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Phil Hogan, si loin de la France

jeu, 17/03/2016 - 18:11

REUTERS/Jacky Naegelen

Interrogez les journalistes accrédités à Bruxelles sur l’Irlandais Phil Hogan : ils resteront sans voix, alors qu’ils seront intarissables sur le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, la Suédoise Cécilia Malmström, commissaire au Commerce ou sur la Danoise Margrethe Vestager, sa collègue chargée de la Concurrence.

Un an et demi après sa prise de fonctions, le commissaire à l’Agriculture, 55 ans, reste un parfait inconnu. Ce n’est pas un hasard si sa fiche Wikipédia France se résume à une misérable ligne et que la version anglophone, à peine plus fournie, observe un silence religieux sur son activité européenne. Il faut dire que l’homme, au physique imposant de lutteur de foire, fuit avec une constance qui force l’admiration les contacts avec la presse. Ainsi, depuis le début de la crise agricole en France, au premier trimestre 2015, il s’est contenté de donner deux entretiens à la presse régionale, à Ouest-France et au Télégramme. Et encore, l’une a été réalisée par écrit, c’est-à-dire par ses services… Ses briefings «off» sont inexistants et ses conférences de presse très rares.

Mais il n’est pas plus présent auprès du monde paysan : il s’est certes rendu au dernier Salon de l’agriculture à Paris, mais après avoir longtemps hésité et surtout sans prévenir de sa venue et sans parcourir les allées par peur d’être confronté à quelques paysans excités, une perspective qui n’a pas découragé François Hollande ou Manuel Valls, qui en ont payé le prix.

Doutes

L’argument qui voudrait qu’un commissaire européen n’ait pas à prendre de risques politiques, comme un gouvernement, ne tient pas la route : celui qui a la responsabilité de la politique agricole commune (PAC) est, pour les agriculteurs, infiniment plus important qu’un président de la République française. Presque toutes les subventions viennent du budget communautaire et c’est la Commission qui est chargée de gérer et de surveiller les marchés. Autant dire que la Commission, c’est l’alpha et l’oméga de la politique agricole.

Alors que Juncker a proclamé, dès juillet 2014, que sa commission serait politique, Phil Hogan ne semble pas avoir entendu le message. A la différence, par exemple, d’une Cécilia Malmström qui mouille son chemisier pour défendre le très contesté accord de libre-échange avec les Etats-Unis, en parcourant l’Europe et en participant à des forums citoyens. Hogan (qui ne parle que l’anglais, avec un fort accent irlandais) a pour politique de ne quitter que rarement son bureau du bâtiment Berlaymont, siège de la Commission à Bruxelles, de ne pas expliquer la PAC et sa logique, de ne pas répliquer aux accusations des gouvernements nationaux ravis de pouvoir librement «basher Bruxelles». A l’image d’un Hollande ou d’un Valls qui, le 8 février, a accusé la Commission «d’en faire trop peu ou trop tard» pour résoudre les crises du porc et du lait.

Toutes choses qui ne seraient pas trop graves si le commissaire gérait bien son portefeuille. Or, on peut avoir quelques doutes vu les longs mois qu’il a mis à prendre la mesure exacte de la crise que traverse une partie de l’agriculture européenne et surtout française, laissant la situation se dégrader plus que de raison. Une atonie qui s’explique en grande partie par la «chaîne de commandement agricole» à Bruxelles qu’il a mise en place. En effet, après avoir longtemps été la chasse gardée de la France, celle-ci est exclue de la plupart des instances de décision mais reste la première puissance agricole européenne.

Casting

Le cabinet de Hogan est une caricature : sur huit membres, on compte cinq Irlandais, une Italienne, une Espagnole et un Allemand, mais aucun Français. Au niveau de la «DG» agriculture, le directeur général, Jerzy Bogdan Plewa, est polonais, aucun de ses quatre adjoints n’est français et, au niveau inférieur, les onze directeurs, deux sont ressortissants de l’Hexagone. Pour couronner le tout, le porte-parole de Hogan est un ancien journaliste portugais également en charge du commerce, dossier extrêmement prenant. Face à ce casting catastrophique, Margaritis Schinas, porte-parole de Juncker, a imposé, début 2015, une Française comme «officier de presse» (adjoint du porte-parole) afin de limiter la casse.

Au Parlement européen, le tableau n’est pas plus réjouissant, la puissante commission agricole (qui codécide avec les Etats) étant désormais présidée par un Polonais, prix à payer pour le score du FN : ce parti étant exclu des instances de décision, les eurodéputés français «utiles» ne sont plus qu’une cinquantaine. Dès lors, comment s’étonner de l’absence quasi totale d’empathie de Hogan avec le monde rural français et du retard à l’allumage quand les premiers signes de la crise sont apparus ? Pour l’Irlandais et ses hommes, la France n’est qu’un pays parmi d’autres, guère plus important que la Lituanie… On comprend mieux l’agacement de la France face à une commission perçue comme sourde et aveugle.

N.B.: article paru dans Libération du 14 mars. Lire aussi l’article expliquant les mesures techniques décidées pour stabiliser les marchés agricoles, ici.

Catégories: Union européenne

Grèce: crise gouvernementale en Grèce

jeu, 17/03/2016 - 11:13

REUTERS/Alkis Konstantinidis

Syriza est rattrapé par ses alliances douteuses, ce qui pourrait bien lui coûter le pouvoir plus rapidement que prévu. Son indispensable allié de droite radicale, ANEL, menace, en effet, de faire chuter le gouvernement d’Alexis Tsipras si le ministre chargé de la politique migratoire, Yannis Mouzalas, ne démissionne pas. Sa faute ? Avoir appelé, mardi soir, à la télévision, « Macédoine » la République de Macédoine que la Grèce ne reconnaît que sous le nom de « FYROM (Former Yugoslav Republic of Macedonia) ou de République de Skopje, et ce, depuis l’éclatement de la Yougoslavie : pour les nationalistes grecs, le nom de « Macédoine » appartient exclusivement au patrimoine grec.

Une querelle baroque (comme si la France faisait la guerre à la Belgique parce qu’il y existe une Lorraine belge) que la communauté internationale a échoué à régler depuis 25 ans. Mais elle en dit long sur le nationalisme local qui dépasse largement la droite radicale, puisque même les conservateurs de la Nouvelle Démocratie réclament la démission de Mouzalas. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui sont à l’origine de ce différent avec la petite République et, en particulier, Antonis Samaras, le prédécesseur de Tsipras, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères (90-92).

Mouzalas s’est certes aussitôt excusé : « je demande pardon pour cette erreur, qui ne correspond pas à ma position et à mes convictions ». Mais, et en dépit de la médiation de Tsipras, Panos Kammenos, le ministre de la Défense et leader d’ANEL, campe sur une ligne dure. Dans un tweet, il affirme que « le pardon de Monsieur Mouzalas n’est pas suffisant, je demande sa démission ». « Il est exagéré de créer un problème » après le « lapsus » du ministre, a réagi Tsipras dans un communiqué publié mardi soir : « il est hypocrite et irresponsable d’essayer à la veille d’un sommet européen d’affaiblir le ministre qui lutte quotidiennement pour gérer la crise migratoire ».

De fait, de l’avis des partenaires d’Athènes, Mouzaras est l’un des membres le plus compétents (et le moins dogmatique) du gouvernement Syriza-ANEL : c’est lui qui est parvenu à répondre en quelques semaines aux exigences des Européens qui menaçaient de suspendre le pays de Schengen s’il ne reprenait pas le contrôle de ses frontières, notamment en mettant en place les fameux « hotspots ». Mais, ce médecin, fondateur de Médecins du Monde en Grèce, est soupçonné par les nationalistes d’être un peu trop sensible aux droits des réfugiés et à l’écoute de ses partenaires européens. Il faut se rappeler que Kammenos, au plus fort de la crise entre la Grèce et la zone euro, avait menacé de laisser passer tous les djihadistes en Europe... Le leader nationaliste ne pardonne pas non plus à Mouzaras d’avoir été contraint de mobiliser l’armée pour construire des camps de réfugiés, celle-ci étant l’un des rares organes de l’État grec à être fonctionnel. Pour le leader nationaliste, ce n’était pas son rôle, celle-ci devant se concentrer sur la défense d’un pays qui s’estime menacé par la Turquie, l’ancienne puissance coloniale.

L’occasion était donc trop belle pour que le leader nationaliste la laisse passer, d’autant que cela peut redorer le blason de son parti en perte de vitesse, que Tsipras décide de sacrifier son ministre ou pas. Le Premier ministre a annoncé qu’il prendrait sa décision après le sommet européen de jeudi et de vendredi. Un choix difficile : s’il cède à son partenaire, favorable à une sortie de l’euro, il sera un peu plus affaibli aux yeux d’une opinion publique déjà déçue. Tomber immédiatement sur la Macédoine ou dans quelques mois sur les retraites, voilà l’équation à laquelle est confronté Tsipras.

Catégories: Union européenne

Grèce: Syriza, bientôt dans l'opposition?

mer, 16/03/2016 - 20:02

REUTERS/Francois Lenoir

Le gouvernement d’Alexis Tsipras passera-t-il l’été ? Disposant d’une courte majorité de trois sièges (153 sur 300), la coalition formée par Syriza (144 sièges) et ANEL (9 sièges), un parti de droite radicale, aura le plus grand mal à survivre à la réforme des retraites qui doit être adoptée dans les prochains mois. Beaucoup à Athènes, où je me trouvais il y a dix jours pour une conférence, parient sur des élections anticipées en juillet prochain… Des élections que les partis d’oppositions, en pleine restructuration, ne souhaitent pas, car la victoire qui leur semble promise, si l’on en croit les sondages qui montrent une chute brutale de la popularité de Syriza empêtré dans les réformes exigées par la zone euro, interviendrait trop tôt.

Ce parti de gauche radicale (qui plonge ses racines dans le communisme aligné sur Moscou), amputée de son aile d’ultra-gauche, a pourtant gagné les élections de septembre 2015 avec 35 % des voix (le premier parti rafle un bonus de 50 sièges), soit à peu près le score qu’il avait enregistré en janvier 2015. Un score étonnant si l’on se rappelle que Syriza n’avait obtenu que 4,6 % des voix en septembre 2009. Il doit son succès à l’effondrement du PASOK, le parti socialiste, passé de 44% des voix à 6 % (17 sièges et encore en coalition avec un parti de centre gauche, le Dimar). Rendue responsable de la crise par les citoyens (c’est lui qui a dû gérer les premiers programmes d’austérité), sa quasi-disparition de l’échiquier politique s’explique aussi par le passage avec armes et bagages d’une grande partie de ses cadres, et pas forcément les moins corrompus, chez Syriza qui apparaissait comme le mieux à même d’assurer leur survie...

