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Le Patriot Act d'Emmanuel Macron

mar, 10/10/2017 - 15:25

REUTERS/Christian Hartmann

La loi sécuritaire d’Emmanuel Macron, la énième depuis les attentats de janvier 2015, est soi-disant destinée à permettre de sortir de l’état d’urgence. En réalité, elle l’inscrit dans le droit commun, ce qui constitue une atteinte sans précédent à l’état de droit puisqu’elle donne des pouvoirs disproportionnés aux autorités administratives (préfets, police) en privant le juge judiciaire, le juge des libertés, de presque tous ses pouvoirs de contrôle. Cette loi ne s’arrête pas en si bon chemin en n’hésitant pas à établir un lien entre terrorisme et immigration irrégulière, ce qui a poussé le pourtant très répressif Bernard Cazeneuve, ancien ministre de l’Intérieur et Premier ministre, à demander la saisine du Conseil constitutionnel. Je ne suis pas le seul à le dire, loin de là : les juristes, les ONG de défense des droits de l’homme ou encore le défenseur des droits, Jacques Toubon, dénoncent ces inquiétantes dérives. Le chef de l’État, qui est si fier d’affirmer qu’il fait ce qu’il a promis durant sa campagne, fait pour le coup l’exact contraire : il débute son quinquennat là où François Hollande à terminé le sien, en faisant adopter par sa majorité (hormis quelques députés En Marche, souvent des anciens policiers ou magistrats, qui ont sauvé l’honneur) un texte que le Front National pourrait endosser sans difficulté.

Je ne peux que souscrire à cette dénonciation de l’affaiblissement de l’état de droit : « La volonté des terroristes est de déstabiliser le pays, de l’atteindre dans ce qu’il a de plus fondamental. C’est, au fond, la démocratie qui est visée, notre cohésion qu’ils veulent ébranler, nos valeurs auxquelles ils veulent porter un coup décisif. Dans ces circonstances, le rôle premier du président de la République est, en tant que chef des armées et garant de nos institutions, de protéger les Français. Cela ne consiste pas, comme je le vois ici ou là, à céder à quelque surenchère pour répondre à l’événement tragique qui endeuille notre pays. Être prêt à assumer les responsabilités de l’État, en matière de lutte contre le terrorisme, c’est avoir une vision claire, des objectifs précis et présenter des priorités d’action. Je sais que les Français n’ont pas peur, que nous n’avons pas peur. Je sais que nous saurons rester fidèles à nous-mêmes, à notre histoire, que nous saurons maintenir notre unité. À chaque fois, la nation française a été forte. Dans ce moment crucial pour l’avenir de notre pays, dans ces instants décisifs pour notre démocratie, je pense aux mots de Victor Hugo : «Tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, tenir bon, tenir tête. Voilà l’exemple dont les peuples ont besoin et la lumière qui les électrise.» Je le dis avec beaucoup de force : remettre en cause la légitimité de l’autorité judiciaire, c’est affaiblir l’autorité de l’État et l’autorité dans l’État, et ça n’est pas compatible avec une vraie politique de sécurité dont notre pays a aujourd’hui besoin. La justice a la haute fonction de punir, donc de distinguer le vrai et le faux, le normal et le disproportionné, le juste et l’injuste. Nul autre ne peut s’arroger ce droit, aucun responsable politique, quel que soit le contexte, ne peut s’arroger ce droit. Parce qu’alors, il décide de fragiliser l’État de droit dont nous sommes toutes et tous, avant tout, les gardiens, et de fragiliser en même temps les institutions dont chacune et chacun, dans cette élection, prétend à terme devenir le gardien. » L’auteur de ces lignes ? Emmanuel Macron… Il est vrai qu’il était alors en campagne et qu’il s’agissait de séduire les électeurs déçus par la politique sécuritaire de François Hollande (extrait publié par Libération en juin dernier).

Patrick Weill, directeur de recherche au CNRS et professeur à Yale Law School, spécialiste de l’immigration qui a été à la pointe du combat contre la déchéance de nationalité pour les terroristes, a publié dans Le Monde du 29 septembre une superbe tribune sur un des aspects passé inaperçu de cette loi. Il est en accès payant alors qu’il est d’utilité publique. Je ne peux donc que publier sa version anglaise. Néanmoins, Le Monde m’a autorisé à publier les deux premiers paragraphes en français : « Pour lutter contre le terrorisme, l’arme la plus forte, la plus essentielle, c’est l’unité des Français. Chaque citoyen doit la rechercher autour de soi, dans sa vie quotidienne. Et ce doit être bien sûr la priorité absolue du président de la République, qui en est le garant. C’est pour avoir brisé cette unité, en proposant de distinguer dans la Constitution deux catégories de Français – afin de pouvoir déchoir certains d’entre eux de leur nationalité –, que François Hollande a, en 2015, profondément choqué – et a dû finalement reculer. Pourtant, Emmanuel Macron semble avoir décidé de suivre le même chemin, et d’aller beaucoup plus loin encore. Si le projet de loi que son gouvernement soumet au Parlement pour lutter contre le terrorisme était adopté, des millions de Français, résidant notamment dans les zones urbaines, seraient soumis aux contrôles d’identité, sous le prétexte de la lutte contre l’immigration illégale. Le traitement auquel ils risquent d’être soumis n’a qu’un précédent dans notre histoire : le code de l’indigénat. Voici comment et pourquoi ».

La loi Macron ressuscite le code de l’Indigénat

« In the fight against terrorism, the strongest and most crucial weapon is the unity of French citizens. Everyone must search for it in his or her daily life. And this must be of course the top priority for the President of the Republic, supposed to be its guarantor. It is for having broken this unity, by proposing to distinguish between two categories of French citizens in the constitution – in order to be able to strip some of them of their nationality – that, in 2015, François Hollande deeply shocked part of the nation and eventually had to back down. However, Emmanuel Macron seems to have decided to go much further down this same path. If the bill that his Government is submitting to Parliament to combat terrorism were to pass, millions of French citizens, especially those living in urban areas, would be subject to identity checks, under the pretext of the fight against illegal immigration. The treatment to which they would be subjected has only one precedent in French history: the code de l’Indigénat. Here is how and why.

In order to combat terrorism, the bill proposes to codify the exceptional provisions of the state of emergency – house arrest, administrative searches – in ordinary law. That this power to undermine fundamental liberties is given to administrative authorities, rather than judges, already represents in itself a disturbing and unprecedented break with the rule of law. At the end of the bill appears a provision, article 10, that seemingly comes from nowhere. The Schengen Agreement establishes a common border in continental Europe that, once crossed by foreign visitors, allows them to move easily throughout the countries party to this agreement. In order to avoid irregular crossings, this agreement has, since 1993, allowed limited document checks to take place in train stations, seaports, airports and within 20 kilometers of each Schengen countries’ borders. The proposed bill would expand the space in which these checks can take place, reaching up to 20 kilometers from airports and train stations that receive international arrivals. It would thus extend the police’s authority to perform these checks on people suspected of an irregular legal status across 28% of the French territory, in which 67% of the French population lives.

In a 2009 study about police methods at two of Paris’ major train stations– the Gare du Nord and the commuter rail hub at Châtelet – two researchers, Fabien Jobard and René Lévy showed that men were between 3.5 and 10 times more likely to be stopped than women, Blacks 3.3 to 11.5 times than Whites, and North Africans between 1.8 and 14.8 times than Whites. 7.5% of the passengers exiting, for example, one international train Thalys, are Black, but they represent 31% of the people stopped by police. Young people, especially those who appear to dress like it, shatter this ceiling: They are stopped 5.7 to 16.1 times more frequently, depending on the station, and two-thirds of this group are Black or North African.

This is the exceptional regime – today applicable only to airports, seaports, train stations and to some international trains– that the new bill aims to extend to the majority of France’s population. It claims to be required by the emergence of a new situation, namely the fight against terrorism. But in fact, it take place in a part of France’s history – sometimes ignored, often repressed. Codifying exception – here the identity checks – in permanent law, in order to target a particular population, France has already done this on its territory. It was in 1881, in Algeria – when Algeria was part of France – and then in the rest of Africa, with the code of the Indigénat. For more than 60 years, French colonial subjects were subject to administrative authority, which could arbitrarily impose special punishments applicable only to colonial subjects. This ran parallel to the judiciary power of ordinary law. General de Gaulle put an end to this regime in 1944. But some may say, about Macron’s new bill, that there is no special punishment, that it is just an identity check. At this massive and unprecedented scale, however, the special punishment is the identity check itself. It is this very procedure, the public interrogation, before fellow countrymen who never get stopped and who are staring at you. Imagine the humiliation that we would feel, each one of us who lives in a city big or small, if we were stopped, every day, without any reason other than the color of our skin, our age, our clothes, in front of our neighbors, our classmates, our colleagues, or anonymous passersby.

Illegal immigration has nothing to do in a bill to fight terrorism. Except to create, by way of a cynical connection, the worst situation. One can indeed set a goal to eradicate terrorism and hope to achieve it. But never, despite the bluster of President Macron and Minister of the Interior Collomb, will illegal immigration ever end. Much less important than they claim, illegal immigration is the normal consequence of France being an open democracy and the most touristed country in the world. Aspects of the state of emergency transferred in ordinary law in order to fight terrorism could thus, one day, be suspended, the identity checks, justified with reference to illegal immigration, will never end.

So, faced with terrorism, instead of creating bonds and unity, we create division and senseless stigma. We set up a permanent and durable apparatus for identity checks, causing physical and symbolic violence that will far surpass any hypothetical advantages. Unacceptable from the point of view of our fundamental liberties, it is at heart a political crime, against the Republic. This project gives a mortifying satisfaction to the two extremes of French politics: the extreme Right, which considers it legitimate to treat differently those they call undesirable Frenchmen, but also a certain extreme Left, which claims the Republic is an extension of colonization. So, republican members of parliament, wake up – those on the Left, of course, but also those on the Right, Gaullists or Christian Democrats, deeply attached to the values of the Republic. MP of the majority, you were not elected for this, quite the contrary. You have not signed up for your name to sit in the text of a law that creates within the Republic, parallel to the rule of law, a discriminatory police state. Each of you has the duty to stand up, to say no, and to prevent this unacceptable abuse of power».

Catégories: Union européenne

Catalogne: l'UE soutient Madrid et isole Barcelone

jeu, 05/10/2017 - 10:01

L’Espagne est maître chez elle et l’Union européenne n’a nullement l’intention de se mêler de ses « affaires intérieures » en lui proposant une médiation, de crainte de légitimer davantage les sécessionnistes catalans. Dans un communiqué publié ce lundi, la Commission s’est rangée clairement aux côtés de Madrid : « en vertu de la Constitution espagnole, le scrutin organisé hier en Catalogne n’était pas légal (…) Il s’agit d’une question interne à l’Espagne qui doit être réglée dans le respect de l’ordre constitutionnel de ce pays ». En d’autres termes, Mariano Rajoy, le Premier ministre espagnol, a carte blanche pour régler ses problèmes domestiques et Barcelone ne peut compter sur aucun gouvernement européen pour la soutenir, ceux-ci craignant l’effet de contagion que pourrait susciter une déclaration unilatérale d’indépendance.

Même les violences policières qui ont émaillé le « presque référendum » de dimanche ne suscitent guère de condamnations dans les capitales européennes en dépit de l’émotion des opinions publiques. Ainsi, l’Élysée n’en a pas soufflé mot en annonçant qu’Emmanuel Macron avait eu un entretien téléphonique lundi avec le Premier ministre espagnol au cours duquel le chef de l’État l’a l’assuré de « son attachement à l’unité constitutionnelle de l’Espagne » et qu’il « n’avait qu’un seul interlocuteur en la personne de M. Rajoy ». Seul le Premier ministre belge, Charles Michel, qui gouverne avec les indépendantistes flamands de la NVA, ce n’est pas un hasard, s’est illustré en condamnant dimanche la gestion de la crise par Madrid sur Twitter : « la violence ne peut jamais être une réponse. Nous condamnons toute forme de violence et nous réitérons notre appel au dialogue politique ».

Les institutions communautaires, chargées de veiller au respect des valeurs européennes, se sont montrées plus pressantes pour appeler Madrid à retenir sa matraque. La Commission a souligné que « la violence ne peut jamais être un instrument politique » et a appelé « tous les acteurs concernés à sortir au plus vite de la confrontation pour revenir au dialogue ». Donald Tusk, le président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, a, lui aussi, demandé à Rajoy de « trouver des chemins pour éviter l’escalade et l’usage de la force ». Le Parlement européen, en pointe dans la lutte contre les « démocratures » polonaise et hongroise, ne pouvait être en reste. Il a organisé aujourd’hui un débat à Strasbourg sur la crise catalane : lancée par les socialistes et les libéraux, l’initiative a été endossée par les conservateurs du PPE, le groupe auquel appartient le PP de Mariano Rajoy… Le discours du roi d’Espagne, mardi soir, particulièrement violent, montre que Madrid n’a manifestement pas entendu les appels au calme.

Si la gestion madrilène de la crise catalane, que l’Union n’a pas voulu anticiper encore une fois, suscite, un fort malaise, sur le fond, les Européens soutiennent Rajoy sans barguiner. Pour eux, seul un processus référendaire accepté par l’État central, à l’exemple du Royaume-Uni avec l’Écosse, est acceptable. Et encore. La Commission n’a ainsi jamais caché son hostilité à une telle indépendance, du moins jusqu’au Brexit. Ainsi, en 2004, l’exécutif européen, alors présidé par l’Italien Romano Prodi, avait affirmé sans que l’on sache très bien sur quelle base juridique il se fondait, qu’une Écosse indépendante devrait réadhérer à l’Union. Une position répétée hier afin de faire comprendre aux Catalans qu’il n’y aura pas de lendemains qui chantent : « si un référendum était organisé d’une façon qui serait conforme à la Constitution espagnole, cela signifierait que le territoire qui partirait se retrouverait en dehors de l’Union européenne ». La menace est claire pour toutes les régions tentées par l’indépendance (notamment Flandre et Lombardie). Et pour être sûre d’être bien comprise, elle a ajouté : « dans les temps actuels, nous avons besoin d’unité et de stabilité et non de division et de fragmentation »

Le problème est qu’il n’y a en réalité pas de réponse juridique certaine, aucun précédent d’une sécession interne à l’Union n’existant. Jusqu’à présent, les États se sont scindés, parfois les armes à la main, avant d’adhérer, ce qui n’a posé aucun problème à l’Union qui a reconnu tous ces nouveaux pays : Estonie, Lettonie, Lituanie, Tchéquie, Slovaquie, Slovénie, Croatie. Mieux, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, et Emmanuel Macron se sont prononcés en faveur de l’adhésion du Monténégro, de la Serbie, du Kosovo et de la Macédoine (ainsi que de l’Albanie qui, elle, ne s’est pas scindée). Interrogé sur la différence entre le Kosovo, qui s’est séparé en violant la Constitution serbe, et la Catalogne, Margaritis Schinas, le porte-parole de la Commission, a admis que l’appartenance à l’Union changeait tout.

