flamande, qui a refusé d’être associée à ce Pacte. Certes, le parti de Bart De Wever, le premier parti de Flandre, continuera à soutenir le gouvernement Michel, mais uniquement sur les textes économiques, afin d’éviter d’anticiper les élections législatives de mai prochain. Une cure de «semi-opposition» qui lui permettra d’occuper l’espace dont comptait s’emparer le Vlaams Belang. L’affrontement entre nationalistes identitaires et europhiles a déjà commencé, il sera brutal et les premiers ont déjà une longueur d’avance.

N.B.: article paru dans Libération du 10 décembre

Photo: Photonews via Getty images

Catégories: Union européenne

Transport routier: l'Union met fin au dumping social

jeu, 06/12/2018 - 09:20

Après le durcissement de la directive sur les travailleurs détachés, en juin 2017, Emmanuel Macron a remporté une seconde victoire lundi soir à Bruxelles que peu de monde croyait possible. La France a, en effet, obtenu que le transport routier international soit mieux encadré afin à la fois d’améliorer les conditions de travail des chauffeurs et de lutter contre la concurrence déloyale. « C’est une vraie victoire pour l’Europe sociale », se réjouie l’écologiste française Karima Delli, la présidente de la Commission transport du Parlement européen. Cette illustration de « l’Europe qui protège », pour reprendre le slogan du chef de l’État, tombe au meilleur moment, en plein conflit des « gilets jaunes ».

Pourtant, en juin 2017, le gouvernement français avait été rudement critiqué par l’opposition pour avoir accepté de disjoindre la question des routiers du règlement plus général du détachement. La raison était double : éviter de coaliser l’Espagne et le Portugal, très dépendants du transport routier, et les pays de l’Est grands fournisseurs de main-d’œuvre bon marché corvéable à merci. D’autre part, le transport est un secteur spécifique, puisque son essence est la mobilité, qui ne peut obéir aux mêmes règles que le détachement d’un maçon, par exemple : c’est d’ailleurs pourquoi la Commission européenne a déposé un « paquet mobilité » en mai 2017 traitant de la question.

Le calcul a été payant. Au terme de 18 mois de négociation et 15 heures de discussion de rang, la France a obtenu lundi que le transport routier soit couvert par la directive sur le détachement des travailleurs prévoyant une « rémunération égale » à celle des locaux pour les opérations de « cabotage ». Par exemple si un camion fait une livraison de Pologne en France et recharge et décharge dans l’Hexagone (3 opérations autorisées pendant 7 jours), le routier sera payer comme un Français. La seule exemption concerne les « opérations bilatérales consistant en un aller et retour d’un État membre à un autre », comme l’a précisé Elisabeth Borne, la ministre chargée des transports. Rien de choquant dans cette exemption, puisqu’il serait difficile de faire varier la rémunération du routier en fonction des pays traversés pour une simple livraison… De même, pour éviter une concurrence déloyale, les camions étrangers qui font du cabotage dans un pays devront le quitter pendant 5 jours avant d’y revenir.

Les droits sociaux des routiers sont aussi renforcés. Ainsi, l’interdiction de prendre son temps de repos dans la cabine de son camion, déjà décidé par la Cour de justice européenne, est confirmée : le patron devra leur payer un hôtel. De même, ils auront un droit au retour régulier, toutes les 3 à 4 semaines, dans leur pays d’origine. Enfin, s’ils effectuent de longs voyages, ils pourront prendre deux repos hebdomadaires réduits consécutifs, mais ils devront obligatoirement être suivis d’un repos normal pris au pays.

Surtout, les contrôles seront accrus, à la fois en renforçant la lutte contre les sociétés « boites aux lettres », qui se contentent de fournir de la main-d’œuvre à des compagnies étrangères, et en rendant obligatoires les « tachygraphes intelligents » dès 2022 pour les camions neufs et dès 2024 sur tous les autres camions (au lieu de 2034 proposé par la Commission).

Preuve que le sujet est particulièrement sensible : presque tous les pays d’Europe de l’Est ont voté contre ce texte (sauf la Slovaquie, la Tchéquie et la Slovénie), la Roumanie s’abstenant, alors que l’Europe de l’Ouest s’est prononcée en sa faveur à l’exception notable de Malte et de la Belgique… Une vraie différence avec la réforme de la directive sur le travail détaché, où les seules opposantes avaient été la Pologne, la Hongrie, la Lettonie et la Lituanie.

Catégories: Union européenne

L'Allemagne, ce pays où l'enlèvement international d'enfant est légal

mer, 05/12/2018 - 10:21

Mieux vaut éviter d’avoir un enfant avec un(e) Allemand(e) si on n’est pas soi-même Allemand et/ou si l’on ne vit pas en Allemagne. Nulle germanophobie mal placée dans ce conseil, mais un simple constat : si la séparation tourne mal et que le parent allemand décide de repartir en Allemagne avec l’enfant (ou les enfants), la justice germanique, dont le bras armé est le tout puissant office d’aide sociale à l’enfance (Jugendamt), refusera à jamais qu’il quitte le sol allemand au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Or, Berlin viole ainsi le droit international (convention de La Haye de 1980 sur l’enlèvement international d’enfants et de 1993 sur l’autorité parentale) et le droit européen (règlement de 2003 en phase finale de révision et jurisprudence de la Cour de justice européenne).

