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SelmayrGate : la stratégie du bunker

ven, 06/04/2018 - 16:48

La Commission Juncker s’enferme dans ses mensonges, ses arguties juridiques, ses dénis de réalité. L’exécutif européen est désormais un bunker assiégé par les forces du mal forcément anti-européenne, les gardiens autoproclamés des morceaux de la vraie croix communautaire ne pouvant évidemment avoir tort. Dans n’importe quelle démocratie fonctionnelle, Martin Selmayr, dont la promotion express est fortement contestée à la fois par le Parlement européen, les médias et en interne, aurait déjà été débarqué de son poste de secrétaire général de la Commission afin d’éteindre l’incendie. Mais, à Bruxelles, c’est l’inverse qui se passe : Selmayr s’accroche à son poste avec le soutien du président de la Commission, Jean-Claude Juncker, qui menace de partir si son protégé part, inversant ainsi l’échelle des causalités politiques.

Une tragédie

Le collège des commissaires, qui pourrait calmer le jeu, apparaît pour ce qu’il est, une fiction politique, un aréopage de personnalités sans consistance. Bref, la technocratie semble avoir pris le pouvoir au sein de la Commission et les contre-pouvoirs semblent inexistants. C’est une tragédie à laquelle on assiste, car les dégâts politiques engendrés par le SelmayrGate sont d’ores et déjà immenses. Seul un sursaut du Parlement européen pourrait limiter les dégâts en obligeant Selmayr, voire Juncker, à payer la facture de cette faute politique : car c’est la première fois dans l’histoire européenne que la nomination d’un haut fonctionnaire entraine une telle levée de boucliers.

Car la Commission, non seulement a violéle statut des fonctionnaires européens, une bible votée par les États et le Parlement européen, dans sa lettre et son esprit, mais elle a menti et ment encore sur les faits eux-mêmes comme le montrent ses réponses, contenues dans un document de 84 pages rendu public mercredi, aux 61 questions supplémentaires posées par le Parlement européen après la désastreuse audition du 27 mars de Gunther Oettinger, le commissaire chargé de la fonction publique européenne, par la COCOBU (la commission du contrôle budgétaire), qui faisaient elles-mêmes suite à une première salve de 134 questions posées avant ladite audition (le document de réponses fait 81 pages). S’il faut 165 pages pour tenter de justifier une « non-affaire » comme l’a longtemps affirmé la Commission, c’est manifestement qu’il y a un problème.

Une procédure bidonnée

Rappelons les faits qui sont d’une simplicité biblique : le chef de cabinet du président de la Commission, l’Allemand Martin Selmayr, 47 ans, a été nommé successivement, le 21 février, secrétaire général adjoint (SGA) puis secrétaire général (SG), la tour de contrôle de l’administration européenne, après que le titulaire du titre ait annoncé sa décision de prendre sa retraite (à 61 ans). Le tout en quelques minutes. Le mardi 20 février, Selmayr n’était encore que « conseiller principal », sa fonction dans l’administration, c’est-à-dire qu’il n’était ni directeur, ni directeur général adjoint, ni directeur général. Rappelons aussi que Selmayr n’a jamais dirigé un service puisqu’il n’a exercé, depuis sa réussite au concours de fonctionnaire en 2004, que des fonctions politiques ne lui donnant une autorité directe que sur une poignée de personnes : porte-parole de la commissaire luxembourgeoise Viviane Reding de 2004 à 2009, chef de cabinet de la même Reding de 2009 à 2014, chef de l’équipe de transition de Juncker du 1erjuillet au 31 octobre 2014, chef de cabinet à compter du 1ernovembre 2014.

Désormais, l’on sait que la procédure qui a permis à Martin Selmayr de devenir SGA était non seulement bidonnée (une seule candidature, la sienne, l’autre, sa cheffe adjointe de cabinet Clara Martinez –nom non confirmé par la Commission-, ayant déclaré forfait après la clôture de l’appel d’offres), mais clairement détournée de son objet puisque Selmayr savait qu’il ne s’agissait que d’une étape pour être nommé SG. Dans la réponse à la question n° 29, la Commission reconnaît qu’il savait dès le second semestre 2017 qu’il succéderait à Alexander Italianer le 1ermars 2018, une information qui n’a été communiquée ni à l’administration ni aux commissaires. Seuls deux d’entres eux en ont été avertis la veille : Gunther Oettinger (Allemagne, CDU), par fonction, et le vice-président Frans Timmermans (Pays-Bas, socialiste). Là, on est dans le détournement de procédure pur et simple.

Des mensonges à tous les étages

Surtout, la Commission n’arrive pas à justifier l’absence de publication de la vacance du poste de SG au moment où il s’est libéré, le 21 février, afin de permettre à d’autres candidats de se manifester et aux commissaires de faire un choix parmi plusieurs candidats, une exigence générale posée par l’article 4 du statut de la fonction publique européenne afin de garantir la transparence et l’équité, c’est-à-dire l’absence de népotisme et de prévarication. Pour s’en sortir, la Commission affirme qu’un « transfert » au sein d’un même groupe de fonctions et grades est permis par l’article 7, ce qui rend possible, selon eux, la nomination du SGA Selmayr qui disposait déjà à titre personnel du grade AD15 (le minimum pour être SG) au poste de SG. Le problème est que par construction, l’article 7 exclut toute promotion puisque le fonctionnaire est simplement « transféré ». Or, là, il y a bien eu promotion de Selmayr, de SGA à SG.

Mais en imaginant même que l’interprétation de l’article 7 par la Commission tienne la route, comment justifier l’absence d’appel à candidatures pour le poste de SG ? Même s’il y a « transfert », c’est vers un poste vacant, c’est-à-dire publié, pour que tous les fonctionnaires puissent concourir (le poste peut même être ouvert vers l’extérieur). Selmayr et ses affidés du service juridique ont été déterrer une jurisprudence de la Cour de justice européenne affirmant qu’en cas de « réaffectation d’un fonctionnaire avec son poste » dans « l’intérêt du service », la publication n’est pas nécessaire (réponse 1). Malin, mais ça ne tient pas la route. D’une part, parce que pour la Cour, ces cas sont limités à des cas de relations conflictuelles (harcèlement moral par exemple), de carences ou de nécessité de réorganisation de service : il faut à chaque fois que la situation soit « grave », « sérieuse » et « urgente » pour déplacer un poste sans publication. Ce n’est absolument pas le cas dans le cas de la nomination de Selmayr : aucune nécessité de service n’obligeait à exfiltrer avec son poste le SGA Selmayr vers le poste de SG (d’autant que ce n’est pas le même poste !).

Des mensonges sur les faits

D’autre part, ce transfert signifie que l’on part avec son poste, c’est-à-dire que le poste que l’on emporte avec soi disparaît purement et simplement du service où l’on se trouvait. Or la Commission ment purement et simplement sur les faits. Et c’est d’une gravité extrême. Le poste de SGA sur lequel a postulé Selmayr le 31 janvier porte la référence DSG2 (deputy SG) et comme numéro de nomenclature : 143892 (com 2018/292). Il était occupé jusque là par la Grecque Parasquevi Michou nommée en janvier, mais seulement à compter du 1ermars 2018, directrice générale aux affaires intérieures, une date qui correspond d’ailleurs à celle de la prise de fonction de Selmayr. Ce poste aurait donc dû « disparaître » s’il y avait eu réaffectation : il aurait alors fallu que le secrétariat général demande à la direction des ressources humaines la création d’un nouveau poste de SGA s’il voulait le conserver. Or, tel n’est pas le cas : le poste n° 143892 de DSG2 occupé une minute le 21 février par Selmayr a été republié dès le jeudi 22 février (com 2018/551). Il est d’ailleurs occupé temporairement (la Danoise Pia Ahrenkilde-Hansen, l’ancienne porte-parole de Barroso, fait fonction et sera nommée, parions-le à l’issue d’une compétition serrée…).

Donc Selmayr n’a pas été « transféré », ce qui aurait éventuellement pu ouvrir la discussion sur des circonstances exceptionnelles, mais a été promu du poste de SGA à celui de SG comme le prouve l’appel à candidatures sur le poste qu’il a abandonné. Mieux, il est officiellement indiqué dans le système interne de la Commission qu’il est passé du poste de chef de cabinet du président (poste 210198) à celui de SG (poste 16000), sans indication de son bref passage au poste de SGA… Donc, le poste de SG aurait du être publié en vertu l’article 4.

Ce degré de pinaillages sur une interprétation tordue du statut de la fonction publique européenne est proprement hallucinant, alors que l’évidence de bon sens indique que Selmayr a été promu en violation de toutes les règles.

Une carrière qui suscite des questions

Ce n’est d’ailleurs pas le seul mensonge. Ainsi,la Commission a affirmé dans l’un de ses réponses du 24 mars (n° 40) que Selmayr avait été promu conseiller principal à la BERD à Londres le 1erjuin 2014 ,alors qu’il n’a été nommé à cette fonction que le 11 juin 2014 lors d’une réunion du collège de la Commission Barroso. Le procès-verbal de cette réunion indique d’ailleurs que sa promotion ne prendra effet que le 1erjuillet 2014. Pourquoi une telle « erreur » (rectifiée dans le second paquet de réponses) ? Tout simplement pour faire croire qu’il a exercé au moins temporairement une fonction dans les services alors que c’est faux : le 1erjuillet 2014, il a été détaché auprès de Juncker comme chef de l’équipe de transition… Donc, il n’a exercé aucune de ses deux fonctions administratives (conseiller principal et SGA) avant d’être parachuté au poste de SG, ce qui est là aussi une violation du statut qui exige une expérience de plusieurs années.

Toute la carrière de Selmayr est d’ailleurs étrange : entré au grade AD 6, grade de base, en 2004, il est promu au grade AD7 en 2007, puis tous les deux ans, il grimpe d’un grade. Étonnant, car deux ans, c’est le minimum requis et je n’ai aucun exemple, avant lui, d’un tel exploit. En 2013, il est donc AD10. En 2014, on va lui offrir un ascenseur express : un concours externe est ouvert pour un poste « juridique » de conseiller principal à la BERD, ce qui est curieux pour une telle fonction. 91 candidats et qui le réussit ? Selmayr qui se retrouve ainsi AD14. Comment ne pas penser qu’il s’agit d’un concours externe taillé sur mesure pour lui afin de le faire grimper de quatre grades d’un coup (avec le plantureux salaire qui va avec) ? Étrange, surtout lorsqu’on assiste au mouvement de personnel de l’époque, Viviane Reding semblant rendre service à son collègue Olli Rehn, commissaire chargé des questions économiques et monétaires, qui a propulsé son protégé Selmayr au poste de conseiller principal, en nommant son chef de cabinet, Timo Pesonen, directeur général adjoint à la communication, la matière faisant partie de son portefeuille… Selmayr veillera à le promouvoir directeur général en juillet 2015.

Autant dire que la carrière de Selmayr est autant météorique qu’étrange. Les placards n’ont manifestement pas fini de révéler de nouveaux cadavres.

Catégories: Union européenne

SelmayrGate: les eurodéputés étrillent la Commission

sam, 31/03/2018 - 10:45

Mon article sur la réunion de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen est ici.

Les députés ont envoyé, jeudi soir, une nouvelle liste de 61 questions à la Commission tellement l’audition de Gunther Oettinger a été catastrophique. Des questions qui ressemblent à un véritables acte d’accusation. La fonction publique européenne n’a manifestement rien à envier à l’administration grecque....