Mais, à la différence de l’Écosse, la Catalogne est membre de la zone euro. Comment justifier aux yeux des marchés l’expulsion de l’une des régions les plus riches de la zone alors que la Commission a tout fait pour éviter l’expulsion de la Grèce dont le PIB est bien inférieur, et ce au nom d’un risque de contagion ? Si après la Catalogne, l’Union expulse d’autres régions qui auraient la mauvaise idée de se déclarer indépendant, peut-on avoir confiance en la pérennité de l’euro ? Aucune réponse de la Commission qui préfère sans doute ne pas anticiper le problème…

N.B.: article paru dans Libération du 3 octobre

N.B.1: Sur les raisons de cette crise, relire mon reportage paru en septembre 2016 dans lequel j’annonçais de possibles violences...

Catégories: Union européenne

Le fiasco de la communication de la Commission Juncker

mer, 04/10/2017 - 15:55

Voici ma chronique consacrée à la com’ d’une Commission qui, décidément, a du mal à comprendre qu’elle n’est pas au service d’elle-même... Chronique pour «La faute à l’Europe», l’émission hebdomadaire de France Info télé.

Catégories: Union européenne

Catalogne: le périlleux silence de l'Union européenne

mar, 03/10/2017 - 18:48

La capacité de l’Union européenne - que ce soit ses États membres ou ses institutions- à mettre la tête dans le sable est proprement sidérante. Cela fait un an que l’on sait qu’un référendum d’autodétermination sera organisé par les autorités catalanes et que le pouvoir central madrilène le jugera inconstitutionnel ce qui laissait augurer des lendemains inquiétants pour la paix civile. Pourtant l’Europe a regardé les deux trains foncer l’un vers l’autre en refusant d’intervenir, car il s’agirait d’une « affaire de politique intérieure » dans laquelle ni les États ni les institutions communautaires n’ont de légitimité à intervenir puisque la Constitution espagnole est respectée par Madrid et violée par Barcelone.

Bruno Le Maire, le ministre des finances français, l’a martelé à nouveau hier : il s’agit « de la souveraineté espagnole » : « que dirait-on si un gouvernement espagnol venait s’exprimer sur la situation en France, sur la manière dont nous gérons nos problèmes d’ordre public ? » Bref, aux Espagnols et aux Catalans de se débrouiller. Jusqu’à quand ? Faudra-t-il attendre l’envoi de l’armée pour s’émouvoir ? La suspension des libertés politiques et civiles ? Le premier mort ?

Pourtant, l’article 2 du traité sur l’Union qui énumère les valeurs européennes, donne une base à une intervention dans les « affaires intérieures » d’un État : « l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droit de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités ». C’est sur cette base (et celui de l’article 7 du même traité) que la Commission est intervenue auprès des autorités hongroises, polonaises ou même françaises (à propos des droits des Roms).

Cet article, qui signe en réalité la fin des affaires de « politique intérieure », lui donne la légitimité pour intervenir en Espagne, au moins en proposant une mission de « bons offices » afin d’aider à nouer un dialogue entre Barcelone et Madrid. Car, si l’Union n’est pas une force militaire, elle est un soft power qui a démontré son efficacité, par exemple, en gérant la transition des anciens pays communistes vers la démocratie et l’économie de marché. Or là, elle n’a rien tenté, renonçant même à intervenir discrètement pour calmer les deux bords en dépit de l’inquiétude de plus en plus grande de quelques parlementaires européens. Certes, l’Union a déjà montré son impressionnante incapacité à anticiper, comme dans l’affaire ukrainienne lorsqu’elle a refusé de voir le danger qu’il y avait à titiller Moscou dans ce qu’elle considère comme son jardin. Il est donc possible qu’une nouvelle fois, elle n’ait rien vu venir, car elle refusait de voir le problème tant qu’il ne se posait pas. Une interprétation voudrait que les États et les institutions communautaires redouteraient l’émiettement de l’Union. Mais, non seulement elle est déjà émiettée (28 membres, pour rappel), mais Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, et Emmanuel Macron viennent de se prononcer pour un élargissement aux pays des Balkans (Albanie, Kosovo, Serbie et Macédoine). Surtout, la Grande-Bretagne a accepté de prendre le risque d’une indépendance écossaise sans que l’Union ne proteste. Autant dire que l’argument ne tient pas la route une seconde.

En fait, la raison de ce silence est bien plus triviale. Mariano Rajoy est, comme tous les membres du PPE, le parti conservateur européen, un protégé de la chancelière allemande et l’on sait à quel point Jean-Claude Juncker, lui-même membre du PPE, est à l’écoute de Berlin. Tant qu’il ne franchira pas la ligne rouge du premier sang, l’Europe des États détournera le regard. It’s politics, stupid !

N.B.: version longue de l’article paru aujourd’hui dans Libération

Catégories: Union européenne

Emmanuel Macron propose une ambitieuse "refondation" de l'UE

jeu, 28/09/2017 - 08:36

Emmanuel Macron, dans un discours ambitieux et d’une rare densité, qui rompt avec les cinq ans de silence obstiné observé sur le sujet par son prédécesseur François Hollande, a plaidé pour une « refondation » de l’Union d’ici à 2024, car « nous ne pouvons pas nous permettre de garder les mêmes politiques, les mêmes habitudes, les mêmes procédures, les mêmes budgets ». Il ne s’agit pas d’un oukase, comme le chef de l’État l’a précisé à plusieurs reprises, un reproche que certains de ses partenaires sont toujours prompts à adresser à la « grande Nation » : « le temps où la France décidait pour l’Europe n’a jamais existé (…). Le temps où la France prétendait décider pour l’Europe est révolu. Le temps où la France propose est revenu ». Il n’a pas hésité à se placer dans les pas des « pères fondateurs » : « je pense à cet instant à Robert Schuman, le 9 mai 1950, osant proposer de construire l’Europe. Je pense à ces mots saisissants : « l’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre » ». Décryptage des six points clefs du discours du Président de la République.

1/ Une Europe différenciée

Pour Emmanuel Macron, unité ne rime pas avec paralysie. S’il n’exclut pas qu’à terme tous les pays de l’Union participent à toutes les politiques européennes, y compris à l’euro, il refuse que les plus réticents bloquent ceux qui veulent aller de l’avant, d’autant que « l’Europe est déjà à plusieurs vitesses, n’ayons pas peur de le dire. Allons vers ces différenciations » qui impliquent la mise en place d’une « avant-garde » mobilisant « l’ambition motrice de quelques-uns ». C’est une vraie différence avec le discours sur l’état de l’Union prononcé par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le 13 septembre dernier, qui, à l’image de l’Allemagne, n’a même pas évoqué cette Europe à plusieurs vitesses qui est déjà un fait (euro, Schengen, politique de sécurité et d’immigration, etc.). Pour rassurer les pays d’Europe de l’Est qui sont évidemment visés, le chef de l’Etat affirme qu’il ne veut pas bâtir de nouveaux murs infranchissables: « perdre cette unité, c’est prendre le risque de revenir à nos déchirements mortifères et à l’hégémonie destructrice ». Ce qu’il faut, c’est « assurer l’unité sans chercher l’uniformité » et sortir de la recherche actuelle du « plus petit dénominateur commun ».

Assumer que l’Europe n’ira pas du même pas avant longtemps ne veut pas dire que ceux qui n’appartiendront pas au cœur nucléaire de l’Union pourront faire ce qu’ils veulent. Outre les règles du Marché unique qui continueront à se décider à 27 et à s’appliquer aux 27, « sur les valeurs de la démocratie et de l’état de droit (…) il ne peut y avoir d’Europe à deux vitesses ». La Pologne et la Hongrie sont prévenues. Emmanuel Macron, en accord avec Juncker, se dit aussi ouvert à un élargissement futur aux pays des Balkans « lorsqu’ils respecteront pleinement l’acquis (communautaire) et les exigences démocratiques. Car notre Union reste attractive et son aura est un facteur essentiel de paix et de stabilité sur notre continent ». Mais la logique du chef de l’État est très différente de celle de Juncker qui ne prône pas un approfondissement conséquent comme préalable : « si nous pouvons accepter un élargissement exigeant, c’est parce que le socle renforcé de l’Union européenne permettra des différenciations plus grandes ». Mais aucun mot sur la Turquie…

2/ Une zone euro renforcée

Pour Macron, « le cœur d’une Europe intégrée », c’est l’union économique et monétaire. En préalable, il écarte toute mutualisation « des dettes du passé », un épouvantail outre-Rhin, même si les sages économiques qui conseillent le gouvernement allemand l’ont recommandé lors de la crise de la zone euro et il se garde bien d’évoquer de futur « eurobonds » ou emprunts européens, meilleurs moyens de bloquer toute discussion. Il estime nécessaire un budget de la zone euro (autre différence avec Juncker) non pas pour voler au secours des déficits publics, mais pour investir et disposer de « moyens face aux chocs économiques » : « un État ne peut, seul, faire face à une crise lorsqu’il ne décide pas de sa politique monétaire ». Ce budget serait abondé par les taxes européennes sur les géants du numérique qu’il souhaite mettre en place, la taxe carbone voire une partie de l’impôt sur les sociétés lorsque les taux auront été harmonisés. Toujours afin de rassurer l’Allemagne, il affirme son attachement au respect du Pacte de stabilité et à la coordination des politiques économiques dont le pilotage serait assuré par un ministre des finances européen (fusion du poste de commissaire européen aux affaires économiques et monétaires et de celui de président de l’Eurogroupe, l’enceinte réunissant les ministres des Finances de la zone euro). Enfin, il veut qu’un contrôle parlementaire sur la zone euro soit institué, sans dire s’il serait assuré par l’actuel Parlement européen ou par un Parlement ad hoc.

3/ Une Europe qui protège

Le chef de l’État a particulièrement insisté sur la transition énergétique rendue nécessaire par l’Accord de Paris sur le climat. Il veut notamment instituer un prix plancher, éventuellement à quelques-uns, pour la tonne de carbone, et, afin d’assurer une juste concurrence, d’instituer une taxe aux frontières européennes sur les produits provenant de pays ne respectant les standards européens. Il propose d’accélérer l’interconnexion des réseaux nationaux, freinée notamment par la France, afin de pouvoir sécuriser l’approvisionnement énergétique de l’Union et, enfin, de créer une véritable communauté européenne de la voiture électrique afin « de traverser l’Europe sans l’abimer ».

Après les scandales alimentaires qui ont ébranlé l’Union, comme celui des œufs contaminés, Macron souhaite accélérer la transition vers une agriculture « écologique et responsable », notamment en assurant à tous les agriculteurs des revenus décents, ce qui passe par une réforme en profondeur de la Politique agricole commune, « un tabou français », celle-ci réservant 80 % de ses aides à 20 % des agriculteurs, généralement les plus intensifs. Il veut aussi la création d’une « force européenne d’enquête et de contrôle » pour lutter contre les fraudes, un domaine jusque là souverain et réformer en profondeur les évaluations scientifiques européennes.

Le chef de l’État milite pour la mise en place d’une Europe fiscale pour mettre fin à la concurrence de tous contre tous, en adoptant d’ici 2020 une fourchette de taux d’impôts sur les sociétés. Si un État ne la respecte pas, il serait privé d’une partie des aides régionales (fonds de cohésion). De même un salaire minimum européen, variable selon les pays, serait créé. Enfin, Macron demande une politique commerciale plus transparente qui tienne compte des exigences sociales et environnementales et la création d’un « procureur commercial européen » chargé de vérifier le respect des règles par les pays tiers et doté d’un pouvoir de sanction. Autant dire qu’il n’a pas vraiment confiance dans la Commission actuelle pour s’acquitter d’une telle tâche qui lui revient jusqu’à présent… En revanche, pas un mot sur le « buy european act », qui réserverait les marchés publics aux entreprises européennes, qu’il avait souhaité pendant sa campagne.

4/ Une Europe de la sécurité

Face à « l’inéluctable » retrait américain, l’Union n’a d’autre choix que d’assumer sa propre défense « en complément de l’OTAN ». Certes, les Vingt-huit se sont enfin mis d’accord sur la création d’un État major européen et la Commission vient de créer un « fonds européen de défense » afin de financer la recherche militaire, mais cela reste insuffisant. Macron propose de prendre le problème à l’envers en créant « une culture stratégique commune » : il propose d’accueillir au sein de l’armée française des militaires européens afin de participer « le plus en amont possible, à nos travaux d’anticipation, de renseignement, de planification et de soutien aux opérations », une initiative qu’il souhaite que toutes les armées de l’Union fassent leur. Ensuite, dès les années vingt, « l’Europe devra être dotée d’une force commune d’intervention », une proposition qui remonte à 1999 et qui n’a jamais vu le jour, « d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir ».

Pour renforcer la coordination des services de renseignements européens dans la lutte contre le terrorisme, le chef de l’État souhaite la création d’une « académie européenne du renseignement » et que le parquet européen en cours de création ait compétence dans les domaines de la criminalité organisée et du terrorisme alors que pour l’instant elle est limitée à la lutte contre les fraudes au budget communautaire.

Enfin, Emmanuel Macron veut rompre avec la politique du chacun pour soi en matière d’immigration et d’asile, les pays de la « ligne de front » étant laissés à eux-mêmes : « nous (manquons) d’efficacité comme d’humanité ». Il propose donc « la construction d’un espace commun des frontières, de l’asile et de l’immigration » qui passe notamment par la création d’un Office européen de l’asile destiné à harmoniser les procédures, une proposition de la Commission qui remonte au début du siècle, l’interconnexion des fichiers, le renforcement de la « police européenne des frontières » actuellement dotée d’effectifs symboliques, une gestion commune des reconduites à la frontière et le financement européen de l’intégration des réfugiés. Cette politique d’immigration passe aussi par un « partenariat avec l’Afrique » qui implique une augmentation de l’aide au développement qui pourrait être financée par une taxe sur les transactions financières européenne, un serpent de mer, qui prendrait comme modèle la taxe française ou britannique.

5/ Une Europe du futur

Pour éviter que les géants numériques de demain ne soient pas européens, le chef de l’État propose de créer une « Agence européenne pour l’innovation de rupture » afin de financer des recherches dans des domaines nouveaux « comme l’intelligence artificielle ». Macron évoque le précédent du DARPA américain qui a permis le programme spatial et la conquête de la lune… « Créons ensemble les champions de demain ». Il veut aussi développer les échanges universitaires, lancer l’harmonisation des diplômes du secondaire

6/ La méthode

Le chef de l’État ne veut pas se lancer d’emblée dans une réforme des traités européens. Il évoque seulement deux réformes : une réduction de la taille de la Commission de 28 à 15 membres (comme cela était prévu à l’origine par le traité de Lisbonne) et la création de listes transnationales pour les élections européennes afin de créer un espace public européen. Dans un premier temps, seuls les 73 postes libérés par les Britanniques seraient concernés, mais il souhaite, qu’à terme, la moitié du Parlement soit élu dans le cadre d’une circonscription européenne. En clair, ce serait les partis européens qui désigneraient ces candidats et non plus les partis nationaux.