Faute de statistique, on ne connait pas le nombre d’enfants ainsi enlevés à l’affection de l’un de leur parent depuis 1950, mais il se monte sans doute à plusieurs milliers voire dizaine de milliers. Cela fait une vingtaine d’années que les institutions communautaires, mais aussi la France, les unions franco-allemandes étant très nombreuses, essaient de traiter à l’amiable ces drames dont on ne soupçonne guère les ravages. En vain. Le Parlement européen, saisi régulièrement par des pétitions de parents non allemands victime d’un enlèvement international d’enfant, a décidé de hausser le ton contre l’Allemagne, puisque ce pays est le seul de l’Union à refuser d’appliquer le droit européen (l’Autriche, qui avait la même interprétation de l’intérêt de l’enfant, est rentrée dans le rang). Le 29 novembre, par 307 voix contre 211 et 112 abstentions, il a adopté une résolution ciblant uniquement Berlin, ce qui est sans précédent et montre l’agacement des eurodéputés.

La résolution décrit le système mis en place outre-Rhin pour refuser d’exécuter les décisions judiciaires européennes ordonnant le retour des enfants. Outre l’interprétation extensive, puisant sa source dans une loi du régime nazi, de l’intérêt de l’enfant qui est toujours de rester auprès de son parent allemand en Allemagne, même en cas de violence ou d’abus avéré contre le parent non allemand, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe estime que l’Allemagne n’a pas à exécuter une décision de justice européenne si l’enfant, même de moins de 3 ans, n’a pas été entendu par le juge… Surtout, le pouvoir du Jungendamt est proprement terrifiant : c’est lui qui recommande au juge la décision à prendre et peut décider de mesures temporaires (comme la tutelle) sans aucun appel possible. Il peut aussi s’opposer au droit de visite du parent non allemand, imposer sa présence lors des visites ou refuser que le parent non allemand parle dans sa langue maternelle à son enfant…

Cette volonté de placer l’Allemagne au-dessus de tout n’est pas exceptionnelle. Il est révélateur d’un comportement plus général de ce pays qui a le plus grand mal à respecter les normes qu’il souhaite que les autres appliquent. Au fond, c’est l’ancien ministre des Finances social-démocrate allemand, Hans Eichel, qui a vendu la mèche, en novembre 2003. Alors que ses collègues lui faisaient remarquer que Berlin avait violé le Pacte de stabilité et qu’il fallait donc qu’il accepte des sanctions, il a lâché sur les yeux sidérés de l’assemblée : « mais enfin, le Pacte n’a jamais été conçu pour s’appliquer à l’Allemagne » !

Catégories: Union européenne

COP 24: l'Union va-t-elle adopter l'objectif "zéro carbone" d'ici 2050?

dim, 02/12/2018 - 23:34

En pleine révolte des «gilets jaunes» français, il n’est pas facile de rappeler que le changement climatique s’accélère, ce qui va impliquer des efforts autrement plus importants pour assurer un avenir à la planète que la simple suppression de la niche fiscale sur le diesel. A quelques jours de l’ouverture de la conférence sur le climat (COP 24) à Katowice, en Pologne, la Commission européenne a néanmoins mis sur la table huit scénarios possibles pour accélérer la décarbonisation de l’économie européenne à l’horizon 2050. Seuls les deux derniers permettraient d’atteindre la «neutralité carbone» (absorber autant de dioxyde de carbone que l’Union en produit). Mais ce sera à la prochaine Commission, qui prendra ses fonctions en novembre 2019 à la suite des élections européennes de mai, de proposer des textes législatifs contraignants après avoir consulté les Etats sur les efforts qu’ils sont prêts à consentir.

Et là, ça risque de coincer. Car seuls dix pays sur les vingt-huit se sont prononcés, à la mi-novembre, en faveur de cette stratégie «zéro carbone» : la France – mais c’était avant les «gilets jaunes» –, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Finlande, le Danemark, la Suède, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Slovénie. Les pays fortement dépendants du charbon, dont la Pologne, sont très réticents à de nouveaux efforts. Tout comme l’Allemagne, qui veut protéger son secteur automobile.

Ils considèrent que l’Europe a déjà fait beaucoup, ce qui n’est pas faux : elle s’est engagée à réduire de 40 % ses émissions d’ici 2030 (par rapport à 1990) et elle devrait même parvenir à 45 %, soit 60 % en 2050 en prolongeant cette courbe. L’Union a notamment renforcé son système d’échange de quotas d’émissions de carbone, décidé que les économies d’énergie devront atteindre 32,5 % et imposé 32 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique pour 2030. Enfin, les réductions d’émissions de CO2 des véhicules, actuellement en négociation à Bruxelles, devraient se situer entre 35 et 40 %.