Syriza à 20-25 % dans les sondages

Si le parti de Tsipras a réussi à maintenir ses positions en septembre 2015, en dépit de la trahison du suffrage populaire exprimé lors du référendum « anti-austéritaire » du mois de juillet, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Car le Premier ministre, qui n’a rien fait pendant huit mois, trop occupés par son bras de fer avec la zone euro, n’a désormais plus le choix : pour prix du sauvetage du pays, il doit mettre en œuvre des réformes qui font mal, comme la poursuite du programme de privatisation ou la réforme des retraites qui s’accompagne d’une hausse d’impôts pour les préserver au maximum. Pour ne rien arranger, « l’économie ne repart pas et le problème des réfugiés, avec lequel il va falloir apprendre à vivre, va peser sur les finances publiques et l’activité touristique, la première source de revenus du pays », énumère un diplomate grec. Surtout, les Grecs constatent que Syriza, en dépit de ses promesses, n’est pas si pressé que cela de réformer l’impotent État grec : rien d’étonnant à cela, puisqu’une grande partie de sa clientèle est composée de fonctionnaires qui ont tout à perdre si on touche à leurs prébendes. Aujourd’hui, Syriza est donné autour de 20-25 % dans les sondages, soit une chute de dix à quinze points par rapport à son score de septembre 2015. Comme il fallait s’y attendre, l’abandon de la fonction tribunitienne n’est pas sans risque…

Les conservateurs, eux, pourtant tout aussi responsables de la crise que le PASOK, ont moins souffert des turbulences politiques récentes. Historiquement, cela n’est pas étonnant : si la gauche non communiste a connu de nombreux avatars depuis que la Grèce a conquis son indépendance, ce n’est pas le cas de la droite conservatrice qui représente une force stable. Ainsi Nouvelle Démocratie a obtenu 28 % des voix aux dernières élections et est désormais donnée à 25-30 %.

Des conservateurs en restructuration

Depuis janvier dernier, elle est dirigée par le jeune Kyriakos Mitsotakis, le fils de l’ancien premier ministre grec, Constantin Mitsotakis : cette famille, avec celle du fondateur du parti, Constantin Karamenlis, s’est toujours partagé la direction du parti. Mais il ne faut pas s’y tromper : réformateur, Kyriakos Mitsotakis a été élu contre l’appareil du parti (et la quasi-totalité du groupe parlementaire) à l’issue d’un vote ouvert à l’ensemble de la population. En clair, il ne contrôle pas encore ND, ce qui explique qu’il ne souhaite pas d’élections anticipées cette année : tant qu’il n’aura pas fait le ménage, le retour au pouvoir des conservateurs ne peut que se traduire par un retour du clientélisme et de la corruption qui ont ruiné le pays. Le congrès du parti, prévu pour le mois d’avril, s’annonce donc déterminant pour l’avenir et de Mitsotakis et de ND.

Surtout, si l’on en croit les sondages, une victoire de ND ne ferait qu’inverser la situation actuelle : les conservateurs ne disposeraient que d’une majorité relative, ce qui les contraindrait à trouver une alliance afin de s’assurer une majorité, exactement comme l’a fait Syriza en s’alliant avec ANEL. Le temps où les deux principaux partis réunissaient 80 % des voix semble définitivement révolu.

Centre gauche, KKE et Aube Dorée au coude-à-coude

D’où la volonté des petits partis de centre gauche de s’allier au sein d’une « confédération de gauche », un serpent de mer de la politique grecque depuis 2013, afin de constituer cette force d’appoint à une Nouvelle Démocratie refondée. L’idée serait que To Potami, dirigé par Stavros Théodorakis, le PASOK, DIMAR, mais aussi le Mouvement des socialistes démocrates de l’ancien premier ministre socialiste Georges Papandréou (moins de 3 % des voix aux élections de janvier 2015, il ne s’est pas présenté aux élections de septembre). Selon l’ancien dirigeant du PASOK, Evangelos Venizelos, cette confédération aurait vocation à réunir environ 10 % des voix. Le président du groupe parlementaire de To Potami (4 % des voix et 11 députés), Harry Theoharis, vient de quitter ses fonctions dans l’espoir de prendre la direction de cette confédération. Le problème est que chacun de ces partis a l’ambition de diriger cet ensemble et que To Potami, qui a l’ambition d’incarner le renouveau, craint se compromettre avec des formations incarnant l’ancien système.

Enfin, pour compliquer un peu plus la situation, le KKE (communistes staliniens) et les néo-nazis d’Aube Dorée connaissent des hausses nettes dans les sondages, aux alentours de 8-9 %.

On le voit, le paysage politique grec est extrêmement mouvant et incertain, à l’image de ce qui se passe dans tous les pays qui ont connu des cures d’austérité : Portugal, Irlande, Espagne. Les citoyens, qui ont l’impression justifiée d’avoir été menée en bateau par des partis qui les ont conduits à la faillite, sont à la recherche d’une nouvelle donne. De cette recherche, le pire comme le meilleur peut émerger. « En attendant, cette incertitude nuit aux investissements étrangers et donc au redressement du pays », analyse un fonctionnaire européen.

N.B.: Article repris sur le site de Ethnos aujourd’hui ;-)

Catégories: Union européenne

UE: c'est le droit d'asile qu'on assassine

dim, 13/03/2016 - 17:39

Débordée par l’afflux de réfugiés et de migrants, incapable de jouer collectivement, tétanisée par des opinions publiques travaillées par des pulsions xénophobes soigneusement entretenues par des partis populistes, l’Union européenne, pour assurer sa survie, a jeté par-dessus bord, lors de son sommet du 7 mars, le droit d’asile, pourtant l’une de ses valeurs fondamentales qui ont justifié sa création au lendemain du second conflit mondial. Toute honte bue, les vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé de sous-traiter à la Turquie, en en payant le prix fort, la crise des réfugiés. Si le plan présenté par Angela Merkel, la chancelière allemande, et Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, est finalement accepté en l’état la semaine prochaine, l’UE va procéder à l’expulsion collective de tous les migrants arrivant dans les îles grecques, qu’ils aient vocation ou non à demander l’asile, et ce dans des proportions jamais vues en Europe depuis le nazisme et le communisme.

Même si elle promet d’en reprendre ensuite un certain nombre, le symbole est terrible pour une Europe qui se veut un modèle pour le reste du monde, une Europe fondée sur le respect des droits de l’homme. Il est vrai que le droit d’asile est d’ores et déjà enterré, chaque Etat tentant de se décharger du fardeau sur ses voisins. Ce sont les pays de l’Est qui ont donné l’exemple en construisant dès l’automne des murs à leurs frontières et en proclamant que les musulmans sont irréductibles à la civilisation européenne, une opinion partagée par de larges secteurs des opinions publiques des pays d’Europe de l’Ouest. Depuis, menace terroriste aidant, toutes les frontières se sont fermées. Dès lors, dans le chaos actuel, l’urgence est de calmer le jeu, d’où la volonté de la chancelière allemande, qui s’est pourtant faite le chantre de l’ouverture des frontières, de ralentir, voire de stopper le flux des migrants et des réfugiés. Mais si l’opération réussit, ce qui n’est pas sûr, il sera extrêmement difficile de revenir en arrière. Mal préparé, mal pensé, son plan, conçu comme temporaire, le temps que les opinions publiques se calment, risque de devenir définitif.

Après tout, comme le dit la vox populi, les réfugiés n’ont-ils pas vocation à s’installer dans le premier pays sûr qu’il rencontre dans leur fuite ? En clair, que la Turquie, la Jordanie ou le Liban, pays de premier accueil, se débrouillent, quitte à ce qu’on les subventionne. Finalement, l’Europe ne donnera asile qu’à ceux qui arriveront directement de zones de conflit soit par avion, soit par bateau, ce qui concernera peu de monde. Cette crise montre qu’il y a urgence à refonder une Europe qui s’est perdue. L’Union élargie n’est pas, contrairement à ce qu’on a cru lors de l’effondrement du communisme en 1989-1990, une union de valeurs partagées, mais une communauté d’intérêts matériels. Cela, François Mitterrand, très réticent à l’idée d’élargir l’Europe, l’avait parfaitement compris, tout comme Valéry Giscard d’Estaing qui avait proposé de créer deux Europe, une «Europe espace» et une «Europe puissance». L’Union paye aujourd’hui au prix fort la naïveté allemande et risque d’y laisser son âme. Car l’Europe sans valeurs a-t-elle encore un sens ?

N.B.: édito paru dans Libération du 8 mars

Catégories: Union européenne

L'Europe forteresse est née !

mar, 08/03/2016 - 21:15

Mes articles consacrés au sommet européen de lundi au cours duquel le droit d’asile a été enterré. Le premier, écrit avant 17h est ici, le second, qui raconte les coulisses de la négociation, . Bonne lecture !

Catégories: Union européenne

Benoit Coeuré: alors, euro?

ven, 04/03/2016 - 00:59

Ferhat Bouda. Vu

La première rencontre avec Benoît Cœuré se déroule sitôt sa nomination au directoire de la Banque centrale européenne (BCE) pas loin de Sciences-Po, où il donne des cours. Il propose de déjeuner dans un troquet étudiant. Au menu, hamburger-frites, et brouhaha infernal. Le porte-parole de la BCE, qui l’accompagne, est manifestement sidéré de se retrouver là. Il est vrai que Jean-Claude Trichet, le président sortant de l’institut monétaire, préférait recevoir dans son somptueux bureau de Francfort ou dans un tout aussi somptueux hôtel cinq étoiles, à deux pas de l’Elysée.

Né en 1969, Cœuré est d’une génération qui s’embarrasse manifestement moins des apparences que celle qu’incarnait Trichet. En donnant rendez-vous dans ce greasy spoon («cuillère grasse»), comme on dirait aux Etats-Unis, Cœuré semble vouloir montrer que les banquiers centraux sont des hommes (et très rarement des femmes) comme les autres, qui aiment manger gras à l’occasion dans des endroits que la morale de la Bundesbank réprouverait. Sa façon de s’exprimer tranche aussi avec le discours habituellement très cadré des banquiers centraux. Il parle de politique monétaire avec passion (c’est possible), simplicité (c’est aussi possible), sans peser longuement ses mots (surtout ne pas effaroucher les marchés), dans le but d’être compris et de convaincre. Ce n’est pas un hasard s’il a choisi de s’adresser d’abord à Libération plutôt qu’à un journal financier.

