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Mis à jour : il y a 1 mois 1 semaine

Benoit Hamon (PS) propose de fédéraliser la zone euro

lun, 13/03/2017 - 18:15

REUTERS/Christian Hartmann

Benoit Hamon, le candidat socialiste à l’élection présidentiel, a publié un projet de traité de la zone euro, le projet le plus abouti et le plus précis de l’ensemble des candidats non europhobes qui mérite donc une analyse en soi. La voici.

· Fédéraliser la zone euro

En proposant de fédéraliser la zone euro, Benoit Hamon conteste le monopole d’Emmanuel Macron sur l’engagement européen, le seul qui jusqu’à présent a réussi l’exploit de faire applaudir avec enthousiasme la construction communautaire dans ses meetings. Désormais, l’échiquier européen hexagonal se clarifie : les europhiles (Hamon et Macron), l’euro(très)tiède (François Fillon), les europhobes (Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Luc Mélenchon).

Benoit Hamon a conscience qu’une modification des traités européens pour permettre à la zone euro d’accentuer son intégration a peu de chance d’aboutir, puisqu’il faut que les Vingt-sept (on ne compte déjà plus la Grande-Bretagne) donnent leur approbation unanime. Autrement dit, les dix-neuf pays de la monnaie unique pourraient être bloqués par leurs huit partenaires qui n’ont pas adopté l’euro. Une hypothèse plus que probable, ceux-ci redoutant d’être laissés dans une Union réduite aux acquêts. Hamon propose donc d’en passer par un traité ad hoc conclu (là aussi à l’unanimité) entre les seuls membres de la zone euro.

Ce traité bouleverserait le fonctionnement actuel de la zone euro : une assemblée parlementaire composée de représentants des parlements nationaux (une idée de l’écologiste allemand Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères) aurait les pleins pouvoirs au détriment de l’Eurogroupe (l’enceinte où siègent les ministres des Finances) et de la Commission. En effet, cette Assemblée élue au second degré aurait non seulement le dernier mot en matière budgétaire et législative, mais serait dotée de pouvoirs relevant normalement de l’exécutif (par exemple la fixation des ordres du jour des sommets des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro et des Eurogroupes). De même, elle approuverait la nomination des membres du directoire de la Banque centrale européenne ou du président de l’Eurogroupe et déciderait en lieu et place de chaque parlement national l’activation du Mécanisme européen de stabilité (MES) chargé d’aider un pays attaqué par les marchés et approuverait les conditions (réformes structurelles, coupes budgétaires) mises à cette aide. Autre innovation : un budget de la zone euro serait mis en place. Il serait financé par un impôt sur les sociétés dont l’assiette et le taux minimal seraient fixés par l’Assemblée, étant entendu que chaque pays resterait libre de taxer davantage. Mais le traité ne dit rien de son niveau : 1% du PIB de la zone euro, 2 %, plus ? Pas un mot non plus sur les politiques qu’il financerait.

Si l’idée de passer par un traité propre à la zone euro paraît bonne, son articulation avec l’Union actuelle est pour le moins problématique, puisqu’une bonne partie de ses compétences impacte directement la zone euro et inversement. Il en est ainsi de l’Union bancaire qui a dû être décidée à Vingt-huit, puisque la zone euro n’a aucune compétence propre en la matière et qu’elle a un effet direct sur le marché unique : d’ailleurs, les pays non membres de la monnaie unique peuvent y participer. C’est d’ailleurs sans doute pourquoi me projet d’Hamon se garde bien d’énumérer les compétences propres de la zone euro : harmonisation des salaires, de la protection sociale, de l’indemnisation du chômage ? L’harmonisation fiscale, par exemple, est une compétence de l’Union, même si elle s’exerce à l’unanimité : dès lors, comment fixer à dix-neuf une assiette et d’un taux commun sans que cela heurte les compétences de l’Union ? Au fond, on a l’impression que Benoit Hamon n’a pas osé aller jusqu’au bout de son idée : faire de la zone euro un vrai noyau dur et renvoyer les non membres de la zone euro au seul marché unique, ce qui implique la formalisation institutionnelle de deux Europe, l’une puissance, l’autre espace.

C’est sans doute pourquoi l’architecture institutionnelle est problématique : la Commission ne joue aucun rôle dans ce nouveau traité, ce qui implique de faire jouer le rôle de l’exécutif par l’Eurogroupe et surtout l’Assemblée parlementaire. Est-il imaginable que les ministres des Finances acceptent d’être ainsi placés sous la coupe d’un parlement élu au second degré ? Un tel attelage, qui n’existe dans aucune démocratie, a-t-il une chance de fonctionner ? Quel rôle resterait-il aux parlements nationaux ? Un tel schéma est-il acceptable par les partenaires de la France ? Si l’Allemagne souhaite depuis longtemps une démocratisation de la zone euro, il n’est pas sûr qu’elle soit prête à entrer dans un tel mécano institutionnel. De même, qui sera prêt à aller à l’affrontement direct avec les États de l’Union non membre de l’euro, la Pologne au premier chef ? Un dernier point amusant : si Hamon explique dans ses entretiens que les députés européens auront une place au sein de l’Assemblée qu’il imagine, cela ne figure pas dans son projet de traité, ce qui a fait hurler la délégation socialiste française de l’europarlement.

· Mettre en commun une partie de la dette publique

Benoit Hamon abandonne son idée d’une restructuration commune des dettes publiques héritées de la crise financière et économique de 2007-2008, une idée pourtant défendue en son temps par Jean Pisani-Ferry, l’économiste qui conseille aujourd’hui Emmanuel Macron. Il propose désormais de mettre en commun les dettes publiques des États de la zone euro qui dépassent les 60 % du PIB, un clin d’œil au groupe d’économistes chargés de conseiller le gouvernement allemand qui avaient mis cette proposition sur la table au plus fort de la crise de la zone euro.

Cette « mauvaise » dette, supérieure au plafond prévu par le Pacte de stabilité budgétaire, serait rachetée par un fonds européen qui jouerait le rôle d’un organisme de défaisance, exactement comme on le fait lors d’une crise bancaire. Cela permettrait de protéger les États les plus endettés et les obligerait à purger leur économie. Cette mutualisation des dettes nationales n’est pas la seule possible : en France, l’économiste Jacques Delpla a proposé de mutualiser la « bonne » dette, celle inférieure à 60 %, et de laisser les États se débrouiller avec le reste. On peut aussi imaginer de créer un trésor européen qui émettrait des emprunts européens destinés à financer, par exemple, des grands travaux transeuropéens. Toutes ces idées sont, pour l’instant, rejetées par l’Allemagne d’Angela Merkel, celle-ci n’imaginant qu’une restructuration des dettes des États en faillite qui serait imposée aux créanciers privés par l’équivalent d’un Fonds monétaire européen. Hamon semble, en tous les cas, déterminé à relancer ce débat, ce que François Hollande a renoncé à faire dès le lendemain de son élection, même s’il est moins d’actualité depuis que la Banque centrale européenne rachète à tour de bras la dette des États dans le cadre de son « quantitative easing ».

N.B.: version longue de mon article paru le 9 mars

Catégories: Union européenne

Un fauteuil pour deux et une Europe à plusieurs vitesses

lun, 13/03/2017 - 18:07

REUTERS/Thomas Peter

J’ai consacré deux articles au Conseil européen qui s’ouvre aujourd’hui : l’un, paru dans Libération de mercredi, raconte la bataille solitaire de Varsovie contre la reconduction de Donald Tusk, ancien premier ministre polonais, à la tête du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement ; l’autre analyse ce qu’il faut attendre de la déclaration de Rome dont les 27 discuteront demain. Bonne lecture.

N.B.: comme prévu, Donald Tusk a été réélu ce jeudi président du Conseil européen pour un second et dernier mandat de deux ans et demi. Seule la Pologne a voté contre et menace désormais de bloquer demain l’adoption des conclusions du sommet. Après le président de la Commission européenne (élu en dépit de l’opposition de la Grande-Bretagne et de la Hongrie), c’est donc la seconde fois qu’un dirigeant européen est élu à la majorité qualifiée. Mon article est ici.

Catégories: Union européenne

La "comitologie", là où est le vrai pouvoir européen

dim, 05/03/2017 - 20:44

REUTERS/Yves Herman

La « comitologie » fait partie des charmes discrets de l’Union, celui des expressions mystérieuses qui n’ont de sens que pour quelques initiés appartenant à la bulle européenne. Pourtant, c’est dans ces « comités » qui décident selon des procédures complexes, dans un entre soi opaque, que s’exerce une bonne partie du pouvoir à Bruxelles. Ainsi, alors que la plupart des médias passent leur temps à affirmer que la Commission va décider de la définition des perturbateurs endocriniens, en application d’une législation européenne déjà adoptée, c’est en réalité les États qui sont à la manœuvre. Visite guidée.

· La Comitologie, c’est quoi ?

Dans tous les Etats démocratiques, la séparation est claire entre, d’un côté, le pouvoir législatif exercé par le Parlement, et, de l’autre, le pouvoir réglementaire relevant de l’exécutif. Ainsi, en France, on distingue la loi des décrets et arrêtés, ces derniers étant adoptés par le gouvernement sans aucun contrôle parlementaire. Dans l’Union, c’est, a priori, la même chose : la Commission propose des directives et des règlements qui sont ensuite adoptés par le Conseil des ministres (où siègent les États) et le Parlement européen. Mais, pour mettre en œuvre cette législation, il faut en général adopter soit des mesures précisant (et non modifiant) tel ou tel aspect de la loi européenne (actes délégués contrôlés par le Parlement européen), soit des actes d’exécution purs, comme l’autorisation ou non d’un OGM, d’un médicament, d’un produit chimique comme le glyphosate, de vins rosés fabriqués en mélangeant du vin blanc à du vin rouge, etc.

Pour ce faire, la Commission n’est pas libre de faire ce qu’elle veut, sauf dans les domaines de sa compétence exclusive (il y en a quatre, dont la politique de concurrence) : elle doit proposer à un « Comité » composé d’un représentant par État membre (généralement un expert dans le domaine en question) la décision qu’elle souhaite prendre. Si une majorité qualifiée (55 % des États représentant 65 % de la population européenne) l’adopte, pas de problème. Même chose si une majorité qualifiée la rejette. En revanche, s’il n’y a aucune majorité dans un sens ou dans l’autre, la Commission décide seule. Dans quelques domaines (fiscalité, services financiers, santé, sécurité des personnes, des animaux ou des plantes) ou si une majorité simple d’États s’opposent à l’acte, un « comité d’appel », lui aussi composé des représentants des États, est saisi et les mêmes règles de majorité s’appliquent.

Il existe des centaines de ces comités (un par domaine) qui ont été créés ex nihilo en 1962 pour mettre en œuvre la Politique agricole commune (les fameux « comités de gestion »). Ce n’est qu’avec l’Acte unique de 1987 qu’ils ont acquis une existence légale. Depuis, leur mode de fonctionnement a été modifié à plusieurs reprises, la dernière fois par le traité de Lisbonne entrée en vigueur en 2009 (mis en œuvre par un règlement de 2011). Ce sont dans ces comités, qui siègent loin des regards, que sont produits l’essentiel des normes: en 2016, s’il y a eu 65 directives et règlements adoptés par le Parlement et le Conseil, les Comités, eux, ont pondu 137 actes délégués et 1494 actes d’exécution…

· Pourquoi une telle usine à gaz ?

Pour les Etats, il est hors de question de donner un pouvoir réglementaire autonome à la Commission : ils veulent rester maitres jusqu’au bout du processus législatif (actes délégués), mais aussi pouvoir bloquer une décision de la Commission appliquant la législation européenne (comme les glyphosates). C’est comme si en France, le gouvernement devait soumettre au Parlement tous ses décrets et arrêtés d’application, ce que la Constitution de la Ve République exclut. Certes, dans d’autres pays, comme en Grande-Bretagne et en Allemagne, les élus continuent à exercer un contrôle sur les actes d’exécution des lois qu’ils ont adoptées, mais il s’agit juste d’un droit de véto en cas de dérives. Autrement dit, la Commission n’est pas un véritable exécutif au sens national du terme : elle reste étroitement contrôlée par les gouvernements, l’Union n’étant pas une fédération, mais une simple confédération d’États.

