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Selmayrgate: la Commission envoie paître la médiatrice européenne

mar, 04/09/2018 - 18:00

Comme on pouvait s’y attendre, la Commission a envoyé paitre la médiatrice européenne comme elle l’avait fait avec le Parlement européen, ce qui montre que l’exécutif communautaire est désormais hors de tout contrôle démocratique. Alors que le rapport d’Emily O’Reilly accuse Juncker et ses commissaires d’avoir violé l’Etat de droit (lire mon précédent article), elle se « félicite », dans un communiqué publié à midi, que « la Médiatrice – après une analyse détaillée des quelques 11 000 pages (1) qui lui ont été fournies – ne conteste ni la légalité de la procédure de nomination du Secrétaire général, ni le choix du candidat, décrit comme un «fonctionnaire européen compétent, très engagé au service de l’UE» ». On reste sans voix devant un tel déni de réalité: manifestement, la Commission n’a pas vu qu’elle était soupçonnée de corruption, «d’arbitraire» et de «prévarication».

Clairement, ni la Commission ni aucun commissaire ne veulent tirer la leçon politique de ce scandale. Dans n’importe quelle démocratie, une magouille de cette ampleur aurait au moins abouti à la démission du fonctionnaire mis en cause. Mais Selmayr s’étant emparé de tous les leviers du pouvoir et aucun commissaire n’ayant le courage de s’opposer à lui (les commissaires libéraux et socialistes, comme le Français Pierre Moscovici, sont manifestement terrés dans les caves du Berlaymont), l’affaire en restera là. D’autant plus que le Parlement européen a laissé passer sa chance en avril dernier en renonçant à censurer ce collège.

Plus étonnant est le silence des gouvernements. Car le Selmayrgate montre la faillite de l’Etat PPE (le parti conservateur européen) dont Juncker et Selmayr sont les créatures. L’occasion est donc belle pour les socialistes, les libéraux et même les populistes de commencer la campagne des Européennes de mai prochain en dénonçant la corruption de l’Etat PPE. En outre, Emmanuel Macron, le président français, qui ne veut plus du système des Spitzenkandidaten, tient là une occasion en or de montrer qu’il a accouché d’une Commission non pas politique, mais encore plus technocratique. Et pourtant, rien.

Cette atonie, qui contraste avec ce qui s’est passé avec l’affaire Cresson en 98-99, montre qu’en réalité plus personne ne croit à la possibilité d’une Europe politique et que les magouilles bruxelloises de quelques fonctionnaires et politiques à la semi-retraite n’intéressent plus grand monde. Juncker, qui fut un grand Européen, a définitivement loupé sa sortie. C’était bien la « Commission de la dernière chance », comme il l’a prophétisé en 2014, mais c’est lui-même qui l’a laissé passer. Terrible leg à l’histoire.

(1) 11000 pages pour nommer un fonctionnaire ? La bureaucratie est vraiment une valeur européenne.

Catégories: Union européenne

Selmayrgate: la médiatrice européenne enfonce le clou

mar, 04/09/2018 - 10:33

La médiatrice européenne enfonce un clou supplémentaire dans le cercueil de Jean-Claude Juncker et de la Commission qu’il préside. Saisie par des députés européens, notamment les socialistes français, l’Irlandaise Emily O’Reilly estime, dans une recommandation rendue publique ce matin, que la promotion, le 21 février 2018, de Martin Selmayr, le chef de cabinet du président de l’exécutif européen au poste de secrétaire général de la Commission, le plus haut poste administratif à Bruxelles, a violé à la fois « l’esprit et la lettre » du statut de la fonction publique européenne, la procédure ayant été « manipulée ».

« Il a quelque chose d’ironique » dans cette magouille technocratique, note pince-sans-rire, Emily O’Reilly, « le président Juncker (ayant) été le premier président de commission élu en vertu du processus démocratique des « SpitzenKandidaten » », la tête de la liste arrivée en tête aux élections européennes étant automatiquement élue président, justement « pour contrecarre l’idée que l’Union européenne est dirigée par des fonctionnaires non élus ». De fait, la recommandation de 39 pages, qui confirme l’ensemble des révélations de Libération, est un véritable réquisitoire contre une Commission qui semble être tombée entre les mains d’un eurocrate peu scrupuleux.

Le travail des services du médiateur européen, dont les bureaux sont à Strasbourg, s’est déroulé dans des conditions pour le moins hostiles : pour avoir accès aux documents demandés, les enquêteurs ont été obligés de répéter à de multiples reprises leurs requêtes, de laisser leur smartphone à l’extérieur de la pièce où ils étaient consultables et de travailler sous la surveillance constante d’un vigile… Néanmoins, ils ont réussi à reconstituer quasiment heure par heure le processus qui a permis à Martin Selmayr d’organiser sa promotion à un poste auquel il ne pouvait être directement nommé, n’ayant pas la fonction administrative suffisante, et surtout pour éviter que quiconque puisse se mettre sur son chemin.

Tout part de la décision (volontaire ou pas, on ne le saura jamais) du secrétaire général sortant, le Néerlandais Alexander Italianer, de prendre sa retraite le 1ermars 2018, alors même qu’il n’occupe ce poste que depuis septembre 2015 et qu’il n’a que 61 ans. Une décision connue seulement de Juncker et de Selmayr et gardée secrète jusqu’au bout. Ce sont ces deux hommes qui décident fin 2017 que le meilleur candidat pour succéder à Italianer est justement Selmayr en personne… Reste à organiser cette promotion en l’habillant légalement.

Le 31 janvier 2018, la Grecque Parasquevi Michou, secrétaire générale adjointe (SGA), est opportunément nommée, à la suite d’une procédure expresse, directrice générale (DG) pour les migrations et les affaires intérieures avec effet au… 1ermars. Un délai pour le moins étrange, note la médiatrice : puisque rien ne pressait, pourquoi ne pas l’avoir nommé le 21 février suivant, en même temps qu’était annoncée toute une série de nominations, dont celle de Selmayr ? Plus choquant : le commissaire chargé des migrations et des affaires intérieures, Dimitris Avramopoulos, étant lui-même Grec ne pouvait avoir comme DG quelqu’un de sa nationalité comme le prévoit une règle interne à la Commission. « En 14 ans et plus de 100 directeurs généraux nommés », note la médiatrice, la règle n’a jamais été enfreinte. Sauf le 31 janvier. Pire : l’un des membres du « Comité consultatif des nominations » (CCN), chargé de donner son avis sur la promotion de Michou, n’est autre que Selmayr en personne, ce qui constitue un « conflit d’intérêts » direct puisqu’il sait que la promotion de Michou est nécessaire pour qu’il puisse concourir sur son poste. En effet, le passage par la case « secrétaire général adjoint » est nécessaire, car il n’est que « conseilleur principal », une fonction insuffisante pour devenir directement secrétaire général : seuls les directeurs généraux, les directeurs généraux adjoints (et donc les secrétaires généraux adjoints) peuvent être promus à un tel poste.

Selmayr se porte donc candidat dans la foulée de la promotion de Michou. Il n’y a qu’une autre candidate, en l’occurrence Clara Martinez, la cheffe de cabinet adjointe de Selmayr (la médiatrice ne la nomme pas). Ce qui tombe bien : il faut, pour clore l’appel à candidatures, au minimum deux candidatures, dont une femme. La veille de la réunion du collège du 21 février, qui doit nommer le nouveau SGA, Clara Martinez retire sa candidature. Quelques heures après, Selmayr a, selon la procédure, un entretien avec Juncker et Gunther Oettinger, le commissaire chargé de l’administration, au terme duquel il est confirmé qu’il sera nommé le lendemain SGA.

Lorsque les commissaires arrivent en réunion, le mercredi matin, aucun d’eux ne sait que le secrétaire général sortant allait démissionner et Selmayr lui succéder. L’affaire est vite bouclée : les commissaires acceptent que le chef de cabinet devienne SGA, Italianer annonce sa démission avec effet au 1ermars à la surprise feinte de Juncker qui propose alors de nommer le nouveau promu Selmayr au poste de secrétaire général afin d’éviter toute vacance. Et voilà. Le problème est que toute la procédure a été, comme on l’a vu, manipulée. La médiatrice a même mis la main sur un document préparatoire à la réunion du 21 février, écrit 10 minutes avant que Martinez n’annonce sa décision de se retirer, dans lequel il est expliqué que Juncker propose le « SGA Martin Selmayr » au poste de secrétaire général… La médiatrice estime au passage que la non-publication du poste de secrétaire général, ce qui a empêché toute autre candidature, est contraire à toutes les règles de la fonction publique européenne.

Pour la médiatrice, « aucune raison valide n’explique le secret qui a entouré le départ à la retraite de M. Italianer » si ce n’est d’assurer que personne ne viendrait contrecarrer la nomination de Selmayr et pour créer un « sentiment d’urgence artificiel » empêchant les commissaires de comprendre ce qui se passait. Emily O’Reilly estime même que les capacités de Selmayr peuvent être interrogées : le procès-verbal du collège justifie, en effet, sa nomination par la « contribution remarquable » qu’il a apporté à la campagne électorale de Juncker et à son action en tant que chef de cabinet, ce qui « ne constitue pas une base » pour le recruter… Elle note enfin que Selmayr semble ne pas avoir renoncé à diriger le cabinet de Juncker depuis sa promotion, une situation profondément anormale et malsaine selon elle.

La médiatrice prend soin d’épingler l’ensemble de la Commission : « le collège des commissaires est collectivement responsable de la mauvaise administration dans cette affaire. Il est surprenant qu’aucun commissaire n’ait remis en question la procédure de nomination du secrétaire général » alors que la manipulation se déroulait sous leurs yeux. Le SelmayrGate emportera-t-il la Commission Juncker même si la médiatrice, dont ce n’est pas le rôle, ne demande aucune démission? En mars 1999, une telle mise en cause avait poussé la Commission, alors présidée par Jacques Santer, à la démission : un comité d’experts indépendants avait, en effet, estimé que les commissaires avaient été incapables de contrôler leur administration, ce qui avait notamment permis à la commissaire française, Édith Cresson, de distribuer plusieurs emplois fictifs (une affaire déjà révélée par Libération). Mais l’indifférence totale affichée par la Commission Juncker à la résolution du Parlement européen du 18 avril dernier qualifiant la nomination de Selmayr de « coup de force » et demandant une réouverture de la procédure montre que les temps ont changé. Pour le pire : depuis, la Commission a nommé deux secrétaires générales adjointes au terme d’une procédure tout aussi manipulée.

Catégories: Union européenne

Donald Trump démontre que les Etats-Unis sont bien la seule hyper-puissance de la planète

ven, 10/08/2018 - 13:08

Donald Trump fait la démonstration, jour après jour, que les États-Unis restent la seule hyperpuissance en ce début de XXIe siècle. Le « monde multipolaire » que certains ont cru voir émerger après les fiascos afghan et irakien et la montée en puissance de l’Union européenne, de la Chine, de l’Inde ou du Brésil, se révèle pour ce qu’il est, un mirage. C’est même l’élection d’un président isolationniste à la Maison-Blanche qui montre, de façon totalement contre-intuitive, que l’Amérique reste, et restera pour longtemps, la puissance autour de laquelle le monde s’ordonne. La dénonciation, en mai, de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 et l’entrée en vigueur, mardi, d’une première salve de sanctions américaines (la seconde touchant le pétrole et le gaz suivra en novembre) contre Téhéran en fournit la démonstration.

Même si toutes les parties engagées dans l’accord iranien, l’Union, la Russie et la Chine affirment leur volonté de le sauver et leur « détermination à protéger les opérateurs économiques européens engagés dans des affaires légitimes avec l’Iran », selon les mots d’un communiqué européen, en réalité, tout le monde s’apprête à se plier à l’embargo décidé par Washington faute d’avoir les moyens de se couper du marché américain. En dépit des exhortations iraniennes contre Washington. « L’Amérique a constamment zigzagué, personne ne peut lui faire confiance», a déclaré mercredi le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif.

En effet, les États-Unis imposent unilatéralement leur droit au reste de la planète sans que celle-ci puisse y faire grand-chose : en clair, toute entreprise, tout État qui violerait l’embargo sera sanctionné par la justice américaine, comme BNP-Paribas, par exemple, en a fait la douloureuse expérience. Comme l’a rappelé Trump mardi matin dans l’un de ses célèbres tweet (majuscules d’origines), « quiconque fait des affaires avec l’Iran ne fera PAS d’affaires avec les États-Unis ». Tout aussi direct, l’ambassadeur américain à Berlin a enjoint aux entreprises allemandes de ne plus commercer avec l’Iran puisque « M. Trump en a ainsi décidé ».

Bref, sauf à se retirer totalement des États-Unis, qui reste la première puissance économique, financière, diplomatique, militaire du monde, les entreprises étrangères n’ont pas d’autre choix que de se retirer d’Iran, ce qu’ont déjà fait Siemens, Daimler, Airbus, Total, PSA, Renault, Maersketc… Il en ira de même pour les banques qui ne pourront plus assurer des transactions avec l’Iran en utilisant des dollars, même s’il s’agit d’entreprises n’ayant aucun intérêt aux États-Unis.

En riposte à cet unilatéralisme illégal au regard du droit international, l’Union a certes réactivé mardi son règlement dit de « blocage » de 1996 qui n’a jusqu’à présent jamais servi. En substance, il interdit aux entreprises européennes, sauf dérogation accordée par la Commission, de se plier à l’embargo américain sous peine de sanctions « dissuasives et proportionnées ». Il leur ouvre aussi un droit à indemnisation : si elles sont sanctionnées aux États-Unis, elles pourront poursuivre le gouvernement américain devant la justice des États membres. Enfin, toute décision judiciaire américaine fondée sur ces sanctions sera privée d’effet sur le territoire européen.

Un tel dispositif qui semble très dissuasif à première lecture n’a en réalité aucune chance de s’appliquer, faute de volonté politique des États membres et des institutions communautaires. Car cela suppose d’entrer dans une véritable guerre contre les États-Unis. Imagine-t-on Total ou Daimler poursuivre le gouvernement américain et les États saisir les biens américains en Europe pour indemniser leurs entreprises ? Imagine-t-on même la Commission sanctionner Siemens ou Airbus ?