Catégories: Union européenne

La commission et les médias, l'éternel retour

mer, 28/03/2018 - 20:02

Le 30 janvier 1999, un mois et demi avant la démission de la Commission Santer à la suite, notamment, de mes révélations sur les emplois fictifs d’Edith Cresson, la commissaire française à la recherche, je publiais un article sur une note interne du service du Porte-parole de la Commission relative à la salle de presse, c’est-à-dire aux médias accrédités. L’exécutif européen y montrait son désarroi face à certains journalistes qui faisaient leur travail. Depuis que j’ai commencé mon travail d’investigation sur ce qui est devenu le SelmayrGate, j’ai l’impression d’être revenu 20 ans en arrière: la Commission et son service du porte-parole (SPP) n’ont manifestement strictement rien appris de leurs erreurs passées comme le montrent leur arrogance, leurs mensonges répétés et leur campagne visant à décrédibilisr ceux qui osent la critiquer. Comme l’a très justement dit la DeutschlandFunk, le France Inter allemand, hier soir, «le SPP de la Commission a agi comme le bureau de presse du Kremlin après la catastrophe de Tchernobyl : dissimuler, tromper, nier, nier, diffamer - tout l’arsenal de la désinformation sous le mensonge». Bref, c’est Back to the future... A (re)lire sans modération, notamment par le SPP actuel.

L’acte manqué est formidable. Jeudi, à la suite d’une erreur de manipulation, une stagiaire de la Commission a agrafé une note interne confidentielle avec un arrêt de la Cour de justice européenne. Rien de grave, sauf que cet arrêt a été distribué à la presse le jour même, avec, bien sûr, son «annexe-lapsus». Les journalistes qui en ont pris connaissance s’étranglent. Il est vrai que cette réflexion sur les relations entre la Commission et les médias n’est pas piquée des vers.

A la suite de la révélation par quelques journaux (dont Libération) d’affaires de fraude et de népotisme au sein de l’exécutif européen, la note déplore une «prise en main de la salle de presse par des journalistes d’investigation. Mais il est faux de dire que nous n’avons plus d’amis. Au contraire: beaucoup de journalistes avouent leur perplexité devant ce qui arrive; beaucoup désapprouvent ­ parfois ouvertement l’outrance de leurs collègues [...] Nous devons utiliser nos alliés potentiels pour rétablir un équilibre entre journalistes de fond et d’investigation». Plus loin, la note juge qu’une «dose de cynisme ­ et parfois d’hypocrisie ­ dans la manière de diffuser l’information est parfois nécessaire. Vouloir tout expliquer et s’ériger en modèle d’exhaustivité appelle souvent de nouvelles interrogations [...] Il faut donc apprendre à geler une partie de l’information dont on n’est pas tout à fait sûr ou dont on sait qu’elle pourrait donner lieu à une mauvaise interprétation. Face à certains journalistes particulièrement retors, il faut malheureusement se résigner à se faire (provisoirement) violence».

Le plus cocasse est que l’auteur de ce texte n’est autre que Jimmy Jamar, le porte-parole d’Edith Cresson, la commissaire française chargée de la Recherche et de l’Education, épinglée pour avoir fait embaucher plusieurs de ses proches pour des emplois plus ou moins réels. Au-delà de sa franchise, la prose du porte-parole d’Edith Cresson met à nu le malaise qu’éprouve la Commission face à l’opinion publique et aux médias. Elle est révélatrice de la façon dont fonctionnent une partie des médias à Bruxelles. Car, au départ, l’Europe, c’est d’abord une affaire de famille. En 1958, lorsque l’exécutif européen s’installe dans la capitale belge, tout le monde se connaît: on sort ensemble, on s’invite les uns chez les autres, on se tutoie, on refile aux journalistes des petits boulots plutôt bien payés ou, mieux, on les recrute comme agents temporaires avant de les nommer à des postes permanents. La montée en puissance de la Commission ne fait qu’aggraver cette connivence qui confine à l’inceste. D’autant qu’un système d’agit-prop efficace est rapidement mis en place. La Commission, ayant pris conscience qu’elle n’existera que par les médias, organise tous les jours, à midi précis, un «point de presse» afin de distribuer de l’information et de répondre aux questions des «accrédités». Ce qui lui permet aussi d’influencer le traitement de l’information en prémâchant le travail des médias.

Ce système a fonctionné sans encombre jusqu’au début des années 90. Mais le succès de la relance delorienne (le Marché unique de 1993, puis la monnaie unique) va mettre à mal le ronronnement médiatique local. Bruxelles devenant incontournable, la «salle de presse» explose: en moins de vingt ans, le nombre de journalistes a triplé. Aujourd’hui, on en compte environ 750 provenant de 56 pays, auxquels il faut ajouter 200 cameramen et techniciens audiovisuels. Il s’agit là de la plus grande concentration journalistique au monde. Mieux, la plupart des journaux étrangers vont doubler, tripler, voire quadrupler leur représentation dans les mois qui viennent, euro aidant. Or, ce véritable déferlement a amené à Bruxelles des journalistes pour lesquels l’Union n’est pas un sujet de passion comme pour les «grands anciens», parfois présents depuis plus de trente ans, mais un objet d’observation.

Les élargissements successifs, notamment au Nord, ont aussi modifié la culture de la «salle de presse», la «normalité» au Sud peut être anormale au Nord. La soif de transparence, le questionnement agressif, la recherche d’informations «non officielles», autant de traits désormais largement partagés au sein de la «salle de presse». Les «amis» devenant moins nombreux, la Commission s’est retrouvée soumise au traitement habituellement réservé aux gouvernements nationaux. Elle a cessé d’être la personnification du «bien» européen et doit désormais répondre de ses actions. Les premiers à l’avoir bousculée sont les Britanniques, plus par idéologie d’ailleurs que par déontologie journalistique. Mais c’est surtout l’affaire de la vache folle ­(révélée par Libération en 1996) qui démontrait comment la Commission avait dissimulé l’ampleur de la crise­ qui a sérieusement secoué l’ancien système de connivence. Les actuelles affaires de fraude et de népotisme l’ont définitivement mis à mort. L’exécutif européen, faute de s’être préparé à cette mutation, hurle maladroitement au «complot antieuropéen» et à la manipulation, menace de représailles les journalistes «ennemis», cherche à contrôler l’information. L’adaptation est toujours douloureuse.

Photo: Reuters

Catégories: Union européenne

Comment l'Union européenne va prendre le numérique dans ses filets

ven, 23/03/2018 - 11:09

Si l’attention est fixée sur la bien mal nommée « taxe GAFA » (Google, Amazon, Facebook, Apple), le front qu’a ouvert hier à Bruxelles la Commission européenne est infiniment plus large que la seule imposition de certaines activités des géants du numérique, tous américains, qui, pour l’instant, échappent largement à l’impôt. En effet, la mère de toute la bataille sera en réalité une autre directive, dévoilée elle aussi hier, dont le but est de moderniser la notion « d’établissement fiscal » afin de permettre aux États de soumettre les sociétés du secteur numérique, qui n’ont aucune présence physique chez eux, à l’impôt sur les sociétés (IS) comme n’importe quelle entreprise industrielle ou de service. Le problème est qu’il faut réunir l’unanimité des 28 gouvernements (si le vote intervient avant le Brexit le 30 mars 2019, sinon 27), ce qui annonce une bataille ardue, mais qui est loin d’être perdu d’avance. Vendredi, lors de leur traditionnel sommet de printemps, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union auront une première discussion informelle sur le sujet, ce qui permettra d’évaluer le rapport de force.

C’est à l’initiative de la France, et en particulier de Bruno Le Maire, le ministre des Finances, que le Conseil européen d’octobre 2017 à demander à la Commission d’ajouter un texte créant une « taxe GAFA » à la directive qu’elle préparait sur l’IS applicable aux activités numériques. « Les États ont même insisté pour qu’on présente notre paquet hier afin de pouvoir en discuter vendredi alors qu’on devait l’adopter mercredi prochain », confie-t-on dans l’entourage de Pierre Moscovici, le commissaire chargé des affaires économiques, financières et de la fiscalité.

Mais pour la Commission, cette taxe n’est pas le sujet majeur : l’essentiel est de moderniser un droit fiscal antédiluvien inadapté à la dématérialisation de l’économie, comme l’a montré Google qui a gagné en justice contre l’administration fiscale française. En effet, il faut, pour être soumis à l’IS, avoir une présence physique dans l’État de taxation, ce qui n’est nullement nécessaire pour les entreprises numériques. Il leur suffit de limiter leur présence matérielle dans les pays à la fiscalité accommodante comme l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, Chypre ou Malte, ce qui leur permet de ne payer que 9 % d’IS en moyenne, alors que les entreprises « physiques » payent 23 % en moyenne. Sur ce point, il y a un large consensus non seulement européen, mais mondial pour que la richesse soit taxée dans le pays où elle est créée.

La Commission veut donc que les États puissent soumettre les entreprises numériques à leur IS national en modernisant la notion « d’établissement fiscal » : ainsi, une plate-forme numérique aura une « présence numérique » imposable si elle génère plus de 7 millions d’euros de produits annuels dans un État membre ou si elle compte plus de 100.000 utilisateurs dans un État ou si plus de 3000 contrats commerciaux pour des services numériques sont créés entre l’entreprise et les utilisateurs actifs.

La taxe, elle, a un objectif bien plus limité : permettre, en attendant un accord sur « l’établissement fiscal », d’imposer certaines activités des entreprises dont le chiffre d’affaires mondial est d’au moins 750 millions d’euros et la part européenne d’au moins 50 millions d’euros. La Commission propose que cette taxe d’un taux de 3 % frappe les contrats de publicité liés à l’usage de données personnelles (donc les médias sociaux comme Facebook ou Twitter) ainsi que la mise en relation entre acheteurs et vendeurs (eBay, le bon coin, Über, etc.). Le Ecommerce (Amazon) ou les services payants (Neflix, Spotify, iTunes) sont, eux, soumis à la TVA et peuvent donc être tracés autrement. Cette taxe a vocation à disparaître et à être absorbée par l’IS lorsque la directive modernisant la notion d’établissement fiscal aura été adoptée.

Si la Commission a accepté de proposer cette taxe, qui devrait entrer en vigueur en 2020 espère Paris, c’est parce que trois pays en ont déjà adopté une (Italie, Hongrie et Slovaquie) et que d’autres menacent de le faire, ce qui risque de fragmenter le marché intérieur. « Pierre Moscovici a rencontré les acteurs du numérique pour leur expliquer que si l’Union ne faisait rien, elles allaient souffrir, chaque pays appliquant sa propre assiette d’imposition et des taux différents », explique un proche du dossier : « le temps de la non-imposition est révolue et mieux vaut pour elles une règle unique ». Et il a un vrai risque, comme l’a expliqué à Libération Pierre Moscovici, « d’une intensification d’une concurrence fiscale anarchique entre les États membres ». Mieux vaut donc « une solution européenne offrant un cadre stable aux Etats et aux entreprises ».

Ce qui est plus facile à dire qu’à faire. Beaucoup d’États, dont l’Allemagne, l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, Chypre ou Malte, sont tentés d’attendre que l’OCDE boucle ses travaux en 2020, au plus tôt, sur la notion « d’établissement fiscal » afin d’aboutir à une solution mondiale. La Commission fait valoir que sa directive n’empêchera pas que l’Union s’adapte à ce standard s’il voit le jour, ce que Berlin a bien voulu reconnaitre. Si les petits pays de l’Union qui accueillent des géants du numérique ont beaucoup à perdre, ils ne pourront pas s’opposer à ce mouvement mondial. En clair, ils peuvent ralentir le mouvement européen, mais une fois l’OCDE parvenue à un accord, ils devront plier.