La plupart du temps, ce contrôle se passe très bien. Ainsi, selon la Commission, sur 1726 avis émis par les comités en 2015, 2 ont été défavorables et il y a eu 36 absences d’avis, soit 2 % du total. Mais voilà : l’incapacité des Etats à trancher touche des questions « très sensibles », comme le reconnaît avec componction la Commission : en réalité, tout ce qui est lié à la santé humaine (OGM, produits chimiques, etc.), c’est-à-dire là où les intérêts industriels sont en jeu. La Commission doit donc prendre seule la décision, même si rien ne l’y oblige. Jusqu’à présent, elle a toujours tranché au détriment du principe de précaution, dès lors que les avis des comités scientifiques qui l’entourent (et dont la composition est sujette à caution) estiment que le danger n’est pas avéré. Pour le dire autrement, les intérêts de l’industrie l’ont toujours emporté sur la santé.

· Pourquoi la Commission veut-elle réformer la Comitologie ?

Lassé d’être montré du doigt, Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen, a décidé de rendre plus transparente la procédure de comitologie : il « n’est pas juste, lorsque les pays de l’UE ne peuvent se mettre d’accord sur l’interdiction ou non d’utiliser du glyphosate dans les herbicides » que la Commission soit forcée « de prendre une décision. Nous allons donc changer ces règles, car ce n’est pas cela la démocratie », a-t-il annoncé en septembre dernier. L’idée est simple : forcer les États à assumer leurs responsabilités, car ils ont une fâcheuse tendance à se défausser sur Bruxelles comme le fait Ségolène Royal, la ministre de l’Environnement, qui pointe régulièrement des « comités d’experts » irresponsables tout en sachant très bien qu’ils sont l’émanation des États. La Commission a donc proposé, le 14 février, de rendre publics les votes, de pouvoir saisir, en cas de paralysie, le Conseil des ministres et, enfin, de ne plus compter les abstentions ou les absences. Ce dernier point est fondamental : jusqu’à présent, elles étaient considérées, dans le calcul de la majorité qualifiée, comme un vote contre. Désormais, ce sera de facto, un vote pour… Autant dire qu’il n’est pas du tout acquis que les Vingt-huit acceptent cette réforme.

Surtout, on se demande pourquoi Juncker veut ainsi se dessaisir de son pouvoir de trancher : une commission politique, comme il le revendique, doit aussi prendre ses responsabilités. Si elle estime que le glyphosate n’est pas dangereux tout comme les OGM, pourquoi ne l’assume-t-elle pas plutôt que de refiler la patate chaude aux gouvernements ? Au-delà, c’est toute la comitologie qui devrait être mise à bas, ce qui passe par une réforme des traités. L’application de la législation devrait revenir à des agences indépendantes dans la plupart des cas (santé, médicament, environnement, etc.), comme c’est le cas aux États-Unis. Et pour le reste, la Commission devrait être libre de trancher, sous le contrôle du Parlement européen et de la Cour de justice.

N.B.: version longue de mon article paru le 28 février

Catégories: Union européenne

Avenir de l'Europe: un livre blanc pâlichon

dim, 05/03/2017 - 18:47

Le 25 mars prochain, l’Union fêtera ses 60 ans à Rome : pour l’occasion, les 27 chefs d’État et de gouvernement se retrouveront sur le Capitole, là où fut signé le traité qui porte le nom de la ville éternelle. Mais c’est un triste anniversaire, puisque pour la première fois depuis sa création, l’un de ses États membres, la Grande-Bretagne, s’apprête à la quitter. Theresa May, la Première ministre, viendra même tout juste - ou s’apprêtera - à activer l’article 50 du traité sur l’Union qui enclenchera le compte à rebours avant la rupture définitive, en mars 2019 au plus tard. Pour éviter que ce départ signe le début de la fin du projet européen, les Vingt-sept ont donc décidé, dès le lendemain du référendum du 26 juin, d’approfondir les liens qui les unissent.

Le Brexit n’est en fait qu’un choc supplémentaire, et peut-être pas le plus grave, que l’Europe encaisse depuis quelques années, de la crise de l’euro à celle des réfugiés et du terrorisme, en passant par l’élection aux États-Unis d’un président qui souhaite sa disparition. Mais la relance cela ne se fera pas en quelques jours. Jean-Claude Juncker a donc publié hier son « livre blanc sur l’avenir de l’Europe » censé lancer les réflexions sur le type d’Union que souhaitent les États. Le président de la Commission se contente de proposer cinq scénarios possibles à l’horizon 2025 : ne rien changer, se recentrer sur le marché unique, mettre en place une Europe multipliant les coopérations renforcées dans tous les domaines, se concentrer sur quelques domaines jugés prioritaires et, enfin, effectuer un saut fédéral. Le renforcement de la zone euro est juste évoqué en filigrane, Juncker se gardant bien d’évoquer qu’elle pourrait devenir le noyau dur de l’Europe du futur pour ne fâcher personne. Des oublies étonnant aussi, comme la Politique agricole commune qui n’est mentionnée nulle part. On cherche désespérément la trace d’une idée neuve: ce livre blanc est à l’Europe, ce que La La Land est au cinéma, ce qui dans mon esprit n’est pas gentil du tout. Bref, pas de quoi fouetter un chat.

On a donc du mal à comprendre le secret paranoïaque qui a entouré la rédaction de filet d’eau tiède menée de bout en bout par Juncker et Martin Selmayr, son puissant chef de cabinet, si ce n’est l’inverse, car on ne sait plus trop qui dirige l’exécutif européen. Car ce n’est absolument pas le livre blanc de la Commission : les vingt-huit commissaires en ont pris connaissance mardi matin et se sont contentés de signer ce qu’avait rédigé leur président, aucun d’entre eux n’ayant osé moufter. Les chefs de cabinet des commissaires ont passé deux jours, jeudi et de vendredi, sur la côte belge pour soi-disant apporter leurs contributions alors que le texte final était en cours de traduction dans les 24 langues officielles de l’Union…Si la Commission a été tenue à l’écart, il en a été de même des capitales. Juncker et Selmayr ont certes été diner à l’Élysée il y a quelques semaines, pour expliquer comment ils imaginaient leur livre blanc. François Hollande s’est contenté de leur conseiller de réduire leurs scénarios à quelques-uns afin de frapper les esprits. Et depuis, plus rien.

La semaine dernière, lors d’une réunion des ambassadeurs des Vingt-sept auprès de l’Union, la Commission a même promis qu’elle ne publierait rien avant le sommet européen des 9 et 10 mars afin de ne pas le parasiter. Mieux : les Pays-Bas, qui affrontent de difficiles élections le 15 mars, ont demandé expressément à Juncker de ne rien révélerd’ici là afin que les démagogues du PVV n’en fassent pas un thème électoral. Juncker et Selmayr ont néanmoins décidé de passer outre. Une méthode à la hussarde pour le moins curieuse : ignorer les capitales et même leur mentir n’est pas la meilleure façon de peser sur un débat dont la clef est détenue par les États seuls…

N.B.: version longue de mon papier paru ce matin dans Libé

Catégories: Union européenne

Phil Hogan: "il faut remettre la PAC sur le métier"

mer, 01/03/2017 - 20:06

REUTERS/Francois Lenoir

Vous trouverez l’entretien que j’ai eu avec Phil Hogan, le commissaire à l’agriculture, ici. Elle est passionnante. Bonne lecture.

Catégories: Union européenne

Réforme de la PAC: comme un éléphant au milieu du Salon

mar, 28/02/2017 - 00:47

REUTERS/Stephane Mahe

L’agriculture fait partie de l’ADN de l’Europe : la politique agricole commune (PAC) a été la contrepartie négociée, en 1957, par une France encore très agricole à l’ouverture des frontières douanières entre les six pays signataires du traité de Rome qui s’apprête à fêter ses soixante ans. Sur le papier, c’est un succès : grâce à la modernisation qu’elle a organisée, elle a non seulement permis à l’Europe d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, mais de devenir la première exportatrice agricole au monde, juste devant les États-Unis (129 milliards d’euros en 2015 et un excédent de 16 milliards). Pourtant, la PAC est de plus en plus décriée : la très grande majorité des paysans n’en profitant pas, ils sont devenus anti-européens, les citoyens se demandent de plus en plus pourquoi elle absorbe 38 % du budget communautaire alors que les agriculteurs ne représentent qu’une infime partie de la population active (3,6 % en France), certains, comme le Front national, l’accusent d’être « ultralibérale », un comble pour une politique publique dirigiste et bureaucratique. Bref, la PAC de 2017 souffre des mêmes maux que l’Union : incomprise, accusée de tous les vices, rejetée. « Le système ne fonctionne plus », reconnaît Michel Dantin, député européen LR (PPE). « La PAC a fait l’Europe, elle peut la défaire », met en garde son collègue socialiste, Eric Andrieu. L’Irlandais Phil Hogan, le commissaire à l’agriculture, en a conscience : il a lancé, le 2 février, une consultation publique (1) afin de proposer d’ici à la fin de l’année une nouvelle réforme. Décryptage.

· Pourquoi les réformes de la PAC se succèdent-elles ?

La PAC est, en réalité, en chantier permanent depuis son « achèvement » en 1968. Car, très rapidement, elle a atteint son but grâce aux prix garantis, c’est-à-dire détachés du marché local et mondial, et à la protection totale des frontières européennes, l’autosuffisance alimentaire. Mais, dès le départ, le vert était dans le fruit : la PAC première manière a entrainé un productivisme sans limites, une baisse de qualité des produits agricoles, une concentration des exploitations et une explosion des dépenses agricoles. À la fin des années 80, des montagnes de beurre et de viande et des lacs de lait étaient stockés dans les frigos communautaires avant d’être exportés à bas prix cassé vers les pays tiers au détriment de leur agriculture. 1971, 1984, 1988, les réformes s’enchainent, en vain, jusqu’à 1992, lorsque Jacques Delors, soucieux aussi de mettre en conformité la PAC avec ce qui allait devenir l’Organisation mondiale du commerce, parvient à convaincre les États de rompre avec le système des prix garantis pour les remplacer par des aides fixes aux revenus. Mais la rupture avec le passé se fait lentement, la France ayant bataillé pour que ses céréaliers ne soient pas pénalisés : les prix baissent en douceur et les aides tiennent compte des rendements historiques, ce qui favorise les gros aux dépens des petits. En 1999, nouvelle réforme, destinée à financer le développement rural (deuxième pilier) et surtout à préparer l’élargissement à l’Est. En 2003 puis en 2008, rebelote : cette fois, les aides au revenu peuvent être découplés des références historiques et remplacés par un paiement à l’hectare, ce qui la aussi, favorise les grandes exploitations. La France, comme la plupart des pays du sud, reste fidèle aux références historiques, tout comme elle refuse les possibilités de plafonner partiellement les aides supérieures à 150 000 euros par an et par exploitation… La dernière grande réforme remonte à 2013 (mise en place en 2015) qui a notamment introduit un « verdissement » de la PAC afin d’inciter les paysans à développer une agriculture durable et à entrer dans une logique d’aménagement du territoire : ainsi, 30 % des aides directes sont réservées aux terres respectant une série de critères environnementaux. Depuis 1992, donc, la ligne est la même : rompre avec le productivisme à tout prix, développer une agriculture de qualité (développement des AOC et des IGP) respectueuse de l’environnement et assurer un revenu minimum aux agriculteurs pour les protéger des fluctuations des prix du marché auxquelles ils sont désormais exposés de plein fouet.

· Les réformes de la PAC ont-elles été des succès ?

Le problème de cet empilement de réformes extrêmement rapides a abouti à une complexité bureaucratique sans précédent, les exigences nationales s’ajoutant à celles de l’Union pour pouvoir bénéficier de la moindre aide. « On a construit des usines à gaz », dénonce Michel Dantin. « La PAC est devenue beaucoup trop complexe, trop lourde surtout pour les petits paysans qui n’ont pas les moyens et pas envie de faire face à cette bureaucratie », reconnaît Phil Hogan qui cite les « 300 mesures législatives diverses » réglementant la PAC qui forment un maquis impénétrable et surtout oblige les agriculteurs à multiplier les investissements coûteux pour satisfaire à toutes les demandes. La détresse paysanne face à ce « doux monstre » est réelle comme le montre le taux de suicide en France. Mais, surtout, en dépit de toutes ses réformes, « 80 % des aides directes sont toujours versées à 20 % des agriculteurs », se désole Hogan, les États ayant refusé tout plafonnement des aides et toute dégressivité en fonction de la taille de l’exploitation. Certes, ces 20 % produisent 80 % des produits agricoles, mais est-il normal que « des fermes de 1000 vaches reçoivent près de 20 fois plus d’aides publiques que des exploitations familiales de taille moyenne (50 vaches) mises en péril par les bas prix du lait », s’interroge la Fondation Robert Schuman (2) ? Sans compter que les aides à l’hectare poussent à l’agrandissement des exploitations, comme le souligne Eric Andrieu : « plus on a d’hectares, plus on reçoit d’aide, et ce au détriment de la production et de l’emploi. C’est une logique de rente ». Pour donner un exemple, une exploitation de 300 hectares de céréales recevra chaque année entre 100 et 120 000 euros de subventions européennes. Surtout, le système d’aide directe, qui est fixe, n’a absolument pas servi de filet de sécurité comme l’a montré l’effondrement des prix du marché en 2015-2016 : « un tiers des agriculteurs touche moins de 375 €. Dans l’Ain, la moitié n’a eu aucun revenu en 2016 », s’indigne Michel Dantin. Enfin, la PAC, à force de favoriser la concentration dans un but productiviste, a abouti à un effondrement de la population rurale : en France, en 50 ans, le nombre d’agriculteurs est passé de 4 millions à 900 000, la surface agricole a diminué de 20 % et l’agriculture ne représente plus que 1,5 % du PIB contre 3,6 % en 1980. À terme, c’est une catastrophe qui s’annonce : « il y a un problème de renouvellement des générations : dans l’Union, il y a moins de 6 % des agriculteurs qui ont moins de 35 ans -9 % en France. À long terme, cela pose un problème de sécurité alimentaire », s’alarme-t-on à la Commission. Seule bonne nouvelle : l’agriculture bio se développe rapidement (20 % par an en surface).

