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Mis à jour : il y a 1 mois 1 semaine

Hollande, le Brutus de Delors

dim, 09/10/2016 - 15:13

REUTERS/Michel Euler/Pool

Mon éditorial sur le discours prononcé par François Hollande, jeudi soir, à l’occasion des 20 ans de l’Institut Jacques Delors, est ici. Si vous voulez voir le discours pour vous faire une idée complète, c’est . Bonne lecture !

Catégories: Union européenne

Brexit: la guerre des Rose

dim, 09/10/2016 - 15:10

Ceux, notamment au sein de la Commission, qui se faisaient de douces illusions sur un « soft Brexit » en sont pour leurs frais : ce sera un « hard Brexit », c’est-à-dire une rupture claire et nette entre l’Union et le Royaume-Uni. Theresa May, la Première ministre britannique, a rejeté, dimanche 2 octobre, tout modèle qui contraindrait son pays à appliquer tout ou partie du droit européen ainsi que la libre circulation des travailleurs, même si le prix à payer est la fermeture du marché unique pour ses entreprises. Autrement dit, la Grande-Bretagne se retrouvera d’ici à 2019, date de la fin des négociations, dans la position du Mexique vis-à-vis de l’Union, c’est-à-dire un simple État tiers.

Mars 2017, début du Brexit

« La seule bonne nouvelle du discours de May, c’est l’activation de la procédure de sortie de l’article 50 du traité sur l’Union avant la fin mars 2017. Ce qui est logique si la Grande-Bretagne veut être partie avant les élections européennes du mois de juin, les négociations devant durer deux ans maximum », analyse un diplomate européen. Depuis le référendum du 23 juin, les partenaires de Londres la pressaient d’annoncer une date afin de sortir de l’incertitude. C’est fait.

Mais Theresa May est allé plus loin en tranchant en faveur des Brexiters les plus durs : « elle a tiré les conséquences politiques du référendum », souligne-t-on dans l’entourage du chef de l’État français, « il n’y aura donc pas de moyen terme ». « Le peuple a voté pour quitter l’Union. Ce qui signifie que nous allons quitter l’Union », a ainsi martelé May. Elle a écarté expressément le « modèle norvégien » ou « le modèle suisse » comme cadre des futures relations de son pays avec l’Union Le premier, c’est en fait l’Espace Economique Européen (EEE) qui intègre totalement la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein au marché unique : en contrepartie, ils doivent appliquer l’ensemble de la législation communautaire sans la voter, respecter les « quatre libertés » (libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux), se soumettre à la jurisprudence de la Cour de justice européenne et contribuer au budget européen dans des proportions proches de celle d’un État membre. Le second fait référence à la vingtaine d’accords bilatéraux signés entre la Suisse et l’Union qui lui permettent d’avoir accès à une grande partie du marché unique (mais pas aux services financiers): contrepartie, là aussi, Berne doit respecter la libre circulation et contribuer au budget.

Pour la Première ministre, la question posée au référendum écarte tout compromis qui pourrait entamer la souveraineté pleine et entière de son pays : « certains ont évoqué un échange entre le contrôle de l’immigration et le commerce avec l’Europe. C’est une voie sans issue (…) Nous déciderons nous-mêmes de l’immigration ». Un avant-goût de ce qui attend les Européens a été donné cette semaine par les membres de son gouvernement : le ministre de l’Intérieur, Amber Ruud, a ainsi annoncé que les entreprise devront fournir la liste des non-Britanniques travaillant pour eux et expliquer pourquoi elles n’ont pas fait appel à des Britanniques pur jus. Son collègue à la santé, le bien nommé Jeremy Hunt, veut expulser tout le personnel soignant étranger et imposer des amendes aux médecins britanniques travaillant à l’étranger… Rappelons quand même que le pays est en plein emploi et que sans les étrangers, le NHS, le service de santé, ne pourrait pas fonctionner. De son côté, le Foreign Office a demandé à la London School of Economics (LES) de ne plus faire travailler de non-Britanniques ou des binationaux sur les études sur le Brexit qu’il lui commande pour des raisons de sécurité nationale. Et last but not least, le ministre du Commerce, Liam Fox, estime que les Européens résidants en Grande-Bretagne sont une « monnaie d’échange » dans les négociations avec l’Union… (lire l’éditorial de notre correspondante à Londres)

«Il faut qu’il y ait un prix»

Or, pour l’Union, les quatre libertés sont totalement indissociables : sans libre circulation, pas d’accès au marché unique. Et même en imaginant que l’Union accepte de transiger sur ce point, il faudrait, pour que les entreprises britanniques puissent avoir accès au marché unique, que le Royaume-Uni ait une législation totalement équivalente à celle de l’Union. Or, le référendum « signifie que nous devons avoir la liberté d’adopter nos propres lois dans tous les domaines, de la façon dont nous labellisons notre nourriture à celle dont nous contrôlons l’immigration », a insisté Theresa May. « Au début, les législations resteront proches, puisque l’acquis communautaire déjà transcrit dans le droit anglais ne sera pas remis en cause comme l’a annoncé la Première ministre », décrypte un fonctionnaire européen : « Mais ce sera de moins en moins vrai au fur et à mesure que Londres et l’Union adopteront de nouvelles lois ». Dans ces conditions, le seul moyen d’offrir aux entreprises britanniques, et notamment aux banques, un accès au marché intérieur est que l’Union accepte que la Grande-Bretagne n’applique ni la libre circulation ni aucune règle européenne. Londres, tout à son délire souverainiste, ne désespère pas d’y arriver en jouant sur la peur des Européens de laisser dans l’affaire quelques pourcentages de croissance.

Le problème, pour Theresa Mays, est que l’Union a beaucoup plus à perdre qu’à gagner si elle fait la démonstration que le Brexit pourrait être indolore, voire bénéfique, en permettant à un pays de n’appliquer que les règles qu’il souhaite. Une brèche dans laquelle s’engouffreraient tous les europhobes et les Vingt-sept en ont conscience. François Hollande, dans un discours prononcé jeudi 6 octobre à l’occasion du vingtième anniversaire de l’Institut Jacques Delors, a été d’une clarté parfaite sur ce point : « il faut aller jusqu’au bout de la volonté des Britanniques de sortir de l’Union européenne. Nous devons avoir cette fermeté. Si nous ne l’avons pas, nous mettrons en cause les principes mêmes de l’Union européenne. C’est-à-dire qu’il viendra à l’esprit d’autres pays ou d’autres partis de vouloir sortir de l’Union européenne pour en avoir les avantages supposés et aucun inconvénient et aucune règle. La fermeté, c’est en fait l’assurance que l’Europe pourra préserver ses principes et notamment les quatre libertés ». Et d’ajouter, pour bien se faire comprendre : « il faut qu’il y ait une menace, il faut qu’il y ait un risque, il faut qu’il ait un prix ».

La livre plonge

Une ligne dure, fixée dès le Sommet post-Brexit du mois de juin, qui n’est contestée par personne, contrairement à ce qu’on aurait pu craindre. Ainsi, Robert Fico, le Premier ministre slovaque, dont le pays exerce actuellement la présidence tournante de l’Union, a lui aussi été carré dans un entretien au Financial Times : « l’Union va utiliser cette opportunité pour dire aux gens : écoutez, maintenant vous allez voir pourquoi il est important de rester dans l’UE (…) Même si c’est la cinquième économie mondiale, ce sera très douloureux pour le Royaume-Uni ». Pour lui, l’optimisme affiché par le gouvernement britannique n’est qu’un « bluff » : on souligne d’ailleurs à Bruxelles que l’économie britannique évitera de justesse la récession l’année prochaine, soit une perte de croissance de près de deux points et tous les signaux économiques et financiers sont en train de virer au rouge vif, comme en témoigne la chute accélérée de la livre sterling, au lendemain du discours de May et surtout de Hollande.

Désormais, chacun sait que la rupture, en 2019, sera claire et nette et les acteurs économiques vont devoir s’y préparer. Ce qui ne veut pas dire qu’ensuite un accord de libre-échange, ainsi que divers accords de coopération, ne pourront pas être conclus. Mais, il faudra que Londres donne des gages sérieux durant les deux ans qui viennent sur sa bonne volonté si elle ne veut pas se retrouver avec des tarifs douaniers pendant la période transitoire, la négociation de tels accords prenant plusieurs années. Ce qui est sur, désormais, c’est que Londres ne retrouvera jamais un libre accès au marché intérieur : « même avec le CETA (le traité entre l’UE et le Canada), il y a des conditions à respecter : les produits doivent respecter la législation communautaire », souligne-t-on à Paris. Et, surtout, l’accès au marché financier n’est rien moins que garanti, d’autant que ce n’est pas forcément l’intérêt des Européens de le permettre… Michel Barnier, le négociateur de la Commission, qui a pris ses fonctions le 1er octobre, se prépare de longues nuits blanches et des lendemains migraineux.

N.B.: version allongée et mise à jour de l’article paru dans Libération du 5 octobre

Catégories: Union européenne

Hongrie: la solidarité n'est pas à sens unique

lun, 03/10/2016 - 22:12

REUTERS/Laszlo Balogh

Mon éditorial sur le référendum hongrois est ici.

Il a été écrit avant le résultat final qui est intéressant : comme les votes exprimés ne dépassent pas 39,9 % (avec une participation de 45 %), la consultation n’a aucune force légale (il fallait atteindre 50% des votes exprimés ). Tout le monde est donc soulagé à Bruxelles et dans les capitales européennes puisqu’on évite le clash juridique entre une norme européenne et une norme adoptée par un référendum national.

Néanmoins, est-ce vraiment une défaite politique pour Viktor Orban? C’est aller un peu vite en besogne, lorsque l’on sait que le vote négatif a atteint 93,8% des suffrages exprimés et qu’il ne faut pas oublier que le référendum d’adhésion à l’UE n’avait mobilisé que 45,5% des électeurs (le oui l’avait emporté à 84%)... Je pense donc plutôt que le bras de fer entre Orban et l’Union va repartir de plus belle: d’ailleurs, il a déjà annoncé qu’il allait modifier la constitution hongroise afin d’affirmer la prééminence du droit national sur le droit européen dans le domaine de l’immigration, ce qui serait une violation pure et simple des traités...

Catégories: Union européenne

Brexit: que les Anglais payent la facture !

jeu, 29/09/2016 - 17:51

Qui va payer les frais du divorce entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne ? Londres ayant décidé de claquer la porte du domicile conjugal en dépit des suppliques de ses partenaires qui voulaient qu’elle reste, il n’y a aucune raison qu’ils assument de près ou de loin les coûts de la procédure. D’autant que le moindre euro du budget communautaire est compté, Londres ayant bataillé et obtenu (avec le soutien de l’Allemagne, il est vrai) pour que la programmation financière 2014-2020 soit en diminution pour la première fois de l’histoire européenne… Or le Brexit va coûter cher.

La Commission a engagé l’ancien commissaire Michel Barnier comme chef de file de ses négociateurs avec rang de directeur général, qui émargera, à partir du 1er octobre, autour de 17.000 euros par mois. Il peut déjà compter sur une adjointe (allemande) qui sera payée à peu près au même tarif et, dans un premier temps, sur une équipe d’une vingtaine de fonctionnaires. Soit une masse salariale minimale de 540.000 euros sur deux ans, durée minimale de la négociation une fois que l’article 50 du traité sur l’Union européenne aura été activé par le Royaume-Uni. Plus il tarde à présenter sa demande de divorce, plus la facture augmente. Mais le personnel impliqué ira bien au-delà : on estime à la Commission qu’environ 200 personnes travailleront, au moins à temps partiel, sur le Brexit, soit une masse salariale d’environ (on est à la louche : j’ai retenu un salaire moyen brut de 7000 euros mensuels) de 34 millions, des eurocrates distraits d’autres tâches bien plus importantes. Surtout, l’exécutif européen ne sera pas seul mobilisé par cette négociation : le Conseil des ministres et le Parlement européen ont aussi leurs équipes, toutes les institutions communautaires étant concernés par cette grande première qu’est le départ d’un État membre. Il en ira de même dans les Etats membres où des diplomates seront chargés de surveiller les négociations afin de s’assurer qu’elles ne nuisent pas à leurs intérêts. Las but not least : il faut ajouter à ces salaires tous les frais : téléphones, déplacements à Londres et dans les capitales européennes, hôtels, restaurants, etc. Une affaire qui coutera donc au bas mot 50 millions d’euros, sans doute plus, aux contribuables européens. En Grande-Bretagne, la facture de la préparation du Brexit, encore plus complexe de ce côté de la Manche, est estimée à 75 millions d’euros par an par le think tank «The Institute for government».