En revanche, sur la taxe de 3%, ces pays vont tout faire pour bloquer et donc gagner du temps, car ils savent que dans ce cas, « la présence des entreprises du numérique dans ces paradis fiscaux, notamment en Irlande, une île éloignée et mal desservie, n’aura plus aucun sens puisqu’elles devront payer des impôts dans les 27 États membres », explique-t-on à la Commission. Ils sont soutenus par les Baltes et la Suède qui, eux, estiment qu’il ne faut pas entraver le développement du numérique, une vision idéologiquement datée.

Mais ils ne pourront pas tenir longtemps : en cas de blocage européen, chaque pays imposera les activités numériques dans son coin, à l’image de l’Italie. Autrement dit, « le statu quo n’est plus une option », dit-on à Bruxelles, puisque la majorité des États veulent récupérer leur part du gâteau. « La pression sur ces pays est maximale », confie-t-on à la Commission. Et l’Irlande, qui a besoin de l’UE pour éviter le rétablissement d’une frontière physique avec l’Irlande du Nord, sait que ses marges de manœuvre sont étroites. Au final, la Commission n’est pas mécontente d’avoir été contrainte de mettre sur la table cette « taxe GAFA » : « elle va nous permettre de faire avancer le dossier de l’établissement fiscal » puisque ce sera le seul moyen d’éviter cette taxe pour ceux qui ne veulent pas de ce symbole d’une harmonisation fiscale européenne honnie…

N.B: version longue de mon article paru dans Libération du 22 mars

Photo: REUTERS/Sigtryggur Ari

Catégories: Union européenne

Parlons d'Europe !

mar, 20/03/2018 - 22:53

Ma chronique dans« La faute à l’Europe», sur France Info Télé: elle porte sur les consultations citoyennes qu’Emmanuel Macron va lancer de Strasbourg, le 17 avril prochain.

Catégories: Union européenne

Barroso : la médiatrice européenne tacle Jean-Claude Juncker

lun, 19/03/2018 - 19:15

La médiatrice de l’Union européenne, l’Irlandaise Emily O’Reilly, vient de tacler sévèrement Jean-Claude Juncker pour sa trop grande mansuétude à l’égard des activités de lobbying de son prédécesseur, José Manuel Durao Barroso, passé en juillet 2016 avec armes et bagages chez Goldman Sachs, la sulfureuse banque d’affaires américaine. Un avis qui tombe mal en plein « SelmayrGate », la nomination controversée de son chef de cabinet au poste de secrétaire général de la Commission, car il souligne l’élasticité de la morale de l’ancien premier ministre luxembourgeois en matière de conflits d’intérêts.

«Amicale et personnelle»

Dans un avis publié le 15 mars, la médiatrice, qui tient son mandat du Parlement européen, estime que le comité d’éthique de la Commission, qui avait critiqué, mais absous Barroso en octobre 2016, devra réexaminer son cas, celui-ci se livrant, en dépit de ses promesses, à des activités de lobbying auprès de l’institution qu’il a présidé entre 2004 et 2014.En effet, il a été pris la main dans le sac par le collectif d’ONG Alter-UE qui a révélé le mois dernier qu’en octobre 2017, il avait rencontré en tête-à-tête un vice-président de la Commission, le Finlandais Jyrki Katainen, dans un hôtel proche du Berlaymont, le siège de l’exécutif européen à Bruxelles. La réunion a été déclarée sur l’agenda du commissaire comme une réunion « avec la banque Goldman Sachs ».

Interrogé par le Parlement européen, le commissaire a déclaré qu’il s’agissait d’une rencontre « amicale et personnelle » autour d’une bière. Pourtant, le même commissaire a reconnu qu’ils n’avaient pas discuté barbecue, mais défense et commerce... Or, Barroso représente des clients d’une banque d’affaires qui peuvent s’intéresser aux projets de la Commission dans ces deux domaines. Ces rencontres informelles sont la définition même du mot lobby, comme le souligne Emily O’Reilly. Ce n’est pas l’avis de Barroso qui, sur Twitter, a vivement réagi : « je n’ai pas fait et ne ferai pas de lobbying auprès d’officiels de l’UE ».

Réexamen du cas Barroso

Interrogé le 21 février, Juncker, qui avait condamné du bout des lèvres et seulement au bout de deux semaines son prédécesseur au prétexte qu’il n’avait violé aucune règle interne, a balayé d’un revers de main agacé les questions des journalistes : « ce n’est rien », avant d’ajouter « ce n’est quand même pas un gangster ». Emily O’Reilly répond indirectement à cet agacement présidentiel dans son avis : « la nouvelle fonction de M. Barroso a provoqué de sérieuses inquiétudes dans l’opinion publique, ce qui aurait dû à tout le moins susciter des inquiétudes au sein de la Commission quant au respect du devoir de discrétion ».

Pour la médiatrice, un réexamen du cas Barroso « démontrerait que la Commission a pris très au sérieux les préoccupations de l’opinion publique concernant cette affaire et les dommages causés à l’image des institutions européennes ». Pour elle, « les anciens commissaires ont le droit d’exercer une activité, mais, en tant qu’anciens fonctionnaires, ils doivent également veiller à ce que leurs actions ne sapent pas la confiance des citoyens dans l’Union ». La médiatrice demande donc a minima une décision formelle de la Commission afin qu’elle interdise à son ancien président de faire du lobbying auprès d’elle. Elle estime aussi que le « code de conduite » des commissaires doit être renforcé, car son enquête a révélé « des problèmes systémiques concernant la manière dont la Commission traite ce genre d’affaires », comme le démontre l’attitude de Juncker. Certes le code d’éthique a été renforcé afin d’étendre de 18 à 36 mois la durée pendant laquelle les anciens présidents devront demander l’avis du comité d’éthique sur leur nouveau travail (deux ans pour les commissaires). Mais, cette réforme, entrée en vigueur le 1er février, « n’empêcherait pas qu’une situation semblable à celle que nous connaissons avec M. Barroso se reproduise à l’avenir ». Elle propose aussi que le comité d’éthique soit élargi au-delà de ses trois membres actuels, qu’il puisse s’autosaisir et que la période d’observation des anciens commissaires soit prolongée de plusieurs années.

Un clou dans le cercueil de la Commission Juncker

Rappelons que le cas Barroso n’est pas le premier à éclabousser la Commission Juncker :l’ancienne commissaire à la concurrence, la Néerlandaise Neelie Kroes, a été elle aussi absoute alors qu’elle a été prise en flagrant délit de mensonge quand le scandale des « Bahamas Leaks » a éclaté fin septembre 2016. Tout comme l’actuel commissaire allemand Gunther Oettinger, celui-là même qui est chargé de défendre la légalité de la nomination de Selmayr, qui a voyagé – sans le déclarer- en mai 2016 à bord de l’avion privé d’un lobbyiste allemand proche de Vladimir Poutine et de Viktor Orban pour se rendre à Budapest. Or, à la suite de ce voyage, la Commission décidait de classer une enquête sur la construction d’une centrale nucléaire par les Russes en Hongrie (lire aussi ici)… On pourrait aussi rappeler le pedigree du commissaire espagnol Miguel Arias Canete qui a mélangé tout au long de sa vie intérêts privés et publics et s’est pourtant vu confier par Juncker le portefeuille de l’énergie alors que sa famille a des intérêts dans ce secteur…

Bref, l’avis de la médiatrice est un clou supplémentaire planté dans le cercueil de la Commission Juncker…

Photo: REUTERS/Vincent Kessler

Catégories: Union européenne

Selmayrgate: après le putsch, la stratégie du hérisson

lun, 19/03/2018 - 18:09

Ma «coulisse» papier est ici et elle est consacrée à l’incroyable silence observé par les commissaires, pourtant censés être des politiques de haut vol...

Catégories: Union européenne

Selmayrgate: petit guide à l'usage des bureaucrates ambitieux

ven, 16/03/2018 - 17:09

La Commission ne dévie pas de sa ligne de défense. « La procédure a été respectée dans les moindres détails et à tout moment » dans la nomination de l’Allemand Martin Selmayr au poste de secrétaire général, la tour de contrôle de l’administration communautaire, a ainsi de nouveau affirmé Gunther Oettinger, le commissaire chargé du budget et de la fonction publique européenne, à Strasbourg, le 12 mars : « Nous pouvons démontrer que les aspects juridiques formels ont été respectés ». La Commission de contrôle budgétaire (COCOBU) du Parlement européen, présidée par l’Allemande Ingebor Grässle, va néanmoins enquêter à partir de ce lundi pour savoir si les règles du Statut de la fonction publique européenne, un règlement adopté par le Parlement européen et le Conseil des ministres, n’ont pas été violées ou contournées.

Il est nécessaire, après la saga de ces trois dernières semaines au cours desquelles j’ai essayé de montrer comment s’était passée cette nomination controversée, de revenir point par point sur les problèmes juridiques qu’elle pose. Car la Commission a déployé un épais rideau de fumée quand elle n’a pas tout simplement menti pour tenter de dissimuler ce qui s’était réellement passé. Le résultat est accablant.

1/ Martin Selmayr pouvait-il être nommé secrétaire général (SG) de la Commission ?

À 9h39, le mercredi 21 février, un communiqué est envoyé à l’ensemble de la presse accréditée pour les informer que Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, et Gunther Oettinger donneront à 10h30 une conférence de presse. Un événement doublement exceptionnel. D’une part, Juncker, qui se livre très peu à cet exercice, l’a fait la semaine précédente. D’autre part, ces conférences de presse ont normalement lieu aux alentours de midi, après la réunion du collège des commissaires. La nouvelle doit donc être importante. Or, il ne s’agit en fait que d’annoncer une série de nominations aux plus hauts postes de l’administration de la Commission, des mises au placard, ainsi qu’une promotion surprise, celle de son chef de cabinet, Martin Selmayr, 47 ans, proche de la CDU, au poste de secrétaire général à compter du 1er mars. La presse est plutôt surprise, ce type de nouvelles donnant habituellement lieu à un simple communiqué de presse. Mais, pour Juncker, il faut manifestement marquer symboliquement le coup de l’ascension fulgurante de Selmayr. À moins que ce ne soit ce dernier qui ait demandé cette mise en scène.

Le communiqué de presse distribué en même temps ne détaille pas la procédure qui a amené Selmayr au sommet de l’administration. Au cours de sa conférence de presse, Juncker explique que le secrétaire général sortant, Alexander Italianer, un Néerlandais de 61 ans, nommé en 2015, lui a fait part, il y a deux ans, de sa décision de partir à la retraite à compter du 1er mars il y a deux ans et qu’il convenait de pourvoir à son remplacement. Il précise aussi que l’Espagnole Clara Martinez Alberola, membre du PP de Mariano Rajoy, jusque-là cheffe adjointe de Selmayr, prend sa place, une première pour une femme.

L’enquête que j’ai menée a montré que la séquence a été plus complexe que ne l’a expliqué Juncker le 21 février, ce qui a amené le Parlement européen à se saisir de ce que tout le monde appelle désormais à Bruxelles le Selmayrgate. Comme l’a confirmé le procès-verbal de la Commission et le récit qu’en a fait le président lui-même dans une lettre adressée le 6 mars à la délégation socialiste française qui l’a interpellé, l’affaire s’est faite en trois temps. Selmayr, qui n’était que conseiller principal (ou directeur selon les versions linguistiques) ne pouvait pas être nommé directement secrétaire général : il devait préalablement avoir rang soit de directeur général adjoint, soit de directeur général. Il a donc, au cours de la réunion du collège, d’abord été nommé secrétaire général adjoint (SGA). Puis, raconte Juncker dans sa lettre, « après les décisions de la Commission du 21 février sur l’ensemble des nominations et mutations de membres de l’encadrement supérieur, y compris la nomination de M. Selmayr comme secrétaire général adjoint, M. Alexander Italianer, secrétaire général de la Commission, a pris la parole et a informé la Commission de son intention de prendre sa retraite avec effet au 1er avril 2018, information dont il m’avait fait part par lettre formelle le matin de ce même jour ». Déjà, une contradiction entre cette version et celle de la conférence de presse: deux ans avant ou le même jour ?