Bref, Cœuré, c’est tout le contraire de Trichet. «On ne peut pas continuer à se comporter comme si c’était au reste du monde de venir à nous», affirme-t-il. «Les banquiers centraux doivent être plus francs, plus transparents, insiste-t-il, et ne pas vivre retranchés dans une tour d’ivoire, même si tout nous y incite.»Mario Draghi, l’actuel président de la BCE, a, dès sa prise de fonction, imposé plus de transparence en publiant les délibérations du Conseil des gouverneurs. Benoît Cœuré aurait aimé qu’il aille plus loin en rendant aussi public les votes des présidents de Banque centrale : «L’argument était qu’il ne fallait pas que l’on puisse identifier le vote d’un gouverneur, ce qui pourrait le mettre en difficulté dans son pays. Mais on peut aussi considérer que cela permet de vérifier que personne ne vote pour défendre ses intérêts nationaux.»

«Pour Mario Draghi, et c’est l’une de ses qualités, on travaille pour de vraies personnes», explique-t-il en ce mois de janvier dans un petit restaurant situé au pied de la tour de la BCE, cette fois devant une salade. «L’économie n’est pas une science exacte. Le conseil des gouverneurs, c’est donc beaucoup de jugement. Il est important d’appliquer un critère de bon sens à nos décisions, d’avoir de l’empathie pour les gens, et surtout d’éviter l’effet moutonnier qu’implique l’absence de diversité culturelle. Par exemple, il est très bien que la pureté philosophique allemande, sa tentation kantienne, doive composer avec le pragmatisme anglo-saxon qu’incarne Draghi et le cartésianisme français.»

A sa façon, Cœuré incarne la diversité à la française : il n’a pas fait l’ENA, mais, Polytechnique. «Je ne suis quand même pas un self-made-man», ironise-t-il. On peut le dire : c’est un pur produit de la méritocratie républicaine. Ce Grenoblois, dont les racines familiales sont lorraines et ardennaises, est le benjamin d’une fratrie de trois, né d’un père, ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique, et d’une mère, professeure de littérature comparée à l’université de Grenoble. Il a engrangé, après un bac décroché à 16 ans, outre Polytechnique, une licence de japonais, un diplôme de l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae) et un DEA de l’EHESS, avant d’intégrer la direction du Trésor en 1995 après un passage à l’Insee. «Mais c’est vrai qu’à cette époque, ne pas avoir fait l’ENA, c’était clairement un handicap. Il n’y avait rien de personnel, mais il était clair que je n’étais pas là pour faire carrière. Aujourd’hui, cela a changé : le numéro 2 du Trésor est désormais systématiquement un polytechnicien, car la profession s’est technicisée et il est plus facile pour un économiste d’apprendre le droit que pour un juriste d’apprendre l’économie.» C’est au Trésor, dont il a été le numéro 2 de l’Agence France Trésor, chargée de gérer la dette française, qu’il rencontre Xavier Musca. C’est à cet homme de droite que Cœuré, homme de gauche, doit sa nomination à la BCE. «Je lui dois beaucoup, reconnaît Cœuré, car il m’a mis sur une trajectoire qui m’a amené à Francfort. Tout ce dont je m’occupais sous sa direction était lié à l’Union européenne.»

Dans son bureau de Francfort, une caricature de Steinlen de la fin du XIXe siècle rappelle son engagement à gauche : on y voit la République partir au bras d’un banquier. Il reconnaît que si sa candidature s’est imposée, c’est parce que Xavier Musca et Ramon Fernandez, le directeur du Trésor, ont décliné le poste pour raisons personnelles. Benoît Cœuré, célibataire, mais pas endurci, sans enfant, n’a pu refuser une telle proposition, même si le job ne laisse guère de place à une vie privée digne de ce nom. C’est même le membre du directoire qui voyage le plus pour porter la bonne parole de la BCE : rien qu’en 2015, il a effectué 79 déplacements, dont neuf en dehors de l’Union. Il passe en moyenne trois jours par semaine à Francfort, et multiplie les allers-retours à Paris pour donner ses cours à Sciences-Po et voir ses amis, qui «ne sont pas de ce monde-là».

Il n’hésite pas à répondre aux questions les plus directes sur ses goûts. Il adore l’art contemporain, il est même chargé d’acheter des œuvres pour la BCE, essentiellement celles de jeunes artistes. Il lit beaucoup de romans et de poésie dans les avions, aime faire la cuisine et raffole du cinéma. Il évoque les Mille et Une Nuits de Gomes et Songs My Brother Taught Me «un beau film, un peu mélancolique, sur une réserve indienne». «Mais, je vous rassure, j’ai aussi vu The Martian, Everest et même Jupiter Ascending, qui est une authentique daube hollywoodienne.» Il prend le temps de «décrocher de temps en temps : l’été, c’est souvent de la marche en montagne. Et cet hiver, j’ai passé quinze jours merveilleux en Nouvelle-Zélande». Cet avaleur de stress, qui affiche en toutes circonstances un calme d’airain, ne parvient cependant pas à cacher son inquiétude pour l’avenir de cette Europe qu’il aime tant : «L’arrivée de réfugiés a créé de l’inquiétude et de l’anxiété. Les valeurs européennes sont en jeu : il y a une forte tentation de repli national. La BCE a agi face à la crise de la zone euro pour créer de la croissance. Ce qui est une des réponses à la crise actuelle. Mais elle ne peut pas tout régler toute seule.» La meilleure politique monétaire du monde ne peut, il le sait, donner que ce qu’elle a.

N.B.: Portrait paru dans Libération du 29 février

Catégories: Union européenne

«Ceci n'est pas l'Europe»

dim, 21/02/2016 - 20:04

Aujourd’hui, au «Mons mémorial muséum», à Mons, en Belgique francophone et non dans le Yorkshire en Angleterre comme on pourrait le penser, est inaugurée une exposition de dessins de presse : «Ceci n’est pas l’Europe» (120 caricatures, 52 dessinateurs du monde entier). C’est Nicolas Vadot, vice-président de Cartooning for peace, qui en est le maître d’œuvre. Je vous conseille vivement le déplacement.

Néanmoins, étant un adepte de la transparence totale, je vais vous narrer mes mésaventures avec le musée de Mons, car cela vaut le détour. En effet, je suis impliqué dans ce projet, même s’il faut vraiment chercher mon nom. A la demande de Nicolas Vadot et de Plantu (le président de Cartooning for peace), j’ai accepté de rédiger les textes accompagnant l’exposition : dix articles suivant le découpage en dix chapitres (le projet européen, la crise économique, une Europe allemande?, etc.) et j’ai demandé à Dany Cohn-Bendit d’en rédiger la postface. Je vous le dis tout net: une expérience que je ne suis pas prêt de renouveler, car, pour la première fois de ma longue vie de journaliste, j’ai dû batailler contre des tentatives hallucinantes de censure de la part de la direction du musée. En y repensant, j’en reste encore sidéré.

Quelques exemples? Pour le musée, je ne pouvais pas écrire que la Grèce avait «menti» sur son chiffre de déficit (mais a «masqué la réalité»), que l’Europe était «la région la plus calme et la plus prospère au monde», que «toutes les enquêtes d’opinion montrent que les citoyens se méfient encore plus de leur État que de l’Union» ou encore «les pères fondateurs de l’Europe rêvaient de reconstruire une certaine Europe d’avant la Première Guerre mondiale, celle de Stefan Zweig, où plusieurs langues, religions, cultures, peuples cohabitaient sur un même territoire, une Europe que les nazis ont anéantie, tout aussi sûrement que le principe des nationalités». Et j’en passe. On était là dans l’idéologie eurosceptique pure, sachant pourtant que dès le départ il était clair qu’il s’agissait d’une exposition engagée en faveur de la construction communautaire et que mes textes devaient refléter cet engagement (je ne suis pas universitaire…).

Vadot a déployé des trésors de diplomatie pour trouver un compromis avec des gens qui se sont comportés en véritables commissaires politiques, croyant qu’ils pouvaient tenir la plume d’un journaliste. Si je n’ai pas retiré mes textes, c’est uniquement par amitié pour Vadot et Plantu. J’ai donc accepté beaucoup d’adaptations, essentiellement de forme. Mais mes textes ne seront que dans le catalogue et à peine crédité. Ultime tentative du musée de Mons pour marginaliser mon travail : qualifier mes articles de «billets d’humeur» et non de «billets», comme cela avait été convenu. Vadot s’y est opposé. Chacun appréciera et je tiens à la disposition de mes confrères l’ensemble des mails échangés avec le musée. C’est à la fois hilarant, sidérant, inquiétant et surtout épuisant de bêtises. Décidément, «ceci n’est pas l’Europe» et «ceci n’est pas la liberté de la presse».

Catégories: Union européenne

François Hollande, l’Européen velléitaire

dim, 21/02/2016 - 19:54

Les partenaires de la France en sont restés ébahis et cela n’a pas été assez noté : François Hollande a tapé du poing sur la table. Un peu avant 18 h 00, vendredi, le Président de la République a demandé une suspension de séance de deux heures et a quitté la table du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement réuni depuis la veille. Un coup de gueule pour montrer à quel point il était excédé par ce énième chantage britannique destiné à tuer le projet européen ? Ne rêvons pas : plus prosaïquement, il devait s’exprimer sur France Inter au micro de Nicolas Demorand. Angela Merkel, la chancelière allemande, en a profité pour s’éclipser afin de prendre l’air : elle s’est rendue chez Antoine, la célèbre baraque à frites de la place Jourdan, à quelques centaines de mètres en contrebas du bâtiment du Conseil, à Bruxelles. Deux images qui résument bien ce qu’est l’Europe des héritiers alors que l’Union est confrontée à une crise humanitaire sans précédent qui menace son existence même.

Écouter France Inter n’a pas été une perte de temps. En digne héritier de Jacques Delors dont il fut proche, François Hollande a dénoncé le «manque de projet» de l’Union, sa «frilosité», le «repli sur soi» des États. Un constat implacable. Et d’annoncer que la France allait prendre «des initiatives pour renforcer la zone euro», la «fédéraliser» autour d’un gouvernement, d’un parlement et d’un budget afin de constituer un «noyau dur, une avant-garde, un premier cercle». Un magnifique coup de menton qu’il n’a hélas pas répété lors de son retour à la table du Conseil, laissant les Belges batailler pour le bien commun européen. Une habitude bien ancrée : depuis son élection, le chef de l’Etat a fait part à plusieurs reprises de son intention de renverser la table tout en se tenant coi devant ses partenaires.

