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Vote obligatoire: l'exemple belge

lun, 04/05/2015 - 21:54

Libération a consacré tout un dossier au vote obligatoire, un débat qui est de nouveau d’actualité en France après les abstentions records des derniers scrutins qui semblent favoriser le FN. Voici l’article que j’ai consacré au modèle belge, premier pays au monde à avoir instauré le vote obligatoire.

Comment éviter que la noblesse et la bourgeoisie ne fuient les bureaux de vote de peur d’être confrontées aux classes populaires ? Comment empêcher que les partis représentant la classe dirigeante ne soient laminés par l’abstention des riches ? C’est simple : il suffit de rendre le vote obligatoire. Ainsi fut fait en 1893 dans le Royaume de Belgique, premier pays au monde à introduire cette innovation. Et depuis 120 ans, les scores de participation, toutes élections confondues, tournent autour de 90 %, de quoi faire rêver les démocraties fatiguées.

Le vote obligatoire en Belgique est le pendant de l’instauration du suffrage universel (masculin, dans un premier temps, les femmes attendront 1948). Jusqu’en 1893, le suffrage est censitaire (le cens a été supprimé en France en 1848), c’est-à-dire lié à des conditions de revenus, ce qui limitait le nombre d’électeurs à environ 1 % de la population. Mais, le Royaume a été rapidement confronté à la chute de la participation : l’abstention est passée de 14 % en 1843 à 65 % en 1855. Aux élections bruxelloises de 1861, sur 6000 électeurs potentiels, seuls 370 se sont déplacés pour le second tour. Bref, il fallait réagir pour sauver la démocratie tout en évitant que le suffrage universel ne se traduise par une poussée des socialistes, les épouvantails de l’époque. « Les classes bourgeoises ont donc tout fait pour limiter son impact : vote obligatoire, mais aussi vote plural (les plus riches avaient deux ou trois voix) qui ne disparaitra qu’en 1919 », explique Christian Behrendt, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Liège.

L’effet du vote obligatoire a été immédiat sur la participation : dès les élections de 1894, l’absentéisme chute à 5,4 %, menace de sanctions pénales à l’appui. Elles vont d’une amende (aujourd’hui comprise entre 30 € et 150 €) à l’exclusion des listes électorales pour dix ans. Mieux : « les fonctionnaires, qui doivent montrer l’exemple, peuvent être condamnés à ne pas être promus », s’amuse Christian Behrendt. Mais ces sanctions sont petit à petit tombées en désuétude : depuis 2003, aucune condamnation n’a été prononcée sans que cette impunité de fait n’influe sur le taux de participation. Il est vrai aussi que « comme on oblige les citoyens à s’exprimer, le vote blanc et nul est reconnu », souligne Christian Behrendt. Ainsi, en 2014, il pesait 5,77 % des voix pour les élections fédérales (participation : 89,68 %), 4,97 % pour le Parlement flamand (participation : 92,53 %), 7,41 % pour le Parlement wallon (participation : 87,88 %) et 5,35 % pour le Parlement bruxellois (participation : 83,62 %).

Aujourd’hui, « l’abrogation du vote obligatoire n’est pas un grand débat en Belgique, même si on en discute un peu plus en Flandre », note Dave Sinardet, professeur de sciences politiques à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). « Côté francophone, le PS, le parti dominant, craint que cela lui nuise, car les études montrent que ce sont les couches de la population les moins favorisées qui s’abstiendraient », poursuit-il. Au nord du pays, les libéraux de l’Open VLD et, dans une moindre mesure, les chrétiens-démocrates du CD&V sont favorables à l’abrogation au nom de la liberté individuelle, mais aussi pour inciter les partis à aller chercher les électeurs et à ne pas vivre sur leurs acquis.

« Comme le vote est obligatoire depuis 120 ans, il est difficile de dire quels seraient les effets d’une abrogation », estime Christian Behrendt. On peut en tout cas noter que si la Belgique francophone n’a jamais eu de parti d’extrême droite, la Flandre, elle, a longtemps dû s’accommoder d’un parti fasciste, le Vlaams Belang, aujourd’hui en voie d’extinction. Et dans les deux Régions, le vote est obligatoire.

N.B.: article paru dans Libération du 28/4/15

Catégories: Union européenne

​La justice européenne au bord de la crise de nerfs

jeu, 30/04/2015 - 17:28

A gauche, Vassilios Skouris, ici en 2010 avec la chancelière allemande. REUTERS/Sebastien Pirlet

Le 28 novembre 2014, s’est déroulée à Berlin une rencontre secrète entre Vassilios Skouris, le président de la Cour de justice européenne (CJE), Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, et Heiko Maas, son collègue de la justice. Le juge grec, formé en Allemagne, veut « vendre » sa réforme du Tribunal de l’Union européenne (TUE) : Berlin estime, en effet, que le doublement du nombre de juges (de 28 à 56) et la suppression du Tribunal de la fonction publique (TFP) qu’il propose sont disproportionnés au regard de l’arriéré judiciaire et beaucoup trop coûteux (23 millions par an) (mon article expliquant la réforme est ici). Or, l’Allemagne est à la tête d’une coalition de huit États qui forment une solide minorité de blocage au sein du Conseil des ministres de l’UE. À l’issue de cette réunion, l’Allemagne lève ses réserves et la réforme est adoptée par les ministres à Bruxelles, seuls la Grande-Bretagne, le Danemark et la Belgique s’y opposant (1). Qu’a donc promis Vassilios Skouris, dont le mandat s’achève en octobre, pour arracher l’accord des Allemands ? C’est là que l’affaire se corse.

Skouris, qui dirige d’une main de fer la CJE depuis 2003 (c’est son quatrième mandat de président, un record), s’est rendu à Berlin sans aucun mandat de ses pairs et donc sans garanties procédurales. Une bévue. Le 2 décembre, pour se couvrir, il demande à la CJE la validation rétroactive de son déplacement, une procédure extrêmement rare. Mais il n’a pas expliqué aux 27 juges ce qu’il avait été faire à Berlin. Pourtant, ce n’est pas tous les jours que le président de la Cour suprême de l’Union va directement négocier avec un État membre ! N’est-ce pas contraire à l’indépendance, à l’impartialité, à la neutralité dont doivent faire preuve les juges européens à l’égard des États et des institutions communautaires ?