Ensuite, écrit toujours Juncker, « sur ma proposition », le collège des commissaires a décidé « de transférer M. Selmayr à cette fonction (de SG) dans l’intérêt du service, conformément à l’article 7 du statut » qui prévoit que la « nomination ou la mutation » d’un fonctionnaire peut avoir lieu dans un autre emploi « de son groupe de fonctions correspondant à son grade ». Selmayr, AD 15 (les grades, qui déterminent le salaire, vont de 1 à 16 au sein de la fonction publique européenne) et secrétaire général adjoint depuis quelques minutes, répond bien à ces conditions. En résumé, le chef de cabinet a reçu deux promotions importantes en quelques minutes, un record absolu dans l’histoire de la Commission. Déjà en soi une bizarrerie. Mais pour la Commission, on ne pouvait pas laisser ce poste vacant plus d’une minute. Manifestement, il n’est venu à l’idée de personne de demander à Italianer de rester en poste deux ou trois mois de plus...

De plus, avant le début de la réunion du collège, la quasi-totalité des 28 commissaires n’était pas au courant que la séquence se déroulerait ainsi : 1/ nomination de Selmayr comme SGA, 2/ démission d’Italianer 3/ nomination de Selmayr comme SG. Seul Oettinger était au courant que Selmayr allait être nommé SGA (et pas SG jusqu’à plus ample informé) puisqu’il a eu un entretien avec lui la veille au soir pour conclure son parcours de recrutement, un passage obligé. Quant au vice-président de la Commission, le Néerlandais Frans Timmermans, comme l’explique Juncker dans sa lettre du 6 mars, « j’avais pris soin de (le) consulter en date du 20 février 2018 » sur la nomination de Selmayr comme SG. On se demande d’ailleurs pourquoi informer seulement Timmermans, celui-ci ne jouant aucun rôle supplémentaire par rapport aux autres commissaires dans une telle procédure. Peut-être parce que le SG qui allait prendre sa retraite (de son plein gré ?) est lui-aussi de nationalité néerlandaise et qu’il fallait donc déminer le terrain ? En résumé, seuls Juncker et Timmermans connaissaient l’ensemble de la manoeuvre.

Le problème est qu’en procédant ainsi, la commission a violé l’article 4 du statut. Il prévoit en effet que « toute nomination ou promotion ne peut avoir pour objet que de pouvoir à la vacance d’un emploi dans les conditions prévues au présent statut. Toute vacance d’emploi dans une institution est portée à la connaissance du personnel de cette institution dès que l’autorité investie du pouvoir de nomination (le collège des commissaires) a décidé qu’il y a lieu de pourvoir ce poste ». Or, cela n’a pas été le cas pour le poste de SG qui n’a pas été rendu vacant, l’absence de publication du poste et d’appel à candidatures l’attestant. Surtout, entre la démission d’Italianer et la nomination de Selmayr il ne s’est écoulé qu’une minute. On peut tordre le règlement dans tous les sens, il fallait publier le poste de SG avant de le pourvoir, l’article 4 l’emportant sur l’article 7 (mutation). Sinon, cela signifierait que le collège peut nommer n’importe quel directeur général adjoint ou directeur général à n’importe quel poste sans respecter les règles du statut. Seuls les postes dans les cabinets des commissaires, qui sont des postes politiques, peuvent être pourvus sans publication.

Bref, les principes de transparence et d’égalité garantis par l’article 4 (et régulièrement réaffirmés par la Cour de justice de l’Union) ont allègrement piétiné au profit de Selmayr. Sans compter que le principe de collégialité a lui aussi été violé, puisque 25 commissaires sur 28 ont découvert la manœuvre au moment où elle se déroulait, comme plusieurs d’entre eux l’ont reconnu.

En dépit des questions répétées de la presse et des députés européens, aucune explication n’a jamais été fournie par la Commission sur ce point. Oettinger, devant le Parlement européen, a d’ailleurs soigneusement omis de s’expliquer en dépit des questions répétées des eurodéputés.

2/ Martin Selmayr a-t-il été légalement nommé secrétaire général adjoint ?

Cette étape, omise par Juncker devant les journalistes, est importante puisqu’elle a permis à Selmayr d’être nommé ensuite SG en invoquant l’article 7 sur les mutations au sein d’un même groupe de fonctions (nonobstant le respect de l’article 4). Devant le Parlement, Oettinger a affirmé que « la vacance du poste de secrétaire général adjoint a été publiée et a été suivie d’un examen en centre d’évaluation –une évaluation externe des candidats -, d’un entretien avec les membres du comité consultatif des nominations (CCN) au sein de la Commission puis d’un entretien avec le Président et moi-même la veille de l’adoption de la décision ».

Là aussi, l’affaire est plus complexe. Le 31 janvier, le poste de SGA a bien été publié (sa titulaire, la Grecque Parasquevi Michou, ayant été promue à une vitesse express directeur général aux affaires intérieures le 31 janvier avec effet au… 1er mars) et un appel à candidatures a été lancé, comme le prévoit l’article 29 du statut (procédure de promotion interne). Les candidats ont eu 10 jours ouvrables pour se faire connaître, « un délai habituel » selon Juncker dans sa lettre du 6 mars. Soit jusqu’au 13 février. Combien de candidats ? « Moins de quatre » dira d’abord le porte-parole de la Commission, Alexander Winterstein, avant de reconnaître qu’ils n’étaient en réalité que deux. En l’occurrence, comme je l’ai révélé, il s’agit de Clara Martinez, la cheffe adjointe de cabinet de Juncker et donc subordonnée de Selmayr. Deux candidats, dont une femme, l’appel à candidatures a donc pu être clôt. Martinez a retiré aussitôt sa candidature et le 15 février, Selmayr a passé seul l’examen de compétences mené par un consultant extérieur avant, le 16 février, de voir sa candidature validée par le CCN. Le 20 février, il a franchi l’étape finale : l’entretien avec Oettinger puis Juncker…

Autant dire que la procédure a été au minimum manipulée afin d’éviter une vraie mise en concurrence du poste. Si la Commission n’a toujours pas admis officiellement que la candidate qui a renoncé est bien Martinez, le 5 mars (fait confirmé le 6 mars par Juncker dans la lettre aux députés socialistes français) elle a reconnu que Selmayr était bien le seul candidat à se présenter aux épreuves de sélection.

Le problème est qu’un épais document de 2005 intitulé : « compilation document on senior officials policy », dont l’objet est de compiler les textes existants et de rappeler bonnes pratiques en matière de nominations, souligne que le collège doit se voir offrir « un choix suffisant de candidats » pour pouvoir se prononcer à bon escient. Autrement dit, non seulement la procédure a été manipulée pour permettre à Selmayr d’être le seul candidat en lice, mais la Commission a violé ses propres règles en se contentant de cette candidature unique. La bonne pratique aurait été de rouvrir le poste après la « défection » de Clara Martinez pour permettre une vraie concurrence. Au passage, le principe de non-discrimination posé par l’article 1 du statut a lui-aussi été violé, puisque la procédure a été manipulée pour écarter tout autre candidat que Selmayr.

En outre se pose la question du détournement de pouvoir. Tout indique que Selmayr savait qu’il serait nommé SG une fois promu SGA. Juncker a ainsi affirmé devant la presse, le 21 février, qu’Italianer lui avait dit dès sa nomination qu’il partirait en 2018. En outre, tout au long de la semaine du 26 février, Alexander Winterstein a expliqué sans rire devant les journalistes que Selmayr avait lui-même « choisi la procédure la plus difficile » pour devenir SG, ce qui est une façon de reconnaître qu’il connaissait bien le but à atteindre. Au passage, « difficile » est un bien grand mot, vu la rapidité de ladite procédure et l’absence totale de concurrence. Surtout, Selmayr a finalement lui-même reconnu que Juncker lui avait proposé le poste en novembre dernier. Autrement dit, dès le départ, la procédure de recrutement d’un SGA était viciée: elle ne visait pas à pourvoir ce poste, mais à permettre la nomination de Selmayr comme SG. C’est là qu’est le détournement de pouvoir qui conforte la violation des principes de transparence et de non-discrimination. On comprend que l’eurodéputé CDU Werner Langen dénonce un «coup d’Etat».

D’ailleurs, dès le 22 février, deux postes de SGA ont été ouverts : celui laissé vacant par Selmayr (et donc en réalité par Paraskevi Michou) et celui laissé libre par la promotion, le 21 février, de Jean-Eric Paquet comme directeur général de la recherche et de l’innovation. Curieusement, et il y a beaucoup de curieusement dans cette affaire, l’appel à candidatures a été clôt le 28 février, soit cinq jours ouvrables, moitié moins que « le délai habituel de 10 jours ouvrables » admis par Juncker. Explication de Margaritis Schinas, son porte-parole : « il a été considéré essentiel que les fonctions importantes de SGA soient pourvues rapidement »… Décidément, l’urgence était à tous les niveaux : SG, SGA. On peut le comprendre, puisque le secrétariat général a été décapité pour permettre l’ascension de Selmayr. Je peux d’ores et déjà vous annoncer que l’une des futures SGA sera la Danoise Pia Ahrenkilde-Hansen, l’ancienne porte-parole de Barroso, qui a déjà été promue le 21 février au poste de conseiller principal au secrétariat général.

Enfin, on peut se demander si la Commission n’a pas commis un faux en écriture publique. En effet, le procés-verbal de la réunion du 21 février indique que « la Commission est saisie de la liste des candidatures présentées pour le pourvoi de la fonction de secrétaire général adjoint » avant de « procède(r) à un examen en fonction des caractéristiques du poste ». Or il n’y avait qu’un seul candidat, Martin Selmayr. « Formule de style » dit-on à la Commission. Vraiment ? Après avoir tout fait pour dissimuler ce fait ?

3/ Selmayr pouvait-il éviter de passer par l’étape SGA ?

La Commission a développé cette ligne de défense dès le départ avant de l’abandonner puis de la reprendre. Oettinger devant le Parlement européen a ainsi affirmé que « Selmayr a été trois années durant le chef de cabinet de notre président. Et, précisément, ce poste de chef de cabinet du président se situe au niveau du directeur général » : en clair, il aurait pu être nommé directement SG par simple mutation (article 7) sans passer par la longue procédure de l’article 29 (celle de la promotion interne). Si cela avait été légal, on se demande bien pourquoi Selmayr n’a pas emprunté cette voix qui lui aurait causé moins de soucis que le détournement de la procédure via le poste SGA.

La réponse est extrêmement simple : la Commission ment. Certes, il est bien précisé dans la « communication du président à la commission relative aux règles régissant la composition des cabinets des membres de la Commission et du service du porte-parole » du 1er novembre 2014 (et donc rédigé par Selmayr) dans son point 3.1.2 que « le chef de cabinet du président a le rang de directeur général » afin de lui donner une plus grande autorité sur les directeurs généraux. Mais ce « rang » est lié à sa fonction politique de chef de cabinet. Selon l’article 38-g du statut, « à l’expiration de son détachement » dans un cabinet, « le fonctionnaire réintègre immédiatement l’emploi qu’il occupait antérieurement ». Une simple communication du président de la Commission ne peut modifier le statut qui est, rappelons-le, un règlement du Parlement et du Conseil. Cela s’appelle la hiérarchie des normes, un pilier essentiel de l’État de droit que la Commission semble avoir oublié.