· Comment améliorer la PAC ?

D’abord la simplifier et ne plus laisser les paysans seuls face à des fonctionnaires nationaux qui multiplient les obstacles à plaisir : « en Pologne, le texte sur les aides à l’agriculture de montagne fait 4 lignes. En France, 3 pages », dénonce Michel Dantin. Il faut aussi maintenir des services dans les zones rurales : « qui a envie de vivre seul avec son plus proche voisin à 4 km et l’épicerie la plus proche à 10 km ? », demande un eurocrate qui pointe l’incurie des États à assurer l’aménagement de leur territoire. Mais surtout, il faut revoir le système des aides directes. Revenir aux prix garantis et à ses dérives budgétaires et environnementales passées, tout le monde l’exclut, surtout à l’heure de la mondialisation des échanges : « budgétairement, pour maintenir les prix, cela serait monstrueux ». Hogan veut donc développer des instruments de « gestion de crise » afin que les paysans puissent faire face à la volatilité des prix, par exemple en développant un système d’assurance. Mais, comme le soulignent Michel Dantin et Eric Andrieu, il faudrait aller plus loin et mettre aussi en place un système à l’américaine, celui des « deficiency payments ». En clair, lorsque les prix mondiaux sont bons, les aides directes sont, en tout ou en partie, mises de côté et ne sont versées que lorsque les cours s’effondrent et en fonction des situations individuelles. Ainsi, les aides aux revenus joueraient un rôle contra-cyclique au lieu de permettre aux grands céréaliers de s’offrir une troisième Mercedes… « Il faudrait que ces fonds soient gérés par secteur, au plus près du terrain pour tenir compte de la diversité des territoires et des types d’agriculture », souligne Michel Dantin. Enfin, la Commission est fermement décidée à s’attaquer à la chaine alimentaire, en clair, aux intermédiaires comme l’industrie agro-alimentaire et surtout la grande distribution. « C’est un problème de concurrence plus que de PAC », précise-t-on à la Commission, mais « nous sommes déterminés à nous assurer, y compris par la loi, que le secteur primaire, c’est-à-dire les agriculteurs, ne soit plus mis en coupe réglée par la distribution ». La baisse des prix alimentaires (38 % du revenu des Français consacré à l’alimentation en 1960, 14 % aujourd’hui) a atteint un minima : il y a un prix à payer si l’on veut qu’il y ait encore à l’avenir une agriculture et une agriculture de qualité.

(1) https://ec.europa.eu/eusurvey/runner/e91ba0bf-c5d1-49ac-a71e-45441758180d?draftid=280b1e93-9415-4461-8bc4-5f65784ff973&surveylanguage=FR

(2) « Question d’Europe » du 20 février 2017 par Bernard Bourget.

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 25 février pour l’ouverture du salon de l’agriculture.

Catégories: Union européenne

La zone euro dans le piège de la dette grecque

jeu, 23/02/2017 - 11:24

REUTERS/Alkis Konstantinidis

La Grèce, ce sont « les feux de l’amour » de la zone euro : des épisodes, dont on a perdu depuis longtemps le compte, des personnages à foison, des rebondissements, des trahisons et des passions qui se répètent à l’infini, mais parviennent à tenir en haleine les peuples, les Etats, les marchés. Les mêmes questions, depuis 2010, toujours : la Grèce va-t-elle faire faillite ? Le Grexit est-il au bout du printemps ? Faut-il restructurer la dette grecque ? L’austérité est-elle le seul avenir des Grecs? Depuis sept ans, la zone euro est engluée dans cette crise dont personne ne voit l’issue et dont le coût politique, pour l’idée européenne elle-même, est de plus en plus élevé.

Autant dire que la zone euro n’a pas fini d’expier son erreur, celle d’avoir admis la Grèce en 2001 dans l’Union économique et monétaire, alors que la Commission, la Banque centrale européenne et les États savaient parfaitement que ce pays n’était absolument pas prêt : État défaillant, comptes publics truqués, corruption endémique, dépense publique financée par l’emprunt, fraude fiscale généralisée, économie digne d’un pays sortant du communisme (un secteur public non compétitif et disproportionné par rapport à la taille du pays), etc.. Mais comment dire non au pays de Platon ? En 2004, première alerte : le gouvernement reconnaît que le déficit a été divisé par deux depuis 2000, ce qui était admettre implicitement que la Grèce avait menti pour se qualifier. Si la zone euro avait réagi à l’époque, la catastrophe aurait peut-être été évitée. Mais comme en 2000, elle a préféré fermer les yeux. Jusqu’en 2009, lorsqu’à nouveau Athènes avoue que le déficit n’est pas de 6 %, mais de plus de 15 %, c’est-à-dire que ce pays de 11 millions d’habitants dépensait 36,3 milliards d’euros de plus qu’il ne gagnait. En pleine crise économique et financière mondiale, les marchés ont paniqué et le coût de la dette grecque s’est envolé.

« Pour éviter une faillite brutale à l’argentine ou à l’ukrainienne, les Européens ont prêté de l’argent à la Grèce à condition qu’elle coupe dans ses dépenses publiques pour qu’elles correspondent à son train de vie réel et fasse des réformes structurelles pour que son économie devienne fonctionnelle », explique-t-on à la Commission. Il s’agissait aussi d’éviter une contagion de la crise grecque aux banques de la zone euro, notamment allemandes et françaises qui détenaient beaucoup de dettes grecques : si les États avaient laissé la Grèce sombrer, il aurait fallu les sauver, ce qui aurait coûté un pont aux contribuables européens.

Mais la zone euro et le FMI ont mis longtemps à comprendre la gravité de la situation grecque : réformes mal calibrées et peu appliquées, coupes brutales dans le budget de l’Etat (la Grèce va devoir faire sa quatrième réforme des retraites en sept ans), sous-estimation des effets récessifs des réformes demandées ont abouti à faire perdre à la Grèce 27 % de son PIB depuis 2010 sans que la machine redémarre. La comparaison avec l’Irlande, le Portugal, Chypre et l’Espagne (pour ses banques), tombés dans la panique générale qui s’est alors emparée des marchés, est terrible : tous sont sortis des programmes d’aide au bout de trois ans et vont mieux alors que la Grèce, elle, en est à son troisième programme. A Bruxelles, on se veut optimiste et on estime que son économie est désormais à peu près en ordre de marche et qu’elle pourrait connaître une forte croissance, ce que la Commission prévoit pour 2017 et 2018 : « mais les impondérables internes et externes sont tels que nos prévisions n’ont jamais été justes pour ce pays », tempère un haut fonctionnaire.

Ses partenaires croisent donc les doigts pour qu’elle réussisse son retour sur les marchés en juillet 2018, un retour qu’elle a loupé en janvier 2015 avec l’élection de Syriza qui voulait « casser la vaisselle ». Mais, en supposant qu’elle arrive à se refinancer normalement, elle ne sera pas sortie d’affaire, vu le montant de sa dette publique : 180 % du PIB, les trois quarts étant détenues par la zone euro (via des prêts bilatéraux des États et le Mécanisme européen de stabilité) ainsi que par le FMI. Soit un montant de 320 milliards d’euros prêtés par les Européens. Même si le paiement des intérêts ne commencera pas avant 2023 et que les prêts consentis par la zone euro ont une durée de 30 ans (donc jusqu’en 2042-2048), cela contraint la Grèce a dégager un excédent budgétaire intenable sur le long terme pour pouvoir rembourser (3,5 % du PIB, hors charge de la dette à partir de 2018).

Les potions amères administrées, pour l’instant en pure perte, à la Grèce alimentent l’euroscepticisme dans l’Union, la Commission en est consciente. Pierre Moscovici, le commissaire chargé des affaires économiques et financières, le 15 février à Athènes, demande donc à ce que la zone euro permette au « peuple grec de voir la lumière au bout du tunnel ». Mais comment ? Le redémarrage économique du pays ne dépend que de lui, ce qui permettra de faire baisser le ratio de la dette, ce qui enclencherait un « cercle vertueux » à condition que l’Etat grec continue à vivre chichement.

Une autre solution serait de restructurer la dette afin de diminuer nettement l’excédent primaire budgétaire exigé des Grecs, ce qui redonnerait de l’air à l’Etat. En clair, les Etats européens prendraient leurs pertes comme les banques et assurances l’ont fait en 2011-2012, lorsqu’elles ont laissé sur le carreau 115 milliards d’euros… Après tout, ce sont eux qui ont admis la Grèce dans l’euro en 2001 alors qu’ils savaient qu’elle n’était pas prête et ont fermé les yeux sur ses dérives, notamment en 2004 lorsque le gouvernement grec a reconnu avoir truqué ses comptes publics entre 2001 et 2004… François Hollande a d’ailleurs plaidé pour « un allègement du fardeau de la dette », le 12 décembre.

Mais allègement ne veut pas dire effacement : il s’agit surtout d’étaler encore davantage les remboursements, pas d’inscrire par pertes et profits la dette grecque : « cela coûterait cher : par exemple, la France devrait éponger 22 % des prêts du MES… », souligne-t-on à Bruxelles. « En réalité, personne ne veut restructurer la dette grecque, mais tout le monde laisse l’Allemagne jouer le bad cop », poursuit cette même source. De fait, les populistes sont gagnants à tous les coups : « soit la zone euro est inhumaine, soit elle fait payer les citoyens français ou allemands pour les Grecs », soupire un haut fonctionnaire de la Commission. En Allemagne, en particulier, le sujet est explosif à la veille des élections de septembre : « même Martin Schulz, le candidat social-démocrate ne propose pas une restructuration, car il sait que sa base ne le suivrait pas », s’amuse-t-on dans l’entourage du ministère des Finances. D’où la dureté de Wolfgang Schäuble qui estime qu’une restructuration obligerait la Grèce à « quitter l’Union » puisqu’« aucun pays membre de l’Union monétaire ne peut être responsable pour les dettes d’autres pays ». Surtout, ajoute-t-on à Berlin, « qu’est-ce qui nous garantit que la Grèce ne va recommencer à s’endetter si on efface sa dette ? Et pourquoi les autres pays ne nous demanderaient-ils pas la même chose ? » Autrement dit, la zone euro est dans un piège. Quoi qu’elle fasse, elle prend un risque politique et les démagogues gagnent à tous les coups.

N.B.: version longue de mon article paru dans Libé du 20 février

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"Les salauds de l'Europe"

mar, 21/02/2017 - 19:56

Voilà en avant première la couverture de mon nouveau bébé: «les salauds de l’Europe, guide à l’usage des euro sceptiques». C’est un bilan critique de la construction communautaire, sous forme d’essai, qui paraitra le 25 mars prochain, pour le soixantième anniversaire du traité de Rome. J’espère que vous l’aimerez.

Catégories: Union européenne

«La seule armée européenne, c'est l'armée française»

ven, 03/02/2017 - 16:08

REUTERS/Eric Gaillard

Pour Jean-Luc Sauron, la relance de l’Union ne se fera pas à vingt-sept faute de vision commune. Pour ce professeur à l’Université de Paris-Dauphine, auteur d’un décapant «Faites l’Europe, pas la guerre» (éditions Gualino, 9 €), il faut être plus pragmatique et approfondir la coopération entre quelques pays en pariant sur le fait que l’Union suivra. Il estime aussi que la seule défense européenne concevable, c’est un financement communautaire de l’effort militaire de la France, ce pays ayant la seule armée apte à combattre au moins pour quelques années.