Quelles concessions à Berlin ?

À Luxembourg, ce voyage est resté en travers de la gorge de nombreux juges qui craignent que la réputation de la Cour ne s’en relève pas. Car ce déplacement intervient à un moment clef dans l’histoire de l’Union : Skouris doit présider, le 16 juin prochain, la grande chambre qui doit rendre un arrêt de principe dans l’affaire « OMT » (opération monétaire sur titre), ce programme de rachat de dettes publiques décidées par la Banque centrale européenne (BCE) en septembre 2012, programme qui a stoppé net la crise de la zone euro. Ce programme, contesté en Allemagne, notamment par la Bundesbank,a conduit la Cour fédérale constitutionnelle de Karlsruhe à demander, le 7 février 2014, son avis à la CJE, mais en indiquant qu’elle se réservait le droit de le déclarer contraire aux traités européens si les juges européens le jugeaient légal… On mesure l’importance d’une affaire qui pourrait causer une crise politique de grande ampleur en Allemagne et, surtout, faire exploser l’euro (d’autant que la BCE est passé depuis à la vitesse supérieure en lançant un « quantitative easing », un rachat massif de dettes publiques). Skouris a-t-il promis à Berlin, en échange de son soutien à sa réforme, de tenir compte des exigences des juges allemands pour valider le programme OMT, ce qui reviendrait à faire dépendre l’action de la BCE d’une appréciation judiciaire ? Nul ne le sait, mais le soupçon est là puisqu’une négociation suppose des concessions...

Cet étonnant mélange des genres est dû au rôle d’initiative législative accordé à la Cour par les traités européens pour les affaires qui la concernent. Une claire violation de la séparation des pouvoirs qui semblent n’avoir jamais embarrassé personne. Imagine-t-on en France que la Cour de cassation, le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel puisse déposer des projets de loi devant le Parlement ? Dès lors, on comprend mieux pourquoi Skouris s’est cru autorisé à aller négocier à Berlin. Mais il n’avait a priori aucun droit d’y aller sans mandat des autres juges de la Cour : par exemple, le président de la Commission ne peut négocier une proposition législative avec les États membres que sur mandat du collège des commissaires. Le pouvoir d’initiative législative appartient à la CJE, pas à son président.

Validation rétroactive

Interrogé, l’un des porte-parole de la CJE, Juan-Carlos Gonzalez, a répondu que « le 18 novembre 2014, la réunion générale de la Cour avait donné l’autorisation à M. le Président Skouris de participer au Feuerbach-Tag organisé par l’Université de Iéna et de prononcer un discours sur le thème «Die Europâische Union als Wertegemeinschaft am Beispiel der Rechtsstaatlichkeit», le 28 novembre. Compte tenu du fait qu’il passerait par Berlin, M. le Président a profité de cette occasion pour demander un rendez-vous avec le ministre des Finances et le ministre de la Justice. La confirmation de cette rencontre a eu lieu après la réunion générale du 25 novembre 2014. Il a donc demandé l’autorisation lors de la réunion générale du 2 décembre 2014 (à titre rétroactif) ». Certes, mais pourquoi n’a-t-il informé personne de son projet ? Pourquoi n’a-t-il pas demandé un mandat de négociation au cas où ? Et là, pas de réponse.

Le plus étrange est que Skouris se montre autrement plus sourcilleux de son indépendance vis-à-vis du Parlement européen, colégislateur dans cette affaire : il a bataillé comme un beau diable pour empêcher les juges du TUE les plus farouchement opposés à sa réforme, de se rendre, mardi à Strasbourg, à une convocation de la commission des affaires juridiques du Parlement, soulevant un véritable tollé à Luxembourg. Acculé, il a finalement accepté, vendredi, de s’y rendre en personne accompagné du président du TUE, le Luxembourgeois Marc Jaeger, espérant bien ainsi décourager les juges du TUE les plus opposés à sa réforme de venir expliquer aux députés européens pourquoi ils la jugent totalement infondée.

Le «dictateur», le sobriquet de Vassilios Skouris

Les méthodes de Skouris, deux fois brièvement ministre de l’Intérieur (PASOK) dans son pays, lui valent des sobriquets peu flatteurs à Luxembourg comme « le dictateur », « le colonel », « le parrain »… « La CJE est devenue un système de pouvoir personnel », accuse un membre de l’institution qui préfère conserver l’anonymat vu le climat de peur qui règne à Luxembourg. « Au fil du temps, le président a concentré des pouvoirs énormes qui lui permettent de régner sur les juges et les différents tribunaux ». Ainsi, c’est le Président (curieusement élu par les seuls juges de la Cour et non ceux du TUE et du TFP) qui attribue les affaires, ce qui lui permet de punir les juges qui déplaisent en leur donnant « les cas les plus merdiques », selon un observateur. De même, il a nommé ses amis au comité qui donne son avis sur les juges nommés par les Etats au TUE et au TFP et a développé un réseau de relais au sein des institutions (des anciens référendaires, les assistants des juges, peuplent les services juridiques de la Commission, du Conseil des ministres et du Parlement européen en attendant de revenir à Luxembourg). En 2012, Skouris, déjà très contesté, n’a été réélu que de justesse (une voix) à la présidence après avoir passé un accord avec le juge belge néerlandophone Koen Lenaerts, bombardé vice-président et successeur désigné, et imposé des bulletins manuscrits et non pré-imprimé lors du scrutin.

Skouris, qui ne supporte pas d’être contesté en interne, a fait de la réforme du TUE une affaire personnelle, même si c’est au détriment de la réputation de la Cour de justice qu’il a réussi à transformer en champs de bataille. Rien ne semble pouvoir l’arrêter, si ce n’est le Parlement européen.

(1) Tous les États trouvent leur compte dans le doublement du nombre de juge : par exemple, en France, la Cour de cassation et le Conseil d’État pourront chacun envoyer l’un des leurs à Luxembourg…

Catégories: Union européenne

Il faut mettre fin au secret des négociations entre la Grèce et la zone euro !

mar, 28/04/2015 - 09:15

Les discussions entre la Grèce, la zone euro et le Fonds monétaire international (FMI) avancent lentement, trop lentement. Lors de la réunion informelle de l’Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances de la zone euro) de Riga (Lettonie), Yanis Varoufakis, le flamboyant ministre des finances grec, a de nouveau été rudement critiqué par ses partenaires au point que le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, a décidé, lundi, de remanier son équipe de négociation afin de mettre sur la touche son ministre des finances dont le crédit est désormais proche de zéro. Le temps presse : un rendez-vous « décisif », un de plus, a été fixé au 11 mai, date du prochain Eurogroupe.