Même si Selmayr n’est pas trop mal loti en grade, il n’avait pas la bonne fonction. Il a connu une carrière financière express, puisqu’il a été promu tous les deux ans au grade supérieur, et ce, depuis 2004, date de son entrée à la Commission. Un record, la plupart des fonctionnaires devant attendre entre 3 et 5 ans (il y a plusieurs échelons dans chaque grade) : en 2014, il est déjà AD 12. En juin 2014, il se fait nommer par la Commission Barroso finissante conseiller principal (ou directeur selon les versions linguistiques) auprès de la BERD à Londres au grade AD 14, un poste qu’il n’occupera jamais. Comme chef de cabinet du président, il obtient un grade temporaire AD 15, grade qu’il s’auto-attribuera à titre définitif en 2017. Mais il n’est toujours que conseiller principal selon le statut. D’où la nécessité juridique de passer par la case SGA pour se faire parachuter SG au grade d’AD 16, le plus haut de la fonction publique… Jamais Selmayr n’a eu le « choix » entre deux procédures.

4/ Selmayr a-t-il les compétences pour devenir SG ?

Le SG étant directement rattaché au président de la Commission, il revient au président de présenter le candidat qui a sa préférence au collège. Mais peut-il nommer qui il l’entend ? Car Selmayr n’a jamais dirigé un service : il a d’abord été porte-parole, puis deux fois chef de cabinet. Or, entre diriger une petite équipe de quelques personnes et le mastodonte qu’est la Commission, il y a une sacrée différence. Pour Werner Langen, Selmayr «n’est pas l’homme qu’il faut pour diriger une administration de 33.000 personnes ». Jusqu’ici, les secrétaires généraux (sauf le premier, Émile Noël, et pour cause, puisqu’il a créé la Commission) avaient franchi toutes les étapes : fonctionnaire de base, chef d’unité, directeur, directeur général. Manifestement, Selmayr se considère comme un secrétaire général « politique », une sorte de « président bis », comme le montre sa volonté de continuer à présider de facto le cabinet de Juncker. La question de sa compétence pour remplir la fonction de secrétaire général, un poste apolitique par nature, se pose donc. D’autant que ses petits arrangements avec les règles de droit pour parvenir au sommet montrent qu’il sait ne pas s’embarrasser de la légalité : or, le rôle essentiel d’un SG est justement de veiller à ce que la Commission impose le respect des traités européens aux États membres. Quelle est sa crédibilité ?

Catégories: Union européenne

Selmayrgate: le Parlement pilonne la Commission

mer, 14/03/2018 - 19:15

Il ne s’est pas trouvé un seul député européen, pas un seul, en 1h30 de débat pour voler au secours d’une Commission engluée depuis trois semaines dans le « Selmayrgate ». Pire pour Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen, et pour Martin Selmayr, son chef de cabinet allemand qu’il a propulsé « secrétaire général » de la Commission au terme d’une procédure pour le moins contestée: ils ont été lâchés par les conservateurs du PPE, y compris allemands, le premier groupe de l’Assemblée. « Non ce n’est pas l’Allemagne qui a demandé nomination de Martin Selmayr : nous, on ne nomme pas des gens sans expérience », a méchamment taclé l’un des pontes de la CDU au Parlement européen, Werner Langen, qui a rappelé que le nouveau secrétaire général n’avait jamais dirigé un service depuis son entrée à la Commission en 2004 puisqu’il n’a été que porte-parole puis chef de cabinet: « il n’est pas l’homme qu’il faut pour diriger une administration de 33.000 personnes ». Et de clamer : « c’est un coup d’Etat ! » Ambiance.

Les députés, comme c’était prévisible, ont très mal pris que Juncker ne vienne pas s’expliquer en personne sur cette promotion qu’il a décidée seul –ou qui lui a été dictée par Selmayr, on ne sait pas très bien. Il a préféré envoyer son commissaire en théorie chargée de l’administration, l’Allemand de la CDU Gunther Oettinger, qui a pourtant découvert la manœuvre la veille de la réunion du collège des commissaires du 21 février qui a validé en moins d’une minute la promotion de Selmayr de la fonction de directeur à celle de secrétaire général adjoint, un poste pour lequel il était l’unique candidat, puis à celle de secrétaire général après la démission « surprise » du titulaire de la fonction (le procès-verbal de cette réunion a été adopté sans coup férir et est ici).

«Vous nous prenez pour des imbéciles»

Dans ces conditions, pas facile de défendre l’indéfendable. Mais Oettinger n’a même pas été capable d’assurer un service minimum : il a réussi l’exploit de se montrer d’une médiocrité qui a sidéré les eurodéputés. Durant ses deux interventions, il a répété en boucle que la procédure avait été suivie à la lettre, ce qui a déclenché l’ire des eurodéputés : « Monsieur Oettinger, vous nous prenez pour des imbéciles », lui a ainsi lancé, agacée, la libérale néerlandaise Sophie In’t Veld quand d’autres lui reprochaient de les traiter comme des « enfants ». « J’avais presque pitié de lui », m’a confié un député souverainiste.

La principale surprise de ce premier débat (sans vote) est venue du PPE auquel Jean-Claude Juncker doit sa nomination à la tête de la Commission et Selmayr sa carrière. Parlant au nom du groupe conservateur, la Française Françoise Grossetête (LR) n’y a pas été de main morte : « Nous avons fait campagne pour une Union enfin politique, où le politique prendrait le pas sur l’administration. Et voilà que, grâce à une mystification digne d’un régime totalitaire, des fonctionnaires non élus prennent de facto les rênes de l’institution au nez et à la barbe de nos 27 commissaires, prévenus en dernière minute et sans qu’ils aient eu leur mot à dire ». Elle a martelé que « les institutions européennes n’appartiennent pas aux hauts fonctionnaires, mais aux citoyens européens. Les premiers sont là pour servir les seconds et non pas pour se servir eux-mêmes ». Il n’est pas anodin que le secrétaire général du groupe du PPE, lui-même Allemand de la CDU, ait confié cette charge à une Française : c’est un signal du malaise qui règne outre-Rhin face à cette auto-promotion brutale. Comme par hasard d’ailleurs, le parrain politique de Selmayr, Elmar Brok, n’était pas présent à Strasbourg…

«Le parachutage d’assaut du capitaine Selmayr»

Même tonalité chez les socialistes où la Française Pervenche Berès a pointé, article par article, le non-respect du statut des fonctionnaires européens, une bible votée par le Parlement européen et le Conseil des ministres (où siègent les États) pour conclure que « Selmayr n’a pas les compétences juridiques pour devenir secrétaire général », rejoignant en cela Werner Langen. Les Libéraux, par la voix de Sophie In’t Veldt, n’ont pas été plus tendres : l’affaire Selmayr « détruit toute la crédibilité de l’Union européenne comme championne de l’intégrité et de la transparence dans l’administration publique, alors que la confiance du public est au plus bas ». Philippe Lamberts, le coprésident du groupe Vert, a lui aussi dénoncé « le parachutage d’assaut du capitaine Martin Selmayr » qui « relève d’un aveuglement coupable de Jean-Claude Juncker » à l’égard d’un homme qui « poursuit sur le chemin d’une centralisation autoritaire, d’une caporalisation des fonctionnaires invités à l’obéissance plutôt qu’à la créativité, dans le mépris total de l’esprit de collégialité avec pour objectif de ne plus avoir qu’une ligne et de ne plus voir qu’une face : les siennes ». L’affaire est d’autant plus grave, selon lui, que derrière Selmayr, il y a le système PPE : « il est de notoriété publique que c’est d’abord et avant tout l’homme d’un parti, dont l’objectif premier est d’asseoir son hégémonie sur les affaires européennes », a conclu le député vert. Son collègue allemand, Sven Giegold, a surenchéri : « tout dans cette affaire empeste le népotisme ».

Devant ce feu d’artifice des partis europhiles, les partis eurosceptiques et europhobes n’ont guère eu à en rajouter, tout à leur joie de voir Juncker fournir la corde qui pourrait bien le pendre… « Nous avons bien eu raison de quitter cette UE » a ainsi jubilé Nigel Farage l’un des artisans du Brexit. C’est d’ailleurs bien la raison de la colère des pro-européens face à un Selmayrgate qui tombe en pleines négociations de sortie de la Grande-Bretagne et à un an des élections européennes : « quoi de mieux pour nourrir le discours anti-élites ? Quoi de mieux pour donner du grain à moudre aux eurosceptiques et entretenir le mythe d’une Europe technocratique » s’est inquiété FrançoiseGrossetête.

Des partis eurosceptiques à la fête

Face à ce déluge, Oettinger en a été réduit à lamentablement dénoncer un complot anti-allemand, Selmayr, déclenchant l’hilarité des députés y compris Allemand… Il fallait en effet oser quand on connait le (sur)poids des Allemands dans les institutions bruxelloises. Bref, la « non affaire », pour reprendre l’expression employée par les porte-paroles de la Commission, s’est transformée en bombe à retardement pour l’exécutif européen. Comme l’a tweeté menaçant au cours de ce débat qui a viré au pugilat, Guy Verhostadt, le président du groupe libéral : « si la Commission ne fait pas attention, elle connaitra le même sort que la Commission Santer » contrainte à la démission en mars 1999 à cause des emplois fictifs distribués par la commissaire française Édith Cresson.

On n’en est pas encore là, mais le Parlement a décidé, à l’unanimité, de confier à sa puissante Commission du contrôle budgétaire (COCOBU) une enquête sur les conditions de la fulgurante ascension de Selmayr. En avril, les députés décideront s’ils votent une résolution qui pourrait aller jusqu’à placer la Commission sous surveillance ou, carrément, s’ils refusent la décharge budgétaire, ce qui ne pourra qu’aboutir à la chute de Juncker. Quoi qu’il en soit, la page Juncker, à la suite de cet incroyable faux-pas, est déjà tournée.

N.B.: on en parle dans le WSJ et dans le NYT, la classe ;-)

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Taxe sur l'acier: l'UE prête à croiser le fer avec Trump

lun, 12/03/2018 - 23:24

C’est le moment de faire une provision de bourbon, de Levi’s, de beurre de cacahuète, pour ceux qui aiment ça, ou encore d’acheter la Harley Davidson de vos rêves. Si l’Union met ses menaces de rétorsions à exécution, une série de produits américains représentant environ 2,8 milliards d’euros d’importation coûteront 25% plus cher qu’aujourd’hui. Même si l’Europe ne veut pas d’une guerre commerciale, comme l’a martelé ce mercredi la Suédoise Cecilia Malmström, commissaire chargée du commerce, elle se tient prête à riposter si les États-Unis concrétisaient leur menace de taxer toutes les importations d’acier à hauteur de 25% et celles d’aluminium à hauteur de 10 %.

Vêtue d’une veste de cuir noir évoquant les blousons de motard, ce qui ne doit rien au hasard, Cecilia Malmström a confirmé qu’une liste provisoire de produits américains était en préparation. Au-delà des produits mythiques déjà cités, elle comportera une majorité de produits en acier, industriels et agricoles. Mais elle ne sera rendue publique que si Donald Trump n’exempte pas l’Union de ses mesures protectionnistes et elles ne s’appliqueront qu’au bout de trois mois. L’idée est de cibler les productions des États américains les plus favorables au président républicain afin de lui faire comprendre qu’il ne peut pas librement maltraiter ses alliés. D’habitude plutôt prudente, la Commission, qui gère la politique commerciale de l’Union, se montre cette fois d’une particulière dureté face aux menaces de Trump : « ils vont apprendre à nous connaître », a lancé à la télévision allemande Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen : « nous aimerions avoir une relation raisonnable avec les États-Unis, mais nous ne pouvons pas nous contenter de faire l’autruche ». Et d’ajouter ironique : « nous pouvons être aussi stupides qu’eux »…

Pour autant, la Commission n’a aucune envie de se lancer dans une guerre commerciale qui pourrait vite dégénérer vu l’imprévisibilité du Président américain qui en est déjà à évoquer des contre-rétorsions sur les voitures européennes à des mesures de rétorsion qui n’ont pas été décidées... Comme l’a souligné le Polonais Donald Tusk, le président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, « les guerres commerciales sont mauvaises et faciles à perdre ». « Dans une guerre commerciale (…) personne ne gagne », a confirmé Christine Lagarde, la patronne du FMI, au micro de RTL : « si le commerce international était remis en cause par des mesures de ce type, ce serait un canal de transmission d’une baisse de la croissance, d’une baisse des échanges et ce serait redoutable ».