Déjà, on a pu toucher du doigt la détermination de l’Union sur le front commercial ouvert par Trump. Si elle a tenu bon sur l’acier et l’aluminium, imposant des mesures de rétorsions sur une série de produits américains, le front européen a explosé lorsque Trump a menacé de taxer les importations d’automobiles européennes (comprenez allemandes) : aussitôt, Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen, accompagné de son fidèle second, l’Allemand Martin Selmayr, s’est rendu à Washington pour faire droit aux revendications américaines. L’Union va donc s’engager dans une négociation commerciale sur les sujets qui intéressent les Américains sans avoir obtenu la suspension des droits de douane sur l’acier et l’aluminium et sans aucune assurance que les automobiles échapperont à des surtaxes si les négociations n’aboutissent pas au résultat espéré par Trump. C’est ce qui s’appelle négocier avec un pistolet sur la tempe, ce que les Européens avaient « fermement » écarté dans un premier temps…

Face à la brutalité américaine, l’Union n’est pas seule à capituler : la Russie a beau inciter « la communauté internationale » à ne pas « accepter que des réussistes importantes d’une diplomatie multilérales soient sacrifiées par la volonté américaine de régler ses comptes avec l’Iran », elle pliera elle-aussi devant Washington, comme le montre le retrait annoncé d’Iran du russe Lukoil… La Chine elle-même ne remplacera pas les Européens ou les Russes de peur de se voir priver de son principal marché à l’exportation.

L’Union qui a cru, après l’élection de Trump, qu’elle pourrait devenir, avec la Chine, l’ancre d’un nouvel ordre mondial doit déchanter. Les États-Unis ont les moyens, et pour de longues années encore, d’ordonner ou plutôt de désordonner le monde sans en référer à quiconque.

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 9 août

Photo: DR

Catégories: Union européenne

Le gouvernement belge installe un péage à l'entrée des sommets européens

dim, 05/08/2018 - 17:10

«Chez ces gens-là, monsieur, on ne pense pas […], on compte.» Quoi de plus adapté que de convoquer Jacques Brel pour décrire la dernière initiative du gouvernement belge, qui n’a rien trouvé de mieux que d’imposer, à compter de la rentrée, un péage de 50 euros par semestre à l’entrée des Conseils européens, soit 100 euros par an. Pour l’instant. On ne sait pas si les chefs d’Etat et de gouvernement devront s’acquitter de cette taxe, mais les diplomates, le personnel de service et surtout les journalistes, s’ils veulent avoir leur badge d’accès, devront passer à la caisse.

Pour le gouvernement dirigé par Charles Michel, il s’agit de faire supporter une partie des coûts de la sécurité des sommets européens qui incombent, pour l’instant, à la seule Belgique. Sachant qu’il y a en moyenne 1 300 journalistes et techniciens présents, cela représente la modique somme de 65 000 euros par semestre, 80 000 euros au grand maximum en comptant toutes les personnes imposées.

Il n’est venu à l’idée de personne qu’un tel péage, institué par une loi entrée en vigueur le 1er juin, constituait une atteinte à la liberté de la presse, comme l’ont aussitôt dénoncé l’Association générale des journalistes professionnels de Belgique et l’Association de la presse internationale : exiger des médias qu’ils payent pour pouvoir exercer leur métier est si énorme, et sans précédent dans une démocratie libérale, qu’on ne comprend pas comment une telle décision a pu être prise par les autorités belges. La Commission européenne, qui d’habitude sait se montrer compréhensive à l’égard du «pays hôte», a tapé du poing sur la table : «Cette loi belge ne nous plaît pas», a tancé Mina Andreeva, l’une des porte-parole de l’exécutif européen, qui a fait un appel du pied aux médias pour qu’ils portent plainte : «Les journalistes doivent pouvoir faire leur travail dans les meilleures conditions possibles.»

L’affaire est d’autant plus incompréhensible que c’est l’Etat belge qui a tout fait pour attirer à Bruxelles les institutions communautaires, et qui bataille encore pour que le siège du Parlement européen soit transféré dans sa capitale. Il sait tout le bénéfice qu’il en tire : la présence européenne pèse près de 15 % du PIB de la région de Bruxelles-Capitale. En comparaison, les coûts de la sécurité sont minimes. Le gouvernement de Charles Michel aurait aussi pu en demander la prise en charge par le budget communautaire si son pays en est à quelques dizaines de milliers d’euros près…

Cette taxe, au fond, est peut-être un signal adressé à l’UE : la Belgique ne voudrait plus de cette encombrante présence. Elle en a le droit. D’autres lieux sont possibles : rappelons qu’en 1957, il avait été envisagé d’installer le siège de l’Europe à Nice. Soulageons la Belgique de ces coûts sécuritaires iniques et déménageons au bord de la Méditerranée !

N.B.: édito paru dans Libération du 3 août.

Photo: DR

Catégories: Union européenne

Juncker, au service de BMW

lun, 30/07/2018 - 17:33

« C’est un grand jour pour l’Europe », s’est rengorgé Alexander Winterstein, l’un des porte-paroles de la Commission. Pour lui, l’affaire est entendue : Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen, a réussi, mercredi, lors de sa rencontre à Washington avec Donald Trump, à convaincre le président américain de ne pas taxer les importations de voitures européennes et est ainsi parvenu à éviter une guerre commerciale totale, et ce, au prix de concessions mineures. Un revirement pour le moins étonnant de la part d’un homme qui rangeait l’Union au rang des ennemis des États-Unis il y a quelques jours encore. Tellement étonnant que l’on peut se demander ce qui s’est réellement passé à Washington : pour éviter une guerre, Juncker n’aurait-il pas cédé beaucoup sans aucune garantie en retour ?

Jusque-là, l’Union s’était montrée unie face aux coups de menton de Trump, n’hésitant pas à déclencher des mesures de rétorsion après l’imposition de droits de douane élevés sur l’acier (25 %) et l’aluminium (10 %) européen. Mais le président américain, en menaçant de s’attaquer aux importations automobiles, a touché une corde sensible en Allemagne. En effet, pour l’essentiel, les importations européennes aux États-Unis sont en fait des importations allemandes. D’ailleurs, à Paris, on s’inquiétait depuis plusieurs semaines de la détermination de Berlin à résister à Trump...

Or l’accord obtenu par Juncker (et négocié par l’Allemand Martin Selmayr, son chef de cabinet, secrétaire général et sherpa, proche de la CDU, et l’Américain Laurence Kudlow) ressemble davantage à une capitulation qu’à une négociation d’égal à égal. En effet, les tarifs frappant l’acier et l’aluminium européen ne sont pas levés, l’administration américaine se contentant de promettre qu’elle ne frappera pas les automobiles d’un droit de douane de 25 %(contre 12 % actuellement) tant que les négociations se poursuivront. Des négociations qui devraient porter sur l’élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires (les normes) aux échanges de biens industriels. La Commission s’est aussi engagée à ce que l’Europe achète « massivement », selon Trump, aux Américains du soja et du gaz de schiste (à la fois cher et destructeur de l’environnement). Un engagement pour le moins curieux puisque ce n’est ni de la compétence de la Commission ni de celles des États d’imposer de tels achats aux entreprises ou aux consommateurs et que le soja américain est en grande partie OGM…

Le soulagement, côté allemand, a été immédiat : « cette percée qui peut éviter une guerre commerciale et sauver des millions d’emplois » a ainsi tweeté Peter Almaier, le ministre de l’Économie. À Paris, en revanche, on se montre beaucoup plus circonspect : « une bonne discussion commerciale (…) ne peut se faire sous la pression », a réagi Bruno Le Maire, le ministre des Finances. Ce qui n’est pas précisément le cas, puisque Juncker donne le sentiment de valider la « méthode Trump », celle de la menace et du coup de force.

Comme le note un diplomate, « on a un révolver sur la tempe, puisque les tarifs sur l’automobile peuvent être déclenchés à tout moment si on arrête de négocier ou si Trump n’est pas satisfait ». De même, Bruno Le Maire s’interroge sur la « réciprocité » : dans l’accord négocié par Juncker - alors même que celui-ci n’avait aucun mandat des États pour signer un texte écrit, ce qui pose un sérieux problème démocratique — il n’est fait nulle part mention des sujets européens, notamment celui de l’accès aux marchés publics américains protégés par le « Buy american act ». En revanche, les normes européennes (environnementales, sanitaires, techniques, etc.) semblent faire partie de la future négociation, ce qui pour le moins préoccupant. Enfin, l’accord de Paris sur le climat n’est pas mentionné, pas plus que l’extraterritorialité du droit américain qui va empêcher les entreprises européennes de commercer avec l’Iran...

Certes, pour entamer une véritable négociation, il faudra un mandat des Etats. Mais c’est là le piège tendu par le tandem Juncker-Selmayr: si un pays bloque, par exemple la France, il se désignera comme l’ennemi des Américains. Une position inconfortable en temps normal, totalement suicidaire avec Trump qui pourrait cibler ce pays. Autrement dit, la Commission a réussi a briser l’unité européenne et veut obliger les Vingt-sept à entrer dans une négociation dont ils risquent fort d’être les grands perdants. Bref, beaucoup se demandent à quel jeu joue la commission, si ce n’est celui des constructeurs automobiles allemands.

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 26 juillet.

Catégories: Union européenne

Juncker est-il encore physiquement capable de diriger la Commission?

jeu, 19/07/2018 - 10:21

Il y a comme une atmosphère de fin de règne brejnévien à Bruxelles. Comme au temps de l’ancienne URSS, le sommet de l’appareil bureaucratique européen fait corps pour dissimuler l’évidence, la grave dégradation de l’état de santé du dirigeant suprême, en l’occurrence Jean-Claude Juncker, de peur que l’ouverture prématurée de la succession ne remette en cause leurs privilèges...

Les images capturées par les télévisions jeudi soir 12 juillet à l’occasion du diner de gala du sommet de l’OTAN, à Bruxelles, ont mis la Commission européenne en difficulté. On y voit Jean-Claude Juncker, son président, incapable de monter les quelques marches menant au podium de la « photo de famille ». Tel un vieillard qu’il n’est pas (il a 63 ans), on le voit hésiter au bas des marches avant d’être solidement empoigné par ses partenaires, dont le très costaud Ukrainien Petro Porochenko, puis solidement maintenu debout durant la cérémonie. Après avoir été quasiment porté en bas du podium, on le voit tituber et marcher péniblement, quasiment porté par le Néerlandais Mark Rutte et le Portugais Antonio Costa. Interrogé sur sa prestation titubante à l’issue du sommet, Juncker a expliqué qu’il souffrait d’une « sciatique » à éclipses. C’est depuis l’explication officielle.

Et gare à tous ceux qui osent la mettre en doute : c’est de « l’indécence », selon Viviane Reding, députée européenne, ancienne commissaire luxembourgeoise et marraine politique du tout puissant allemand Martin Selmayr, le très contesté secrétaire général-chef de cabinet-sherpa du président de la Commission. « La façon dont certains médias cherchent à exploiter la douleur physique du président Juncker pour en faire des titres insultants est plus qu’indélicate », surenchérit son porte-parole, Margaritis Schinas. Circulez, il n’y a rien à voir.

Le problème est que l’explication « sciatique » ne tient pas vraiment la route. Juncker n’avait pas l’air de souffrir : durant toute sa pénible prestation, il a souri, s’est amusé, a ri, parlé et embrassé ses partenaires à son habitude. Or une crise aigüe de sciatique vous cloue au lit. Mais peut-être était-il sous l’emprise d’analgésiques puissants ? Selon plusieurs sources, Juncker était de fait en fauteuil roulant lorsque les photographes et les télévisions n’étaient pas là et il n’a même pris la parole durant le diner alors que les enjeux du sommet avec Trump étaient vitaux pour l’Europe… Le problème est que les mêmes témoins affirment que Juncker a copieusement bu durant le repas, ce qui est totalement contre-indiqué quand on prend des analgésiques. En admettant même qu’il souffre d’une sciatique, comment a-t-il pu se rendre quelques jours plus tard en Chine et au Japon ? Une sciatique rend un tel voyage difficilement envisageable sauf à supposer chez Juncker « une force morale hors du commun, une capacité à supporter la souffrance pour le bien de l’Europe », s’amuse un diplomate.

En réalité, ce qui est en cause ici, c’est l’alcoolisme de Juncker, un secret de Polichinelle, même s’il s’en défend. «J’ai un problème d’équilibre avec ma jambe gauche », nous a-t-il confié, « qui m’oblige à m’agripper à la rampe lorsque je suis dans un escalier. Un ministre néerlandais, que j’avais attrapé par le bras après un déjeuner, a raconté que j’étais ivre. Ce problème remonte à un grave accident de voiture. En 1989, j’ai passé trois semaines dans le coma, puis six mois dans une chaise roulante.» Néanmoins les sources sont très nombreuses, à la fois au Luxembourg, à Bruxelles et dans les capitales européennes qui décrivent un Juncker porté sur la bouteille: « lorsqu’un huissier lui apporte un verre d’eau lors d’un conseil des ministres, on savait tous que c’était du gin », raconte un ancien ministre. L’ancien président de l’Eurogroupe, le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem, n’a pas hésité à décrire, à la télévision néerlandaise, un Luxembourgeois souvent ivre lors des Eurogroupes. De son côté, le Français Pierre Moscovici, actuel commissaire européen et ancien ministre des Finances, reconnait délicatement que l’alcool ingéré « n’a jamais empêché Juncker d’être fonctionnel ». Tout le monde se souvient encore du sommet de Riga de 2015 lorsqu’il s’est donné en spectacle sous l’oeil des caméras du monde entier, accueillant le Hongrois Viktor Orban d’un « tiens, voilà le dictateur », embrassant le Belge Charles Michel sur le crâne ou encore demandant à la cantonade: « qui c’est celui-là? »… Mais comme les dirigeants ne sont pas soumis à des alcootests, on ne saura jamais s’il avait ingéré quelque chose ce jour-là ou avait décidé de se lâcher...

Le problème est que le spectacle offert lors du sommet de l’OTAN a été bien au-delà du folklore d’un Luxembourgeois porté sur la bouteille. On a vu un homme manifestement gravement malade, incapable de se mouvoir seul. Autrement dit, c’est la question de sa capacité à gouverner qui est posée. Ce n’est pas un hasard s’il est devenu totalement dépendant de Martin Selmayr qu’il n’a pas hésité à nommer, en février dernier, secrétaire général de la Commission en violation de toutes les règles de la fonction publique européenne. Pris la main dans le sac, il a même menacé de démissionner si le Parlement européen exigeait le départ de son protégé, une inversion de la causalité politique sans précédent. Le délabrement physique de Juncker conjugué à la puissance de Selmayr indique que le pouvoir a une apparence, le président de la Commission, une réalité, un eurocrate non élu et non responsable.

