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Gerard Deprez: "Pour un FBI européen"

mar, 27/12/2016 - 19:45

Pour Gérard Deprez, député européen (libéral belge), membre de la commission des Affaires intérieures, l’échange de renseignements entre les services européens est loin d’être optimale, faute de confiance. Au lendemain de l’attentat de Berlin, il milite pour la création d’un FBI européen.

La première réaction des démagogues en Europe a été d’incriminer la politique d’accueil des réfugiés d’Angela Merkel.

Faut-il rappeler que les attentats qui ont ensanglanté les sols français et belges ont été commis par des Français et des Belges ou des étrangers titulaires d’une carte de séjour qui n’avaient rien à voir avec les réfugiés arrivés récemment ? Qu’il y ait parmi les réfugiés quelques terroristes infiltrés, c’est une évidence, mais cela ne signifie nullement qu’ils soient un vivier du terrorisme. Oui, il y a des criminels parmi les demandeurs d’asile, comme il y en a au sein de notre population, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on a un code pénal et des prisons ! Cet amalgame entre réfugiés et criminalité est insupportable.

Néanmoins, plusieurs attentats ont été commis par des personnes infiltrées parmi les réfugiés ou par des Européens partis combattre en Syrie.

C’est pour cela que nous avons prévu le contrôle systématique de toutes les personnes qui pénètrent dans l’espace Schengen, y compris les ressortissants européens. C’est important, car les returnees, ceux qui sont partis combattre avec Daech et reviennent en Europe, ont la nationalité de nos pays : on pourra ainsi les arrêter lorsqu’ils franchiront la frontière. De même, on a créé un PNR européen qui permettra de repérer les personnes qui ont des comportements suspects. Dans les hotspots qui ont été installés en Grèce et en Italie afin d’enregistrer les demandeurs d’asile, des agents nationaux et d’Europol ont été détachés afin de repérer les individus suspects.

La coopération entre polices européennes dans la lutte anti-terroriste est-elle suffisante ?

Il est très difficile de répondre à cette question. Pourquoi ? Parce que les services de police ont l’habitude de coopérer et d’échanger des informations entre des personnes qui se font mutuellement confiance. Plus les gens se connaissent, plus ils se font confiance, plus ils échangent du renseignement. A l’inverse, moins on se connaît, moins on a de certitude sur la fiabilité de l’autre et plus on est réticent à communiquer des informations. La confiance ne se décrète pas, elle se construit.

L’Union ne peut-elle au moins fournir un cadre qui permette un échange minimal d’informations entre services européens ?

Nous nous sommes battus au Parlement européen, en vain, pour obtenir un échange automatique d’informations. Ainsi, nous voulions que, dans le Système d’information Schengen (SIS), accessible aux agents chargés du contrôle des frontières extérieures, figurent les personnes qui sont suspectées de terrorisme ou poursuivies pour des faits de terrorisme. Les États membres ont refusé tout net. Même chose pour le PNR européen qui est en fait constitué de 28 PNR nationaux et non d’un fichier central : l’échange de données est laissé à l’appréciation des Etats, y compris pour les faits de terrorisme… Autrement dit, l’utilisation des instruments européens existants n’est pas du tout optimale faute de confiance entre les services. C’est pour cela qu’il est important d’organiser des rencontres régulières entre les responsables européens des services antiterroristes afin qu’ils se connaissent et tissent des liens de confiance. Après, comme tout le monde a besoin de renseignements, la coopération se développera.

Faut-il créer une agence de renseignements européenne ?

J’y suis favorable. Il faut donner à Europol le pouvoir de mener des enquêtes en matière de terrorisme et lui permettre d’avoir accès à tous les renseignements détenus par les vingt-huit pays. Actuellement, il peut seulement accompagner des enquêtes ou organiser des échanges d’informations. Le problème est que le traité européen précise expressément que le renseignement est une compétence nationale…

Qui dit FBI européen dit contrôle judiciaire européen.

C’est pour cela que le Parlement voulait donner des compétences dans le domaine de la lutte antiterroriste au parquet européen qui va bientôt voir le jour. Mais il ne sera compétent que dans la lutte contre la fraude au budget communautaire… Si les États acceptent de coopérer, ils acceptent beaucoup plus difficilement de transférer de la souveraineté au niveau européen, surtout dans les domaines régaliens.

Les Européens doivent-ils réapprendre à vivre avec la violence sur leur propre sol ?

Après la chute du mur de Berlin, on a considéré qu’on était entré dans une ère de pacification et nous avons baissé la garde, tant du point de vue militaire que policier. Regardez les coupes sombres dans les budgets consacrés à la sécurité ! Aujourd’hui, nous sommes désarmés, tant psychologiquement que militairement parce que nous avons sous-estimé l’impact du monde extérieur sur nos sociétés. Nous devons nous réarmer dans tous les sens du terme pour réduire la menace et c’est collectivement que nous y ferons face. Le repli sur le réduit national prôné par les démagogues est une chimère. Mais soyons clairs : quelles que soient les mesures prises, on n’éliminera jamais le risque terroriste.

N.B.: article paru dans Libération du 21 décembre

Catégories: Union européenne

Réfugiés syriens: l'inhumanité du gouvernement belge

ven, 23/12/2016 - 18:38

Alors que les derniers civils et rebelles quittent Alep, le gouvernement belge campe depuis plusieurs semaines sur son refus d’accorder un visa humanitaire à une famille musulmane de cette ville martyre, bien qu’il a été condamné à s’exécuter par plusieurs tribunaux. Une telle inhumanité ne surprend guère lorsque l’on sait que le secrétaire d’État à l’Asile et à la migration, Theo Francken, qui refuse d’obtempérer à ces décisions de justice, est un dur de la N-VA, le parti indépendantiste de droite radicale flamande. Il a même récemment envisagé une alliance avec l’extrême-droite du Vlaams Belang, un tabou absolu jusqu’ici outre-Quiévrain.

Cette famille d’Alep, un couple et deux enfants âgés de 5 et 8 ans, a décidé de passer par la voie légale pour se réfugier en Belgique plutôt que de fuir vers un pays voisin et de s’en remettre à des passeurs avec les risques que cela comporte. Ils ont donc demandé, par l’intermédiaire d’une famille belge de Namur, la capitale wallonne, un visa afin de pouvoir obtenir l’asile une fois sur place. Ces Syriens, dont l’identité n’a pas été révélée pour d’évidentes questions de sécurité, connaissent depuis longtemps les Belges qu’ils ont rencontrées lors de séjours à Istanbul : les Namurois se sont même engagés à les héberger et ont déjà trouvé une école pour accueillir les enfants et un emploi pour le père. En dépit de ces garanties, l’Office des étrangers a refusé la demande de visa. Saisi, le « Conseil du contentieux des étrangers », une juridiction administrative spécialisée, a annulé à deux reprises la décision de l’Office pour insuffisance de motivation. À chaque fois, comme il en a l’habitude, l’Office a copié-collé la même décision. Un rien lassé, le 20 octobre, les juges ont ordonné, en se fondant sur une jurisprudence du Conseil d’État belge sur les « mesures provisoires », que des visas de trois mois soient délivrés dans les 48 heures, vu la situation à Alep. Aussitôt, Theo Francken s’est pourvu devant le Conseil d’État.

Parallèlement, les avocats de la famille syrienne ont saisi le président du tribunal de première instance de Bruxelles qui a ordonné, en procédure d’extrême urgence, la délivrance des visas et laissez-passer sous peine d’une astreinte de 4000 € par jour de retard. Une ordonnance confirmée le 7 décembre par la Cour d’appel de Bruxelles qui, sans se prononcer sur le fond, a relevé que l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers s’impose à l’État belge et que le recours devant le Conseil d’État n’est pas suspensif.

Néanmoins, Theo Francken, soutenu par le Premier ministre Charles Michel (libéral francophone du MR) et les autres partis de la majorité (démocrates-chrétiens flamands du CD&V et libéraux flamands du VLD), a refusé de s’exécuter. Pour lui, accorder des visas relève du pouvoir discrétionnaire de l’État et céder aux juges « créerait un précédent ». Le fait que les Syriens soient musulmans n’est peut-être pas étranger à son inflexibilité, puisqu’il a par ailleurs déjà accordé 230 visas humanitaires à des familles syriennes chrétiennes… Avec un cynisme étonnant, Theo Francken et Charles Michel ont proposé que la famille syrienne soit accueillie par le Liban (qui n’a rien proposé), un pays qui héberge déjà 1,5 million de réfugiés syriens, soit 25 % de sa population...

Son parti, la N-VA, a aussitôt lancé une campagne sur les réseaux sociaux : « les juges doivent appliquer strictement la loi et ne pas ouvrir grandes nos frontières ». Ou encore : « pas d’astreinte et pas de juges hors du temps. Pas de papier belge pour chaque demandeur d’asile dans le monde #jesoutiensTheo ». Bart de Wever, le leader du parti indépendantiste et maire d’Anvers, en a rajouté une couche en dénonçant « le gouvernement des juges » : « si un juge veut faire les lois, il doit figurer sur une liste et demander le jugement du citoyen ». Une violente campagne relayée par quelques journaux néerlandophones, comme le quotidien Het Laatste Nieuws qui, le week-end dernier, n’a pas hésité à publier la photo d’une conseillère de la cour d’appel de Bruxelles en précisant qu’elle était mariée avec un étranger… «Solution» proposé par le gouvernement fédéral: envoyer la famille au Liban qui accueille déjà, dans des conditions précaires, 1,5 millions de réfugiés (pour une population de 4,5 millions d’habitants).

Outre l’inhumanité que manifeste Bruxelles, le refus de l’État d’exécuter une décision de justice est sans précédent dans une démocratie occidentale. La réaction du monde judiciaire est à la hauteur de l’événement : ainsi, pour le premier président de la Cour de cassation, la Belgique se comporte comme un « État voyou ». « L’État de droit et la démocratie belge sont gravement menacés », a estimé, de son côté l’Association syndicale des magistrats : « Les décisions de justice exécutoires doivent être respectées non seulement par les citoyens mais aussi par les politiciens et le fait qu’ils soient élus ne les autorise pas à violer la Constitution, les traités internationaux et la loi. Les juges ne sont pas leurs partenaires, ni leurs subordonnés encore moins les auxiliaires de leur politique ».

Il faut, comme toujours dans le Royaume, chercher la logique communautaire dans cette affaire. Le fait que les juges qui ont rendu la série de décision condamnant l’État belge soient tous francophones (la justice est scindée entre francophones et néerlandophones sauf dans quelques cas) n’est pas étranger à la mobilisation des indépendantistes flamands. Ainsi, Bart De Wever s’en est pris à « cette décision d’un magistrat, un francophone membre du Conseil du contentieux des étrangers », une précision qui a son importance tout comme le fait que la famille d’accueil soit wallonne et donc francophone… Le but de la N-VA est manifestement de fragiliser un peu plus la Belgique.