Personne, en Europe, n’a oublié que « la course au protectionnisme qui a suivi la crise de 1929 a aggravé la dépression avant d’aboutir à une guerre mondiale », comme le rappelle l’eurodéputé socialiste Édouard Martin, lui-même ancien sidérurgiste. « Nous ne voulons pas marcher vers la guerre commerciale comme des « Funambules », pour reprendre le titre du livre racontant la marche inconsciente vers la Première Guerre mondiale », dit-on à la Commission : la dureté européenne est donc surtout un signal envoyé aux contre-pouvoirs américains afin qu’ils freinent l’hôte de la Maison-Blanche.

Une dureté soigneusement dosée au demeurant : en 2017, l’Union a exporté vers les États-Unis 14 milliards d’euros de produits en acier et en aluminium dont 6,4 milliards seront affectés par les taxes américaines. Or, seulement 2,8 milliards de produits made in US seraient touchés par les contre-mesures européennes. Pourquoi ? Pour rester dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Edouard Martin souligne aussi que l’Union serait en réalité « impactée à la marge puisque seulement un million de tonnes sur les 180 que l’on consomme seraient concernées par les taxes américaines, essentiellement de l’acier et de l’aluminium produits par les Allemands ».

Le plus étrange dans cette affaire est que les taxes américaines vont se tromper de cible : « pendant que les États-Unis se fâchent avec leurs alliés, les Chinois se marrent en mangeant du pop corn », ironise-t-on à Bruxelles. Car, si les prix de l’acier et de l’aluminium sont bas, ce qui est catastrophique pour une sidérurgie américaine qui est depuis longtemps en capilotade, c’est à cause de la surproduction chinoise qui inonde le marché mondial. Mais Pékin exporte très peu d’acier aux États-Unis. L’Union souffre infiniment plus que les Américains. Ce n’est pas pour rien que, depuis quelques années, elle protège son marché contre les vrais fauteurs de trouble : sur 53 mesures anti-dumping en place, 27 vise les produits chinois… Comme l’a reconnu Christine Lagarde, « d’une certaine manière, Donald Trump a quelques bonnes raisons de protester contre la situation actuelle (…) des pays dans le monde (ne respectant) pas forcément les accords de l’OMC ». Mais, comme d’habitude, le président américain pour régler un problème réel utilise la mauvaise arme au risque de déclencher un chaos mondial. D’où l’avertissement européen.

N.B.: article paru dans Libération du 8 mars

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Italie: l'impossible réforme de l'Union

mer, 07/03/2018 - 20:10

Mon analyse des conséquences du scrutin italien pour les projets européens d’Emmanuel Macron est ici. Bonne lecture!

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Selmayrgate: la Commission reconnait avoir menti

mer, 07/03/2018 - 14:10

Mis à jour ce mardi

Photomontage emprunté aux Grecques, un groupe de «bas fonctionnaires» qui fait profession de se moquer des travers de l’UE

C’est officiel : la Commission a menti à la presse. Depuis que j’ai révélé que Martin Selmayr avait été nommé secrétaire général de l’exécutif européen, le 21 février, en tordant, si ce n’est en violant, le statut des fonctionnaires européens, le service du porte-parole (SPP) a soit refusé de répondre aux questions des journalistes en affirmant que la procédure avait été suivie « religieusement », soit livré des demi-vérités, soit carrément menti.

Ainsi, mardi dernier, Alexander Winterstein, le porte-parole adjoint de la Commission, a affirmé qu’il y avait « plusieurs candidats » au poste de secrétaire général adjoint, la première étape qui a mené le chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen, au poste de secrétaire général. Pressé par les journalistes, il a ensuite précisé « moins de quatre ». Puis enfin, « deux ». Selon mes informations, il n’y avait effectivement qu’une autre candidate, car il fallait que ce soit une femme pour que l’appel à candidatures soit clôturé valablement. Mieux, il s’agissait de Clara Martinez, la cheffe adjointe de cabinet de Selmayr. Autant dire qu’il s’agissait d’une candidature bidon. Ce que j’ai confirmé samedi, en révélant qu’elle avait même retiré sa candidature dès l’appel d’offres terminé. Aujourd’hui, par un courriel envoyé à quelques-uns de mes collègues, le SPP, le reconnaît désormais officiellement : « je confirme que le second candidat a retiré sa candidature avant la fin de la procédure et qu’il ne s’est donc pas entretenu avec le commissaire Oettinger », le commissaire responsable de l’administration.

Un mensonge, c’est déjà d’une gravité extrême puisqu’une administration publique doit rendre des comptes aux citoyens, être transparente et respecter scrupuleusement l’esprit et la lettre de ses règles de fonctionnement. Ce mensonge délibéré ne peut créer qu’une forte défiance à l’égard d’une administration qui se considère au-dessus des lois.

Pire : selon l’un de mes collègues d’un grand quotidien allemand, le SPP a encore été plus loin dans l’infox (c’est mieux que fake news). Une porte-parole lui a montré un projet de procès-verbal de la réunion du collège des commissaires du 21 février, celui-là même qui a promu deux fois en une minute Selmayr. Ce document provisoire affirmait que les commissaires auraient « comparé les mérites des candidats » au poste de secrétaire général adjoint ! Ce qui pénalement est un faux en écriture publique. Il est d’ailleurs pour le moins curieux que ce PV ne soit toujours pas finalisé.

Autre mensonge du SPP: la semaine dernière, Alexander Winterstein affirmait que c’était Selmayr qui avait choisi la procédure « longue » pour être nommé secrétaire général (c’est-à-dire en passant par la case secrétaire général adjoint) puisque selon lui, il aurait pu être directement parachuté dans le poste en tant que chef de cabinet depuis deux ans (ce qui est faux, comme je l’ai montré dans mes articles précédents). Lundi, Margaritis Schinas a affirmé que c’est le commissaire Oettinger en charge de l’administration qui a choisi la procédure, ce qui est tout aussi faux: c’est le 20 février au soir qu’il a découvert que Selmayr était candidat lorsqu’il s’est présenté dans son bureau pour l’entretien préalable absolument incontournable!

On mesure là à quel point le petit groupe de hauts fonctionnaires qui dépendent de Selmayr a totalement perdu pied avec la réalité.

Ce midi, lors du point de presse, j’ai posé toute une série de questions complémentaires sur cette affaire : aucune n’a obtenu de réponse et je ne parle même pas des leçons de morale auxquelles j’ai eu droit (c’est ici). Néanmoins, poussé dans ses retranchements, Margaritis Schinas, le porte-parole de Jean-Claude Juncker, a au moins reconnu que ce ne sont pas les États qui décideront si les anciens commissaires bénéficieront d’une voiture avec chauffeur, d’un bureau et de deux assistants, mais la Commission seule… Il avait tenté auparavant de discréditer mes révélations de samedi en mélangeant sciemment l’indemnité de transition avec ces avantages en nature !

Seul le Parlement européen peut ramener à la raison le bateau ivre qu’est devenue la Commission : les Verts, la gauche radicale de la GUE, les eurosceptiques de l’ECR et, désormais, les libéraux ont demandé l’inscription du cas Selmayr à l’ordre du jour de la session plénière qui aura lieu la semaine prochaine. Les socialistes ont décidé ce mardi soir d’appuyer cette motion. Au sein même du PPE, beaucoup de députés s’étranglent devant l’arrogance et le mépris affiché par Juncker dans cette affaire.

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Selmayrgate: une commission en coupe réglée

dim, 04/03/2018 - 11:29

L’extraordinaire silence des commissaires européens devant le véritable coup d’Etat réalisé par Martin Selmayr a peut-être une explication sonnante et trébuchante. Le tout nouveau secrétaire général de la Commission et chef de cabinet de facto de Jean-Claude Juncker, le président de l’institution, est, en effet, en train de mettre la dernière main à un projet améliorant fortement le statut des commissaires sortants, à 20 mois de la fin de la Commission Juncker. Dès lors, pourquoi prendre le risque de mordre la main qui va vous nourrir ?

Des commissaires sortants grassement rémunérés

Selon nos informations, « l’indemnité de transition » serait versée durant trois ou cinq ans et non plus deux comme c’est le cas depuis 2016. Cette indemnité, qui va de 40 à 65 % du salaire de base selon la durée des fonctions antérieures, soit un minimum compris entre 8400€ et 13.500€ par mois, s’ajoute à la prime de réinstallation correspondant à un mois de salaire. Surtout, à ces sommes, s’ajouteront une série d’avantages en nature: un bureau à la Commission (jusque-là, seuls les anciens présidents y avaient droit), une voiture de fonction avec chauffeur et deux assistants. Grâce à cette manipulation, un ancien commissaire recevra en réalité le double, si ce n’est le triple, de ce qu’il perçoit actuellement, sans compter que les moyens mis à sa disposition ne seront pas imposés. Si l’allongement de la durée d’indemnisation (ou son augmentation) nécessite l’accord du Conseil des ministres (où siègent les Etats), ce n’est pas le cas des avantages en nature qui dépendent du budget de la Commission.

L’idée, noble a priori, est de décourager les conflits d’intérêts, les anciens commissaires ayant une propension, pour rester poli, à accepter des emplois dans des secteurs qu’ils supervisaient afin de mettre du beurre dans les épinards. Faut-il rappeler le cas de José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission (2004-2014) passé avec armes et bagages chez Goldman Sachs ? Le problème est que cela va coûter cher aux contribuables européens et que l’usage de ces moyens par les ex-commissaires ne seront pas contrôlés.

Une manœuvre d’ensemble

Ce projet n’arrive évidemment pas à maturité par hasard au moment où Selmayr prend le pouvoir à Bruxelles. Il faut savoir qu’il est préparé par la directrice générale chargée de la fonction publique, la Grecque Irène Souka, et qu’il devra recevoir l’accord du nouveau secrétaire général. Or Souka a vu ses fonctions prolongées au-delà de l’âge de la retraite, le 21 février (tout comme celles de son mari, le directeur général à l’énergie, le Français Dominique Ristori), le jour même où Martin Selmayr était promu secrétaire général adjoint puis secrétaire général dans la même minute, une manœuvre qui n’a pu réussir qu’avec son soutien… Beaucoup au sein de la Commission voient là une manœuvre globale visant à assurer une prise de pouvoir sans remous.

Clara Martinez a retiré sa candidature

Je suis aussi en mesure de révéler que la seule autre candidate au poste de secrétaire générale adjointe, Clara Martinez, l’adjointe de Selmayr devenue cheffe de cabinet de Juncker, a retiré sa candidature dès la clôture de l’appel à candidatures lancé fin janvier (avis préalable n° 10-2018 du Comité consultatif des nominations). En effet, pour qu’il soit valable, il fallait deux candidatures au minimum, dont une femme. A défaut, la procédure aurait été interrompue. Une fois l’appel à candidature clôturé, en revanche, tant pis s’il ne reste qu’un seul candidat dans la course…

Mieux, la nouvelle ligne de défense de la Commission consistant à affirmer que Selmayr, comme chef de cabinet depuis plus de deux, aurait pu directement être nommé secrétaire général sans passer par la case secrétaire général adjoint ne tient juridiquement absolument pas la route. D’une part, parce qu’il n’y a dans ce cas aucune raison de se lancer dans un appel à candidatures totalement bidon. Mais surtout parce que la règle interne instituée par Selmayr lui-même le jour de la prise de fonction de la Commission Juncker, le 1er novembre 2014, qui prévoit que le chef de cabinet d’un commissaire a rang de directeur général, n’a aucune valeur légale.