La démocratie ne peut se contenter de la parole un rien soviétique de Schinas qui affirme qu’il n’y a « aucune inquiétude à se faire quant à la capacité (de Juncker) à travailler dur comme il le fait toujours ». Les doutes sont désormais tels qu’ils imposent une transparence totale, c’est-à-dire un bulletin de santé certifié par le corps médical afin que les Européens sachent qu’ils n’ont pas à leur tête une momie.

N.B.: version française (et un peu plus longue) de l’article écrit pour The Spectator de ce jeudi: https://www.spectator.co.uk/2018/07/jean-claude-drunker/

Dessin: Nicolas Vadot

Mise à jour du 18 juillet: Interrogé ce mercredi, Jean-Claude Juncker a déclaré: «J’avais mercredi dernier une sciatique». «Et en plus, j’avais des crampes dans les jambes», a-t-il ajouté. «J’ai des problèmes de santé qui ne concernent que moi». Il s’est dit «impressionné par l’intérêt que certaines personnes ont pour ces sujets». «Je demande du respect». Une réponse étonnante: la capacité de Juncker à diriger la Commission, surtout après ce qu’a révélé l’affaire Selmayr où il est apparu comme la marionnette d’un eurocrate arrogant, dominateur et sûr de lui (pour paraphraserde Gaulle), est une question légitime. Le «respect» n’a rien à voir dans cette affaire, la démocratie, si.

Catégories: Union européenne

La France, grand frère ennemi de la Belgique (francophone)

mar, 10/07/2018 - 20:16

Il a suffi d’une phrase, une malheureuse phrase d’un commentateur sportif de TF1, pour mettre le feu aux poudres du nationalisme belge. Si la Belgique a battu le Brésil, vendredi, a osé le journaliste, c’est aussi « grâce à l’énorme expérience de Thierry Henry, leur T3 (entraineur adjoint), qui a su trouver les mots justes pour galvaniser les attaquants belges ». Aussitôt, les réseaux sociaux se sont déchainés contre cette nouvelle preuve de l’arrogance française à l’égard du petit frère belge.

Face à ce énième affront (les blagues de Coluche n’en étant qu’un autre exemple), l’humoriste Jérôme de Warzée s’est fendu d’un billet féroce sur sa page Facebook. Extrait : « Afin que l’on n’oublie jamais le rôle prépondérant, que dis-je, vital, qu’a joué la France dans notre succès face au Brésil, n’oublions jamais de remercier…Josette et Victor Duchamps, les boulangers nordistes qui approvisionnaient en pains de mie le club de Lille lorsqu’Eden Hazard y a débuté sa carrière professionnelle. Combien de fois Eden n’a-t-il pas loué le moelleux des ficelles Duchamps ? Nul doute qu’il y trouvât là une force supplémentaire pour le mental de ses prestations futures. …Michel Delpech, c’est en effet sur la chanson ‘’Pour un flirt avec toi’’ que les parents de Thomas Meunier se sont embrassés pour la première fois (…) » Et l’apothéose : « Merci à la France de nous avoir permis de vaincre le Brésil.Juste lui rappeler que d’après les rapports quotidiens que diffuse la NASA depuis des décennies, non, la France n’est pas le centre du monde ». Sous ce texte qui se veut humoristique, près de 4000 commentaires, dont la grande majorité frôle voire sombre dans le racisme antifrançais, le seul qu’on affiche sans complexe outre-Quiévrain. Et qu’importe que Le Soir, quotidien francophone de gauche, n’hésite pas à titrer : « Benjamin Pavard, le plus Belge des Français ».

Pour les Français de Belgique, le match de ce mardi était exactement ce qu’ils redoutaient le plus, la relation d’amour-haine qu’entretiennent les Belges à l’égard de la France étant exacerbée par le nationalisme footballistique. Ainsi, comme le rappelle Jean-Michel Javaux, ancien président d’Ecolo dans La Libre Belgique, « en 1998, trois-quart des Belges francophones soutenaient le Brésil face à la France »… De même, depuis le début de ce mondial, le Soir a souhaité à plusieurs reprises la défaite de l’équipe de France simplement parce que c’est la France et pas parce que c’est une mauvaise équipe, le journal allant jusqu’à consacré deux pages mardi à un article à charge contre la France intitulé: «France-Belgique, on vous aime et vous non plus». Ou encore, le site de la RTBF, la radio-télévision publique francophone, n’a pas hésité, lundi, à gratifier ses lecteurs d’un article ainsi présenté : « Condescendance, accent... cinq raisons pour lesquelles les Belges ne s’entendent pas avec les Français ».

Si l’enthousiasme suscité par les exploits des Diables rouges transcende la barrière linguistique entre néerlandophones (6,5 millions de locuteurs) et francophones (4,5 millions de personnes), le sentiment anti-français est une spécificité essentiellement francophone. « Ils ont une relation à la France plus spécifique que les néerlandophones, la proximité entrainant plus de tensions et un sentiment d’infériorité face au grand voisin », analyse Dave Sinardet, professeur (néerlandophone, mais enseignant en français et en anglais) de sciences-politiques à l’Université libre de Bruxelles. Pourtant, à Bruxelles, enclave francophone en territoire flamand, et en Wallonie, on vit largement à l’heure de la France à tel point que le siège du gouvernement wallon à Namur est surnommé « l’Elysette », que Liège (elle a souhaité être rattachée à la France en 1815 et a reçu la Légion d’honneur pour sa résistance face aux Allemands en 1914…) fête le 14 juillet ou encore que les journaux mettent sur le même plan les programmes télé belges francophones et français (en Flandre, il n’y a que les programmes de la télévision flamande et, en tout petit, des télés néerlandaises). Il est frappant de constater que les francophones connaissent souvent mieux les subtilités de la vie politique hexagonale que les Français eux-mêmes. Ce n’est donc pas un hasard si un Belge francophone qui réussit est, sauf de très rares exceptions, comme les caricaturistes Kroll et Vadot, celui qui est reconnu en France.

Outre les raisons culturelles qui font qu’un espace de 4,5 millions de francophones se sent à la fois ignoré et écrasé par un voisin qui compte 67 millions d’habitants, il y a aussi des explications historiques à cette méfiance atavique que partagent à des degrés divers tous les Belges. D’abord, les anciens Pays-Bas espagnols ont longtemps servi de champ de bataille à la France, qu’elle soit à l’offensive ou en défensive (sous la Révolution française). Ensuite, la Belgique est née en 1830 de la volonté anglaise d’empêcher qu’elle tombe dans l’escarcelle de la France, le port d’Anvers étant considéré comme un pistolet braqué sur le cœur de l’Angleterre.

Autrement dit, le garant de l’existence de la Belgique, c’est le Royaume-Uni, et les ennemis potentiels la France, puis, à partir de 1870, l’Empire allemand, comme le montre le réseau de places fortes construites tant à la frontière allemande dans la région de Liège qu’à la frontière française dans la région de Namur. Entre les deux guerres, la Belgique refera la même erreur : elle proclame unilatéralement sa neutralité en 1936, à la joie de l’Allemagne nazie, et redéploie une partie de ses troupes à la frontière sud pour parer à la « menace » française. C’est cela qui empêchera les alliés de se prépositionner sur le Rhin comme le prévoyait l’accord militaire de 1922. Depuis 1945, la Belgique est devenue farouchement atlantiste, les États-Unis étant perçus comme les meilleurs garants de sa sécurité. Ce n’est pas un hasard si elle se prépare à acheter des avions de combat américains F35 pour remplacer ses vieux F16 au détriment des offres de ses partenaires européens, alors même qu’elle jure vouloir l’Europe de la défense…

Ce mardi soir, une bonne partie de la Belgique espère solder ses comptes avec la France grâce à son équipe de football (dont les joueurs ne peuvent communiquer qu’en anglais, tous n’étant pas bilingues) et ainsi prouver que César avait raison : de tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves (« Horum omnium fortissimi sunt Belgae »).

N.B.: version longue de mon article paru ce matin dans Libération (qui m’a déjà valu pas mal d’insultes belges...)

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Budget 2021-2027 ou l'art, pour la Commission, de prendre ses désirs pour des réalités.

mer, 04/07/2018 - 19:13

La bulle bruxelloise mérite souvent son nom. La Commission européenne en fournit une nouvelle fois la preuve en expliquant à qui veut bien l’entendre qu’elle espère que les 27 États membres adopteront (à l’unanimité) sa proposition de « Cadre financier pluriannuel » (CFP) pour la période 2021-2027 avant les élections européennes du 26 mai 2019. La raison ? Il faudrait, selon elle, conclure la négociation le plus vite possible pour adopter tous les règlements nécessaires afin que le CFP puisse entrer en vigueur le 1erjanvier 2021. Et surtout avant qu’un nouveau Parlement, sans doute plus eurosceptique, ne soit élu. Un souhait qui ne risque pas de se réaliser, tant il est déconnecté de la vie démocratique de l’Union et de celle des États membres.

Passons sur le fait qu’aucun budget pluriannuel n’a jamais été adopté en moins de douze mois. Pis : il a souvent fallu attendre le dernier moment. Ainsi, les États membres se sont mis d’accord sur l’actuel CFP (2014-2020) en…décembre 2013. Or, cette fois, l’exercice est autrement plus difficile, puisque la Commission propose de tailler à la hache dans les deux grandes politiques que sont la politique agricole commune (PAC) et les fonds structurels (aides aux régions défavorisées). En effet, plutôt que de proposer une augmentation du budget pour faire face au Brexit et aux nouvelles politiques de l’Union, elle propose de le maintenir à son niveau actuel (environ 1 % du PIB communautaire) de peur de déplaire à une poignée de radins qui pèsent pourtant peu au regard de la population totale de l’Union (Pays-Bas, Autriche, Suède, Finlande, Danemark).

Imaginer que de telles coupes –que la France et dix-neuf autres pays refusent- pourront être actées en moins d’un an, c’est prendre ses désirs pour des réalités. En outre, le CFP ne vient pas seul puisque la Commission en profite pour proposer de réformer en profondeur la plupart des politiques européennes. Or il faudra du temps pour que les États étudient toutes les implications de ces changements et surtout parviennent à un compromis.

Surtout, la volonté de la Commission de conclure avant les élections montre à quel point elle se fiche comme d’une guigne de la démocratie. Car cela signifierait que le prochain Parlement, à la légitimité toute fraiche, n’aurait absolument pas son mot à dire sur un CFP qui s’appliquera durant 7 ans, c’est-à-dire au-delà de la durée de la législature de 5 ans… En clair, le message adressé aux électeurs sera : « votez, mais cela ne servira pas à grand-chose puisque tout est déjà bouclé pour 7 ans ». Très mobilisateur.

Enfin, le compromis qui sera trouvé au terme de la négociation sera douloureux pour tout ou partie des États membres. Ce qui signifie que les partis qui font partie d’une majorité gouvernementale devront aller à la bataille électorale avec un bilan que leurs adversaires ne manqueront pas d’exploiter. Imagine-t-on En Marche aller aux Européennes avec une réduction de 15 % du budget de la PAC, l’agriculture restant en France un sujet hautement inflammable ? Ou encore le PiS, qui affronte non seulement les Européennes, mais quelques mois plus tard les législatives, devant justifier une baisse importante des fonds structurels dont bénéficie la Pologne ? Autant de contraintes politiques dont personne ne semble avoir conscience à la Commission. Une indication de ce qui va se passer : les chefs d’Etat et de gouvernement, lors de leur sommet des 28 et 29 juin, n’ont même pas discuté du CFP : ils se sont contenté d’en « prendre note »…

Photo: DR

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Migrants: l'Union s'orbanise

lun, 02/07/2018 - 20:42

Il aura fallu 9 heures de négociations aux chefs d’État et de gouvernement réunis à Bruxelles jeudi et vendredi pour parvenir à résoudre, non pas une « crise migratoire », les entrées illégales dans l’Union ayant chuté de 95 % depuis le pic de 2015, mais une « crispation politique », en Italie et en Allemagne, selon les mots d’un proche du chef de l’État. À 4 h 40, vendredi, Emmanuel Macron s’est réjoui, en quittant les bâtiments du Conseil européen, que « toutes les solutions pensées à la va-vite, soit de repli national, soit de trahison de nos principes qui consistaient à repousser les uns ou les autres dans des pays tiers (aient) été explicitement écartées ». Reste que l’accord obtenu hier confirme que l’Union se transforme en une forteresse inexpugnable, comme le réclament les démocraties illibérales d’Europe de l’Est désormais rejointes par l’Autriche, l’Italie et une bonne partie des partis conservateurs européens. C’est le prix à payer pour maintenir la cohésion européenne et l’espace de libre circulation de Schengen.

Le tournant de 2016

Il ne faut pas se tromper : ce tournant a été pris en mars 2016, lors de la conclusion de l’accord Union-Turquie qui a coupé la route des Balkans : contre monnaie sonnante et trébuchante (3 milliards d’euros par an), Ankara a accepté de fermer l’accès à la Méditerranée et de reprendre sur son sol tous ceux qui parviendraient néanmoins à passer. En d’autres termes, les Européens ont sous-traité à Ankara le contrôle de leurs frontières extérieures. En échange, l’Union s’est engagée à accueillir une infime partie des réfugiés statutaires reconnus par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU se trouvant en Turquie (37 000 jusqu’à présent, 45 000 à venir). C’est l’Espagne et le Maroc qui ont inventé ce type d’accord de sous-traitance dans les années 90, ce qui a tari la route de la Méditerranée occidentale.

La seule route qui reste entr’ouverte est celle de la Méditerranée centrale. Entr’ouverte, car l’Italie a conclu des accords avec les tribus libyennes pour qu’elles empêchent les départs, et ce, dans des conditions peu respectueuses des droits de l’homme. Et parce que l’Union aide, de son côté, le HCR et l’OIM (Office internation des Migrations) dans leurs interventions en Libye destinées à empêcher l’embarquement des migrants et à financer les retours (20 000 retours volontaires depuis novembre 2017).

Des plateformes régionales de débarquement

Pour la fermer totalement, l’Union annonce donc qu’elle va non seulement accroitre ses financements, mais qu’elle va aider les gardes-côtes libyens, qui disposent de moyens misérables, à intercepter les départs illégaux. Elle met, au passage, en garde les ONG : pas question qu’elles continuent à intervenir dans les eaux territoriales libyennes. Pour « casser le modèle économique des passeurs » et donc empêcher les départs, l’Union va infiniment plus loin : elle va « étudier » s’il est possible de créer des « plateformes régionales de débarquement » dans les pays tiers (Libye et Tunisie en clair) sous supervision du HCR et de l’OIM dans lesquelles les personnes secourues en mer seraient débarquées. L’idée est d’y effectuer un tri entre demandeurs d’asile et migrants économiques qui, eux, seraient renvoyés dans leurs pays.