En février dernier, la Grèce a soumis une liste indicative de réformes qu’elle était prête à mettre en œuvre en échange de la prolongation jusqu’à la fin juin du second plan d’aide financière (avec un versement de 7,2 milliards d’euros de prêts à la clef). Mais, ensuite, il a fallu entrer dans les détails, la zone euro et le FMI voulant s’assurer, d’une part, que le budget grec resterait excédentaire afin de permettre à la Grèce de rembourser à terme les prêts déjà consentis et, d’autre part, que l’État et l’économie grecs seraient remis durablement sur les rails afin d’éviter une nouvelle faillite. Or, depuis, les négociations bloquent, c’est le seul fait dont on soit certain.

Pour quelles raisons précisément ? Nul ne le sait, tout se déroulant derrière des portes closes. À Bruxelles, seules quelques bribes d’informations sont lâchées en off (sans attribution) : la réforme de l’État, et notamment la mise en place d’une administration fiscale efficace, n’irait pas assez loin, la Grèce refuserait en bloc la « réforme du marché du travail », la remise à plat du système de retraite ou encore l’augmentation de la TVA dans les îles … À Athènes, on est nettement plus disert. Syriza accuse « Bruxelles » de vouloir poursuivre une politique d’austérité contre laquelle il a été élu en persistant à vouloir donner tous les pouvoirs aux patrons au détriment des travailleurs, en exigeant une baisse de toutes les retraites, en cherchant à détruire l’économie des îles, en demandant la saisie des maisons dont les emprunts ont cessé d’être remboursé, en refusant l’augmentation du salaire minimum dans le privé…

Autant dire que le black out observé par les institutions communautaires permet au gouvernement grec de faire porter le chapeau à l’ignoble, forcément ignoble, « Bruxelles ». Ainsi, Euclide Tsakalotos, ministre délégué à l’économie internationale et depuis lundi chef de l’équipe de négociations avec la zone euro, accuse, dans un entretien à Médiapart, ses créanciers de poursuivre une stratégie cynique visant à « nous conduire, avec l’épuisement des liquidités dont dispose l’État grec, à un point où nous serons obligés de faire encore davantage de compromis ». En l’état actuel de ce que l’on sait de l’état des discussions, c’est effectivement tout à fait possible.

Il donc impératif de sortir de cette opacité qui nuit à l’image de l’Europe, notamment en Grèce. Pourquoi la zone euro ne publierait-elle pas la liste précise des réformes qu’elle et le FMI exigent et, en face, ce que propose le gouvernement grec ? Cela permettrait à chacun de se faire une idée de la réalité de la négociation. La réforme du marché du travail, cela ne veut rien dire en soi. Quelles sont les mesures précises qui sont demandées, à quelle échéance et pourquoi ? Même chose pour les retraites (est-ce qu’il s’agit de les diminuer alors qu’elles ont déjà baissé de 30% ou de retarder les cessations d’activité, à quelle échéance et pourquoi ?) ou l’augmentation de la TVA ou la réforme de l’État, etc..

On ne voit aucune raison à cette opacité alors que ces négociations engagent l’avenir non seulement des Grecs, mais aussi celui de l’ensemble des citoyens de la zone euro. On n’est plus, à l’intérieur de la zone euro, dans des discussions entre États souverains, mais dans l’élaboration de politiques économiques et budgétaires qui, dans toute démocratie qui se respecte, doivent être transparentes. Les citoyens européens ont le droit de savoir.

Catégories: Union européenne

Au café du commerce de Politico.eu

sam, 25/04/2015 - 18:00

J’ai bien accueilli l’arrivée de Politico en Europe. Mais, hier matin, j’ai été plus que surpris par la lecture de son courriel matinal quotidien, intitulé «playbook», censé donner le menu de la journée. Ryan Heath, son auteur, y tacle sévèrement le quotidien francophone belge Le Soir en le qualifiant au détour d’une phrase de «world’s biggest socialist student newspaper». Soit, dans cette langue tribale qu’est le français dans le Bruxelles européen et forcément anglophone, «la plus grande gazette étudiante socialiste du monde». Trois jours après son lancement, Politico.eu se paye son premier dérapage incontrôlé. L’accueil sympathique qui lui a été réservé par ses confrères européens lui est-il monté à la tête ?

On peut évidemment critiquer Le Soir comme n’importe quel journal. Il est même plutôt sain que les médias le fassent, le métier étant trop souvent corporatiste. Je ne me prive pas de me livrer à ce type d’exercice (sur mon blog, où j’épingle notamment une presse anglophone censée être supérieure à son équivalent continental, ou dans mes livres), ce qui me vaut la chaude amitié de certains de mes confrères. Le problème est que Ryan Heath ne fait pas là œuvre journalistique, mais se livre à une attaque condescendante, gratuite, et méprisante.

Pourquoi relègue-t-il au rang de «gazette étudiante» ce journal centenaire ? Son mode de traitement de l’actualité ? Ses journalistes ? Sa mise en page ? Ses choix éditoriaux ? Il ne le dit pas. Socialiste ? C’est sans doute vrai, mais cela mérite une démonstration, une enquête, des faits, bref du journalisme et pas faire du café du commerce. Serait-on en droit d’affirmer sans autre forme de procès que Politico est «un journal d’entreprise financé par les grandes sociétés US pour défendre leurs intérêts à Bruxelles» ?

Ryan Heath se croit encore à la «cafète» de la Commission

Arrivé sur le marché européen depuis mardi, Politico n’a encore rien prouvé, rien montré, rien démontré et ne compte aucune signature ayant fait ses preuves en couvrant l’Union. L’arrogance est un rien prématurée : on verra au fil du temps si Politico fait non pas mieux, mais arrive au moins à faire aussi bien que bien de ses confrères. Au passage, quel courage de s’attaquer à un petit média belge qui ne risque pas de nuire à Politico ! Ils sont tellement drôles ces Belges ! Et si inoffensifs ! L’absence de panache à son sommet décidément.