Au-delà, le gouvernement belge envoie le plus mauvais signal qui soit : en refusant un visa en bonne et due forme à une famille qui remplit manifestement les critères pour obtenir l’asile, il encourage les réfugiés à entrer clandestinement en Europe, puisqu’une une fois sur place, leur demande de statut de réfugié sera obligatoirement examinée…

N.B.: article paru dans Libération du 18 décembre. Theo Francken n’a guère apprécié et s’est défendu sur Twitter (voir ma TL) en néerlandais, nonobstant le fait que je suis Français. Il a finalement accepté que je l’interviewe, mais aucune nouvelle depuis.

Catégories: Union européenne

La Chine, une «économie de marché» en trompe l'œil

jeu, 15/12/2016 - 16:26

Photo: JQ

Ce lundi, la Chine est officiellement devenue une «économie de marché» comme une autre. En effet, la période de 15 ans convenue lors de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (0MC) en 2001, pendant laquelle ses partenaires pouvaient la traiter comme une économie en transition, est arrivée à échéance dimanche à minuit. Pourtant, ce pays communiste, qui s’est certes converti au capitalisme à partir de 1978, ne remplit toujours pas les critères d’une économie de marché fonctionnelle, comme l’a admis, le 17 mars dernier, la libérale suédoise, Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée du commerce : l’État contrôle et subventionne ses entreprises, fixe les prix sur son marché, s’oppose à toute concurrence étrangère sur son sol, intervient sur les marchés financiers ou encore manipule son taux de change. Ce n’est pas un hasard si la Chine se situe, en 2016, au 144e rang mondial en matière de liberté économique, juste derrière le Libéria et devant la Guinée-Bissau, selon le classement effectué chaque année par le think tank américain Heritage Foundation… Décryptage.

· S’agit-il d’une révolution ?

Pour la Commission, il s’agit d’un « non-événement » qui ne change rien à ce qu’est la Chine. De fait, le vocable « économie de marché » n’impacte que la façon dont les pays importateurs de produits chinois exercent leur défense commerciale par des mesures anti-dumping et anti-subventions. Ainsi, tant qu’un État membre de l’OMC ne bénéficie du « statut d’économie de marché » (SEM), un pays importateur, pour déterminer si des produits importés le sont à un prix anormalement bas, est autorisé à ne pas tenir compte du prix pratiqué sur le marché intérieur de l’État exportateur, ce qui est la procédure normale, puisque celui-ci est, par hypothèse, manipulé. Le prix « réel » est donc reconstitué à partir d’un marché « analogue », mais fonctionnant selon les règles de l’économie de marché, ou en analysant son coût normal de production. Ainsi, si un produit X est importé au prix de 100 €, exactement au prix du marché chinois, mais que ce même produit serait vendu sur un marché analogue 120 €, la marge de dumping sera donc de 20 €.

Cette méthode facilite l’usage des instruments de défense commerciale et donc la lutte contre la concurrence déloyale. Ce n’est pas un hasard si 56 des 73 mesures anti-dumping de l’Union actuellement en vigueur s’appliquent aux importations chinoises et que les droits imposés (43% en moyenne par rapport au prix d’importation) sont plus élevés que pour les pays dotés du SEM (19 % en moyenne). Mieux : selon le CEPII, un centre de recherche sur l’économie mondiale, ces mesures ont un effet sur les prix des produits voisins, mais non directement touchés par les droits de douane punitifs, qui augmentent en moyenne de 4 à 14 %... Des chiffres qu’il faut cependant relativiser, puisque ces droits de douane punitifs ne frappent que moins de 3 % des produis chinois en valeur.

· Quel va être l’impact sur l’économie européenne ?

Le changement de méthode dans le calcul des droits antidumping va paralyser les instruments de défense commerciale de l’Union à l’égard de la Chine puisque, désormais, il faudra tenir compte des seuls prix pratiqués sur le marché chinois qui ne reflètent pas la réalité des coûts de production. En clair, il deviendra extrêmement difficile d’établir un dumping, ce qui revient à laisser les mains libres à Pékin… Selon le CEPII, cela se traduirait, à instruments de défense commerciale inchangé, par une augmentation des importations européennes en provenance de Chine pouvant atteindre 21 % (de 342 milliards à 414 milliards d’euros), ce qui impactera non seulement l’industrie européenne dans les secteurs de la céramique, de l’aluminium et autres métaux, du verre et des machines et appareils électriques, mais aussi les importations des pays tiers. L’effet en termes d’emplois risque d’être catastrophique : une étude de l’Economic Policy Institute de Washington a évalué que les pertes de postes dans l’Union pourraient atteindre entre 1,7 et 3,5 millions (dont jusqu’à 350.000 en France, 416.000 en Italie, 639.000 en Allemagne, etc.).

· L’Union peut-elle refuser de reconnaître le statut d’économie de marché à la Chine ?

Barack Obama, le président américain, a décidé, poussé par son Congrès, de ne pas accorder le statut d’économie de marché à la Chine. Pour les États-Unis, le protocole de 2001 n’a aucun caractère d’automaticité, puisqu’il précise que la Chine doit préalablement remplir les conditions d’une économie de marché. Interrogé par Libération, Pascal Lamy, qui a négocié ce fameux protocole, estime que « les Américains ont tort et ils vont se faire poursuivre devant l’OMC ». Et s’ils perdent, cela risque de leur coûter très cher en mesures de rétorsion… Plus de 80 pays dans le monde ont déjà, sans même attendre l’échéance de dimanche, reconnu le SEM à la Chine, dont le Brésil, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore la Suisse. Ce qui affaiblit la position américaine. L’Union, pour sa part, n’a aucune intention d’entrer en guerre avec la Chine par intérêt bien compris, celle-ci étant l’un des acteurs clefs de son économie: elle est la deuxième partenaire commerciale des Vingt-huit avec des flux commerciaux quotidiens de plus d’un milliard d’euros et le marché chinois est la principale source de profit pour de nombreuses entreprises et marques européennes.

· L’Union va-t-elle rester l’arme au pied ?

Refuser de prendre à rebrousse-poil Pékin ne veut pas dire ne rien faire. Comme l’a récemment martelé Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, le temps de la « naïveté » européenne est terminé. L’exécutif européen a donc proposé, le 9 novembre dernier, de resserrer les mailles de sa législation anti-dumping et anti-subventions pour continuer à « lutter contre les distorsions de marché, mais sans désigner spécifiquement la Chine », explique-t-on à Bruxelles. « En fait, on va résoudre la question chinoise sans la traiter spécifiquement », explique un fonctionnaire de la Commission : « Nous allons abandonner la liste noire des pays membres de l’OMC qui ne sont pas des économies de marché et appliquer une nouvelle méthodologie anti-dumping à tout le monde, ce qui va empêcher les Chinois de hurler à la discrimination. Comme dans le Guépard de Visconti, « il faut tout changer pour que rien ne change »». Ainsi, pour analyser les distorsions de concurrence, l’Union ne prendra pas seulement en compte les prix sur le marché intérieur, mais aussi les politiques publiques et l’influence de l’Etat, la prédominance des entreprises publiques, la discrimination en faveur des entreprises nationales ou encore l’indépendance du secteur financier. Et l’administration de la preuve par les entreprises européennes sera facilitée. « Avec cette méthode, le niveau des droits antidumping qui frappe la Chine sera équivalent au niveau actuel », affirme la Commission. En attendant que les vingt-huit Etats et le Parlement européen adopte cette nouvelle législation, sans doute d’ici un an, l’ancien système continuera à s’appliquer : « le 11 décembre est donc bien un non-événement », estime un fonctionnaire européen. Comme pour le souligner, la Commission a ouvert vendredi une enquête anti-dumping contre trois nouveaux produits chinois… En clair, l’Union va continuer à considérer que la Chine n’est pas un pays à économie de marché, mais sans le proclamer et en évitant les foudres de l’OMC.

Autre mauvaise nouvelle pour la Chine, le droits anti-dumping et anti-subventions de l’UE vont fortement augmenter. En effet, la Commission a proposé, en 2013, de modifier le règlement européen du 22 décembre 1995, afin d’abandonner la règle dite « du moindre droit » : « cette règle impose que droit de douane soit proportionnel au dommage subi, ce qui limite son montant entre 20 et 30 % du prix du produit, alors que les États-Unis appliquent des droits punitifs qui peuvent monter jusqu’à 200 % », explique un diplomate français. Cette réforme a été adoptée mardi 13 décembre par le Conseil des ministres et doit encore l’être par le Parlement européen. Seuls les libre-échangistes comme la Grande-Bretagne, la Suède, l’Irlande ou les Pays-Bas ont campé dans une opposition de principe à tout durcissement des instruments de défense commerciale.

N.B. : version longue de mon article paru lundi dans Libération.

Catégories: Union européenne

Les partis démagogues raflent la mise

dim, 11/12/2016 - 12:53

Ce dessin de Vadot résume parfaitement la vague de démagogie qui submerge l’occident. Le XXIème siècle est celui de la post-vérité et du mensonge: comme l’a dit Beppe Grillo, votez avec vos tripes, pas avec votre tête. L’emportement contre la raison. Le «siècle des lumières» est bien derrière nous.

Catégories: Union européenne

Moins de rigueur pour contrer le populisme?

jeu, 08/12/2016 - 13:05

Mon article sur le référendum italien et l’UE est ici. Samedi, j’ai publié une autre analyse qui est . Bonne lecture !

Catégories: Union européenne

Pierre Moscovici: Union libre

dim, 04/12/2016 - 19:48

REUTERS/Francois Lenoir

L’homme paraît apaisé et fend enfin l’armure. Pierre Moscovici s’est construit une muraille derrière laquelle il s’est longtemps dissimulé. Toujours sous contrôle, calculant chacun de ses mots, cultivant une certaine morgue et une distance certaine, ne faisant rien pour se rendre aimable, mais supportant mal la critique, cet écorché vif qui vient de fêter ses 59 ans semble réconcilié avec lui-même. Sa parole s’est libérée, il se montre plus avenant, plus humain, se livre davantage et assume enfin sans complexe son engagement européen construit au long de son parcours de trente ans en politique : « député national et européen pendant 20 ans, ministre durant 7 ans, commissaire chargé des affaires économiques et monétaires depuis 2 ans. À ces divers titres, j’ai été membre des trois institutions communautaires (Commission, Parlement européen, Conseil des ministres) », se rengorge-t-il.