Eviter l’interférence des Etats

En effet, elle ne figure pas dans le statut de la fonction publique européenne, adopté par le Parlement européen et le Conseil des ministres. En réalité, il s’agit d’une règle à usage interne permettant d’affirmer l’autorité des chefs de cabinet, pas d’un changement de leur fonction ou de leur grade. Ce qui veut dire que Selmayr n’était bien que directeur (une fonction qu’il n’a exercée qu’une journée en 2014) de grade AD 15 (promotion à titre personnel et non lié à sa fonction politique de chef de cabinet en 2017) et non directeur général. Or, la mutation sans procédure d’un fonctionnaire«ne peut avoir lieu qu’à un emploi de son groupe de fonction correspondant à son grade» précise l’article 7 du statut. En clair, il faut à la fois avoir à la fois la fonction ET le grade pour être muté d’une direction générale à une autre, ce qui n’était pas le cas de Selmayr qui n’était que directeur et AD15 alors qu’un secrétaire général ne peut être qu’AD16, le plus haut grade de la fonction publique européenne. D’où la nécessité de passer par la case « secrétaire général adjoint » afin d’avoir la bonne fonction et grade. Ou alors, il aurait fallu attendre qu’Alexander Italianer, le secrétaire général sortant, démissionne, que son poste soit publié, que Selmayr et d’autres postulent, que la procédure se déroule et qu’il soit finalement désigné par le collège des commissaires. Une telle promotion aurait alors été inattaquable.

C’est exactement ce que voulait éviter Selmayr afin de prévenir toute interférence des Etats. Comme il ne s’agissait que d’un poste de secrétaire général adjoint, aucune alerte n’a été lancée, le poste n’étant pas jugé stratégique. La procédure bidon de nomination qui a duré moins de 15 jours, suivi par la démission d’Italianer et la nomination éclair de Selmayr a empéché les 28 de réagir…

Juncker sous surveillance

Selmayr n’a pas perdu de temps pour assoir son pouvoir. Jeudi matin, jour de sa prise de fonctions, il a adressé à l’ensemble des fonctionnaires de la Commission une lettre en anglais, en français et en allemand, une démarche sans précédent et clairement présidentielle. Il y annonce notamment que sous sa férule, le secrétariat général ne contentera pas « d’être la machine à faire tourner notre institution, mais (sera) le cœur et l’âme de notre commission » alors que l’on croyait que c’était le collège des commissaires. Mieux, selon le site Contexte, il s’apprête à opérer d’important travaux d’aménagements afin que son bureau soit situé à côté de celui de Juncker, alors que le secrétariat général est pour l’instant dans une autre aile du Berlaymont, le bâtiment en étoile de la Commission. Et, selon mes informations, il a l’intention de continuer à présider les réunions du cabinet du président, confirmant ainsi que Martinez n’est qu’une marionnette… Bref, Juncker est sous surveillance.

Pire: toujours selon nos informations, il veut placer sous sa tutelle le service juridique qui était jusque-là indépendant et nommer à sa tête l’une de ses créatures, la désormais célèbre Clara Martinez, en lieu et place du DG actuel Luis Romero qui est proche de l’âge de la retraite. C’est comme si le gouvernement français soumettait le Conseil d’Etat (qui a un rôle de conseil juridique dans le processus législatif) à son autorité. En clair, les avis juridiques de la Commission, gardienne des traités européens, ne seraient plus indépendants, mais soumis au contrôle préalable du seul Selmayr. Pourquoi vouloir ainsi démolir la Commission dans son rôle essentiel? Sans doute pour «acheter» certaines capitales, dont Paris ou Rome, qui n’aiment guère recevoir des injonctions à respecter le droit communautaire. Autrement dit, Selmayr est prêt à affaiblir la Commission pour rester en place. C’est dire s’il est «fédéraliste européen» comme il le proclame.

Malaise des eurocrates

A l’intérieur de l’institution, un vent de révolte souffle, et c’est une première. Les eurocrates se sentent humiliés devant cette absence de respect des règles et, surtout, ont conscience que cela affaiblit la Commission : « comment aller expliquer à l’Etat grec qu’il faut mettre en place des règles transparentes dans le recrutement des fonctionnaires alors que nous faisons le contraire », se désole un fonctionnaire. Cet épisode « met en évidence une opacité complète dans une institution en charge de la transparence », a déclaré au quotidien belge des affaires, l’Echo, Franklin Dehousse, ancien juge belge au Tribunal de l’Union européenne : « il détruit la confiance des fonctionnaires dans les procédures. Enfin, cette nomination accentue l’impression que les institutions européennes deviennent de plus en plus un protectorat de l’Allemagne » qui occupent désormais presque tous les postes de commande.

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Le Parlement européen s'empare du "Selmayrgate"

jeu, 01/03/2018 - 00:20

A gauche, Alexander Italianer, à droite Martin Selmayr

C’est demain que Martin Selmayr va prendre officiellement ses fonctions de secrétaire général de la Commission en lieu et place du démissionné Alexander Italianer. Mais le site internet de l’exécutif européen a été mis à jour sans attendre, comme s’il s’agissait, en affichant le fait accompli, de se rassurer. Il faut dire que le bateau tangue gravement, ce que le Raspoutine de la Commission n’avait manifestement pas anticipé. Ainsi la Commission du contrôle budgétaire (cocobu) du Parlement européen, à l’initiative des Verts allemands, a décidé, en fin d’après-midi, de lancer une enquête sur cette nomination controversée.

Interdiction des parachutages à géométrie variable

Elle va avoir du travail. De nouveaux éléments troublants continuent à apparaitre qui montrent que les procédures internes ont été tordues à l’extrême limite de la légalité au seul bénéfice de cet Allemand de 47 ans qui va de facto rester chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, un cumul de postes sans précédent. Ainsi, le syndicat Renouveau et démocratie, l’une des organisations de fonctionnaires européens, a rappelé que le 30 janvier 2017, Selmayr (en accord avec Alexander Italianer) avait édicté de nouvelles règles visant à empêcher les parachutages de membres de cabinet dans les Directions générales qu’ils supervisent, une pratique bien établie au sein de la Commission. « Ces pratiques sont démotivantes pour le reste du personnel qui n’est pas promu avec la même rapidité que les membres de cabinet », affirmait crânement la note diffusée à l’époque. Une parole d’expert, vu la carrière météorite de l’habitué des cabinets –et des promotions indiciaires - qu’est le chef de cabinet…

Mais dès février 2017 (et non novembre 2017 comme le croit le syndicat) Selmayr, lors d’une réunion des chefs de cabinet des commissaires, fait marche arrière : l’interdiction des parachutages ne concernera pas « les membres des cabinets du président et des vice-présidents étant donné qu’ils n’ont pas la responsabilité directe d’une direction générale, mais une responsabilité horizontale de coordination couvrant plusieurs portefeuilles et directions générales » et elle sera limitée aux « postes d’encadrement supérieur ». Or, contrairement à ce qu’il affirme, le président de la Commission a une autorité directe sur quatre directions générales : le secrétariat général, le service juridique, la communication et la sécurité… Autant dire qu’il préparait déjà son propre parachutage au secrétariat général. On mesure l’élégance du personnage qui modifie les règles en fonction de ses propres intérêts personnels…

Procédure truquée

Par ailleurs, plusieurs de mes collègues qui enquêtent sur cette affaire ont obtenu confirmation de ce que je révélais hier : la seconde candidate au poste de secrétaire général adjointe était bien sa cheffe adjointe de cabinet, Clara Martinez Alberola. Cela montre bien que la procédure était truquée dès le départ, puisqu’il ne s’agissait que d’une candidature de façade destinée à valider l’appel à candidatures du 31 janvier (lire mon post précédent). Mieux, hier, lors du point de presse de midi, le porte-parole de la Commission, Alexander Winterstein a indiqué à plusieurs reprises que c’est Selmayr lui-même qui a choisi sa procédure de nomination au poste de secrétaire général, car un chef de cabinet ayant rang de directeur général, il pouvait être désigné directement secrétaire général sans passer par le stade de secrétaire général adjoint. Une nouvelle ligne de défense intéressante puisqu’il n’est nulle part indiqué qu’un chef de cabinet est dispensé de la procédure de recrutement (dans ce cas, autant la supprimer purement et simplement). Surtout, cela montre que Selmayr était certain depuis longtemps d’être nommé secrétaire général et que tout le reste n’est qu’habillage…

Climat de crainte généralisée

Toujours dans la même veine, Renouveau et Démocratie affirme que les trois DG démis de leur fonction le 21 février, parce qu’ils déplaisaient à Selmayr, Jos Delbeke DG à l’action pour le climat, Michel Servoz, DG emploi et Robert-Jan Smits, DG recherche, n’ont appris que la veille au soir qu’ils devraient dégager leur bureau d’ici le 28 février pour faire de la place aux amis de Selmayr… Comme l’affirme le syndicat,il s’agit là d’un « signal très clair pour ins­taurer un climat de crainte généralisée absolument inacceptable au sein de notre institution ». Car il ne fait aucun doute que les promotions de copains vont se succéder à un rythme effréné.

Autant dire que l’ambiance est délétère à Bruxelles. Selmayr qui espérait que son petit « golpe », évidemment couvert par Jean-Claude Juncker, passerait sans coup férir en est pour ses frais. L’homme est politiquement mort : le futur président de la Commission ne pourra pas le garder à ce poste, sauf à se déconsidérer d’entrée de jeu en apparaissant comme une simple marionnette de l’ambitieux Allemand. Il n’a échappé à personne que Michel Barnier, le monsieur Brexit de la Commission donné comme possible successeur de Juncker, a rendu un hommage appuyé à Alexander Italianer, le secrétaire général sortant, alors que la question ne lui avait pas été posée. Un avertissement ?

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Martin Selmayr: "opération nuit et brouillard"

mer, 28/02/2018 - 15:58

« Circulez il n’y a rien à voir ». Longuement interrogé hier et aujourd’hui, le porte-parole adjoint de la Commission, l’Autrichien Alexander Winsterstein, soumis au feu roulant de la presse internationale, n’a pas hésité à affirmer, avec une arrogance toute eurocratique, qu’elle faisait « fausse route » en osant s’interroger sur les conditions de la nomination de Martin Selmayr, le chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen, au poste de secrétaire général de la Commission, LA tour de contrôle de l’institution. Pour ce porte-parole, « toutes les procédures légales et administratives en vigueur » ont été suivies à la lettre. Ce n’est pas l’avis de plusieurs députés européens, notamment allemands : le vert Sven Giegold n’hésite pas à qualifier cette nomination « d’opération nuit et brouillard » et réclame une enquête du Parlement. « Cette procédure n’a rien à voir avec une procédure équitable, ouverte et transparente », surenchérit Jens Geier, chef des députés des socio-démocrates au Parlement européen. « Selmayr a organisé l’appareil politique de Juncker depuis des années. Cet acte de gratitude le hisse à un joli poste où il pourra survivre à la disparition de Juncker », a-t-il déclaré l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Les médias internationaux sont à l’unisson. Ambiance.