Certes, on peut faire valoir qu’il en va de même des négociations d’élargissement qui, elles aussi, mobilisent des moyens. Mais là, c’est très différent : les deux parties étant désireuses de s’unir, il est normal que l’Union supporte une partie des coûts. « I want my money back » clamait en son temps Margaret Thatcher, l’ex Première ministre britannique. Il est temps de lui rendre la monnaie de sa pièce : faisons payer à la Grande-Bretagne l’ensemble des frais de la procédure d’un divorce qu’elle seule a voulu et que cet argent soit affecté, par exemple, au programme Erasmus qui en a bien besoin !

N.B.: version mise à jour de mon éditorial paru le 26 septembre

Catégories: Union européenne

Neelie Kroes, symbole de la corruption morale des Etats

lun, 26/09/2016 - 20:48

REUTERS/Thierry Roge THR/THI Barroso et Kroes en 2004

Y aurait-il quelque chose de pourri dans l’Union européenne ? Après José Manuel Durao Barroso, président de la Commission entre 2004 et 2014, prit la main dans le Sachs de la cupidité, c’est au tour de l’une de ses commissaires d’être épinglée par la presse : la Néerlandaise Neelie Kroes a présidé une société offshore établie aux Bahamas, un paradis fiscal réputé, entre juillet 2000 et octobre 2009, une fonction qu’elle a « oublié » de déclarer lorsque la libérale batave a été nommée, en novembre 2004, commissaire à la concurrence. Un mensonge qui se double d’une faute morale, vu les fonctions qu’elle a exercées. Si on ajoute à cela les nombreux cas de « pantouflages », ces recasages d’anciens commissaires ou hauts fonctionnaires européens dans le privé, ou le Luxleaks, qui a montré comment Jean-Claude Juncker, l’ancien premier ministre luxembourgeois et président de la Commission depuis 2014, a offert un traitement fiscal préférentiel à des multinationales pour les attirer chez lui, c’est un tableau peu reluisant qu’offre l’exécutif européen. Le cœur des outragés se fait donc entendre : vraiment, l’Europe, ça n’est plus ça si ce fut jamais !

Avant de joindre sa voix à celle des indignés de service, rappelons quelques faits. Neelie Kroes n’est pas le produit du système européen, mais de son pays : politicienne madrée, elle a été désignée par son gouvernement comme commissaire en 2004 et renommée par le même gouvernement en 2009 (au sein de la Commission Barroso II, de 2009 à 2014, où elle a été chargée de la société numérique). Ancienne ministre des Transports, sa proximité avec le monde des affaires (elle siégeait dans une douzaine de conseils d’administration : (Volvo, Lucent, Thales, MMO2, Nederlandse Spoorwegen NV, Ballast Nedam, Royal P & O Nedlloyd NV, etc.) et même mafieux (via son proche ami, Jan-Dirk Paarlberg, un promoteur immobilier sulfureux), et son goût pour l’argent étaient parfaitement connus des Néerlandais et n’embarrassaient manifestement pas ce peuple à la morale si sourcilleuse.

Le Parlement européen, qui devait entériner cette nomination, a bien tenté d’obtenir le remplacement de Kroes, en vain. Barroso, déjà affaibli par la censure du démocrate-chrétien italien Rocco Buttiglione, écarté pour ses propos jugés homophobes et misogynes, et de la Lettone eurosceptique Ingrida Udre, impliquée dans une affaire de financement occulte de parti politique, a refusé tout net, soutenu par la majorité de droite. Le Parlement et la Commission auraient-ils dû enquêter plus avant ? Sans doute, sauf qu’ils n’ont aucun pouvoir d’investigation de quelque nature que ce soit, les États y ont veillé. « Bruxelles » ne peut pas laver plus blanc que blanc et n’a d’autre choix que de s’en remettre aux États membres. D’ailleurs, les Pays-Bas n’ont jamais mis en cause politiquement ou pénalement Neelie Kroes : ils n’ont même pas été capables de découvrir l’existence de la fameuse offshore.

Ce qui ne dédouane pas les dirigeants communautaires : informé des liens troubles qu’entretenait Kroes avec le monde de l’argent, Barroso aurait pu la nommer à un poste moins exposé que la concurrence et le Parlement n’aurait pas dû relâcher la pression. Mais c’était prendre le risque de se fâcher avec un pays supplémentaire (Silvio Berlusconi a défendu jusqu’au bout son ami Buttiglione) et surtout offrir une victoire supplémentaire à la gauche… L’Union, c’est aussi de la politique.

Ce que montre en réalité l’affaire Kroes, qui n’a pas failli dans ses fonctions de commissaire jusqu’à preuve du contraire, placée qu’elle était sous haute surveillance de l’administration communautaire, est que la corruption morale est dans les États membres, la classe politique européenne n’étant que son émanation. Bruxelles n’est pas Washington, c’est-à-dire un État fédéral qui génère sa propre classe politique. Si Jérôme Cahuzac avait été nommé commissaire, accuserait-on la Commission Juncker de ses fraudes fiscales alors que l’Etat français a été incapable de les mettre à jour au point de le nommer ministre du budget ? Alors oui, il faut s’indigner, mais ne pas se tromper de cible. C’est l’avidité des élites étatiques qui abîme la politique en général, le projet européen par voie de conséquence. Et il faut savoir gré à l’Union d’avoir généré des règles visant à limiter les conflits d’intérêts ou, dans un autre domaine, à identifier les lobbyistes dont on cherche en vain l’équivalent dans les Etats membres.

N.B.: Quelques articles parus à l’époque: en 2004 (ici, ici ou encore ici) ou en 2006 (ici et ici).

N.B.: version rallongée de mon article paru dans Libération du 24 septembre

Catégories: Union européenne

Le péril catalan

jeu, 22/09/2016 - 21:21

J.Q.

Après le « Brexit », le possible « Scotin », le maintien de l’Écosse dans l’Union après le Brexit, l’Europe va-t-elle affronter un prochain« Cat-exit-remain » ? Autrement dit l’indépendance unilatérale d’une Catalogne farouchement décidée à rester dans l’Union ? Tel est bien le but des dirigeants indépendantistes catalans, au pouvoir depuis septembre 2015, qui espèrent se séparer de l’Espagne d’ici l’été 2017 ou 2018 sans que cela affecte l’appartenance de la Catalogne à l’Union. Dimanche 11 septembre, pour la cinquième année consécutive, une partie des Catalans a manifesté en faveur de l’indépendance: à l’occasion de la Diada, la fête nationale locale, 800.000 personnes sont descendues dans la rue (pour une population de 7,5 millions d’habitants), selon les autorités, un chiffre équivalent à celui de l’année dernière, mais nettement inférieur aux éditions de 2012 à 2014 (entre 1,5 et 2 millions de manifestants), l’opinion publique se lassant des déchirements internes du camp indépendantiste.

Droit historique

«Nous avons un droit historique à être reconnus comme une nation et un État. D’ailleurs, nous sommes en train de devenir un État indépendant et nous sommes déterminés à tout faire pour parvenir à ce but», martèle Carles Puigdemont, le président de la Généralité de Catalogne qui a succédé à Arthur Mas en janvier dernier, devant un groupe de journalistes français. «L’indépendance est inévitable, impossible à stopper et sans alternative. Nous irons jusqu’au bout», surenchérit Raül Romeva, le ministre «des affaires étrangères» catalan à qui le Tribunal constitutionnel de Madrid, le cerbère veillant à l’unité espagnole, a interdit de porter ce titre... Même si les élections de 2015, auxquels les partis indépendantistes avaient donné un caractère plébiscitaire, ont été un demi-échec (48 % des voix seulement, contre 39 % aux partis unionistes, mais une majorité absolue en sièges), le gouvernement de la Generalitat estime malgré tout avoir reçu un mandat pour organiser un référendum d’autodétermination afin de trancher une bonne foi pour toute la question catalane. «80 % des Catalans sont pour un référendum et plus de 50 % sont pour l’indépendance», estime le journaliste et philosophe Joseph Ramoneda. «Alors qu’historiquement l’indépendantisme a toujours été minoritaire», rappelle Joan Culla, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Barcelone, désormais, ajoute Joseph Ramoneda, philosophe et journaliste, «il n’est plus tabou, surtout parmi les jeunes».

«Il y a deux voies pour parvenir à l’indépendance», explique Carles Puigdemont. «Soit nous organisons un référendum à l’été 2017 ou 2018 avec l’accord de Madrid, comme cela a été le cas en Écosse. Ce serait la résolution idéale du conflit. Mais, en dehors de Podemos, aucun autre parti espagnol ne veut parvenir à un tel accord: le pouvoir central nous menace même de nous déclarer illégaux, car, selon lui, nous violons la Constitution espagnole. Nous sommes donc prêts à nous passer de son accord : les Catalans veulent décider de leur avenir. Tout a commencé dans les urnes avec notre élection, cela se terminera donc dans les urnes». Autant dire que la détermination de la majorité au pouvoir (Ensemble pour le oui -Juns pel Si, 62 sièges sur 135 au sein du Parlement de Catalogne- appuyé par la gauche radicale de Candidature d’unité populaire, 10 sièges) est totale, même si Joan Culla ne croit guère à une «proclamation unilatérale, très difficile à imaginer », pas plus que les diplomates européens en poste à Barcelone : «il n’y a aucun moyen d’obliger Madrid à appliquer l’indépendance», juge l’un d’eux.

Confrontation

Côté indépendantiste, on la joue bravache: « On en passera si nécessaire par une confrontation avec un État qui ne nous a jamais considérés«, tranche Lluis Llach, député du parti Juns pel Si, et chanteur légendaire, réfugié en France sous la dictature franquiste. »Avant la fin de la législature, on votera les lois de déconnexion qui nous permettront de nous couper du système juridique de l’État central et d’organiser un référendum d’autodétermination«, annonce Carles Puigdemont. Un »coup d’État« dénoncé par les unionistes qui estiment que »le parlement catalan n’a aucune légitimité pour organiser une telle consultation«, comme l’affirme Ferran Predet, député du parti socialiste espagnol (PSOE).

De fait, un référendum unilatéral sera considéré comme nul et non avenu par Madrid : »en 2014, le tribunal constitutionnel espagnol a déjà annulé une loi permettant d’organiser un référendum. Il a quand même eu lieu le 9 novembre de la même année à titre consultatif et sans cadre légal: la moitié du corps électoral y a pris part et 80 % a voté en faveur de l’indépendance«, explique un diplomate européen. »On en est resté là, car les Catalans sont très attachés, quoi qu’ils en disent, à l’État de droit«. Ce diplomate explique que, « dès qu’un projet de loi dépassant le cadre de l’autonomie assez large prévue par la Constitution de 1978 est déposé, voire simplement si une commission parlementaire est créée pour l’examiner, le Tribunal, saisi par les unioniste, l’annule».