Si malgré tout, des étrangers sans papier parvenaient dans les eaux territoriales de l’Union, elles seraient débarquées dans des « centres fermés », rebaptisés dans la nuit de jeudi à vendredi « centres contrôlés », gérés par le HCR et l’OIM avec les moyens de l’Union et des États membres. L’idée est la même que pour les « plates-formes de débarquement », faire le tri entre personnes admises à demander l’asile (10 % en moyenne) et les autres.Les demandes d’asile seront instruites sur place et seuls les réfugiés statutaires seront autorisés à sortir de ces « centres » pour être répartis dans différents pays européens. Le compromis trouvé tient en un mot : volontariat. Seuls les pays « volontaires » créeraient ces centres et la répartition des réfugiés se ferait elle aussi sur une base volontaire et non pas obligatoire comme le prévoyait la réforme du règlement de Dublin sur le pays responsable du traitement d’une demande d’asile que les pays de l’Est bloquent.

Une victoire idéologique pour Orban

Tout le problème est dans la gestion des retours des migrants économiques et des déboutés du droit d’asile qui sont difficiles à mettre en œuvre parce que soit on ne connaît pas la nationalité du migrant, soit son pays d’origine refuse de le reprendre, soit, enfin, le pays tiers dont ils proviennent n’est pas sûr, ce qui est le cas de la Libye. Ainsi, après un pic de 46 % de retour en 2016, celui-ci est retombé à 36,6 % en 2017. L’objectif est de parvenir à 70 %, ce qui semble difficile. C’est pour cette raison, qu’à ce stade, l’Italie et la France excluent d’accueillir de tels centres sur leur sol, seul la Grèce et l’Espagne étant prêtes à le faire… « La France n’est pas un pays de première arrivée », s’est justifié le chef de l’État français. « Certains voulaient nous pousser à cela, je l’ai refusé. Les règles internationales de secours en mer sont claires: c’est le pays le plus proche qui doit être choisi comme port. »

Ce dispositif implique qu’à l’avenir tous les demandeurs d’asile qui auront réussi à prendre la mer et seront interceptés aux frontières extérieures de l’Union resteront enfermés durant toute la durée de l’instruction de la demande d’asile, ce qui évitera les fameux « mouvements secondaires » indisposant tant le ministre de l’Intérieur allemand Horst Seehofer. C’est seulement une fois leur statut reconnu qu’ils seront répartis entre les pays volontaires : l’idée est d’éviter que l’État accueillant ces « centres contrôlés » se retrouve à assumer seul l’ensemble des réfugiés. Bref, l’Union espère bien que ce dispositif, qui a fait ses preuves en Méditerranée orientale, découragera les réfugiés et les migrants de tenter un passage en force. C’est exactement ce que souhaite depuis le départ le Hongrois Viktor Orban qui remporte là une belle victoire idéologique.

N.B.: version longue de mon papier paru dans Libération du 30 juin.

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Langue de béton à la Commission

sam, 30/06/2018 - 14:04

Margaritis Schinas, le porte-parole de la Commission

Le torchon brûle depuis plusieurs mois entre les médias et la Commission européenne. Les incidents en salle de presse, lors du point de presse quotidien organisé à midi par la Commission, sont de plus en plus fréquents au point qu’on peut parler de guerre ouverte.

Le dernier en date remonte au 15 juin. Interrogé sur la volonté du ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, de renvoyer dans le pays de première entrée dans l’Union les demandeurs d’asile se présentant aux frontières allemandes, le porte-parole en titre de la Commission, le Grec Margaritis Schinas, s’est contenté de lire l’article 13 du Règlement de Dublin : « s’il est établi que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ». Ce qui n’est évidemment qu’une réponse très partielle. Pressé de questions, Schinas s’est contenté de répondre qu’il avait déjà répondu...

Un journaliste italien, Lorenzo Consoli, a alors laissé éclater sa colère avant de quitter la salle de presse : « on vous paie pour quoi ? Vous n’apportez aucune réponse. Vous devez nous répondre, vous êtes la Commission. Nous vous demandons ce que signifie l’article 13, bon sang ! (…) Si vous avez peur de répondre parce que vous avez peur de l’Allemagne, vous ne pouvez pas être le porte-parole de la Commission. Qu’est-ce vous foutez ici ! » Réponse agacée de Schinas : « nous apprécions que vous partagiez votre état d’esprit avec nous. J’ai lu l’article 13, vous êtes libre de l’interpréter dans le contexte qui vous convient le mieux, mais je ne le ferais pas ici ». Un comble pour une institution qui est justement chargée de veiller au respect du droit européen. L’affaire ne s’est pas arrêtée là, d’autres journalistes prenant alors le relais contre ce refus de répondre « à des questions légitimes ». C’était tellement spectaculaire que Brut en a fait une vidéo...

Les incidents ont été nombreux ces derniers mois. Ainsi pendant toute la durée de l’affaire Selmayr, la nomination contestée du chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, au poste de secrétaire général, les porte-paroles ont soit refusé de répondre, soit ont sciemment menti. Pour ma part, je me suis fait traiter de « Robespierre » pour avoir osé insister (les vidéos de mes affrontements avec la Commission ont circulé sur Twitter). Au quotidien, la politique de communication est devenue un enfer pour les journalistes, celle-ci ayant à cœur de rendre le plus difficile possible leur travail. Parmi ses méthodes favorites : multiplier les annonces le même jour ou la même semaine pour empêcher les médias de toutes les traiter, distribuer les documents au dernier moment, et de préférence uniquement en anglais, pour que les journalistes ne puissent pas poser les bonnes questions. Le but ? Les contraindre à reprendre le « storytelling » de la Commission.

Le grand ordonnateur de cette politique de « communication » n’est autre que Martin Selmayr, l’âme damnée de Juncker et ci-devant secrétaire-général-chef de cabinet-sherpa. Car tout ce qui se dit en salle de presse doit recevoir l’aval de l’omnipotent Allemand. Il n’hésite pas à envoyer des SMS aux porte-paroles durant le point de presse pour leur dire que répondre aux questions embarrassantes… Et comme c’est un adepte de la langue de béton et du mensonge, le résultat est un exercice digne d’une conférence de presse de Brejnev. L’Association de la presse internationale (API) a rencontré Schinas cette semaine pour se plaindre de ces mauvaise méthodes. La réponse en substance: «nous sommes le meilleur service du porte-parole de l’univers connu, Lorenzo Consoli veut juste faire du Buzz et Quatremer règle des comptes personnels» (lesquels? Mystère). Bref, circuler, il n’y a rien à voir, rien à entendre, rien à dire.

Mais les mauvaises méthodes n’ont qu’un temps : la dernière année du mandat de Juncker s’annonce comme une lente, mais méthodique, descente aux enfers avec plus de 1000 journalistes accrédités lassés d’être ainsi maltraités.

N.B.: sur le même sujet, lisez le papier de mon confrère de Contexte, Jean-Sébastien Lefebvre.

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L'Union à 27 entre fragmentation et différenciation

ven, 29/06/2018 - 16:11

C’est un pugilat annoncé : les 28 chefs d’État et de gouvernement de l’Union qui se retrouvent aujourd’hui et demain à Bruxelles pour leur sommet d’été ne sont en effet d’accord sur aucun des sujets inscrits à l’agenda : la gestion des migrations, bien sûr, champs de bataille imposés par l’extrême-droite italienne et la droite radicale allemande, mais aussi le cadre financier pluriannuel 2021-2027, l’approfondissement de la zone euro ou la défense européenne. Une nouvelle fois, l’Europe apparaît profondément divisée et partant instable et faible alors que l’isolationnisme américain la laisse orpheline sur la scène mondiale. Au fond, les chefs d’État et de gouvernement sont confrontés à une question simple à laquelle ils vont devoir répondre dans les prochains mois : veulent-ils poursuivre l’aventure communautaire et bâtir une « Europe puissance » et « souveraine » comme le souhaite Emmanuel Macron ? Ou le temps du repli national est-il venu ?

Ordralfabétix

L’état des lieux n’est guère encourageant, l’Union donnant un spectacle qui évoque le village d’Asterix après une remarque malencontreuse sur l’odeur dégagée par le poisson d’Ordralfabétix… C’est le dossier des migrants qui a fait exploser la marmite, alors même que la crise migratoire de 2015 est terminée, le nombre d’entrées illégales dans l’Union ne dépassant 50 000 personnes au premier semestre 2018, avec une chute de près de 80 % en Italie. Mais qu’importe : Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien de la Ligue, a saisi l’occasion que lui offrait l’Aquarius et ses 630 rescapés pour donner un coup de menton que son opinion publique a fortement apprécié. La crise s’est envenimée lorsque Horst Seehofer, le ministre de l’intérieur membre de la CSU, l’aile bavaroise très à droite de la CDU, a menacé de renvoyer unilatéralement vers l’Italie tous les étrangers passés par ses ports… « L’Union se retrouve otage de deux débats de politique intérieure », analyse-t-on à l’Élysée. Certes, comme on le reconnaît à Paris, il y a « un sujet migratoire, puisque la pression continuera, que les opinions publiques ont l’impression que les arrivées sont massives et qu’il y a des « mouvements secondaires », c’est-à-dire des étrangers qui passent d’un pays à l’autre pour y chercher un statut ».

Mais, la réalité de la crise qu’affronte l’Union est ailleurs, poursuit-on dans l’entourage du chef de l’État, la question migratoire n’étant que l’acmé d’une « crise politique » plus profonde opposant « démocraties illibérales » ou « démocrature » et démocraties libérales, comme le reconnaît désormais le chef de l’État français. La chute du communisme, en 1989-1990, n’a pas marqué la conversion miracle des anciennes « démocraties populaires » aux vertus de la démocratie et de l’économie de marché contrairement à ce que l’on prévoyait. La plupart des pays de l’Est (hormis les Baltes) ont choisi un autre modèle, celui d’un pouvoir autoritaire fort, mais élu, qui n’hésite pas à remettre en cause les valeurs fondatrices de l’Union, que ce soit l’État de droit, le respect des droits de l’homme et des minorités, l’égalité, la tolérance, la non-discrimination, la solidarité… On le voit sur le plan intérieur, mais aussi sur le plan européen, ces pays rechignant à respecter la norme de droit et revendiquant une solidarité à sens unique, c’est-à-dire à leur profit exclusif. Ainsi la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie ou encore la Tchéquie (le groupe de Visegrad) ont refusé d’accueillir le moindre demandeur d’asile sur leur sol, au nom de la défense de leur pureté ethnique et religieuse, alors que le règlement communautaire de 2016 prévoyant la relocalisation de 160.000 d’entres eux les y obligeait.

La lèpre gagne

Le problème, pour l’Union, est que la « lèpre » populiste, pour reprendre le mot du chef de l’État français, a gagné l’Europe de l’Ouest, l’Autriche et l’Italie ayant même intégré l’extrême-droite dans leur gouvernement en n’hésitant pas à lui confier les clefs de leur ministère de l’intérieur respectif. Pire : en Allemagne, jusque-là bastion réputé imprenable de la démocratie libérale, la CSU a entamé une rapide dérive vers l’extrême-droite de peur de se faire tailler des croupières par l’extrême droite de l’AfD qui a percé aux élections législatives de 2017 sur une thématique xénophobe. Et vu la situation intérieure en France, en Belgique, aux Pays-Bas et dans les pays nordiques, personne ne peut exclure que la « lèpre » gagne une majorité de pays européens. Autant dire que l’Union est confrontée à un défi existentiel, ces forces illibérales étant par essence nationaliste et donc allergique à tout partage de souveraineté.

Mais cette fracture en recouvre bien d’autres, ce qui ne facilite pas la lisibilité des affrontements en cours. Ainsi, les nationalistes sont loin d’être unis. Entre la Ligue qui réclame la solidarité de ses partenaires pour se répartir le fardeau des migrants et les partis frères, au pouvoir ou non, qui ne veulent pas en entendre parler, il n’y a aucune entente possible. Si Horst Seehofer obtient le renvoi des irréguliers en Italie, il va plaire à l’AdfD ou au Fidesz hongrois, pas à la Ligue. De même, la question de la solidarité financière oppose les contributeurs nets au budget européen qui se trouvent tous à l’Ouest aux bénéficiaires nets. Les premiers, parmi lesquels l’Autriche ou la droite de la droite allemande, veulent que le budget diminue pour ne pas avoir à supporter l’impact du Brexit, alors que ceux qui en bénéficient, pour l’essentiel les démocratures d’Europe de l’Est, refusent que les riches mégotent leur soutien, soutien qu’ils refusent pourtant sur le plan migratoire…

Uni dans l’adversité

À vrai dire, les contributeurs nets sont eux-mêmes divisés : la France, mais aussi les pays d’Europe du sud, sont prêts à verser davantage au budget pour financer de nouvelles politiques européennes sans couper dans les politiques classiques, une perspective que refusent les Pays-Bas, l’Autriche et les pays nordiques. Cette coalition des égoïstes se retrouve aussi dans l’approfondissement de la zone euro, 10 pays (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Autriche, Finlande, Malte, Irlande et les Baltes) sur 19 refusant l’idée franco-allemande d’un budget d’investissement qu’en revanche la Slovaquie ou la Slovénie acceptent…

En dépit de ses lignes de fractures qui balafrent l’Union, tel le village d’Astérix face aux Romains, les Européens savent s’unir pour affronter les périls extérieurs. On l’a vu lors de la crise de la zone euro, celle-ci étant sortie singulièrement renforcée, dans des proportions que personne ne croyait possible avant 2010. On l’a vu avec le Brexit : l’Union, non seulement ne s’est pas délitée comme l’espéraient les Brexiteurs, mais elle a présenté un front uni face aux exigences délirantes de Londres. On le voit depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche : sur le climat, le commerce, les relations avec l’Iran ou même la défense, les 28 ont non seulement résisté aux États-Unis, mais contre-attaqué à la grande surprise de Washington. « Même sur les migrants, alors que l’Union n’a pas été créée pour s’occuper de ce type de problème, nous avons géré le problème sur le plan extérieur comme le montre le tarissement des arrivées. Notre problème, c’est sur le plan intérieur », note-t-on à l’Élysée. Dans leur relation au monde, tout se passe comme si les Etats avaient conscience qu’ils étaient plus forts unis.