Reste que cela ne suffira pas à contenir l’élévation de la température à 2° C prévue par l’accord de Paris et encore moins à 1,5° C, comme le recommande le dernier rapport du Giec. C’est pour cela que la Commission propose d’aller plus loin. Mais cela coûtera cher, surtout si le scénario «zéro carbone» est retenu : il faudra investir 2,8 % du PIB par an dans les infrastructures pour y parvenir. Mais elle affirme que la transition énergétique permettra un gain de croissance pouvant aller jusqu’à 2 % du PIB de l’UE à l’horizon 2050 et de créer de nouveaux emplois, notamment dans le domaine des énergies renouvelables. En outre, cela réduira la facture des importations d’énergie, limitera les catastrophes climatiques ainsi que les impacts négatifs sur la santé humaine.

Des arguments de bon sens qui sont pour l’instant inaudibles : les fins de mois risquent de l’emporter sur la fin du monde, pour paraphraser Nicolas Hulot, d’autant que les premières déterminent les résultats électoraux.

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Brexit: l'Union en rang d'union

mer, 28/11/2018 - 17:34

Habituellement, l’Union ressemble davantage au village d’Astérix après une remarque malheureuse sur la fraîcheur du poisson d’Ordralphabétix qu’à un camp romain ordonné et discipliné. Pourtant, de façon totalement inattendue, elle est restée unie face au Brexit. Dès le lendemain du référendum du 23 juin 2016, en dépit de la stupeur provoquée par ce vote que personne n’a voulu voir venir, les Vingt-sept ont fixé leur ligne et ils s’y sont tenus sans faiblir.

Pourtant, à l’époque, tous les commentateurs prédisaient un effet domino et une pagaille européenne sans nom, les États les plus proches du Royaume-Uni ne pouvant que chercher à sauvegarder à tout prix leurs intérêts économiques, diplomatiques et militaires. Or, c’est exactement l’inverse qui s’est produit : même les pays les plus eurosceptiques, notamment à l’Est, ont protesté de leur attachement à l’Union, excluant de suivre l’exemple de Londres, mais ils se sont montrés déterminés à ne pas se laisser diviser pour sauver quelques intérêts à court terme.

Les raisons de cette unité sont multiples. D’abord, les États ont une conscience aigüe de ce qu’ils ont économiquement, mais aussi diplomatiquement à perdre en se retrouvant isolés à l’heure des grands ensembles continentaux, seul le Royaume-Uni pouvant encore oser caresser le rêve de redonner vie à son ancien Empire… Que pèserait, par exemple, la Suède seule face à la Chine ? Appartenir à la première puissance économique et commerciale de la planète démultiplie l’influence, chacun le sait. Ensuite, les pays d’Europe de l’Est, qui ne sont plus depuis longtemps euroenthousiastes, voire cultivent une franche europhobie sur la scène politique intérieure, tiennent en réalité bien plus qu’on ne l’imagine non seulement au marché intérieur, mais aussi au budget européen qui leur apporte annuellement jusqu’à 4 % de leur PIB en aides diverses.

En outre, lorsque le Brexit est devenu absolument certain, les plus anglophiles des Européens que sont les Pays-Bas ou l’Allemagne ont tenu à s’assurer que la Grande-Bretagne n’en profiterait pas pour leur livrer une concurrence déloyale en pratiquant dumping fiscal et social, en abaissant ses normes et, bien sûr, en parvenant à découper en tranche le marché intérieur dans leurs intérêts. Enfin, la plupart des gouvernements ont vu le piège que pourrait être un Brexit trop accommodant : accorder des droits à la Grande-Bretagne sans les devoirs correspondants, par exemple un accès au marché unique sans respecter les normes européennes ou sans contribuer au budget commun, aurait donner des ailes à leurs propres europhobes qui auraient réclamé le même traitement pour leur pays. Cela aurait non seulement déstabilisé politiquement de nombreux États, mais aurait signé la fin de l’Union actuelle pour la transformer en simple zone de libre-échange. Un risque que même la Hongrie de Viktor Orban ou la Pologne de Droit et Justice ne veut pas courir, car cela signifierait aussi la disparition du budget européen.

C’est cette conjonction d’intérêts qui explique l’unité et même la dureté des Européens dans ces négociations. Les premiers surpris en ont été les Brexiters qui espéraient bien profiter des habituelles divisions européennes qu’ils ont si bien su utiliser lorsqu’ils étaient membres de l’Union. Tant Theresa May que Boris Johnson, son ancien ministre des affaires étrangères, ont donc fait la tournée des capitales européennes pour finalement revenir bredouilles à leur grand étonnement. Il y a eu bien sûr des flottements, notamment du côté allemand, que la France a dû convaincre de la nécessité de camper sur une ligne dure. Mais, au final, les Vingt-sept ont tenu bon pendant que les Britanniques donnaient le spectacle de Gaulois querelleurs. Shocking, n’est-il pas ?