Pour le reste, il se montre ouvert : soit des coopérations renforcées, soit un accord ad hoc, soit une nouvelle législation communautaire. Mais il estime que tous les pays devraient lancer des « conventions démocratiques afin que les citoyens soient consultés en amont sur l’Europe qu’ils souhaitent : elles se réuniraient pendant six mois en 2018 afin de débattre et ainsi permettre aux partis de s’emparer de leurs conclusions. Il annonce aussi la mise en place d’un « groupe de refondation européenne » ouvert à tous les représentants des États membres volontaires et associant les institutions européennes chargé de préciser ses idées et celles émanant des « conventions démocratiques.

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 27 septembre

N.B. 1: dessin de Vadot juste pour ce blog. Merci à lui et à son talent.

N.B. 2: Lire le papier d’Alain Auffray sur les autres aspects du discours, ici, et notre analyse commune sur le couple franco-allemand, .

Catégories: Union européenne

Angela Merkel, la «reine fainéante» de l'Europe

lun, 25/09/2017 - 09:54

REUTERS/Michael Dalder

Angela Merkel, « reine de l’Europe », comme le proclame à satiété les médias du monde entier ? Peut-être. Mais alors il s’agit d’une « reine fainéante » régnant par la force de son inertie, ses partenaires s’épuisant à essayer de la faire bouger ou à limiter les dégâts causés par son inaction. Alors qu’elle est au pouvoir depuis 2006, on cherchera en vain une seule proposition constructive émanant de Berlin. Si elle est parvenue à occuper une place centrale dans l’architecture du pouvoir européen, c’est par sa constance à dire « nein », sachant que sans l’Allemagne rien n’est possible, notamment dès qu’il s’agit de questions économiques et financières, justement celles qui ont dominé l’agenda communautaire ces dix dernières années. La chancelière n’est pas une Européenne de cœur, mais de raison et elle ne l’est que parce que l’Union sert les intérêts allemands qui sont son horizon indépassable.

«Nein»

Angela Merkel donne sa mesure dès le début de la crise financière. En octobre 2008, alors que le monde est confronté au tsunami engendré par la faillite de la banque d’affaires américaine Lehman brothers, Nicolas Sarkozy, toujours extrêmement réactif, convoque à Paris un sommet du G4 (les Européens du G8) afin de mettre au point un plan d’action communautaire. Persuadée que ses banques sont solides, « la chancelière nous a dit : chacun sa merde », comme l’a résumé amèrement, à l’issue de la réunion, auprès de ses conseillers le chef de l’État. Quelques jours auparavant, elle avait déjà torpillé l’idée franco-néerlandaise d’un fonds de soutien européen aux banques doté de 300 milliards d’euros. Peer Steinbrück, le ministre des finances allemand (social-démocrate), explique franchement qu’il ne veut pas que « le bon argent allemand » serve à sauver les banques des pays méditerranéens. Or, le soir même de la réunion du G4, la principale banque hypothécaire d’Allemagne (Hypo Real Estate) fait faillite, ce qui contraint Angela Merkel à un virage à 180° : elle accepte, une semaine plus tard, un plan européen, mais pas le fonds de secours.

Même attitude hostile lorsque Sarkozy propose début 2009, un plan de relance européen pour contrer la crise économique qui s’annonce. Là encore, l’Allemagne croit pouvoir échapper à la récession. Placée devant l’évidence que ça ne sera pas le cas, elle adopte en catastrophe un plan national massif dont elle doutait de la pertinence trois semaines auparavant. Ce qui ne l’empêche pas de s’opposer ensuite à la mise en place d’une véritable Communauté européenne automobile que proposait la France pour finalement se rallier quelque temps plus tard à la prime à la casse mise en place par ses partenaires pour limiter les dégâts. Résultat des réticences merkeliennes à anticiper et à jouer collectif : une absence de coordination quasiment totale qui a empêché une reprise européenne.

«Le bon argent allemand»

À l’automne 2009, la crise grecque éclate et la chancelière, désormais en coalition avec les libéraux eurosceptiques du FDP, va parvenir à transformer un problème local concernant un pays marginal dans l’économie européenne en crise systémique de l’euro. Un simple signe de solidarité rapide de Berlin aurait, en effet, suffi à calmer des marchés inquiets, comme cela avait été le cas en février 2009, lorsqu’une déclaration de Peer Steinbrück, coordonnée avec la France, la BCE, la Commission et l’Eurogroupe, avait apaisé les tensions qui étaient apparues sur le marché des dettes publiques. Mais, face à une campagne antigrecque hystérique menée par le quotidien populaire Bild Zeitung et à des élections régionales qui s’annoncent difficiles, la chancelière tergiverse de peur qu’on l’accuse de brader le « bon argent allemand » au profit d’un pays de « voleurs », de « fainéants » et de « corrompus ». Alors que les semaines passent et que les marchés exigent d’Athènes des taux d’intérêt de plus en plus élevés, elle refuse de bouger en dépit des supplications de la France et de ses partenaires qui craignent un effet domino. Pis : elle laisse même entendre qu’elle est favorable à l’exclusion de la Grèce de l’euro. Jean-Claude Juncker, alors Premier ministre du Luxembourg, dénonce alors publiquement les « grandes réticences qu’il y a » désormais en Allemagne « lorsqu’il s’agit d’Europe », critiquant la chancelière qui « jette en priorité un regard de politique intérieure sur des questions européennes au lieu d’un regard européen sur les affaires de politique intérieure ».

Comme le confiera plus tard Jean-Claude Trichet, alors président de la Banque centrale européenne, il faudra que les mouvements sur les marchés deviennent totalement incontrôlables, ce qui mettait en péril l’existence même de l’euro, pour que Merkel, mise sous pression par Barack Obama, le président américain, accepte in extremis le 23 avril 2010 un plan d’aides bilatérales de 110 milliards d’euros avant, quinze jours plus tard, de donner son accord à la création d’un Fonds européen de stabilité financière de 440 milliards d’euros (mais conditionné à son véto et à la mise en place d’une politique d’austérité) qui sera transformé, en 2012, en un « Mécanisme » doté de 750 milliards d’euros… Le prix de ses hésitations.

«La ruine de l’Europe»

La crise grecque redémarre de plus belle à l’automne lorsque l’Allemagne convainc la France qu’il faut garantir les dettes bancaires, mais pas les dettes publiques. Pour les marchés, c’est le signe que l’endettement des pays suite à une crise bancaire ne pourra déboucher que sur une faillite. L’Irlande, le Portugal puis l’Espagne sont alors emportés par la crise et même la restructuration de la dette grecque en 2011 (115 milliards de pertes pour les investisseurs) ne suffit pas à ramener le calme. Il faudra le lancement de l’Union bancaire (et l’organisation des faillites ordonnées des banques) en juin 2012, une concession arrachée à Berlin, et l’intervention sans limites de la BCE au soutien des dettes publiques annoncée en juillet 2012, à la grande colère de l’Allemagne, pour sortir de la crise. Mais l’Allemagne tentera une nouvelle fois, en juillet 2015, d’éjecter la Grèce de l’euro, ce que la France parviendra à éviter, toujours par crainte d’un effet domino.

Tout au long de ces années de crise, ses partenaires, et notamment la France, ont donc dû arracher à Merkel chaque concession en faveur d’une plus grande solidarité. La chancelière ne veut rien qui mette en péril le « bon argent allemand » ou qui contraigne son action. Elle le signifiera en juin 2010 lorsqu’elle annonce, totalement à contretemps un plan de coupe budgétaire de 80 milliards d’euros, alors que la zone euro avait besoin de la locomotive allemande pour redémarrer. En juin 2012, Joschka Fischer, l’ancien ministre des affaires étrangères Vert, accuse Merkel d’avoir « transformé, en à peine trois ans, la crise financière de la zone euro en une crise existentielle européenne » : « l’Allemagne s’est détruite elle-même – et l’équilibre européen – deux fois au cours du XXe siècle, mais a su ensuite convaincre l’Occident qu’elle avait tiré les leçons de ses erreurs passées. Ce n’est que de cette manière – reflétée de la façon la plus vive par son adhésion au projet européen – que l’Allemagne a obtenu un consentement à sa réunification. Il serait à la fois tragique et ironique qu’une Allemagne unifiée provoque la ruine, par des moyens pacifiques et les meilleures intentions du monde, de l’ordre européen pour la troisième fois ».

Unilatéralisme

Cette incapacité de la chancelière à voir plus loin que son horizon de politique intérieure à court terme s’est manifestée dans tous les domaines de son action extérieure. Ainsi, en mars 2011, pour complaire à une opinion restée pacifiste - douze ans après que le ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer a décidé de participer à la campagne de bombardement de la Serbie -, elle s’abstient (avec la Chine et la Russie) lors du vote de la résolution 1973 de l’ONU autorisant le recours à la force pour stopper les troupes de Kadhafi… Ce qui lui vaudra les remerciements chaleureux du dictateur libyen ou de Hugo Chávez. S’apercevant de son erreur, elle change rapidement de position et affiche un soutien au moins politique à Paris. Elle ne viendra pas plus au secours de François Hollande lorsqu’il essaiera de convaincre les Américains d’intervenir en Syrie en 2012, après l’usage de gaz de combat par Bachar al-Assad. Car, s’il est incontestable que Berlin est de plus en plus présent depuis douze ans sur la scène diplomatique mondiale, Merkel n’hésitant plus à donner de la voix (par exemple face à Trump, qui la révulse), elle reste plus que réticente sur l’emploi de la force de peur de se couper de son opinion.

De même, après avoir fait voter en septembre 2010 la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires allemandes, elle décide de sortir du nucléaire en mars 2011, au lendemain de la catastrophe de Fukushima, prenant par surprise tous ses partenaires. Une opération qu’elle réédite à l’été 2015 en acceptant d’accueillir un million de réfugiés sur son sol, sans prévenir les autres capitales européennes, avant de négocier en solo un accord avec la Turquie pour qu’elle reprenne le contrôle de ses frontières… Merkel n’a été collective que sur deux dossiers : l’Ukraine, l’Allemagne n’ayant aucune envie de se retrouver seule face à Moscou, et l’Iran, faute de pouvoir jouer en solo.

Si l’on doit résumer le bilan européen de Merkel, c’est trop peu, trop tard, et jamais en concertation avec les Etats membres. La chancelière refuse d’aller contre son opinion publique. Le contraste avec son prédécesseur Helmut Kohl (chancelier de 1982 à 1998) est saisissant, lui qui n’a pas hésité àabandonner le tout-puissant Deutsche Mark : «Je me suis comporté en dictateur en imposant l’euro», a-t-il confié à la fin de sa vie. « J’aurais perdu n’importe quel référendum sur cette question ». Emmanuel Macron (lire ci-contre), qui veut relancer l’approfondissement de l’UE et surtout de la zone euro- y compris en construisant une Union dotée d’une armée -, va-t-il parvenir à faire bouger la «dame de plomb», pour qui l’Europe se résume surtout au chacun pour soi sous le toit commun de la rigueur budgétaire ?

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 22 septembre

Catégories: Union européenne

Avenir de l'UE: Juncker (et Merkel) en désaccord avec Macron

dim, 17/09/2017 - 18:21

REUTERS/Christian Hartmann

Emmanuel Macron se retrouve bien seul : Jean-Claude Juncker a opposé mercredi à Strasbourg, dans son discours annuel sur «l’état de l’Union», une fin de non-recevoir à la vision d’une Europe à plusieurs vitesses développée par le chef de l’Etat français, dont une zone euro davantage intégrée, tant sur le plan économique que sécuritaire, deviendrait le cœur nucléaire. Ce qui en soi ne serait pas très grave si le président de la Commission ne reflétait pas fidèlement les réticences de Berlin, où l’on répugne à se lancer dans un tel exercice, qui couperait l’Union en deux parties définitivement inconciliables. «Le fossé entre l’Ouest et l’Europe centrale risque de se creuser davantage. Il est préférable de jeter des ponts entre eux», a ainsi confirmé Jean-Claude Juncker à Libération.

«Poumons».

Pour lui, tous les pays de l’Union ont vocation, à plus ou moins brève échéance, à rejoindre l’euro, l’union bancaire, l’espace Schengen, la défense, la coopération policière, etc. Juncker, qui s’est même abstenu de mentionner les problèmes démocratiques posés par la Pologne et la Hongrie, propose ainsi «la création d’un instrument d’adhésion à l’euro» offrant assistance technique et financière aux pays n’utilisant pas encore la monnaie unique afin de les appâter. «L’Union doit respirer avec ses deux poumons, avec celui de l’est, avec celui de l’ouest, sinon notre continent s’essouffle», a-t-il martelé. Mais cette conviction que les Vingt-Sept partagent la même vision de l’avenir a une conséquence pratique immédiate : la création d’institutions et d’instruments ad hoc pour la zone euro ou la défense n’est pas nécessaire. Ce n’est pas un hasard si cette partie du discours, la plus importante, a été prononcée en allemand, le message étant à destination de Berlin. Ainsi, pas question de créer un parlement de la zone euro, le Parlement européen étant le lieu où doit s’exercer le contrôle des activités de la Commission et de l’Eurogroupe (l’assemblée des ministres des Finances). Il suffira que les députés non ressortissants de la zone euro soient privés de leur droit de vote pour les sujets qui ne concernent pas leur pays. Sur le déséquilibre démographique qui fait qu’un député luxembourgeois représente environ 70 000 citoyens contre 900 000 pour son collègue français, pas un mot. Pourtant la Cour constitutionnelle allemande a considéré que ce déséquilibre disqualifiait le parlement en tant qu’institution démocratique…

De même, le «budget de la zone euro» est ramené par Juncker à une «simple ligne» dans le budget communautaire : or les grandes masses financières sont adoptées pour cinq ans à l’unanimité des Vingt-Sept, ce qui donne un droit de veto à la Pologne ou la Hongrie… Et comme le réclame l’Allemagne, le Mécanisme européen de stabilité, doté de 700 milliards d’euros, serait transformé en Fonds monétaire européen capable de restructurer les dettes publiques, mais pas en embryon de Trésor européen. Seule vraie concession à Paris, Juncker se rallie à la création d’un ministre des Finances fusionnant les postes de commissaire européen aux Affaires monétaires et de président de l’Eurogroupe.

Trente-Deux.

On est donc très loin des ambitions affichées par Macron à Athènes le 7 septembre. «Nous avons besoin d’une zone euro plus intégrée, et donc d’un vrai budget de la zone euro, d’un ministre des Finances permanent qui dirige cet exécutif, une responsabilité démocratique au niveau de la zone euro, et à ce titre il faut le maximum d’ambition»,avait dit le président français. Pour Juncker, l’ambition doit se situer au niveau des Vingt-Sept, notamment en utilisant les dispositions du traité de Lisbonne, qui permettent de passer (sur décision unanime des Etats) au vote à la majorité qualifiée, notamment dans le domaine de la fiscalité. Mais les Vingt-Sept pourraient bientôt être les Trente-Deux. En effet, le président de la Commission plaide pour une poursuite de l’élargissement à l’ensemble des Balkans (Albanie, Serbie, Kosovo, Monténégro, Macédoine) alors même, comme l’a rappelé Macron en Grèce que «par l’ampleur qu’il a prise, l’élargissement qu’il a connu, la diversité qu’il a adoptée, le projet européen s’est soudain heurté voilà un peu plus de dix ans à un refus du peuple, des peuples». Il est curieux que la Commission propose d’en rajouter une louche. Seule consolation pour les pays qui, comme la France, réclament une pause : la candidature de la Turquie, qui «s’éloigne à pas de géant de l’Union»,est officiellement mise entre parenthèses.