Pour ceux qui le connaissent depuis longtemps, sa métamorphose saute aux yeux. Est-ce la mort d’un père à l’écrasante personnalité, le psychologue social Serge Moscovici, le 15 novembre 2014, à 90 ans, quinze jours après sa prise de fonction à Bruxelles, qui a été le déclic ? Le choc est rude et il l’encaisse péniblement, même s’il entretenait une relation complexe avec ce père physiquement absent, mais intellectuellement envahissant, entremêlant amour passionnel et ressentiment. L’histoire familiale est heurtée : Serge Moscovici et son épouse, la psychanalyste Marie Bromberg, faisaient passer leur carrière et leurs amours contingentes bien avant leurs enfants, Pierre l’ainé et Denis, son cadet de 4 ans et demi. À tel point qu’après leur séparation, dans les années 70, les deux adolescents se retrouvent seuls dans l’appartement familial du 17e arrondissement de Paris, Serge et Marie passant les voir par intermittence. Une autre époque. Ce quasi abandon familial n’a pas empêché les enfants de tracer leur route professionnelle : Pierre est passé par Science po et l’ENA avant d’intégrer la Cour des comptes et Denis par Centrale.

Pierre Moscovici qui a longtemps dit craindre une seule chose, la mort de son père, est sonné. Alors qu’il n’est pas croyant, il se laisse pousser la barbe, qu’il a depuis gardée, comme le veut la tradition juive. Et il se lance dans la lecture de « Chronique d’un enfant égaré », le livre que son père a publié en 1997, l’année où son fils devient ministre de Jospin, dans lequel ce juif roumain, victime des persécutions antisémites du nazisme et qui a fui son pays pour la France en 1947, raconte une vie qu’il a toujours dissimulé à ses enfants. Le commissaire reconnaît n’avoir jamais pu le lire jusque-là, car il était « en colère contre son silence ». Sa mort lui permet enfin de tourner la page. Lui, le célibataire endurci, franchit un cap qui marque en général l’entrée dans la vie adulte : le 13 juin 2015, il épouse, en présence de Lionel Jospin, son mentor en politique, Anne-Michelle Basteri, une inspectrice des finances de 37 ans qui fut sa conseillère lorsqu’il était ministre des Finances de François Hollande. « Un changement fondamental », reconnaît Pierre Moscovici.

Il reconnaît avec réticence que la disparition du père (suivi de celle de sa mère en octobre 2015) est un moment important dans sa vie, mais il a du mal à admettre qu’elle l’ait changé. Pour lui, c’est son arrivée à Bruxelles qui a été « une vraie libération ». Il ne veut voir dans ces deux évènements concomitants qu’une coïncidence. « Je suis enfin sorti du système cloisonné et vertical de la politique française. Pendant 20 ans, j’ai été un rouage du système politique ». C’est à Bruxelles qu’il a enfin pu assumer son « mantra », son « européisme » : « je ne pouvais pas le faire dans mon parti, car il faut avant tout préserver son unité. Or le PS est divisé sur l’Europe : il n’assume pas son européïsme et se laisse tarauder par le souverainisme. Je n’ai pas choisi d’être ministre des Affaires européennes ou des Finances, mais commissaire si. Maintenant, je peux dire ce que je veux. Et la Commission, qui est une institution très collégiale, me donne une marge de manœuvre que je n’ai jamais eue ».

Son chemin de Damas vers l’Europe, Moscovici le débute en 1997 lorsqu’il est nommé par Lionel Jospin (il fut son conseiller au ministère de l’Éducation nationale entre 88 et 90) au ministère délégué aux Affaires européennes. Même s’il affirme aujourd’hui que son « fil rouge a toujours été l’Europe », cela reste sujet à caution. Député européen inexistant entre 1994 et 1997, il s’est fait surtout élire pour remplir la gamelle et s’occuper des affaires internes du PS. Il ne se fait pas remarquer par ses positions européennes et d’ailleurs ne demande pas le portefeuille que lui confie Jospin : il visait le budget. À son arrivée au Quai d’Orsay, il montre d’abord sa méconnaissance totale de l’Allemagne, un pays dont son histoire familiale lui a appris à se méfier. Mais il apprendra des coups qu’il reçoit, en particulier du désastreux traité de Nice de 2000 qu’il devra assumer presque seul, celui-ci s’expliquant par la profonde mésentente franco-allemande à laquelle il a concouru. Hubert Védrine, son supérieur en tant que ministre des Affaires étrangères, ne le ménage pas durant leurs cinq de cohabitation dans la cohabitation et n’hésite pas à lui faire porter le chapeau des échecs européens de la période.

Moscovici laissera dire : « je suis loyal. De ce point de vue, je suis chevènementiste : un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. Mon père avait l’habitude de citer de Gaulle pour qui la discipline était la force principale des armées ». Une discipline qui a sans doute empêché celui qui se définit comme « un fils d’intellectuel étranger qui a fait de la politique » d’atteindre le sommet : « pour moi, la politique n’est pas l’école du meurtre. Je vais avoir 60 ans, je suis locataire, je n’ai pas accumulé. Le pouvoir suprême n’est pas mon mantra ».

L’Europe, à la différence de Védrine, Moscovici continuera de s’y consacrer après le traumatisme de 2002, montrant ainsi qu’il n’était pas le « mauvais européen » que son ministre de tutelle décrivait. Il se fait réélire comme député européen en 2004 et cette fois il fait le job. Mais il ne peut résister à l’appel national en rejoignant l’Assemblée nationale en 2007 pour mieux devenir ministre en 2012. « Ça n’a pas été facile d’être le ministre des Finances de Hollande. C’est un job où on prend des coups. Heureusement, 40 % de mon travail, c’était l’Europe. C’est la partie du travail que j’ai réussi. Le reste, c’était plus compliqué, je n’avais pas les mains libres ».

Hasard littéraire : au moment où Pierre Moscovici publie un plaidoyer fédéraliste, « S’il est minuit en Europe », son ancien patron sort un opuscule plaidant pour une Europe confédérale (« Sauver l’Europe », aux éditions Liana Levi), celle des États qui pourtant dysfonctionne. Le moment pour dire certaines vérités : « Védrine n’a jamais cru à l’Europe. On vit sur deux planètes différentes. J’ai toujours accepté les institutions communautaires, alors que Védrine voulait les squeezer. Je récuse la pensée des Védrine ou des Montebourg ». Il ne manque pas une occasion d’exprimer sa vision des choses dans les médias français. Il estime que c’est une partie de son boulot : réconcilier les Français et la gauche avec l’idée européenne. « François Hollande a un ADN d’Européen, mais il n’a pas affirmé ses idées. Il a été trop tactique », regrette-t-il.

Depuis qu’il est à la Commission, on ne peut lui reprocher d’être resté inactif, même si certains lui reprochent de rentrer quasiment tous les soirs à Paris pour retrouver son épouse qui n’a aucune intention de s’installer à Bruxelles. En l’espace de deux ans, l’exécutif européen a totalement changé sur fusil d’épaule sur la question de l’austérité au grand dam des gardiens de l’orthodoxie, notamment allemands : désormais, il ne se comporte plus en garde-chiourme des budgets nationaux, comme le voudrait la lettre du Pacte de stabilité, mais se montre au contraire extrêmement politique. La France a obtenu de nouveaux délais pour revenir sous les 3 % de PIB de déficit, l’Espagne et le Portugal n’ont pas été sanctionnés alors qu’ils n’ont pas tenu leurs engagements en raison de la situation de politique intérieure. La Grèce, que l’Allemagne était tentée d’éjecter de l’euro, est sauvée de justesse en juillet 2015, Pierre Moscovici agissant de conserve avec Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, pour emporter le morceau. Mieux : l’Allemagne et son équilibre budgétaire ne sont plus un modèle et, le 16 novembre, Pierre Moscovici a même appelé Berlin à relancer le moteur de l’investissement public pour jouer son rôle de locomotive de la zone euro. Dans le même élan, il a appelé tous les États de la zone euro à augmenter leurs dépenses de 0,5 % du PIB pour relancer la croissance. Bref, tout comme Mario Draghi à la BCE, Pierre Moscovici a réussi à balancer très discrètement par dessus bord l’héritage ordo-libéral allemand. Pas mal pour quelqu’un qu’on a longtemps soupçonné de dilettantisme…

N.B.: version longue de mon article paru le 1er décembre dans Libération.

N.B. 2: Pierre Moscovici vient de publier: «S’il est minuit en Europe», chez Grasset, 266 p, 19€

Catégories: Union européenne

Boris Johnson, un clown qui a uni l'Union européenne contre le Royaume-Uni

mar, 29/11/2016 - 21:37

The Guardian m’a demandé d’écrire un article sur Boris Johnson, l’ancien journaliste et ancien maire de Londres, leader du «Brexit» devenu ministre des affaires étrangères de Theresa May. Il a été publié ici samedi et a connu un beau succès: plus de 22.000 partages et plus de 6000 commentaires. Samedi, il a même été l’article le plus lu du site du Guardian. Le voici donc en français. Enjoy !

La Grande-Bretagne peut-être fière d’elle-même. Encore une fois, elle a montré l’exemple au monde ! En portant en triomphe Boris Johnson et Nigel Farage, lors du référendum du 23 juin, elle a montré que Donal Trump, le président élu des États-Unis, n’avait strictement rien inventé. En réalité, la bêtise, la vulgarité, l’inconséquence, l’irresponsabilité sont des inventions britanniques encore une fois laborieusement copiées par les Américains. Fini le temps des tristes figures à la Margareth Thatcher ou à la David Cameron, terminée l’époque des dirigeants dotés d’un cerveau et d’un sens de l’intérêt commun, l’heure des clowns politiques a sonné.

L’ancien journaliste pour qui les faits n’ont jamais constitué un obstacle à une bonne histoire a réussi, en quelques semaines seulement, à dilapider le peu de capital de sympathie et de compréhension qui restait en Europe à l’égard d’une Grande-Bretagne qui s’est pris les pieds dans le tapis du référendum. C’est une contre-performance diplomatique hors du commun que d’avoir réussi à souder comme jamais les vingt-sept États membres de l’Union, y compris l’Allemagne et les Pays-Bas, qui désormais sont décidés à ne faire aucun cadeau à Londres. Ce sera un « hard Brexit », non pas parce que Theresa May le veut, mais parce que ses futurs ex-partenaires estiment ne pas avoir le choix face à une Grande-Bretagne irrésolue.

BoJo a profondément agacé ses partenaires en affichant sa méconnaissance totale de ce qu’est l’Union (ce qui n’est pas étonnant lorsqu’on l’a connu comme « journaliste » à Bruxelles, ce qui est mon cas). Selon son interprétation toute personnelle des traités européens, il qualifie de « bollock » le fait de considérer que les quatre libertés (libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux) forment un tout indissociable : « chacun croit maintenant que chaque être humain a le droit fondamental donné par dieu d’aller là où il veut. Ca n’est pas vrai, cela n’a jamais été le cas. Cela n’a jamais été un principe fondateur de l’Union européenne. C’est un mythe total ». Pour lui, il y aura une « relation commerciale dynamique (entre la Grande-Bretagne et l’Union) et nous reprendrons le contrôle de nos frontières, mais nous resterons une société ouverte et accueillante ».