Le comble est atteint quand on sait que le «playbook» est officiellement sponsorisé par General Electric (oui, l’entreprise US qui s’est heurtée à la Commission lorsqu’elle a voulu fusionner avec Honeywell en 2001) et que son auteur, l’Australien Ryan Heath, n’est autre que l’ancien porte-parole de la vice-présidente de la Commission, Neelie Kroes – entre 2011 et 2014 – et qu’avant cela il a été le «spechwriter» de l’inénarrable José Manuel Durao Barroso. Pis: il a ensuite travaillé comme lobbyiste pour... GE (une autre journaliste de Politico qui suit l’énergie a aussi travaillé pour Gazprom via GPlus, une grosse société de lobbying). Ryan Heath, qui mélange donc allègrement les genres entre lobbying, service public et journalisme, serait inspiré, avant de faire des bons mots sur le dos des «petits Belges», de démontrer qu’il n’est plus l’un des porte-voix grassement payés de l’exécutif européen et qu’il a acquis les bases d’un métier qu’il n’a jamais pratiqué.

Ce faux pas, qui rejaillit sur Politico.eu qui a laissé passer ce «bon mot» inutile et blessant pour mes confrères du Soir, donne plutôt l’impression que Ryan Heath se croit encore à la «cafète» de la Commission, là où les porte-parole se défoulent sur cette presse qu’ils méprisent et qui les emmerde. Allez Ryan, encore quelques années pour devenir journaliste et on en reparle de tes talents.

Catégories: Union européenne

L'UE, une affaire Politico-médiatique

ven, 24/04/2015 - 17:17

Marin Hock

La doctrine militaire « Shock and awe », « choc et effroi », appliquée à la presse : on ne commence pas petit, comme au Vietnam, on écrase d’emblée l’adversaire sous la puissance de feu, modèle Irak 2003. « Politico aurait pu commencer son édition européenne à 12 et voir venir. Mais leur stratégie, c’est la force massive : on démarre à 50, pas à 12 », explique Pierre Briançon, le futur correspondant du site d’information politique à Paris, et ancien de Libération (1980-1998), de Reuters et de DowJones. « 35 personnes à Bruxelles et des bureaux à Londres, Paris, Berlin, Francfort, Varsovie et à terme Rome et Madrid », détaille le patron de Politico.eu, Matthew Kaminski, ex du Wall Street Journal. Dès aujourd’hui, alors que l’équipe est encore en cours de recrutement, le site d’information, disponible uniquement en anglais, sera lancéeet, jeudi, le premier numéro du journal hebdomadaire gratuit distribué à Bruxelles, Paris ou encore Berlin. « Un lancement extrêmement rapide pour un projet aussi ambitieux, ça va être chaotique, mais excitant », se réjouit Briançon : « c’est comme Libé qui redémarre tous les deux ans », ironise-t-il.

Arrogance tranquille

Ce débarquement américain sans précédent dans la capitale de l’Union fait frétiller d’aise les institutions communautaires qui y voient là une forme de reconnaissance : enfin, un média américain investit Bruxelles : « nous sommes fascinés par le pouvoir. Or, ici il y a du pouvoir et l’Union devient de plus en plus importante non seulement pour nous, les Américains, mais aussi pour l’Asie », affirme Matthew Kaminski, 45 ans, dans un excellent français (cet Américain d’origine polonaise a déjà été en poste à Bruxelles et est marié à une Française). « Ici, il y a un exécutif, un Parlement qui, sans son mode de fonctionnement, rappelle le Congrès américain, des agences de gouvernements, des lobbies, etc. ». Mais, tout en complimentant l’Europe sur sa puissance, il ne peut s’empêcher de la remettre à sa place : « les États-Unis font de l’innovation, Bruxelles écrit les règles du jeu ».

Une tranquille arrogance américaine – de Airbus au CERN en passant par les satellites ou l’industrie du numérique même si les plates-formes sont effectivement américaines, on pourrait lui démontrer le contraire —, qui n’a cependant rien à voir avec l’euroscepticisme britannique. Car Kaminski veut justement éviter que Politico.eu se comporte comme un média anglo-saxon de plus : « L’Europe est un objet journalistique pour nous, ni plus, ni moins », assure-t-il au moment où John Harris, l’un des fondateurs du site américain de passage à Bruxelles, passe la tête dans son bureau. « Les Américains sont pragmatiques, pas idéologiques », confirme Briançon : « l’Europe a émergé comme sujet d’information depuis le début du XXIe siècle. Les gens croyaient la connaître et ils ont découvert que ça n’était pas le cas ». Il faut donc les informer, mais sans a priori idéologique : « Lionel Barber, le patron du Financial Times, reconnaît lui-même qu’on ne peut plus couvrir le continent avec l’esprit de la City », assure Briançon.

La rédaction est donc logiquement très américaine et assez peu britannique et de nombreux Européens (parfaitement anglophones) ont été engagés. Mais aucune star du journalisme européen n’a accepté de ce joindre à cette aventure, contrairement à ce qui s’est passé aux États-Unis. Ainsi, l’Américain Peter Spiegel, patron du bureau du Financial Times à Bruxelles, a décliné l’offre qui lui a été faite de diriger Politico.eu. Pour palier ce manque de signatures, Politico en a fait venir des États-Unis, comme Matthew Kaminski, éditorialiste du WSJ, mais aussi sa correspondante à la Maison-Blanche, Carrie Budoff-Brown, à qui Barack Obama a adressé publiquement un mot plein d’humour lorsqu’il a appris son départ : « c’est vrai que la Belgique manque d’une version de Politico », a-t-il lancé hilare, sous-entendu pour comprendre ce pays… « Mais bon, vous allez voir, ils ont des gaufres délicieuses là-bas ». Politico n’a pas hésité à tweeter qu’il mettait en place « la plus grande rédaction impartiale » de Bruxelles, faisant grincer de nombreuses dents dans la salle de presse de la Commission. Il est vrai que le site ne pense pas que du bien des journalistes européens : « ce n’est pas qu’il n’y a pas ici de très bons journalistes, mais ce n’est pas la majorité », balance le journaliste Craig Winneker…