N.B.: article paru dans Libération du 26 novembre

Catégories: Union européenne

Brexit: tout ce qu'il faut savoir sur l'accord de divorce

mar, 27/11/2018 - 18:39

Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne se sont retrouvé dimanche matin à Bruxelles pour un bref sommet afin de signer l’acte de divorce avec le Royaume-Uni : 585 pages, trois protocoles (Irlande, Gibraltar et Chypre) et une déclaration politique de 26 pages sur la relation future entre les deux parties. L’ensemble reste suspendu au vote, loin d’être acquis, des députés britanniques de la Chambre des communes, attendu autour du 11 décembre.

Pour en arriver là, il aura fallu vingt mois de négociations depuis l’activation, le 29 mars 2017, par la Première ministre britannique Theresa May, de l’article 50 du traité sur l’Union européenne organisant la procédure de retrait. Neuf mois plus tôt, le 23 juin 2016, les Britanniques avaient voté à 52 % en faveur du Brexit. Pour l’essentiel, les négociations ont été britannico-britanniques, la majorité conservatrice se déchirant sur le type de Brexit qu’elle voulait. Côté européen, les «lignes rouges» avaient été fixées dès le lendemain du référendum : pas d’accès au marché intérieur sans réciprocité totale, sauvegarde des droits des citoyens européens résidant en Grande-Bretagne, absence de frontière physique entre les deux Irlandes et règlement de tous les engagements financiers. Bruxelles a surtout attendu que Londres décide de ce qu’il voulait. Theresa May a d’abord opté pour un hard Brexit, une rupture quasi complète des liens avec l’UE. En septembre 2016, elle a rejeté le «modèle suisse» - accord de libre-échange complété par des accords bilatéraux assurant un large accès au marché intérieur -, l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE, auquel adhèrent la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, qui permet un accès total au marché intérieur en échange d’une transposition systématique des lois européennes) ou encore l’union douanière (qui lie l’UE à la Turquie). Mais elle voulait plus qu’un accord commercial de type canadien ou singapourien, insuffisant par rapport au poids de ses exportations (44 % en 2017) vers le Vieux Continent.

Après de multiples crises, démissions et une élection anticipée qui l’a laissée affaiblie, Theresa May a dû se rendre à l’évidence : une rupture totale et un traité lui garantissant un libre accès au marché intérieur des biens, des services et des capitaux - à l’exclusion des personnes - sans aucune contrepartie était irréalisable. L’accord conclu à contrecœur avec l’Union offre une sortie ordonnée du Royaume-Uni. Il évite le chaos d’un no deal et la «relation future» que dessine la déclaration politique se situera probablement quelque part entre la Turquie et la Suisse.

Que se passe-t-il le 29 mars 2019 ?

Le vendredi 29 mars 2019 à 23 heures (minuit heure française), le Royaume-Uni ne sera plus membre de l’Union européenne à laquelle il a adhéré le 1er janvier 1973. Ce divorce, après quarante-six ans de vie commune, sera une première dans l’histoire communautaire, son premier rétrécissement après une série continue d’élargissements qui a fait passer l’Union de six à vingt-huit Etats membres.

Le samedi 30 mars, les députés européens britanniques feront leurs bagages, tout comme les représentants britanniques siégeant au Comité des régions, au Comité social et économique, à la Banque européenne d’investissement ainsi que dans toutes les agences de l’Union (Agence du médicament, Agence bancaire européenne, etc.). Même chose pour le commissaire britannique, le membre britannique de la Cour des comptes et les juges britanniques de la Cour de justice de l’UE. La représentation permanente (ambassade) britannique auprès de l’Union deviendra une simple «mission», comme celle des pays tiers, et n’aura plus accès au Comité des représentants permanents, qui prend l’essentiel des décisions. La part du pays dans le capital de la Banque européenne d’investissement et de la Banque centrale européenne sera retournée à Londres. Mais les fonctionnaires britanniques employés dans les institutions ne perdront pas leur poste, même si leurs perspectives de carrière s’assombrissent.

Pour le reste, rien ne changera : le 29 mars 2019 marquera le début d’une «période de transition» demandée par Londres, qui prendra fin le 1er janvier 2021. Pendant cette période, le Royaume-Uni aura le statut d’un membre de l’EEE. Il aura accès librement au marché intérieur, tout comme l’Union aura accès au marché britannique, et les «quatre libertés» seront appliquées : libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux. Londres sera obligé d’appliquer, mais sans plus participer au processus de décision, toutes les nouvelles lois communautaires et devra continuer à verser sa contribution au budget européen. En retour, il bénéficiera des politiques européennes. Bref, après avoir eu un pied dedans et un pied dehors quand il était membre de l’Union, grâce aux nombreuses dérogations dont il bénéficiait, il aura un pied dehors et un pied dedans…

Que se passe-t-il à l’issue de la période de transition ?

A partir du 30 mars 2019, Londres et Bruxelles auront vingt-et-un mois pour négocier le(s) futur(s) traité(s) qui les liera et pour trouver une solution qui évite le retour d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord (partie intégrante du Royaume-Uni) et la République d’Irlande. C’est l’une des conditions de l’accord de paix du Vendredi saint de 1998, qui a mis fin à trente ans de guerre civile en Irlande du Nord.