Mais les circonstances ont évolué depuis cette date. «On a tout essayé, mais on a échoué», martèle Carles Puigdemont. «Nous ne sommes pas responsables de la situation de blocage» créée, en juin 2010, par le Tribunal constitutionnel, composé de juges désignés par le Parti populaire (PP) et le PSOE. De fait, celui-ci a profondément édulcoré la réforme du statut d’autonomie adopté par les Cortès et par référendum en Catalogne, en 2006, et qui donnait largement satisfaction aux revendications catalanes. Tous les partis catalans, sauf les conservateurs du PP, dénoncent d’ailleurs l’incapacité de l’Espagne à se transformer en un véritable État fédéral à l’allemande. « L’Espagne, c’est en réalité une Suisse en plus grande. Mais le pouvoir central refuse de reconnaître cette réalité », estime Marti Anglada, représentant de la Catalogne en France et en Suisse. « Il y a un épuisement du système hérité de la transition, comme le montre la crise politique madrilène qui dure depuis plus d’un an«, analyse Lluis Llach : »c’est d’ailleurs dans la rue, en 2010, qu’a commencé le chemin vers l’indépendance. C’est un mouvement social très puissant«. Ce qui est exact tant du côté des syndicats que du patronat qui souligne que 63% des PME sont en faveur de l’indépendance.

Guerre civile?

La »confrontation« aura-t-elle lieu? Rien de moins certain, les camps en présence cherchant surtout à créer un rapport de force afin de faire triompher ses thèses sans en passer par là. Madrid fait notamment valoir qu’une Catalogne indépendante serait automatiquement exclue de l’Union européenne, une catastrophe économique pour la région. « D’une part, rien n’est prévu par les traités européens dans un tel cas », rétorque Carles Puigdemont. « D’autre part, si Madrid estime qu’une Catalogne indépendante doit sortir de l’Union et renégocier une adhésion à laquelle elle pourrait poser son véto, il faudrait d’abord qu’elle nous reconnaisse! Or, elle a annoncé qu’il n’en était pas question ». Surtout, « personne au sein de l’Union ne voudra se priver de l’économie catalane qui pèse 2 % de son PIB. Je suis persuadé que la realpolitik finira pas l’emporter et que nous resterons membre de l’Union ». Pour Puigdemont, « il ne s’agit pas de créer un État nation du XIXe siècle, mais du XXIe siècle: ce ne sera pas une déclaration d’indépendance, mais d’interdépendance ».

Jouer avec les frontières n’est, en tout cas, pas sans danger comme l’a montré la guerre dans l’ex-Yougoslavie: « il n’y aura pas de guerre civile en Catalogne, il n’y a pas de tradition de violence comme au Pays basque », affirme, sûr de lui, Puigdemont. « J’exclus un scénario violent : ici, nous arrivons à faire des coalitions avec des gens avec qui nous sommes en désaccord profond ». Un scénario idyllique auquel ne croit pas Chantal Moll de Alba, professeur de droit civil et membre de Ciutadanos: « il y a de la haine entre les indépendantistes et les unionistes qui ont peur de s’exprimer ». Pour Josep Lluis Rabell, député de « Catalunya si que es Pot », qui comprend notamment la branche catalane de Podemos, « nous nous croyons l’exception, mais nous n’échapperons pas à la violence »: « si nous nous déclarons indépendants, une bonne partie de la société catalane ne reconnaitra pas le référendum ». Les indépendantistes sont-ils prêts à prendre un tel risque pour la Catalogne, l’Espagne et l’Europe?

N.B.: Version longue de l’article paru dans Libération du 20 septembre.

Les journalistes français ont été invité par le gouvernement catalan qui ont pu rencontrer l’ensemble des acteurs politiques, sociaux, économiques, pro ou anti indépendance. Seul le Parti Populaire a refusé de nous rencontrer.

Catégories: Union européenne

«L'esprit de Bratislava», une mascarade

sam, 17/09/2016 - 19:59

Le sommet de Bratislava qui a eu lieu vendredi a été une véritable mascarade qui a montré une nouvelle fois la réalité de l’Europe des Etats. Mon analyse est ici. Mercredi, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission a pourtant tenté de repartir à l’offensive en accord avec Berlin et Paris. Mes articles sont ici et ici.

Catégories: Union européenne

Jean-Claude Juncker, verre de rage

ven, 16/09/2016 - 13:59

Mon portrait de Jean-Claude Juncker est ici. Objet d’une campagne de dénigrement virulente de la presse anglaise, américaine et allemande sur le thème de son alcoolisme, de son absentéisme, de ses maladies, et j’en passe, le président de la Commission a accepté de me rencontrer pour répondre à ces attaques très personnelles.

Il en ressort ce portrait qui a fortement déplu (on peut dire ça comme ça) à ses portes-paroles qui auraient voulu que je n’écrive pas, en particulier, qu’il avait bu quatre coupes de champagne pendant le déjeuner, montrant ainsi qu’ils n’ont pas vraiment compris ce qu’était le journalisme... Le mérite de Juncker est justement qu’il ne dissimule pas et refuse de rentrer dans le cadre technocratique dont rêve pour lui un entourage pas toujours très inspiré ou plutôt un peu trop centré sur ce que pense une presse anglo-saxons hygiéniste et politiquement correcte (et d’une rare hypocrisie quand on connait le rapport des Britanniques à l’alcool...).

Catégories: Union européenne

Barroso, droit dans ses « Texas boots »

mar, 13/09/2016 - 21:49

Photo Yves Herman. Reuters

L’ancien président de la Commission européenne, José Manuel Durao Barroso, n’a décidément pas changé : arrogant, dominateur et sûr de lui, voici l’ancien premier ministre portugais tel qu’en lui-même. Dans un courrier glacé adressé à son successeur, Jean-Claude Juncker, et révélé par l’AFP, il estime « sans fondement et complètement imméritées » les critiques qui ont suivi son recrutement par la sulfureuse banque d’affaires américaine Goldman Sachs.

Pour lui, les décisions de la Commission de le traiter comme un simple lobbyiste, et non comme un ancien président, ainsi que de saisir le comité d’éthique « sont discriminatoires à mon égard et contre Goldman Sachs ». Pas moins. Au passage, on apprend qu’il n’a pas été embauché (à quel plantureux salaire ? Mystère) pour s’occuper du Brexit, mais pour donner «des conseils liés aux affaires de la banque avec ses clients», une fonction qui est donc bien plus large et donc potentiellement génératrice de nombreux conflits d’intérêts.

L’occasion de lire mon éditorial paru dans Libération de ce matin: «Barroso, la Commission de l’émotion».

Catégories: Union européenne

Angela Merkel affaiblie, l'Europe paralysée

sam, 10/09/2016 - 07:51

Vincenzo Pinto (AFP)

Angela Merkel est-elle toujours la «Queen of Europe», comme la presse britannique aime à l’appeler ? Faute de successeur crédible sans doute, mais c’est une reine dont la splendeur semble appartenir au passé. Affaiblie sur la scène allemande à cause de sa politique d’ouverture aux réfugiés, la chancelière, à un an d’élections générales à haut risque, n’a plus vraiment les moyens de peser sur l’avenir de l’Europe, et ce, au pire moment : non seulement la Grande-Bretagne a décidé de quitter l’Union, mais les crises qui ont secoué l’Europe ces dernières années couvent toujours. Déjà prudente en temps normal, Angela Merkel va sans doute temporiser comme jamais afin de ne pas fournir d’arguments de campagne à ses opposants - les europhobes de l’AFD au premier chef, après sa victoire dans son Land d’origine, dimanche dernier - mais aussi à ses partenaires de la grande coalition, les sociaux-démocrates du SPD, qui ont commencé à prendre leurs distances, notamment sur la politique européenne. Avec une chancelière absorbée par ses rendez-vous de politique intérieure, il est donc plus que probable qu’il ne se passera rien sur la scène communautaire avant fin 2017 : l’UE semble condamnée à naviguer encore quelque temps à la godille…

Personne en Europe ne peut prétendre occuper la place de Merkel, d’autant que, même fragilisée, elle demeure un roc de stabilité comparé à ses partenaires. Ainsi le président du Conseil italien, Matteo Renzi, affronte en octobre un référendum qui pourrait bien lui être fatal, tandis que François Hollande est totalement démonétisé sur le plan intérieur comme sur la scène européenne à force d’inexistence. Pis : les Allemands ne lui font plus guère de crédit, d’autant qu’ils savent lire une courbe de popularité. L’Europe politique est donc, pour l’instant, un champ de ruines entre un couple franco-allemand aux abonnés absents et des dirigeants nationaux plus fragiles les uns que les autres… Le Conseil européen de Bratislava, qui réunira le 16 septembre les chefs d’Etat et de gouvernement (à l’exclusion des Britanniques) pour préparer l’après-Brexit, devrait accoucher d’une souris.

«La page du futur».

En dehors de la tarte à la crème de l’Europe «concrète» ou «proche des citoyens», les Etats savent qu’une relance de l’UE passe obligatoirement par une remise à plat des traités européens, notamment pour renforcer et démocratiser la zone euro, mais aussi pour créer une véritable défense européenne qui semble rallier de plus en plus de suffrages, y compris dans l’est de l’Union. L’Italie espérait profiter du soixantième anniversaire du traité de Rome, le 25 mars 2017, pour lancer ce chantier d’envergure, mais la «page du futur» que Matteo Renzi souhaite écrire - comme il l’a proclamé le 22 août lors du sommet de Ventotene, au cours duquel il a rencontré Angela Merkel et François Hollande - risque de rester blanche. Guy Verhofstadt, le président du groupe libéral du Parlement européen, n’est pas de cet avis : «Lancer le chantier est au contraire sans risque. Il n’y a aucune chance qu’on parvienne à un accord avant les élections allemandes ou même que l’on produise des propositions qui pourraient être utilisées dans les débats nationaux. Il faut juste lancer la mécanique : les Vingt-Sept montreront ainsi leur engagement européen.» Mais, à l’heure actuelle, on n’en est absolument pas là.

Cette paralysie annoncée fait au moins le bonheur d’un dirigeant : la Première ministre britannique, Theresa May. Déjà peu disposée à déclencher rapidement le processus de sortie de son pays de l’Union afin de se donner le temps de se mettre en ordre de bataille, son entourage évoque de plus en plus ouvertement non plus le début de l’année 2017 pour demander l’application de l’article 50 (qui ouvrira une période maximale de deux ans pour négocier le départ), comme il en était question jusqu’à présent, mais la fin de l’année prochaine, une fois les élections françaises et allemandes passées.«Il n’y a plus de leadership européen, il y a donc une certaine logique à attendre qu’il se reconstitue pour négocier la sortie», estime Denis McShane, l’ancien ministre des Affaires européennes de Tony Blair.

A bras-le-corps.

Si aujourd’hui Angela Merkel est plutôt encline à se montrer compréhensive à l’égard de Londres, à la différence de François Hollande, qu’en sera-t-il de leurs éventuels successeurs ? Mais la perspective d’un Brexit rapide s’éloignant, cela ne pousse pas non plus les dirigeants européens à se saisir à bras-le-corps de l’avenir de l’Union : pourquoi ouvrir dès maintenant un front européen périlleux, alors que les batailles de politique intérieure s’annoncent déjà rudes ? Au fond, l’affaiblissement d’Angela Merkel tombe à pic.

N.B.: article paru dans Libération du 5 septembre

Catégories: Union européenne

Burkini, voile : les racines religieuses des leçons de « tolérance » anglo-saxonne

mer, 07/09/2016 - 08:19

La presse britannique et américaine n’a pas ménagé ses critiques à l’égard du débat estival français sur le burkini, comme elle l’avait fait dans le passé lors de l’interdiction du voile dans les services publics puis de la burka. Le Daily Telegraph de Londres résume parfaitement le ton des médias anglo-saxons : il voit dans l’interdiction décidée par une poignée de communes du littoral un «acte d’un fanatisme insensé» et juge que «les vrais ennemis de la liberté ne sont pas les porteuses de burkini, mais les politiciens qui veulent les interdire». Le New York Times a donné la parole à des femmes musulmanes «persécutées» en France, dont l’une estime même que «les chiens ont plus de droits que les femmes voilées» (ce qui n’a pas plu à Manuel Valls, le Premier ministre). Pour bien enfoncer le clou, le journal a traduit l’article en français… Bref, la France serait quasiment une dictature qui aurait instauré un régime d’apartheid à l’égard des musulmans, une sorte d’Alabama des années 60. Ne nous y trompons pas : le débat va bien au-delà de la place de la religion musulmane (dans sa version islamiste) en France, les critiques étant tout aussi virulentes à l’égard de la politique française à l’égard des sectes, aucun Anglo-saxon ne comprenant pourquoi l’Église de scientologie, pour ne citer qu’elle, n’est pas reconnue comme une Église comme une autre.