Les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement se réunissent demain à Malte pour évoquer l’avenir de l’Union après le Brexit. Alors que le sommet de Bratislava, en septembre, n’a débouché sur rien, peut-on attendre quelque chose de cette nouvelle réunion ?

Ce sont des sommets d’attente avant les rendez-vous électoraux de mars aux Pays-Bas, de mai-juin en France et de septembre en Allemagne. Avant que le monde politique interne de l’Union ne soit à nouveau stabilisé, il ne faut pas s’attendre à décisions marquantes. C’est d’autant plus désespérant, que la présidence tournante de l’Union est exercée par Malte qui, ça n’est pas lui faire insulte, ne peut prétendre jouer un rôle sur la scène politique mondiale. L’Union est donc politiquement fragile alors qu’elle est confrontée à une donne géopolitique radicalement nouvelle, entre le libéralisme économique du président du parti communiste chinois, un pôle anglo-américain qui a toujours existé, mais qui s’affirme brutalement et la Russie qui poursuit un rêve euro-asiatique. En outre, le monde est devenu d’une instabilité époustouflante : qui aurait dit il y a trois ans que les BRICS alors vantés comme les phares de la croissance mondiale auraient aujourd’hui quasiment disparu ? Le Brésil est en pleine déconfiture, la Russie, même si elle fait très peur, n’a pas résolu ses difficultés économiques et politiques, l’Inde est instable, etc. Le monde change de trimestre en trimestre et il devient très compliqué de construire des alliances et des projets.

Dans ce monde instable, l’Union sait-elle ce qu’elle veut ?

Les rêves de refondation sont totalement aberrants, car les États membres n’ont pas de vision commune de l’avenir de leur Union. On ne relancera pas la machine européenne à Vingt-sept, il faut l’admettre une bonne fois pour toutes. Il faut reconstruire sur un socle interétatique, entre quelques pays qui acceptent de se mettre en convergence et en concertation, sans pour autant se substituer à l’UE. Cela peut se faire soit entre l’Allemagne et la France, soit entre ces deux pays et le Benelux soit, enfin, entre l’Allemagne, la France et la Pologne. Cette consolidation d’une partie de l’Union stabilisera toute la construction européenne.

Cela veut dire qu’on négocie une série de traités bilatéraux ou multilatéraux à l’intérieur de l’UE ?

Pas nécessairement. Paris et Berlin peuvent simplement décider que leurs gouvernements auront le même nombre de ministres, dotés des mêmes attributions, afin de travailler ensemble sur une série de dossiers et de législations convergentes afin de coordonner les politiques suivies dans les deux pays. Si ces deux pays qui représentent 50 % du PIB européen parviennent à harmoniser leur droit fiscal, leur droit de la consommation, leur droit social, par exemple, tout le monde suivra et cela redynamisera l’espace européen. Aujourd’hui, c’est le moins actif qui bloque tout le monde. Le grand schéma à Vingt-sept, ça ne marche plus : on n’arrive plus à exécuter les politiques annoncées. Si on n’arrive pas à relancer la machine européenne, nous serons le champ de manœuvre du reste du monde, soumis à des stratégies d’influence contradictoires. Au passage, et contrairement à ce que croient les déclinistes, l’Europe reste le centre du monde : c’est à travers nous que les puissances s’affrontent. Il faut donc que nous tirions parti de cette force pour influencer le monde.

Le fait que l’administration Trump souhaite la disparition de l’UE ne va-t-il pas aider l’Union à se renforcer ?

La brutalité du discours de Donald Trump recouvre une réalité américaine qu’on a souvent occultée : les États-Unis ont toujours voulu un peu d’Europe pour contrebalancer les Soviétiques et éviter l’émergence de régimes révolutionnaires, mais pas trop d’Europe pour qu’on ne vienne pas leur manger la laine sur le dos. Or l’euro, par exemple, est vécu comme une contestation de la suprématie du dollar, ce qui est inacceptable pour eux. Trump dit clairement que l’Union aujourd’hui ne peut être qu’un marché et non un acteur politique et économique.

Les Vingt-sept veulent faire de la défense européenne un nouveau projet mobilisateur. Est-ce sérieux ?

Je ne crois pas à une armée européenne. Pour envoyer des gens combattre et mourir, il faut un gouvernement légitime. Or aujourd’hui il n’y a pas d’autorité européenne légitime en dehors des États. En Europe, il y a deux armées et demie, la Britannique, la Française et un peu l’Allemande. Mais une vraie armée est une armée qui se bat sur le terrain, ce qui n’est pas le cas de l’armée allemande. Avec le Brexit, il n’y a en réalité plus que la France qui se bat, non pas pour mener des opérations post-coloniales comme on a pu le dire ici ou là, mais pour protéger le continent européen, que ce soit au Mali, en Centrafrique ou en Syrie. Il faut donc que les Européens financent l’effort militaire de la France et que la France accepte dans son armée des citoyens européens : la colonne vertébrale militaire de l’Europe est française, c’est la réalité.

Est-ce que l’Europe est prête à accepter que la France remplace les États-Unis comme garant de sa sécurité ?

Y a-t-il une alternative ? Qui nous protégera ? Les Russes ?

Si les Européens financent l’effort militaire français, ils voudront pouvoir participer à la décision d’envoyer des troupes…

On ne peut imaginer que ce soit le conseil des ministres de la Défense à Bruxelles qui décide d’engager l’armée française, il faut être sérieux. Et ce n’est pas parce qu’on paye qu’on a son mot à dire. Si les Allemands veulent décider, il faut qu’ils aient une armée en capacité de combattre.

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Etats-Unis vs Union européenne: "nous serons seuls au cours des prochaines années"

mer, 01/02/2017 - 18:38

Ronald Reagan serait pour le moins surpris de découvrir que le nouvel « Empire du mal » de Donald Trump, son lointain successeur, est l’Union européenne et non pas la Russie de Poutine. Après avoir pronostiqué sa disparition rapide, à la veille de son investiture, le président américain a répété devant la Première ministre Theresa May, vendredi, que le Brexit était une « chose merveilleuse » qui va permettre à la Grande-Bretagne « d’avoir sa propre identité » face au « consortium ». « Un mieux », commente ironique un diplomate français, après que son ambassadeur pressenti à Bruxelles, Ted Malloch, ait comparé, jeudi, sur la BBC, l’Union européenne à l’URSS : « J’ai déjà eu des postes diplomatiques dans le passé qui m’ont permis d’aider à abattre l’URSS. Alors, peut-être qu’une autre Union a aussi besoin d’être domptée », a froidement lâché ce proche de Trump qui a confirmé que son président « n’aimait pas cette organisation supranationale, non élue, mal dirigée par des bureaucrates et qui n’est franchement pas une vraie démocratie ». Ambiance.

Face à ces attaques d’une rare virulence, surtout de la part d’un allié de toujours, l’Union est restée sans voix, surprise par la brutalité de ce revirement. « Il faut reconnaître que c’est totalement incompréhensible, car on ne comprend pas quel est l’intérêt des Etats-Unis dans l’éclatement de l’Union et de son marché unique ou dans l’isolationnisme commercial », s’interroge ainsi Anthony Gardner, l’ambassadeur américain à Bruxelles jusqu’au 20 janvier. Les institutions communautaires espéraient donc encore la semaine dernière que l’administration et le Congrès allaient finir par faire entendre raison à ce président hors norme. « Il y a plusieurs cercles dans son entourage, il y a des gens raisonnables qui vont finir par peser sur sa politique », confiait un proche de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. « Au lendemain de l’élection de Trump, on entendait encore des commissaires comme Cecilia Malmström, la libérale suédoise chargée du commerce, nous dire qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que les Américains ne renonceraient pas au libre échange », se moque le diplomate français déjà cité. Mais plus les jours ont passé, plus il a fallu se rendre à l’évidence : Trump est déterminé à passer par dessus bord 70 ans de diplomatie américaine. S’adaptant à la communication par tweet inaugurée par le président américain, Juncker est précautionneusement sorti de son silence dimanche : « en 2017, nous devrons choisir entre l’isolationnisme, l’inégalité et l’égoïsme nationaliste et l’ouverture, l’égalité sociale et la solidarité qui nous renforcera ». Pour Bruxelles, l’Empire du mal est manifestement à Washington…

A Paris et à Berlin, on a compris depuis longtemps que l’élection de Trump était un tsunami menaçant la stabilité du monde et de l’Europe. Le couple Angela Merkel/François Hollande n’a jamais aussi bien fonctionné qu’en ce moment. Leurs réactions, au lendemain de l’élection de novembre, ont été soigneusement coordonnées afin qu’il n’y ait pas l’épaisseur de papier à cigarette entre les deux rives du Rhin : l’Europe continuera à être l’allié des Etats-Unis, mais pas au prix de ses valeurs fondamentales. Vendredi, les deux dirigeants se sont à nouveau rencontré à Berlin pour délivrer le même message : Trump représente un « défi » pour l’Union, tant « par rapport aux règles commerciales (que) par rapport à ce que doit être notre position pour régler les conflits dans le monde », a expliqué le chef de l’Etat français. La chancelière allemande a ajouté à ces « défis », « la défense d’une société libre »… Samedi, à Lisbonne, François Hollande est monté un peu plus dans les aigües : « lorsqu’il y a des déclarations qui viennent du président des Etats-Unis sur l’Europe et lorsqu’il parle du modèle du Brexit pour d’autres pays, je crois que nous devons lui répondre ». « On doit affirmer nos positions et engager un dialogue avec fermeté sur ce que nous pensons ». Pour le président français, « l’Europe est devant l’épreuve de vérité, devant l’heure des choix ». Il est passé aux travaux pratiques lors d’un entretien téléphonique avec Trump, samedi après-midi, au cours de laquelle il lui a expliqué que « le repli sur soi est une réponse sans issue ».

Le couple franco-allemand fait le pari que les autres pays européens vont s’agréger autour de lui. C’est déjà le cas non seulement des pays d’Europe du sud, mais aussi des Pays-Bas, le pays le plus atlantiste d’Europe. Ainsi, Jeroen Dijsselbloem, le ministre des finances et président de l’Eurogroupe, a reconnu, jeudi, « que nous serons seuls au cours des prochaines années, ce qui peut être une bonne chose. Peut-être est-ce ce dont l’Europe a besoin pour véritablement travailler ensemble ». « L’avenir n’est pas écrit », met cependant en garde un diplomate français : « mais on peut très bien se diviser. Par exemple, sur la sécurité, les pays de l’Est peuvent nous dire que la défense européenne risque d’affaiblir l’Otan, car Trump peut en tirer argument pour s’en débarrasser. Sur le libre échange, il y a des gens qui vont estimer que puisque les Américains n’en veulent plus, il faut en profiter pour faire marche arrière. Sur les réfugiés et les migrants, beaucoup vont se retrouver dans sa politique, notamment à l’Est, mais pas seulement ». Les semaines qui viennent vont être déterminante pour l’avenir de l’Union.

N.B.: version longue de mon article paru le 30 janvier.

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Ted Malloch, ambassadeur pressenti à Bruxelles: «l'UE, c'est l'URSS»

sam, 28/01/2017 - 16:41

Le nouvel ambassadeur européen désigné à Washington a expliqué, hier, sur Fox News, qu’il pensait que Donald Trump était un « nouvel Hitler » qu’il fallait «dompter» et qu’il était là pour ça. Pour Eduardo von Durand, il est plus que probable que plusieurs États américains, notamment la Californie, feront sécession et qu’il ne parierait pas un euro sur l’avenir du dollar, conseillant même aux traders de le jouer à la baisse. Autant dire que ses propos ont fait scandale et qu’il est désormais probable que le gouvernement américain refusera ses lettres de créance. Restez calme ! Il s’agit d’une pure fiction: les Européens ont encore un minimum de sens commun.