Pourtant, Wolfgang Schaüble, le ministre allemand des Finances, l’avait averti dès le mois de septembre : « nous serons heureux d’envoyer au secrétaire au Foreign office de sa majesté une copie du traité de Lisbonne. Il pourra y lire qu’il y a un lien certain entre le marché unique et les quatre libertés. Je peux aussi le dire en anglais, si nécessaire ». Il a répété le 18 novembre qu’il « n’y aura pas de menu à la carte. C’est le menu complet ou rien du tout ». Son collègue néerlandais, Jeroen Dijsselbloem a enfoncé le clou : BoJo « dit des choses qui sont intellectuellement impossibles, politiquement inimaginables » comme lorsqu’il explique que la Grande-Bretagne « devra probablement quitter l’union douanière, mais c’est une question que nous négocierons, j’en suis sûr ». Or, c’est tout simplement impossible : marché unique et union douanière, c’est-à-dire des tarifs douaniers extérieurs communs, sont indissolublement liés. Qu’importe, BoJo répète son mantra à l’infini : il a raison, les autres ont tort. Le problème est que ce sont les autres qui décideront. Et si on veut obtenir quelque chose, il vaut mieux éviter d’expliquer à l’acheteur qu’il est un crétin…

Le secrétaire au Foreign Office ajoute la lourdeur à l’ignorance. Lui qui a pourtant écrit une biographie de Winston Churchill ne semble pas comprendre qu’il faut posséder un esprit d’une rare finesse lorsqu’on se risque à mélanger humour et diplomatie. Ainsi sa blague sur le fait que les Italiens vendraient moins de « prosecco » en Grande-Bretagne si elle ne gardait pas l’accès au marché unique a non seulement créé un incident diplomatique, mais à souligné la faiblesse de l’argumentation britannique : si l’UE risque de perdre l’accès à un marché de 64 millions de Britanniques, à l’inverse le Royaume-Uni sera privé d’un marché de 440 millions de personnes… Last but not least, Boris Johnson, qui a agité le spectre d’un déferlement de Turcs en Grande-Bretagne en cas de maintien dans l’Union, se fait maintenant l’ardent défenseur d’une adhésion d’Ankara, même si elle rétablissait la peine de mort. « Je ne plus respecter ça. Quand vous voulez quitter le club, vous n’avez plus votre mot à dire sur l’avenir à long terme de ce club », s’est emporté le pourtant très placide Manfred Weber, le président du groupe conservateur (PPE) au Parlement européen.

Un célèbre scénariste français, Michel Audiard, a écrit cette sentence au début des années 60 qui s’applique parfaitement à Boris Johnson : « les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ». Le secrétaire au Foreign Office, qui n’aime pas la langue de bois à l’image de Trump, me pardonnera cette familiarité. Ou pas.

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L'Ukraine, si seule

dim, 27/11/2016 - 09:52

REUTERS/Francois Lenoir

Que reste-t-il de « Maïdan », trois ans après, presque jour pour jour ? L’enthousiasme mondial autour de ce mouvement démocratique pro-européen, qui a débuté le 21 novembre 2013, à Kiev, Place (Maïdan) de l’indépendance, à la suite du refus du président ukrainien de l’époque, Viktor Ianoukovytch, de signer un accord d’association avec l’Union européenne pour rester dans l’orbite de Moscou, n’est plus qu’un lointain souvenir. Son successeur, Petro Porochenko, qui s’est rendu jeudi à Bruxelles, pour un sommet annuel avec les représentants de l’Union, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, et Donald Tusk, le président du Conseil des chefs d’État et de gouvernement, va constater que ses interlocuteurs n’ont pas grand-chose à lui offrir, alors que l’environnement international vient brutalement de se dégrader pour son pays avec l’élection d’un Donald Trump isolationniste qui proclame son admiration pour Vladimir Poutine.

En effet, l’avenir de l’accord d’association UE-Ukraine, qui est à la fois à l’origine de la révolution orange de 2013, mais aussi de l’intervention de Moscou en Crimée et dans l’est du pays, ce traité ayant été perçu comme les prémices d’une extension de l’Union – et donc de l’OTAN- dans « l’arrière-cour » de la Russie, est toujours aussi incertain. Finalement signé le 27 juin 2014, il s’applique provisoirement depuis janvier 2016. Mais, pour une entrée en vigueur définitive, il doit être ratifié par le Parlement européen et les 28 parlements nationaux. Or, les Pays-Bas ne l’ont pas fait, car ils se sont pris les pieds dans le tapis du référendum d’initiative populaire qu’ils venaient d’introduire. Une constellation de groupes et de partis anti-européens ont réussi à convaincre les Néerlandais, le 6 avril dernier, de rejeter la loi autorisant la ratification de cet accord par 61 % des voix, mais seulement 32 % de participation.

Depuis, le gouvernement de Mark Rutte cherche une solution pour sortir de ce piège. Certes, la consultation n’est que consultative, mais il doit réunir une majorité de son parlement autour d’une solution qui prenne en compte les préoccupations de son peuple. Le 31 octobre, il a finalement envoyé une lettre à Bruxelles dans laquelle il demande une « déclaration juridiquement contraignante » écartant, notamment, toute perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’Union et toute libre circulation des travailleurs ou encore affirmant solennellement que les Européens ne sont pas garants de la sécurité de l’Ukraine. « Comme nous n’avons pas le choix, puisque sans cette déclaration on peut dire adieu à l’accord d’association, nous allons la rédiger et l’adopter lors du sommet européen de mi-décembre », explique un diplomate européen. « On devrait réussir à obtenir l’unanimité ».

La Pologne va devoir se mordre la langue en signant ce texte : depuis 2004, elle bataille pour que la « vocation européenne » de l’Ukraine soit reconnue, ce qui ouvrirait la porte à son adhésion. Une perspective dont la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, la France en particulier, ne veulent pas entendre parler, car cela serait quasiment une déclaration de guerre à la Russie. De là à dire que beaucoup voit d’un bon œil que l’on ferme définitivement la porte au nez des Ukrainiens, il n’y a qu’un pas. Sans compter Poutine qui voit ainsi un supposé danger s’éloigner. Mais, par contrecoup, cela ne va pas pousser Porochenko à relancer les réformes internes, puisqu’il perd dans l’affaire l’un de ses arguments de vente, lui qui passe son temps à hanter les coulisses de tous les sommets européens depuis deux ans pour plaider sa cause… Reste que cette déclaration ne garantit pas le vote positif du Parlement néerlandais : « si ça ne passe pas, c’est le saut dans l’inconnu », s’inquiète un diplomate.

Or, l’élection de Donald Trump aux États-Unis va aussi changer la donne dans la région. Le président élu a, en effet, l’intention de fumer le calumet de la paix avec Poutine, une détente dont l’Ukraine pourrait faire les frais. Trump ne semblant pas considérer que la garantie de sécurité collective prévue par le traité de l’Atlantique nord joue automatiquement pour les pays d’Europe de l’Est même membres de l’OTAN, Poutine pourrait dès lors considérer qu’il a les mains libres pour continuer à déstabiliser son ancienne République afin de la faire retomber dans son giron. Autant dire que Porochenko risque de se retrouver bien seul face au Kremlin…

Seul lot de consolation pour Kiev : l’Union a donné son feu vert pour supprimer les visas pour les Ukrainiens détenteurs d’un passeport biométrique (ils sont 1,5 millions) désireux de se rendre en Europe pour moins de 3 mois. Ça ne sera pas une révolution, moins de 2 % des demandes étant refusées. Cette levée des visas ne sera effective que lorsque le Parlement européen et le Conseil des ministres auront adopté, dans doute d’ici la fin de l’année, un « mécanisme de frein d’urgence » permettant de les rétablir en cas de risque sécuritaire ou migratoire.

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 24 novembre

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L'UE ne claquera pas la porte au nez d'Erdogan

lun, 21/11/2016 - 08:13

REUTERS/Kemal Aslan

La Turquie n’est pas une dictature, mais elle n’est plus une démocratie. Le président Racep Tayyip Erdogan, profitant du coup d’État manqué de juillet dernier, a purgé massivement, et bien au-delà des supposés putschistes, l’armée, la police, la justice, l’université et plus généralement l’administration, muselé l’opposition, notamment le HDP pro-kurde, et les médias, emprisonné 35.000 personnes, dont des députés et des journalistes, pris le contrôle d’entreprises déclarées « hostiles », renforcé les pouvoirs de la police, etc.. Pour couronner le tout, l’homme fort du pays a annoncé sa ferme intention de rétablir la peine de mort, abolie en 2004, en violation de la Convention européenne des droits de l’homme que la Turquie a pourtant ratifiée. Au rythme où se déploie la répression, il n’y aura bientôt plus guère de monde pour s’opposer au référendum que le leader de l’AKP, en qui la plupart des Occidentaux ont longtemps voulu voir une sorte de « musulman-démocrate », comme il existe des « chrétiens-démocrates », veut organiser au printemps prochain pour instaurer un régime présidentiel concentrant entre ses mains l’essentiel des leviers du pouvoir. Dès lors, l’Union européenne peut-elle continuer les négociations d’adhésion avec Ankara comme si de rient n’était ? Alors que les opinions publiques européennes sont déjà majoritairement opposées à l’adhésion de ce pays perçu comme non européen, l’Union peut-elle se payer le luxe d’ignorer la dérive autoritaire de l’État turc ?

En un mot, oui. En dehors de l’Autriche, « le consensus est plutôt de laisser les Turcs décider eux-mêmes s’ils veulent poursuivre ou pas les négociations, car nous n’avons aucun intérêt à les interrompre », explique un diplomate. Les capitales européennes estiment que la diplomatie s’accommode mal des indignations morales : « si nous claquons la porte au nez des Turcs, qui peut croire que cela dissuadera Erdogan d’agir comme il le fait ? Maintenir le processus sous respiration artificielle nous permet de faire pression pour un retour à l’État de droit », poursuit un autre diplomate. Autrement dit, l’Union estime qu’isoler la Turquie, en dehors de la brève satisfaction morale que cela procurera, ne servira ni la cause des opposants d’Erdogan, qui se retrouveront seuls, ni ses intérêts économiques (énergie, transport) et politiques.

En effet, Ankara, qui reste un membre historique de l’OTAN et donc du camp occidental, joue un rôle important dans la lutte contre Daech, même si les « ambiguïtés », comme on le dit avec componction à Bruxelles, demeurent nombreuses. De même, la Turquie s’est engagée à retenir sur son sol les réfugiés syriens à la suite d’un accord conclu avec l’Union au printemps dernier, accord qu’elle respecte à la lettre. Enfin, le processus de réunification de Chypre, dont elle occupe le nord depuis 1974, semble sur la bonne voie. Autant d’éléments de « real politik » qui poussent les Européens à ménager Erdogan.