En France, les défenseurs du droit des femmes musulmanes intégristes à couvrir leur corps à la plage ou ailleurs, soit une partie de la gauche (y compris féministe) et les libéraux, y ont vu un soutien inespéré à leur thèse, la «modernité» étant forcément anglo-saxonne. C’est moins le débat sur le burkini ou le voile qui m’intéresse ici que les raisons sous-jacentes aux critiques de la presse anglo-américaine : mis à part The Economist, qui a fait traiter le sujet par sa correspondante à Paris, elle a manifesté là une gigantesque incompréhension de ce qu’est le modèle français, et les Français qui se sont réjouis de ces critiques n’ont pas mesuré à quel point le modèle britannique et américain est différent du nôtre, un système dont ils ne voudraient par ailleurs à aucun prix : place de la religion, liberté d’expression, relativisme culturel, autant d’éléments qu’il faut prendre en compte si l’on veut comprendre la nature profondément différente du débat en France, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.

In god, we trust

D’abord, la place qu’occupe la religion dans le monde anglo-saxon est particulière : la laïcité à la française n’y existe tout simplement pas. Il ne faut pas oublier que les États-Unis ont été fondés par des sectes religieuses chrétiennes chassées d’Europe à cause de leur nocivité supposée et que le pays reste fortement marqué par ses origines religieuses. Certes, l’État est séparé de l’Église, mais en ce sens qu’il est neutre à l’égard des religions, qu’il n’en favorise aucune en particulier. Mais, la religion est partout. Toutes les religions sont autorisées en vertu du premier amendement de 1791 : «le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion». Depuis 1956, la devise officielle est «in god we trust» et elle figure même sur la monnaie américaine. Mieux, le président américain prête dans la quasi-totalité des cas serment sur la Bible (mais c’est une pratique non obligatoire).

Résultat, même les sectes les plus extrémistes y ont droit de cité (des Mormons de l’Utah aux Amishs, en passant par les Témoins de Jéhovah, les Scientologues, etc). On compte aux États-Unis plus de 450.000 églises et ce n’est pas demain la veille qu’un président officiellement athée pourra se faire élire. À cela s’ajoute le respect absolu de la liberté d’expression, pendant de la liberté religieuse totale : on peut proférer toutes les opinions même les plus extrémistes, qu’elles soient racistes, antisémites, négationnistes, etc. L’existence officielle du KKK et d’autres groupes suprématistes blancs sont là pour le montrer.

C’est aussi vrai, mais dans une moindre mesure, en Grande-Bretagne où l’anglicanisme (une communauté d’églises autocéphales en réalité, à mi-chemin du protestantisme et du catholicisme), religion d’État (la reine est le gouverneur suprême de l’église d’Angleterre), s’est parfaitement accommodé du communautarisme, en particulier religieux : ainsi 85 tribunaux islamiques rendent des jugements dans les domaines civils et commerciaux, jugements qui doivent cependant être confirmés par la High Court pour avoir force obligatoire (en réalité s’ils sont contestés). En outre, la société britannique reste une société de classe strictement hiérarchisée où chacun fait ce qui lui plait dans sa classe sociale tant que l’ordre social n’est pas perturbé. Enfin, outre-Manche, tout comme outre-Atlantique, la liberté d’expression y est quasi absolue, héritage de la rupture avec Rome et ses dogmes.

Fellation interdite

Cette liberté a néanmoins ses limites, des limites marquées au coin de la religion : pendant longtemps, l’homosexualité a été durement réprimée (alors que la polygamie des sectes était admise), et, comme dans une banale théocratie, les États américains n’hésitent pas à s’inviter dans le lit de leurs citoyens (à ma connaissance, ce n’est pas le cas en Grande-Bretagne). Ainsi l’Alabama a interdit, jusqu’en 2014, la fellation et la sodomie, même au sein des couples hétérosexuels, la Virginie interdit de faire l’amour en pleine lumière ou encore le Dakota du Sud impose que les hôtels aient des chambres à lits jumeaux séparés de 60 centimètres si le couple réserve pour une seule nuit. Il est même précisé qu’il est formellement interdit de faire l’amour au sol, entre les deux lits… Les lois et pratiques de la plupart des États américains sur les atteintes à la pudeur n’ont rien à envier aux pays musulmans (rappelons le scandale du Nipplegate). Et que dire de l’abrogation des lois sur la mixité décidée sous l’administration Georges W. Bush qui autorise les écoles réservées aux enfants de même sexe ?

Allons un peu plus loin et rappelons à nos amis américains que la ségrégation à l’égard des Noirs, peuple fondateur des États-Unis d’Amérique, n’est pas si lointaine – en considérant même qu’elle ait vraiment cessé — et que les États-Unis n’ont pas hésité, il y a 70 ans à enfermer dans des camps tous les Américano-japonais parce que soupçonnés d’être génétiquement des ennemis… Si une femme musulmane française voilée affirme sans rire qu’elle est moins bien traitée qu’un chien alors qu’une autre se demande si on ne va l’obliger à «porter une lune pour être reconnue» (heu, ça n’est justement pas le but du voile ?), que pourraient dire les Afro-américains, eux, qui peuplent les geôles américaines et qui n’ont pas intérêt à avoir affaire à la police blanche s’ils ne veulent pas être abattus…

Un modèle religieux

Enfin, rappelons que ce sont les Anglo-américains qui se sont jetés à corps perdu dans des guerres contre des pays musulmans avec les résultats que l’on voit, ce qui accroît le sentiment d’une guerre entre le monde occidental et le monde musulman. Les leçons de tolérance des Américains sont assez étonnantes à l’heure où le candidat républicain, Donald Trump, veut interdire l’accès du territoire aux Musulmans, ce qui est autrement plus grave que quelques interdictions municipales du burkini. Faut-il aussi rappeler que la ville de New York s’est opposée à la construction d’une mosquée à proximité du mémorial du 11 septembre ? Et on n’a guère entendu les Anglo-saxons lorsque tous les pays d’Europe de l’Est ont refusé d’accueillir des réfugiés parce que musulmans. Mais le burkini, voilà une atteinte intolérable aux droits des femmes musulmanes…

Il ne s’agit pas de dire que le modèle français est parfait, ce qui n’est manifestement pas le cas, mais qu’il est différent : la liberté d’expression n’est pas totale (diffamation, lois mémorielles, répression du racisme et de l’antisémitisme), l’espace public est étroitement réglementé, la séparation de l’Église et de l’État est absolue (sauf en Alsace-Moselle), l’Église catholique ayant été renvoyée dans ses églises avec une violence dont on n’a pas idée aujourd’hui. Même la langue française a un statut incompréhensible pour le reste du monde (c’est la seule langue admise par la Constitution et une Académie veille à sa pureté) si on ignore qu’elle a été imposée par la force aux dizaines de peuples qui vivaient dans l’espace français afin de cimenter le pays.

Bref, invoquer l’exemple de «tolérance» anglo-américain est donc un non-sens puisqu’il ne se découpe pas en tranche et qu’elle est religieuse. Est-ce de ce modèle dont nous voulons ?

N.B.: Il y a 7,5 % de musulmans en France, le pays occidental qui en compte le plus, 4,6 % en Grande-Bretagne et 0,8 % aux Etats-Unis. Même s’ils sont à prendre avec d’infinies précautions, ces chiffres de 2011 restent intéressants, car ils montrent aussi la spécificité de la France qui accueille forte communauté non chrétienne.

Catégories: Union européenne

Apple: le chemin de Damas de Juncker

ven, 02/09/2016 - 16:09

REUTERS/Dado Ruvic/Illustration

«Ne doutez pas de mon ardeur» à lutter contre l’évasion fiscale, lançait à des députés européens dubitatifs, le 12 novembre 2014, un Jean-Claude Juncker sonné par la révélation, une semaine plus tôt, du scandale LuxLeaks. Le nouveau président de la Commission européenne, cueilli à froid quelques jours après sa prise de fonction, avait dû expliquer qu’il n’était ni «l’ami du grand capital» ni celui de l’évasion fiscale et qu’au contraire, il était déterminé à lutter contre celle-ci et la fraude. Bref, l’homme qui avait si bien promu la place fiscale luxembourgeoise pendant vingt-cinq ans comme ministre des Finances puis comme Premier ministre du grand-duché allait être le Vidocq de la fiscalité, ce truand devenu le père de la police judiciaire moderne.

Deux ans plus tard, il a tenu parole, comme l’affaire Apple vient une nouvelle fois de l’illustrer. Jamais avant sa présidence un exécutif européen, pourtant dominé par les conservateurs et les libéraux, n’avait montré une telle détermination à en finir avec une concurrence fiscale particulièrement dommageable pour des budgets nationaux de plus en plus contraints. Son action s’est déroulée sur deux fronts. D’un côté, une série de textes législatifs ont profondément changé le paysage fiscal communautaire : directive sur la transparence des rescrits fiscaux, plan de lutte contre la fraude à la TVA, fin du secret bancaire, proposition de directive imposant aux multinationales la transparence fiscale pays par pays (CBCR, Country by Country Report) afin qu’elles ne puissent plus profiter des différences de législation et de l’opacité pour échapper à l’impôt, etc. De l’autre, la Commission a attaqué l’évasion fiscale par le biais de la politique de concurrence. Selon elle, les entreprises qui bénéficient d’une fiscalité arrangeante et dérogatoire à la règle commune sont aidées par les Etats européens au détriment de leurs compétiteurs : c’est ainsi une aide d’Etat illégale, non pas en soi puisque la plupart de ces aides sont légales, mais parce qu’elle n’est ni justifiée ni équitable.

Apple vient d’en faire les frais, tout comme avant lui Starbucks, Fiat, Celio, BP, AB Invest, BASF, Belgacom, British American Tobacco… McDonald’s ou Amazon devraient suivre. Une interprétation juridiquement osée puisqu’en réalité, c’est moins une aide d’Etat destinée à une entreprise particulière qui est visée que des dispositions fiscales iniques. Mais, faute de compétence dans le domaine fiscal, les Etats ayant toujours refusé de partager leur souveraineté dans ce domaine, c’est là le seul moyen d’attaquer ces dispositifs destinés à attirer les entreprises. Surtout, la concurrence étant une compétence fédérale, les gouvernements n’ont aucun moyen de bloquer la Commission, comme ils peuvent le faire dans le domaine législatif, ce dont ils ne se privent pas.

Le seul moyen pour les Etats de freiner ces ardeurs nouvelles de la Commission est de la poursuivre devant la Cour de justice européenne, comme le font les entreprises obligées de payer les impôts éludés. Ainsi, le gouvernement irlandais vient d’annoncer son intention de contester la décision de l’exécutif européen dans l’affaire Apple,ce qui suscite de forts remous internes, alors que les 13 milliards d’euros qu’il lui doit combleraient son déficit public. La Belgique et le Luxembourg l’avaient déjà fait pour éviter aux entreprises de payer un impôt pourtant dû. Les Irlandais, qui viennent de subir une cure d’austérité après le sauvetage massif des banques décidé par Dublin, apprécieront. Si les Etats voulaient fournir une ultime preuve que ce n’est pas l’Union européenne qui souhaite la concurrence fiscale, comme le clament les europhobes, mais bel et bien les gouvernements nationaux, ils ne s’y prendraient pas autrement. C’était d’ailleurs la défense de Juncker au moment du LuxLeaks : en tant que chef de gouvernement, il n’a pas fait plus que ses partenaires européens. Autant dire que l’évasion et la fraude fiscales ne cesseront pas en pariant sur une supposée bonne volonté des Etats, mais seulement si la fiscalité des entreprises devient une compétence communautaire.