L’UE, le nouvel «Empire du mal»

Ce n’est manifestement pas le cas de l’administration Trump. Après que le président élu se soit lâché contre l’Europe et l’Allemagne avant sa prise de fonction, c’est au tour d’un de ses proches, Ted Malloch, 64 ans, pressenti pour être le nouvel ambassadeur américain auprès de l’Union. Hier, lors de deux émissions de la BBC, Malloch a confirmé la nouvelle ligne américaine : l’Europe n’est non seulement plus un enjeu stratégique pour Washington, mais c’est un adversaire à abattre ! Un tournant stratégique qui met fin à 70 ans de diplomatie européenne des États-Unis. Ainsi, le diplomate n’hésite pas à comparer l’UE à l’URSS et estime qu’il faut en finir avec ce nouvel « Empire du mal » : « J’ai déjà eu des postes diplomatiques dans le passé qui m’ont permis d’aider à abattre l’URSS. Alors, peut-être qu’une autre Union a aussi besoin d’être domptée », a froidement lâché le « diplomate ». Il a confirmé que le président Trump « n’aime pas cette organisation supranationale, non élue, mal dirigée par des bureaucrates et qui n’est franchement pas une vraie démocratie ». Pour lui, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission et ancien premier ministre du Grand Duché, « serait plus à sa place en étant maire d’une ville au Luxembourg ». Quant à l’euro, évidemment, il « est en voie de disparition, il a un réel problème et pourrait s’effondrer d’ici un an, un an et demi ». « La seule chose que je ferais en 2017, c’est prendre une position courte sur l’euro », c’est-à-dire de parier sur les marchés sur sa baisse, a-t-il conseillé. Et d’appeler à la rescousse de ses prévisions apocalyptique l’économiste de gauche Joseph Stiglitz « qui a écrit un livre entier sur le sujet »… (Ses déclarations, ici et ici).

Insulter ses futurs partenaires, voilà qui doit être sans précédent dans l’histoire, pourtant agitée, de la diplomatie. Ces saillies sans finesse, qui font étrangement écho aux accusations des europhobes européens, FN en tête, montrent à la fois la piètre estime dans laquelle les nouveaux dirigeants américains tiennent l’Europe, pourtant leur partenaire le plus proche, et leur profonde méconnaissance de l’Union. Pour reprendre l’aphorisme de Madeleine Albright, ancienne secrétaire d’État de Bill Clinton, « pour comprendre l’Europe, vous devez être un génie ou un Français ». Ted Malloch n’est ni l’un ni l’autre. De fait, on ne compte plus les prévisions apocalyptiques sur la fin de l’Europe et de l’euro qui ne se sont jamais réalisées.

«Pure folie»

Pour son prédécesseur à Bruxelles, Anthony Gadner, viré dès le 20 janvier comme l’ensemble des ambassadeurs américains, il faut voir dans cette nouvelle approche « la perception que Nigel Farage », l’ancien leader du UKIP, un parti britannique europhobe, et ami de Trump, « dissémine » à Washington : « une caricature » portée par ce « cinglé de la politique » a-t-il déclaré à la presse le 13 janvier. « Ne pensez même pas à diviser l’UE », a lancé Gadner à l’administration Trump, car cette tactique échouera, qualifiant au passage de « pure folie » son soutien au Brexit. Un soutien qui ne se dément pas. Ted Malloch a d’ailleurs affirmé à la BBC que les États-Unis et la Grande-Bretagne pourraient conclure un accord de libre-échange 3 mois après que Londres ait invoqué l’article 50 du traité activant la procédure de sortie de l’Union. Pour lui, le fait que Bruxelles veuille interdire à Londres de négocier un tel traité avant d’être sorti de l’Union, c’est comme un homme qui essaierait dire à sa femme de mettre un terme à une relation extraconjugale. « C’est absurde ».

Les Européens vont-ils réagir à ces provocations ? Malloch doit encore être officiellement nommé et, ensuite, accepté par l’Union. La procédure est la suivante : la Commission reçoit ses lettres de créance, les transmet à la ministre des Affaires étrangères de l’Union, Federica Mogherini, qui saisit ensuite les États membres. Si au bout de 30 jours, aucune des vingt-huit capitales n’a soulevé d’objection, le nouvel ambassadeur est accrédité. En clair, il suffit d’un non pour renvoyer Malloch à ses études. Un pays osera-t-il manifester sa mauvaise humeur, comme vient de le faire le président mexicain, lassé de se faire menacer par Trump ? Rien de moins de sûr, le courage n’étant pas la marque de fabrique des États européens, seuls ou en groupe. Cela étant, aujourd’hui, à Berlin, le couple franco-allemand a nettement durci le ton à l’égard de Washington en soulignant les « défis » que posaient à l’Europe Donald Trump, comme, selon Angela Merkel, « la défense d’une société libre et du libre-échange ». Grâce à Ted Malloch, on va voir jusqu’où sont prêts à aller les Européens pour défendre leurs « valeurs » à nouveau vantées par François Hollande.

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Le monde contre l'isolationnisme de Donald Trump

jeu, 26/01/2017 - 14:11

Donald Trump altermondialiste ? De fait, en signant, lundi 23 janvier, trois jours après sa prestation de serment, une ordonnance retirant la signature des États-Unis du traité de libre-échange transpacifique (TPP) liant douze pays de la zone Asie-Pacifique, le nouveau président américain donne satisfaction à tous les opposants au libre-échange de la planète. D’autant que l’enterrement du TPP signifie aussi la fin de la négociation du TAFTA ou TTIP, son équivalent euro-américain, qui était en cours de –difficiles- négociations depuis 2013 entre les deux premières puissances économiques et commerciales du monde.

Trump veut aller plus loin encore en confirmant son intention de renégocier l’ALENA, l’accord de libre-échange conclu en 1994 entre son pays, le Mexique et le Canada, et d’instaurer des barrières douanières punitives afin de décourager les importations qui menaceraient des emplois américains. Ce faisant, il violerait les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), un autre ennemi des altermondialistes, ce qui peut laisser craindre à terme un retrait américain de cette organisation fondée en 1994 et un retour à l’unilatéralisme américain qui consistait à sanctionner les pays qui ne se plier pas à ses exigences. L’administration Trump semble donc prête à déclencher une guerre commerciale contre le reste de la planète afin de faire prévaloir ses intérêts : « America first », comme l’a clamé le président républicain lors de son discours inaugural. Même si les altermondialistes de gauche s’en défendront, ce protectionnisme nationaliste et agressif est l’enfant naturel du rejet du libre-échangisme. Trump le sait et surfe sur cette vague de défiance d’une partie des opinions américaine et mondiale.

La fin de 70 ans de politique commerciale américaine

Ce faisant, il tourne le dos à 70 ans de politique commerciale américaine qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a consisté à promouvoir le libre-échange, non seulement parce que l’économie américaine en profitait, mais aussi parce que Washington considérait qu’il s’agissait d’un facteur de paix par la contribution qu’il apportait au développement. On peut être critique de certains effets de la mondialisation, mais il est difficile de nier qu’il a sorti la majorité de la planète de la misère absolue et a mis fin à la domination sans partage de l’occident.

Ce retour au protectionnisme des années 20-30, celui-là même qui a mené le monde à la guerre, est non seulement inquiétant, surtout si l’on ajoute à cela le probable retrait américain de l’accord de Paris sur le changement climatique, la remise en cause de l’utilité de l’OTAN, son scepticisme à l’égard de l’avenir de l’Union européenne ou son agressivité à l’égard de la Chine, mais totalement à contretemps : les États-Unis connaissent une forte croissance qui a effacé les effets de la crise financière de 2007 et sont, désormais en situation de plein emploi, même s’il y a d’importantes poches de pauvreté dans le pays.

Surtout, le monde a profondément changé en vingt ans : les États-Unis ne sont plus la seule superpuissance de la planète. La Chine a définitivement émergé, tout comme l’Inde, l’Asie, l’Océanie ou l’Amérique latine, et l’Union s’est considérablement renforcée, tant sur le plan commercial, qu’économique, politique et monétaire. Le XXIe siècle ne sera non seulement pas blanc et occidental, mais encore moins américain, même si les États-Unis demeurent une puissance qui compte. C’est d’ailleurs en tenant compte de cette nouvelle réalité géopolitique que Barack Obama s’est lancé dans la négociation de grands accords régionaux, après l’échec du multilatéralisme porté par l’OMC, afin que le capitalisme du XXIe siècle soit occidental et non chinois. Le TPP, négocié pendant huit ans avant d’être signé en 2015 avec le Canada, le Mexique, le Chili, le Pérou, le Japon, la Malaisie, le Vietnam, Singapour, le Brunei, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, soit 40 % de l’économie mondiale, était un accord dit de nouvelle génération qui visaient non seulement à baisser les droits de douane (déjà fort bas), mais aussi à harmoniser les normes entre ces pays. Le TAFTA obéissait à la même logique. Il s’agissait en fait d’une vraie stratégie de containment (endiguement) de la Chine visant à lui imposer un modèle largement occidental.

Un containment appliqué aux Etats-Unis

Si ce retrait américain pose des défis au reste du monde, notamment en termes de sécurité, il offre aussi des opportunités aux puissances rivales. Ainsi la Chine, qui s’est livrée à un vibrant plaidoyer pro-libre-échange lors du forum de Davos, a la fermer intention de prendre le leadership en Asie. L’Australie a d’ailleurs révélé que les autres signataires du TPP allaient essayer de le sauver et de l’étendre à la Chine, à l’Indonésie voire à d’autres pays. Une perspective qui n’est pas sans danger pour les États-Unis, comme l’a immédiatement souligné le sénateur John McCain, puisque cela va lui offrir « l’opportunité de réécrire les règles économiques au détriment des travailleurs américains ». Le TPP instrument conçu contre les Chinois se retournerait donc contre ses créateurs...

L’Union européenne, elle aussi, a un coup à jouer dans cette nouvelle donne géopolitique. Comme vient de le dire Cecilia Malmström, la commissaire européenne au commerce, l’Europe n’a aucune intention de suivre la voie américaine du repli sur soi : « le succès de l’Union repose sur l’ouverture de nos sociétés. Ceux qui pensent qu’au XXIe siècle on peut retrouver sa puissance en reconstruisant des frontières, en réimposant des barrières douanières, en restreignant la libre circulation des frontières, sont condamnés à échouer ». Elle veut donc ratifier le plus vite possible le CETA, l’accord commercial conclu avec le Canada, qui complète toute une série de traités de même nature déjà conclus, et accélérer ceux qui sont en cours de négociation. Dès l’élection de Trump, les Japonais, inquiets de se retrouver isolés face à la Chine, se sont d’ailleurs précipités à Bruxelles pour demander une conclusion rapide de l’accord qu’ils négocient depuis deux ans. Hasard du calendrier, l’Union va renforcer son arsenal de rétorsions destiné à lui permettre de riposter si un pays lui livre une guerre commerciale, en profitant du départ prochain de la Grande-Bretagne, hostile par principe à toute défense commerciale. Il était temps d’en terminer avec une certaine « naïveté » européenne, pour reprendre l’expression de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, l’Union ayant longtemps eu tendance à se laisser maltraitée par ses partenaires.

Bref, Donald Trump a pris le risque, inimaginable il y a encore quelques mois, que le reste du monde applique aux États unis une politique de containment, vu le danger qu’ils représentent désormais pour la stabilité de la planète.

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Martin Schulz versus Merkel, l'affiche européenne

jeu, 26/01/2017 - 11:18

Photo Thomas Vanden Driessche

La tête d’affiche des élections législatives allemandes fait rêver: la femme la plus puissante de l’Union, Angela Merkel, une Européenne de raison, va affronter un Européen de cœur, Martin Schulz, qui a fait toute sa carrière au Parlement européen, à Bruxelles et à Strasbourg et que les lecteurs de Libération et de ce blog connaissent bien. Les deux connaissent sur le bout des doigts les rouages européens. A la différence de tous les candidats déclarés à la présidentielle française : rappelons qu’en dehors d’Emmanuel Macron, ils ont tous voté non au Traité constitutionnel européen sauf François Fillon (qui lui a voté non à Maastricht, nul n’est parfait...). Revoici l’article que j’ai publié le 24 novembre dernier dans Libé quand il a annoncé son retour sur la scène politique allemande.

Qui pouvait imaginer Martin Schulz errer, désœuvré, dans les couloirs du Parlement européen ? Lui, son président depuis juillet 2012, un record de longévité à ce poste, après avoir été président d’un groupe socialiste au faîte de sa puissance entre 2004 et 2012, réduit au rang de simple «backbencher», député de base, écrivant ses mémoires et donnant des conférences ? Cela aurait été mal connaître cet homme ambitieux. A défaut de pouvoir être reconduit pour un troisième mandat de deux ans et demi, en janvier, à la tête de la seule institution communautaire élue au suffrage universel, il préfère tirer sa révérence, à 60 ans, avant de sombrer dans la solitude de ceux que le pouvoir a abandonnés. Pour mieux rebondir en Allemagne, où il peut, entre autres (lire ci-contre), rêver au poste de vice-chancelier au sein de la grande coalition dirigée par Angela Merkel.