Ce qui s’apparente à une incapacité à entendre l’épuisement des peuples face à une certaine façon de faire l’Europe se retrouve dans la volonté de Juncker de poser l’Union en champion toute catégorie du libre-échange. Après le Canada et le Japon, Juncker annonce de nouveaux accords d’ici la fin de l’année avec le Mexique et l’Amérique du Sud et le lancement de négociations avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Seule consolation : la Commission s’engage à publier tous ses projets de mandat de négociation. Enfin, si Juncker se rallie à l’idée de Macron de surveiller davantage les investissements stratégiques en Europe, il ne dit rien d’un «Buy european act», qui réserverait les marchés publics aux entreprises européennes, à l’image de ce qui existe partout ailleurs. Si Juncker confie à Libération ne pas croire «que le danger de l’extrême droite soit définitivement écarté en Europe», on ne peut pas dire qu’il fasse beaucoup d’efforts pour les priver de leurs principaux arguments.

N.B.: article paru dans Libération le 14 septembre

Catégories: Union européenne

Terrorisme: assez de lois, davantage de moyens

mer, 30/08/2017 - 12:14

REUTERS/Giselle Loots

L’Union européenne peut-elle faire davantage pour lutter contre le terrorisme, un phénomène qui ignore les frontières ? À chaque attentat, le premier réflexe des politiques est de promettre un renforcement de la législation antiterroriste, non seulement sur le plan intérieur, mais aussi européen. « Même si des ajustements sont toujours possibles, on a été au bout de ce qu’on pouvait faire tant d’un point de vue pénal qu’organisationnel, celui de la coopération entre les services », affirme Arnaud Danjean, député européen LR, spécialiste des questions de défense et ancien des services français.

Une meilleure coordination

Si l’Union n’a aucune compétence directe en matière de sécurité intérieure, d’antiterrorisme et de renseignements, des domaines qui relèvent des souverainetés nationales, elle n’est pas pour autant restée inactive dans ses quelques domaines de compétence et a été aussi loin qu’elle le pouvait afin d’améliorer la coopération entre États. Dès le lendemain des attentats de septembre 2001 aux États-Unis, elle a ainsi adopté toute une série de textes : mandat d’arrêt européen qui permet une remise rapide d’une personne recherchée même si c’est un national, harmonisation de l’incrimination de terrorisme, lutte contre le blanchiment, etc..

Depuis l’irruption du terrorisme islamique, les textes ont plu comme à Gravelotte : création du PNR (passenger name record, qui permet aux services d’avoir accès à toutes les données passagers détenues par les compagnies aériennes pour les vols intra et extra européens), contrôle systématique de tous les Européens entrant dans l’espace Schengen, création d’un corps de gardes-frontières européens, présence d’agents d’Europol et d’Eurojust dans les « hotspots » qui enregistrent les migrants arrivant sur les côtes européennes, extension de la définition du terrorisme afin qu’aucun comportement n’échappe à la justice, renforcement du contrôle et de la démilitarisation des armes à feu, durcissement de la lutte contre le blanchiment, extension des compétences et des moyens d’Europol, un organe qui organise la coopération entre les polices européennes, etc.. D’autres textes sont encore dans les circuits législatifs comme la création d’un ESTA européen (ETIAS), une déclaration d’entrée sur le territoire de l’Union, ou l’harmonisation, à défaut d’interconnexion, des multiples fichiers européens existants (Système d’information Schengen, Europol, Eurodac, etc.) afin de faciliter leur usage par les services de police et de renseignements. Bref, l’Europe n’a pas chômé.

Une agence européenne?

Certes, il n’est toujours pas question de créer un FBI, une CIA ou une NSA européenne, chaque pays étant particulièrement jaloux de sa souveraineté dans les domaines policiers et du renseignement. Mais il n’est pas certain que cela soit nécessaire pour lutter contre un phénomène essentiellement national : quelle serait la valeur ajoutée d’une superstructure européenne alors que la récolte du renseignement et son exploitation doivent se faire au plus près du terrain ? Surtout, peut-on faire confiance à tout le monde pour garder le secret nécessaire à l’exploitation des renseignements ? Une vraie question dont la réponse –désagréable pour certains pays – est connue.

L’échange de renseignements entre personnes de confiance est d’ailleurs systématique, même s’il reste artisanal. « Les services sont exaspérés par la tarte à la crème de la soi-disant absence d’échanges de renseignements », affirme Arnaud Danjean : depuis les attentats de Paris de janvier 2015, « elle fonctionne très bien, personne ne garde de renseignements qui mettrait en danger la sécurité d’un autre pays pour soi ». Très souvent, d’ailleurs, les hiatus en matière de transmission du renseignement sont internes et pas européens, comme on a pu le voir en Belgique, la localisation de Salah Abdeslam n’ayant pas été transmis au niveau fédéral par une police communale flamande. Mais « même la meilleure intégration du monde ne met pas à l’abri: ainsi, la Grande-Bretagne, après les attentats de 2005, a créé une vraie communauté du renseignement ce qui n’a pas empêché des attentats de se produire sur son sol ».

Une affaire d’une génération

De même, la question des quelques « returnees », ces personnes, pas toutes combattantes, revenant d’Irak ou de Syrie, qui n’a pas l’ampleur redoutée, la plupart des vrais combattants ayant été tués sur le terrain, est désormais traitée par tous les pays européens : « même si seulement quinze pays sur vingt-huit ont enregistré des départs, les pays de passage coopèrent plutôt pas mal », estime Arnaud Danjean. En réalité, désormais il s’agit essentiellement d’une question de moyens humains et matériels. « Quand vous avez entre 15 et 18000 signalements pour radicalisation, cela mobilise l’ensemble des services français pendant six mois pour vérifier ce qu’il en est vraiment », souligne le député européen. Autrement dit, c’est moins de lois dont la police, la justice et les services ont besoin que d’argent : « il faut prendre conscience que l’assèchement du vivier djihadiste, idéologiquement, matériellement, humainement, est l’affaire d’une génération ». De l’avis de tous les spécialistes, vu l’ampleur des défis, les polices et justices européennes ont jusqu’ici réussi, avec des moyens très limités, à limiter l’ampleur des attaques sur le territoire de l’Union.

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 19 août

Catégories: Union européenne

La méthode Macron à l'épreuve des travailleurs détachés: peut mieux faire.

mer, 30/08/2017 - 11:45

REUTERS/Stoyan Nenov

Mon article sur la tournée d’Emmanuel Macron à l’Est est ici. Bonne lecture!

Catégories: Union européenne

Emmanuel Macron veut bétonner le détachement des travailleurs

ven, 25/08/2017 - 17:12

REUTERS/Stephane Mahe

Sabre au clair, Emmanuel Macron a déboulé sur la scène européenne en juin en exigeant de rendre plus difficile le détachement de travailleurs dans l’Union. Le nouveau président de la République a ainsi voulu marquer d’emblée que l’Europe était aussi un espace qui « protège », comme il l’a promis durant sa campagne. Le problème est qu’il a pris tous ses partenaires de cours alors même qu’ils se préparaient à adopter, de façon tout à fait inespérée, une révision de la directive de 1996 organisant le travail détaché afin de mettre fin aux abus. Résultat : les pays d’Europe centrale et orientale, qui ont le plus à perdre dans cette réforme, se sont braqués. En exigeant plus, Macron a pris le risque d’obtenir moins, c’est-à-dire de faire échouer la révision proposée par la Commission Juncker et d’en rester au texte de 1996 largement obsolète. La tournée qu’il a entamée mercredi à Salzbourg, en rencontrant les Premiers ministres autrichien, tchèque et slovaque et qui s’est poursuivi en Roumanie puis en Bulgarie, vise à réparer les pots cassés et à essayer de bâtir une majorité.

Emmanuel Macron joue gros dans cette affaire, car le sujet est, en France, emblématique de l’absence d’Europe sociale. Le travailleur détaché est l’enfant illégitime du fameux « plombier polonais » et de la « concurrence libre et non faussée » qui, en 2005, ont convaincu une bonne partie de la gauche de voter non au traité constitutionnel européen. L’Union est accusée d’organiser la concurrence de tous contre tous au profit des entreprises et au détriment des travailleurs. Aujourd’hui, rares sont les politiques qui osent encore défendre le détachement des travailleurs. A raison ? Décryptage d’un sujet que Gilles Savary, ancien député socialiste, qualifie de « figure imposée par l’air du temps et subtilement anti-européen ».

1/ La directive organise-t-elle le dumping social ?

Le détachement des travailleurs est l’un des aspects de la libre prestation des services au sein de l’Union, l’une des quatre libertés fondamentales instituées par les traités (avec la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux). Il doit être distingué de l’établissement pour une longue durée d’un ressortissant européen pour y exercer sa profession : dans ce cas, il dépendra entièrement du droit du pays d’accueil, la seule question qui se pose étant celle de la reconnaissance des diplômes et des qualifications acquis à l’étranger. Dans le cas de la libre prestation de services, il s’agit de fournir un service transfrontalier, ce qui nécessite parfois (si le service n’est pas dématérialisé, ce qui est de plus en plus souvent le cas) l’envoie temporaire d’un professionnel pour accomplir une mission déterminée : par exemple, un informaticien employé par une entreprise espagnole qui installe un système informatique en Slovénie, un ingénieur nucléaire français qui construit une centrale nucléaire en Finlande, une entreprise de BTP portugaise qui bâtit un pont ou une maison en France.

La logique, pour ces missions qui ne dépassent pas en moyenne 4 mois (33 jours pour les détachements à partir de la France, de la Belgique ou du Luxembourg, 230 jours pour ceux d’Estonie, de Hongrie ou d’Irlande), est que le salarié reste rattaché au droit de son pays d’origine (salaire, sécurité sociale, retraite, droit du travail) puisqu’il n’y a pas établissement, sauf à soumettre à deux systèmes juridiques différents (et donc à un cumul de charges) le travailleur et l’entreprise, ce qui exclu dans tous les pays du monde. Le problème est que le principe du pays d’origine risque de déséquilibrer le marché du travail local au profit de pays à bas coût de main-d’œuvre. C’est pourquoi l’Union a adopté en décembre 1996, dix ans après l’élargissement à l’Espagne et au Portugal, une directive limitant la liberté de prestation de services en soumettant les prestataires de services à certains aspects de la législation locale, quelle que soit la durée de la mission : salaire minimal, durée du travail, congés payés, égalité homme-femme, santé, sécurité, hygiène. En clair, il s’agissait non pas d’organiser le dumping social, mais de le limiter. Magnifique contresens politique donc !

2/ Le détachement des travailleurs est-il adapté à l’Union à 28 ?

La directive de 1996 a été adoptée à une époque où l’Union ne comptait que quinze pays et où l’écart du salaire minimal allait de un à trois. Personne n’a pensé aux effets de l’élargissement de 2004-2007 : si une période transitoire de sept ans maximum a été prévue (en dépit de l’opposition britannique qui ne l’a pas appliqué et qui s’en mort les doigts depuis le Brexit…) pour la libre circulation des travailleurs, rien de tel n’a été organisé pour le détachement des travailleurs. Or, une adaptation aurait été nécessaire, le différentiel de salaire et de cotisations sociales entre l’est et l’ouest européen étant de 1 à 10… L’explosion du travail détaché de l’Est vers l’Ouest n’a donc été une surprise que par manque de réflexion. Ainsi, le nombre de travailleurs détachés est passé de 600 000 en 2007 à 1,9 million en 2014 (dont 431 000 membres d’équipe de vol ou de cabine), certains de ces travailleurs étant payés jusqu’à 50 % de moins que les locaux. En France, ils sont passés de 26 000 à 286 000 en 2015. Des chiffres en trompe l’oeil puisqu’ils ne représentent en fait que 0,9 % de l’emploi salarié (0,4 % en équivalent temps plein). Mais ils ont déstabilisé certains secteurs comme l’agriculture ou l’abattage.

Le problème posé par le détachement des travailleurs a été accru par l’accroissement massif des fraudes : sur le salaire minimal, l’entreprise détachante retenant sur la paie de ses salariés le logement et le transport, non déclaration du détachement (200 000 personnes estimées en France), sociétés boîtes aux lettres basées dans un pays à bas coût de main-d’œuvre, agences d’intérim ne fournissant pas d’autres services que du personnel soi-disant détaché (de 949 en 2004 à 33 060 en 2012 en France), etc.

3/ Faut-il interdire le détachement des travailleurs ?

Si la moitié des détachements provient des pays à bas salaire vers des pays à haut salaire (vers l’Allemagne, la France, la Belgique et l’Autriche, principalement), il ne faut pas oublier que les anciens pays membres envoient aussi leurs salariés à l’étranger : ainsi, juste derrière la Pologne, on trouve l’Allemagne et la France. Interdire le détachement impliquerait non seulement de sortir de l’Union (la libre prestation de services est un principe fondamental du traité de Rome), mais aussi de l’OMC, puisqu’il faudrait fermer les frontières aux services. L’effet sur l’activité serait terrible, puisque les services, qui représentent environ 80 % du PIB européen et de l’emploi, sont le principal moteur de croissance : « c’est l’une des pierres angulaires de nos économies », rappelle Élisabeth Morin-Chartier, eurodéputée LR. La question n’est donc pas d’actualité.

4/ Faut-il réformer la directive de 1996 ?

La Commission, par nature, est opposée à tout ce qui entrave les libertés prévues par le traité de Rome. Elle a donc longtemps estimé qu’il fallait au contraire faciliter la libre prestation de service : c’était notamment le but de la directive de 2006 dite Bolkestein qui ne concernait pas le droit du travail, mais la reconnaissance des qualifications des travailleurs voulant se rendre dans un autre pays et qui se heurtaient à un maquis administratif rendant leurs missions impossibles. Finalement, la Commission Barroso a fait un petit geste en proposant d’accroitre la lutte contre la fraude dans la directive « d’exécution » de 2014 qualifiée par l’Assemblée nationale de « cataplasme sur une jambe de bois »… Face au refus de la Grande-Bretagne et des pays de l’Est, aucune Agence européenne de contrôle du travail mobile n’a été mise en place, le texte européen se contentant de recommander une meilleure coopération administrative entre les Etats afin de débusquer les fraudes. Lassée, la France a décidé de durci unilatéralement la répression des fraudes par la loi Savary de juillet 2014, ce qui a eu pour effet de faire bondir le nombre de travailleurs détachés déclarés (+25 %).