N.B.: article paru dans Libération du 31 août

Catégories: Union européenne

L’UE dans toutes ses crises

mer, 24/08/2016 - 18:32

C’était bien vu : « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Jean Monnet (1), l’un des pères de l’Europe, avait, il est vrai, déjà de nombreuses crises européennes au compteur lorsqu’il écrivit cette forte sentence dans ses Mémoires publiées en 1976, vingt-six ans après que Robert Schuman ait appelé à la réconciliation franco-allemande, le 9 mai 1950. Quarante ans plus tard, elle n’a jamais été aussi exacte, les crises s’enchainant à un rythme rapide, au point qu’il ne se passe pas un jour sans qu’un « observateur averti » ne prédise l’explosion en plein vol du projet européen. Ces dernières années ont été prolifiques, il est vrai : depuis 2008, on a eu droit à la crise financière, économique, de l’euro, des réfugiés, des migrants, du terrorisme, du Brexit. On peut même dire que l’état de crise est l’état normal d’une Europe qui doit se construire entre des États pluricentenaires qui se sont longuement et soigneusement entretués au cours de leur histoire. Il y a eu de grandes et de petites crises au cours des 70 ans écoulés, mais voici notre panthéon personnel, forcément subjectif, qui ont profondément impacté la construction communautaire et éclairent les difficultés du présent.

1/ La France enterre la défense européenne

C’est l’acte manqué français par excellence, celui qui nous poursuit encore 62 ans plus tard. Car, les Français le disent dans tous les sondages, à l’heure de la montée des périls, ils réclament une défense et une politique étrangère européenne et, au lendemain du Brexit, François Hollande a pris son bâton de pèlerin pour convaincre ses partenaires de réaliser enfin cette « Europe de la défense » pour réconcilier les citoyens avec une Europe qui ne les défend pas assez. Mais voilà : s’il n’y a pas d’armée européenne, c’est uniquement de la faute de la France qui, en 1954, en a enterré le projet dans un grand sursaut souverainiste teinté d’anti-germanisme et d’anti-américanisme.

Reprenons. En 1950, la « Guerre froide » a commencé et les Américains veulent que la République fédérale d’Allemagne (RFA), créée en 1949, réarme pour faire face à la menace soviétique. L’OTAN, créée, elle aussi en 1949, ne réunit à cette époque que les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, la France et le Benelux, ce qui est insuffisant. Évidemment, cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Européens, mais aussi le chancelier Konrad Adenauer, vaccinés contre le militarisme allemand, s’étranglent. René Pleven, le président du Conseil, sous l’impulsion de Jean Monnet et de Robert Schuman, propose en octobre 1950 la création d’une « armée européenne rattachée à des institutions politiques de l’Europe unie », afin de permettre un réarmement allemand tout en évitant la reconstitution d’une armée nationale allemande. Ce sera la Communauté européenne de défense (CED). Washington, après avoir hésité, approuve ce plan. La négociation, entre l’Allemagne, la France, l’Italie et le Benelux, commence en avril 1951 et le traité est signé à Paris le 27 mai 1952 : l’armée européenne comptera 40 divisions nationales, intégrées dans des corps d’armée multinationaux, dotées d’un uniforme européen, d’un budget commun, d’une intendance commune et surtout d’un service européen d’armement. Elle sera contrôlée par le Commissariat européen à la défense composé de neuf membres, le Conseil des ministres de la Défense et une Assemblée parlementaire. Un projet de « Communauté politique européenne » (CPE), pendant nécessaire à la CED, qui comprenait la création d’un marché commun et une coordination des politiques monétaires, devait aussi être adopté, mais seulement après la ratification du traité de Paris.

Ce fut chose faite par tous les partenaires de la France entre 1953 et 1954. Mais l’Hexagone, pourtant à l’origine de l’idée, commence à hésiter devant l’abandon de souveraineté à consentir et face aux perspectives d’un réarmement allemand : une partie des socialistes, les communistes et le général de Gaulle s’y opposent férocement, ce dernier voyant dans la CED un « mélange apatride » et un « abaissement » de la France. Pierre Mendes-France, le président du Conseil, qui venait de conclure la paix en Indochine, ne s’engage pas pour défendre le traité qui est finalement rejeté par l’Assemblée nationale, le 30 août 1954 par 391 voix (communistes, gaullistes, la moitié des radicaux, la moitié des socialistes) contre 264. Un vote négatif qui n’a pas empêché l’Allemagne d’avoir son armée (la France n’est plus la puissance qu’elle fut…) et d’adhérer à l’OTAN en 1955. Surtout, les Américains ont pris la place que la France a refusé d’assumer et assuré ainsi leur domination sur l’Europe (y compris en lui vendant massivement ses armes). Surtout, la défense européenne est restée taboue pendant soixante ans, laissant le vieux continent fort démuni à l’heure où l’isolationnisme américain est de retour... Pas mal, non, contre vote contreproductif ?

2/ La France claque la porte au nez de la Grande-Bretagne

À l’heure du Brexit, comment ne pas rappeler ces fortes paroles d’Anthony Eden, secrétaire au Foreign Office, prononcées le 12 février 1952 : « Nous sentons jusque dans nos entrailles que nous ne pouvons pas devenir membres d’une communauté européenne ». À cette époque, le Royaume-Uni a déjà refusé de participer aux négociations du traité instituant la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA), signé en 1951, ou encore à celles de la CED (lire ci-dessus). Pas découragés, les six États fondateurs (Allemagne, Benelux, Italie, France) l’invitent, en 1955, à participer aux discussions qui allaient mener à la création de la Communauté économique européenne (CEE), ancêtre de l’Union. Mais lorsque Londres se rend compte que les Six veulent vraiment créer un marché commun, elle décide, en novembre 1955 de se retirer. Le traité de Rome est effectivement signé en 1957 et entre en vigueur en 1958. Dépitée, Londres lance, en 1960, l’Association européenne de libre échange (AELE), afin d’essayer de faire contrepoids à une CEE qui s’avéra vite un succès économique.

Mais, empêtrée dans des difficultés économiques de plus en plus profondes et consciente qu’un bloc continental était en train de se constituer sans qu’elle puisse l’influencer et encore moins le contrôler, la Grande-Bretagne, alors dirigée par un gouvernement conservateur, dépose, en juillet 1961, une demande d’adhésion qui se heurte, à sa grande surprise, en janvier 1963, à un véto du général de Gaulle. Pour le chef de l’État français, Londres n’est que le porte-avions des intérêts américains. En 1966, c’est au tour du gouvernement travailliste d’Harold Wilson, de revenir à la charge afin d’obtenir l’accès à ce marché commun qui fait figure d’Eldorado pour un pays exsangue. Mais, tenace, le général de Gaulle pose une seconde fois son véto en novembre 1967, estimant qu’il valait mieux proposer à Londres un accord d’association : « faire entrer l’Angleterre, ce serait pour les Six (…) donner d’avance leur consentement à tous les artifices, délais et faux-semblants qui tendraient à dissimuler la destruction d’un édifice qui a été bâti au prix de tant de peine et au milieu de tant d’espoir »…

La troisième tentative est la bonne. Sous la pression de ses partenaires, la France de Georges Pompidou accepte l’adhésion de la Grande-Bretagne (ainsi que celles de l’Irlande et du Danemark), cette fois demandée par les conservateurs. Effective en janvier 1973, elle est remise en cause par le travailliste… Harold Wilson, revenu au pouvoir en février 1974, qui exige une « renégociation » des termes de l’adhésion, notamment sur le montant de la contribution de son pays au budget communautaire et sur la Politique agricole commune (PAC). Mieux, un référendum est convoqué sur la question (celui du 23 juin dernier n’était pas le premier) et, le 5 juin 1975, les Britanniques confirment l’adhésion de leur pays par 67,2 % de oui, la campagne –enthousiaste- des conservateurs en faveur du « remain » étant notamment menée par une certaine Margaret Thatcher…

3/ La France déserte Bruxelles

C’est sans doute l’une des crises européennes les plus spectaculaires : le 1er juillet 1965, le général de Gaulle rappelle le représentant permanent (ambassadeur) français auprès de la CEE et interdit aux ministres et aux fonctionnaires français de siéger à Bruxelles. C’est la politique de la chaise vide, un retrait de facto de la France de la CEE ! L’origine de la crise ? Une proposition de la Commission visant à créer des « ressources propres » destinées à alimenter le budget communautaire - dans la perspective de l’achèvement du marché intérieur prévu le 1er juillet 1967- et donnant des pouvoirs de contrôle à « l’Assemblée parlementaire » de la CEE, deux innovations jugées trop fédéralistes. De Gaulle voulait aussi en profiter pour affaiblir une Commission qu’il jugeait, non sans raison, trop politique, car au service d’un idéal fédéraliste qu’il récusait, et tuer le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres, instrument lui-aussi fédéraliste par excellence, qui devait être généralisé à partir du 1er janvier 1966.

La crise de la chaise vide s’achève le 29 janvier 1966 par l’adoption du « compromis du Luxembourg » qui reconnait un droit de véto aux États si un « intérêt très important » est un jeu, dénie le caractère de « gouvernement européen » à la Commission et écarte toute perspective d’un Parlement européen doté de pouvoirs de contrôle… De Gaulle aurait aimé aller plus loin et transformer la CEE en simple confédération, mais l’opinion publique française ne l’a pas suivi (il a été mis en ballotage lors de l’élection présidentielle de décembre 1965), ce qui l’a contraint à en rabattre. Mais les conséquences pour la CEE seront terribles : il faudra attendre 1985, avec la désignation de Jacques Delors à la tête de la Commission suivie de l’adoption de l’Acte unique, en 1986, pour que le vote à la majorité qualifiée soit de nouveau pratiqué et 1993 pour que le Parlement européen obtienne de réels pouvoirs. Résultat : le marché unique, qui devait être achevé en 1970, ne le sera qu’en 1993 au prix d’un fort déficit démocratique. Surtout, l’Allemagne a commencé à se méfier de la France, ce qui a renforcé sa détermination à retrouver sa pleine autonomie politique. Un autre non contreproductif.

4/ « I want my money back »

En 1979, la dame de fer, Margaret Thatcher, est élue à la tête de l’un des pays les plus pauvres de la CEE, que le FMI vient de quitter après lui avoir évité la faillite. Son obsession : redresser l’économie de son pays et dégager des marges de manœuvre budgétaire. Dans son viseur : la contribution britannique au budget communautaire jugée trop élevée au regard de sa richesse. En effet, la Grande-Bretagne est le premier « contributeur net » au budget (limité, déjà, à 1 % du PIB communautaire) en fournissant 20 % des ressources et en n’en recevant que 10 %. À cela, plusieurs explications : la Grande-Bretagne bénéficie peu de la Politique agricole commune et surtout elle continue à importer beaucoup de produits en provenance de pays tiers, ce qui l’oblige à verser de fortes sommes en droit de douane. Thatcher demande donc à ne pas payer plus qu’elle ne reçoit quitte à ce que les Dix sabrent dans la PAC. C’est le fameux : « I want my money back ». La CEE, déjà paralysée par le vote à l’unanimité, s’enfonce alors dans une crise budgétaire permanente, la négociation annuelle du budget communautaire devenant un cauchemar entre une Thatcher intransigeante et ses partenaires soucieux de ne pas saper les bases de la solidarité européenne.