Différenciation

Bref, aux forces centrifuges intérieures répondent des forces centripètes extérieures. « À 27, l’Union est clairement devenue trop hétérogène et dix ans de crise financière ont accru la méfiance entre les États membres », constate un diplomate européen. « Malgré tout, on continue à avancer, mais en formations différenciées, façon puzzle ». L’idée d’une Europe avançant d’un même pas n’est plus défendue que par la Commission qui n’arrive pas à faire son deuil de l’Europe des six… Même l’idée d’un « noyau dur » où un petit groupe de pays, par exemple la zone euro, appliqueraient toutes les politiques européennes n’est plus crédible comme en témoigne l’évolution des Pays-Bas ou de la Belgique qui se classent désormais parmi les eurosceptiques.

« On va vers une forte différenciation, des accords entre les États qui veulent aller plus loin, comme on le fait dans le domaine de la défense », affirme un proche du chef de l’État français : « mais les 27 continueront à évoluer dans un cadre commun afin d’éviter la fragmentation. Ce cadre, ce sont les valeurs européennes, d’où notre action contre la Pologne, et le marché intérieur, d’où notre refus de faire la moindre concession à la Grande-Bretagne ». Une différenciation qui n’est certes pas nouvelle, comme l’ont montré l’espace Schengen, l’euro ou la défense, mais qui va devenir la règle.

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 28 juin

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Mini-sommet de Bruxelles: fausse crise des migrants, vraie crise politique

mar, 26/06/2018 - 20:25

Seize chefs d’État et de gouvernement de l’Union, dont ceux de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et de l’Espagne, se sont retrouvés dimanche après-midi à Bruxelles, à l’invitation de la Commission, pour tenter de régler une « crise des migrants » qui… n’existe pas. Dès son arrivée, Emmanuel Macron l’a reconnu: la situation aux frontières de l’Union n’a plus rien à voir avec celle du pic de 2015, car les États ont « réussi, par un travail conjoint, à réduire fortement les flux ».

En réalité, l’Europe traverse « une crise politique » a martelé le chef de l’État français, des pays gagnés par la « lèpre » nationaliste, selon les mots qu’il a employés, jeudi à Quimper, saisissant le prétexte des migrants pour s’attaquer au projet européen lui-même : « le défi qui est le notre, c’est le défi qui est lié à la pression politique dans certains États membres », a-t-il insisté hier à Bruxelles. « Certains essaient d’instrumentaliser la situation de l’Europe pour créer une tension politique et jouer avec les peurs ». D’où ce mini-sommet improvisé avec les États intéressés pour tenter de déminer le Conseil européen de jeudi et de vendredi afin qu’il puisse se concentrer sur l’essentiel, l’approfondissement de la zone euro. Opération réussie, selon le chef de l’Etat, même si cette réunion n’a accouché d’aucun texte écrit : « la discussion d’aujourd’hui a permis de réaffirmer nos valeurs » en particulier « la lutte contre les extrêmes ». Reste que si l’Italie et l’Autriche avaient fait le déplacement, le groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie), les durs parmi les durs, est resté à la maison pour marquer son refus de toute solution européenne.

Une montée des tensions qui surprend

La crise a éclaté le 10 juin lorsque le ministre de l’Intérieur italien de la Ligue (extrême-droite), Matteo Salvini, a décidé de fermer les ports de son pays aux migrants sauvés en mer par les ONG. Son collègue allemand, Horst Seehofer, membre de la CSU, la branche bavaroise de la CDU qui se sent menacée par l’extrême-droite de l’AfD avant les élections régionales de l’automne, a annoncé dans la foulée qu’il n’hésiterait pas à faire tomber la chancelière allemande, Angela Merkel, si elle ne durcissait pas sa politique migratoire, notamment en refoulant les migrants entrés via un autre pays de l’Union (ce que l’on appelle les « mouvements secondaires »). Enfin, le chancelier autrichien, le conservateur Sebastian Kurz, qui a remis les clefs du ministère de l’Intérieur aux néo-nazis du FPÖ, a proclamé, pour couronner le tout, la naissance d’un « axe des pays de bonne volonté » contre l’immigration, « axe » constitué, un hasard sans doute, de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie…

C’est peut dire que cette brutale montée des tensions a surpris. Certes, on savait que le fonds de commerce de la Ligue ou du FPÖ était la xénophobie, et qu’ils saisiraient la première occasion pour montrer leurs muscles, mais personne ne s’attendait à ce que la CSU menace de faire tomber Angela Merkel, ce qui met bien plus en péril la stabilité de l’Union que les moulinets de Salvini. Pourquoi une telle surprise ? Tout simplement parce que la politique d’endiguement mise en œuvre par l’Union a parfaitement fonctionné après le pic de 2015 et l’arrivée de plus de 1,26 million de réfugiés syriens, irakiens, afghans, mais aussi de migrants économiques via la Grèce et la route des Balkans. Selon les chiffres que la Commission a transmis aux Etats, au premier semestre 2018, on compte seulement 50.000 entrées illégales dans l’Union, soit, par exemple une chute de 77 % des arrivées en Italie par rapport à 2017. En clair, dans un espace de 500 millions de personnes, cela signifie que le robinet est fermé. « Les solutions européennes ont été efficaces », a martelé Emmanuel Macron à l’issue du mini-sommet.

Des solutions européennes efficaces

Pour y parvenir, l’Union a d’abord conclu un accord avec la Turquie en mars 2016 qui, en échange d’une aide financière de 3 milliards d’euros par an (dont seule une partie a été versée), s’est engagé à fixer sur son sol les réfugiés qui s’y trouvent déjà en grand nombre, et à reprendre ceux qui réussiraient malgré tout à passer en Grèce, la Turquie gagnant au passage ses galons de « pays tiers sûr ». La route des Balkans s’est immédiatement tarie : les arrivées ont diminué de 97% par rapport à 2015. Des accords du même type ont été signés avec la Libye, le Niger et d’autres pays d’Afrique subsaharienne qui reçoivent en échange de leur coopération une aide financière. Là aussi, le résultat a été spectaculaire depuis l’année dernière, l’Aquarius n’étant qu’un épiphénomène : les entrées ont chuté de 77 %.

À ces accords, se sont ajoutés la construction de barrières physiques en Europe, notamment entre la Hongrie, la Serbie et la Croatie (prolongation prévue à la frontière roumaine) ou encore entre la Macédoine du Nord et la Grèce, afin de couper la route des Balkans, et des contrôles renforcés aux frontières intérieures de l’espace Schengen (en particulier à Vintimille entre la France et l’Italie). L’Union a aussi créé un corps de garde-frontières et de garde-côtes européens (1300 personnes plus une réserve de 1500 qui iront appuyer les pays confrontés à des arrivées importantes), une proposition qui était en panne depuis 30 ans : la Commission a proposé de faire passer leur nombre à 10.000 plus une réserve de 1500 à partir de 2021.

Un consensus sur la fermeture des frontières

Autant dire que, sur l’essentiel, les 28 États membres sont d’accord : il n’est pas question d’ouvrir ou de rouvrir les frontières de l’Union à l’immigration. De ce point de vue, la Commission et le Parlement européen qui demandent depuis 20 ans que des canaux légaux d’entrées soient ouverts, l’Europe étant un continent de basse pression démographique qui aura besoin dans les années à venir de travailleurs, n’ont aucune chance d’être entendus. De ce point de vue, Viktor Orban, le Premier ministre hongrois qui revendique sa xénophobie, peut triompher, lui qui a été critiqué pour sa politique brutale en 2015…

La seule question qui, en réalité, est en discussion est celle du droit d’asile. Or, il est lui aussi devenu largement théorique puisque l’Union s’est entourée d’un glacis de pays tiers qui empêche les demandeurs d’asile de venir déposer leur demande, sauf s’ils risquent leur vie pour parvenir sur le vieux continent. Pour couper ce dernier lien, Angela Merkel et Emmanuel Macron ont envisagé, mardi dernier, de créer des « centres » en Afrique du Nord sous contrôle de l’ONU, afin de trier sur place entre ceux qui pourront faire leur demande d’asile et les autres. Ainsi, tous ceux qui arriveraient sur les côtes européennes seront automatiquement considérés comme des migrants économiques et renvoyés.

Le chef de l’État français semble, depuis, avoir affiné sa position, car empêcher un étranger de déposer une demande d’asile en France est tout simplement inconstitutionnel comme il l’a reconnu. D’où sa proposition de déplacer ces centres de tri en Espagne, mais surtout en Italie, comme ils existent déjà en Grèce sous le doux nom de « Hotspot », le tout financé par l’Union. Mais Rome, et ce n’est pas nouveau, ne veut pas en entendre parler, car elle sait qu’elle se retrouverait avec des camps permanents sur son territoire (Macron a évoqué des « centres fermés ») où seraient coincés ceux dont la demande d’asile n’a pas été jugée recevable, mais que l’Union n’arriverait pas à renvoyer dans leur pays faute souvent de connaître leur nationalité ou du refus de leur État de les reprendre. « Si l’arrogance française pense transformer l’Italie en camps de réfugiés pour toute l’Europe, peut-être en versant quelques euros de pourboire, elle se fourvoie complètement » a immédiatement réagi Salvini.

La répartition du «fardeau»

L’autre point de crispation est celui de la répartition du « fardeau » des demandeurs d’asile afin d’éviter les « mouvements secondaires » qui crispent tant l’Allemagne : elle voit, en effet, arriver chez elle tous ceux que l’Italie laisse partir et qui espèrent obtenir plus facilement le statut de réfugié chez elle. L’idée est donc de les répartir d’autorité. Mais voilà : le plan de relocalisation adoptée par l’Union en 2016 (pour une durée de deux ans) de quelques 160.000 demandeurs d’asile se trouvant en Grèce et en Italie est un échec, seuls 35 % ayant été effectivement accueilli dans un pays tiers, la Grande-Bretagne et les pays de Visegrad n’en ayant accueilli aucun… En clair, s’il y a une communauté d’intérêts entre l’Allemagne et l’Italie sur le partage du fardeau, seul moyen d’éviter que les demandeurs d’asile errent d’un pays à l’autre, il n’y en a aucune entre les nationalistes italiens et leurs partenaires autrichien, polonais, hongrois, tchèque ou slovaque qui refusent d’accueillir des étrangers chez eux.

C’est pour cela que la réforme du règlement de Dublin IV sur le pays responsable du traitement d’une demande d’asile n’a aucune chance de voir le jour : la Commission propose en effet que le pays de première entrée reste responsable, sauf en cas d’afflux brutal qui entrainerait une relocalisation obligatoire, un pays ne pouvant s’y soustraire qu’en payant une amende. Et on imagine mal les pays d’Europe de l’Est plier devant la menace de Macron d’une diminution des fonds structurels (aides régionales) pour ceux qui refuseraient cette solidarité migratoire. Devant cet échec annoncé, le ministre allemand de l’Intérieur veut refouler, comme il en a le droit pendant douze mois, les étrangers vers le pays de première entrée, c’est-à-dire en pratique l’Italie, ce dont cette dernière ne veut pas entendre parler. C’est pour contourner ce blocage que Macron évoque la possibilité de conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux entre les Etats afin de se répartir le « fardeau », ce qui éviterait que l’Allemagne ferme ses frontières.

Bref, on n’assiste pas à une bataille entre une Europe ouverte et une Europe fermée, contrairement à ce que voudrait faire croire la France, mais à un affrontement entre égoïsmes nationaux. Ce n’est pas glorieux.

N.B.: version longue de mon article paru le 25 juin

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Dette grecque: un soulagement pour Alexis Tsipras

mar, 26/06/2018 - 17:35

« Nous avons trouvé un accord historique à l’Eurogroupe d’hier (jeudi) sur la dette grecque », s’est félicité ce vendredi Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, qui pour le coup avait mis une cravate (rouge, évidemment) : « une nouvelle page est en train de s’écrire, mais nous ne devons pas pour autant détruire le chemin fait sur les réformes et les efforts budgétaires ». On comprend sa satisfaction : son pays sortira le 20 août du troisième programme d’aide financière européen et s’affranchira donc de huit ans d’une tutelle de fer exercée par la Commission et l’Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances de la zone euro). Et comme cadeau de départ, un nouvel allègement de la dette grecque (178 % du PIB contre 127 % en 2009, au début de la crise) détenue en grande partie (274 milliards d’euros sur 320 milliards) par ses partenaires européens.

L’accord a nécessité une longue réunion, l’Allemagne se faisant une nouvelle fois tirer l’oreille : en pleine crise politique intérieure sur la question des migrants, le gouvernement allemand ne voulait pas donner l’impression de brader « l’argent allemand » en faisant trop de concessions à Athènes. « Les négociations ont été difficiles, reconnaissons-le«, mais »je considère que le problème de la dette grecque est désormais derrière nous », a reconnu le ministre français des Finances, Bruno Le Maire.

En réalité, la question de la charge de la dette ne se pose pas réellement pour la Grèce, puisqu’elle ne rembourse pas la dette détenue par le Mécanisme européen de stabilité (MES), soit l’essentiel, un moratoire sur les intérêts courant jusqu’en 2023 même si elle l’oblige déjà à dégager un excédent budgétaire primaire (hors remboursements des autres emprunts) important pour lui permettre d’y faire face quand elle devra commencer à rembourser (3,5 % jusqu’en 2022 puis 2,2 % en moyenne ensuite). Surtout, les taux d’intérêt sont particulièrement bas (1,5 %) et le remboursement du capital n’interviendra qu’entre 2057 et 2060… C’est pour cela que la charge de la dette grecque ne représente que 2,6 % du PIB, bien moins que pour le Portugal (5%), l’Italie (4,7%) ou l’Irlande (4,1 %).

Dans la nuit de jeudi à vendredi, l’Eurogroupe ont une nouvelle fois convenu d’alléger la charge future de la dette en décidant de prolonger le moratoire jusqu’en 2032 sur 96 milliards des prêts effectués par le MES. Mieux, la maturité de cette tranche de prêt est prolongée de dix ans, soit un remboursement en 2069. Il faut bien voir que ces diverses mesures reviennent à une restructuration en douceur de la dette détenue par les Européens : le capital qui sera remboursé dans 50 ans le sera à sa valeur faciale, ce qui veut dire que, compte d’une inflation qui ne compenseront pas les taux d’intérêt particulièrement bas, le MES ne retrouvera qu’une partie de ses prêts en euros constants… Mieux, un nouveau point sur la dette sera fait en 2032 pour, éventuellement, accorder de nouveaux délais. Enfin, les Dix-neuf se sont entendus sur le versement d’une dernière tranche d’aide de 15 milliards d’euros, contrepartie aux 88 dernières réformes accomplies par la Grèce ces dernières semaines. Sur cette somme, 5,5 milliards sont destinés au service de la dette et 9,5 milliards alimenteront un «matelas financier» de plus de 24 milliards d’euros pour les 22 mois qui suivront sa sortie du programme. En revanche l’idée française d’une indexation des remboursements sur la croissance a été écartée.