La Commission présidée par Jean-Claude Juncker a changé son fusil d’épaule, consciente que le travail détaché, même quantitativement limité, est devenu un abcès de fixation sur lequel les démagogues font leur beurre : elle a donc proposé en mars 2016 une vraie réforme de la directive de 1996 afin de mieux l’encadrer. En particulier, en limitant la mission à l’étranger à 24 mois (période au terme de laquelle l’étranger est soumis à la sécurité sociale du pays d’accueil en vertu d’une directive de 2004 sur la coordination des régimes de sécurité sociale entrée en vigueur en 2010 et actuellement en cours de révision). En outre, le salarié ne devra plus seulement être payé au salaire minimal, mais bénéficier de la même « rémunération » que son équivalent local, ce qui inclut l’ancienneté ou les primes. Enfin, outre une meilleure coordination de la lutte contre la fraude, le détachement d’intérim tombe dans l’établissement pur et simple, c’est-à-dire à la soumission totale au droit du pays d’accueil, afin de lutter contre le prêt de main-d’œuvre illicite.

Cette proposition est loin de faire l’unanimité : dix pays d’Europe de l’Est plus le Danemark ont tenté de bloquer la proposition de directive en brandissant un « carton jaune » en estimant qu’elle violait le principe de subsidiarité, bref relevait de l’échelon local. L’exécutif européen l’a rejeté. En juin dernier, en dépit d’une forte réserve de la Pologne et de la Hongrie qui estime que l’exportation de leurs travailleurs est une juste contrepartie à l’omniprésence des entreprises européennes sur leur territoire, une majorité qualifiée d’États membres semblait enfin atteignable. De même, au Parlement européen, les deux rapporteures, la Française Élisabeth Morin-Chartier et la Néerlandaise Agnes Jongerius (socialiste), étaient quasiment sûres d’obtenir une majorité sur ce texte. C’est le moment qu’a choisi la France pour tout faire capoter et exiger que le détachement soit limité à 12 mois sur une période de 24 mois, ce qui risquerait au passage de nuire aux intérêts des détachés français, un renforcement de la lutte contre la fraude via les sociétés boite aux lettres ou encore l’inclusion dans le texte du cabotage routier consécutif à un transport international (et ce dès le premier jour et non le cinquième comme l’envisage la Commission qui prépare un texte séparé sur le sujet). Résultat : tous les travaux sont suspendus.

5/ Emmanuel Macron peut-il obtenir ce qu’il veut ?

Lors du conseil européen des chefs d’État et de gouvernement de juin dernier, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque ont dit, lors d’une rencontre informelle, son fait à Emmanuel Macron. « Je me demande où Emmanuel Macron va trouver une majorité à la fois au Conseil des ministres et au Parlement européen, alors que les pays de l’Est étaient déjà réticents à la limite des 24 mois », s’interroge Élisabeth Morin-Chartier. Pour l’instant, il peut compter sur le soutien de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique et du Luxembourg, ce qui est très peu. « Il peut négocier bilatéralement, mais s’il fait ça pour chaque texte, il ne va pas s’en sortir », estime Charles de Marcilly, chercheur à la Fondation Robert Schuman. C’est l’un des problèmes majeurs du président de la République dont le parti « En marche » n’appartient à aucune des grandes familles politiques européennes (conservateurs, socialistes, libéraux). « Il y a urgence à conclure : la présidence estonienne du Conseil des ministres est prête à conclure sur la proposition de la Commission. À partir de janvier, c’est au tour de la Bulgarie qui, elle, ne veut rien entendre », met en garde Élisabeth Morin-Chartier.

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 24 août.

Catégories: Union européenne

Brexit: tu veux ou tu veux pas ?

lun, 14/08/2017 - 19:24

REUTERS/Russell Cheyne

Et si, tels les bourgeois de Calais, en robe de bure et la corde au cou, les Britanniques quémandaient leur réadhésion à l’Union européenne une fois le Brexit consommé ? Si personne dans les capitales européennes ne doute que le Royaume-Uni sortira bien le 31 mars 2019 sur les coups de minuit, beaucoup estiment désormais qu’elle voudra, dès que les circonstances politiques le permettront, revenir au sein de la famille européenne, tant les conséquences économiques et diplomatiques de son départ s’annoncent désastreuses pour lui. L’incapacité du gouvernement de Theresa May d’articuler une position de négociation cohérente, la profonde division de la classe politique autour des conditions de la sortie, « soft » ou « hard », l’évolution d’une opinion publique fracturée entre jeunes « Remainers » et vieux « Brexiters », augmente, en effet, les probabilités de voir revenir plus rapidement qu’on ne le pense cet enfant terrible de la classe européenne. Mais pas à n’importe quelles conditions.

« Le Brexit aura lieu, les Britanniques sont trop engagés pour reculer », prévient un diplomate européen de haut rang, « en dépit des débats qui ont lieu actuellement outre-Manche ». « Politiquement, ceux qui proposeraient un abandon du Brexit se condamneraient à mort », surenchérit un responsable de la Commission, chargée de négocier la sortie du Royaume-Uni. « Les Brexiters ne peuvent pas se dédire, même si tout le monde a des doutes sur la pertinence du Brexit », analyse Olivier Costa, professeur de sciences politiques à Bordeaux et au Collège d’Europe de Bruges. « Il faudrait un bouleversement politique dans les 18 mois qui viennent pour changer les choses, comme de nouvelles élections législatives qu’on a du mal à imaginer aujourd’hui », acquiesce le diplomate déjà cité.

Fierté britannique à ne pas se déjuger

Ce qui suppose à tout le moins « un changement profond de l’opinion publique. Or même si on voit des évolutions, ce n’est pas suffisamment significatif pour qu’un gouvernement coure le risque d’une nouvelle consultation », souligne-t-on à la Commission. « Il ne faut d’ailleurs pas se tromper », met-on en garde à Bruxelles : « ce dont on discute au Royaume-Uni, ce n’est pas d’un demi-tour, mais du contenu de la période de transition qui suivra la sortie ». De fait, les élections législatives anticipées n’ont pas abouti à une victoire des opposants au Brexit : le parti travailliste a fait campagne pour un Brexit « soft », c’est-à-dire un maintien de liens étroits avec l’Union, les libéraux-démocrates, favorables au « remain », ont confirmé leur marginalisation et, surtout, les indépendantistes écossais du SNP, clairement opposé au Brexit, ont subi un fort recul. « Theresa May est certes affaiblie, mais c’est sa stratégie de « hard Brexit », c’est-à-dire d’une rupture totale avec l’Union, qui a été désavouée », souligne-t-on à la Commission. « En réalité, les électeurs britanniques ont confirmé le résultat du référendum du 23 juin 2016, mais ils ne veulent pas d’une sortie brutale ». « De toute façon, au-delà des arguments politiques et juridiques, il y a une fierté britannique à ne pas se déjuger même s’ils se rendent compte qu’ils ont fait une connerie », s’amuse un diplomate en poste à Bruxelles.

En supposant même que les Britanniques changent rapidement d’avis, il n’est pas sûr que cela soit juridiquement possible : l’activation par Londres de l’article 50 du traité sur l’Union, le 29 mars dernier, est sans doute irrévocable. « Même si le traité ne dit rien sur le sujet, la Cour suprême de Grande-Bretagne a jugé qu’il était impossible de revenir en arrière, à l’unisson de la Commission ou du Parlement européen », rappelle Olivier Costa : « mais si l’unanimité des États membres le décidait, ce serait sans doute possible ». Une unanimité à laquelle personne ne croit à Bruxelles : « si on revenait sur l’article 50, on poserait des conditions, car il n’est pas question de permettre à Londres de continuer à nous emmerder comme elle le fait depuis quarante ans », tranche brutalement un diplomate européen. « En clair, plus question qu’elle bénéficie d’une série de dérogations ou d’un rabais sur sa participation au budget, ce qui sera inacceptable pour le Royaume-Uni », poursuit-il. Bref, par quelque bout que l’on prenne le problème, personne n’a intérêt à ce que le Brexit n’ait pas lieu.

«Le paradis attend les martyrs du Brexit»

En revanche, une nouvelle adhésion après la sortie est possible comme le prévoit le paragraphe 5 de l’article 50. « Plus on s’éloigne de la date du référendum du 23 juin 2016, plus un retour devient une possibilité », analyse-t-on à la Commission. En particulier, l’évolution naturelle du corps électoral jouera en faveur des Européens, les citoyens de plus de 65 ans ayant à 64 % voté en faveur du Brexit alors que les moins de 25 % se sont prononcés à 71 % en faveur du « remain ». Comme l’a rappelé crument, lundi, Vincent Cable, le leader des libéraux-démocrates, « le paradis attend les martyrs du Brexit ». « C’est une affaire d’une autre génération politique, d’un autre corps électoral », admet-on à la Commission. « Comme le disait l’article 28 de la Constitution de 1793, « une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures » », souligne Olivier Costa. Les Brexiters, dont Nigel Farage, l’ex-leader de l’europhobe UKIP, avait d’ailleurs annoncé qu’ils réclameraient un second référendum si le résultat de celui du mois de juin 2016 était négatif. « D’ici dix à quinze ans, le paysage électoral britannique aura profondément changé et tout redeviendra possible », estime Olivier Costa. Les effets économiques du Brexit, qui s’annoncent douloureux, et diplomatiques, Londres risquant de toucher du doigt son isolement à l’heure des grands ensembles continentaux, joueront un grand rôle en faveur d’une nouvelle candidature.

Les Vingt-sept peu enthousiastes

Le problème, en réalité, risque de se poser du côté de l’Union, celle-ci n’ayant aucune intention de renouer avec le boulet britannique, d’autant que les europhobes feront toujours partie du paysage britannique. « Personne n’aura envie de faire le moindre cadeau à Londres après la palinodie du Brexit quoiqu’on pense à Londres. Il n’est pas du tout certain que les États les plus fédéralistes comme l’Allemagne, la France ou la Belgique acceptent une nouvelle candidature de la Grande-Bretagne. Or, il faut l’unanimité des Vingt-sept », analyse Olivier Costa. « Elle ne pourra pas demander un statut privilégié comme celui qu’elle avait obtenu : plus de dérogation aux politiques de l’Union, plus de rabais au budget de l’Union », tranche un eurocrate. « Si dans dix ou quinze ans, l’Union comprend deux cercles bien distincts, la zone euro, et un ensemble plus large autour du marché unique voire éventuellement un statut de membre associé, cela facilitera le retour de la Grande-Bretagne », estime un diplomate européen de haut rang. Si retour il y a, ce sera donc un retour par la petite porte et dans une pièce adjacente de la maison européenne. Brexit ou retour à la maison, la Grande-Bretagne restera affaiblie durablement.

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 9 août

Catégories: Union européenne

Accord commercial UE-Japon: un bras d'honneur à Donald Trump

sam, 08/07/2017 - 04:21

REUTERS/Yves Herman

C’est un formidable bras d’honneur que l’Union européenne et le Japon, qui représentent à eux deux un tiers de l’économie mondiale, ont adressé aux États-Unis de Donald Trump. En annonçant, jeudi, à la veille du G20 de Hambourg, la conclusion de leur « accord de partenariat économique », Bruxelles et Tokyo ont voulu montrer qu’ils refusaient de se laisser entrainer dans l’isolationnisme américain. « Nous envoyons ensemble un signal fort au monde en faveur d’un commerce ouvert et équitable », s’est réjoui hier, lors d’une conférence de presse organisée à l’issue du sommet UE-Japon, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission : « pour nous, il n’y a pas de protection dans le protectionnisme ». « Nous avons été capables de manifester une forte volonté politique afin que l’UE et le Japon hissent haut le drapeau du libre-échange », a surenchéri Shinzo Abe, le Premier ministre japonais.

« Encore une fois, merci Trump ! », s’amuse un diplomate européen : « le Japon, grande puissance exportatrice, a senti le vent du boulet avec son élection et a plus concédé en six mois qu’en 15 ans pour parvenir à cet accord ». De fait, dès le lendemain de l’élection du Républicain et de l’annonce de la sortie des États-Unis du TPP (accord de libre-échange transpacifique voulu par Barack Obama), le Japon, sixième partenaire commercial de l’Union et dont les entreprises emploient 500.000 personnes sur le vieux continent, a fait savoir aux Européens, leur troisième partenaire commercial, qu’il voulait conclure au plus vite l’accord commercial de nouvelle génération (car il touche aussi à l’harmonisation de certaines normes, par exemple dans le domaine automobile) qui végétait depuis 2013. Il craignait que Washington n’entraine le monde dans un cycle protectionniste qui aurait particulièrement fait souffrir l’archipel et que Pékin, avec qui les relations sont toujours houleuses, ne prennent le leadership du commerce mondial et donc fixe les normes du capitalisme du XXIe siècle. Lors du sommet du G7, à Taormina, en Sicile, en mai dernier, au cours duquel les Etats-Unis ont confirmé leur désintérêt pour le libre échange, les deux parties ont convenu de conclure avant le sommet du G20.

L’Union en a profité pour obtenir davantage qu’elles n’en rêvaient, notamment dans le domaine agro-alimentaire, le Japon étant déjà le quatrième plus gros importateur de produits européens (porc, vin, cidre, vinaigre, fromage et spiritueux). L’Irlandais Phil Hogan, le commissaire à l’agriculture, ne cachait d’ailleurs pas sa joie. Ainsi, la plupart des droits de douane vont diminuer ou disparaître sur tous les produits (à l’exception du riz), soit dès l’entrée en vigueur de l’accord (alcool), soit après une période de 10 à 15 ans (porc, bœuf, fromage, produits transformés, etc.). Pour donner une idée des concessions japonaises, il faut savoir que les fromages sont frappés d’une taxe de 29,8%, le bœuf de 38,5 %, le vin de 15 %, etc. De même, l’Union a obtenu la reconnaissance de plus de 200 AOC (appellation d’origine contrôlée) européenne, ce qui signifie qu’à terme la Nouvelle-Zélande, par exemple, ne pourra plus exporter au Japon sa « féta » locale…

Mieux, « pour la première fois, nous avons obtenu l’ouverture des marchés publics au niveau local ou encore celle du marché ferroviaire », se réjouit un diplomate français. La principale concession de l’Union est la suppression de la taxe de 10 % (au bout de 7 ans) qui frappe encore les automobiles japonaises importées et l’ouverture immédiate du marché des pièces détachées. Une mauvaise nouvelle ? On rappelle à Bruxelles que l’accord de libre-échange conclu en 2011 avec la Corée du Sud a permis, contrairement à toutes les craintes, la transformation d’un déficit commercial chronique en excédent commercial : ainsi, les ventes de voitures européennes ont été multipliées par cinq.

A Bruxelles, on estime que les reproches adressés par les ONG ou la gauche radicale à l’accord avec Tokyo ne tiennent pas la route : « l’accuser de menacer l’environnement, alors que le Japon est l’un des pays les plus sensibles à cette question, est juste délirant », dénonce ainsi un diplomate européen. De même, la Commission estime qu’on ne peut pas lui reprocher d’avoir négocié en secret : ce sont la France, la Bulgarie, la Slovénie et la Slovaquie qui ont refusé la demande, soutenue par l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande ou encore le Benelux, de la Suédoise Cecilia Malmström, la commissaire au commerce, de rendre public le mandat de négociation

Mais l’accord annoncé hier ne sera pas finalisé avant la fin de l’année. Tokyo et Bruxelles ne se sont notamment toujours pas entendus sur la question du règlement des différents entre États et investisseurs. Le premier souhaite un tribunal arbitral privé (et siégeant en secret) tel qu’il existe dans les milliers d’accords déjà conclus à travers le monde, alors que la seconde veut un tribunal permanent à double degré de juridiction siégeant en public sur le modèle de celui qui a été introduit dans le CETA, l’accord commercial avec le Canada.