Déjà, lors de la campagne de 2012, il avait promis de «réorienter» l’Europe afin de lui donner un contenu social et fiscal et combler le fossé qui se creuse entre les citoyens et le projet européen. Au printemps 2013, puis à l’été 2014, il a de nouveau promis de prendre des initiatives de relance. Et, à chaque fois, on n’a rien vu venir : Hollande est un Européen velléitaire, un Européen mou. Or, on ne prend pas des initiatives dans les médias français, mais en travaillant avec ses partenaires, au premier rang desquelles, bien sûr, l’Allemagne. Le couple Mitterrand-Kohl, par exemple, rythmait la vie européenne de leurs fameuses lettres communes qui proposaient des approfondissements de l’Union. Depuis que Hollande est Président, aucune initiative franco-allemande d’envergure n’a été prise : le couple moteur est en panne sèche. Pour le Président, il est hors de question de se lancer dans une modification des traités, car il devrait sans doute organiser un référendum avec tous les risques que cela comporte. Or sans réécriture des traités, aucun approfondissement n’est possible. Le traumatisme de 2005, lorsque la France vota non au projet de traité constitutionnel européen et que le PS se divisa profondément, le paralyse. Mais on ne comprend pas pourquoi : après tout, tant sur l’économie que sur les libertés publiques, il n’a pas hésité à diviser son parti et la France, perdant à chaque fois le soutien de pan entier de l’opinion publique. Ce n’est donc pas d’une question de courage qu’il s’agit, mais d’absence de convictions réelles.

Une anecdote résume bien François Hollande. La scène se passe en décembre 2012, alors que Herman Van Rompuy, alors président du Conseil européen, tente d’obtenir un mandat des chefs d’État et de gouvernement pour travailler à des scénarios d’approfondissement de la zone euro. Il veut notamment pouvoir proposer un budget de la zone euro et lui donner une capacité d’emprunt, deux idées défendues par le futur chef de l’État pendant sa campagne. Alors que Van Rompuy insiste auprès d’une Angela Merkel inflexible, lors d’une trilatérale, Hollande le coupe brutalement : «Herman, tu as entendu Angela : elle ne veut pas. Alors, arrête !» Le président du Conseil européen n’est toujours pas revenu d’avoir ainsi été lâché en pleine campagne par celui qui voulait réorienter l’Europe…

La négociation destinée à éviter le Brexit était pourtant une occasion en or de sortir de cet immobilisme, comme l’y poussaient ses conseillers, mais aussi Emmanuel Macron, son ministre de l’Economie très allant sur la question européenne. Après tout, pour rassurer Londres, la mise en place d’une Europe à plusieurs vitesses clarifiant les compétences et l’organisation institutionnelle aurait été la meilleure solution, puisque cela l’aurait rassuré sur le fait qu’elle n’appartiendrait jamais au premier cercle. Surtout, cela aurait permis de ne pas donner l’impression de céder à un chantage.

Mais Hollande a une nouvelle fois préféré jouer la montre et renvoyer à plus tard une «initiative» à laquelle il est difficile de croire à un an d’une présidentielle de tous les dangers, l’euroscepticisme se portant bien dans l’Hexagone. Or il y a urgence, puisqu’il est fortement probable que les Britanniques votent non lors du référendum du 23 juin prochain. L’Union risque alors de se trouver fort démunie faute d’avoir préparé un plan B. Et ce n’est pas en quelques heures qu’il sera possible de trouver un accord avec une Allemagne qui sait, elle, parfaitement ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas. D’autant que Hollande a perdu l’essentiel de sa crédibilité auprès de son partenaire allemand, à force de tergiverser tant sur le plan économique qu’européen… Le quinquennat de François Hollande restera dans l’histoire comme celui des occasions manquées, voire comme celui qui aura condamné le projet européen.

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Brexit: par ici le mode d'emploi

sam, 20/02/2016 - 14:06

Cette semaine, j’ai écrit, dans Libération, une série de papiers sur le Conseil européen de jeudi et vendredi qui a été consacré pour l’essentiel à traiter la énième crise d’hystérie britannique.

D’abord, le rappel des faits. Puis, un historique des relations entre l’UE et la Grande-Bretagne (ici). Suivi des arguments en faveur du «yes» et du «no» (ici). J’ai aussi interviewé Sandro Gozi, le ministre italien des affaires européennes, qui montre qu’on peut encore avoir de l’ambition et des idées (c’est là). Et, enfin, j’ai analysé le compromis adopté vendredi soir par les Vingt-huit (par là). Bonne lecture (et achetez Libération pour suivre en temps réel ;-)).

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Le coût économique d'un abandon de Schengen

lun, 08/02/2016 - 08:08

REUTERS/Wolfgang Rattay

On s’en doutait : le rétablissement des contrôles fixes aux frontières internes de l’Union européenne aura un coût économique énorme. Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, un organe rattaché à Matignon et présidé par depuis 2013 par Jean Pisani-Ferry, a publié la semaine dernière une étude sur «les conséquences économiques d’un abandon des accords de Schengen». Conclusion : le PIB de la France, dont la croissance atteint péniblement un peu plus de 1 % par an, diminuerait structurellement de 0,5% d’ici à dix ans (-13 milliards d’euros). Pour l’ensemble de l’espace Schengen, le coût serait de -0,8 % du PIB, soit -100 milliards. On oublie trop souvent que c’est à la demande des acteurs économiques, qui souffraient des surcoûts impliqués par les frontières, que le processus qui a abouti à la convention de Schengen, entrée en vigueur en 1995, a été lancé dès 1984 par l’Allemagne et la France (accord de Sarrebrück).

Tous les secteurs de la vie économique intra-européenne seraient durement impactés : travail frontalier (qui a explosé depuis 1995), tourisme, commerce, investissements étrangers. Et cela, sans compter l’augmentation des dépenses publiques impliquées par l’infrastructure nécessaire à ces contrôles (bâtiments, embauches de fonctionnaires, matériel), l’augmentation du chômage (pertes d’emplois frontaliers et dans l’industrie et les services) et bien sûr les conséquences pour le projet européen lui-même. Comme l’a expliqué Jean-Claude Juncker, le marché unique et même l’euro seraient menacés, ces deux réalisations n’ayant aucun sens dans un espace fragmenté.

Pour la France, l’impact sur le tourisme (2,4 % du PIB français) se situerait, selon la dureté des contrôles, entre 500 millions et 1 milliard par an. Pour les frontaliers, les pertes d’emplois seraient comprises entre 5000 et 10.000 postes. Pour le commerce, le rétablissement des frontières se traduirait par un surcoût tarifaire de l’ordre de 3 % de la valeur des biens avec pour conséquence une baisse des exportations françaises de 11,4 % et de 10,8 % si le pays de destination est hors de l’Union européenne. Les importations, elles, seraient réduites de 11,4 % et de 13,7 % pour les pays hors UE. Enfin l’étude considère que les conséquences sur les flux financiers seraient importantes, mais estime qu’il est impossible de les chiffrer.

Bref, une catastrophe économique à l’heure où chaque pourcentage de croissance doit aller être cherché avec les dents, comme le disait Nicolas Sarkozy lorsqu’il était président de la République. On n’ose imaginer ce qui se passerait en cas d’explosion du marché unique et de l’euro…

Ces risques sont d’autant plus absurdes que ces contrôles fixes ne sont d’aucune utilité, sauf à établir un véritable rideau de fer autour de la France et à bâtir un nouveau mur de l’Atlantique. Et encore, aucune barrière n’a jamais empêché durablement le passage des êtres humains, comme le montre l’effondrement du rideau de fer communiste ou l’incapacité de la Wehrmacht qui ne s’embarrassait pas de considérations humanitaires à assurer l’étanchéité des Pyrénées ou la perméabilité de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. D’ailleurs, depuis leur rétablissement, les contrôles n’ont pas permis d’arrêter qui que ce soit. Historiquement, que ce soit en France ou ailleurs, l’arrestation d’un terroriste à une frontière est rarissime, surtout lorsque le terrorisme est intérieur… Et on oublie trop souvent que Schengen, c’est surtout la mise en place d’une coopération policière et judiciaire européenne (avec des visas communs, le droit de poursuite transfrontalier, les patrouilles mixtes, le contrôle étendu à l’ensemble du territoire, le mandat d’arrêt européen, etc.) qui disparaîtrait avec son abandon. Le maintien du seul volet sécuritaire de Schengen ne serait tout simplement pas possible, sauf renégociation pour le moins problématique de l’ensemble. Bref, encore une fois, le fantasme de la frontière fait oublier qu’une ligne Maginot à un coût et ne sert pas à grand-chose…

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Drame humanitaire: l'indifférence des médiocres

dim, 07/02/2016 - 18:11

Mon éditorial sur la scandaleuse indifférence des Européens face au drame humanitaire que vivent les réfugiés est ici. Un cri de colère devant la médiocrité de nos dirigeants et la «douce négligence» d’une bonne partie de nos concitoyens.

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Parlement européen: Martin Schulz fait de la résistance

dim, 07/02/2016 - 11:33

REUTERS/Vincent Kessler

Martin Schulz rêve de se succéder à lui-même pour la seconde fois. Élu président du Parlement européen en janvier 2012, ce social-démocrate allemand a été reconduit dans ses fonctions en juillet 2014. Normalement, il est censé céder la place à un membre du PPE (Parti populaire européen) en janvier 2017, en vertu de l’accord de grande coalition passé entre les socialistes et les conservateurs (les libéraux l’appuient), mais il se démène pour rester en place. Et ainsi pulvériser les records de longévité à ce poste (7 ans et demi). Ses chances sont loin d’être négligeables, les astres politiques semblant s’aligner en sa faveur en ce début d’année.

Ce dimanche, il va accueillir à Strasbourg le diner entre la chancelière allemande et le président français afin d’avancer ses pions. Angela Merkel semble être favorable à sa reconduction : elle n’a aucune envie de le voir revenir dans le jeu politique allemand en pleine année électorale, comme il en a manifesté l’intention s’il devait quitter le perchoir, Schulz étant moins souple que Sigmar Gabriel, le patron du SPD. François Hollande n’y est pas opposé, même s’il se garde bien de prendre parti pour l’instant : outre qu’il s’entend bien avec ce francophone et francophile, il estime qu’un socialiste doit présider au moins l’une des trois grandes institutions communautaires. Or, si le Parlement passe au PPE, cela ne sera plus le cas : la Commission est présidée par le social-chrétien luxembourgeois, Jean-Claude Juncker et le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement par le libéral polonais Donald Tusk. Le seul poste important qui serait encore détenu par la gauche au sens large serait celui de ministre des Affaires étrangères de l’Union et vice-président de la Commission, en l’occurrence l’Italienne Federica Mogherini.