Cet ensemble de mesures rend la dette grecque soutenable « à moyen terme » selon Christine Lagarde, la patronne du FMI. « Mais sur le long terme, nous avons des réserves ». À la Grèce désormais de prouver qu’elle a retenu les leçons de cette crise de huit ans particulièrement dévastatrice pour sa population.

Photo: DR

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2010-2018: la Grèce retrouve sa liberté (surveillée)

mar, 26/06/2018 - 14:59

La fin du cauchemar, pour la Grèce et pour ses partenaires, est pour bientôt : le 21 août, Athènes sortira de son troisième programme d’aide européen depuis qu’elle a fait faillite au printemps 2010 et devra se financer à nouveau sur les marchés. Les ministres des Finances de la zone euro se sont retrouvés jeudi soir à Luxembourg pour libérer la dernière tranche d’aide financière promise et pour essayer d’alléger le fardeau de la dette (178 % du PIB), essentiellement détenue par le Mécanisme européen de stabilité (MES) et les États de la zone euro. Mais il n’est pas question de faire de cadeaux à Athènes : elle restera donc sous surveillance pour de longues années, jusqu’au remboursement du dernier euro, afin d’évite que ses comptes publics dérivent à nouveau. En clair, la Grèce va bénéficier d’un régime de semi-liberté.

La Grèce est un cas unique dans la jeune histoire de la zone euro : premier pays à bénéficier d’un plan d’aide de ses partenaires, elle est le dernier pays à en sortir. En effet, l’Irlande (2010-2013), le Portugal (2011-2014) et Chypre (2013-2016) ont tous réussi à se redresser dans le délai imparti, c’est-à-dire en trois ans. Tous ont renoué rapidement avec la croissance, Lisbonne se payant même le luxe, en 2016, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, de rompre avec l’austérité prônée par Bruxelles afin de relancer avec succès son économie.

L’échec de la Grèce à s’affranchir rapidement de la tutelle de Bruxelles a de multiples causes. La première est européenne : jamais la Grèce n’aurait dû entrer dans la zone euro en janvier 2001 : non seulement son économie n’était absolument pas prête à supporter un tel choc, mais elle a menti sur la réalité de son déficit public pour se qualifier, comme elle le reconnaitra elle-même en 2004, un aveu qui restera sans conséquence.Ensuite, au lieu d’achever la construction monétaire, l’Union s’est contentée de vivre sur l’acquis du traité de Maastricht de 1992. Résultat : lorsque la crise financière américaine de 2007-2008 s’est transformée en crise de la dette dans la zone euro, elle n’avait aucun instrument à sa disposition pour la gérer. Elle a donc dû les bricoler dans l’urgence, ce qui a été d’une rare complexité, en particulier parce que l’Allemagne a été particulièrement réticente à aider la Grèce. Mais les ratés ont été nombreux, les institutions européennes n’étant absolument pas équipées pour gérer l’économie d’un pays.

Surtout, elles ont montré une ignorance absolue de ce qu’était la Grèce moderne qui thésaurisait sur son image de « berceau de la démocratie » et qui était parvenue à faire croire qu’elle vivait un « miracle économique ». En réalité, elle a vécu à crédit pendant dix ans en profitant des taux bas procurés par l’euro, un argent facile qui a servi uniquement à soutenir la consommation, et non à investir dans l’économie réelle. En outre, Bruxelles n’a pas voulu voir que l’État grec était corrompu, clientéliste et prévaricateur… Fin 2009, lorsque le nouveau gouvernement socialiste a reconnu que ses prédécesseurs conservateurs avaient divisé par trois le déficit réel, il était trop tard pour enrayer la panique des marchés qui se sont débarrassés à tour de bras de la dette grecque entrainant le pays à la faillite, les taux d’intérêt demandés étant impayables.

Malgré cela, les Européens ont continué à faire confiance à un État largement inexistant pour mener à bien les réformes, ce qu’il était bien incapable de faire. Les politiques grecs ont longtemps refusé de voir la gravité de la situation de leur pays, retardant au maximum les réformes afin de préserver leur clientèle électorale. Ainsi, c’est Antonis Samaras, Premier ministre conservateur, qui a fait dérailler la sortie de la Grèce du second plan d’aide, à la mi-2014, en refusant de poursuivre des réformes pourtant restées largement théoriques en dehors des coupes dans les salaires et les retraites. C’est toute la différence avec l’Irlande, le Portugal ou Chypre doté d’États fonctionnels.

Finalement, c’est Alexis Tsipras, le leader de Syriza, un parti de gauche radicale devenu social-démocrate, parvenu au pouvoir en janvier 2015, qui se montrera le meilleur élève de Bruxelles. Après avoir engagé un bras de fer contre ses partenaires de la zone euro qu’il ne pouvait gagner, la menace d’une sortie de la Grèce de la zone euro ne faisant plus peur à personne, le jeune premier ministre a capitulé en juillet 2015 après avoir gagné un référendum contre l’austérité et a appliqué depuis avec zèle les réformes voulues par l’Eurogroupe.

Si aujourd’hui l’économie va bien, la croissance explose, le chômage se résorbe rapidement, le pays n’est pas encore tiré d’affaire : à partir de 2023, il devra commencer à rembourser l’énorme dette qu’il a contractée auprès de ses partenaires en dégageant sur le long terme un surplus primaire de 3,5 % du PIB (donc avant la charge de la dette) que tous les économistes jugent irréalistes. L’idée est donc de prolonger la durée des prêts de 2059 à 2069 (les taux sont quasiment à zéro). Même si l’Allemagne refuse encore de l’admettre, il faudra bien qu’un jour la zone euro prenne ses pertes si elle veut se débarrasser du « boulet grec » une bonne fois pour toutes et permettre à ce pays de recouvrer sa pleine liberté.

N.B.: article paru dans Libération du 22 juin

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La Commission veut sauver le "soldat" Merkel

ven, 22/06/2018 - 19:24

C’est par un tweet, mercredi 20 juin que Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, a fait savoir qu’il « invitait » « à une réunion de travail informelle sur les sujets des migrations et de l’asile un groupe d’États membres intéressés. Le but de la réunion, qui aura lieu ce dimanche à Bruxelles, est de travailler à des solutions européennes en vue du sommet » des 28 et 29 juin. Parmi les chefs d’États et de gouvernement « tagués » dans le tweet, Emmanuel Macron, Angela Merkel, l’Italien Giuseppe Conte, l’Autrichien Sebastian Kurz, le Grec Alexis Tsipras, le Bulgare Boïko Borissov, le Maltais Joseph Muscat et l’Espagnol Pedro Sanchez. A la suite de cette annonce, le Belge Charles Michel et le Néerlandais Mark Rutte suivi par le Luxembourg, le Danemark, la Suède, la Finlande, la Slovénie et la Croatie ont annoncé qu’ils rejoindraient ce mini-sommet informel, alors que la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie ont fait savoir qu’ils déclinaient l’invitation. Soit 16 pays sur 28.

Une convocation pour le moins étonnante, puisque Juncker préside la Commission et non le Conseil européen. Autrement dit, il court-circuite le Polonais Donald Tusk qui, pourtant, travaille déjà sur le sujet de l’asile et de l’immigration afin de réunir un consensus sur plusieurs points, notamment sur la création de plates-formes d’accueil dans les pays tiers où le tri serait fait entre les demandeurs d’asile admis à venir sur le territoire européen et les autres. La seule autre fois où la Commission s’est risquée à sortir ainsi de ses prérogatives, c’était déjà sur la question des demandeurs d’asile : au plus fort de la crise de 2015, elle avait convoqué, le 25 octobre, un « sommet » pour tenter de fermer la route des Balkans. Mais, cette fois-là, plusieurs États invités étaient non-membres de l’Union: aux côtés de l’Autriche, de l’Allemagne, de la Croatie, de la Bulgarie, de la Grèce, de la Hongrie, de la Roumanie et de la Slovénie, on trouvait en effet l’Albanie, la Macédoine du Nord et la Serbie, ce qui pouvait justifier l’initiative de la Commission, celle-ci étant chargée des relations de voisinage. Cette fois-ci, on se demande quelle mouche l’a piquée.

En réalité, dès que la chancelière allemande est en difficulté, la Commission se plie toujours en quatre pour l’aider. Ni la Grèce ni l’Italie n’ont jamais eu droit à un tel traitement VIP alors qu’ils sont en première ligne depuis des années. Pis, alors que l’Allemagne s’est assise sur la solidarité européenne en décidant seule d’ouvrir ses frontières en 2015, sans que la Commission hausse un sourcil, Athènes et Rome, elles, ont eu droit aux remontrances de Bruxelles pour leurs retards à mettre en place des centres d’accueil permettant de faire le tri entre les arrivants... La Commission a même préparé un projet de conclusions reprenant pour l’essentiel les demandes de la CSU allemande destinées notamment à bloquer les «mouvements secondaires», c’est-à-dire les demandes d’asile d’étrangers qui ne l’ont pas déposé dans le pays de premier accueil comme le prévoit le régalement de Dublin. Ce projet a finalement été abandonné suite aux protestations de l’Italie qui a menacé de ne pas se rendre à Bruxelles, puisqu’on lui demandait en réalité d’assumer seule la charge des migrants...

Cette initiative de Juncker, qui doit son poste aux conservateurs allemands, est d’autant plus baroque qu’il n’y a pas de « crise des migrants », le nombre d’arrivées en Europe ayant retrouvé son niveau d’avant 2015 (-77% en Italie par rapport à l’année dernière). En revanche, il y a bien une succession de crises politiques dans certains pays, en particulier en Allemagne, la droite radicale et l’extrême-droite essayant de tirer les dividendes d’une crise déjà terminée. Bref, la Commission veut surtout essayer de sauver le soldat Merkel plus que de stopper une fantasmée « invasion migratoire ». C’est d’ailleurs pour cela que Donald Tusk a refusé de convoquer lui-même ce sommet informel.

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Berlin et Paris veulent un budget pour la zone euro

mer, 20/06/2018 - 17:40

La ténacité d’Emmanuel Macron a fini par payer. Angela Merkel a enfin accepté, mardi, lors du sommet franco-allemand de Meseberg (nord de Berlin) d’approfondir la zone euro comme le propose depuis un an le Président de la République, une perspective qu’elle rejetait, ou plus exactement freinait, il y a quelques mois encore de peur de créer une « union de transferts » entre le nord et le sud. Bien sûr, la chancelière n’a pas donné son feu vert à toutes les propositions du chef de l’État français : ainsi, le parlement de la zone euro et le ministre des finances européen passent à la trappe. Mais elle s’est ralliée, et c’est le plus important, au principe d’un budget propre aux dix-neuf pays qui ont adopté la monnaie unique et est enfin prête à achever l’Union bancaire. La dynamique franco-allemande est donc enfin relancée, l’Allemagne reconnaissant que l’inachèvement de la zone euro menace son existence même en cas de nouvelle crise, ce qui nuira à ses intérêts vitaux (la déclaration franco-allemande est ici, la feuille de route des ministres des finances pour la zone euro est là, la position commune sur la fiscalité est aussi ici).

Méfiance allemande

Le sommet de mardi, auquel a été convié le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, afin de montrer qu’il ne s’agit pas de scinder l’Union en deux, a largement été préparé par les ministres des finances allemand, le social-démocrate Olaf Scholz, et français, l’ex LR Bruno Le Maire, qui ont négocié d’arrache-pied. Comme d’habitude, les Français proposaient et les Allemands refusaient, soupçonnant leur partenaire de vouloir faire main basse sur « le bon argent allemand ». Il a fallu des centaines d’heures de palabres pour qu’ils admettent enfin qu’il ne s’agissait pas de « faire payer l’Allemagne », un fantasme en vogue outre-Rhin, mais simplement d’assurer la pérennité de l’euro. Une résistance d’autant plus curieuse que l’accord de Grande Coalition (GroKo) signé entre le SPD et la CDU-CSU prévoyait bien d’achever la construction monétaire européenne, comme l’a reconnu la chancelière lors de la conférence de presse finale : « tout ce qui a été convenu aujourd’hui est dans le contrat de coalition ». Mais le négociateur SPD de l’accord de coalition, Martin Schulz, s’est retiré du jeu politique, et son successeur, Olaf Scholz, n’est absolument pas familier des questions européennes et, surtout, il a gardé auprès de lui les faucons qui entouraient son prédécesseur, l’intraitable Wolfgang Schäuble.

Un budget pour les Dix-neuf

Alors que la Commission, dans son projet de « cadre financier pluriannuel » (CFP) 2021-2027, avait simplement proposé d’affecter à la zone euro au sein du budget communautaire une ligne budgétaire de 30 milliards d’euros sur 7 ans, ce qui donnait un droit de regard aux 9 pays non membres de la monnaie unique, le couple franco-allemand exige un budget propre à la zone euro : les recettes et les dépenses seraient décidées à 19 même si elles seront exécutées par la Commission qui a l’habitude de ce travail.

Ce budget serait destiné à investir dans « l’innovation et le capital humain » et pourrait « financer des nouveaux investissements et venir en substitution des dépenses nationales », comme l’écrit la « feuille de route franco-allemande pour la zone euro » rendue publique hier soir. Il pourrait aussi jouer le rôle de « stabilisation macroéconomique », soit par le biais d’une « suspension temporaire de la contribution au budget de la zone euro pour les pays touchés par un choc significatif », soit en alimentant un « fonds européen de stabilisation du chômage » qui pourrait faire des prêts aux systèmes nationaux afin que l’État touché par une augmentation brutale du chômage ne perde pas ses capacités de manœuvre. Dans les deux cas, l’État qui aura bénéficié de cette aide d’urgence devra ensuite la rembourser.

Ce budget, qui devrait voir le jour en 2021, pourrait être alimenté par la taxe sur les transactions financières (TTF) « sur le modèle français » (qui taxe les achats d’actions uniquement), par le futur impôt qui frappera les géants du numérique, par une partie de l’impôt sur les sociétés et par la fameuse ligne budgétaire de 30 milliards d’euros prévus par la Commission. Si aucun chiffre n’a été avancé, ce budget ne devrait pas dépasser les 100 milliards sur 7 ans, ce qui reste largement insuffisant. Mais un pas symboliquement important aura déjà été franchi.