Si aucune solution n’est trouvée, un veto de la République d’Irlande à l’accord entre Londres et Bruxelles est à craindre… Il faut donc imaginer un moyen de maintenir l’Irlande du Nord dans le marché unique, seul façon de laisser circuler librement les hommes, les marchandises, les services et les capitaux.

Juste avant le 1er juillet 2020, l’UE et le Royaume-Uni feront le point. Soit les négociations auront bien avancé et la période de transition ne sera pas prolongée. Soit il restera encore du travail et Londres pourra demander son extension pour une période limitée (la Commission propose jusqu’en 2022). Le seul problème serait celui de sa participation au budget communautaire, puisque les nouvelles perspectives financières jusqu’en 2027 entreront en vigueur en janvier 2021. Il faudra donc une négociation ad hoc.

Il est aussi possible qu’aucun progrès n’ait été fait et que la période de transition ne soit pas prolongée.

Que se passe-t-il si un accord sur la relation entre l’UE et le Royaume-Uni est signé ?

C’est la fin de la transition. L’idée est de signer un accord commercial et une série d’accords dans les domaines qui intéressent le Royaume-Uni et l’UE : transports, recherche, éducation, énergie, climat, défense, nucléaire, coopération policière et judiciaire, accès à Galileo (le GPS européen), etc. Cet accord n’est pas garanti : «Londres n’a pas fait le choix entre l’autonomie réglementaire et le bénéfice économique qu’elle pourrait retirer d’un large accès au marché intérieur», explique un diplomate européen.

Autrement dit, le Royaume-Uni ne pourra pas avoir ses propres normes et exporter librement ses marchandises, ses services et ses capitaux dans l’Union : «C’est la cinquième ou la sixième économie mondiale et elle est à nos portes, poursuit ce diplomate. Il est hors de question qu’elle puisse nous faire une concurrence déloyale en appliquant des normes moins protectrices que les nôtres ou en prenant ce qui l’intéresse dans le marché unique.»

Si le Royaume-Uni veut être traité comme la Suisse, il faudra qu’il accepte les normes européennes et la libre circulation des personnes. Sinon, il aura un statut équivalent à celui du Canada ou du Japon. Enfin, cet accord devra régler le très délicat problème de l’accès des pêcheurs européens aux eaux britanniques.

Que se passe-t-il si aucun accord n’est conclu à l’issue de la période de transition ?

Un «filet de sécurité» (backstop en anglais) est prévu pour maintenir ouverte la frontière entre le nord et le sud de l’île d’Irlande. Londres a refusé que l’Irlande du Nord reste dans le marché intérieur et donc que des contrôles soient instaurés entre elle et le reste du Royaume-Uni - seul moyen de s’assurer qu’elle ne devienne pas une porte d’entrée non contrôlée dans l’UE. Le compromis trouvé prévoit donc de maintenir l’ensemble du pays dans une union douanière sur le modèle de la Turquie. Londres devra appliquer la politique commerciale européenne et ne pourra négocier ses propres accords de commerce (sauf pour les investissements et les services).

Pour éviter que le Royaume-Uni ne pratique un dumping tous azimuts, il est prévu qu’il respecte la législation européenne sur les aides d’Etat aux entreprises et sur les abus de position dominante, et qu’il ne puisse pas démanteler l’acquis communautaire dans les domaines environnementaux, sociaux et de la coopération fiscale. Mais il ne sera pas tenu par les textes européens adoptés après la fin de la transition. Les échanges seront donc moins fluides qu’aujourd’hui puisqu’il faudra instaurer un minimum de contrôle aux frontières de l’UE : sanitaires, phytosanitaires, conformité des produits, respect des standards de production (absence d’aide d’Etat, perception de la TVA et accises, normes environnementales et sociales). L’Irlande du Nord, elle, restera dans le marché intérieur des marchandises - ce qui imposera des contrôles minimaux dans les ports irlandais ou britanniques - et devra appliquer la législation européenne qui sera adoptée après la fin de la transition dans les domaines agricoles, environnementaux ou des aides d’Etat. Ce filet de sécurité ne règle pas la question de la pêche.

Pour sortir de cette union douanière, Londres devra obtenir le feu vert de l’UE. Qu’un accord soit trouvé ou pas, les droits des citoyens européens au Royaume-Uni et des citoyens britanniques dans l’Union sont garantis à l’issue de la période de transition. De même, Londres devra assurer l’ensemble de ses engagements budgétaires et financiers (y compris la retraite de ses fonctionnaires européens), soit une facture comprise entre 40 et 45 milliards d’euros.

Qui perd ?

Clairement, les hard Brexiters, qui voulaient rompre tous les liens avec l’Union européenne. On est revenu à un soft Brexit bien plus raisonnable. L’UE a tenu ses lignes rouges et évité que le Royaume-Uni coupe tous les ponts, ce qui aurait été une catastrophe économique pour les deux parties. Mais in fine, tout le monde souffrira : Londres s’isole politiquement, perd le libre accès à son principal marché et risque de voir les investissements étrangers la fuir. Quant à l’Union, elle est privée d’un allié précieux, d’une puissance économique et militaire et d’un marché dynamique, ce qui n’est pas précisément une bonne nouvelle.