«Il veut continuer à être quelqu’un», s’amuse Daniel Cohn-Bendit, qui a été élu, comme lui, lors des élections européennes de 1994, l’un sur la liste Grünen, l’autre sur la liste SPD (social-démocrate). L’ancien leader du groupe Verts, qui a raccroché les gants en 2014, se réjouit de ce grand bond en avant : «C’est la première fois qu’une personnalité qui a fait toute sa carrière politique au niveau européen tente de s’installer sur la scène nationale. D’habitude, c’est l’inverse.» Et Schulz sait, vu le manque de personnalités dont souffre le SPD, qu’il a toutes les chances d’occuper le haut de l’affiche.

Le parcours de Schulz est celui d’une génération pour qui l’Europe est une évidence inscrite dans la souffrance et le sang. Né le 20 décembre 1955 à Eschweiler, à côté d’Aix-la-Chapelle, aux confins des frontières française, belge et néérlandaise, ce fils de maréchal-ferrant, cadet d’une fratrie de cinq, a été élevé dans le souvenir des deux guerres mondiales. Il rappelle que Würselen, «sa» ville, celle où il créa sa librairie en 1982, a payé un lourd tribut à la folie nationaliste, sortant de la guerre «détruite à 80 %». «Chez nous, un député européen est presque plus important qu’un député national», affirme-t-il souvent, sans que l’on sache si c’est vrai ou s’il se console de ne pas avoir fait une carrière au pays.

Ancrage

Ce qui est sûr, c’est que cet autodidacte, sans formation universitaire, s’est construit seul : entré au SPD à 19 ans, il a d’abord été élu conseiller municipal de sa bonne ville de Würselen en 1984, maire en 1987, à 32 ans. Il se présente, en vain, aux élections européennes en 1989 avant d’être élu en 1994 (il abandonnera son poste de maire en 1998). Il manie trois langues, ce qui l’aide à faire son trou à Strasbourg : outre l’anglais, il parle un français presque parfait. Malin, il accepte dès son arrivée un poste dont personne ne voulait : coordonnateur du groupe socialiste aux droits de l’homme. Il sait que c’est en travaillant dans la soute qu’on finit par atteindre la passerelle de commandement. Il ne néglige pas pour autant son ancrage en Allemagne et, en 1999, entre au bureau du SPD.

En 2004, il devient patron du groupe socialiste, alors que ce poste aurait dû revenir aux Français qui ont envoyé la plus grosse délégation nationale au Parlement. Mais, divisés entre pro et anti-européens, ils n’ont pu s’accorder sur un nom et Schulz en a profité. En 2009, réélu à la présidence du groupe, il est l’architecte d’une alliance avec le Parti populaire européen (droite) et les libéraux, ce qui lui permet à mi-mandat, en 2012, de succéder au conservateur polonais Jerzy Buzek à la présidence du Parlement européen.

Lot de consolation

Schulz a été l’un des architectes des «Spitzenkandidaten», quand le Parlement européen a réussi à imposer au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement que la tête de la liste arrivée en tête des élections de 2014 soit automatiquement désignée président de la Commission. Schulz, tête de liste socialiste, espérait en profiter pour s’installer à la présidence de la Commission, mais ce sont les conservateurs du PPE qui l’ont emporté et Jean-Claude Juncker lui a ravi la place. Il a eu du mal à s’en remettre, lui, l’homme au caractère ombrageux et à l’emportement facile. En guise de lot de consolation, Angela Merkel a soutenu sa reconduction à la tête du Parlement pour un nouveau mandat de deux ans et demi, ce que le PPE, qui ne pouvait se passer des socialistes pour atteindre la majorité au Parlement, a accepté en se pinçant le nez.

Schulz se serait bien vu poursuivre jusqu’à la fin de la législature, en 2019, soutenu en cela par Juncker et Merkel. Mais les édiles du PPE ne l’entendaient pas de cette oreille en brandissant l’accord de coalition signé en 2014 : même s’ils n’ont aucun candidat «naturel» (ils sont nombreux à se bousculer au portillon, dont le Français Alain Lamassoure), ils estiment que leur tour est venu. Face à l’impasse qui se dessinait, Schulz a donc décidé de sauter dans le grand bain de la politique nationale. Sa page européenne se tourne. Enfin, pas totalement : «Cet homme de gauche va mettre l’Europe au centre de la campagne électorale allemande, ce qui sera une bonne chose», se réjouit Daniel Cohn-Bendit.

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Brexit: en Europe, on ne voit qu'un seul perdant, et il n'est pas sur le continent

lun, 23/01/2017 - 19:54

Dessin: Vadot

The Guardian m’a demandé une réaction au discours de Theresa May prononcé le 17 janvier. Mon article est ici, en anglais. Il a encore eu un beau succès sur le site du quotidien : 11.200 partages et 1252 commentaires (et pas toujours sympathiques, mais je le cherche bien ;-)) et sur Twitter. Voici sa traduction française.

Lorsqu’une personne entretient des rêves inaccessibles, on dit, en français, qu’elle veut « le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière ». Dans le langage populaire, on est un tantinet plus vulgaire, et on ajoute « le cul de la crémière »… C’est exactement ce qu’il faut retenir du discours de Theresa May sur le « hard Brexit » qu’elle souhaite : en réalité, le Brexit qu’elle souhaite n’est « hard » que pour les Européens, mais « soft » pour les Britanniques, puisqu’elle veut garder tous les avantages de l’appartenance de son pays à l’Union sans aucune contrepartie. Cela n’est pas une surprise, puisqu’elle l’avait déjà annoncé en octobre dernier lors de son discours devant le congrès du parti conservateur. Elle estime même que tout autre accord serait inacceptable, car il reviendrait à « punir » les Britanniques pour leur choix de quitter l’Union et elle les menace même de transformer la Grande-Bretagne en paradis fiscal en mesure de rétorsion si, par malheur, les Européens refusaient de se plier aux exigences des sujets de sa glorieuse Majesté. On croit rêver, mais non : c’est soit de l’arrogance, soit de l’inconscience, soit, plus probablement, un mélange des deux.

Résumons: d’une part, bien sûr, Theresa May souhaite une rupture « claire et nette » avec l’Union, c’est-à-dire ne plus siéger dans ses institutions, contribuer au budget communautaire et bien sûr respecter sa législation. D’autre part, elle ne veut pas d’un statut de « membre partiel ou associé » quelconque qui impliquerait qu’elle doive se plier aux exigences, dans quelques domaines que ce soit. Jusque-là, on suit : le Royaume-Uni devra être traité comme un pays tiers, le Zimbabwe, par exemple, c’est « clair et net ».

C’est ensuite que ça se complique, surtout pour un esprit cartésien continental qui ne possède pas la subtilité de réflexion d’un pur produit d’Oxbridge. Car May estime possible que ses entreprises conservent l’accès le plus large possible au marché unique, notamment en négociant des accords douaniers sectoriels avec l’Union. Et c’est là que cela devient intéressant. Parce que droit de douane ou pas, importer un bien sur un marché suppose le respect des normes locales : en clair, si les Britanniques veulent exporter leurs voitures (en fait, des voitures allemandes ou japonaises…) vers le vieux continent, ils devront respecter les lois européennes, c’est-à-dire s’y soumettre (je sais, quel horrible mot). Sur ce point, il n’y a pas de moyen terme. Donc, en réalité, la rupture « claire et nette » ne pourra concerner qu’une partie de l’industrie britannique, celle qui fabrique pour le marché local. Surtout, elle ne dit rien sur les services : comment garantir l’accès des banques au vieux continent, par exemple, une nécessitée puisque la City ne sera bientôt plus la place financière de l’euro ? Qu’est-ce que Theresa May est prête à offrir en échange ?

Car la réalité est brutale, n’en déplaise au sentiment national local : c’est une puissance moyenne de 65 millions d’habitants, dont la majorité des industries est possédée par des capitaux étrangers, qui va négocier avec l’une des principales puissances commerciale, économique et monétaire du monde, une puissance dotée d’un marché de 450 millions de personnes. Quels sont les pays vers lesquels la Grande-Bretagne exporte et d’où vient une bonne partie des investissements étrangers ? Où est le pouvoir ? Qui a le plus à perdre dans l’affaire ?

Menacer les Européens de se transformer en paradis fiscal si jamais le Royaume-Uni n’obtient pas ce qu’il veut relève de l’enfantillage : une telle solution est possible, et encore, pour un micro-État sans industrie locale, pas pour un pays comme la Grande-Bretagne. Comment imaginer que les Européens laissent partir leurs entreprises ou leurs capitaux sans réagir ? Le nouvel allié américain qui menace ses entreprises qui délocalisent leurs profits laissera-t-il Theresa May transformer son pays en porte-avion de l’optimisation fiscale ?

Pire pour Theresa May, il ne faut pas compter sur une division des Européens sur ce dossier. D’une part, parce qu’ils ont politiquement énormément à perdre en actant un accord favorable aux Brexiters qui renforcerait leurs europhobes locaux. De ce point de vue, la sortie en douceur n’a seulement aucun sens techniquement, mais est politiquement absurde. D’autre part, parce qu’il faut l’unanimité des 27 pour acter un accord. Sinon, en mars 2019, la Grande-Bretagne sera tout simplement dehors. Diviser les Européens, c’est la certitude qu’il n’y aura aucun deal. Bref, on peut tordre le Brexit dans tous les sens, je ne vois qu’un perdant et il n’est pas sur le continent.

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L'Union européenne prise en tenaille entre Trump et Poutine

ven, 20/01/2017 - 18:00

L’Union va-t-elle résister aux coups conjugués de Washington, de Londres et de Moscou ? Soixante-dix ans après la fin de la Seconde guerre Mondiale, elle est confrontée à une situation géopolitique totalement inédite et follement angoissante en se retrouvant prise en tenaille entre deux blocs qui souhaitent sa disparition. A l’Est, une Russie qui a renoué avec l’agressivité de l’ère soviétique, comme en témoignent les conflits qu’elle entretient aux marches de l’Union et les liens qu’elle tisse avec tous les partis démagogues d’extrême droite ou d’extrême gauche européens qui ont en commun leur europhobie. A l’ouest, et c’est inattendu, ceux qui ont été durant plus d’un siècle ses indéfectibles alliés, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, parient désormais sur son éclatement, même si Theresa May affirme ne pas le souhaiter contrairement à Donald Trump. Logiquement, ces deux blocs sont décidés à se rapprocher, comme le souhaite le président américain élu, laissant l’Union sans protecteur. Elle qui s’est fondé sur le règlement pacifique des conflits via la norme de droit et qui s’est toujours pensée dans un monde sans ennemi, se retrouve donc dangereusement démunie et isolée pour affronter une tempête que rien ne laissait prévoir.

« Dans le monde d’avant, les Américains, les Britanniques et les Russes étaient prévisibles, même s’ils étaient capables de quelques coups imprévisibles comme la guerre en Irak », analyse un proche de François Hollande : « Désormais, les Etats-Unis sont devenus structurellement imprévisibles, les Britanniques ne savent pas ce qu’ils veulent et les Russes sont capables d’agir contre leurs intérêts ». « Il faut se rendre compte de ce qui se passe : pour la première fois depuis 1945, les Etats-Unis jouent contre l’Union, son nouveau président pariant sur son démembrement », surenchérit un diplomate européen : « Il veut même mettre fin à tous les mécanismes de coopération internationale existant et à la multilatéralisation », des mécanismes qui ont permis l’extension de la paix sur la planète. Cette nouvelle ère de tension va être inaugurée, si l’on en croit Trump, « par une guerre économique et commerciale inédite entre les Etats-Unis et l’Union », s’alarme Daniel Cohn-Bendit, ancien président du groupe vert du Parlement européen et proche d’Emmanuel Macron.

Ce changement brutal de paradigme pose un défi redoutable aux Européens : vont-ils être capable de faire bloc face à cette nouvelle donne mondiale ou chacun va-t-il tenter de sauver les meubles en solitaire, qui en jouant Washington et Londres, qui en jouant Moscou ? « Il faut espérer que les Européens ne tirent pas comme conséquence de ce basculement dans un monde incertain qu’ils doivent désarmer », souhaite ce proche du chef de l’Etat français. Tant à Paris qu’à Berlin, on estime que l’avenir de l’Union se joue sur les deux rives du Rhin : « les défis sont tellement immenses, que le couple franco-allemand tiendra », assure ce proche du chef de l’Etat français. Et c’est autour de cet axe que la résistance s’organisera.