Un équilibre qui ne reflèterait plus celui du Parlement où les socialistes sont la seconde force politique, ni celui du Conseil européen qui comprend désormais 9 socialistes (plus le leader de Syriza, Alexis Tsipras), 8 conservateurs et 7 libéraux (les autres sont soit indépendants, soit membres des eurosceptiques de l’ECR). En outre Schulz peut faire valoir qu’il est le garant de la « grande coalition » issue des élections de mai 2014 et que lui seul peut à peu près maitriser les turbulents socialistes, bien moins disciplinés que les conservateurs. Ceux-ci auront tendance, avec un président conservateur, à jouer les guérilléros contre des institutions dominées par la droite. Autant d’arguments qui ont convaincu Juncker d’appuyer Schulz.

Le problème est que cette reconduction irait à l’encontre de l’accord écrit que Schulz a cosigné avec Manfred Weber, le patron du groupe PPE. En effet, il est de coutume depuis 1979 que les partis qui s’entendent pour former une coalition afin de se répartir les meilleures places du Parlement, en général le PPE et le PSE (à l’exception de l’accord libéraux-socialistes, entre 1979 et 1984, et celui libéraux-PPE entre 1999 et 2004) se partage le mandat de président : deux ans et demi pour chaque famille politique. Une pratique qui affaiblit le représentant de la seule institution européenne élue au suffrage universel, celui-ci n’ayant généralement pas le temps de s’imposer comme un interlocuteur de poids. Mais qu’importe : l’appétit pour l’apparence du pouvoir est plus fort que le souci de l’intérêt de l’institution.

Autant dire que l’ambition de Schulz passe mal dans les rangs du PPE qui a déjà dû avaler son élection à la tête du Parlement alors même que celui-ci venait de perdre la course à la présidence de la Commission, les élections européennes ayant été gagnées par la droite. « Dans quel pays le perdant reçoit en lot de consolation la présidence du Parlement ? », s’indigne un député. Même si personne ne remet en cause le principe du partage du mandat, beaucoup estiment que le perchoir aurait dû revenir à un autre socialiste. Alors un troisième mandat pour Schulz…

Toute la difficulté pour la droite serait d’aller à l’encontre de la volonté de la Chancelière, qui règne en maître sur le PPE : ainsi, c’est elle qui a décidé, en 2014, d’offrir le poste à Schulz, en lot de consolation, sans consulter personne. D’autant que le PPE n’a pas de candidat incontestable: seul le Français Alain Lamassoure sort des rangs, mais il souffre d’être Français, les Républicains ne pesant presque rien au sein du groupe conservateurs. Certains mettent leurs espoirs dans la présidence du Conseil européen qui pourrait être offerte à un socialiste, ce qui lèverait l’hypothèque Schulz. En effet, le nouveau gouvernement polonais semble vouloir la peau de Tusk, ancien premier ministre libéral du pays, dont le mandat doit être renouvelé à la fin de l’année pour deux ans et demi. Même si, formellement, il n’a pas besoin d’être appuyé par son pays d’origine et que les chefs d’État et de gouvernement votent à la majorité qualifiée, l’affaire semble très compliquée pour Tusk. La partie d’échecs ne fait que commencer.

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Brexit: la France, le vrai péril européen

jeu, 04/02/2016 - 11:26

« Être ou ne pas être ensemble, telle est la question ». Donald Tusk, le président du Conseil européen, qui connait ses classiques, espère que les réponses qu’il a présentées hier aux demandes du gouvernement de David Cameron convaincront les Britanniques de rester dans l’Union lors du référendum qui devrait être organisé d’ici l’été. On peut d’ores et déjà parier que cela ne sera pas le cas : la Grande-Bretagne a un problème existentiel dans sa relation à l’Union qu’aucun arrangement technique ou aucun amendement aux traités européens ne réglera jamais.

Ainsi, Londres, au fil des ans, s’est taillé un statut sur mesure, ne participant qu’aux politiques qui l’intéressent: elle n’est ni dans l’euro, ni dans l’union bancaire, ni dans la politique d’immigration et d’asile, ni dans Schengen, ni dans la politique de défense et à peine dans le budget communautaire. C’est ce que leur rappelle longuement Donald Tusk dans ses propositions : leur singularité est reconnue dans les traités eux-mêmes et jamais une décision n’a été prise en Europe qui ait nui à leurs intérêts. Bien au contraire, l’Union d’aujourd’hui est largement « made in Britain ».

Pourtant, cela ne suffit pas à une classe politique et à une opinion publique hystérisisées par une presse europhobe qui fait feu de tout bois contre ce monstre continental, toujours trop bureaucratique et pas assez libéral. On peut même parier qu’une sortie pure et simple ne réglerait absolument pas le problème. Londres continuerait à voir dans chaque décision européenne, dans chaque pas dans l’intégration, une menace pour Albion, voire une agression ! Un exemple? Un Brexit permettrait à la zone euro d’enfin rapatrier sur le continent la majeure partie des opérations en euros qui se traitent pour l’instant à la City. On peut imaginer sans peine sa réaction le jour où cela se produira. Il n’y a, au fond, que deux moyens de rassurer durablement la Grande-Bretagne. Soit en lui reconnaissant sa légitimité à diriger l’Europe : « rule Britannia », en quelque sorte. Soit en atomisant façon puzzle le projet européen afin qu’elle puisse de nouveau jouer des alliances au mieux de ses intérêts. Plus personne ne se fait d’illusion, parmi les partenaires de Londres, sur le fameux pragmatisme britannique: chantre de la mondialisation heureuse, elle persiste à rêver de l’Europe telle qu’elle était au XIXe siècle…

Cette énième crise de nerfs britannique vient utilement rappeler une nouvelle fois aux dirigeants européens que le mythe d’une Union avançant d’un même pas vers un lumineux avenir commun est définitivement mort. Le coeur du projet communautaire, aujourd’hui, c’est la zone euro qui est, avec dix-neuf pays, probablement à son extension maximale. C’est elle qu’il faut intégrer et démocratiser d’urgence, sa survie en dépend, sans plus se préoccuper des autres États membres. C’est une révolution copernicienne qui serait nécessaire: un nouveau traité à dix-neuf créant une zone euro fédérale, une Europe puissance, qui laisserait subsister la vieille Europe, celle des 28, l’Europe espace. Ainsi, on empêcherait durablement la Grande-Bretagne et ses apprentis de nuire. Si l’Allemagne y est prête, la France, elle, est ailleurs. Et c’est cette absence qui est dangereuse, bien plus qu’un Brexit.

N.B.: version longue de mon édito paru dans Libération du 3 février

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"Sauver Schengen" en aidant la Grèce

mer, 03/02/2016 - 18:58

REUTERS/Fotis Plegas

« Si je n’ai jamais voulu envisager un Grexit de la zone euro, ce n’est pas pour envisager un Grexit de Schengen » a martelé, ce matin, devant le Parlement européen réuni à Strasbourg, Jean-Claude Juncker. Pour le président de la Commission, il s’agit « d’aider la Grèce » à reprendre le contrôle de ses frontières extérieures qui sont aussi celles de l’Union, frontières par lesquelles est passée la quasi-totalité du million d’immigrants et de réfugiés qui sont entrés en Europe en 2015. Déjà sous tutelle budgétaire, Athènes n’a d’autre choix que d’accepter la tutelle sécuritaire de ses partenaires, l’enjeu étant de préserver l’espace de libre circulation menacé par le rétablissement désordonné des contrôles fixes aux frontières intérieures destiné à endiguer la vague d’immigration actuelle. « Nous sauverons Schengen en appliquant Schengen », a insisté Juncker.

Suspendre la Grèce

Ce sont les ministres de l’Intérieur des États membres qui ont signifié à la Grèce, le 25 janvier, qu’elle devait reprendre le contrôle de ses frontières avec, à la clef, la menace de rétablir durant deux ans les contrôles aux frontières intérieures avec la Grèce. Ce qui équivaut à une suspension de fait de l’espace Schengen. De fait, Athènes n’a pas fait grand-chose depuis un an pour stopper et contrôler l’afflux d’étrangers débarquant dans ses îles (entre 1200 et 6000 selon le critère retenu, dont environ 200 habités), refusant les offres d’assistance européenne au nom d’un souverainisme sourcilleux. Elle a poussé la courtoisie jusqu’à acheminer gracieusement vers la Macédoine grecque les migrants et les réfugiés afin qu’ils poursuivent leur route vers l’Allemagne et la Suède. Enfin, Athènes a trainé des pieds pour mettre en place des « hotspots » qui auraient permis de faire un premier tri entre ceux qui ont une chance d’obtenir l’asile et les autres quand elle a compris qu’il s’agissait de construire des camps de réfugiés avec le risque de se retrouver avec des centaines de milliers de personnes fixées sur place, comme en Turquie ou au Liban. Ce n’est pas un hasard si elle n’a toujours pas fourni les 20.000 places d’accueil promises en octobre dernier. Bref, tout a été fait pour repasser le bébé aux pays voisins.

Un laisser-faire qui s’est refermé comme un piège sur la Grèce lorsque les Hongrois ont fermé leur frontière puis, par effet domino, l’ensemble des pays balkaniques. Désormais, les étrangers sont coincés sur son territoire. Un changement radical de situation, qui, ajouté aux menaces d’une suspension de Schengen, l’ont enfin amené à faire appel à Frontex, l’agence européenne chargée d’aider les pays à contrôler leurs frontières extérieures, et, comme le lui demandait la Commission, à mobiliser son armée, la seule institution du pays capable de construire des camps de réfugiés. Malgré cette mobilisation, on est encore loin du compte. « Les policiers français qui ont remplacé leurs collègues grecs à Leros ne sont pas plus efficaces », se désole Alain Lamassoure, député européen (LR) : « ils ne peuvent pas enregistrer les empreintes des demandeurs d’asile dans le fichier Eurodac, car il n’y a pas d’accès internet. Donc ils passent sans être enregistrer »

«Imaginez un million de réfugiés débarquant en Corse»

Reste que le chapeau que l’on veut faire porter à la Grèce est un peu grand pour elle : « les Grecs sont débordés et on les comprend », s’exclame Alain Lamassoure. « Imaginez qu’un million de personnes débarquent en Corse ! » Aucun pays n’aurait pu stopper un tel afflux. « Si des efforts supplémentaires de la part de la Grèce sont clairement indispensables, leur portée restera limitée tant que les autres États membres n’appliqueront pas les décisions qui ont été prises, notamment en ce qui concerne le renfort en personnel pour le bon fonctionnement des hotspots, et l’accélération de la relocalisation », a reconnu Juncker. Ainsi, alors que les pays de l’Union auraient dû soulager la Grèce, l’Italie et la Hongrie de 160.000 demandeurs d’asile en deux ans, pour l’instant, seuls 400 réfugiés ont pu être relocalisés… De même, seule la Grande-Bretagne a versé sa quote-part des 3 milliards d’euros promis à la Turquie pour l’aider à fixer les réfugiés sur son sol.