La stratégie d’encerclement des Etats-Unis ne va pas s’arrêter au Japon: après Singapour, la Corée du Sud ou encore le Canada, d’autres accords sont en négociation avec le Mercosur, le Mexique (modernisation de l’accord de 2001), l’Indonésie ou la Birmanie. De même, un accord limité à la protection des investissements est en cours de discussion avec la Chine. Suivront ensuite l’Australie et la Nouvelle-Zélande... La vague isolationniste annoncée par l’élection de Trump pourrait bien se terminer en vaguelette.

Catégories: Union européenne

Interruption momentanée des programmes

jeu, 06/07/2017 - 19:46

Ce blog prend ses quartiers d’été. Je pars au Canada donner des cours à l’Université de Montréal (CERIUM) avec Daniel Cohn-Bendit pendant une semaine. Puis vacances. Retour en août. Profitez-en pour lire mon livre qui connait un vrai succès, et pas seulement d’estime, «Les salauds de l’Europe, guide à l’usage des euro sceptiques» (Calmann-Lévy, 17,50€) ;-)

J’ai d’autres projets sur le feu, notamment un manuel juridique consacré aux institutions communautaires. Vous en saurez plus à l’automne.

Catégories: Union européenne

3 % de déficit : la France fait les yeux doux à Bruxelles

jeu, 06/07/2017 - 19:26

REUTERS/Philippe Wojazer

Le discours d’Edouard Philippe a résonné agréablement aux oreilles de ses partenaires européens : respect du plafond de 3 % du PIB de déficit public, coupes dans les dépenses publiques, réforme du marché du travail, allègements fiscaux, transition écologique, effort sur le numérique, etc., autant de réformes structurelles réclamées à la France depuis des années par toutes les instances de l’Union. « La confirmation claire du « sous la barre des 3 % » est de nature à rassurer la Commission et les partenaires de la France », se réjouit-on à Bruxelles.

Il faut dire qu’il y a urgence : après l’audit de la Cour des comptes française, il apparaît que l’héritage de François Hollande est particulièrement lourd. Loin des 2,8 % de déficit promis pour fin 2017, il apparaît que celui-ci s’élèvera, si rien n’est fait, à 3,2 %. Pour respecter la limite de 3 %, comme Paris le promet depuis plus de 10 ans, il faut donc trouver immédiatement 4 milliards d’euros. Sinon, la France sera le dernier pays de la zone euro à être sous le coup d’une procédure de déficit excessif en 2018. Par comparaison, le déficit public moyen est passé de 1,5 % du PIB en 2016 à 1,4 % en 2017 et passera à 1,3 % en 2018... « La France est dans les cordes et aucune esquive ne nous sauvera », a reconnu le Premier ministre.

Il sait qu’après dix ans de promesses non tenues, la patience de ses partenaires qui, eux, ont tous fait des efforts est à bout : il a déjà fallu une intense bataille au sein de la Commission, il y a deux ans, pour que Paris échappe à de lourdes sanctions financières... Si le plafond de 3 % n’est pas respecté en 2017 comme promit, on voit mal Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, parvenir une nouvelle fois à contenir l’ardeur de ses faucons.

D’où les gages donnés par Edouard Philippe. Appliquant la recette préconisée par la Commission, il va tailler dans la dépense publique qui est la plus élevée des pays de l’OCDE : elle sera diminuée de trois points de PIB d’ici à 2022. Le Premier ministre veut agir sur trois leviers : stopper l’inflation de la masse salariale du secteur public, « qui représente le quart de nos dépenses publiques », remettre en cause certaines missions et repenser les politiques dont les résultats ne sont pas satisfaisants. Et pas question de répéter l’erreur de François Hollande en augmentant les impôts, la solution de facilité. Les prélèvements obligatoires baisseront même de 20 milliards d’euros d’ici 2022. Pour le Premier ministre, « la France ne peut demeurer à la fois la championne de la dépense publique et des impôts ». À Bruxelles, on en soupire d’aise.

N.B.: article paru dans Libération du 5 juillet

Catégories: Union européenne

Helmut Kohl, une vie qui a changé l'Europe

dim, 02/07/2017 - 21:03

Au pouvoir entre le 1er octobre 1982 et le 27 octobre 1998, le démocrate-chrétien Helmut Kohl, auquel l’Union a rendu hommage samedi à Strasbourg, n’a pas été seulement été le « chancelier de l’unification ». Il a aussi, voire surtout, l’homme de la relance européenne. C’est notamment lui qui a imposé à son pays de renoncer à son tout puissant Deutsche mark au profit de l’euro. On ne mesure pas à quel point il a fallu qu’il viole littéralement son opinion publique farouchement attachée à ce symbole de la reconstruction allemande d’après-guerre, comme il l’a lui-même reconnu à la fin de sa vie : « je me suis comporté en dictateur en imposant l’euro. J’aurais perdu n’importe quel référendum sur cette question ». Mais rien n’aurait été possible sans la complicité et l’amitié qu’il a nouée très rapidement avec François Mitterrand, président de la République française entre 1981 et 1995. Cette période a été l’apogée de sa gloire. Mais l’élection de Jacques Chirac, en mai 1995, a marqué un tournant : une lente descente aux enfers a commencé, le nouveau chef de l’Etat français n’ayant aucun attachement particulier à l’Europe et surtout à l’Allemagne. J’ai retenu quelques moments clefs dans le parcours européen de Kohl.

· Mars 1983 : la naissance du « triangle magique »

La mise en œuvre du « programme commun » pousse la France au bord du précipice : le déficit se creuse, la dette s’envole, l’inflation explose, les capitaux fuient, le franc chute face au mark (-30 % en 18 mois), menaçant le Système monétaire européen (SME). À Paris, deux scénarios sont sur la table: l’un porté par Jean-Pierre Chevènement, la fermeture des frontières et l’isolationnisme, l’autre par Jacques Delors, l’Europe et le changement de politique économique. En mars 1983, la CEE de l’époque est « à deux doigts de l’effondrement », comme le racontera plus tard Hans Tietmayer, alors secrétaire d’État aux finances. L’Allemagne est au comble de l’angoisse. À son grand soulagement, Delors, alors ministre des Finances, emporte la décision : le franc, certes à nouveau dévalué, reste dans le SME et la France prend le tournant de la rigueur. Un tournant qui « serait resté stérile s’il n’avait pas débouché sur une grande politique européenne », selon Hubert Védrine. Mars 1983 marque la naissance du « triangle magique » Mitterrand-Kohl-Delors.

· Juin 1984 : la relance

« Vous êtes mon candidat » glisse Helmut Kohl à l’oreille d’un Jacques Delors surpris, lors de son arrivée au sommet de Fontainebleau, en juin 1984. François Mitterrand, qui vient de réussir l’exploit de régler la question de la contribution britannique au budget communautaire qui empoisonne la CEE depuis 1979, veut, lui, pousser la candidature de Claude Cheysson, son ministre des affaires étrangères, à la tête de la Commission européenne, le mandat du terne Luxembourgeois Gaston Thorn arrivant à échéance en décembre. Mais Kohl ne l’entend pas de cette oreille, non pas parce que le poste devrait normalement revenir à un Allemand, mais parce qu’il veut Delors, le plus proche équivalent français d’un démocrate-chrétien allemand, avec qui il a noué des relations de confiance lors de la crise du franc de 1983. Margareth Thatcher, la dame de fer britannique, va lui faciliter la tâche en posant son véto à Cheysson jugé trop socialiste. Mitterrand accepte alors à contrecœur la proposition de Kohl. Thatcher laisse faire. Elle s’en mordra les doigts. Quelques semaines plus tard, en juillet, l’Allemagne et la France signent dans la foulée l’accord de Sarrebruck visant à supprimer les contrôles fixes aux frontières entre les deux pays. Dès l’année suivante, le Benelux se joindra à eux en signant l’accord de Schengen qui débouchera, en 1995, sur l’espace Schengen de libre circulation. La locomotive franco-allemande est définitivement lancée.

· Novembre 1984 : une photo pour l’histoire

Pour la première fois, un chancelier allemand vient se recueillir à Verdun en hommage aux victimes de cette immense boucherie. Après que Kohl et Mitterrand aient écouté les hymnes nationaux devant un cercueil recouvert des drapeaux allemand et français, le chef de l’État tend la main au chancelier qui la saisit. Ils sont là, côte à côte, se tenant par la main. Jamais on n’a vu une image plus forte du couple franco-allemand et surtout de l’amitié entre deux hommes que l’amour de l’Europe réunit.

· Juin 1988 : la monnaie unique est lancée

Un mois après sa réélection, François Mitterrand retrouve à Evian, le 2 juin, son ami Helmut Kohl. Avant le déjeuner, sur la terrasse de l’hôtel Royal qui domine le lac Léman, les deux hommes discutent du projet de directive supprimant les dernières entraves à la libre circulation des capitaux. Le chef de l’État est prêt à l’accepter à condition que Kohl soutienne le projet de la Commission d’harmoniser la taxation de l’épargne et, surtout, que l’Allemagne s’engage à réaliser la monnaie unique. En réalité, depuis le mois d’avril, la CDU s’est ralliée à cette idée : « vous le savez sans doute, j’envisage de demander à Jacques Delors de faire un rapport sur l’Union économique et monétaire », annonce le chancelier. C’est à ce moment-là que ce qui allait devenir l’euro est porté sur les fonds baptismaux. Les 27 et 28 juin, lors du sommet de Hanovre, les Douze décident de créer un comité présidé par le président de la Commission et composé des gouverneurs des banques centrales ainsi que d’experts. « On ne rendra jamais assez crédit à Kohl d’avoir accepté cela, lui, l’Allemand bénéficiant d’une zone mark et dont la population est en majorité réticente à tout changement », racontera plus tard Delors.

Le rapport Delors, approuvé par les chefs d’État et de gouvernement en juin 1989, servira de base à la négociation de ce qui allait devenir le traité de Maastricht. Mais Kohl renâcle à l’idée de fixer dès à présent une date pour convoquer une conférence intergouvernementale (CIG) afin de modifier le traité de Rome. Il sait qu’il va devoir affronter de difficiles élections législatives en septembre 1990 et il préfère renvoyer toute décision sur la monnaie unique après cette date. Finalement, à la grande frustration de Mitterrand, aucune date n’est fixée. Mais il ne désespère pas d’y parvenir en décembre 1989, lors du sommet de Strasbourg.

Le chancelier continue à tergiverser durant l’été et l’automne. Il explique aux Français qu’il ne veut pas seulement une union monétaire, mais aussi une union politique dont Paris ne veut pas : demander à Bonn de céder le mark est une chose, partager sa puissance politique et diplomatique en est une autre... On en est là lorsque, le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. Le 28 novembre, Kohl, sans prévenir Paris, annonce son « plan en dix points » prévoyant à terme l’unification de l’Allemagne. Mitterrand craint alors que son ami ne laisse tomber la construction communautaire au profit de son pays, le fameux « sonderweg » (chemin solitaire) allemand. Ses tergiversations sur la date de la CIG alimentent les soupçons sur ses intentions. Kohl comprend qu’il doit faire un geste : le 8 décembre, à Strasbourg, il accepte finalement qu’une CIG soit convoquée fin 1990 à condition que « l’élargissement des compétences du Parlement européen » soit au menu. Contrairement à ce que certains affirment depuis, « à aucun moment Kohl n’a hésité sur la monnaie unique. Jamais », affirme Élisabeth Guigou, alors conseillère pour les affaires européennes de Mitterrand. Comme le disait souvent le chancelier, « pour faire l’Europe, je dois d’abord gagner les élections ».

· Décembre 1991 : un petit-déjeuner scelle le sort de la monnaie unique

Le 9 décembre, à Maastricht, François Mitterrand, de plus en plus malade, et Helmut Kohl prennent leur petit-déjeuner ensemble, comme ils le font lors de tous les conseils européens. Une habitude qui ne leur survivra pas. Le président français veut obtenir qu’une date irréversible soit fixée pour l’entrée en vigueur de la monnaie unique, alors que les ministres des Finances des Douze veulent attendre qu’une majorité de pays respectent les critères de convergence (déficit, dette, taux d’intérêt, inflation, taux de change), ce qui ouvre la porte à un report indéfini… Kohl n’y est pas opposé, loin de là, mais il doit compter avec les résistances de la toute puissante Bundesbank et du ministère des Finances qui ne veulent pas que l’Allemagne soit contrainte d’entrer dans l’union monétaire contre son gré. Le chancelier ne peut rien proposer seul, mais « il peut accepter de se laisser convaincre », comme le racontera plus tard Theo Waigel, le grand argentier allemand. C’est ce qu’il fait. Dès l’ouverture du sommet, Kohl prend la parole et propose qu’au 1er janvier 1999 les pays qui sont prêts passent à la monnaie unique.

Elle prendra le nom d’euro lors du sommet de Madrid de décembre 1995. En effet, Kohl fait valoir que « ce mot d’écu est trop proche de die Kuh, la vache. Et puis il s’agit quand même d’une monnaie qui a perdu 40 % de sa valeur par rapport au mark » depuis les crises monétaires des années 92-93. Jacques Chirac, qui a succédé à François Mitterrand en mai 1995, n’apprécie guère, mais cède.

· Septembre 1992 : l’Allemagne sauve le franc

Le 22 septembre, deux jours après le référendum français qui a vu la victoire du oui au traité de Maastricht, mais de justesse, Kohl est à Paris pour une rencontre avec François Mitterrand prévue de longue date. Depuis le « non » danois de juin 1992, les marchés estiment que la monnaie unique a peu de chance de voir le jour et le « presque non » français achève de les convaincre que la volonté politique va manquer.

Ils se déchaînent depuis l’été contre les monnaies européennes : la livre sterling et la lire sont éjectées du Système monétaire européen (SME) à la mi-septembre et la peseta est dévaluée de 5 %. C’est maintenant au tour du franc qui atteint très vite son cours plancher. Les réserves de la Banque de France sont épuisées : en une semaine, elles sont passées de 22 milliards de dollars à – 15 milliards... Les Français espèrent donc un geste des Allemands que Kohl est prêt à leur accorder. En accord avec Mitterrand, il veut que la Bundesbank signe un communiqué franco-allemand affirmant que le cours pivot entre franc et mark correspond aux réalités et ne doit donc pas être modifié. Mais la Buba ne veut rien entendre. Kohl, violant le sacro-saint principe de l’indépendance de sa banque centrale, appelle Helmut Schlesinger, le patron de la Bundesbank, qui est à Washington pour un G7 finance. Celui-ci, après des heures de discussion, finit par accepter. Dès le lendemain, la Buba vole au secours du franc qui est sauvé.