Un Mécanisme européen de stabilité renforcé

En cas de crise grave, le couple franco-allemand propose un système à deux paliers. D’une part, si un pays de la zone euro est confronté à un simple problème d’accès aux marchés alors que ses comptes sont en bon ordre, ce qui a été le cas de l’Irlande ou de l’Espagne, lors de la crise de la zone euro, il aura accès à une « ligne de crédit de précaution » qui sera créée au sein du Mécanisme européen de stabilité (MES, doté d’une capacité d’emprunt de 700 milliards). Une telle ligne existe au sein du FMI et elle est censée permettre à un pays de faire face à un coup de vent violent et à rassurer les marchés.

En revanche, si le pays est au bord de la faillite parce qu’il a un déficit excessif ou une dette importante, il pourrait, comme aujourd’hui, faire appel au MES que Berlin et Paris proposent d’intégrer dans les traités européens (pour l’instant, c’est un accord intergouvernemental ad hoc), ce qui permettra au Parlement européen de le contrôler. L’État qui fera appel aux prêts du MES serait soumis à un programme d’austérité destiné à le ramener à l’équilibre comme aujourd’hui, mais le MES aura un rôle moteur dans sa conception. Pour l’instant, c’est la Commission qui est à la manœuvre, mais elle n’a pas vraiment convaincu les États de sa capacité à gérer efficacement le redressement d’un pays… La volonté allemande de le renommer « Fonds monétaire européen », sur le modèle du FMI, est abandonné : on se dirige plutôt vers « Fonds européen de stabilité » ou quelque chose d’approchant. Il n’est plus question d’une restructuration automatique des dettes, mais simplement d’analyser leur soutenabilité et d’inclure dans les futurs emprunts d’Etats des clauses d’action collective permettant aux créanciers d’arriver plus facilement à un accord de restructuration.

Achever l’Union bancaire

Le couple franco-allemand propose de donner au MES un nouveau rôle dans le cadre de l’Union bancaire, celui de « backstop » ou de « filet de sécurité ». En effet, le « fonds de résolution unique » (FRU), alimenté par les contributions des banques, peut se révéler insuffisant en cas de faillit d’une banque systémique. Dans ce cas, il pourra faire appel au MES dans la limite des fonds du FRU : actuellement de 20 milliards d’euros, ils atteindront 55 milliards en 2024, date proposée d’entrée en vigueur de cette fonction de backstop, soit en tout 110 milliards. Comme à terme le FRU disposera de 70 milliards d’euros, ce seront 140 milliards qui pourront être mobilisés pour sauver les banques. Pour donner un ordre de comparaison, aux États-Unis, le « backstop » géré par la SEC (qui mélange deux fonctions totalement séparées dans l’Union, celles de fonds de garantie des dépôts et de fonds de résolution unique) se monte à 100 milliards de dollars. Si le MES est sollicité, le secteur bancaire sera ensuite mis à contribution pour rembourser les sommes mobilisées dans les trois ans, cinq ans au maximum.

Le mécanisme est encore vague et suscite encore de nombreuses questions : ainsi, l’Allemagne insiste pour que son Bundestag donne son feu vert à chaque utilisation du backstop, comme c’est le cas pour toute activation du MES. Une exigence qui freinera son automaticité, alors même que l’argent public allemand n’est pas mobilisé. Surtout, cela donnera un droit de véto au seul Bundestag, ce qui pose un réel problème démocratique… La France demande donc que le Bundestag donne son accord une fois pour toutes pour l’utilisation du MES comme backstop. On comprend mieux pourquoi l’Allemagne persiste à refuser un parlement de l’eurozone : pour elle, le Bundestag joue déjà ce rôle…

Le dernier pan de l’Union bancaire reste encore en jachère, celui de la « garantie européenne des dépôts bancaires » à laquelle les caisses d’épargne allemandes s’opposent avec virulence (et leurs liens avec le monde politique sont incestueux). Pour l’instant, les fonds de garantie sont uniquement nationaux et l’Allemagne pose comme préalable à une mutualisation une quasi-élimination des risques bancaires, ce qui revient à la renvoyer sine die. Mais elle accepte au moins de commencer des négociations politiques sur le sujet après le conseil européen de juin.

Reste maintenant à Berlin et à Paris à convaincre leurs dix-sept partenaires qu’ils retrouveront les 28 et 29 juin lors du Conseil européen de Bruxelles. Les Pays-Bas ou la Finlande risquent de trouver que cela va trop loin, alors que l’Italie, l’Espagne, la Grèce ou le Portugal jugeront que seule une petite partie du chemin a été parcourue. C’est sans doute la force du compromis franco-allemand : même s’il ne satisfait personne, chacun peut s’y retrouver en partie.

Photo: AFP

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Martin Selmayr envoie paître la médiatrice européenne

lun, 18/06/2018 - 22:49

C’est un véritable doigt d’honneur que la Commission adresse à la médiatrice, au Parlement et aux médias. En effet, les réponses adressées vendredi aux sept questions adressées par Emily O’Reilly, l’ombudswoman de l’Union, à l’exécutif européen, saisie d’une plainte sur les conditions de la nomination de l’Allemand Martin Selmayr au poste de secrétaire général, sont proprement sidérantes de mépris et d’arrogance. Même le site Politico.eu, qui a volé au secours de Selmayr, en est resté, ce matin, comme deux ronds de flan. Dans la lignée du « droit de réponse » que m’a adressé le porte-parole de l’institution, le Grec Margaritis Schinas, la Commission persiste à affirmer que toutes les règles ont été parfaitement respectées et qu’affirmer le contraire n’est que malveillance et « fake-news ».

Après la résolution du Parlement européen du 18 avril, on aurait pourtant pu s’attendre à ce que l’exécutif européen fasse profil bas et joue l’apaisement. Mais c’est mal connaître Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, et Selmayr, les deux hommes étant liés par une hubris sans limites. Les eurodéputés n’ayant pas osé provoquer la chute de la Commission, tout en jugeant la nomination de Selmayr illégale, ils se sentent désormais intouchables et le montrent sans vergogne.

Des «fake news» partout !

Ainsi, la Commission n’hésite pas à affirmer que sa communication a été parfaite (question 7) alors qu’elle a menti et dissimulé les faits à de nombreuses reprises. Une communication entièrement dirigée par Selmayr, faut-il le préciser ? La Commission estime avoir été victime d’une « campagne négative »de la part de certains médias (évidemment je suis visé), affirme que de « fausses informations ont été répandues »,de « fausses explications »ont été données et, pire, que des « données personnelles »ont été « utilisées illégalement » ! Un ton menaçant digne d’une démocratie illibérale. Si tout cela est vrai, on se demande pourquoi la Commission n’a pas poursuivi en justice ces journalistes qui ont osé enquêter et publier ces « fake news » ?

Le Parlement européen au pilori

Il n’y a pas que les médias qui sont visés par la colère de Selmayr, le secrétaire général tenant évidemment la plume de ces réponses, exactement comme il l’a fait pour les questionnaires de la Commission de contrôle budgétaire du Parlement. Les eurodéputés en prennent pour leur grade pour avoir qualifié sa nomination de « coup de force à la limite de la légalité, voire dépassant cette limite » (question 1). Jouant l’idiote, la Commission estime qu’« un coup se définit comme une prise de pouvoir soudaine, violente et illégale » « par l’armée ou d’autres élites au sein de l’appareil d’État » : « la Commission ne comprend pas comment une décision du collège des commissaires, proposée par le président et approuvée unanimement par tous les membres de la Commission peut être comparée à un coup de force ».Le fait que le collège, composé de commissaires qui font la preuve depuis quatre ans de leur faiblesse politique, ait couvert un acte illégal ne signifie absolument pas qu’il n’y ait pas eu « coup de force ». À la différence d’un coup d’État militaire, on peut piétiner l’État de droit sans avoir recours aux forces armées comme le démontrent tous les jours la Pologne ou la Hongrie... On comprend au passage pourquoi Selmayr veut laisser tomber l’article 7 contre Varsovie.

On peut d’autant moins parler de « coup de force » que, selon la Commission, la nomination de Selmayr « respecte toutes les règles, dans leur lettre et dans leur esprit »… Or, c’est justement le contraire que le Parlement et les journalistes qui se sont intéressés à l’affaire ont soigneusement démontré. Qu’importe : toutes les critiques sont bâties sur « une série d’allégations infondées, de fausses informations et, en général, elles tendent à vouloir remettre en cause le pouvoir de la Commission de nommer ses hauts fonctionnaires »(question 2)… Bref, ce sont non seulement les journalistes qui sont des crétins malveillants, mais les députés européens.

Avant la ruine vient l’orgueil

Pour l’exécutif européen, il s’agit d’une non-affaire puisque le SelmayrGate n’a pas nui à la réputation de l’Union. Pour le prouver, il brandit (question 2) le dernier Eurobaromètre qui montre que la confiance dans l’Union et plus particulièrement à l’égard de la Commission a augmenté. Qu’importe qu’il ait été réalisé avant l’affaire…

Bien sûr, une nouvelle fois, les commissaires n’ont pas été consultés sur ces réponses, mais ils vont les avaliser comme ils l’ont toujours fait, terrorisés qu’ils sont par Selmayr. Le Parlement européen, lui, se retrouve Gros-Jean comme devant. Et Emily O’Reilly sait déjà que si elle rend un avis négatif sur cett nomination, cela ne servira strictement à rien, le mépris de la démocratie et des contre-pouvoirs étant la marque de fabrique d’une Commission Juncker qui se sera ouverte sur les Luxleaks et se termine par le Selmayrgate.

Cela étant, comme me le confiait un eurodéputé allemand influent, il suffit d’être patient : la chute de Selmayr interviendra en même temps que Juncker partira à la retraite. Comme le dit un proverbe allemand, « Hochmut kommt vor dem Fall » : « avant la ruine, vient l’orgueil ».

N.B.: montage réalisé par les Grecques (groupe anonyme de bas fonctionnaires européens)

Catégories: Union européenne

Danse d'amour entre les conservateurs européens du PPE et le PiS polonais

lun, 18/06/2018 - 21:54

Rencontre entre le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki et le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, en janvier

Les conservateurs allemands sont prêts à vendre leur âme au diable afin de conserver le contrôle qu’ils exercent sur l’Union européenne depuis près de 15 ans. Selon nos informations, la CDU-CSU, le parti de la chancelière Angela Merkel, est à la manœuvre pour faire adhérer au PPE (Parti populaire européen) ou au moins au groupe politique PPE au Parlement européen, leurs relais d’influence dans les institutions communautaires, Droit et Justice (PiS), le parti de Jaroslaw Kaczynski au pouvoir en Pologne. Afin de faciliter ce rapprochement, Jean-Claude Juncker, l’actuel président PPE de la Commission et son âme damnée, l’Allemand Martin Selmayr, secrétaire général de l’exécutif européen et proche de la CDU, veulent abandonner les poursuites engagées contre la Pologne accusée de violer gravement l’Etat de droit… Si cette adhésion se réalisait, le PiS rejoindrait sur les bancs du PPE le Fidesz du Hongrois Viktor Orban, ce qui accentuerait la dérive droitière et eurosceptique du PPE qui fut longtemps démocrate-chrétien et fédéraliste européen.

Le PiS à la manoeuvre

C’est le PiS qui a entamé les travaux d’approche depuis quelques mois. Avec le départ programmé des conservateurs britanniques, fin mars 2019, le groupe de l’ECR (Conservateurs et réformateurs européens) dans lequel ils siègent ensemble, va voir ses effectifs fondre et il y a peu de chance qu’il demeure le troisième groupe politique du Parlement (sur huit). Or siéger dans un groupe marginal, surtout pour un parti de gouvernement, c’est la certitude de n’avoir aucune influence. Le Brexit va aussi renforcer l’isolement du PiS au sein du Conseil des ministres et surtout du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement.

Le PiS a pu toucher du doigt le prix à payer lorsqu’on n’appartient à aucune famille politique européenne. Alors que Viktor Orban peut se permettre d’instaurer dans l’indifférence générale des institutions européenne une démocrature dans son pays, le PPE ayant à cœur de protéger les siens, le PiS s’est retrouvé mis à l’index par la Commission, celle-ci l’accusant de violer l’État de droit en plaçant sous sa coupe le système judiciaire : le 20 décembre 2017, elle n’a pas hésité à dégainer pour la première fois l’arme lourde de l’article 7 du traité sur l’Union qui peut aboutir à priver le pays de son droit de vote au sein de l’Union…

Rejoindre le PPE est donc l’assurance pour le PiS de trouver un répit. Mais ce rapprochement ne serait pas possible sans l’affaiblissement de Jaroslax Kaczynski, le leader du PiS et vrai patron de la Pologne, hospitalisé pendant un mois et qui vient de sortir de l’hôpital. Selon de multiples sources européennes, sa santé s’est considérablement dégradée. Or, par son europhobie quasi-pavlovienne, c’est la principale hypothèque à une relative « normalisation » du PiS. La danse d’amour entre le PPE et le PiS indiquerait donc que l’après-Kaczynski a commencé…

Des Allemands très réceptifs

Ces appels du pied appuyés du PiS rencontrent un écho très favorable parmi les chrétiens-démocrates allemands. Ainsi, l’Allemand Manfred Weber, membre de la très à droite CSU bavaroise et patron du groupe PPE, s’inquiète des pertes que son groupe ne manquera pas d’enregistrer en mai 2019 (selon les sondages, il passerait de 219 députés à environ 180), même s’il restera sans doute le premier du Parlement. De fait, le parti populaire espagnol, le plus fidèle soutien de la CDU-CSU, vient de perdre le pouvoir et devrait se faire étriller (17 députés actuellement), tout comme Forza Italia (11), LR (20) ou encore la Plateforme civique polonaise, le parti de Donald Tusk, l’actuel président du conseil européen (22).

Dès lors une adhésion du PiS pourrait permettre de limiter la casse, même s’il traverse actuellement un trou d’air dans les sondages. La perte de PO, elle aussi bien mal en point, serait largement compensé par l’arrivée du PiS, qui plus est un parti au pouvoir qui sera sans doute reconduit lors des prochaines élections. Manfred Weber espère surtout qu’une telle adhésion sécurisera définitivement sa candidature comme tête de liste du PPE (le PiS n’ayant alors rien à lui refuser) et donc comme probable président de la Commission. En effet, le système des Spitzenkandidaten, inauguré en 2014 avec le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, garantie à la tête de la liste arrivée en tête aux Européennes qu’il prendra les rênes de l’exécutif européen.