N.B.: article cosigné avec Sonia Delesalle-Stolper à Londres

Catégories: Union européenne

Budget italien: un choc de légitimités dont l'UE ne sortira pas vainqueur

dim, 18/11/2018 - 21:44

Peut-il y avoir un choix démocratique national contre les traités et les lois européens ? En janvier 2015, juste après l’élection d’Alexis Tsipras en Grèce, Jean-Claude Juncker, le président conservateur de la Commission, a clairement répondu par la négative : « Dire qu’un monde nouveau a vu le jour après le scrutin n’est pas vrai. Nous respectons le suffrage universel en Grèce, mais la Grèce doit aussi respecter les autres, les opinions publiques et les parlementaires du reste de l’Europe. Des arrangements sont possibles, mais ils n’altéreront pas fondamentalement ce qui est en place », car « il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens ».

La démonstration fut apportée en six mois : Syriza, le parti alors de gauche radicale de Tsipras, dut capituler en rase campagne et accepter un programme d’austérité contre lequel il s’était battu. Aujourd’hui, la même question se pose pour l’Italieet la réponse de Juncker s’est faite encore plus dure : non seulement il faut respecter « les règles préétablies », mais « les nouveaux gouvernements doivent respecter la parole de ceux qui les ont précédés ». En l’occurrence, comme la majorité précédente s’est engagée sur une trajectoire budgétaire, il n’est plus possible de s’en écarter sous peine de sanctions. Une façon élégante de signifier que les élections, au sein de la zone euro, n’ont plus vraiment d’importance.

Certes, ce sont les États qui ont adopté ces règles. Il est donc normal qu’ils s’y plient. Et s’ils refusent, rien n’empêche un pays de sortir de l’Union comme le fait le Royaume-Uni. Mais cette présentation est pour le moins réductrice. Car la majorité au pouvoir à Rome ne veut ni sortir de l’euro, ni de l’Union. Son budget, aussi critiquable soit-il, respecte les traités européens et la sacro-sainte limite des 3 % du PIB de déficit public prévu par le Pacte de stabilité. Le gouvernement Conte refuse simplement de respecter les engagements budgétaires pris par la précédente majorité. Mais cela revient effectivement à s’affranchir des contraintes imposées par une série de textes adoptés par les Etats dans la panique lors de la crise de la zone euro entre 2010 et 2012 (le « six pack », le « two pack » et le Traité « sur la stabilité, la coordination et la gouvernance », TSCG).

Ce paquet de lois européennes a gravé dans l’acier non seulement la règle des 3 % du PIB de déficit, mais aussi l’équilibre budgétaire et la réduction de la dette est devenus un objectif contraignant. Depuis 2013, chaque État doit suivre une feuille de route négociée avec la Commission et l’Eurogroupe, l’enceinte où siègent les ministres des Finances de la zone euro, afin d’éliminer à terme déficit et dette. En clair, l’obsession allemande de l’équilibre budgétaire est devenue l’alpha et l’oméga de la zone euro. Ce n’est pas un hasard, puisque ces textes ont été rédigés sous la dictée des conservateurs allemands qui ont réussi à les imposer pour prix de leur solidarité financière. On n’est plus très loin du pilotage automatique des budgets dont rêve Wolfgant Schäuble, l’ancien ministre des Finances, pour qui la politique de la nation est trop sérieuse pour être confiée à des politiciens (non Allemands s’entend).

A l’époque, personne n’a réfléchi au problème démocratique que poseraient ces textes. Car, si les gouvernements et les parlements nationaux ont une légitimité démocratique incontestable, dans le cadre de l’Union économique et monétaire, ni la Commission ni l’Eurogroupe (en tant qu’organe collectif) ne sont responsables devant aucun parlement, qu’il soit européen ou national. Autrement dit, la volonté des peuples est étroitement encadrée par un pouvoir autocratique qui n’a de comptes à rendre qu’à lui-même. Un résultat curieux pour une Union composée de démocraties nées de la volonté des peuples de contrôler les impôts et les dépenses publiques…

Une partie de la Commission est consciente des risques que comporte ce choc entre deux légitimités, celle des peuples qui élisent directement leurs représentants, et celle d’une Union dont la légitimité démocratique n’est qu’au second degré, une confédération d’États démocratiques n’étant pas forcément démocratique. Même si ce choc annoncé ne menace pas directement l’euro, l’illégitimité de sa gouvernance va apparaitre au grand jour. Et ce n’est pas la zone euro qui en sortira vainqueur. Non seulement elle n’a pas les moyens d’imposer quoi que ce soit à l’Italie, le pays n’étant pas en faillite, mais elle fournit un argumentaire en or aux démagogues sur l’incompatibilité de la démocratie et de la construction communautaire : « si la Commission nous déclare la guerre, je baserai toute ma campagne électorale là-dessus : l’Europe des bureaucrates contre le budget du peuple. »Si le but est de leur donner le pouvoir dans toute la zone euro, la méthode est la bonne. La seule façon de résoudre ce choc de légitimité est de redonner de l’air aux États, en revenant sur les contraintes stupides décidées entre 2010 et 2012, et de créer un budget et un parlement de la zone euro. Mais l’Europe a la fâcheuse habitude d’aller dans le mur avant de comprendre ses erreurs.