Mais un an plus tard, les marchés repartiront à l’attaque. C’est une nouvelle fois Kohl qui approuvera la parade concoctée par la Bundesbank : un élargissement des marges de fluctuation au sein du SME de +/- 6% autour du cours pivot contre 2,25 % jusque-là. Le 1er août 1993, sur proposition de la France, on passera à +/- 15% ce qui empêchera définitivement les spéculateurs d’agir. Pour les marchés, cet élargissement marque la fin de la monnaie unique : ils sont persuadés que les États vont profiter de cette marge de manœuvre, ce qui va interdire toute convergence économique. Ce sera l’exact contraire qui se passera… En particulier, la France ne déviera pas, même après l’élection de Jacques Chirac en mai 1995, du cap du franc fort.

· Juin 1995 : la descente aux enfers du couple franco-allemand

Le 13 juin, Jacques Chirac appelle Kohl pour lui apprendre qu’il a décidé de rompre le moratoire sur les essais nucléaires. Il en fera l’annonce quelques heures plus tard à 20 heures sur les chaines de télévision française. Le chancelier est atterré : il n’a pas le temps de préparer son opinion publique, quasi unanimement opposée aux armes nucléaires, ce qui risque de compliquer les relations franco-allemandes. Le chef de l’État français ne veut rien entendre : la France a besoin d’une nouvelle campagne de tir avant de passer à la simulation… Kohl comprend que Chirac n’est décidément pas Mitterrand et que la relation franco-allemande est entrée dans une période de glaciation. Il l’avait déjà subodoré lorsque celui-ci, à peine élu, a décidé de suspendre pour trois mois la convention de Schengen qui venait à peine d’entrer en vigueur pour maintenir des contrôles aux frontières terrestres, contrôle qui seront longtemps en vigueur à la frontière belge afin de stopper les trafics de drogue provenant du « narco-État » néerlandais, comme Chirac le qualifiera…

· Décembre 1996 : Dublin ou Marrakech ?

« Nous ne sommes pas à Marrakech, on ne négocie pas un tapis. Je ne peux pas entrer dans ce genre de conversation », lance un Helmut Kohl énervé à Jacques Chirac. En ce mois de décembre, les Quinze négocient les derniers détails du Pacte de stabilité. Reste à trancher la question des « circonstances exceptionnelles », c’est-à-dire du niveau de la récession qui empêchera les sanctions de s’appliquer automatiquement en cas de déficit public supérieur à 3 % du PIB. En dessous d’une récession de 2 %, il est déjà acté qu’il n’y aura pas de sanctions si le déficit public est supérieur à 3 %. La France veut que les ministres des finances les décident à la majorité qualifiée si elle est comprise entre -2% et -0,5%. « J’ai fait un geste en acceptant que la limite basse soit fixée à – 2 %. Tu dois faire un geste. La limite haute doit être fixée à -0,5 % ». Kohl ne veut pas aller au-delà de -1 %. Chirac lui propose de « faire un geste : - 0,6 % ». C’est là que le chancelier s’emporte. Finalement, Jacques Santer, le président de la Commission propose – 0,75 %, le moyen terme entre 1 et 0,5 %...

· Décembre 1997 : l’élargissement, l’autre grand œuvre

C’est lors du sommet de Luxembourg que les négociations d’élargissement avec l’Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovénie, ainsi que Chypre sont lancées. C’est Kohl qui a insisté pour que Varsovie soit dans le premier train alors que c’est le pays le plus éloigné des critères d’adhésion qui ont été fixés à Copenhague, en 1993. Il ne peut pas imaginer politiquement que son voisin, qui a tant eu à souffrir de l’Allemagne, reste dans la salle d’attente… Il ne cachera pas ses larmes d’émotion devant cette réunification européenne qui commençait. En 2000, les négociations seront élargies à six pays supplémentaires.

· Mai 1998 : Chirac précipite la fin de Kohl

« Ce fut une dure lutte et l’une de mes heures les plus difficiles… Il m’est arrivé plusieurs fois aujourd’hui de dire à mes collègues : mais pourquoi suis-je fou au point de continuer à faire tout cela ? » Helmut Kohl, aux petites heures de ce dimanche matin 3 mai ne cache pas sa lassitude devant les journalistes. Il évoque « les nombreuses discussions. Parmi celles-là, il y en a eu dont on aurait pu se passer. Des considérations de prestige sont venues se mêler au débat ». De fait, au terme d’une interminable négociation avec son homologue français, qui n’est décidément pas son ami, il a dû accepter que le Néerlandais Wim Duisenberg, désigné par ce que le chef de l’État désigne d’un méprisant « l’amicale des gouverneurs », n’effectue pas l’entièreté de son mandat de huit ans à la tête de la toute nouvelle Banque centrale européenne « pour des raisons personnelles ». À une date indéterminée, il se retirera (sans doute à mi-mandat) et sera remplacé par le gouverneur de la Banque de France, Jean-Claude Trichet. Dans la pièce attenante, sans égard pour la détresse Kohl, Chirac ne cache pas sa joie : « cela me rend gai » qu’un Français soit désigné pour défendre les « intérêts français »… Pour les Allemands, cette négociation est une catastrophe, car elle donne l’impression que la BCE n’est pas indépendante puisque son président a accepté de céder aux pressions du pouvoir politique en s’engageant à se retirer avant terme.

C’est un clou dans le cercueil de Kohl, alors que ce sommet européen aurait simplement dû célébrer l’entrée en vigueur de l’euro le 1er janvier 1999 et marquer ainsi l’achèvement de l’œuvre de sa vie. Il tente bien de se justifier : « quel que soit ce dont nous discutons maintenant, avec la journée d’aujourd’hui, l’euro devient la monnaie de l’Europe. J’aurais voulu que cela soit décidé avec plus d’allégresse et pas avec le genre de procédure trop souvent employée en Europe ». Mais l’opinion allemande, déjà lassée, ne lui pardonnera pas d’avoir ainsi cédé aux Français. En septembre suivant, il perd les élections législatives.

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Simone Veil, un symbole européen

dim, 02/07/2017 - 19:12

Mon article consacré à Simone Weil, l’européenne, est ici. Bonne lecture.

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Google: une guerre américano-européenne qui ne dit pas son nom

jeu, 29/06/2017 - 13:07

2,42 milliards d’euros : c’est le montant de l’amende que la Commission européenne, la gardienne de la « concurrence libre et non faussée » a infligé aujourd’hui, après sept ans de réflexion, à Google pour « abus de position dominante » (1). L’entreprise a trois mois pour mettre fin à ses pratiques anticoncurrentielles sous peine d’une astreinte journalière de 5% de son chiffre d’affaires quotidien. S’il s’agit d’un record européen pour ce type d’affaires, le record précédent remontant à 2009 lorsque Intel avait dû payer 1,06 milliard d’euros, ce n’est malgré tout qu’un coup d’épingle dans le flanc du géant américain de l’internet dont le chiffre d’affaires a atteint en 2016 plus de 80 milliards d’euros (et 18 milliards de bénéfices).

Pourtant, la Commission peut imposer des sanctions représentant 10 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise. Ce qui dans le cas de Google, représenterait 8 milliards d’euros. Or, beaucoup de choses dans ce dossier semblaient plaider pour qu’une sanction plus lourde soit infligée à ce géant américain du numérique qui, comme Amazon, Appel, Microsoft ou Facebook, abuse par gigaoctets de sa position dominante (dans l’Union, il détient 90 % des parts de marché des moteurs de recherche) au détriment de ses concurrents européens, mais aussi américains. D’ailleurs, sept compagnies américaines, dont Oracle, Yelp et News Corp, ont adressé lundi à la Commission une lettre dans laquelle ils lui expriment leur soutien.

Une amende record, mais limitée

Celle-ci estime que Google a favorisé son comparateur de prix «Google Shopping» au détriment des autres moteurs. C’est à la suite d’une plainte collective déposée en 2010 (notamment par l’Américain TripAdvisor ou le Français Twenga), que les services de la concurrence ont déclenché une enquête. Mais le prédécesseur de l’actuelle commissaire à la concurrence, la libérale danoise Margrethe Vestager, l’Espagnol Joachim Almunia, pourtant socialiste, a fait trainer les choses en tentant de parvenir à un accord amiable avec Google. En vain. D’où la décision d’aujourd’hui, la Commission estimant que la firme américaine « a empêché les consommateurs européens de bénéficier d’un réel choix de services et de tirer pleinement profit de l’innovation ». Pour justifier le montant de l’amende, Vestager a fait valoir qu’elle « a été calculée sur la base de la valeur des recettes que Google réalise grâce à son service de comparaison de prix dans 13 pays européens » où « Google Shopping » est déployé.

Reste que pour Nicolas Petit, professeur de droit européen à l’Université de Liège et spécialiste du droit de la concurrence, « Google Shopping est un service assez périphérique, voire accessoire ». Autrement dit, l’amende pouvait difficilement dépasser ce montant d’autant que « les dommages et intérêts punitifs n’existent pas dans l’antitrust européen. Aux États-Unis, Google n’aurait sans doute pas payé d’amende, car il aurait fallu passer devant le juge où le standard de preuve d’une infraction est nettement plus élevé que devant la Commission ».

Mais on se demande pourquoi la Commission s’est focalisée sur Google shopping : pour Nicolas Petit, au cours des sept ans d’enquête, « la procédure a subi une forme d’entropie, la Commission rétrécissant la focale pour finir sur le secteur relativement désuet et rudimentaire des comparateurs de prix ». Alors que « Google a certes utilisé sa domination sur les recherches en levier pour étendre sa position dans la comparaison de prix, mais il a fait de même sur un paquet de services plus rémunérateurs, dont YouTube ou Gmail. Pourquoi avoir choisi une épingle et taper dessus au marteau piqueur ? », se demande Nicolas Petit. « En réalité, la Commission a voulu créer un précédent quand elle se prononcera sur d’autres services de Google comme les images ou les informations financières ».

Les Etats-Unis en guerre contre l’Union

Cependant, il ne faut pas se cacher que l’Union, dès qu’il s’agit d’entreprises américaines, marche sur des œufs, vu la violence des réactions de Washington qui sait protéger ses entreprises. Barack Obama avait ainsi donné de la voix pour soutenir Apple en août 2016, lorsque la Commission l’a condamné à reverser 13 milliards d’euros d’impôts éludés à l’Irlande. Le septuagénaire fantasque qui lui a succédé, Donald Trump, qui a fait du nationalisme économique sa marque de gouvernement, se montrera sans doute encore moins diplomate. Pourtant, même si depuis que Jean-Claude Juncker est président de la Commission, celle-ci se montre un peu moins timorée à frapper les sociétés américaines au portefeuille, on est encore loin, très loin, des sanctions infligées aux Européens par les États-Unis. Certes, les autorités américaines n’utilisent pas seulement le droit anti-trust, mais toute une palette législative qui va de l’anticorruption à l’anti-blanchiment en passant par les embargos internationaux qu’elle a décidé unilatéralement ou encore le droit de l’environnement ou le droit bancaire...

Ainsi, BNP-Paribas a été condamnée à deux reprises à payer près de 10 milliards de dollars, notamment pour ne pas avoir respecté très indirectement l’embargo américain contre l’Iran (le Crédit Agricole, HSBC, Commerzbank, etc. ont aussi dû s’acquitter d’amendes), Deutsche Bank, à 7,2 milliards pour son rôle dans la crise des subprimes, Volkswagen, 22 milliards pour avoir installé un logiciel truquant les chiffres réels de pollution de ses moteurs, Alstom, 800 millions de dollars pour des faits de corruption, etc., etc.. Le montant de ces pénalités a fait très mal aux entreprises visées et a curieusement explosé depuis 2008 et la crise financière, comme si l’Etat américain tentait de se refaire une santé budgétaire sur le dos des Européens. Dans un rapport d’octobre 2016 cosigné par les députés Karine Berger (PS) et Pierre Lellouche (LR), l’Assemblée nationale s’est alarmée de cette véritable guerre économique que les États-Unis semblent avoir déclenché contre l’Union.

Racket made in US

Sur les 17 entreprises condamnées au titre du « Foreign Corrupt Practices Acts », dix sont européennes, six américaines et une japonaise. De même, sur 15 sociétés condamnées pour violation des lois sur l’embargo ou le blanchiment, 14 sont européennes et une seule américaine. Surtout, aucune n’est chinoise… Si certaines de ces sanctions sont légitimes (comme dans le cas de VW), on peut se demander pourquoi des entreprises sont sanctionnées simplement pour avoir utilisé le dollar dans des transactions avec des pays certes sous embargo américain, mais pas européen ou pourquoi des entreprises non américaines sont sanctionnées pour des faits de corruption « au bénéfice d’officiels non-américains pour obtenir des contrats sur un sol non-américain », comme le notent les deux députés qui appellent à une réaction européenne. La Commission commence certes a élevé le ton, mais elle est encore loin du véritable racket pratiqué par les Américains. Or si les entreprises européennes ne peuvent se priver du marché américain, l’inverse est tout aussi vrai.

(1) Ce montant est versé au budget communautaire et vient en déduction des contributions des États membres. L’amende peut être contestée devant la Cour de justice de l’Union, mais le recours n’est pas suspensif.

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Emmanuel Macron scénarise le "retour" de la France en Europe

sam, 24/06/2017 - 18:50

Pour son premier sommet européen depuis sa victoire, Emmanuel Macron a voulu marquer une rupture claire et nette avec ses deux prédécesseurs, François Hollande et Nicolas Sarkozy, en balançant une belle vacherie où chacun se reconnaitra aisément : « Il faut sortir du dilemme entre la culture de la palabre inefficace et celle du coup de menton solitaire », a-t-il lâché lors d’une conférence de presse, jeudi après-midi… Et il a tout fait, à défaut d’engranger des résultats substantiels (il est encore trop tôt), pour scénariser le « retour » de la France en Europe, affichant sans complexe son ambition de mettre ses pas dans ceux de François Mitterrand et de Helmut Kohl, le chancelier allemand mort le 16 juin et auquel il sera rendu un solennel hommage samedi 1er juillet à Strasbourg. Opération de communication et de séduction parfaitement réussie : « Macron, c’est la remontada à la française » apprécie en connaisseur un responsable communautaire amateur de football.

L’élément clef de ce « storytelling » est l’affichage, presqu’entêtant, du « renouveau » du couple franco-allemand, qui a déjà gagné le surnom, parmi les journalistes, de M&M’s, plus amusant – et égalitaire- que « Merkhollande » ou « Merkozy ». « Harmonie franco-allemande » et « entente parfaite » par ci, « feuille de route commune » et « volonté de travail en commun » par là, ont rythmé la communication française durant ces deux jours. Emmanuel Macron a même donné une conférence de presse commune avec Angela Merkel, à l’issue du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, qui s’est achevé vendredi après-midi.