Même le rétablissement de la peine de mort ne signerait sans doute pas la fin du processus d’adhésion, mais son « gel ». L’Allemagne, qui accueille 2,5 millions de personnes d’origine turque, dont un million ont acquis la nationalité allemande, ne cache pas qu’elle craint que cette communauté très politisée et très attachée à son pays d’origine ne lui crée des problèmes en cas de rupture avec Ankara. « Six pays européens sont dans le même cas que nous », souligne un diplomate allemand. Plus pragmatiquement, le SPD, partenaire de la grande coalition au pouvoir à Berlin, voudra maintenir les canaux ouverts, car les Allemands d’origine turque votent principalement pour les socio-démocrates… Boris Johnson, le ministre des affaires étrangères britannique, va encore plus loin en considérant que la peine de mort n’est pas un problème puisque la Grande-Bretagne, lors de son adhésion en 1973, en disposait encore comme la majorité des pays européens de l’époque. Une position isolée, certes, mais qui montre la détermination de l’Union à laisser la Turquie décider elle-même de l’avenir de ses relations avec elle afin de ne pas porter le chapeau, ce qu’elle pourrait faire rapidement si le président turc organise un référendum sur le sujet, comme il l’a annoncé lundi. « Soyons sérieux : ni Erdogan ni nous ne croyons que la Turquie adhérera un jour d’autant qu’il faudra un référendum en France », tranche un diplomate français qui reconnaît que « notre politique turque est subtile et ne se prête pas à un résumé en 140 caractères ». Les citoyens européens qui aimeraient être rassurés sur les frontières exactes d’une Union en expansion continue devront sans doute s’accommoder longtemps, pour la bonne cause, de cette subtilité…

N.B.: version longue de mon analyse parue dans Libération du17 novembre

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Trump: l'UE sonnée

ven, 11/11/2016 - 19:24

C’est un choc sans précédent pour l’Union, un « Brexit puissance trois » pour reprendre l’expression du président élu. Au-delà de la personnalité même de Donald Trump, dont l’idéologie n’est pas très éloignée de celle de l’extrême droite européenne, c’est la première fois de son histoire qu’elle va être confrontée à un chef de l’État américain farouchement isolationniste, tant sur le plan commercial que militaire, et hostile à la construction communautaire. Ainsi, le 24 juin, au lendemain du référendum britannique, Trump s’était félicité d’un résultat qualifié « d’extraordinaire » et de « fantastique ». Un changement de paradigme dont les conséquences n’ont pas fini de se faire sentir sur le vieux continent, non seulement pour sa sécurité face à une Russie agressive, mais aussi pour l’existence même du projet européen : « il faut éviter que l’Union, infiniment plus fragile que les États, ne soit, après le Brexit et la victoire de Trump, la future victime de ce rejet des élites et du système », dit-on dans l’entourage de François Hollande, « car elle n’y résisterait pas ».

Les causes qui ont conduit à l’élection du candidat républicain existent aussi en Europe et pourraient produire les mêmes effets, comme le constate Paul Magnette, le ministre-président de la Région wallonne, qui a mené le combat de la résistance au CETA, l’accord de libre-échange avec le Canada. L’Europe est, elle aussi, confrontée à une désindustrialisation, certes variable selon les pays, mais réels dans ceux où l’extrême-droite progresse. « C’est l’échec d’une idéologie, celle du libéralisme », assure José Bové, député européen EELV : « Trump l’a bien compris. Quand il allait dans l’Iowa où les usines ont fermé, il balançait son discours protectionniste et ça a marché. Car, depuis les années 80, la logique de la supériorité du commerce l’a emporté, aux États-Unis comme chez nous, sur toute préoccupation sociale ou environnementale. Pire : la gauche ne s’est pas distinguée sur ce plan de la droite ». « Même si seulement 15 % de la désindustrialisation est causée par le libre échange, le reste étant dû aux progrès technologiques et aux gains de productivité, il est plus facile de dénoncer les produits chinois, car le discours raciste est infiniment plus compréhensible pour les gens », estime Paul Magnette.

D’ailleurs, en Grande-Bretagne, c’est la classe moyenne, oubliée de la « mondialisation heureuse », qui a donné la victoire au Brexit, le rejet du libre-échange passant, comme aux États-Unis, par celui de l’immigration. C’est là qu’est le danger pour l’Europe. « Il y a une réapparition d’un discours de haine dans tous nos pays », se désole le député européen Alain Lamassoure, proche d’Alain Juppé (LR), un constat partagé par José Bové : « la logique de haine se développe. On est vraiment dans les années 30 où les fascistes surfaient sur une vague protectionniste en reprenant le discours social de la gauche ». « Ce que l’on croyait exclu, un risque démocratique chez nous ou des conflits internes, n’est plus très éloigné », s’alarme un conseiller du chef de l’État français : « il n’y a plus d’espace pour un projet confédéral en Europe comme le voulait Séguin ou Chevènement : aujourd’hui, on voit clairement, avec la Pologne ou la Hongrie, que la logique de fermeture des frontières conduit à un risque démocratique ».

Il faut donc d’urgence revoir le logiciel européen afin de le relégitimer « Ca n’est pas pour rien qu’une libérale comme Theresa May a promis une politique industrielle afin de renouer avec cette classe moyenne déclassée ou en voie de déclassement », constate-t-on à Paris : « il faut donc que l’Europe montre d’urgence qu’elle protège et qu’elle est capable de mieux défendre ses intérêts unis que désunis. De ce point de vue, la réforme des instruments de défense commerciale proposée hier par la Commission va dans le bon sens ». Il faut aussi qu’elle renoue avec la politique industrielle de ses débuts, abandonnée sous l’influence de Londres, et remette en cause son idéologie libre-échangiste : « il faut clairement abandonner le TAFTA, l’accord de libre-échange avec les États-Unis. Si la Commission ne change pas de cap, elle fera le lit du populisme » met en garde Paul Magnette et, ajoute José Bové, « elle se suicidera ». De même, l’Union devrait tirer officiellement un trait sur son élargissement permanent et dire à la Turquie qu’elle n’entrera jamais dans l’Union.

Enfin, bien sûr, l’Union va devoir démontrer qu’elle est capable de se défendre militairement: avec Trump, « le couplage entre la défense américaine et européenne est terminé », constate Alain Lamassoure, et il ne faudra plus compter sur une aide militaire gratuite et inconditionnelle comme il l’a lui-même annoncé. « C’est une menace, mais cela peut aussi être une chance, car Trump va nous obliger à bouger », espère Paul Magnette. Et là, les pays d’Europe de l’Est, déjà en partie aux mains des populistes, seront demandeurs. Bref, l’avenir est sombre, mais pas totalement désespéré.

N.B.: version longue de mon article paru le 10 novembre dans Libération.

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Jean-Claude Juncker absout et promeut Günther Oettinger après ses propos racistes et sexistes

mar, 08/11/2016 - 21:52

Qualifier les Chinois de « bridés sournois » tous « peignés de gauche à droite avec du cirage noir », du racisme ? Vous n’y pensez pas ? C’est une simple « maladresse » foi de Jean-Claude Juncker. Et d’ailleurs, l’auteur de cette saillie, le conservateur allemand Günther Oettinger, ci-devant commissaire à l’économie numérique, s’est « excusé », ce qui prouve « que ses propos n’ont pas traduit sa pensée », poursuit benoitement le président de l’exécutif européen dans un entretien au quotidien belge francophone Le Soir (payant).

Bon d’accord, il s’en est aussi pris, entre autres, au mariage gay, aux femmes qui ne sont dans les conseils d’administrations des entreprises que grâce à la politique des quotas, à la Wallonie, une « micro-région gouvernée par des communistes » qui a osé retarder de trois jours la signature du CETA… « Je n’aurais pas dit ce qu’il a dit, car il donne l’impression de ne pas aimer les Chinois, les homosexuels, les Wallons et d’autres », explique Juncker : « j’ai particulièrement été choqué par ce qu’il a dit au sujet des homosexuels » (les femmes et les Chinois, c’est moins grave manifestement). « Un commissaire ne peut pas tenir des propos pareil. Je lui ai dit qu’il devait s’excuser auprès de ceux qui ont pu se sentir visés ». Notez le « pu ». Et ? Et rien. Circulez, il n’y a rien à voir. Oettinger ne sera non seulement pas viré (car on ne vire pas un commissaire allemand), mais il va être promu vice-président de la Commission chargé du budget, un poste clef alors que vont bientôt s’ouvrir les discussions sur les prochaines perspectives budgétaires.

On se demande dès lors quelles sont les limites de l’acceptable pour Jean-Claude Juncker ? Qualifier les Israéliens de « youpins cupides », les Congolais de « nègres voleurs », les Algériens de « crouilles islamistes », les homosexuels de « folles dégénérées » ou les femmes, de « connasses qui nous brisent les burnes », ça passerait ? Où commence l’abjection qui appelle une sanction politique dans l’esprit du président de la Commission ? Le racisme anti-chinois, le sexisme ou le mépris à l’égard de la démocratie ne sont-ils pas l’exact contraire des « valeurs européennes » que Jean-Claude Juncker prétend défendre ? Surtout que Oettinger n’avait même pas l’excuse de s’exprimer dans un bar ou dans un vestiaire : il donnait un discours en tant que commissaire européen devant des patrons allemands. En clair, il incarnait son institution et l’Europe, il engageait la parole de son institution.

Juncker blanchit donc plus vite que son ombre un commissaire habitué de ce genre de propos. Mais comment s’en étonner, lui qui n’a pas su condamner fermement l’embauche de José Manuel Durao Barroso par Goldman Sachs, une condamnation sans aucun risque politique et qui aurait été tout bénéfice pour son institution ? Il confirme ainsi que la Commission, et ça n’est pas nouveau, a structurellement des difficultés à assumer un minimum de responsabilité politique. On l’avait vu dès 1996, avec l’affaire de la vache folle, où personne n’avait été sanctionné en dépit des graves manquements mis à jour par une commission d’enquête du parlement européen. Et ce n’est que sous la pression des eurodéputés que la Commission Santer avait finalement démissionnée en 1999, faute d’avoir su virer à temps Édith Cresson, la commissaire française impliquée dans une affaire d’emplois fictifs. Rien ne change : Juncker voulait une Commission politique, elle reste désespérément technocratique, incapable de sortir de sa bulle.

PS: lire ici le coup de gueule de Politico contre la com’ de la Commission.