C’est au cours du Conseil européen de Fontainebleau, en juin 1984, que François Mitterrand, président de la République française, trouvera la solution « miracle » qui permit de sortir la construction communautaire de l’ornière : elle prit la forme d’un « chèque » britannique, c’est-à-dire un rabais permanent (un retour des deux tiers sur sa contribution nette) pris en charge par ses partenaires. Bref, une victoire quasi totale pour Thatcher qui, en outre, a imposé durablement l’idée que les gains de l’appartenance à la CEE se limitaient au « juste retour », en occultant totalement l’enrichissement procuré par l’appartenance au marché unique (l’accroissement du commerce et des investissements grâce à la disparition des frontières, à la stabilité politique et au développement économique commun). Une vision comptable mortifère pour l’Europe, comme l’a montré la suite.

5/ Les peuples calent

Il y avait bien eu des référendums négatifs dans l’histoire de l’Union : en 1972, les Norvégiens ont refusé de rejoindre la CEE (ils diront à nouveau non en 1994). Mais bon, c’était un refus d’entrer et ça ne modifiait pas l’équilibre existant. En 1982, le Groenland avait aussi décidé de se retirer de la CEE, mais c’était dans le cadre de son autonomie vis-à-vis de la métropole danoise. Et puis le Groenland, c’est loin. Mais lorsque le 2 juin 1992, les Danois votent « non » (50,7 %) au traité de Maastricht, ce qui bloque l’entrée en vigueur d’un texte qui crée, entre autres, la monnaie unique, le choc est terrible. Même si, dans la foulée, les Irlandais approuvent le texte par référendum, c’est la première fois qu’un peuple refuse d’aller plus avant dans une intégration perçue, jusque-là, comme inéluctable. Ce « non » aura des conséquences à court et long terme.

François Mitterrand décide ainsi de convoquer à son tour un référendum, pour montrer que l’Europe reste une idée populaire. Même si le « oui » l’emporte en septembre 1992, c’est de justesse, par 51 % des voix, ce qui fait douter les marchés de la crédibilité de la monnaie unique. Une violente crise monétaire éclate alors qui mène l’Europe au bord de l’éclatement et la plonge dans une grave récession. Dans le même temps, le cas danois est résolu : ses partenaires lui accordent une dérogation sur la monnaie unique, la sécurité intérieure, la citoyenneté européenne et les politiques d’asile et d’immigration en s’inspirant du modèle britannique. En juin 1993, le Danemark approuve ces « opt out » et le traité.

Mais la dynamique même de l’intégration est atteinte : dans les différents États membres, face à des classes politiques de plus en plus déconsidérées, les pressions, notamment des partis antieuropéens, en faveur de référendums s’accentuent. D’autant qu’ils peuvent être utilisés par les gouvernements en place comme un élément de chantage vis-à-vis des partenaires européens. Ainsi, l’Irlande obtient que chaque État conserve son commissaire après que son peuple ait rejeté le traité de Lisbonne en 2008, qui prévoyait une Commission réduite, alors même que la campagne n’avait pas porté sur ce thème… Le piège des référendums nationaux se referme sur l’Europe en 2005, lorsque les Français votent non au traité constitutionnel européen, suivi par les Néerlandais (l’Espagne et le Luxembourg ont voté oui). Car l’effet de ce vote négatif de l’un des grands pays fondateurs est catastrophique, même si techniquement les dégâts ont été réparés par le traité de Lisbonne de 2009 : il a ancré l’idée que la France est devenue eurosceptique et a accru la méfiance d’une Allemagne, désormais unifiée, à l’égard d’un partenaire jugé de moins en moins fiable. Berlin a trouvé là la confirmation qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même… Autrement dit, ce « non », qui n’a débouché sur rien de concret, a eu des effets délétères de long terme sur la relation franco-allemande et, bien sûr, sur l’intégration communautaire.

Pourtant, les votes négatifs restent minoritaires au regard de l’ensemble des référendums positifs : l’Irlande a voté non au traité de Nice (2001) et de Lisbonne (2008) avant de les approuver moyennant concessions, la Suède a rejeté la monnaie unique (2003), le Danemark a refusé de lever ses opt out en 2015, et les Pays-Bas se sont opposés à la ratification de l’accord d’association avec l’Ukraine en avril dernier. Mais ils installent l’idée d’une « révolte des peuples » face à l’intégration communautaire. Le Brexit, même s’il est très spécifique, ne fait que renforcer ce sentiment d’une Europe délégitimée.

6/ La Commission dans les cordes

Avec Jacques Delors, président entre 1985 et 1995, la Commission a connu son apogée. L’affaire de la vache folle, qui éclate en 1996, signe son chant du cygne en montrant tous les compromis douteux qu’a dû accepter l’exécutif européen pour mener à bien son grand œuvre, le marché et la monnaie unique.

Le 20 mars 1996, le gouvernement britannique dirigé par le conservateur John Major, reconnaît que l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), une maladie apparue en 1986 au Royaume-Uni où se concentrent 98 % des cas, peut se transmettre à l’homme sous le nom de maladie de Creutzfeld-Jakob, une affection mortelle du cerveau. À l’époque, on ne sait pas encore s’il s’agit d’une pandémie ou de quelques cas isolés. Alors que la panique est totale, et que la plupart des États membres ont décrété un embargo sur la viande bovine britannique, la Commission met sept jours à réagir. Mais elle tente pendant les semaines suivantes de limiter la portée de l’embargo, sous la pression britannique, en arguant de prétendues « études scientifiques ». Mais Libération révèle, en juillet 1996, que ces études disent exactement le contraire de ce qu’elle affirme. Mieux : votre quotidien publie une note datant de 1990 qui montre que l’exécutif européen, alors dirigé par Jacques Delors, savait dès cette époque qu’il y avait un risque pour la santé humaine, mais a préféré le dissimuler, prônant même la « désinformation »… Le Parlement européen va créer, à la suite de ces révélations, une Commission d’enquête qui va démontrer l’ampleur de la politique du mensonge mis en place par Delors et poursuivie par la Commission dirigée par le Luxembourgeois Jacques Santer. La Commission a menti, non par intention maligne, mais parce qu’elle s’est laissé enfermer dans une logique administrativo-économmique, celle qui a fait ses preuves pour bâtir le marché intérieur ou la monnaie unique, mais qui a échoué devant le premier obstacle humain, celui de la santé publique. Dans sa logique, il ne fallait pas perturber le marché de la viande bovine et donc la bonne marche de la PAC (une de ses compétences) et, surtout ne pas déplaire aux Britanniques dont elle avait besoin pour achever le marché unique…

Curieusement, la Commission Santer n’a pas été censurée par le Parlement européen. Il faudra attendre une autre affaire, celle des emplois fictifs d’Édith Cresson, commissaire européenne à la recherche, pour que l’équipe de Jacques Santer tire sa révérence. Fin 1998, Libération révèle que l’ex-Première ministre française a attribué des emplois fictifs au sein de la Commission à plusieurs de ses proches. D’autres affaires de mauvaise administration ou de fraude sont alors révélées par d’autres journaux, mais seule la commissaire française a directement été impliquée dans un détournement de fonds public : Cresson aurait donc dû, seule, démissionner. Mais la France, alors en pleine cohabitation, ne pouvait accepter qu’une ancienne première ministre socialiste tombe et l’a clairement signifié à Santer. Dès lors, la chute collective était inéluctable : elle intervient en mars 1999.

De ces deux épisodes, la Commission ne s’est jamais remise. Le portugais José Manuel Durao Barroso, qui l’a présidé de 2004 à 2014, en a tiré la leçon en acceptant de la transformer en un simple secrétariat du Conseil européen, le rêve gaulliste… Aujourd’hui, Jean-Claude Juncker, qui lui a succédé, tente de lui redonner son lustre d’antan. Ce n’est pas gagné.

(1) 1888-1979

N.B.: version rallongée de mon article paru dans Libération du 22 août 2016

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Vacances

dim, 07/08/2016 - 23:31

Et voilà, le temps des vacances arrive. Enfin, loin des brumes bruxelloises. Je serai de retour, avec tout plein de nouveaux projets en tête, le 23 août.

En attendant, je souhaite de bonnes vacances à ceux qui en prennent et bon courage à ceux qui sont déjà revenus ou qui ne partiront pas.

Une année passionnante sur le plan européen nous attend: le pire comme le meilleur peut émerger de cette année de tous les dangers.

Catégories: Union européenne

UE-Turquie: bras d'honneur, bras ballant

lun, 01/08/2016 - 17:54

REUTERS/Murad Sezer

Aujourd’hui, Libération consacre sa «une» au «traquenard turc». Mon analyse sur la modération européenne face à la répression menée tambour battant par Erdogan est ici. Bonne lecture !

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Michel Barnier, docteur Brexit ou mister anglophobe?

sam, 30/07/2016 - 20:46

Magic Juncker ! Il n’y avait que le président de la Commission européenne, un Luxembourgeois madré et roi de l’understatement, pour nommer un Français peu suspect d’anglophilie galopante comme « négociateur en chef » du Brexit, en l’occurrence Michel Barnier. Trait d’humour supplémentaire : le Français n’est pas un virtuose de la langue anglaise (même s’il a fait des progrès lors de ses séjours à Bruxelles), à la différence, par exemple, d’un Pascal Lamy ou d’un Pierre Moscovici. Ce qui va contraindre les Britanniques à faire de sérieux efforts pour s’assurer qu’ils ont bien été compris de l’autre côté du Channel… La presse populaire anglaise n’a d’ailleurs guère apprécié, le Sun voyant dans cette nomination une « déclaration de guerre »…

Jean-Claude Juncker, qui a fait cette annonce hier, aurait pu choisir un ressortissant d’un pays réputé plus sensible aux intérêts britanniques (Allemand, Néerlandais, Italien) ou d’un petit pays neutre. Mais en nommant l’ancien commissaire européen au marché intérieur et aux services financiers (2009-2014), bête noire de la City et de la presse anglaise qui n’appréciaient pas ce régulateur « à la française », il envoie un message de fermeté à Londres : le temps des concessions par anticipation et de l’autocensure est terminé, les négociations seront à couteaux tirés. Il est vrai qu’en face, Theresa May, la nouvelle première ministre britannique (qui se débrouille en français), a nommé des « Brexiters » purs et durs pour négocier la sortie de son pays : le secrétaire au Foreign Office, Boris Johnson, l’ancien maire de Londres et ex-journaliste du Daily Telegraph (qui parle bien français), David Davis, chargé du portefeuille du Brexit, et Liam Fox, chargé du commerce international. Un trio de choc qui montre que la Grande-Bretagne n’est pas là pour aller vers un « divorce de velours », comme l’a souhaité le Polonais et anglophile Donald Tusk, le président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement.

Leur opposer Barnier, qui aura rang de directeur général et dépendra directement du président de la Commission (sa nomination sera effective le 1er octobre), est donc une la réponse du berger à la bergère. Ce Savoyard de 64 ans, très sous-estimé sur la scène politique française, sans doute à cause de son peu de goût pour la petite phrase et de son sens de l’humour limité, est un homme de conviction : gaulliste social, qui n’est jamais tombé dans le chiraquisme, même s’il a été ministre de Chirac à deux reprises (aux affaires européennes, 1995-1997, et au ministère des Affaires étrangères, 2004-2005), c’est un Européen convaincu et assumé, une espèce rare dans l’Hexagone, qui a montré qu’il savait être tenace, même s’il est ouvert au compromis.

Ainsi, entre 2009 et 2014, il a mené à bien une régulation sans précédent des services financiers et mis en œuvre l’Union bancaire, le tout en réussissant le tour de force d’obtenir à chaque fois l’aval du gouvernement britannique : sur 42 textes, aime-t-il raconter, seuls deux ont suscité un vote négatif de Londres, ceux sur les bonus et les ventes à découvert. Pas mal pour celui qui, lors de sa désignation à Bruxelles, en 2004, par Nicolas Sarkozy, avait dû essuyer un tir de barrage sans précédent du gouvernement et des médias britanniques qu’il n’obtienne pas les services financiers en plus du marché intérieur. Pour une fois, José Manuel Durao Barroso, le président de la Commission de l’époque depuis passé chez Goldman Sachs, avait tenu bon, il est vrai impressionné par le soutien sans faille de Paris à son poulain.