Le problème est que l’Union n’aborde pas ce tournant historique dans les meilleurs conditions : l’Allemagne et la France sont à l’orée d’une année électorale délicate, tout comme les Pays-Bas et sans doute la Grèce, sans compter que l’Espagne et l’Italie sont politiquement instables… Et partout, les partis démagogiques sont en embuscade. Les institutions communautaires ne sont pas mieux loties, entre une Commission qui ne parvient pas à faire de la politique comme le montre le désastreux silence observé depuis le Brexit et l’élection de Trump par son président, Jean-Claude Juncker, et un Parlement européen qui s’est profondément déchiré pour élire le successeur, au perchoir, du socialiste allemand Martin Schulz, les socialistes ayant dénoncé l’accord de grande coalition qui les liait aux conservateurs du PPE. Ainsi, l’Italien Antonio Tajani, un berlusconien pur jus, n’a été élu qu’au quatrième tour de scrutin, en faisant le président le plus mal élu depuis 1979. Autant dire qu’à la fin de l’année, le paysage politique européen pourrait être totalement bouleversé pour le meilleur ou pour le pire, ce qui rend l’avenir pour le moins imprévisible.

Toujours optimiste, Daniel Cohn-Bendit pense néanmoins que « Trump va ressouder l’Union ». « C’est une phase très délicate, mais nous sommes obligé de réagir », dit-on à l’Elysée : « au sommet de décembre, personne n’aurait cru qu’on arriverait à faire autant de progrès sur la défense. Avant le Brexit, un état-major militaire européen permanent était tout simplement inimaginable ». On veut aussi pour preuve de ce désir des Européens de faire bloc la visite à Paris du premier ministre danois, Lars Rasmussen, dont le pays n’est pas précisément fédéraliste, au lendemain de l’élection de Trump au cours de laquelle il a plaidé pour que les Européens arrêtent de dépendre des autres pour leur croissance et pour que l’Union n’accepte pas de traiter avec une Grande-Bretagne qui se transformerait en paradis fiscal. On ajoute, à Bruxelles, que l’Union est loin d’être diplomatiquement isolée : ainsi, dès que Trump a confirmé qu’il se retirerait du TPP (accord commercial transpacifique), les Japonais ont débarqué dans la capitale de l’Union pour demander l’accélération des négociations de l’accord de libre échange entre les deux blocs. Sécurité, croissance, commerce, les trois piliers sur lesquels l’Union veut justement se renforcer. Et si certains veulent jouer en solitaire, « il faudra qu’ils partent », tranche un diplomate de haut rang : « Mais personne n’a manifesté l’intention de le faire alors que les pessimistes avaient prédit le contraire après le Brexit.» Bref, l’Union tiendra, on veut le croire.

N.B.: version longue de mon analyse paru dans Libération du 18 janvier.

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Donald Trump parie sur la fin de l'Union européenne

mer, 18/01/2017 - 08:34

Mon analyse sur l’interview du président américain élu est ici. Bonne lecture!

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La danse d'amour ratée de Guy Verhofstadt autour de Beppe Grillo

ven, 13/01/2017 - 01:04

REUTERS/Eric Vidal

Guy Verhofstadt a tenté un coup de poker hasardeux et a perdu. Le président du groupe libéral (ALDE) du Parlement européen risque même d’y laisser son caleçon. Il faut dire qu’il a placé la barre très haut en tentant de débaucher le sulfureux Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo, un parti italien démagogique et europhobe, afin de faire de son groupe le troisième par ordre d’importance de l’hémicycle et ainsi de se placer en pôle position pour ravir, le 17 janvier, le perchoir, jusqu’ici occupé par le socialiste allemand Martin Schulz. Une opération qui a lamentablement capoté lundi soir, environ la moitié de son groupe, l’un des plus fédéralistes du Parlement, refusant de le suivre dans cette aventure difficilement compréhensible.

C’est ce week-end que Beppe Grillo, partisan d’un référendum sur la sortie de l’euro, a annoncé sur son blog qu’il voulait que ses 17 eurodéputés quittent le ghetto de l’EFDD (Europe of freedom and direct democracy), le groupe europhobe de Nigel Farage, le fondateur du UKIP et vainqueur du référendum sur le Brexit : marginal (44 députés sur 751), il ne joue pas plus de rôle au sein de l’hémicycle que celui de Marine Le Pen et Geert Wilders, l’Europe des nations et des libertés (39 membres)., l’« Les récents développements européens, comme le Brexit, nous conduisent à repenser la nature du groupe EFDD. Avec le succès extraordinaire du « leave »UKIP a atteint son objectif politique », estime Grillo : « Farage a déjà abandonné le leadership de son parti et les eurodéputés anglais abandonneront le Parlement européen » à partir de juin 2019. En clair, l’EFDD est condamné à terme et le M5S risque de se retrouver sur le banc des non-inscrits, sauf à siéger avec Marine Le Pen, ce dont il ne veut pas.

D’autant que Grillo veut s’acheter une respectabilité européenne en prévision d’élections législatives anticipées qu’il compte bien emporter à la suite de l’échec référendaire de Matteo Renzi. Quoi de mieux, dès lors, que de rejoindre les libéraux, actuel quatrième groupe du Parlement (68 membres) et d’en faire ainsi le troisième, derrière les conservateurs du PPE (217) et les socialistes (189) et devant les eurosceptiques de l’ECR (74 membres dont 26 conservateurs britanniques) ? Fidèle à sa conception toute particulière de la démocratie, Grillo a immédiatement lancé une consultation sur internet, sans débat préalable, qui s’est clôturé lundi midi par un vote positif de 78,5 % des sympathisants du M5S ayant pris part au vote.

Les libéraux européens, eux, ont été sidérés de découvrir une affaire que Verhofstadt a négociée dans le plus grand secret. Comme l’analyse un membre de l’ADLE, « il pensait amener Grillo a renoncé à son référendum sur la sortie de l’euro, ce qui n’était pas totalement idiot ». D’autant que la grande majorité des députés du M5S ne sont absolument pas europhobes et que des convergences fortes avec les libéraux se sont créées sur les questions économiques et sur les libertés publiques : « en gros, le M5S vote très souvent comme nous ». Ce qui est exact, mais pas tout à fait: en réalité, les députés du M5S votent le plus souvent comme la... gauche radicale de la GUE. Verhofstadt espérait aussi renforcer ses chances de succéder à Martin Schulz à la présidence du Parlement. En effet, le jeu s’est ouvert depuis que les socialistes et les libéraux ont annoncé qu’ils ne respecteraient pas l’accord signé en juillet 2014 avec les conservateurs qui prévoyait que le perchoir reviendrait au PPE en seconde partie de législature… Ils considèrent, en effet, qu’avec la présidence du Conseil européen et de la Commission, le PPE est déjà bien servi.

Même si les Verts ont auparavant tenté la même manœuvre, séduits par l’europhilie des élus du M5S, Verhofstadt a totalement sous-estimé l’aspect symbolique d’un tel ralliement alors que son groupe n’a de cesse de dénoncer le « populisme » en Europe… Lundi après-midi, la levée de boucliers a été telle dans son groupe (30 députés sur 68, dont le Modem français, mais aussi les Suédois, les libéraux allemands, etc., soit une minorité de blocage étaient opposés à ce deal) qu’il a dû battre en retraite. « Je suis arrivé à la conclusion qu’il n’existe pas de garanties suffisantes pour conclure un programme commun en vue de réformer l’Europe », a-t-il piteusement reconnu lundi soir. « De fait, Beppe Grillo a refusé tout net de se rallier à l’euro », raconte une source interne du groupe ADLE. Personne ne comprend comment Verhofstadt a pu se lancer dans un tel cavalier seul, surtout avec un Beppe Grillo connu pour ses foucades. D’ailleurs, ultime bras d’honneur du clown italien, celui-ci a renouvelé ses voeux de mariage avec Nigel Farage. Autant dire que les chances de l’ancien premier ministre belge d’accéder au perchoir sont désormais quasiment réduites à néant. Well done !

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 10 janvier.

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Commerce: "Les Etats membres critiquent des négociations qu'ils ont eux-mêmes lancées"

mer, 04/01/2017 - 23:00

REUTERS/Francois Lenoir

Mon entretien avec Cecilia Malmström, la commissaire européenne au commerce, est paru aujourd’hui dans Libération. Il est ici. Lisez-le, il est sans langue de bois !

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2017, une année folle est annoncée

dim, 01/01/2017 - 15:41

Une pensée particulière pour vous, chers lecteurs, en ce premier jour de 2017 que je vous souhaite excellente, du moins sur le plan personnel. Une pensée aussi à tous ceux qui suivent « les coulisses de Bruxelles » depuis son lancement, en décembre 2005 : onze ans d’existence pour un blog, ce n’est pas si fréquent.

Pour le reste, en ces temps où la raison recule chaque jour face aux passions les plus viles excitées par des démagogues qui nous mènent en musique vers le gouffre, l’année 2017 s’annonce mal, encore plus mal que 2015 et 2016. Malraux disait que le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas, je crains qu’en réalité le XXIe siècle soit celui de la bêtise triomphante, comme le montre l’élection sidérante de Donald Trump aux États-Unis.

Qu’on y songe: certains, même à gauche, ont osé voir dans la victoire de ce multimilliardaire raciste, misogyne, autoritaire, n’ayant jamais payé ses impôts, la révolte du « peuple » (ah, le peuple) contre les « élites » corrompues représentées par Hillary Clinton. Résultat: outre qu’en réalité les citoyens ont donné 3 millions de voix d’avance à Clinton, les États-Unis ont désormais un gouvernement qui n’a jamais compris autant de représentants de Goldman Sachs, du complexe militaro-industriel et de l’extrême droite suprémaciste blanche. Une leçon pour tous ceux qui sont tentés par un vote pour un parti démagogue, style FN, un FN qui incarne pourtant le « système » qu’il prétend dénoncer. Ce parti d’extrême droite autoritaire, ce n’est pas un parti, c’est un gang héréditaire dirigé par une riche famille allergique à toute démocratie interne. Qu’on y songe: depuis 1974, à chaque élection présidentielle, il y a eu un bulletin Le Pen, le père puis la fille. Le changement dans la continuité en quelque sorte. Et ces démagogues, Le Pen ou Trump, ne changeront pas le « système » qu’ils incarnent autant que la caste des énarques, ils l’utiliseront à leur profit. L’histoire l’a déjà montré et une nouvelle fois, elle bégaye.

Information de service pour terminer: je suis en train d’écrire mon nouveau livre, « les salauds de l’Europe » qui va paraitre chez Calmann-Lévy au printemps prochain. Je serai donc moins présent dans les semaines qui viennent. Je vous demande donc un peu de patience.

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Six raisons d'encore croire à l'Europe

jeu, 29/12/2016 - 14:41

Il faut avoir la foi du charbonnier pour encore croire à l’avenir glorieux de l’Union. La nouvelle « pensée unique » est clairement anti-européenne comme le montre l’omniprésence dans le discours public des mots « euroscepticisme » et « europhobie ». L’Union n’est plus la solution, mais une partie du problème que ce soit pour les partis de gouvernement ou pour les partis extrémistes. Pas un jour sans qu’un politique ou un média ne dénonce les méfaits de l’Europe ou/et annonce sa fin prochaine. Le pessimisme règne. Qui ose encore se proclamer « europhile » par les temps qui courent ? D’ailleurs, on ne dit plus « europhile » ou pro-européen, mais « européïste » un mot négativement connoté inventé par les eurosceptiques afin de mieux les disqualifier : on dit « européïste » comme on dit « fasciste » ou « communiste ».

Alors que, le 25 mars prochain, à Rome, on célèbrera les soixante ans du traité du même nom qui fut signé, entre les six pays fondateurs (Allemagne, France, Italie, Benelux), sur le Capitole, non loin de la roche Tarpéienne, sans doute au moment où Londres activera enfin l’article 50 du traité qui lancera le processus de sortie de l’Union, l’avenir de l’Union apparaît bien sombre. Pourtant, la construction communautaire n’a pas dit son dernier mot, n’en déplaise aux pessimistes et aux nationalistes. Six raisons d’y croire, six comme les États fondateurs.

1/ L’euro a passé l’épreuve du feu

La crise de la zone euro de 2010-2012 a vu fleurir les docteurs Philippulus (on les appelle docteurs « Doom » aux États-Unis) prédisant la disparition de la monnaie unique. En France, le démographe Emmanuel Todd (« je serais très étonné que l’euro, dans sa forme actuelle, survive à l’année 2011 »), l’économiste pro-Poutine Jacques Sapir (« la crise terminale de l’euro aura lieu à l’hiver 2011-2012 ») ou encore l’ancien conseiller de François Mitterrand Jacques Attali qu’on a connu plus inspiré (la question est de savoir si « l’euro existera toujours à Noël (2011)? Il y a plus d’une chance sur deux pour que la monnaie unique ne soit plus là ou du moins qu’elle soit en train de se défaire») se sont particulièrement illustrés… À l’orée de 2017, on mesure la pertinence de ces prédictions. Non seulement l’euro est toujours là, mais tous les pays qui ont été placés sous assistance financière de la zone euro, mis à part la pathologique Grèce, se portent mieux : Irlande, Chypre, Portugal, Espagne.