Surtout, tout le monde semble avoir oublié que la Grèce est en faillite et dépend pour sa survie de ses partenaires de la zone euro: or, dans le troisième plan d’aide financière conclu en août dernier, rien ne concerne la gestion des frontières extérieures alors que la crise avait déjà commencé. Un aveuglement proprement incroyable des Européens qui semblaient penser que le contrôle aux frontières est la seule politique grecque efficace… Or, depuis 1995, date d’entrée en vigueur de la convention Schengen, on sait que ce pays est totalement incapable de contrôler ses milliers d’îles. Une solution aurait été d’en exclure la plupart de l’espace Schengen (comme pour les DOM-TOM français, par exemple), mais Athènes s’y est opposée par peur que sa souveraineté apparaisse diminuée…

Reconduire des centaines de milliers de déboutés du droit d’asile

Les défis qui attendent les Européens vont bien au-delà du cas grec qui n’est que le révélateur de l’insuffisante intégration européenne. Il faudra que, très rapidement, comme le propose la Commission, un corps de garde-frontières européens soit créé pour intégrer le contrôle des frontières. « Le budget de Frontex est passé de 80 à 140 millions d’euros », rappelle Alain Lamassoure: « Malgré cela, on est loin, très loin des 32 milliards de dollars que les États-Unis consacrent au contrôle des frontières. On y viendra: rien que le coût direct des réfugiés a représenté 30 milliards en 2015. Si on mutualise nos moyens, ce budget sera vite atteint ». Enfin, comme l’a expliqué mardi soir au groupe PPE (conservateurs) Jean-Claude Juncker, il va falloir se préparer à reconduire à la frontière les centaines de milliers d’étrangers déboutés du droit d’asile, ce qui, au-delà des questions juridiques, diplomatiques et pratiques que soulèvent ces renvoies de masse, risque de rappeler de bien mauvais souvenirs…

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Des contrôles aux frontières peau de chagrin

sam, 30/01/2016 - 14:30

Sur la droite de la rue, derrière une balustrade bleue, un empilement de panneaux. Le premier indique que le stationnement est alterné, le second, juste en dessous, mentionne que l’on entre dans la ville de Quiévrain et le troisième, une plaque ornée du drapeau européen, porte au milieu l’indication : « Belgique ». Autant dire qu’il faut vraiment faire attention pour comprendre que l’on vient de quitter la France en venant de Quiévrechain, sa sœur jumelle. Le point de passage entre la République et le Royaume est un petit pont enjambant un ruisseau. Aucun barrage routier, alors que, dans l’émotion des attentats du 13 novembre, François Hollande annonçait une « fermeture des frontières », en réalité un rétablissement des contrôles fixes comme le prévoit la Convention de Schengen. Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, martelait le 20 novembre qu’ils seraient maintenus « aussi longtemps que la menace terroriste le nécessitera ». Mais alors, où sont-ils ? Où est la police de l’air et des frontières (PAF) ?

Ni cohérent, ni compréhensible

Au moment où l’on se pose la question, une voiture de police française passe tranquillement la frontière belge et se gare à quelques mètres de là, devant un marchand de tabac. Il y en a plus d’une dizaine alignée à la queue leu leu, les taxes frappant ce produit étant bien moindre qu’en France. Les policiers entrent dans le magasin pour s’approvisionner pendant qu’un de leur collègue monte la garde à l’extérieur, près de leur véhicule. Il s’esclaffe lorsque nous l’interrogeons sur cette absence de contrôle : « on s’est posé exactement la même question ! Je reconnais que ce n’est ni cohérent ni compréhensible ». Car, à quelques kilomètres de là, sur l’autoroute A2-E19 Valenciennes-Mons-Bruxelles, l’autoroute est réduite dans le sens Belgique-France, à une bande de circulation par des plots de chantier et deux policiers accompagnés de deux militaires scrutent les voitures. Ce qui suffit à créer de gigantesques embouteillages (il y a même eu un accident mortel), surtout en semaine lorsque les camions s’ajoutent aux voitures. Il faut s’armer de patience et compter entre 40 minutes et deux heures d’attente…

Certes, pendant quelques jours, comme le raconte le policier de Quiévrechain, il y a eu des contrôles fixes entre les deux villes et un peu partout le long de la frontière franco-belge. Mais ils ont vite été levés, cette frontière étant tout simplement impossible à surveiller : « il y a 1500 points de passage possibles », s’esclaffe Dominique Riquet, député européen (UDI) de la région Nord et ancien maire de Valenciennes. « Vous imaginez le nombre de policiers qu’il faudrait ? » « Très rapidement, les habitués ont compris que les contrôles se limitaient à l’autoroute : ils passent désormais ailleurs », explique Dominique Riquet. « Ailleurs », c’est de fait le désert des Tartares. Nous l’avons vérifié sur une vingtaine de kilomètres à l’est de l’A2 : entre Crespin et Jeumont, sur les dix-neuf points de passage, nous n’avons croisé aucun pandore. Les nationales, les départementales, les chemins vicinaux serpentent entre la frontière, celle-ci étant rarement signalée, seul l’état dégradé de la chaussée indiquant qu’on se trouve du côté belge, la Wallonie n’étant pas réputée pour l’entretien de ses chaussées. La frontière passe dans les champs, dans les villages, dans les jardins des maisons, comme entre Roisin et Bry. Mieux : à Goegnies-Chaussée, elle est exactement au milieu de la rue principale. En allant vers l’Est, on roule en France, si on double, on se retrouve en Belgique… Les Français traversent la route pour aller acheter leur tabac en Belgique, et les Belges font l’inverse pour s’approvisionner en eau minérale, celle-ci étant 50 % moins chère dans l’Hexagone. Au café du coin, on se rappelle que juste après le 13 novembre, au bout de la rue de la Chaussée, là où la frontière fait un angle droit vers le sud, « la police avait établi un barrage juste avant la N6 belge ». Mais le souvenir de ce bref contrôle fait marrer les clients : « c’était de la gesticulation, ça ne servait pas à grand-chose ».

Contrôles sur l’autoroute Mons-Valenciennes

Pas d’ordinateur

Deux mois après le rétablissement des contrôles fixes, ceux-ci sont désormais réservés, sur la frontière franco-belge, à l’autoroute Mons-Valenciennes : ailleurs, on circule comme avant les attentats, par exemple en allant vers Lille. Comme si le fait que les terroristes soient venus de Bruxelles avait concentré toute l’attention policière sur ce seul tronçon autoroutier. Un contrôle qui plus est pour le moins curieusement effectué : les policiers se contentent en général de regarder les voitures défiler et lorsque, parfois, les papiers sont demandés, ils ne sont pas vérifiés par ordinateur, les policiers n’étant pas équipés de terminaux… « Si on a un doute », explique une policière, « on appelle le central et eux vérifient ». En clair, il faudrait un véritable coup de chance pour arrêter quelqu’un.

La situation est la même sur l’ensemble des frontières françaises : un ou deux points de contrôle au maximum, quasiment uniquement sur les autoroutes, comme c’est le cas entre l’Espagne et la France. Avec l’Allemagne, c’est le pont de l’Europe entre Strasbourg et Kehl qui fait l’objet des attentions policières : « ça a été l’enfer après le 13 novembre et au moment de la Saint-Sylvestre », raconte Julie qui vit à Kehl et travaille à Strasbourg. « Il y avait jusqu’à une quinzaine de policiers et l’attente durait entre 30 et 45 minutes. Maintenant, il n’y a plus que deux policiers et si on évite les heures de pointe, on passe en un quart d’heure. Mais à 18 km au nord de Strasbourg, le pont de Gambsheim, ou au sud, le pont Pfimlin à Eschau ne sont pas contrôlés… » Entre le Luxembourg et Thionville, même constat : les routes secondaires sont restées sans surveillance à la différence de l’autoroute. Au plus fort de la crise, ces contrôles ont créé un véritable chaos : jusqu’à deux heures d’attentes aux heures de pointe, ce tronçon étant déjà très encombré en temps normal à cause des frontaliers qui travaillent dans le Grand Duché… L’activité économique a été tellement perturbée que les policiers sont rapidement rentrés chez eux. Avec la Suisse, il a aussi fallu lever la garde.

Finalement, les contrôles systématiques sont réservés aux aéroports à l’arrivée en France (pas au départ des autres pays) et à certains trains internationaux. Ainsi, les passagers du Thalys, qui effectue la liaison entre Bruxelles et Paris, doivent presque systématiquement montrer leurs papiers, soit à des policiers français, soit à des patrouilles mixtes franco-belges, dans le train ou à l’arrivée à Paris. Mais là aussi, les policiers ne disposent d’aucun ordinateur leur permettant de savoir si une personne est recherchée. Et la mention « terroriste » ne figure que rarement sur les papiers d’identité… Quant aux ports et aux côtes françaises (3427 km), ils ne sont tout simplement pas surveillés.

La Belgique commence là où la route est défoncée

Des frontières incontrôlables, Schengen ou pas

En réalité, l’État français sait que ses frontières sont incontrôlables, Schengen ou non. Outre sa façade maritime, l’Hexagone compte 2889 km de frontières terrestres : 620 km avec la Belgique, 451 km avec l’Allemagne, 73 km avec le Luxembourg, 623 km avec l’Espagne, 573 km avec la Suisse, 515 avec l’Italie, Andorre, Monaco… Au ministère de l’intérieur français, on en convient : « le dispositif initial comportait un contrôle de 285 points de passage », c’est-à-dire une goutte d’eau. Il faut savoir que 200.000 personnes franchissent chaque jour, selon le ministère de l’intérieur, les frontières terrestres, soit 73 millions de mouvements par an, 84 millions si on ajoute les ports et les aéroports. Autant dire qu’il est impossible de s’assurer de l’innocuité de ces personnes, sauf à bâtir un rideau de fer…

« Ces contrôles fixes aléatoires n’ont aucun effet en terme sécuritaire », affirme Dominique Riquet. D’ailleurs, aucun terroriste n’a été arrêté au passage d’une frontière depuis le 13 novembre, même si au ministère de l’Intérieur on se vante d’avoir contrôlé 3 millions de personnes en deux mois et d’avoir refusé l’entrée à 3142 voyageurs européens ou non. Pour quel motif ? Mystère. En revanche, « l’impact sur le trafic de marchandises est important », poursuit Dominique Riquet, « car les camions sont obligés d’emprunter l’autoroute, en particulier le tronçon Mons-Valenciennes. Les transporteurs se plaignent : ces contrôles ont un impact sur le nombre de rotations de leurs camions ». La vie des frontaliers a, elle-aussi, été compliquée. La France compte entre 350.000 et 400.000 travailleurs frontaliers (Belgique, Luxembourg, Allemagne, Suisse, etc.), un nombre qui a explosé depuis 1995, date d’entrée en vigueur de Schengen. Il s’agit là d’un réservoir d’emploi vital pour des départements comme la Lorraine, la Franche-Comté ou le nord Pas de Calais (1,5 % de l’emploi salarié dans le département du nord) fortement touchés par le chômage.