Politico estime que la couverture médiatique de l’Union est trop souvent technique et partant ennuyeuse. « Nous voulons humaniser cette ville. Il y a ici des gens intelligents, idiots, ambitieux, ridicules, il y a des drames humains qui se jouent. Bruxelles n’est pas un univers bureaucratique, mais politique, l’Europe est un cadre dramatique alors que les États-Unis ont un système politique stable depuis 240 ans. C’est ça qu’il faut raconter, même si ça ne sera pas facile, car c’est un cadre très fermé », explique Kaminski. Politico ne veut pas doublonner les agences de presse, mais raconter ce qui se passe derrière les portes closes et mettre en contexte. Bien sûr, l’Union ne se fait pas qu’à Bruxelles, qui reste « un nexus », comme le dit Kaminski, mais aussi dans les capitales de l’Union d’où l’ouverture de nombreux bureaux de correspondants pour raconter l’exercice du pouvoir au jour le jour. « Bruxelles, c’est une usine à scoops », renchérit le patron du site spécialisé dans les politiques publiques Contexte, Jean-Christophe Boulanger. « Nous voulons rendre Bruxelles si excitante qu’Hollywood aura envie d’y tourner des films », un « House of cards » européen, a résumé en décembre dernier Christoph Keese, le vice-président d’Axel Springer qui cofinance à hauteur de 50% Politico.eu : « ce sont les Allemands qui sont à l’origine du projet », reconnaît d’ailleurs Kaminski.

« Springer, l’éditeur du quotidien populaire Bild Zeitung, veut participer à la création d’un nouveau modèle économique pour la presse, car ils croient en l’avenir du journalisme, tout comme nous », poursuit-il : « Politico, ça n’est pas un modèle de nouveau journalisme, mais de nouveau business ». On ne connaît pas le budget, mais il est au moins de 10 millions de dollars et le financement est assuré pour plusieurs années afin de donner le temps à Politico.eu de s’installer dans le paysage médiatique. Pour autant « sa création n’est pas basée sur une étude de marché, mais sur une intuition », affirme Pierre Briançon.

Intuition et ambition

L’intuition et l’ambition sont la marque de fabrique de Politico. « Je pense que nous montrerons que nous sommes meilleurs que le New York Times ou le Washington Post », déclarait l’actuel PDG, Jim VandeHei, fin 2006, quelques mois avant le lancement du site américain. À l’époque, les propos de ce jeune reporter trentenaire avaient suscité sarcasmes et moqueries dans la capitale américaine. Sept ans plus tard, Politico a pourtant réussi un pari majeur : s’imposer comme une référence du journalisme politique, prisée par le Tout-Washington. Une réussite que les fondateurs de Politico comptent bien répéter à Bruxelles.

Outre-Atlantique, les lecteurs de Politico sont « les dizaines de milliers de gens qui travaillent dans les sphères du pouvoir à Washington, y compris les lobbyistes, entreprises, fédérations professionnelles, tous les groupes qui ont des intérêts à défendre au Congrès et à la Maison-Blanche, explique Ivan Couronne, correspondant de l’AFP au Congrès américain. Chaque mois, Politico.com attire entre 7 et 8 millions de visiteurs uniques, selon la firme spécialisée comScore. Loin, certes, des 48 millions du Washington Post et 59 millions du New York Times. Sauf que Politico présente deux différences majeures avec ses illustres concurrents : c’est un « pure player », autrement dit un site qui, lors de sa création, n’était adossé à aucune édition papier. Et il se consacre à un seul sujet : la politique.

« Nous avons prouvé que la domination du New York Times, du Washington Post ou du Wall Street Journal pouvait être remise en question par des nouveaux venus, se félicite John Harris, le rédacteur en chef de Politico qui est chargé de guider le nouveau-né européen. « En sept ans, le Washington Post a été remplacé par Politico », n’hésite pas à affirmer Matthew Kaminski.Financé par le millionnaire Robert Allbritton, héritier d’un empire médiatique, dirigé depuis ses débuts par Jim VandeHei et John Harris – tous deux venus du Washington Post –, Politico a toujours eu le même objectif : combiner la rapidité du web avec la légitimité des journaux traditionnels. À ses débuts en 2007, à un moment où la presse licencie plus qu’elle n’embauche, Politico recrute une trentaine de journalistes. La moitié sont des jeunes reporters en quête d’expérience, l’autre des plumes reconnues au carnet d’adresses fourni, à l’image de Mike Allen, correspondant à la Maison-Blanche pour le magazine Time. Leur mission : alimenter le site internet et un journal distribué gratuitement à Washington trois fois par semaine.

Conçu comme une startup, Politico mise immédiatement sur les réseaux sociaux. Et pour gagner en visibilité, l’entreprise signe des partenariats avec plusieurs chaînes de télévision, dont CBS. La « marque » Politico est lancée, le succès immédiat. À tel point que le média s’affirme comme un acteur majeur de la campagne présidentielle de 2008. « Nous étions un petit nouveau et pourtant, personne n’aurait pu couvrir cette campagne sans nous lire, estime John Harris. Nous étions le média de référence. Nous avons coorganisé deux débats présidentiels », dont un entre Hillary Clinton et Barack Obama.

D’autres versions linguistiques?

« Ils étaient différents, ils étaient bons et ils étaient rapides, résume Trudy Lieberman, journaliste au Columbia Journalism Review, magazine spécialisé dans les médias. Leur succès a forcé leurs concurrents à s’adapter ». « Politico a commencé comme un bateau pirate comme Libé en 1981 », compare Matthew Kaminski. Rapidement, les médias traditionnels réagissent à la montée en puissance de Politico. Ils développent leurs équipes Internet, recrutent des bloggeurs, écrivent plus vite et mettent à jour plus souvent. Ils s’activent aussi sur Twitter. « Progressivement, Politico s’est fait rattraper, analyse Edward Wasserman, directeur de l’école de journalisme de l’Université de Berkeley (Californie). Leur traitement de l’information, qui semblait si unique à l’époque, ne l’est plus tant que ça aujourd’hui ». Politico vient d’ailleurs de connaître une année compliquée, marquée par de nombreux départs. L’une de ses journalistes-vedettes, Maggie Haberman, a ainsi été débauchée par le New York Times. Un coup dur pour la campagne présidentielle de 2016, car Haberman est très bien introduite au sein du camp Clinton. « C’est toujours décevant de voir quelqu’un partir, reconnaît John Harris. Mais je trouve ça gratifiant que nos concurrents recrutent des gens en raison du succès qu’ils ont eu à Politico. Je prends ça comme un compliment ».