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Donald Trump secoue le Parlement européen

mar, 08/11/2016 - 11:52

Il faut aller chercher à l’extrême droite et chez les europhobes (les deux familles ne se recoupant pas totalement) pour trouver des députés européens souhaitant la victoire de Donald Trump. En dehors de cette grosse centaine d’élus, sur 751 membres du Parlement européen, le candidat républicain provoque une répulsion unanime sans précédent. Même au sein du groupe PPE (conservateur), l’équivalent européen du Parti républicain, «personne ne le soutient», affirment en chœur Cristian Dan Preda (PPE, Roumanie) et Andreas Schwab (PPE, Allemagne), rencontrés à Bruxelles. «En tous les cas, assure ce dernier, je n’ai rencontré personne qui s’en vante.» Dan Preda ironise : «Les supporters de Trump ce sont Nigel Farage, l’ex-patron du Ukip, le parti europhobe britannique et Marine Le Pen, la présidente du FN. Tout est dit. Pour la première fois dans une élection américaine, les valeurs de centre droit que je défends ne sont pas représentées par un candidat républicain.»

Autant dire que les quatre cinquièmes de l’hémicycle votent des deux mains pour la démocrate Hillary Clinton, des écologistes aux conservateurs en passant par les socialistes et les libéraux : «J’espère que l’on vit un cauchemar et que l’on va se réveiller», soupire Sylvie Goulard (libérale, France). «On espère tous la défaite de Trump, même si Clinton est trop liée au monde des affaires, aux grandes banques d’affaires», reconnaît, résigné, Ernest Urtasun, de la gauche verte catalane. Après toutes les critiques sur les insuffisances d’Obama, «on va vite s’apercevoir qu’on l’a sous-estimé», prédit encore Andreas Schwab.

L’élection américaine passionne au sein du Parlement européen car elle est le reflet de la crise que traverse l’ensemble de l’Occident. Pour Esteban González Pons (PPE, Espagne), qui a assisté à la convention républicaine, «la campagne américaine est un parfait résumé de la confrontation idéologique occidentale entre l’émergence d’un populisme, due à une mondialisation que les citoyens ne comprennent plus, et des partis politiques classiques, incapables d’expliquer ce qu’ils font. L’affrontement est désormais entre la démocratie représentative et le populisme, et non plus entre la gauche et la droite.» Une analyse que partage Martin Schulz (socialiste, Allemagne), le président du Parlement européen : «L’avenir de la politique, c’est la démocratie contre le populisme.»

Que Trump soit l’incarnation du «populisme pur et dur», comme le dit le député Jo Leinen (socialiste, Allemagne), ou «une star populiste folle», selon l’expression de Cristian Dan Preda, personne ne le conteste. Mais «il ne faut pas se moquer du candidat républicain, on a déjà les mêmes chez nous», souligne la libérale Sylvie Goulard. «Cette radicalisation et cette vulgarisation du débat politique sont déjà présentes en Europe», renchérit Jo Leinen, pour qui «le Premier ministre hongrois Viktor Orbán n’est pas très éloigné de Trump». L’émergence de ce populisme est due «à un fort sentiment d’insécurité créé par la crise financière de 2007 qui touche les classes moyennes, analyse le social-démocrate allemand. Elles ont le sentiment qu’elles en sont les principales victimes et elles recherchent de la sécurité que le populisme semble leur offrir. Trump, c’est l’incarnation de la révolte contre l’establishment».

«C’est une catharsis, approuve Sylvie Goulard. Les classes moyennes américaines exorcisent les conséquences de la crise qui a été infiniment plus brutale chez eux que chez nous. Des gens ont tout perdu, leur emploi, leur maison, alors qu’il n’y a pas de filet social. Les élites américaines n’ont pas pris au sérieux le Tea Party : or, il faut écouter les gens qui disent des horreurs.» Elle aussi pointe le malaise face à la mondialisation qui ne touche pas que les États-Unis, mais l’ensemble de l’Occident : «Tout le monde est secoué par la globalisation. C’est le rapport au reste du monde et à la solidarité qui est questionné». «Les 90% de la croissance du PIB depuis la crise ont profité à seulement 1% des Américains les plus riches, renchérit Ernest Urtasun. C’est tout le modèle néolibéral qui est en crise.» Pour Andreas Schwab, la résistance au pouvoir fédéral explique aussi le succès de Trump : «Le phénomène est plus prononcé aux États-Unis que dans l’Union européenne, contrairement à ce qu’on croit de l’extérieur. Il y a une vraie allergie à tout ce qui vient de Washington alors qu’en Europe les citoyens comprennent encore la nécessité d’une collaboration entre les Etats».

Hélas, pour Ernest Urtasun, «les Américains semblent préférer le modèle autoritaire incarné par Trump, qui rejette la faute de la crise sur les Noirs ou les Mexicains, au modèle alternatif proche des valeurs européennes qu’incarnait Bernie Sanders. Clinton, elle, est le choix de la continuité.» C’est bien tout le danger : «Même si c’est une femme, elle n’incarne pas le renouveau à la différence d’Obama», souligne Sylvie Goulard pour qui «un système sain doit générer du renouveau». C’est bien la crainte des eurodéputés : que Trump parvienne in extremis à l’emporter, car porteur d’un changement qui sera gros de dangers, pour les Etats-Unis, mais aussi pour le reste du monde. «Si Trump est élu, on va vivre l’équivalent d’un Brexit gigantesque», met en garde Esteban González Pons.

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Oettinger, Barroso : Il y a quelque chose de pourri au royaume de la Commission européenne

ven, 04/11/2016 - 18:09

Entre un commissaire européen, l’Allemand Günther Oettinger, qui tient à la tribune des propos racistes, flirtant avec l’homophobie et méprisants à l’égard de la démocratie, et un « comité d’éthique » qui estime que l’ancien président de la Commission, José Manuel Durao Barroso, n’a pas violé son devoir « d’intégrité et de réserve » en se faisant embaucher par la banque d’affaires américaine, Goldman Sachs, l’image de l’exécutif communautaire est une nouvelle fois écornée.

Le chrétien-démocrate Oettinger, ancien patron du Bade-Wurtemberg, envoyé à Bruxelles en 2009 par la Chancelière Angela Merkel qui voulait s’en débarrasser, s’est lâché mercredi soir, à Hambourg, devant une fédération de chefs d’entreprises. Ses propos, qui ont été en partie filmés, ont été révélés par l’hebdomadaire Der Spiegel. Qualifiant les Chinois de « malins sournois » et de « bridés » (« Schlitzohren und Schlitzaugen »), le commissaire chargé du numérique raconte que, lors du sommet UE-Chine, il a rencontré une délégation de « neuf hommes » («du même parti, pas de démocratie») qui étaient « tous peignés de gauche à droite avec du cirage noir »… Puis, il explique que les femmes ne pourraient accéder aux plus hautes fonctions entrepreneuriales sans les quotas imposés dans les conseils d’administration, s’indigne que l’on puisse verser une retraite aux mères de famille et s’en prend au mariage homosexuel qui sera « bientôt imposé » en Allemagne. Enfin, selon un témoin, Frank Compernolle, attaché économique et commercial pour la Wallonie et Bruxelles, il a taclé la Wallonie, « une micro-région gérée par des communistes, qui bloque toute l’Europe » en l’empêchant de signer le CETA, ce qui « n’est pas acceptable ». Le Belge s’est alors levé et a quitté la salle, tout comme le consul honoraire de Belgique.

Des saillies populistes dignes d’un Donald Trump qui ont mis en émoi une partie de la classe politique allemande et wallonne. Ainsi, Katherina Barley, la secrétaire générale du SPD, a estimé que « quelqu’un qui répand ouvertement des opinions racistes et homophobes se disqualifie pour les plus hautes fonctions politiques ». Le porte-parole de Paul Magnette, le ministre-président wallon, a jugé que ces « propos scandaleux témoignent d’un mépris total vis-à-vis de notre région, de ses élus, de ses citoyens et de la société civile qui s’est mobilisée. Cet élan démocratique devrait être encouragé plutôt qu’être traité avec mépris ou par l’injure ». Le président du CdH, le parti centriste francophone, Benoit Lutgen, demande à Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, d’avoir « un peu de courage » et « de faire démissionner Günther Oettinger ». Le groupe socialiste du Parlement européen dénonce «les propos clairement racistes et homophobes ou stigmatisant à l’égard de la Wallonie du commissaire Oettinger (...). Avant même ces propos intolérables, sa promotion au poste de vice-président de la Commission européenne, avec un élargissement de ses responsabilités, posait problème. Autant dire que notre position est claire : nous exigeons que Mme Merkel et M. Juncker prennent leurs responsabilités. L’Union européenne ne doit plus tolérer qu’un de ses représentants actuellement en poste tienne de tel propos abjects et outranciers». Le groupe libéral, par la voix de la député néerlandaise Sophie In’t Velt, est sur la même longueur d’onde: «La Commission en tant que gardienne des traités se doit de montrer l’exemple, particulièrement à un moment où la confiance dans les institutions est faible. Des discours peu relevés, racistes, sexistes ou homophobes sont inacceptables de la part d’un commissaire européen».

Il faut dire qu’Oettinger n’en est pas à son coup d’essai. En septembre 2011, en pleine crise grecque, celui qui était alors responsable de l’énergie dans la Commission Barroso avait proposé « de mettre en berne, devant les bâtiments de l’Union européenne, les drapeaux des mauvais élèves en matière de dette. Cela serait certes un symbole, mais cela aurait un effet dissuasif »… Athènes avait apprécié, on s’en doute. Puis,en septembre 2014, il avait semé la consternation parmi les députés européens, lors de son audition de confirmation comme commissaire chargé du numérique, en montrant l’étendue de son ignorance du domaine qu’il allait gérer : « Avec la technologie, vous ne pouvez pas exclure tous les risques. Je vais vous donner un exemple. Cela peut paraître un peu, hum… à demi-sérieux. Il y a eu récemment de nombreuses célébrités qui se sont plaintes que des photos dénudées apparaissent sur Internet. Je ne peux juste pas le croire! Si une star est assez stupide pour faire une photo d’elle nue et l’envoyer sur le web, elle ne peut pas attendre de nous qu’on la protège. On ne peut pas protéger entièrement les gens de leur bêtise.» Avis d’expert ! Une sortie qui ne l’a pas empêché d’être confirmé par un Parlement peu regardant dès lors qu’il s’agit d’un ami politique de la chancelière.

Jean-Claude Juncker va-t-il sévir après la sortie hambourgeoise de son commissaire qu’il envisageait de nommer vice-président chargé du budget et de l’administration après le départ annoncé de la commissaire bulgare pour la Banque Mondiale ? On peut sérieusement en douter quand on voit ses tergiversations face au bras d’honneur que son prédécesseur a adressé à l’Europe en se faisant embaucher par Goldman Sachs, une banque d’affaires qui a joué un rôle important dans la crise des subprimes et la crise grecque. Trop humain, il a hésité à le condamner, alors que politiquement cela aurait été tout bénéfice pour lui, parce que l’épouse de Barroso venait de mourir d’un cancer (ce qui, au passage, n’a pas empêché l’ex de négocier son contrat). Et ce n’est pas l’avis du « comité d’éthique » de la Commission qui va le pousser à durcir le ton. Composé d’un ancien juge néerlandais à la Cour européenne de justice, d’un ancien directeur général autrichien de la Commission et d’une ancienne députée européenne allemande,le comité estime que Barroso n’a pas violé les règles « d’intégrité et de réserve » imposées par les traités européens et par le Code de conduite interne aux anciens commissaires, même s’il « aurait dû être conscient et informé qu’en agissant ainsi, il déclencherait des critiques et risquerait de nuire à la réputation de la Commission et de l’Union en général » et s’il « n’a pas fait preuve du bon jugement que l’on pourrait attendre de quelqu’un qui a occupé un poste à haute responsabilité pendant de si longues années ».