N.B.: article paru dans Libération du 15 novembre

Catégories: Union européenne

Armée européenne: Merkel et Macron solidaires face à Trump

jeu, 15/11/2018 - 22:15

Projet d’avion franco-allemand du futur (Airbus)

Loin de la bromance des débuts, le torchon brûle entre Donald Trump et Emmanuel Macron. Dans quatre tweets matinaux dont le locataire de la Maison Blanche a le secret, rédigé dans son style inimitable, il s’en prend à la volonté du chef de l’Etat français de bâtir une «armée européenne» pour «protéger l’Europe contre les Etats-Unis, la Chine et la Russie», une idée qu’il a déjà jugée «très insultante» dans un tweet posté juste en arrivant en France vendredi soir pour les commémorations du centenaire de l’Armistice. Ce grand week-end mémoriel était censé célébrer et promouvoir la paix. Ses retombées ne sont pas vraiment pacifiques…

Evoquant les deux guerres mondiales, Trump rappelle que «les Français commençaient à apprendre l’allemand à Paris avant que les Etats-Unis n’arrivent», avant de balancer «Paie pour l’Otan»dans un premier tweet. Puis passant du coq à l’âne, comme il le fait toujours, il se fait menaçant : «Sur le commerce, la France fait de grands vins […]. Le problème est que la France rend la tâche très difficile aux Etats-Unis pour vendre leur vin en France et applique des tarifs élevés, alors que les Etats-Unis rendent ça facile pour les vins français et appliquent de très bas tarifs. Ce n’est pas juste, ça doit changer.» Puis, dans un troisième tweet le président des Etats-Unis n’est pas loin d’enfiler le gilet jaune des anti-Macron : «Le problème est qu’Emmanuel Macron souffre d’une très faible cote de popularité en France, 26 %, et d’un taux de chômage à près de 10 %. Il essaie juste de détourner l’attention sur un autre sujet.»

Manifestement exaspéré par la charge antinationaliste du chef de l’Etat sous l’Arc de triomphe - «le patriotisme est l’exact contraire du nationalisme. Le nationalisme en est sa trahison» -, Trump ajoute qu’il n’y a «aucun pays plus nationaliste que la France, des personnes très fières, à juste titre», avant de conclure en lettres majuscules : «MAKE FRANCE GREAT AGAIN.» L’Elysée n’a pas souhaité commenter ces tweets rageurs, faisant valoir qu’ils «s’adressent aux Américains» et ne relèvent que de la politique intérieure.

Dès son arrivée à la Maison Blanche, Trump a proclamé son intention d’en finir avec l’UE en se félicitant au passage du Brexit, avant de déclarer une guerre commerciale contre les Européens, d’une part en imposant des droits de douanes sur l’acier et l’aluminium et d’autre part en contraignant l’Union à négocier ses normes protectrices sous la menace de sanctions contre les automobiles européennes. Le 15 juillet, il plaçait même l’Union au premier rang des «ennemis» des Etats-Unis, devant la Russie et la Chine… L’énervement de Trump ne doit rien au hasard : il se rend compte que sa stratégie de déstabilisation de l’Union aboutit, du moins pour l’instant, au résultat inverse de celui qu’il recherche. Loin de s’effondrer avec le Brexit, elle se montre plus unie que jamais. Washington voit même se préciser la menace d’une industrie de défense européenne qui risque, à terme, de fermer le marché de l’Union européenne aux exportations américaines. Dans l’esprit de Trump, les Etats européens doivent dépenser 2 % de leur PIB au minimum pour leur défense, mais en achetant américain.

Dimanche, sur CNN, Emmanuel Macron a mis les points sur les i : «Je ne veux pas voir les pays européens augmenter le budget de la défense pour acheter des armes américaines ou autres, ou des matériels issus de votre industrie. Si nous augmentons notre budget, c’est pour bâtir notre autonomie.» Et cela passe par «plus d’Europe», sans que cela ne remette en cause l’existence de l’Otan. L’Allemagne et la France multiplient depuis un an les projets communs : le système de combat aérien futur (Scaf) comprenant un avion, avec pour maîtres d’œuvre les Français, et un drone, avec pour maîtres d’œuvre les Allemands, et le Main Ground Combat System (MGCS), un char franco-allemand appelé à succéder au Leclerc et au Leopard 2, l’Allemagne étant là aussi chargée de conduire le programme.