Politico compte aujourd’hui plus de 175 journalistes, sur un effectif total de 360 personnes. En 2011, l’entreprise a lancé Politico Pro, une version payante destinée aux professionnels. Pour 8000 dollars en moyenne, les abonnés ont accès à des informations très pointues dans des secteurs aussi variés que l’agriculture, la cyber-sécurité, la défense, la santé ou l’énergie. Une quinzaine de « lettres » professionnelles en tout. Ce service assure la majeure partie des revenus de Politico, qui affirme être rentable, même si ses résultats financiers ne sont pas publics. Le reste du chiffre d’affaires provient essentiellement des publicités de sa version imprimée, diffusée à 35 000 exemplaires dans la région de Washington.

Des recettes que Politico va appliquer à Bruxelles : dans un premier temps, il publiera trois « lettres d’information » payantes (énergie, technologie, santé) et organiser des conférences pour faire rentrer de l’argent. Pour s’assurer une base de données conséquente, il a racheté « European Voice », un hebdomadaire créé en 1995 par The Economist et tombé, en 2012, entre les mains de Shéhérazade Semsar-de Boisséson, fondatrice de Development Institute International. Cela lui assure un fichier de 20.000 abonnés comprenant l’anglais et intéressés par l’information européenne, mais le journal disparait. « On ne vise pas seulement la bulle bruxelloise, mais tous les initiés qui s’intéressent à l’Europe », précise Craig Winneker. « Notre concurrent direct, ce sera le Financial Times », estime Pierre Briançon.

Kaminski n’exclue que d’autres versions linguistiques de Politico.eu voient le jour à terme : « l’anglais est la lingua franca de Bruxelles, mais si ça marche, on ira sur d’autres marchés linguistiques, comme le marché français ». Une perspective qui n’inquiète pas Contexte : « nous avons la même cible, les professionnels des politiques publiques et les passionnés, mais l’arrivée d’un concurrent est toujours une bonne chose, notamment parce que cela valide notre modèle original », se réjouit Jean-Christophe Boulanger. Mais les journaux classiques auront sans doute du souci à se faire…

N.B.: version longue de l’article que j’ai coécrit avec Frédéric Autran, notre correspondant à New York, et qui est paru le 20 avril.

Catégories: Union européenne

La zone euro alourdie par la Grèce

mer, 22/04/2015 - 12:30

Une nouvelle inconnue s’est ajoutée à une équation grecque déjà passablement complexe : les deux partis les plus opposés à l’aide à la Grèce (le parti du Centre et les « Vrais Finlandais ») ont remporté les élections de dimanche en Finlande. Il va devenir difficile pour le gouvernement d’Alexis Tsipras d’invoquer en permanence se toute fraiche légitimité démocratique pour continuer à refuser d’établir la liste des réformes précises que ses créanciers lui réclament en échange d’un nouveau prêt de 7,2 milliards d’euros, le camp des « durs » au sein de l’Eurogroupe (les 19 ministres des Finances de la zone euro) se renforçant. Car, depuis deux mois, la Grèce « joue la montre », selon un diplomate européen, « espérant qu’on ne pourra pas faire autrement que de l’aider de peur de voir la zone euro se déliter : ont-ils raison ? Ou sommes-nous prêts à prendre le risque d’un Grexit ? C’est impossible à dire ». Quoi qu’il en soit, chaque jour qui passe rapproche dangereusement le pays d’un défaut de paiement, d’autant que l’incertitude politique grève dangereusement les espoirs de reprise économique.

Pourtant, la Grèce a pu mesurer son isolement au cours des dernières semaines : non seulement elle n’a trouvé aucun allié au sein de la zone euro, mais elle a indisposé par ses provocations (les réparations de guerre demandées à Berlin, les clins d’œil à Moscou et Pékin) et ses erreurs de manœuvre ses partenaires les mieux disposés à son égard. La zone euro « n’a jamais été aussi unie », a ainsi expliqué hier à Libération Pierre Moscovici, le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires. Pis : elle n’a trouvé aucun allié extérieur : ni Moscou ni Pékin ne se sont montrés disposés à suppléer les Européens. Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, n’a pas hésité à se moquer de Syriza, le parti de gauche radicale qui dirige la Grèce avec la droite radicale souverainiste d’ANEL, jeudi, à Washington : « si vous trouvez quelqu’un à Moscou ou à Pékin qui est prêt à vous prêter de l’argent, nous sommes d’accord ».

Les États-Unis, qui souhaitent pour des raisons stratégiques que la Grèce reste dans l’Union européenne et dans l’euro, se sont eux-mêmes lassés des tergiversations grecques : « aidez-vous vous-mêmes, faites des réformes difficiles : collectez l’impôt, réduisez votre bureaucratie, rendez de la flexibilité au marché du travail », a lancé le président américain Barack Obama, vendredi, lors d’une conférence de presse avec le Premier ministre italien Matteo Renzi. « Nous soutiendrons un degré de flexibilité sur la façon dont vous avancerez », a-t-il poursuivi, « mais vous devez montrer à vos créanciers et à ceux qui soutiennent votre système financier que vous essayez de vous aider vous-mêmes, et cela requiert le genre de décisions difficiles que Matteo commence à prendre ».

« Si le verre est à moitié vide, on pourra considérer qu’il est à moitié plein », espère un haut fonctionnaire européen : « tout le monde veut les aider. Mais pour l’instant, le verre est totalement vide et ça, c’est inacceptable ». Ce que confirme Pierre Moscovici : « les négociations avec la Grèce avancent très lentement. Ca n’a commencé à bouger que samedi, lors de la réunion du Club de Bruxelles –Commission, Banque centrale européenne, FMI- samedi à Paris ». « Ca coince sur tout : le gouvernement grec ne propose aucune réforme articulée et n’a aucune vue d’ensemble de ce qu’il faut faire », poursuit l’ancien ministre des finances français : « les Européens leur ont pourtant donné du temps et ont fait preuve de flexibilité. Le climat actuel est très très préoccupant ».