Martin Selmayr joue sa survie

Cette manoeuvre est aussi dans l’intérêt de l’Allemand Martin Selmayr, le vrai patron de la Commission, Juncker n’étant plus que l’apparence du pouvoir. Après sa promotion très contestée au poste de secrétaire général, il cherche à sécuriser sa place. C’est donc pour complaire à Manfred Weber, qui serait alors son obligé comme président de la Commission, qu’il a essayé, la semaine dernière, de lever la procédure de l’article 7 contre la Pologne, celle-ci étant un empêchement dirimant à toute adhésion au PPE. Il s’est pour l’instant à un front uni des commissaires socio-démocrates et libéraux, une première, lui qui a toujours réussi à imposer ses vues. Mais Selmayr n’a pas dit son dernier mot, d’autant que le PPE est majoritaire au sein du collège des commissaires.

Cela étant, au sein même du PPE, la perspective d’une adhésion du PiS, passe très mal. Il y a deux semaines, lors d’une réunion du groupe, une majorité de délégations nationales (dont la Française et la Néerlandaise) ont fait savoir à Weber qu’il s’agirait d’un cassus belli, ce qui a quelque peu refroidi son enthousiasme. Pour ces élus, le PPE y perdrait le peu de ce qui reste de son âme europhile. Cela étant, à l’approche des élections, et face à la perspective d’un groupe En Marche conséquent qui pourrait s’allier aux socio-démocrates et aux Verts pour s’emparer de la Commission et des postes de pouvoir au Parlement, il est loin d’être exclu que le principe de réalité ne pousse les conservateurs à accepter parmi eux le PiS. Au final, ce seront les Allemands qui décideront, comme toujours.

N.B.: Manfred Weber a démenti notre article dans un tweet du 15 juin : «Nous démentons formellement. Il n’y a ni aspiration à faire entrer le PiS au #PPE ni discussions à ce sujet. Le @EPPGroup soutient pleinement la procédure lancée par la @EU_Commission à l’encontre du gouvernement polonais». Il s’est aussi fendu d’un article dans L’Opinion pour dénoncer la loi imposant aux juges constitutionnels un âge limite. Néanmoins, je maintiens l’ensemble de mes informations. Des contacts ont bien eu lieu et la Commission a bien cherché à laisser tomber l’article 7.

N.B. 2: Article paru dans Libération du 2 juin

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Aquarius: Rome place les Etats européens devant leurs responsabilités

sam, 16/06/2018 - 18:33

Le refus d’accueillir dans les ports italiens l’Aquarius et ses 629 migrants est brutal. Mais au-delà de l’émotion suscitée par cette décision sans précédent, très largement dû au fait qu’elle émane d’un ministre de l’intérieur d’extrême droite, Matteo Salvini, leader d’une Ligue qui a fait de la xénophobie son fonds de commerce, rares sont ceux qui, à Bruxelles, condamnent ce geste spectaculaire.

Car cela fait des années que l’Italie est laissée seule face aux arrivées de migrants en provenance de Libye, comme avant elle la Grèce. « Aucun pays ne s’est montré solidaire de Rome, alors que régulièrement le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement affirme, à l’unanimité, la nécessité de ne pas la laisser seule », souligne-t-on à Bruxelles. Un abandon européen qui explique en bonne partie la défaite du partie Démocrate et l’arrivée au pouvoir des démagogues du Mouvement 5 Etoiles alliés à l’extrême droite de la Ligue.

Ne pas oublier Malte

L’attitude de Malte qui a, elle aussi, refusé d’accueillir l’Aquarius, et ce n’est pas une première, en est la démonstration, alors que l’île est gouvernée par les travaillistes. C’est finalement le nouveau gouvernement socialiste espagnol qui a sauvé l’honneur, à la grande satisfaction de Rome : « De mémoire de citoyen, c’est la première fois qu’un bateau ayant secouru des migrants en Libye les débarquera dans un autre port qu’un port italien, c’est le signe que quelque chose est en train de changer », s’est ainsi félicité Matteo Salvini.

De fait, tous les pays européens qui participent aux différentes opérations de Frontex (1) en Méditerranée (Poséidon au large de la Grèce, Aeneas, au large de l’Italie, à laquelle a succédé Hermès, puis Triton et enfin Thémis), ont toujours posé comme condition que les migrants sauvés ne pouvaient être ramenés qu’en Italie et non pas dans le pays du pavillon du navire qui les avaient sauvés (2) alors que la Péninsule a accueilli, depuis 2013, plus de 700.000 migrants arrivés par bateaux. Paris, furieuse de voir arriver des étrangers sans papier chez elle, a même rétabli les contrôles à la frontière italienne et pratique une chasse impitoyable aux migrants.

Les erreurs de la Commission

La Commission, elle-même, ne s’est pas montrée très compréhensive. Fin 2015, poussé par une Allemagne qui venait d’ouvrir ses frontières à près d’un million de demandeurs d’asile et de migrants provenant de Grèce et qui voulait mettre fin à cet afflux, l’Allemand Martin Selmayr, alors chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, a ainsi ouvert deux procédures d’infraction contre la Grèce, un État en faillite, et l’Italie parce qu’ils n’avaient pas créé suffisamment de « hotspots » pour prendre les empreintes de tous les arrivants (afin de nourrir le système Eurodac). Une catastrophe politique pour Matteo Renzi, alors Premier ministre, et une bénédiction pour les « populistes » à qui Selmayr a fourni un argument de campagne en or. A la suite de cette affaire, le membre italien du cabinet Juncker a démissionné avec pertes et fracas…

Le problème est que la crise de l’Aquarius arrive à contretemps, la « vague migratoire » étant bel et bien passée. Désormais, les arrivées sont revenues à leur niveau d’avant 2015 : au 6 mai, l’Italie n’a enregistré que 9657 arrivées depuis le début de l’année, soit une diminution de 77 % par rapport à la même période de 2017. « L’Aquarius, c’est largement du show », remarque-t-on à la Commission. Mais, convient-on, cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faut pas trouver des solutions durables en cas de nouvel afflux.

Dublin dans les choux

Or, si un corps européen de gardes-frontières, aux effectifs encore symboliques (1500 personnes), mais qui vont considérablement augmenter dans les prochaines années, a été créé en 2015, la solidarité entre États membres est toujours un vœu pieux et le restera pour longtemps. Il n’est pas question de remettre en cause le droit de chaque pays d’accueillir ou non un étranger arrivant sur son sol et, en matière d’asile, c’est le premier pays d’arrivée qui reste, en principe, seul responsable du traitement de la demande (règlement dit de Dublin). La Commission et une majorité d’États ont bien essayé de rendre obligatoire durant deux ans la relocalisation d’une partie des demandeurs d’asile (et non leur séjour permanent), mais ce règlement est un échec, les pays d’Europe de l’Est refusant d’accueillir des étrangers dont ils ne veulent pas, les musulmans en clair. La proposition de réforme du règlement de Dublin, qui visait à rendre permanente la relocalisation des demandeurs d’asile, est totalement bloquée et ne verra jamais le jour en l’état.

Ce qui peut se comprendre : comment obliger un État à accueillir des personnes dont il ne veut pas et surtout comment contraindre des êtres humains à se rendre dans des pays où ils ne veulent pas aller ? Et la période récente a montré qu’il ne fallait pas compter sur la bonne volonté des États, d’autant que l’Allemagne, qui a voulu se montrer généreuse, l’a payé cher avec la percée de l’extrême droite de l’AfD. Un remède à la solidarité. Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron, qui avait critiqué durement, pendant la campagne présidentielle, cette absence de solidarité européenne a vite remisé ses promesses.

Pour Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et professeur associé à Yale, « l’Europe joue la survie de son espace de libre circulation intérieur dans cette affaire. Si elle ne veut pas voir les frontières ressurgir partout, elle n’a pas d’autres choix que de trouver des mécanismes de solidarité pour soulager les pays de la ligne de front ». Cela passera aussi par des accords avec les pays tiers, comme ceux conclus avec la Turquie ou le Maroc, afin que ceux-ci assurent le contrôle de leur littoral, et des accords de réadmission avec les pays d’origine pour les étrangers qui ne seront pas admis au séjour. Le gouvernement italien vient utilement de rappeler aux Européens qu’ils doivent sortir du déni : on ne peut à la fois vouloir sauver les migrants de la noyade et se laver les mains de leur sort.

(1) L’agence européenne chargée de coordonner le contrôle des frontières extérieures de l’Union.

(2)Près de 900.000 personnes ont ainsi été sauvées depuis 2015 dans toute la Méditerranée.

N.B.: article paru dans Libération du 13 juin

Catégories: Union européenne

Donald Trump, le meilleur allié de la construction européenne

ven, 15/06/2018 - 18:45

Et si Donald Trump était une chance pour l’Union européenne ? Confrontés à l’imprévisible président américain, les Européens ont d’abord fait le pari que la raison finirait par l’emporter, une fois que le nouveau locataire de la Maison-Blanche aurait pris ses marques et que les contre-pouvoirs prévus par la Constitution américaine auraient commencé à jouer. Si, sur le plan intérieur, cela a partiellement fonctionné, en matière internationale, ce n’est pas ce qui s’est passé. Non seulement parce que le président des États-Unis dispose de larges pouvoirs dans ce domaine, mais parce qu’il peut, par simple refus de jouer le jeu diplomatique, bouter le feu à la planète, comme le G7 québécois en a fourni la démonstration. Les Européens ont désormais la certitude qu’ils ne sont plus considérés par Washington comme des alliés naturels, mais comme des ennemis potentiels, ce qui bouleverse l’ordre international hérité de la Seconde Guerre mondiale.

Un unilatéralisme pas si nouveau

Il serait inexact de croire que l’unalitéralisme américain est une novation. Jusqu’à la mise en place de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en janvier 1995, il était même la règle et il le reste encore en partie, comme l’ont montré les sanctions qui ont frappé les banques européennes qui ont osé utiliser le dollar pour commercer avec des pays placés sous embargo par les États-Unis, comme l’Iran. La différence, aujourd’hui, est le refus assumé de Trump de jouer le jeu du multilatéralisme, au point même de remettre en question l’existence de l’OMC : ce n’est pas un hasard si la Maison-Blanche n’a toujours pas désigné ses juges au sein de l’Organe de règlement des différents (ORD) de l’OMC, ce qui va paralyser à terme cette justice commerciale internationale. Ce qui est totalement nouveau aussi, c’est l’extrême brutalité de Trump qui clame via Tweeter ses oukases, refuse de toute négociation, est incapable de tenir parole et est d’une mauvaise foi sidérante.

Ainsi, à Bruxelles, on souligne que Trump, qui a annoncé son intention de frapper les importations automobiles européennes, « affirme que nos tarifs douaniers sur les voitures américains sont de 10% contre 2,5 % aux États-Unis. Mais il oublie de dire que les droits de 10 % ne touchent qu’un milliard d’euros des importations américains sur un total de 6,5 milliards, seules les voitures ne comportant aucune pièce européenne étant pleinement taxées ». De même, les camions européens sont taxés à 25% contre 22% pour les américains, le textile européen supporte des droits de 32% contre 12% pour le textile américain, les produits agricoles européens ne peuvent quasiment pas entrer aux États-Unis, etc..

L’Union occupe la place laissée par les Etats-Unis

Face à cette brutalité, la placide Commission n’a eu d’autre choix que de taper du point sur la table au lendemain de l’imposition de droits de douane sur l’acier et l’aluminium européen, le 31 mai, en attaquant les États-Unis devant l’OMC. Mieux, des mesures de rétorsion sur près de 3 milliards d’euros d’importations américaines devraient entrer en vigueur début juillet. Profitant de ce retour de l’isolationnisme américain, une première depuis la crise de 1929, l’Union a occupé sans hésiter l’espace laissé libre : elle a signé un accord commercial inespéré avec le Japon et s’apprête à conclure avec le Mexique et le Mercosur et, à terme, avec l’Australie ou encore la Nouvelle-Zélande. Et elle compte bien profiter de la stupidité de l’administration Trump : ainsi le Mexique va annoncer l’ouverture d’un quota d’importation de viande porcine de 350.000 tonnes pour pallier le retrait américain (à comparer avec les 90.000 tonnes de bœufs que le Mercosur aimerait importer dans l’Union et qui font polémiques…)

L’OTAN affaibili

La prochaine étape de la guerre déclenchée par Trump contre ses (ex ?) alliés pourrait bien avoir lieu lors du sommet de l’OTAN de Bruxelles des 11 et 12 juillet: si les Européens restent attachés au parapluie américain, faute d’avoir les moyens à brève échéance de faire face seuls aux dangers qui les menacent, ils savent qu’il est déjà en train de se replier : Trump a qualifié, lors de sa prise de fonction, d’obsolète l’Organisation atlantique, et il n’a pas l’intention de continuer à payer pour la défense des Européens. Mais là aussi, les Européens vont avoir du mal à tourner une page de 70 ans : iront-ils jusqu’à acheter du matériel militaire européen pour envoyer un signal aux États-Unis ? On peut en douter. Or la dépendance militaire implique la dépendance économique…

Si l’Europe a su, pour l’instant, se montrer unie face aux menaces extérieures (Trump et Brexit), elle est elle-même gagnée par la fièvre « populiste », comme en Italie, en Hongrie, en Pologne ou encore en Slovénie, ce qui porte en germe le risque de désintégration. Ce n’est pas pour rien que certains proches de Trump se réjouissent de l’avènement de ces gouvernements. Et le président américain n’a jamais caché qu’il détestait l’Union, au point d’ailleurs de ne toujours pas avoir nommé d’ambassadeur à Bruxelles, depuis le licenciement brutal d’Anthony Gardner en décembre 2016… C’est pour éviter cette catastrophe que l’Allemagne, qui a besoin de l’Union pour résister à Trump, puisqu’elle sera la première touchée par la guerre commerciale qui s’annonce, et plus généralement pour assurer sa sécurité, a enfin commencé à bouger sur l’approfondissement de l’Union. Après de longs mois de silence, Angela Merkel et son ministre social-démocrate des finances, Olaf Scholz, ont enfin reconnu la nécessité d’instaurer un minimum de solidarité financière au sein de la zone euro, comme le réclame Emmanuel Macron, seul moyen de garder les Italiens, mais aussi les autres pays du sud, à bord et de les détourner des tentations europhobes. Un beau retournement dialectique : les populistes europhobes au secours de l’Europe…

N.B.: version longue de mon article paru le 11 juin

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