Cette intégration des industries de défense est la condition sine qua non d’une future «armée européenne» qui permettra aux Européens de se «protéger» seuls, «contre les tentatives d’intrusion dans le cyberespace», qu’elles viennent «de la Chine, de la Russie et même des Etats Unis d’Amérique», expliquait Macron le 6 novembre sur Europe 1. C’est cette déclaration qui avait provoqué la fureur de Trump. Un Fonds européen de défense doté de 13 milliards d’euros va voir le jour en 2019 afin de doper la recherche dans le domaine militaire et de développer des programmes d’armement commun. Enfin, une «initiative européenne d’intervention» regroupant neuf pays européens a été lancée en juin afin d’intensifier les échanges entre les Etats-majors et créer une culture stratégique commune.

Des idées partagées par la chancelière allemande qui s’exprimait mardi devant le Parlement européen, après un week-end chargé de symboles. Au côté de Macron, avec la brigade franco-allemande, était samedi à Compiègne, dans la clairière de deux armistices et de deux humiliations, celle de l’Allemagne le 11 novembre 1914 et celle de la France le 22 juin 1940. Mardi, à Strasbourg, Angela Merkel a plaidé pour la création à terme d’une «armée européenne» «en complément de l’Otan». Elle aura bientôt l’occasion de faire la démonstration qu’il s’agit d’autre chose que de paroles. D’ici à la fin de l’année, l’Allemagne va devoir renouveler sa flotte d’avions de combat. Contrairement aux Belges qui viennent d’acheter des F 35 américains, l’Allemagne fera-t-elle le choix d’un constructeur européen ?

N.B.: article paru dans Libération du 14 novembre et consigné avec Alain Auffray

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Brexit: l'Union européenne est restée unie

jeu, 15/11/2018 - 16:24

Ma dernière chronique dans «La Faute à l’Europe» sur France Info.

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Le système des "Spitzenkandidaten" a du plomb dans l'aile

mar, 13/11/2018 - 15:38

La désignation, mercredi, par les conservateurs européens du Parti populaire européen de l’Allemand Manfred Weber, patron du groupe PPE du Parlement européen, comme candidat « tête de liste » à la présidence de la Commission signe-t-elle la mort du système des « Spitzenkandidaten » (un mot allemand) ?

Inauguré en 2014, il consiste à imposer comme chef de l’exécutif européen la tête de la liste arrivée en tête aux élections européennes. Jusque-là, c’était de fait une prérogative exclusive au Conseil des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement, le Parlement confirmant simplement leur choix. Ce véritable putsch institutionnel a fonctionné en 2014 parce que l’Allemagne et la France l’ont accepté. Quatre ans après, la donne a changé. Emmanuel Macron est, en effet, opposé à ce système puisqu’il revient de facto à réserver le poste de président de la Commission à la droite, celle-ci étant assurée pour longtemps d’obtenir une majorité relative, et il interdit à La République en marche (LREM) ce poste puisqu’il n’appartient à aucune des grandes familles politiques européennes (PPE, socialistes, libéraux). C’est pour cela que le chef de l’État français a proposé que le président de la Commission soit issu d’une liste transnationale, ce qui aurait donné une chance à l’un de ses poulains d’arriver en tête. Mais le Parlement, dominé par le PPE et les socialistes, s’est opposé à la création d’une telle liste pour préserver le pouvoir des partis politiques européens de décider qui serait président de la commission.

La désignation de Manfred Weber, très à droite sur l’échiquier politique puisque membre de la CSU bavaroise, qui n’a jamais été Premier ministre ni même ministre et ne parle pas un traitre mot de français, pourtant deux qualités indispensables pour prétendre diriger la Commission, rebat les cartes. Car il est nettement sous-dimensionné pour le poste de président, sans compter qu’il est Allemand, un vrai handicap alors que ses compatriotes occupent déjà de nombreux postes de direction (Cour des comptes, Banque européenne d’investissement, Mécanisme européen de stabilité, Conseil de résolution unique des défaillances bancaires, secrétariat général de la Commission et du Parlement, etc.). Les socialistes, eux, ont pris soin de désigner l’actuel vice-président de la Commission, le socialiste néerlandais Frans Timmermans, qui a été ministre et parle français.

Si l’élection de Weber affaiblit le système, ce sont surtout les libéraux, alliés de Macron, qui ont donné un coup de grâce au système. Ils ont décidé de nommer un pool de candidats possibles dans lequel le Conseil européen pourrait piocher. Dès lors qu’une famille politique ne joue pas le jeu, le système est plombé. Sentant le vent tourner, le Parlement a souligné qu’il était entendu que le candidat arrivé en tête devait bien sûr réunir une majorité au sein de l’hémicycle pour être nommé président de la Commission. Les sondages actuels montrent que cela ne sera pas aisé : le PPE va perdre des plumes, les socialistes encore plus, les démagogues risquent de faire une percée. Bref, le prochain Parlement risque d’être fortement émietté ce qui va rendre difficile la constitution d’une majorité.

Autant d’éléments qui redonnent la main aux chefs d’État et de gouvernement pour désigner une femme ou un homme susceptible de faire consensus tant en leur sein qu’au sein du Parlement, une personnalité au profil plus technique n’incarnant pas une famille politique qui ne peut que coaliser toutes les autres contre elle. Un Jacques Delors en quelque sorte. Reste à trouver ce candidat idéal.

Photo: Markku Ulander/AFP

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