De fait, selon nos informations, ce n’est pas seulement sur la réforme des retraites, la flexibilisation du marché du travail ou l’augmentation de la TVA, c’est-à-dire les mesures d’austérité budgétaires, que les négociations bloquent : tout se passe comme si Syriza ne s’attendait pas à accéder au pouvoir et n’avait pas préparé une feuille de route précise d’une réforme d’un État qu’il juge lui-même dysfonctionnel. Ainsi, la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale n’est pour l’instant qu’une proclamation et n’a pas été accompagnée de mesures concrètes n’a été prise, comme, par exemple, le rattachement du SDOE (l’élite des agents du fisc) au secrétaire général chargé des recettes publiques (un poste indépendant). Or, la capacité de l’État grec de lever enfin l’impôt est sans doute l’un des plus gros abcès de fixation des créanciers de la Grèce qui veulent éviter que le pays ne replonge dans ses vieux travers (la fraude fiscale est estimée entre 20 et 40 milliards d’euros par an selon les sources). « Non seulement il ne se passe rien entre la Grèce et la zone euro, mais il ne se passe rien à l’intérieur du pays », affirme un diplomate européen : « on ne sait vraiment pas ce qu’ils veulent ». Or, sans réformes précises, pas d’aide, mais aussi pas de négociation sur un allègement de la dette ou du surplus primaire budgétaire (avant charge de la dette).

Le problème est que le temps presse : selon le FMI, il faudra non seulement boucler rapidement le plan d’aide actuel, mais mettre sur les rails d’ici fin juin un troisième plan qui pourrait être compris entre 30 et 50 milliards afin de mettre le pays à l’abri des marchés jusqu’en 2030. Ce qui s’annonce difficile, car, là aussi, il faudra qu’Athènes s’engage sur des réformes structurelles précises. Si la Grèce continue à trainer des pieds, le nouveau gouvernement finlandais ne manquera pas de s’opposer à un troisième plan d’aide. Le Grexit est-il devenu inéluctable ? « Tous les scénarios sont sur la table », soupire le diplomate européen déjà cité.

N.B.: article paru dans Libération du 21 avril 2015

Catégories: Union européenne

Réfugiés : "ceux qui condamnent l'Europe se trompent de cible"

lun, 20/04/2015 - 15:40

Patrick Weil, historien, est un des meilleurs spécialistes français des questions d’immigration. Il est directeur de recherches au CNRS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris et à l’université de Yale.

Après les récents drames survenus en Méditerranée, un consensus semble se dégager : ce serait de la faute de l’Europe…

Je ne vois pas à quel titre. Ceux qui condamnent l’Europe se trompent de cible. La première responsabilité est d’abord celle des criminels qui ont mis des migrants sur des rafiots incapables de soutenir le poids de leur nombre, pour se faire de l’argent au prix de leur vie. Les instruments juridiques internationaux et la mobilisation ne suffisent pas à empêcher cette criminalité de se développer. Une autre responsabilité est politique. Elle vient des Etats qui ont créé le désordre dans les régions du monde où sont «produits» aujourd’hui des centaines de milliers, voire des millions de réfugiés. Je parle du monde arabe, et en premier lieu de la région irako-syrienne. Il y a une responsabilité de la coalition qui est intervenue en Irak il y a douze ans, en violation du droit international. En intervenant en Libye au-delà du mandat de l’ONU, Nicolas Sarkozy a rendu la France aussi coresponsable d’avoir créé une zone qui produit énormément de réfugiés.

Quelle solution préconisez-vous ?

Ce qui se passe en Syrie, c’est la plus grave crise depuis la Seconde Guerre mondiale. La réponse ne doit et ne peut être uniquement européenne. A la fin des années 30, quand les Juifs d’Autriche et d’Allemagne étaient en danger, il y eut une conférence internationale, à Evian, qui n’a malheureusement pas donné grand-chose. Mais le monde en a tiré la leçon. Il faut aujourd’hui, et c’est le rôle de l’Europe, ou de la France, prendre l’initiative de convoquer une conférence internationale afin que chaque région du monde prenne ses responsabilités et que les Etats qui sont intervenus dans la région depuis quinze ans soient engagés dans la gestion de la crise humanitaire. L’Australie donne l’exemple du cynisme le plus absolu. Elle a soutenu militairement la guerre en Irak en 2003 et elle accueille 4 400 réfugiés en 2014 soit 2% des demandes d’asile en Allemagne. Il y a quelque chose à repenser. Je ne suis pas contre toute intervention militaire : si les Etats-Unis et la France étaient intervenus en Syrie durant l’été 2013, on aurait prévenu une partie de la crise humanitaire, comme l’intervention française au Mali a probablement permis d’en contenir une autre. Mais il faudrait que ces interventions se doublent de responsabilités humanitaires, en tout cas quand elles sont illégales. Il est temps de poser la question comme cela.

L’Europe doit-elle se mobiliser encore plus pour sauver des vies, affréter plus de navires de surveillance ?

L’Europe n’a pas l’obligation légale de sauver des vies. Mais elle le fait : l’an dernier, la demande d’asile dans l’UE a atteint un record. 625 000 personnes, soit 191 000 personnes (+ 44%) de plus en un an, + 60% en Allemagne mais - 5% en France. Alors oui, il faut affréter plus, mais sur ces bateaux, il faut aussi rassurer les migrants. Cela signifie ne pas y mettre que des douaniers et des policiers. Il faut aussi des personnels du Haut Commissariat aux réfugiés, de la Croix-Rouge, des ONG, comme c’est le cas dans les centres de rétention, dont le but n’est pas de refouler ces demandeurs d’asile.

Faut-il prendre de nouvelles mesures contre les passeurs ?

Il faut que les pressions s’exercent sur les pays ou les zones d’où viennent les passeurs. Il faut donner la priorité à une ferme coopération. Conditionner notre aide à une action conjointe contre les passeurs. Mais en Libye, on ne peut plus faire pression sur personne. Il n’y a plus d’Etat.

Si on rouvrait davantage nos frontières aux étudiants et travailleurs, n’y aurait-il pas moins de drames en mer ?

Nos frontières ne sont pas fermées ! Si nous ouvrions plus nos portes à l’immigration légale - je le souhaite -, ce ne serait jamais assez par rapport à la crise. Il y a des millions de gens qui ont besoin de protection, ouvrir un peu plus ne changerait pas la donne. Il faut que la France, au nom de l’Europe, saisisse l’ONU et demande d’urgence la réunion d’une conférence internationale sur l’asile.