C’est donc un homme rompu aux arcanes européens, et surtout aux pourparlers avec les Britanniques, qui va négocier le Brexit. D’autant qu’il connaît de l’intérieur chacun des gros dossiers qu’il devra traiter: les aides régionales (il a été commissaire chargé des fonds structurels de 1999 à 2004), les affaires institutionnelles (ministre des Affaires étrangères), l’agriculture (ministre de l’Agriculture de Sarkozy de 2007 à 2009) et bien sûr le gros morceau du marché intérieur. Celui qui est pour l’instant conseiller d’État est, en outre, toujours dans les circuits européens, puisqu’il est « conseiller spécial » de Juncker pour les affaires de défense européenne, un sujet qui hérisse les Britanniques. Pour Barnier, selon mes informations, il n’est pas question de brader les intérêts de l’UE pour faire plaisir à un pays qui s’est lui-même tiré une balle dans le pied. Il estime qu’il y aura deux négociations successives à mener : d’abord, dans les deux ans, la rupture des liens entre Londres et l’Union, puis ensuite seulement la négociation d’un nouveau statut.

Barnier dispose de quelques mois pour se mettre en ordre de bataille, puisque Theresa May n’a pas l’intention d’activer l’article 50 du traité sur l’Union européenne qui organise le processus de retrait avant l’année prochaine, comme elle l’a expliqué d’abord à Jean-Claude Juncker, par téléphone, puis à Berlin et à Paris. Faute de s’être préparé à une victoire du Brexit, le gouvernement de sa gracieuse majesté est totalement démuni et n’a toujours pas une idée claire des conséquences de ce retrait, notamment pour sa propre législation et pour son commerce international. Surtout, il ne sait toujours pas quel statut il entend obtenir, si l’on en juge par les premières déclarations de Boris Johnson (la Grande-Bretagne n’abandonnera son « rôle dirigeant en Europe ») ou de David Davis. Les deux hommes espèrent manifestement pouvoir choisir les éléments du marché intérieur qui les intéresse : l’accès au marché intérieur (notamment pour leurs banques et services financiers), mais pas la libre circulation, ce que les 27 ont écarté d’emblée. Une impréparation qualifiée, le 20 juillet, de « négligence grave » par la Commission des affaires étrangères de la Chambre des communes.

Quoi qu’il en soit, le temps joue contre la Grande-Bretagne : à compter de l’activation de l’article 50, si aucun accord n’est trouvé, tous les liens seront purement et simplement rompus au bout de deux ans. Pour une fois, ce sont les continentaux qui ont les moyens de faire chanter Londres et non plus Londres qui a les moyens de bloquer les Européens en agitant son droit de véto…

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 28 juillet

Catégories: Union européenne

Juncker condamne (enfin) Barroso

lun, 25/07/2016 - 20:53

Mieux vaut tard que jamais. Ce matin, sur France 2, dans les« 4 vérités », Jean-Claude Juncker a enfin condamné le recrutement de son prédécesseur, José Manuel Durao Barroso, par Goldman Sachs. À la question de Gilles Bornstein: « est-ce que ça vous choque », le président de la Commission a sobrement répondu : « je ne l’aurais pas fait », même si « Monsieur Barroso a respecté toutes les procédures qui sont prévues ».

Il aura donc fallu plus de deux semaines pour qu’enfin Jean-Claude Juncker cesse de se dissimuler derrière la langue de bois de son porte-parole, Margaritis Schinas, qui a certes laissé entendre que l’institution n’approuvait pas le comportement éthique de Barroso, mais sans le dire franchement. On a du mal à comprendre les raisons d’une telle réserve, alors même qu’en interne une grande partie des fonctionnaires européens sont furieux de voir une nouvelle fois abimée, en plein Brexit, l’image de la Commission, qui plus est par celui qui l’a dirigée durant dix ans (2004-2014).

Une condamnation franche et immédiate, comme celle de François Hollande, le 14 juillet, qui a qualifié ce pantouflage de «moralement inacceptable», aurait pourtant été tout bénéfice et surtout sans aucun risque politique, Barroso ne jouissant plus d’aucun soutien en interne (cette pétition demandant des sanctions a déjà été signée par 3000 fonctionnaires) ou en externe, comme l’ont montré les réactions indignées dans son propre pays d’origine, le Portugal. Juncker aurait, au contraire, tout gagné en se montrant éthiquement irréprochable, lui à qui une partie de l’opinion publique européenne reproche le « Luxleaks ». Manifestement, certains, dans son entourage, ont clairement sous-estimé l’impact désastreux de cette affaire Barroso, notamment en France, sans doute pour ne pas insulter leur propre avenir. Dommage.

Catégories: Union européenne

Brexit: un divorce programmé depuis l'origine

jeu, 21/07/2016 - 10:01

Brexit, acte I: Londres a renoncé hier à exercer la présidence semestrielle tournante du Conseil des ministres qui aurait dû lui revenir au second semestre 2017. C’est l’Estonie qui la remplacera, en dépit des offres de service de la Belgique: Tallinn avancera simplement sa présidence de six mois. Il est aussi acquis que Londres n’activera pas l’article 50 du traité sur l’UE cette année, le gouvernement ayant omis de se préparer à cette éventualité... Une «négligence grave » selon la commission des Affaires étrangères du Parlement britannique.

L’Hebdo, un hebdomadaire suisse francophone, m’a commandé cet article (paru le 30 juin) pour éclairer le référendum du 23 juin qui a abouti au Brexit. Une plongée dans l’histoire qui permet de comprendre à quel point ce divorce était inéluctable, quasiment inscrit dans les gênes du Royaume-Uni. Bonne lecture !

1973-2016 : ci-gît le Royaume-Uni, membre rétif de l’Union européenne. Après avoir boudé le lancement du projet communautaire en 1950, il a décidé, le 23 juin, de se retirer d’une aventure humaine sans équivalent dans le monde et dans l’histoire, un partage volontaire de souverainetés entre des pays qui n’ont cessé de se faire la guerre depuis qu’ils existent. Un échec européen ? Non, un échec britannique, une incapacité ontologique à se penser dans un ensemble qui la dépasse, un refus profond de se voir pour ce qu’elle est, une puissance moyenne et, peut-être bientôt un Royaume désuni, si l’Écosse et l’Irlande du Nord font sécession. Ce référendum en dit plus sur les failles de la Grande-Bretagne que sur celle de l’Union. Car le mariage avec l’Europe n’a jamais été un mariage d’amour, loin de là, au mieux une simple union d’intérêts. C’est l’histoire qui éclaire le mieux les raisons et l’inéluctabilité du vote « leave ».

On a souvent fait de Winston Churchill l’un des pères de la construction européenne, celui-ci ayant souhaité, en septembre 1946, à Zürich, puis en mai 1948, à La Haye, l’avènement des « États-Unis d’Europe » autour d’une France et d’une Allemagne enfin réconciliée. Mais il ne faut pas s’y tromper : il n’était absolument pas question dans son esprit que le Royaume-Uni y participe ! La vocation de son pays, alors à la tête d’un groupement d’Etats, le Commonwealth, et d’un Empire, était, en toute simplicité, d’être l’une des puissances tutélaires de ce nouvel ensemble continental. Il le dit très clairement à Zürich dans une partie, souvent passée sous silence, de son célèbre discours : « la Grande-Bretagne, la famille des peuples britanniques, la puissante Amérique, et, j’en ai confiance, la Russie aussi – tout serait alors pour le mieux - doivent être les amis et les soutiens de la nouvelle Europe ». En clair, il s’agit d’empêcher une nouvelle guerre sur le continent qui impliquerait forcément les Britanniques, mais pas de se fondre dans ces fameux « États unis d’Europe ». Tout simplement parce que le cœur de la Grande-Bretagne n’est pas en Europe, comme l’avait résumé Churchill à De Gaulle en juin 1944 : « chaque fois qu’il nous faudra choisir entre l’Europe et le grand large, nous choisirons le grand large ». De fait, pour comprendre la schizophrénie profonde que la Grande-Bretagne entretient à l’égard de la construction communautaire, il ne faut pas oublier que l’axe central de sa politique étrangère, et ce, au moins depuis le XVIIe siècle, est d’empêcher l’émergence d’une puissance continentale qui pourrait menacer ses intérêts commerciaux, Napoléon, en particulier, l’a appris à ses dépens, auquel s’est ajouté, depuis 1945, le souci de maintenir la paix sur le vieux continent.

Mais, entre ces deux objectifs, son cœur ne cessera jamais de balancer. Une fois Churchill renvoyé à ses chères études, c’est la méfiance qui l’emporte à nouveau. Une scène révélatrice se déroule en novembre 1955, au château de Val Duchesse à Bruxelles. Les six pays fondateurs de la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA) s’y réunissent régulièrement depuis le mois de juillet pour relancer l’intégration européenne après l’échec, en 1954, de la Communauté européenne de défense. La Grande-Bretagne, qui n’a pas voulu participer à la CECA, a néanmoins été invitée à participer aux travaux. Elle y envoie son sous-secrétaire d’État au commerce, tout un symbole. Mais lorsque les Six dessinent les contours des futurs traités CEE et Euratom, Londres décide de se retirer. Les mots d’adieu de son « délégué » sont un modèle d’aveuglement : « le futur traité dont vous êtes en train de discuter n’a aucune chance d’être accepté ; s’il était accepté, il n’aurait aucune chance d’être ratifié ; et s’il était ratifié, il n’aurait aucune chance d’être appliqué ; et s’il était appliqué, il serait totalement inacceptable par la Grande-Bretagne (…) Monsieur le président, messieurs, au revoir et bonne chance ». Le traité de Rome fut bien signé en 1957 et entra en vigueur en 1958. Dépitée, Londres lança en 1960 l’Association européenne de libre échange (AELE), afin d’essayer de faire contrepoids à une CEE qui s’avéra vite un succès économique.

Toute honte bue, empêtrée dans des difficultés économiques de plus en plus profondes et consciente qu’un bloc continental était en train de se constituer sans qu’elle puisse l’influencer et encore moins le contrôler, le gouvernement conservateur de sa gracieuse majesté déposa, en juillet 1961, une demande d’adhésion qui se heurta, à sa grande surprise, en janvier 1963, à un véto du général de Gaulle. Pour le chef de l’État français la Grande-Bretagne n’était que le porte-avions des intérêts américains : « si la Grande-Bretagne entrait dans la Communauté avec une foule d’autres Etats, la cohésion de tous ses membres n’y résisterait pas et en définitive il apparaitrait une communauté atlantique colossale, sous dépendance et direction américaine, et qui aurait tôt fait d’absorber la Communauté européenne ».