Surtout, la zone euro s’est fédéralisée sous les coups de boutoir des marchés, ce que personne n’aurait imaginé en 2009 : une union bancaire a été mise en place, le Mécanisme européen de stabilité a été pérennisé et doté de 700 milliards d’euros, ce qui lui permet de venir en aide à un pays attaqué par les marchés, la surveillance budgétaire a été renforcée, les marchés financiers ont été réglementés, etc. En outre, la Banque centrale européenne a totalement changé de doctrine : comme toutes les grandes banques centrales, elle a ouvert grand le robinet à liquidités, en janvier 2015, pour soutenir les économies (un quantitative easing qui permet un rachat d’actifs de 80 milliards d’euros par mois au moins jusque fin 2017), a ramené à zéro le coût de l’argent, ce qui a permis une baisse de l’euro (qui est à son plus bas niveau depuis 2003 face au dollar) et facilité le financement de l’économie et des publiques.

Certes, il manque encore des pièces au puzzle : un budget de la zone euro, une capacité d’emprunt fédéral ou encore un contrôle démocratique de la Commission et de l’Eurogroupe (l’instance qui réunit les ministres des Finances de la zone). Mais nul ne doute que l’édifice sera un jour achevé : le soixantième anniversaire du traité de Rome devrait lancer un nouveau cycle d’intégration.

2/ Le Brexit n’a pas suscité de nouvelles vocations

La messe était dite selon les eurosceptiques : si le 23 juin, les Britanniques votaient en faveur du « Brexit », d’autres pays suivraient dans la foulée. Comment ne pas voir dans un tel évènement le début de la fin, puisque pour la première fois un État quitterait l’Union ? À tout le moins, ses futurs ex-partenaires chercheraient à préserver leurs intérêts commerciaux et négocieraient chacun dans leur coin avec Londres, ce qui lui assurerait de garder un accès au marché unique. Bref, le Brexit serait gagnant-gagnant ce qui donnerait des idées à d’autres pays.

Qu’a-t-on vu ? Exactement l’inverse. Non seulement les États les plus eurosceptiques, comme la Pologne ou la Hongrie, ont protesté de leur ferme volonté de rester dans l’Union, mais ils ont demandé à ce qu’elle se dote enfin d’une défense digne de ce nom, un sujet jusque-là tabou. Il faut dire que la sortie de l’Union, un joli slogan, est infiniment plus compliquée qu’il n’y paraît : le fameux article 50 du traité européen qui lancera le processus ne sera finalement activé qu’en mars 2017, presque un an après le référendum. La complexité du divorce est telle qu’on estime qu’il faudra embaucher 30.000 fonctionnaires de plus pour le gérer, soit autant que d’eurocrates à la Commission. Un comble !

Et alors que la séparation n’a pas encore eu lieu (elle ne sera effective qu’en mars 2019), les mauvaises nouvelles s’accumulent : la croissance pour 2017 sera divisée par deux, la livre a chuté de 10 %, les embauches et les investissements sont au point mort. De quoi calmer bien des ardeurs. Si, comme c’est probable, le Brexit se termine mal pour Londres, c’est-à-dire qu’elle se retrouve dans la position d’un simple pays tiers et qu’une partie de ses activités, notamment financières, quitte l’île, cela enlèvera des arguments aux démagogues qui, d’ailleurs, s’inquiètent de voir que le Brexit ne débouchera pas sur des lendemains qui chantent, ce qui leur enlèvera un sacré argument. Dès lors, il n’est pas étonnant que les instituts de sondages aient constaté un rebond du sentiment pro-européen, y compris en Grande-Bretagne : non seulement 56 % des Britanniques voteraient maintenant pour rester dans l’Union, mais on a assisté à des manifestations pro-européennes ! Du jamais vu depuis son adhésion en 1973.

Enfin, à la grande déception des eurosceptiques, les Européens sont restés unis : pas question de négocier en solo avec Londres et surtout d’accepter que la Grande-Bretagne ait un accès au marché unique sans libre circulation des personnes. Boris Johnson, le secrétaire au Foreign office, a même réussi à faire l’unanimité contre lui en menaçant les Italiens de ne plus pouvoir vendre de Prosecco en Grande-Bretagne. Réplique de Rome : si l’Italie vend moins de Prosecco à 64 millions de Britanniques, le Royaume-Uni vendra moins de fish and chips à 27 pays…

3/ La crise des réfugiés et des migrants a permis un nouveau saut dans l’intégration

Lorsque la crise des réfugiés et des migrants éclate, début 2015 et surtout à partir de mi-juillet, les États européens réagissent en ordre dispersé, faute d’avoir voulu voir qu’un jour les conflits armés à ses portes finiraient par produire des flux de réfugiés. La Grèce, État failli aux avant-postes, l’a laissé passer faute d’avoir les moyens de bloquer qui que ce soit. Les pays balkaniques non membres de l’Union ont fait de même et c’est la Hongrie, puis l’Autriche qui se sont retrouvées à devoir gérer cet afflux massif et brutal. En application du règlement de Dublin, ils auraient dû renvoyer plus d’un million de personnes en Grèce, pays de première entrée, ce qui était évidemment impossible. La réaction de Budapest a été brutale : elle a construit un mur tout le long de sa frontière avec la Serbie, puis avec la Croatie. Cette dernière suivie par la Slovénie et la Macédoine ont alors fait de même pour empêcher les migrants de passer par leur territoire. Les images ont horrifié une partie des opinions publiques, mais en même temps, les candidats à l’accueil de cette masse de réfugiés n’ont pas été légion. Finalement Berlin et Stockholm, pour éviter un désastre humanitaire, ont décidé, unilatéralement, d’accueillir tous ceux qui voulaient se rendre chez eux, tout en évitant de condamner les Hongrois pour avoir fait le sale boulot.

La crise a révélé que les États européens étaient loin de partager les mêmes valeurs, les pays d’Europe centrale excluant d’accueillir des musulmans chez eux, considérant que leur culture était irréductible à celle de l’Occident. En outre, le système Schengen a montré qu’il ne fonctionnait que par temps calme. En effet, lorsque les contrôles fixes aux frontières intérieures ont été supprimés en 1995, on a laissé chaque État disposant d’une frontière extérieure la contrôler souverainement. Ou pas. En clair, au lieu d’européaniser ce contrôle, les États ont décidé de se faire mutuellement confiance…

Les tensions suscitées par cette crise humanitaire ont fait craindre une explosion du système Schengen et la remise en cause d’un principe fondamental de la construction communautaire, celui de la libre circulation des personnes. Il a fallu tâtonner un an pour parvenir à trouver une solution : un accord a été passé avec la Turquie en mars 2016 aux termes duquel Ankara s’engageait, contre espèces sonnantes et trébuchantes, à reprendre le contrôle de ses côtes pour empêcher les réfugiés et les migrants de passer. Le flux s’est immédiatement tari. Le contrôle des frontières extérieures a été renforcé et partiellement communautarisé avec la création rapide d’un corps européen de garde-frontières habilité à intervenir même contre la volonté d’un État. Seul point en suspend, le partage du fardeau : l’Union a bien essayé de mettre en place un système de quotas pour répartir les demandeurs d’asile entre les États européens, mais les pays d’Europe de l’Est persistent dans leur refus d’accueillir sur leur sol des musulmans. Mais l’essentiel a été préservé et plus personne ne remet en cause le fait que les frontières extérieures de l’Union relèvent de l’intérêt commun.

4/ L’élection de Donald Trump et la montée des périls extérieurs ont relancé la défense européenne

L’élection américaine, bien plus que le Brexit, a fait l’effet d’un électrochoc. Pour la première fois depuis 1945, les Américains ont élu un président isolationniste, pro-russe, et opposé à la construction européenne (l’ami de Nigel Farage, le leader du UKIP, le parti europhobe britannique, s’est réjoui du Brexit qualifié « d’extraordinaire » et de « fantastique »). Si Trump met en œuvre son programme, il se retirera du vieux continent, sauf si les pays sont prêts à payer pour la présence des GI’s et, surtout, il ne garantira plus automatiquement la sécurité des pays d’Europe de l’Est, alors même que les périls extérieurs augmentent : crise ukrainienne, crise des migrants et bien sûr terrorisme.

Autant dire que cela change totalement le paradigme de la sécurité européenne. Des pays qui, jusque-là, ne juraient que par les États-Unis ont brutalement redécouvert les vertus de la défense européenne. La Commission et le couple franco-allemand en ont profité pour pousser l’intégration militaire industrielle, ce qui est moins polémique qu’une hypothétique « armée européenne » : ainsi, la recherche militaire pourra être financée sur fonds communautaires ou encore la Banque européenne d’investissement pourra prêter de l’argent au secteur de la défense. L’idée est que l’opérationnel suivra. De même, le tabou de l’usage militaire de Galileo, le GPS européen qui émet depuis le 15 décembre, est tombé : il pourra bien servir à guider des missiles…

De même, dans le domaine de la lutte antiterroriste, les progrès ont été importants : après un premier réflexe de repli sur le réduit national, les États européens ont accéléré leurs coopérations policière et judiciaire. En particulier, un PNR et un ESTA européens sont en train d’être déployés et les compétences d’Europol, l’embryon de FBI européen, ont été renforcées.

5/ On se bouscule aux portes de l’Union

Si à l’intérieur de l’Union, la morosité face à la construction communautaire domine, ce n’est pas le cas à l’extérieur. Les candidats continuent à se bousculer aux portes et personne n’a renoncé à adhérer en dépit des crises qu’affronte l’Union. Mieux, des révolutions, comme en Ukraine, sont menées au nom de l’Europe… Car, vue de l’étranger, elle demeure un « pays de Cocagne » : en paix, démocratique, riche, très riche même, plus égalitaire que le reste de la planète, concentrant 50 % des dépenses sociales de la planète. Elle fait aussi rêver, car c’est la seule région du monde où des États ont accepté de partager volontairement une partie de leur souveraineté et ont mis en place des transferts financiers importants entre riches et pauvres (par exemple, la Pologne reçoit chaque année du budget européen 4 % de son PIB). Il n’y a pas que des pays qui veulent rejoindre l’Union, mais aussi des êtres humains : les migrants et les réfugiés votent avec leurs pieds, parfois au risque de leur vie. Jusqu’ici, on n’a jamais constaté de mouvement en sens inverse, en dépit des descriptions apocalyptiques des eurosceptiques sur l’état de l’Union…

6/ Les crises ont toujours renforcé l’Europe

Le fait que tout le monde parie sur la fin de l’Europe est sans doute sa meilleure chance : au fond, l’imprévisible est devenu le prévisible désormais, comme l’a montré l’élection de Trump ou la sèche défaite du candidat néo-nazi à la présidence de la République autrichienne. Plus sérieusement, l’effondrement de la construction communautaire est au programme depuis 1950, lorsque Robert Schuman a lancé son appel à la réconciliation franco-allemande. La coopération volontaire entre États souverains est toujours ressentie « contre nature » après les siècles de guerre qui ont ravagé le vieux continent. Qui aurait pu parier un kopek sur la mise en commun du charbon et de l’acier, les deux mamelles de l’industrie de l’armement à l’époque, entre l’Allemagne et la France à peine six ans après la fin du second conflit mondial ? Il suffit de songer à la haine qui perdure en Bosnie entre communautés vingt ans après la fin de la guerre pour mesurer la volonté politique qu’il a fallu déployer à l’époque pour parvenir à lancer le projet européen. Après le non français, en 1954, à la Communauté européenne de défense, comment imaginer que trois ans plus tard serait signé le traité de Rome donnant naissance à l’Union européenne et qu’en 1958 son plus farouche opposant, le général de Gaulle, le mettrait en œuvre ? On peut énumérer les crises soi-disant terminales de l’Europe, de la crise de la chaise vide en 1965 à celle de la zone euro en passant par le « non » franco-néerlandais de 2005 au traité constitutionnel européen, qui n’ont été en fait que des paliers avant que les États ne poursuivent le chemin ardu de la construction communautaire. Bref, le pire n’est jamais le plus sûr.

N.B.: version longue de mon article publié dans Libération du 29 décembre

Catégories: Union européenne

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