Goegnies-Chaussée: la frontière suit la ligne discontinue

Un coût de 3 milliards d’euros

Selon Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, « les contrôles aux frontières intérieures vont coûter 3 milliards d’euros » à l’économie européenne en temps perdu aux frontières et en diminution de trafic de marchandise. Par exemple, « les contrôles entre la Suède et le Danemark ont un prix : 300 millions d’euros de perte de revenus. Entre le Danemark et l’Allemagne, les pertes s’élèvent déjà à 90 millions, tout comme au Luxembourg ». Selon Yves Pascouau, chercheur associé et spécialiste des questions migratoires à l’Institut Jacques Delors et à l’European Policy Center (EPC), il faut aussi tenir compte de l’impact que ces contrôles auront sur le tourisme : « les Chinois, par exemple, qui vont d’Amsterdam à Madrid, renonceront à traverser la France si cela leur fait perdre trop de temps ».

« Remettre en place des contrôles fixes coûterait une fortune », convient un diplomate français. « Il faudrait doubler les effectifs de la PAF, investir dans du matériel, notamment informatique, reconstruire des guérites qu’on a détruites, les prix des marchandises importées augmenteraient, etc. », souligne Yves Pascouau. « Ceux qui s’opposeraient à la fin de Schengen, ce serait les ministres des Finances », estime-t-il, « car ce serait un suicide économique. On oublie que Schengen a été mis en place à la demande des acteurs économiques qui perdaient trop d’argent au passage des frontières intérieures », le marché intérieur européen s’accommodant mal d’obstacles à la libre circulation. Pis : comme l’a souligné Jean-Claude Juncker, une monnaie unique sans libre circulation et donc sans confiance, signifierait à terme la fin de l’euro. « Surtout, l’image que l’on a de Schengen est fausse », insiste Yves Pascouau : « un espace sans contrôle fixe ne veut pas dire sans sécurité. Schengen, c’est un fichier central, des coopérations policières et douanières en profondeur de part et d’autre des frontières, un droit de poursuite et de filature pour les policiers sur le territoire voisin, etc. ».

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 28 janvier

Photos: J.Q.

Catégories: Union européenne

La dérive autoritaire de la France inquiète Bruxelles

ven, 29/01/2016 - 20:05

La France sous état d’urgence pourrait-elle adhérer à l’Union européenne ? Cette boutade d’un haut fonctionnaire européen en dit long sur l’inquiétude qui commence à poindre à Bruxelles face au virage sécuritaire effectué par le gouvernement français pour contrer le terrorisme. La prolongation de l’état d’urgence, alors même qu’il n’a donné, jusqu’au présent, aucun résultat concret, le projet de loi renforçant les pouvoirs de l’exécutif au détriment du juge judiciaire, la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés « pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation », la loi sur le renseignement intérieur autorisant une surveillance de masse, autant de mesures qui seraient reprochées à tout impétrant à l’Union européenne. Mais, pour l’instant, l’onde de choc des attentats du 13 novembre paralyse encore toute critique publique qui serait perçue comme une absence de solidarité des partenaires européens.

« Une année qui commence avec Charlie Hebdo et se termine avec le Bataclan montre que la France est bien en état d’urgence », affirme ainsi Martin Schulz, le président du Parlement européen (socialiste, Allemagne), dans un entretien à paraître dans Libération sur la dérive autoritaire de plusieurs pays de l’Union. « Le gouvernement français veut donner aux forces de l’ordre les moyens nécessaires d’agir préventivement, c’est compréhensible ». Au Conseil des ministres, l’instance où siège les représentants des États, les partenaires de la France se montrent tout aussi compréhensifs : « je n’ai eu aucune remarque de mes collègues sur les mesures que nous adoptons », raconte un diplomate hexagonal. « Chacun comprend bien qu’il faut que nous nous défendions ».

Reste que la « compréhension » n’exclut pas certains avertissements feutrés : « il faut être vigilant : ces mesures doivent demeurer compatibles avec les droits fondamentaux et de ce point du vue je considère que le débat qui a lieu en France honore la gauche », estime Martin Schulz, même s’il juge que, pour l’instant, « il est trop tôt pour conclure » que la balance entre sécurité et liberté penche dangereusement vers la première. Mais certains de ses collègues sont moins prudents : la semaine dernière, en plein débat sur la dérive autoritaire du gouvernement polonais, Sophie In’t Velt (libérale néerlandaise) n’a pas hésité à se demander « s’il ne faudra pas un jour se poser la question de la France ». Sylvie Goulard, elle aussi libérale, juge « la situation malsaine » : comment Manuel Valls peut-il conditionner la fin de l’état d’urgence à la défaite de Daech « alors que ce groupe est en Syrie, en Irak, en Libye. On va vivre sous ce régime pendant 30 ans ? »

En off, beaucoup d’eurodéputés, notamment français, y compris à droite, sont sur la même longueur d’onde. Car il n’a échappé à personne que ni l’Espagne, ni la Grande-Bretagne, eux-aussi confrontés il y a dix ans au terrorisme islamiste de masse, pas plus que les pays européens qui ont eux-aussi eu à souffrir des exactions de groupes armés, n’ont adopté l’équivalent de l’état d’urgence. Mais ces élus estiment que, dans l’actuelle orgie sécuritaire post-attentat, toutes les voix divergentes seraient inaudibles et surtout mal interprétées. Pis, elles n’intéressent guère les médias. Jean Arthuis, président de la commission du budget, nous a ainsi confié qu’il avait cherché à exprimer son désaccord, mais qu’il n’avait pas trouvé preneur…

Dans les couloirs de la Commission, on se demande d’ailleurs comment critiquer utilement la « patrie des droits de l’homme » alors qu’elle vient de subir une série d’attentats sanglants. N’y a-t-il pas un risque d’être pris en porte-à-faux, d’être accusé d’angélisme, si, demain, un groupe terroriste frappait à nouveau l’Hexagone ou un autre pays ? Le précédent des réfugiés a aussi enseigné la prudence à l’exécutif européen, lui qui a immédiatement soutenu la politique d’ouverture d’Angela Merkel et condamné l’érection d’un mur par la Hongrie. Résultat, il se retrouve aujourd’hui aussi isolé que l’est la chancelière allemande… Depuis les attentats du 13 novembre, on notera d’ailleurs que les commissaires européens se sont soigneusement tenus à l’écart des projecteurs sur un sujet considéré comme trop « explosif ».

Reste qu’on a bien conscience, à Bruxelles, qu’il est impossible de continuer à critiquer les dérives autoritaires du gouvernement hongrois de Viktor Orban ou d’ouvrir une enquête sur les atteintes à l’État de droit en Pologne, tout en ignorant ce qui se passe en France où le juge judiciaire est désormais considéré comme un gêneur. Les pays de l’Est pourraient à bon droit estimer qu’il y a bien deux poids deux mesures. Afin de faire sortir la Commission de son immobilisme actuel, le groupe libéral du Parlement européen vient de demander qu’un débat soit organisé sur les lois d’exception françaises et que l’exécutif européen ouvre une enquête pour s’assurer que l’État de droit n’a pas été violé.

N.B. Article paru dans Libération du 25 janvier

Catégories: Union européenne

"Le pessimisme de l'intelligence" de Jean-Claude Juncker

lun, 18/01/2016 - 08:01

« Je ne me fais pas sur l’année qui pointe trop d’illusions », a lancé vendredi à la presse européenne un Jean-Claude Juncker particulièrement sombre : « je suis impressionné par le nombre de fragilités » et par les « ruptures » qui sont apparues au sein de l’Union au cours de l’année 2015 qui restera celle d’une « polycrise non maitrisée » : l’Ukraine, la Grèce, les réfugiés, le terrorisme. « L’Union ne se trouve pas dans un bon état » et le président de la Commission n’hésite pas évoquer « le début de la fin ».

Jean-Claude Juncker fait ainsi écho à notre analyse publiée dansLibération du 2 janvier dans laquelle nous nous demandions, provocateur à dessein, si 2016 ne marquerait pas la fin de l’idée européenne. Que ce sombre diagnostic soit repris par l’un des principaux responsables de l’Union, la dénégation étant plutôt la marque de fabrique de la Commission, en dit long sur l’ampleur de la crise qui menace de « destruction un édifice qui a été bâti au prix de tant de peine et au milieu de tant d’espoirs », pour reprendre les mots qu’employa le général de Gaulle 27 novembre 1967 pour refuser l’adhésion de la Grande-Bretagne. Jean-Claude Juncker ne croyait pas si bien dire lorsqu’il annonçait en prenant ses fonctions fin 2014 que sa Commission serait celle de « la dernière chance »…

Pour le président de la Commission, il ne faut pas chercher bien loin les responsables de ce délitement qui menace : les gouvernements des États membres qui se laissent tous peu à peu gagner, qu’ils soient de droite ou de gauche, par le populisme et le nationalisme. « Ma génération n’est pas une génération de géants », comme celle de François Mitterrand, d’Helmut Kohl ou de Jacques Delors, a martelé Jean-Claude Juncker, mais celle « de faibles héritiers qui oublient vite. Que laisserons-nous derrière-nous ? », s’interroge-t-il accablé.