En 1966, le gouvernement travailliste d’Harold Wilson, revient à la charge, afin d’obtenir l’accès à ce marché commun qui est bel et bien un succès. Mais, tenace, le général de Gaulle pose une seconde fois son véto en novembre 1967, estimant qu’il valait mieux proposer à Londres un accord d’association. Ses mots ont une curieuse résonnance aujourd’hui : « faire entrer l’Angleterre, ce serait pour les Six donner d’avance leur consentement à tous les artifices, délais et faux-semblants qui tendraient à dissimuler la destruction d’un édifice qui a été bâti au prix de tant de peine et au milieu de tant d’espoir »

La troisième tentative a été la bonne. Sous la pression de ses partenaires, la France de Georges Pompidou accepte l’adhésion de Londres, cette fois demandée par les conservateurs. Effective en janvier 1973, elle est remise en cause par le travailliste… Harold Wilson, revenu au pouvoir en février 1974 qui exige une « renégociation » des termes de l’adhésion, notamment sur le montant de la contribution de la Grande-Bretagne au budget communautaire et sur la Politique agricole commune. Mieux, un référendum est convoqué sur la question (hé oui, celui du 23 juin n’était pas le premier) et, le 5 juin 1975, les Britanniques confirment l’adhésion de leur pays par 67,2 % de oui, la campagne –enthousiaste- des conservateurs en faveur du « remain » étant notamment menée par une certaine Margaret Thatcher…

On aurait pu croire que la relation à l’Europe serait réglée une bonne fois pour toutes par cette consultation. Il n’en a rien été. À peine devenue Première ministre, en 1979, Thatcher lança son fameux « I want my money back », exigeant une diminution de la contribution britannique au budget communautaire : de fait, le pays paye plus que sa part dans la richesse de la CEE, celui-ci bénéficiant moins que ses partenaires des retours de la PAC. Et la Grande-Bretagne de l’époque est un pays pauvre : empêtrée dans une crise économique qui dure en fait depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le FMI a même du intervenir en 1976 pour lui éviter la faillite. C’est le début d’une longue crise européenne (l’eurosclérose) qui ne trouve sa solution, le fameux « chèque britannique », que lors du sommet de Fontainebleau en juin 1984, le sommet de la relance de l’Europe, au cours duquel Jacques Delors est nommé président de la Commission.

Pour autant, Londres ne désarme pas : l’Europe, oui, mais uniquement celle du commerce et du libre échange. Ainsi, si elle accepte l’achèvement rapide du marché intérieur des biens, des services et des capitaux, et, pour ce faire, une réforme des traités (Acte Unique de 1986), ce sera sans aucune harmonisation sociale et fiscale. Mais la Grande-Bretagne ne peut rien contre la volonté franco-allemande de s’intégrer davantage après la chute du mur. Le traité de Maastricht de 1991 inaugurera donc le statut spécial du Royaume-Uni : il obtient de ne participer ni à la future monnaie unique (même s’il est persuadé qu’elle ne verra jamais le jour), ni au peu d’harmonisation sociale que contient ce texte. Un statut qu’elle consolidera au fil des traités suivants (Amsterdam en 1997, Nice en 2000, Lisbonne en 2007) : la Grande-Bretagne reste donc en dehors de Schengen, de la politique d’asile et d’immigration, de la sécurité intérieure, de la défense, parvient à bloquer la création d’une vraie politique étrangère européenne et last but not least obtient un traitement spécial en matière de régulation financière et bancaire.

Son influence n’a aucunement souffert de ce statut spécial. L’Union, non seulement a adopté la langue anglaise pour se gouverner, mais a fait quasiment sienne l’idéologie héritée du thatchérisme : une politique de concurrence libérale, un libre échangisme qui fait de l’Union la zone la plus ouverte du monde (sauf en matière agricole), un abandon de tout ce qui ressemble à une politique industrielle, etc.. Néanmoins, aucune des concessions de ses partenaires n’a jamais réglé son mal-être et ce quel que soit le parti au pouvoir outre-Manche : quoique l’Union fasse, elle est toujours jugée trop réglementaire, trop interventionniste, trop ceci, trop cela. Le Brexit n’est donc que l’acmé de ce mal-être, de cette incapacité à trouver sa place : Londres ne peut tout simplement pas accepter d’être une simple partie d’un ensemble qui la dépasse, car elle cultive à la fois une notion de souveraineté qui remonte au XIXe siècle et la nostalgie d’en Empire depuis longtemps perdu. Le drame britannique est sans doute de ne jamais avoir été occupé depuis l’invasion de Guillaume le Conquérant en 1066, ce qui la prive de la compréhension intime du projet européen qui est d’éviter drames et humiliations. Le Brexit ne pouvait pas être évité, tout simplement.

Et aucune réforme de l’Union n’aurait trouvé grâce à ses yeux, si ce n’est un acte d’autodissolution ou, éventuellement, une adhésion de l’Union au Royaume-Uni. Les Européens ne doivent donc pas se tromper dans la réponse qu’ils apporteront au Brexit : c’est le moment pour eux de retrouver leurs fondamentaux, ceux des pères fondateurs, afin de réconcilier leurs citoyens avec une Europe devenue trop britannique à leur goût. La réponse, en résumé, c’est s’éloigner davantage de la Grande-Bretagne. On n’échappe pas à l’histoire.

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Le chemin du Brexit a été pavé par les «Euromyths» de Boris Johnson

lun, 18/07/2016 - 08:52

The Guardian m’a commandé, jeudi, un article sur Boris Johnson, le nouveau chef de la diplomatie britannique, que j’ai bien connu entre 1992 et 1994, lorsqu’il était correspondant du Daily Telegraph à Bruxelles. L’article, en anglais, est ici, et a été publié vendredi. Sur le site du journal, 14.000 partages, 2300 commentaires... Voici sa version française.

La nomination de Boris Johnson au poste de ministre des Affaires étrangères est sans aucun doute de l’humour anglais, l’ancien maire de Londres étant à la diplomatie ce que Staline est à la démocratie. Ce n’est pas tous les jours qu’un pays désigne pour le représenter sur la scène internationale un menteur assumé, un personnage que l’exagération grossière, l’insulte et le sous-entendu raciste n’effraient pas, un homme sans conviction profonde si ce n’est celle de sa propre importance. « Cela ne m’étonnerait pas si la Grande-Bretagne nommait Dracula au ministère de la santé », s’est esclaffé l’Allemand Rolf Mützenich, chargé des questions diplomatiques au SPD. Mais cet humour « so british » a un prix, celui de la parole britannique dont la valeur vient de connaître une dévaluation encore plus brutale que celle de la livre sterling. La réaction du ministre des affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault, résume bien l’état d’esprit des partenaires de Londres : « vous savez quel est son style, sa méthode », lui qui a « beaucoup menti », a-t-il déclaré. Et d’ajouter qu’il espère un partenaire « clair, crédible et fiable », ce qu’à l’évidence Johnson n’est pas. Ambiance.

Car, à l’étranger, la réputation de menteur de l’ancien maire de Londres ne date pas de la campagne référendaire. Personne n’a oublié ses activités de journaliste à Bruxelles où il a officié comme correspondant du Daily Telegraph entre 1989 et 1994. Loin du mythe très français du journalisme à l’anglo-saxonne fait d’éthique et de rigueur, Johnson était l’incarnation de la presse de caniveau où « jamais les faits ne doivent arrêter une bonne histoire », comme il le disait à ses confrères étranger en riant. J’ai pu observer ses méthodes, lorsque j’ai été nommé à Bruxelles en 1992. Un jour, il avait affirmé dans son journal que le porte-parole de Jacques Delors, le Français Bruno Dethomas, était tellement bien payé, comme tous ces eurocrates forcément incompétents, qu’il habitait un château dans la périphérie bruxelloise. Celui-ci avait démenti avec véhémence lors d’un point de presse, sous l’œil hilare de Johnson. L’histoire n’était pas totalement fausse, si l’on peut dire : Dethomas habitait une grosse maison bourgeoise du XIXe siècle dotée d’une petite tourelle extérieure dans laquelle était logée un escalier, l’une de ces folies architecturales alors en vogue : « ben, tu vois, c’est quand même un château », s’était marré Boris Johnson lorsque je lui avais fait remarquer que son papier était tout simplement faux… Boris n’était pas dupe de ce qu’il écrivait : il assumait ses mensonges en riant, d’autant que son journal, farouchement europhobe, en raffolait et en redemandait. Sur le fond, en dépit de nos conversations, je n’ai jamais su ce que ce fils d’eurocrate pensait réellement du projet européen : était-il aussi europhobe que le laissaient penser ses papiers, était-il un simple opportuniste qui cherchait juste à se vendre, réglait-il des comptes avec son père, un fonctionnaire européen brillant et estimé ?

Le journalisme n’y trouvait certes pas son compte, mais qu’importe ! Johnson a réussi à inventer un genre journalistique, les « Euromyths », ces histoires reposant sur un élément de vérité, mais grossies au-delà de toute réalité et au final totalement fausses. Il avait compris qu’une partie de ses concitoyens avaient un goût prononcé pour le complotisme et qu’il leur fournissait un bouc émissaire bien incapable de se défendre : l’Union, à la différence des États, n’est représentée par aucune autorité politique incontestable et toute réaction trop virulente de la Commission est immédiatement qualifiée « d’ingérence » dans les affaires intérieures du pays. Surtout, les rectifications de « Bruxelles » étaient jugées peu crédibles (comme on dit en français, « il n’y a pas de fumée sans feu ») et systématiquement passées sous silence par les médias. Le pire est que Johnson a fait école : toute la presse britannique, à des degrés divers, a versé dans les Euromyths, alimentant l’europhobie local à laquelle aucun politique n’a osé résister, ce qui a fini par déboucher sur le Brexit.

Johnson, devenu politicien, n’a pas changé ses méthodes : ainsi, après s’être longtemps opposé au Brexit, il a pris la tête de la campagne du « leave », n’hésitant pas à mentir ou à insulter les partenaires européens du Royaume-Uni… Et, comme lorsqu’il était journaliste, il a reconnu sans problème ses mensonges dès le jour de la victoire du Brexit, ce qui ne l’a pas empêché de se retrouver à la tête de la diplomatie britannique. La vitrine de la Grande-Bretagne, c’est désormais ce « bouffon », comme on le qualifie à Bruxelles, à la parole aussi fiable que celle d’un vendeur de voitures d’occasion. Mais, au moins, Theresa May joue franc-jeu à sa façon : on sait désormais que les négociations du Brexit seront au couteau et que les coups bas vont pleuvoir. Charmant.

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Parano «made in US»

sam, 16/07/2016 - 10:07

Scanpix Denmark/Henning Bagger/via REUTERS

Décidément, chaque visite d’un officiel américain dans la capitale de l’Union européenne donne lieu à son lot d’incidents liés à la paranoïa des services de sécurité US. Lundi, John Kerry, le secrétaire d’État de Barack Obama, va, en effet, assister au Conseil des ministres des Affaires étrangères à Bruxelles. Pas gênés, les services américains ont exigé que le bâtiment du Conseil des ministres soit totalement interdit d’accès dès jeudi soir et que les vingt-huit chefs de la diplomatie soient présents dans la salle dix minutes avant l’arrivée de Kerry…

Les Européens ont évidemment refusé de paralyser le Conseil des ministres 72 heures à l’avance… Quant à l’arrivée précoce des ministres, chacun fera comme il l’entend. « En tous les cas, la France arrivera quand elle le voudra », se marre un diplomate hexagonal : «C’est curieux cette tendance des Américains à se croire chez eux partout».

Personne n’a oublié qu’en février 2005, le « Secret service » avait tenté de s’opposer à la visite de Georges W. Bush au Conseil des ministres et à la Commission européenne lorsqu’il avait découvert, atterré (et on le comprend), qu’un tunnel autoroutier passait entre les deux bâtiments pour surgir rue de la Loi, une pénétrante majeure vers le centre de la ville. Un camion piégé et hop, les deux bâtiments se seraient effondrés, au moins en partie. Un compromis avait finalement été trouvé avec les autorités belges : fermeture totale dudit tunnel et donc de la rue de la Loi le temps de l’auguste visite présidentielle… En avril 2009, lors du sommet de l’OTAN à Strasbourg, j’avais directement assisté à une altercation entre le « Secret service » et la cheffe de la sécurité élyséenne, celui-ci voulant décider des procédures que devaient suivre les journalistes avant une conférence de presse Obama-Sarkozy au palais de Rohan. Celle-ci, fatiguée de parlementer, avait finalement hurlé, en anglais : «ici, vous êtes en France et ce n’est pas vous qui décidez». L’Amérique avait cédé devant sa détermination…

Catégories: Union européenne

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