Dès lors, on se demande bien dans quels cas un commissaire pourrait violer les règles « d’intégrité et de réserve », une question qui se pose aussi pour Oettinger qui, lui, est encore en fonction. Si les exemples d’anciens responsables politiques se reconvertissant dans de lucratives activités privées sont légion dans les États membres, il est rare qu’un ministre national survive à des propos tels que ceux tenus par le commissaire chargé du numérique. Mais on peut d’ores et déjà parier qu’il restera en place : Juncker n’a aucune intention de se fâcher avec la chancelière et le Parlement européen, qui pourrait le contraindre à la démission, est dominé de la tête et des épaules par l’Allemagne. Et tant pis pour l’image de l’Europe.

Mise à jour du 4 novembre: la Commission est tellement prévisible que cela en devient pénible. Après que le porte-parole en chef, Margaritis Schinas, ait tout fait pour minimiser l’affaire («la Commission a le plus grand respect pour toutes les régions d’Europe, »la Wallonie est dirigée par ses dirigeants démocratiquement élus« - le scoop -, etc.), Oettinger a finalement publié ses excuses jeudi.En anglais seulement, comme il se doit. Elles sont d’une faiblesse hallucinante, le commissaire allemande expliquant simplement qu’il a été mal compris (il faudrait qu’il explique en quoi) et ne regrettant aucun de ses mots sur les femmes ou le mariage gay. Circulez, il n’y a rien à voir.

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CETA: la Wallonie donne son accord sous réserve

sam, 29/10/2016 - 11:48

Mes articles consacrés à la résolution temporaire de la crise du CETA sont ici et . Comme je le disais depuis le début de cette affaire, un compromis était plus que probable. Ceux qui ont hurlé à la fin du libre échange ou à l’échec de l’Union (comme le MEDEF) sont Gros-Jean comme devant... Quelques avis de juristes de talent qui partagent mon analyse sur ce qui vient de se passer: Olivier Beaud ou Nicolas de Sadeleer.

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CETA: "L'enjeu, c'est la façon dont on va façonner la mondialisation au XXIème siècle"

jeu, 27/10/2016 - 16:36

Paul Magnette, le ministre président de la région wallone, répond en exclusivité aux questions de Libération. Ce socialiste, ancien professeur de sciences politiques et, à ce titre, l’un des meilleurs spécialistes de l’Union européenne, estime ne pas sortir de ses compétences en s’opposant à la signature du CETA, l’accord de libre échange avec le Canada.

La Wallonie est-elle le vilain petit canard de l’Union européenne ?

Parce que nous faisons notre devoir démocratique ? Soyons sérieux ! Le parlement et le gouvernement wallon ont simplement analysé, comme ils en ont l’obligation constitutionnelle, puisqu’ils ont les mêmes droits qu’un parlement national, le CETA, ce qui nous a conduits à observer qu’un certain nombre de ses dispositions nous posent problème et que nous ne pouvons l’accepter en l’état. Nous n’avons aucune volonté de bloquer l’Union : nous sommes désolés de constater que nos réserves aient conduit à une petite crise institutionnelle.

La Commission semble avoir pris tardivement la mesure du problème wallon…

Nous avons commencé à examiner le traité avant même qu’il ne soit définitif : j’ai déposé moi-même à la Commission la résolution votée par le Parlement wallon qui énumérait nos réserves le 2 octobre 2015. Malheureusement, elle n’a commencé à discuter avec nous que le 4 octobre 2016. Et maintenant, on nous presse, on nous dit que le temps de la discussion est passé…

Les défenseurs du CETA affirment qu’il est peu démocratique qu’une région représentant moins de 1 % de la population européenne ait un tel droit de vie ou de mort sur un traité.

C’est un raisonnement curieux quand on sait que ce qui fonde l’Union, c’est le respect des États, quelle que soit leur taille et le refus de tout hégémonisme ou domination des grands. Je rappelle au passage qu’il y a sept États membres qui sont plus petits que la Wallonie : eux aussi n’auraient qu’un droit, celui de se taire ? Il faut être clair : certaines parties de cet accord relèvent des compétences nationales et régionales et donc le contrôle parlementaire doit s’exercer là où sont les compétences. C’est la logique normale dans tout système fédéral.

Comment sortir de ce blocage si ce n’est pas une réouverture du CETA ?

On préfèrerait le renégocier sur le fond, c’est clair. Mais, à défaut, nous sommes prêts à accepter un instrument interprétatif juridiquement contraignant, ce qui reviendrait de facto à amender le CETA. La difficulté de ce type de traité est que, pour composer avec les divergences politiques entre les 28 États membres et entre les 28 États membres et le pays tiers avec lequel on négocie, on écrit des phrases ambigües à charge pour le juge de les interpréter. C’est cela qui ne nous va pas : si on laisse des zones grises ouvertes à une interprétation laissée à un tribunal arbitral qui ne présente pas toutes les garanties d’indépendance juridictionnelle, c’est la porte ouverte à des dérives qui pourraient être préjudiciables à notre modèle de société, à l’action de l’État. Donc il faut clarifier ces zones grises, par exemple, en disant clairement ce que veut dire un service public, un service de santé, ou encore qu’une entreprise ne pourra jamais demander une indemnisation lorsqu’un pays modifie sa législation environnementale. Par ailleurs, le tribunal arbitral prévu par le CETA et qui sera chargé de cette interprétation ne présente pas toutes les garanties d’indépendance offertes par les ordres juridictionnels européens et canadiens. Or, c’est par ce biais que les multinationales pourraient contraindre l’action publique des États. Je préfèrerais franchement que cette instance disparaisse purement et simplement et que l’on se repose sur nos tribunaux. À tout le moins, si on veut un tribunal arbitral, il doit donner des garanties équivalentes à celles existantes dans les ordres internes.

Les Canadiens sont-ils prêts à revoir ce mécanisme?

Le Canada est extrêmement vigilant sur cet aspect, car ils ont été les premières victimes de l’ALENA qui instaurait un tel mécanisme. Il est donc d’accord avec nous. En réalité, c’est un débat purement interne à l’Union.

Avez-vous reçu des pressions d’autres pays afin de vous faire plier ?

Disons que les pressions, plus ou moins amicales, viennent de plusieurs directions. Je n’en dirais pas plus.

La Wallonie est-elle isolée dans cette affaire ?

Les questions que nous posons sont très largement partagées, en particulier sur l’instance arbitrale. Soyons clairs : je ne suis pas un héraut de l’altermondialisme, je veux un accord. La mondialisation a lieu et la question est de savoir avec quel type de règles elle se fera. Car il ne faut pas s’y tromper : il ne s’agit pas seulement du CETA, mais de fixer les standards européens pour toutes les futures négociations avec les pays qui ont le même niveau de développement que nous, et notamment avec les États-Unis. L’enjeu est de déterminer comment on va façonner la mondialisation au cours des 20 ou 30 prochaines années.

Si le PS avait été au gouvernement fédéral belge, aurait-il eu la même attitude ?

On a commencé cette discussion il y a pratiquement deux ans au parlement wallon. Il est donc un peu facile d’en faire un jeu électoraliste… Certains ne semblent pas comprendre que l’on puisse se battre pour des principes. Un ami m’a rappelé un article que j’ai écrit il y a 15 ans, lorsque j’étais professeur de sciences politique, dans lequel je dis exactement ce que je dis aujourd’hui. Il faut accepter que de temps en temps les femmes et les hommes politiques aient des principes et des convictions et se battent pour eux. Mais je ne me fais pas d’illusions : beaucoup de ceux qui me soutiennent aujourd’hui me critiqueront si on aboutit à un compromis. Croire que c’est un calcul électoraliste, c’est très mal comprendre ce que nous sommes en train d’essayer de faire.

N.B.: version longue de l’ITW publiée dans Libération du 25 octobre.

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CETA: le refus wallon n'est pas la catastrophe annoncée

lun, 24/10/2016 - 16:17

REUTERS/Fabian Bimme

L’opposition wallons au CETA n’affaiblira pas l’Union européenne. Pour savoir pourquoi, lisez mon analyse publiée ce matin sur le site de Libération. Une réponse à l’éditorial du Monde daté de dimanche-lundi qui nous la joue Apocalypse now.

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Libre-échange: Waterloo pour le CETA

dim, 23/10/2016 - 22:17

Reuters/Eric Vidal

Mon article sur le véto wallon est ici. Bonne lecture !

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CETA: aux limites du libre échange

mer, 19/10/2016 - 21:00

Les 4,5 millions de francophones belges vont-ils faire capoter le Ceta, l’accord de libre-échange conclu entre l’Union européenne et le Canada ? Le Parlement de la Wallonie a posé, vendredi, son veto à sa signature par le gouvernement belge. Mercredi, un autre Parlement (il y en a sept), celui de la Communauté française de Belgique, a fait de même et le Parlement de la région bruxelloise devrait suivre. Ce triple veto compromet l’adoption du traité, prévue mardi, par l’Europe, puisqu’elle doit se faire à l’unanimité, et rend sans objet le sommet UE-Canada des 27 et 28 octobre au cours duquel il devait être paraphé par Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, et Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. Certes, les dimensions de politique intérieure ne doivent pas être sous-estimées dans cette bronca parlementaire qui, comme toujours en Belgique, n’a rien d’irréversible : Bruxelles, la Wallonie et la Communauté française sont largement dominées par le PS, les centristes du CDH et les écologistes, alors que le gouvernement fédéral est le plus à droite qu’ait connu le petit royaume. Mais la réduire à cette dimension serait un peu court.

Il est difficile de nier qu’il y a un épuisement des opinions publiques européennes face à une mondialisation qui n’est pas heureuse pour tout le monde. On peut s’en désoler, mais c’est une réalité dont les gouvernements et l’Union européenne doivent tenir compte, sauf à nourrir le nationalisme et le rejet de l’autre. Cette montée brutale du protectionnisme, curieusement, touche surtout les pays dont les élites ont été les plus ferventes libre-échangistes : au Royaume-Uni, le vote en faveur du Brexit s’explique largement par la révolte des oubliés de la mondialisation. De même, aux Pays-Bas, Etat commerçant s’il en est, les citoyens ont rejeté au printemps l’accord d’association UE-Ukraine, qui est d’abord un accord de libre-échange. Ce phénomène touche aussi les pays riches et en plein-emploi, comme l’Allemagne, où l’opposition au Ceta ou au Tafta, projet de traité avec les Etats-Unis, est bien plus forte qu’en France, qu’en Italie, en Espagne ou au Portugal.