Un débat de neuf minutes

Rappelons les faits tels que l’on peut les reconstituer : à la fin de l’année dernière, le poste de secrétaire général adjoint de la Commission va se libérer, sa titulaire, la Grecque Praskevi (dite Vivi) Michou étant candidate au poste de directrice générale « Affaires intérieures ». À sa grande surprise, elle obtient très rapidement sa promotion le 31 janvier avec effet au 1er mars. Martin Selmayr lui explique qu’il a besoin d’elle pour s’occuper du projet de règlement de Dublin IV (pays responsable du traitement des demandes d’asile) qui s’enlise au Conseil des ministres (l’instance où siègent les États). Le 21 février, le collège des 28 commissaires nomme, sur proposition de Juncker, Selmayr secrétaire général adjoint. Puis le président de l’exécutif annonce que le secrétaire général actuel, le Néerlandais Alexander Italianer, démissionne (il est nommé dans la foulée conseiller hors classe, un placard très doré) et propose de le remplacer par Selmayr dès le 1er mars (date de l’entrée en fonction de Vivi Michou). Ce qui est fait. Le tout a pris moins d’une minute.

Alexander Winterstein n’a pas hésité à affirmer que le collège avait « débattu longuement » de cette promotion express sans précédent dans l’histoire de l’institution. Pourtant, la réunion a commencé à 9h30 et le communiqué convoquant une conférence de presse pour 10h30 a été envoyé à 9h39, ce qui montre l’intensité du « débat ». Surtout, comment Selmayr a-t-il pu être nommé secrétaire général alors qu’il n’avait pas la fonction suffisante (qui doit être séparée du grade qui détermine la rémunération), même s’il est chef de cabinet, un poste politique : il faut au minimum être directeur général adjoint (DGA) ou directeur général (DG), le top management. Or, Selmayr n’est que directeur.

Promotions express

C’est la Commission alors dirigée par José Manuel Barroso qui l’a promu à cette fonction le 18 juin 2014, alors que Selmayr est en congé de l’institution depuis le mois de mars pour mener la campagne victorieuse de Jean-Claude Juncker aux élections européennes et qu’il se prépare à prendre la tête de son cabinet. Qu’importe ! À la suite d’une manœuvre de Viviane Reding, la commissaire chargée de la justice, dont il a dirigé le cabinet entre 2009 et 2014 (il a été son porte-parole de 2004 à 2009), il est propulsé directeur pour l’Union auprès de la BERD à Londres alors que tout le monde sait qu’il n’occupera jamais ce poste. À cette occasion, il grimpe au grade de AD 14 (ils vont jusqu’à 16) avec un salaire de 15.000€.

Mais ça n’est pas l’argent qui motive Selmayr ou pas seulement : comme chef de cabinet, il bénéficie d’un grade AD15 temporaire (jusqu’à 17.000 euros), grade qu’il se fera attribuer à titre permanent en 2017. Il prépare en réalité son prochain mouvement. Lorsque Vivi Michou est nommée directrice générale, le 31 janvier donc, le poste de secrétaire général adjoint se libère. Il est alors publié et Selmayr se porte candidat. Normalement, la procédure de sélection est longue afin de garantir la transparence : oral devant un panel de présélection, établissement d’une short list par un Comité consultatif des nominations (CCN), examen des compétences par un consultant extérieur (Mercuri Urval), retour devant le CCN, entretien avec le commissaire chargé de la fonction publique européenne et enfin nomination par le collège des 28 commissaires. Là, en moins de trois semaines l’affaire est réglée : selon Winterstein, le consultant extérieur l’entend le 15 février et le CCN le 16. Et le commissaire en charge de la fonction publique, l’Allemand Gunther Oettinger, s’entretient avec lui le mardi 20 février en fin d’après-midi, moins de 30 minutes. Les autres commissaires découvriront le pôt aux roses le lendemain, quelques minutes avant les journalistes.

Deux candidats, dont un bidon

Combien de personnes se sont portées candidates pour ce poste de secrétaire général adjoint ? « Moins de quatre » a d’abord répondu Winstenstein. Mais pressé par les journalistes, il reconnaîtra finalement qu’il n’y en avait que deux, sans que l’on sache qui était la seconde, car il s’agit de « données privées ». Deux, dont au moins une femme, c’est le nombre minimum, sinon le poste ne pouvait être pourvu. Selon mes informations, il s’agirait de l’Espagnole Clara Martinez Alberola, l’actuelle cheffe adjointe de cabinet de Juncker et ancienne du cabinet de Barroso (nommée «conseillère principale» en juin 2014, dans le même train de promotions que Selmayr...) qui va prendre sa succession jeudi,avant, toujours selon nos informations, d’être nommée à la tête d’une direction générale à la fin de l’année. Autrement dit, il s’agirait d’une candidature purement formelle afin de permettre à Selmayr d’être nommé dans les règles…

Encore plus curieux, la promotion éclair de Selmayr du poste de secrétaire général adjoint à celui de secrétaire général : là, aucune procédure n’a été suivie, comme a dû le reconnaître la Commission. « Mais on peut choisir un secrétaire général parmi le groupe des DGA et des DG soit en suivant la procédure normale, soit en déplaçant un DGA ou un DG dans l’intérêt du service », selon Winsterstein. Or, « vu l’importance de la fonction, nous faisons tout pour qu’il n’y ait pas de vacance ». Le problème est qu’un tel choix n’est pas prévu par le statut de la fonction publique et qu’Italianer n’a pas atteint l’âge de la retraite : âgé de 61 ans, il reste d’ailleurs à la Commission. Il était donc parfaitement possible de le laisser en place quelques mois, le temps de suivre la procédure normale. Mais, manifestement, il était hors de question de prendre le moindre risque, notamment en laissant les États s’en mêler. De fait, le poste était promis à un Français, les Allemands étant déjà surreprésentés dans les institutions : secrétariat général du Parlement européen et du service européen d’action extérieur, présidence de la Banque européenne d’investissement et du Mécanisme européen de solidarité…

Bref, les règles ont été tordues au maximum au bénéfice d’un Selmayr qui a su utiliser les commissaires qu’il a servis pour s’autopromouvoir. Entré à la Commission en 2004 au grade de AD 7, il sera promu avec une régularité métronomique tous les deux ans, ce qui est un exploit : le statut exige au minimum deux ans dans un grade, la moyenne étant en réalité de 3 à 5 ans. Or, en 2014, il est déjà AD 12, le maximum possible vu sa date d’entrée, ce qui est déjà un exploit sans précédent. Barroso et Reding lui donneront alors un coup de pouce en le propulsant AD14 et directeur, ce qui lui ouvre les portes du secrétariat général. Il veillera à nommer à ce poste, lors du départ à la retraite de l’Irlandaise Catherine Day, Italianer, un fonctionnaire peu combatif qui ne se fera pas prier pour dégager le moment venu. En 14 ans, Selmayr aura donc gravi, lui et la petite clique qui lui est fidèle, tous les échelons du pouvoir.

L’exécutif européen est désormais à sa botte. Le plus inquiétant est qu’il n’y ait eu aucun commissaire qui ait eu le courage de faire obstacle à cette irrésistible ascension. Juncker voulait une « Commission politique ». Elle n’a jamais été aussi technocratique.

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L'administration européenne, le vrai pouvoir européen

lun, 19/02/2018 - 17:53

Ma dernière chronique dans «La faute à l’Europe» sur France Info télé est consacré au pouvoir des eurocrates à Bruxelles.

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Listes transnationales: comment le PPE s'est allié aux eurosceptiques pour les torpiller

jeu, 08/02/2018 - 20:58

Déception à l’Elysée : le Parlement européen, réuni en plénière à Strasbourg, a voté mercredi, à une forte majorité de 368 voix contre 274, contre la création de «listes transnationales» lors des élections européennes, une idée défendue avec passion par Emmanuel Macron. «La France continuera à défendre cette idée dans les mois et années à venir, car elle contribuerait à renforcer la démocratie européenne en créant un débat sur des enjeux européens et non strictement nationaux», a immédiatement réagi l’Elysée. C’est la droite du Parti populaire européen (PPE), alliée pour l’occasion aux eurosceptiques (dont les conservateurs britanniques, qui ne seront pourtant plus là lors des élections européennes de mai 2019), aux europhobes et à une partie des députés d’Europe centrale et orientale et d’Europe du Nord allergiques à toute intégration européenne supplémentaire, qui a infligé ce camouflet au chef de l’Etat français, alors que la commission des affaires constitutionnelles du Parlement en avait validé le principe à une large majorité. Cette alliance de circonstance entre un PPE pourtant dominé par la CDU d’Angela Merkel – qui semble avoir de plus en plus de difficultés à contrôler ses troupes – et les eurosceptiques obéit à de purs calculs politiciens.

Clou

Même s’il n’était question d’affecter à ces listes transnationales que 27 des 73 sièges laissés vacants par les Britanniques le 31 mars 2019, les conservateurs redoutaient que le futur président de la Commission ne soit obligatoirement issu de ce contingent, qu’il ne dominerait pas forcément. En effet, le système imposé par le Parlement européen en 2014 prévoit que la tête de la liste arrivée en tête lors de l’élection européenne soit automatiquement propulsée à la présidence de l’exécutif bruxellois. Or en l’état actuel du rapport de forces politiques dans l’Union, c’est le PPE qui arrivera en tête en 2019 et sans doute pour longtemps encore… Le seul moyen de contrer ce quasi-monopole du PPE, et donc au final de la CDU-CSU allemande, sur l’un des principaux postes européens, est donc de créer une liste transnationale (chaque citoyen européen disposant alors de deux voix, une nationale, une européenne) qui pourrait parfaitement placer en tête un candidat qui ne serait pas issu d’une des grandes familles européennes. Par exemple LREM. Un cauchemar pour les apparatchiks du PPE qui ont préféré s’allier à tous les anti-européens et refuser un pas de plus dans l’intégration communautaire plutôt que de perdre la main.

Le Parlement européen, pour bien enfoncer le clou, a lancé un avertissement au chef de l’Etat français lequel n’a pas caché que, faute de listes transnationales, il militerait pour que les chefs d’Etat et de gouvernement nomment à la majorité qualifiée le président de la Commission, comme avant 2014. Car, pour Macron, le système actuel n’a aucune légitimité démocratique, la tête de liste étant désignée par un parti politique sans même être obligée de se présenter aux élections européennes, comme ce qui fut le cas pour Jean-Claude Juncker, l’actuel président de la Commission. Dans une résolution, ils ont donc prévenu que, dans un tel cas, ils voteraient systématiquement contre le candidat présenté s’il n’était pas la tête de la liste arrivée en tête. Même si le Parlement issu des élections de 2019 ne sera pas celui qui a adopté cette résolution, il ne fait guère de doute que les futurs élus et surtout les partis politiques européens refuseront de se laisser dépouiller d’une partie essentielle de leurs pouvoirs…

Charge

Lot de consolation pour Macron : la France obtient dans l’affaire cinq sièges de députés européens supplémentaires, la représentation française passant de 74 à 79. En effet, les 73 sièges (sur 751) que les députés britanniques occupent deviendront vacants le 31 mars 2019 : si, en bonne logique, le nombre d’eurodéputés aurait dû passer de 751 à 678, le Parlement a préféré utiliser une partie de ces sièges pour corriger les déséquilibres les plus scandaleux dans la représentation des citoyens européens.

Cette proposition du Parlement doit désormais être adoptée à l’unanimité des Etats membres en juin. Emmanuel Macron en profitera sans doute pour revenir à la charge sur les listes transnationales même s’il a peu de chance de triompher.

Photo: REUTERS/Charles Platiau

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Que faire des sièges des 73 eurodéputés britanniques?

mar, 06/02/2018 - 18:15

Ma dernière chronique dans «La faute à l’Europe», sur France Info télé.

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