N.B.: article paru aujourd’hui dans Libération.

Catégories: Union européenne

La Commission européenne déclare la guerre à Google

dim, 19/04/2015 - 22:46

Mardi, le site d’information américain Politico va lancer, à Bruxelles, sa première filiale à l’étranger. Tout un symbole : «si les États-Unis font de l’innovation, c’est l’Union européenne qui dicte les règles du jeu», nous explique Matthew Kaminski, le patron du site européen (politico.eu). L’actualité vient démontrer la pertinence de cette analyse : en décidant, hier, de s’attaquer au géant californien Google, la Commission, qui veille au respect des règles de concurrence dans l’Union, s’aventure sur un terrain que les autorités américaines chargées de la concurrence ont désormais déserté : comme l’a révélé le Wall Street Journal, le mois dernier, la Federal Trade Commission (FTC) a établi, en 2013, que le moteur de recherche se livrait à des pratiques anticoncurrentielles. Mais elle a préféré classer l’affaire sans suite…

Ce n’est pas la première fois que les champions américains sont confrontés à une Union devenue beaucoup plus sourcilleuse en matière de concurrence que Washington. Microsoft, l’un des GAFAM américains (Google, Amazon, Facebook, Appel, Microsoft) qui domine le monde numérique, en a fait l’expérience : l’entreprise a été confrontée à une série d’enquêtes de la Commission pour pratiques anticoncurrentielles, entre 2003 et 2013, ce qui lui a coûté une série d’amendes d’un montant total de plus de 2 milliards d’euros. Dans un domaine proche, Intel, le fabricant américain de processeurs, a aussi connu les foudres de l’Union en 2009 avec une amende de plus d’un milliard d’euros pour abus de position dominante. Mais tous les secteurs de l’activité économique sont concernés : en 2001, la Commission a ainsi mis son veto à la fusion de deux entreprises américaines, pourtant approuvée par les autorités locales, General Electric et Honeywell (moteurs d’avions d’affaires et avionique). En 1997, Boeing a dû passer sous ses fourches caudines pour obtenir in extremis un feu vert à sa fusion avec McDonnell-Douglass. Deux cas emblématiques, puisqu’il s’agissait de préserver l’avenir d’Airbus. On pourrait multiplier les exemples de la puissance, souvent méconnue, de l’Union dans le domaine de la concurrence, une puissance que les entreprises du monde entier, et pas seulement américaines, ont appris à redouter.

Des règles de concurrence d’origine américaines

Ironie de l’histoire : les règles de concurrence européennes qui figurent dans le traité créant la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA) de 1951 et qui ont été reprises telles que dans le traité de Rome de 1957 ont été écrites par un jeune professeur de droit de Harvard, Robert Bowie, l’un des meilleurs spécialistes de l’époque. En effet, le contrôle du marché est né outre-Atlantique dès le XIXe siècle, et non en Europe : les Américains ont toujours considéré, contrairement au vieux continent, que le marché n’avait pas toujours raison et qu’il fallait le réguler afin de lutter contre les monopoles ou les oligopoles et les ententes qui étaient quasiment la règle en Europe avant la Seconde Guerre mondiale. Plus prosaïquement, il s’agissait de briser définitivement les Konzerns de la Ruhr, ces cartels qui avaient fait la puissance militaire de l’Allemagne d’avant-guerre. Faute de tradition juridique européenne dans le domaine de la concurrence «libre et non faussée», il a fallu faire appel aux juristes américains. Les articles des traités européens sur le sujet qui donnent du fil à retordre aux géants américains ont «été rédigés par Bowie avec un soin méticuleux. C’était une innovation fondamentale en Europe, et l’importante législation antitrust qui règne sur le marché commun trouve son origine dans ces quelques lignes pour lesquelles je ne regrette pas de m’être battu quatre mois durant», raconte ainsi Jean Monnet, l’un des pères de l’Europe, dans ses Mémoires. Des règles de décartellisation que l’Allemagne n’a acceptée que parce que le chancelier Konrad Adenauer a mis tout son poids dans la balance.

La Commission défend l’économie européenne

Il est amusant d’entendre aujourd’hui Barack Obama, le président américain, prendre la défense de Google, dont il est très proche, comme il l’a fait à la mi-février, en estimant que les règles européennes de concurrence sont «parfois» «davantage dictées par des intérêts commerciaux», puisque «les fournisseurs de services (européens) qui, comme vous le savez, ne peuvent pas lutter contre les nôtres, essaient seulement d’empêcher nos entreprises d’opérer là-bas.» : «nous avons possédé Internet. Nos entreprises l’ont créé, l’ont étendu, l’ont perfectionné, de telle manière qu’ils [les Européens] ne peuvent pas lutter». Autrement dit, la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles serait un moyen de priver les entreprises américaines des fruits de leur succès… Une analyse pour le moins curieuse pour le président d’un pays qui n’a pas hésité à démanteler l’opérateur téléphonique ATT en 1984.

En réalité, comme l’a expliqué hier la commissaire européenne à la concurrence, la libérale danoise Margrethe Vestager, «l’objectif de la Commission est d’appliquer les règles européennes (...) de manière à ce que les entreprises opérant en Europe ne privent pas artificiellement les consommateurs européens d’un choix aussi large que possible ou n’entravent pas l’innovation». Car aujourd’hui, on en est là. Le Parlement européen, aussi inquiet que la plupart des États membres, l’Allemagne et la France au premier chef, devant la puissance incontrôlée des géants américains du numérique, souhaite même, dans une résolution votée en décembre, que la Commission ordonne un démantèlement de Google. On n’en est pas là, mais cela donne la mesure de la bataille de Titan que Bruxelles vient d’engager. Chacun a conscience que les menaces ne sont pas seulement économiques, le numérique étant désormais l’un des principaux moteurs de la croissance occidentale, mais concerne aussi les libertés individuelles, comme l’a révélé l’affaire Snowden. Autrement dit, en imposant ses règles du jeu aux GAFAM, l’Union préservera son avenir économique et protégera son État de droit.

NB: version longue de mon article paru dans Libération du 16 avril

Catégories: Union européenne

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