Ce décrochage des opinions publiques, qui se manifeste aussi aux Etats-Unis, comme le montre le phénomène Trump, est simple à expliquer : les pertes d’emplois liées à l’ouverture des frontières sont immédiates et touchent d’abord les plus fragiles, alors que les gains sont différés dans le temps et bénéficient aux plus diplômés et aux plus riches. On a beaucoup promis, en particulier de l’emploi et de l’enrichissement pour tous (le Tafta, c’est 900 euros de plus par ménage, a longtemps affirmé la Commission), et peu tenu. Enfin, les accords de nouvelle génération, qui harmonisent les normes, sont perçus comme un affaiblissement de l’autorité de l’Etat, et donc des citoyens, au profit du big business. On peut certes faire remarquer que la mondialisation a largement profité au reste de la planète. Mais les citoyens européens ne votent pas en Inde ou au Brésil, mais ici et maintenant, et l’égoïsme est la valeur du monde la mieux partagé. L’Union, ontologiquement persuadée des vertus du libre-échange, tout comme les gouvernements dont elle n’est que le reflet, doit prendre garde : le rejet de la mondialisation va de pair avec le rejet de l’Europe, perçue comme son cheval de Troie. La course en avant vers le libre-échange se terminera dans le mur du nationalisme.

N.B.: éditorial paru dans Libération du 15 octobre.

Pour rappel, à la suite de quelques messages agressifs et particulièrement désagréables (du style: et la Wallonie, ça ne vous intéresse pas?), je publie dans Libération (papier et numérique), sur Twitter (@quatremer), sur mes pages Facebook (deux au nom de Jean Quatremer, l’autre au nom de Coulisses de Bruxelles) et sur ce blog. Pour savoir ce que j’ai écrit sur ce blog, vous avez un très pratique moteur de recherche.

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CETA: Bové expulsé, Bové humilié, mais Bové libéré!

ven, 14/10/2016 - 16:47

REUTERS/Benoit Tessier

« J’étais manifestement attendu. Dès que le garde-frontière de l’aéroport de Montréal a vu mon nom, il m’a emmené dans les locaux des services de l’immigration. Il était 17 heures mardi. J’en suis ressorti six heures plus tard sans mon passeport et avec un ordre de quitter le territoire mercredi après-midi », raconte José Bové, que j’ai joint par téléphone. « J’ai loupé mon meeting sur le CETA, l’accord de libre-échange entre l’Union et le Canada, mais j’ai pu au moins dormir à l’hôtel ». Le gouvernement canadien ne voulait manifestement pas que le député européen participe à une série de rencontres sur le CETA avec la société civile et les syndicats agricoles québécois, à quinze jours de sa signature en grande pompe à Bruxelles par Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, et les responsables européens. Devant la bronca suscitée par cette expulsion, Ottawa a finalement décidé, mercredi à 18 heures, de laisser José Bové entrer au Québec. Il faut dire que Manuel Valls, le Premier ministre français, rencontre à Ottawa, jeudi, le chef du gouvernement canadien, et qu’il valait mieux éteindre ce qui menaçait de dégénérer en incendie. « Le gouvernement canadien est dingue : s’il avait voulu se tirer une balle dans le pied, il ne s’y serait pas pris autrement. Au moins c’est clair, ce qui compte pour lui, ce sont les marchandises, pas les hommes », s’indigne José Bové.

Il faut dire que cet incident diplomatique, en dépit du rétropédalage du gouvernement Trudeau, est une première avec une démocratie avancée, comme on l’explique au Parlement européen : « certes, Israël a déjà bloqué des eurodéputés qui voulaient se rendre dans les territoires occupés, mais à part ce pays un peu particulier, les seuls autres problèmes ont eu lieu avec la Russie de Poutine ou le Maroc… » Le groupe des Verts et plusieurs socialistes français se sont d’ailleurs immédiatement indignés de cette expulsion : « médusé par cet acte absolument antidémocratique », a tweeté le socialiste français Guillaume Balas, « hallucinant » a gazouillé son collègue Emmanuel Maurel. Auditionné, par hasard, au même moment par la commission commerce international du Parlement, l’ambassadeur canadien auprès de l’UE a été interpellé par la verte allemande Ska Kelle : il n’a pas su quoi répondre, ses autorités ayant manifestement oublié de le prévenir…

La décision du gouvernement fédéral canadien, le contrôle des frontières extérieures ne relevant pas des provinces, a été motivée, selon José Bové, par ses condamnations pénales, notamment pour le démontage du MacDo de Millau et une série d’actes anti-OGM. L’Agence des services frontaliers du Canada, saisi par Libération via l’ambassade canadienne à Bruxelles, a reconnu, tout en refusant de donner les motivations de sa décision, que « plusieurs facteurs servent à déterminer l’admissibilité, comme la participation à des activités criminelles, la santé et la situation financière ».

Le problème est que le député européen s’est rendu à plusieurs reprises au Canada depuis ses condamnations sans jamais être inquiété : « j’y ai même été un an après avoir été incarcéré pour l’affaire du MacDo », rappelle-t-il. En outre, comme il le remarque, Alain Juppé, après sa condamnation en 2004 dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris à 14 mois de prison avec sursis et à un an d’inéligibilité, a pu enseigner en 2005-2006 à Montréal sans que les autorités fédérales trouvent à y redire. De là à penser que, pour Ottawa, le détournement d’argent public est moins grave que les préjudices subis par McDonald ou Monsanto, il n’y a qu’un pas qui ne plaide pas précisément en faveur d’un CETA perçu comme un cheval de Troie du TAFTA ou TTIP. « Si le Canada avait refoulé Marine Le Pen, il aurait gagné une centaine de voix. En s’attaquant à José Bové, il vient d’en perdre le même nombre », se marre un haut fonctionnaire du Parlement européen sidéré par l’amateurisme canadien. Ottawa semble avoir oublié que le CETA doit être ratifié non seulement par les 28 parlements nationaux de l’Union (ainsi que par les parlements régionaux dans les pays fédéraux), mais aussi par le Parlement de Strasbourg. Que l’on malmène ainsi l’un de ses membres ne va pas le mettre dans les meilleures dispositions d’esprit…

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Les mensonges de Marine Le Pen sur la PAC

mar, 11/10/2016 - 22:39

REUTERS/Jacky Naegelen

Samedi, Marine Le Pen s’est une nouvelle fois lâchée sur l’Europe, son punching-ball favori avec l’immigration. « On sait très bien que la politique agricole commune (PAC) répond à des considérations idéologiques ultralibérales », a clamé la patronne du FN. Il faut donc « renationaliser la politique agricole », ce qui ne coutera strictement rien à la France, dixit la présidente du parti d’extrême droite, puisque la PAC est financée par « l’argent des Français qui transite par l’Union européenne ». Une accusation délirante, une apparence de solution, une ferme promesse de lendemain qui chante, l’immuable recette du succès électoral du FN.

Délirante, car accuser la PAC d’être « ultralibérale », c’est comme accuser les plans quinquennaux soviétiques d’avoir été inspirés par les « Chicago boys » de Milton Friedman. Car s’il y a une politique de l’Union qui n’est pas « ultralibérale », et même pas « libérale » du tout, c’est bien l’agriculture qui est l’exemple même du marché organisé et régulé par la puissance publique. Ce n’est pas un hasard si la PAC est une invention française, contrepartie négociée lors du traité de Rome de 1957 à l’abaissement des frontières douanières. Marine Le Pen semble ignorer que la Grande-Bretagne, le pays de « l’ultralibéralisme » depuis l’élection de Margareth Thatcher en 1979, a toujours eu en horreur cette PAC trop française. D’ailleurs, durant la campagne référendaire sur ce Brexit qui fait rêver la patronne du FN, la PAC a été brandie comme exemple même du dirigisme et du bureaucratisme de l’UE, ce « IVe Reich » dixit Boris Johnson.

Il faudrait que la députée européenne, dont les rares présences à Bruxelles expliquent sans doute autant d’ignorance, dise en quoi les 7 milliards d’euros de paiements directs versés aux agriculteurs français chaque année pour soutenir leur revenu sont « ultralibéraux » ? En quoi l’organisation des marchés agricoles est « ultralibérale » ? En quoi la protection du marché européen contre la concurrence internationale est « ultralibérale » ? En quoi les appellations d’origine destinées à protéger les produits européens sont « ultralibérales » ? En quoi le soutien à une agriculture de qualité est ultralibéral ? En quoi la protection des espèces de poissons en voie d’extinction est ultralibérale ? Etc., etc., etc..

La réalité, c’est que la PAC a contribué à protéger une agriculture française qui aurait disparu sans elle et à en faire un acteur mondial. Lors de sa création, l’Europe, encore affaiblie par la guerre, n’était absolument pas autosuffisante. Aujourd’hui, elle est non seulement devenue capable de se nourrir seule (y compris l’Allemagne pour la première fois de son histoire), mais elle est l’une des principales puissances agricoles du monde. Jacques Chirac avait coutume de parler de « l’arme verte » que représentent à la fois l’indépendance alimentaire et les exportations agricoles, une arme qui permet de peser dans le monde. Dans l’Union, la France est le premier producteur agricole européen, le premier exportateur vers les pays tiers (troisième intra UE) et affiche un excédent commercial de 10 milliards d’euros.

Renationaliser la PAC ? Pourquoi pas ? Ça serait égoïste, car, après avoir vu son agriculture financée pendant cinquante ans par l’Allemagne, elle claquerait la porte au nez des pays d’Europe de l’Est qu’elle doit aujourd’hui davantage aider qu’elle ne l’est. Mais après tout qu’importe, la solidarité avec des étrangers n’étant pas une valeur lepéniste. Le problème est que cela aura un prix : pourquoi la Pologne, qui aura moins les moyens d’aider ses agriculteurs que la France, accepterait-elle des produits français subventionnés qui feraient concurrence aux siens ? De même, la France pourra-t-elle demeurer sans réagir face aux aides allemandes, évidemment plus généreuses ? Le démantèlement du marché intérieur aura un coût énorme pour la puissance agricole hexagonale qui se retrouvera vite cantonnée dans ses frontières. Sans compter que, seule, la France ne pèsera plus grand-chose à l’OMC où elle devra faire face aux attaques en règle des États-Unis, de la Russie, de la Chine, du Brésil, etc., contre son système de subventions agricoles, ses protections aux frontières ou ses appellations d’origine contrôlées. Les paysans français regretteront vite « l’ultralibéralisme » de la PAC…

N.B. : version longue de mon éditorial paru dans Libération du 10 octobre

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