Cette médiocrité des élites nationales est, de fait, le problème cardinal de l’Union, celle-ci n’étant pas une fédération achevée. Que seraient aujourd’hui les États-Unis s’ils avaient continué à être dirigés, comme au départ, par un collège de 50 gouverneurs statuant à l’unanimité ? Or, c’est exactement la façon dont l’Union est gouvernée sauf dans deux domaines très précis dans lesquels les Etats ne peuvent pas mettre leur nez : la politique de concurrence et surtout la politique monétaire. Ainsi, sans la Banque centrale européenne à la manœuvre, la zone euro aurait sans aucun doute explosé en plein vol en 2010 : les gouvernements, surtout soucieux de défendre leurs intérêts nationaux à courte vue, n’ont bougé que parce que Francfort avait les moyens de les y forcer. Mais aujourd’hui, il n’y a aucun Mario Draghi doté des mêmes compétences fédérales pour contraindre les États à coopérer pour régler la crise des réfugiés, ce qui impliquerait au minimum une vraie diplomatie communautaire, ou à coopérer dans la lutte contre le terrorisme. La Commission et le Parlement européen peuvent seulement les supplier de rester unis, ce qui pour l’instant n’a pas produit de grands résultats.

Jusque-là, cet édifice brinquebalant a plus ou moins tenu grâce à des dirigeants nationaux de talents, profondément persuadés que le projet européen était une condition de survie dans un monde où l’occident se marginalise rapidement. Le temps où un Helmut Kohl ou un François Mitterrand imposaient l’euro à leurs citoyens réticents n’est plus qu’un lointain souvenir. Que Angela Merkel, qui n’a jamais porté un projet européen construit, soit devenue la clef de voute de l’édifice en dit long sur la médiocrité générale. En quatre ans, par exemple, François Hollande a été incapable d’articuler la moindre pensée européenne, non pas par manque d’idées, mais par absence de courage politique vis-à-vis d’une gauche divisée sur le sujet. Curieusement, il n’a pas fait montre des mêmes atermoiements pour défendre la très contestable déchéance de nationalité pour les binationaux coupables d’atteintes aux intérêts de la nation… On peut aussi citer, comme l’a fait un Juncker furieux contre cet Européen de pacotilles, Matteo Renzi, qui passe son temps à rendre responsable la Commission de toutes ses difficultés. Résultat : plus de 40 % des Italiens sont désormais favorables à une sortie de l’Union. Et que dire de David Cameron, le Premier ministre britannique, qui joue à la roulette russe avec l’avenir de son pays et de l’Union ?

L’incapacité des dirigeants nationaux à penser au-delà de leurs frontières nationales ne peut qu’avoir des conséquences désastreuses. Par exemple, comme l’a rappelé Juncker, « à quoi bon avoir une monnaie unique si nous ne pouvons pas voyager librement ? Schengen risque de mettre fin » à l’euro. De même, le refus de toute solidarité dans la crise des réfugiés risque de faire imploser le budget européen : pourquoi continuer dans ces conditions à verser à la Pologne ou à la Hongrie 4 % de leur PIB chaque année ? Néanmoins, Jean-Claude Juncker refuse de « baisser les bras » et jure qu’il fera tout pour éviter l’effondrement. Une application de la maxime d’Antonio Gramsci : « je suis pessimiste par l’intelligence, mais optimiste par la volonté ».

N.B.: version longue de mon analyse parue dans Libération du 16 janvier

N.B.: L’intervention de Jean-Claude Juncker est ici et les questions des journalistes sont ici.

N.B.: Image empruntée à ce site: http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?...

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«L'orbanisation» de l'Union européenne

mar, 12/01/2016 - 23:18

REUTERS/Srdjan Zivulovic

Viktor Orban est-il le vainqueur idéologique de la crise des réfugiés à laquelle l’Union européenne est confrontée ? La politique brutale menée par le Premier ministre conservateur hongrois qui, pour stopper l’afflux de migrants (400.000 personnes entre janvier et octobre, essentiellement syriennes et irakiennes), a construit un mur à sa frontière avec la Serbie et la Croatie et traduit en justice ceux qui le franchissent, semble désormais faire école. Des murs, plus ou moins hermétiques, ont surgi en Slovénie, en Macédoine, en Autriche, en Bulgarie et, un peu partout, les contrôles aux frontières intérieures, y compris en Allemagne et en Suède, ont été rétablis au risque de mettre en péril l’espace Schengen de libre circulation. La générosité tentée par Angela Merkel ou Stockholm n’est plus de mise : le million de réfugiés qui a gagné les pays européens en 2015, l’afflux le plus important depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a eu raison de la bonne volonté des pays les plus accueillants.

Le ton est donné par les conclusions du Sommet européen des 17 et 18 décembre dernier : alors qu’à l’issue de leur rencontre de la mi-octobre, les vingt-huit dirigeants européens parlaient encore de «solidarité», il n’est plus question cette fois-ci que «d’endiguer l’afflux» et de «reprendre le contrôle des frontières extérieures», donnant ainsi raison à Orban qui se pose depuis le début de la crise en défenseur de l’Union. L’heure semble bel et bien à la construction d’une «Europe forteresse», celle-là même que le monde accusait les Européens de vouloir mettre en place dans les années 80, lors de la signature des accords de Schengen, ce dont ils se défendaient… Cruelle ironie.

Inconséquence européenne

Reste que jamais l’Union n’a paru aussi fragile. Angela Merkel l’avait pressenti dès août dernier lorsqu’elle pronostiquait que les réfugiés allaient davantage occuper l’Europe au cours des prochaines années que la crise grecque et lui poseraient des défis autrement plus graves. Car, une nouvelle fois, les pays européens ont été pris par surprise par une crise que tout annonçait : comment imaginer que l’Union, un espace de paix et de prospérité sans équivalent dans le monde, qui plus est à portée de bateau, allait pouvoir rester à l’écart des conflits du Moyen-Orient alors même qu’elle y prend une part active ? Qui pouvait penser que les millions de réfugiés syriens et irakiens allaient bien sagement attendre sur place ou dans les pays voisins que les conflits qui ensanglantent la région se terminent ? Surtout, comment penser que la Grèce, un pays en faillite et à l’administration totalement inefficace, parviendrait, seule, à faire face à un tel afflux ?

Un élan épuisé

Pourtant, dès la chute du rideau de fer, en 1989, suivi par la guerre dans l’ex-Yougoslavie, les pays européens ont pris conscience qu’ils risquaient d’être un jour confrontés à des migrations massives. Les Douze de l’époque ont alors mis en place une coopération à la fois dans le domaine de l’immigration (le groupe ad hoc immigration) et développé celle existant déjà dans le secteur policier (le groupe TREVI). La convention d’application des accords de Schengen de 1995 a repris une grande partie de ces avancées qui ont ensuite été intégrées aux traités européens. François Mitterrand et Helmut Kohl avaient proposé à la fin des années 80 la création d’un corps de garde-frontières européens, conscients qu’il fallait mutualiser les moyens. Cette proposition a été relancée au début des années 2000 par le commissaire à la justice et aux affaires intérieures de l’époque, le Français Jacques Barrot, qui avait en outre proposé une harmonisation du droit d’asile afin d’éviter que les réfugiés cherchent à aller dans les pays les plus généreux. Mais, l’élan était déjà épuisé : les ressortissants d’Europe de l’Est n’avaient pas déferlé dans l’Union comme le craignait Pierre Joxe lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, et les réfugiés de l’ex-Yougoslavie avaient eu le bon goût de se précipiter en Allemagne avant de repartir chez eux à la fin de la guerre. Comme toujours, tant que la crise n’est pas aigüe, les États ne voient aucune urgence de partager leur souveraineté, comme on a pu le constater une nouvelle fois avec la crise de la zone euro ou le terrorisme.

Lorsque à partir de l’été 2015, le nombre de demandeurs d’asile a explosé (50 % des arrivants sont Syriens, 20 % Afghans et 7 % Irakiens), et qu’il est devenu évident que l’Union était confrontée à un phénomène sans précédent, les pays européens ont réagi en ordre dispersé. L’Allemagne, l’Autriche et la Suède se sont montrées très ouvertes, les pays d’Europe centrale et orientale très fermés et les autres, dont la France, ont croisé les doigts pour que les réfugiés ne viennent pas chez eux. Et la Grèce a laissé passer tout le monde, allant même jusqu’à transporter les demandeurs d’asile jusqu’à la frontière macédonienne pour leur permettre de poursuivre leur route vers l’Europe de l’Ouest.

Refus de solidarité

Si chacun est désormais d’accord sur la nécessité de renforcer les contrôles aux frontières extérieures et de s’appuyer sur la Turquie afin de limiter et d’ordonner l’afflux, l’accord est encore très loin d’être total, des failles profondes persistant entre les pays européens. Ainsi, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Tchéquie refusent fermement toute solidarité dans la répartition des demandeurs d’asile, alors qu’ils bénéficient largement des fonds européens (à hauteur de 4% de leur PIB), de la libre circulation qu’ils ne veulent pas voir limitée au profit de la Grande-Bretagne et de l’appui de leurs partenaires dans la crise ukrainienne. Pour eux, la religion musulmane est irréductible à la civilisation occidentale et ils sont prêts à employer la manière forte pour s’opposer à des arrivées non désirées. Une attitude qui montre à quel point ils ne partagent pas les valeurs européennes de tolérance et d’ouverture au monde. De même, ces pays, avec la Grèce, refusent la proposition de la Commission de créer un corps de garde-frontières européen qui pourrait intervenir aux frontières extérieures y compris contre l’avis du pays débordé. En clair, il y a aussi une fracture est-ouest, entre les pays qui pensent qu’il faut agir ensemble pour faire face à un défi extérieur et ceux qui restent persuadés que la souveraineté étatique est le meilleur rempart. Une telle attitude pourrait se traduire par une scission de l’Union, la solidarité ne pouvant pas être à sens unique. La «victoire» d’Orban est peut-être une victoire à la Pyrrhus : pour l’instant, une majorité de pays européens refusent de renier les valeurs qui ont fondé l’Union, même si le terrorisme et les incidents graves manifestement organisés lors de la nuit de la Saint-Sylvestre dans plusieurs villes allemandes pourraient avoir raison de cet attachement..

N.B.: article paru dans Libération du 4 janvier

Voir aussi mon entretien à Euronews, ici.

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L'Europe au bord de l'abîme

mar, 12/01/2016 - 20:17

François Hollande, tout à sa défense de la patrie française menacée par de sanglants binationaux, n’a pas prononcé le mot Europe lors de ses voeux, le 31 décembre. Un oubli? Que nenni! Un signe. L’Europe est clarement menacée d’implosion à cause de la médiocrité des dirigeants nationaux. Mon analyse est ici. http://www.liberation.fr/planete/2016/01/01/crise-apres-crise-l-europe-fonce-vers-l-abime_1423901

Mais ne désespérons pas, le pire n’est pas toujours certain! Bonne année 2016 à tous!

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