Des journalistes au pain sec

Un exercice exceptionnel, à défaut d’être nouveau, mais frustrant pour les journalistes, le nombre de questions étant limité par le format (3 questions par pays…). Macron a d’ailleurs tenu à montrer à la presse que, s’il était urbain, à la différence de l’agressif Sarkozy, et concis, à la différence de l’interminable Hollande, qu’il serait jupitérien, bien plus que l’ensemble de ses prédécesseurs, y compris de Gaulle : pas de off, pas de poignées de main, pas de signe de connivence avec untel ou unetelle, pas de discussion impromptue à l’issue de la conférence de presse. Une fois la parole présidentielle délivrée, le président retourne sur son Olympe.

Un régime sec qui est aussi dicté par un souci d’efficacité : « Il sait ce qu’il veut et il le dit clairement ce qui nous change de François Hollande dont on se demandait toujours ce qu’il avait voulu dire », analyse un diplomate d’un pays d’Europe de l’Est : « La rondeur, c’est sympa, mais pas très efficace. En plus Macron parle bien anglais, ce qui facilite le dialogue avec les dirigeants qui ne parlent pas français : au lieu de se parler 15’, on se parle 30’ ». Le Président de la République, qui a déjà rencontré plusieurs dirigeants européens, au premier chef Angela Merkel, mais aussi le Néerlandais Mark Rutte ou le Bulgare Boris Borisov, et communautaires, a profité du Sommet de Bruxelles, qui s’est terminé vendredi après-midi, pour achever son tour d’Europe, notamment en discutant en bilatéral formelle avec les dirigeants du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Slovaquie, Tchéquie) puis avec le président roumain.

«Stéréotypes et clichés»

Une séquence qui illustre la méthode Macron : s’appuyer sur le couple franco-allemand, car « il n’y a pas de solution européenne pertinente s’il n’y a pas de solution franco-allemande pertinente », comme il l’a expliqué, mais « assumer ses désaccords ». Il l’a fait à l’ouverture du Conseil, dans un entretien accordé à huit journaux européens, dont Le Figaro, en accusant certains pays de l’Est de considérer l’Europe « comme un supermarché », prenant ce qui les intéresse tout en refusant la solidarité. Il visait non seulement leur refus d’accueillir des réfugiés, mais aussi leurs réticences à tenir compte des problèmes suscités en Europe de l’ouest par les travailleurs détachés : « vous pensez que je peux expliquer aux classes moyennes françaises que des entreprises ferment en France pour aller en Pologne, car c’est moins cher, et que chez nous les entreprises du BTP embauchent des Polonais, car ils ne sont payés moins cher ? »

Second temps : il a rencontré, vendredi matin, le groupe de Visegrad pour s’expliquer yeux dans les yeux. La première ministre polonaise, Beate Szydlo, du parti de droit radicale Droit et justice, très remontée, a accusé le président français de véhiculer des « stéréotypes et des clichés ». Mais la démarche a été appréciée, en dépit des divergences, Macron étant qualifié de « partenaire très constructif » par ses homologues. Les deux parties ont convenu d’accroitre leur dialogue pour parvenir à un accord sur la réforme de la directive sur les travailleurs détachés, un symbole important pour le chef de l’Etat qui veut montrer que l’Europe protège.

La France doit faire ce qu’elle dit

Reste que Emmanuel Macron a pu mesurer l’ampleur de la tache qui l’attend pour changer le logiciel européen : si plusieurs gouvernements très libéraux, qui ont senti passer le vent du boulet des partis démagogiques, comme celui des Pays-Bas, ou même l’Allemagne, sont prêt à évoluer sur le libre échange intégral qui a fait de l’Union l’idiot utile de la mondialisation, ce n’est pas le cas d’une majorité de pays, voire de la Commission, que ce soit sur le contrôle des investissements chinois dans les secteurs stratégiques ou sur l’adoption d’un « buy european act » réservant les marchés publics aux entreprises européennes. Même chose sur la réforme de la zone euro même si Angela Merkel a donné des signes d’ouverture. Au fond, Macron sait parfaitement qu’il devra, pour redonner toute sa place à la France dans le concert européen, d’abord relancer son économie. « La voix de la France est importante, elle peut changer beaucoup de choses. Mais cela suppose qu’elle soit exemplaire, qu’elle dise clairement ce qu’elle veut et qu’elle fasse ce qu’elle dit », a-t-il reconnu.

N.B: l’article de Sonia Stolper, sur la proposition britannique sur les droits des citoyens européens en Grande-Bretagne est ici.

N.B.: La transcription des propos d’Emmanuel Macron est ici.

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Parlement européen: quelques faits sur les assistants des députés

jeu, 22/06/2017 - 15:21

REUTERS/Yves Herman

« Comment voulez-vous que le Parlement européen contrôle la réalité du travail des centaines et des centaines d’assistants locaux travaillant pour 751 députés dans 28 pays différents et soumis à 28 droits nationaux », s’interroge un haut fonctionnaire européen ? Si l’europarlement a fait un sérieux ménage dans ses pratiques depuis 2009 et est même devenu l’un des plus contrôlés du monde démocratique, on reconnaît au sein de l’institution qu’il reste quelques failles pouvant être exploitées par des partis politiques en mal de financement.

Il y a un avant et un après juillet 2009, date de l’entrée en vigueur du statut du député européen. Avant, ce dernier était rémunéré comme son collègue national et restait soumis à l’impôt national. Résultat : des différences de rémunérations abyssales entre, par exemple, un Hongrois qui gagnait quelques centaines d’euros et un Italien qui en touchait plus de 9000. Le Parlement avait donc pris l’habitude, pour lisser ces différences, de laisser les députés piocher dans l’enveloppe (qu’ils touchaient directement) destinée à payer leurs assistants et frais généraux. En outre, les partis politiques avaient aussi pris l’habitude de taper dans ces indemnités pour améliorer l’ordinaire : « j’ai vu un président du Parlement, un socialiste espagnol, se plaindre que le PSOE lui piquait la quasi-totalité de ses indemnités d’assistants », se rappelle en rigolant un eurodéputé. « Les élus n’avaient pas le choix. S’ils refusaient, ils étaient éjectés des listes… »

La bataille pour la moralisation, menée notamment par l’ancien député vert Gérard Onesta (1999-2009), a donc consisté à harmoniser les rémunérations. Tous les députés, quelle que soit leur nationalité, sont désormais payés par le budget européen (environ 8500 euros bruts, 6600 après cotisations sociales et impôt communautaire, une somme qui peut à nouveau être taxée dans l’État d’origine pour ceux qui l’ont décidé). A partir de là, le Parlement a pu instituer un contrôle sur les assistants parlementaires (environ 5000) à la fois en interdisant les emplois familiaux (y compris les concubins notoires) et en versant lui-même le salaire dans le cadre de l’enveloppe allouée à chaque député (24.000 euros charges comprises).

Deux types d’assistants ont été distingués : les accrédités auprès du Parlement (3 maximum par député) qui sont domiciliés à Bruxelles et qui font souvent le gros du boulot de l’élu. Même s’ils sont embauchés (et licenciés) par le député, ils sont considérés comme des agents communautaires soumis au droit communautaire et payent les cotisations et l’impôt européen. D’autre part, les assistants locaux (au maximum 75 % de l’enveloppe peut leur être consacrée) qui aident le député dans sa circonscription : « ils prennent des rendez-vous, rencontrent des citoyens, organisent des évènements, louent des salles, rédigent les newsletter, gèrent les réseaux sociaux, maintiennent le lien avec le parti, etc. », raconte un élu. Ces assistants sont soumis au droit national et payent les cotisations et les impôts nationaux. Les salaires (qui peuvent atteindre au maximum 8200 euros par mois pour un temps plein) ne sont pas versés directement par le Parlement, mais à un « tiers de confiance » (expert-comptable, société de gestion, etc.) désigné par le député qui se charge ensuite de payer l’assistant. Tous les assistants ont le droit d’exercer des fonctions dans un parti politique (ils sont souvent militants) ou d’être élu localement à partir du moment où le Parlement est averti et s’ils ont un contrat à temps partiel.

Il est relativement aisé de vérifier si les assistants accrédités sont bien à Bruxelles et si leur emploi du temps est compatible avec leur statut d’élu local ou de responsable du parti : 17 députés du Front national ont été pris la main dans le sac de cette façon, une partie de leurs assistants travaillant en réalité pour le seul parti à Paris. En revanche, il est beaucoup plus difficile de faire de même avec les locaux qui ont des missions de terrain très diverses et très politiques. D’autant que le règlement du Parlement reste très vague sur la question. « Mais il faut quand même qu’ils soient en circonscription et pas en permanence au siège du parti et qu’ils soient bien au service de leur député, même si le contrat est à temps partiel », explique un responsable du Parlement. Si l’assistant local ne travaille en réalité que pour le parti, c’est un « emploi fictif » et le député devra rembourser les sommes indument versées.

Comment éviter de telles dérives ? « Supprimer les assistants locaux n’est pas une solution, car ils sont utiles », affirme Gérard Onesta qui en avait deux durant son mandat. Pour Jean Arthuis (UDI - En Marche), il faut simplement accroitre la transparence, par exemple en publiant la durée des contrats, le nombre d’heures à effectuer, les missions… Surtout, l’affaire des assistants du FN et du Modem n’est que la partie apparente de l’iceberg, beaucoup de partis ayant les mêmes pratiques à plus ou moins grande échelle. « Cela pose la question du financement de la vie politique », estime Onesta, « les assistants européens n’étant qu’une variable d’ajustement ».

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 20 juin

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Emmanuel Macron va-t-il relancer l'Europe?

jeu, 22/06/2017 - 12:14

REUTERS/Philippe Wojazer

L’Europe attendait le retour de son messie depuis le départ de François Mitterrand, en 1995. L’a-t-elle enfin trouvé avec l’élection surprise d’Emmanuel Macron ? À la veille du sommet européen qui s’ouvre aujourd’hui à Bruxelles, The Economist, le très sérieux hebdomadaire britannique, a carrément posé la question en « une » : « le sauveur de l’Europe ? » titre-t-il avec, comme illustration, un Macron souriant marchant sur l’eau alors que Theresa May se noie derrière lui (seuls ses escarpins émergent encore). The Economist reflète parfaitement la « macromania » qui s’est emparée des capitales européennes, chacun saluant « le retour de la France en Europe ». « La conjonction qui se met en place est similaire à celle de l’âge d’or Mitterrand-Kohl-Delors » s’enthousiasme ainsi un haut responsable de la Commission. « Jacques Chirac, Nicolas Sakozy et François Hollande avaient une attitude très souverainiste, une réserve à l’égard de l’Union. Macron, lui, a un vrai point de vue sur l’Europe et son avenir », s’enthousiasme Mercedes Bresso, députée européenne italienne du groupe socialiste, à l’unisson de ses collègues. « Il a montré qu’on pouvait gagner avec l’étendard européen en main », renchérit Enrico Letta, ancien premier ministre italien (parti démocrate).

C’est donc peu dire que Emmanuel Macron est non seulement la star incontestée du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, son premier depuis sa prise de fonction, mais aussi son unique sujet. Ses moindres faits et gestes vont être scrutés pour déterminer si, dans la lignée de son prédécesseur, il va brasser du vent pendant les cinq prochaines années ou s’il est vraiment déterminé à approfondir une Union qui se remet doucement de douze ans de crises continues, du non franco-néerlandais de 2005 au traité constitutionnel européen à l’afflux de réfugiés et de migrants en passant par les séismes qui ont secoué la zone euro.

Emmanuel Macron bénéficie d’un alignement planétaire étonnant : les voyants économiques repassent les uns après les autres au vert, la vague démagogique a été stoppée net en Autriche, aux Pays-Bas, en France ou encore en Italie, le sentiment europhile est de nouveau largement majoritaire en Europe. Surtout l’Union est las de la domination allemande : « ce n’est pas Berlin qui a voulu de cette situation », tempère Enrico Letta. « C’est le résultat d’une décennie où les questions économiques, la force allemande, ont été centrales. Elle doit aussi beaucoup au retrait français des affaires européennes. Il est temps de contrebalancer l’influence de l’Allemagne, car les peuples deviennent dangereusement méfiants à l’égard de ce pays, comme le montre le sondage de Chatham House publié mardi, et cela seul Macron peut le faire », ajoute l’ancien président du conseil italien. « Il a été bien élu et dispose d’une majorité solide au Parlement, une situation unique en Europe, ce qui lui donne un poids politique majeur dans le jeu européen », souligne-t-on dans l’entourage du président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Même si la piteuse sortie de piste des ministres europhiles du Modem assombrit quelque peu le tableau.

Macron est particulièrement attendu sur le plan des réformes intérieures, ses prédécesseurs ayant fait beaucoup de promesses, mais peu tenu. « Nous sommes convaincus qu’il va tenir ses engagements », croit-on à la Commission. Celle-ci se montre déterminée à l’aider autant que faire se peut. En particulier sur le plan budgétaire : on sait à Bruxelles que les réformes sont, dans un premier temps, budgétairement coûteuses et il n’est pas question de taper sur les doigts de la France si l’objectif des 3% de déficit public n’est pas atteint une nouvelle fois cette année. De même, Paris partageant l’objectif de la Commission de créer une défense européenne, notamment en créant un fonds destiné à financer la recherche militaire, certains envisagent de neutraliser une partie des dépenses militaires dans le calcul du déficit, la France étant le seul pays à avoir une armée digne de ce nom qui se bat à l’étranger pour défendre les intérêts européens…

Berlin, qui jusque-là n’hésitait pas à manier le fouet, semble même prête à se montrer plus coulante si les réformes sont engagées. Angela Merkel, la chancelière allemande, semble aussi avoir pris conscience qu’elle ne pouvait pas tout exiger de ses partenaires sans elle-même donner des signaux positifs. Ainsi, mardi, elle s’est dite ouverte à une réforme de la zone euro comme le souhaite Macron, même si elle continue à être réservée à une « mutualisation à mauvais escient » des dettes : « La cohésion économique des États membres de la zone euro laisse à désirer. On peut naturellement réfléchir à un ministre des Finances commun si les conditions sont réunies ».

Mais Berlin, Paris et Bruxelles ne peuvent à eux seuls réformer l’Europe. C’est pourquoi Macron va profiter de ces deux jours de sommet pour multiplier les rencontres bilatérales avec ses homologues afin de bâtir des consensus, notamment avec les très eurosceptiques pays d’Europe centrale. Ainsi, sa volonté de durcir un peu plus le projet de réforme de la directive sur les travailleurs détachés s’est déjà heurtée à leur veto la semaine dernière. Une clarification s’avère donc nécessaire, ces pays ayant tendance à « prendre et à refuser de donner », comme on le résume à Bruxelles : « il faut qu’ils comprennent que la solidarité est à double sens », affirme un diplomate européen.

Mais c’est aussi vrai pour Paris. « Elle sera le seul pays européen à disposer d’un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU », donne comme exemple Enrico Letta. « Il faudra donc trouver le moyen de le partager si on veut que la défense européenne voit le jour. De même, la question des réfugiés a laissé des traces profondes en Allemagne quand la France ne l’a pas soutenue. Cela doit changer et vite. C’est aussi sur ces dossiers que Macron est attendu ». Le chef de l’État va devoir multiplier les miracles…

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