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Mis à jour : il y a 1 mois 5 jours

Barroso pris la main dans le Sachs

mer, 13/07/2016 - 16:26

Lundi, Libération a consacré sa «une» au recrutement de l’ancien président de la Commission européenne par Goldman Sachs. Mon article est ici.

Par ailleurs, l’affaire fait du bruit parmi les fonctionnaires européens. Les syndicats protestent (comme ici) et une pétition a même été lancée afin que José Manuel Durao Barroso soit sanctionné.

Aux dernières nouvelles, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, n’a toujours pas condamné ce recrutement.

Catégories: Union européenne

Le Royaume-Uni, futur paradis fiscal?

lun, 11/07/2016 - 08:24

La Grande-Bretagne a-t-elle l’intention de se lancer dans la flibuste fiscale contre une Union européenne dont elle s’apprête à divorcer ? L’annonce, lundi, d’une prochaine baisse du taux d’impôt sur les sociétés (à 15 %) par George Osborne, le chancelier de l’échiquier, a réveillé les craintes de ceux qui redoutent que Londres ne se transforme en un nouveau Singapour à quelques encablures de la zone euro, alors que l’Union, après les Offshoreleaks, Luxleaks et autre Panama papers, s’est enfin lancée dans la lutte contre les paradis fiscaux et l’éradication de toutes les formes de concurrence fiscale déloyale.

« Le Royaume-Uni ne peut pas se transformer en paradis fiscal », tranche le Français Alain Lamassoure (PPE, LR) qui préside la commission d’enquête parlementaire sur les « rescrits fiscaux » qui, par un hasard de calendrier, a adopté hier (par 514 voix contre 68) une série de recommandations particulièrement strictes afin d’empêcher les entreprises d’échapper au fisc. « La baisse du taux d’imposition des sociétés, c’est juste un effet d’annonce d’Osborne qui veut rassurer les entreprises », estime un haut fonctionnaire de la Commission. « Il n’y a plus personne au pouvoir à Londres et c’est juste la panique », renchérit Alain Lamassoure qui considère qu’il ne faut pas induire de la déclaration d’Osborne un projet économique totalement inexistant pour l’instant.

« D’autant qu’il y a aujourd’hui un consensus mondial pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale, tant au niveau du G20 que de l’OCDE », poursuit l’eurodéputé. Une analyse que partage la Commission : « le paradigme a changé et la Grande-Bretagne ne peut pas l’ignorer d’autant que cela serait désastreux pour son image ». Ce que les Caraïbes peuvent encore se permettre, et pas pour longtemps, un pays de la taille du Royaume-Uni, dont les intérêts sont multiples, ne le peut tout simplement pas. D’autant qu’on rappelle à la Commission que Londres a totalement changé d’attitude depuis cinq ans : « après avoir bloqué toute harmonisation fiscale au nom d’une saine concurrence, David Cameron réclame désormais une convergence. Les affaires Google ou Starbuck’s, qui ont défrayé la chronique outre-Manche, ont montré les dommages que causaient ces entreprises au budget des États. Désormais, on adopte les réglementations fiscales en quelques mois au niveau européen ».

Cela étant, comme on le souligne à Bruxelles, il n’existe aucune règle européenne ou mondiale qui empêche un pays de baisser ses impôts : « d’où le problème irlandais avec son taux de 12 %. Il n’existe qu’une simple recommandation européenne qui préconise un taux « proche de la moyenne » », explique un haut fonctionnaire. « Nous ne sommes pas opposés à la concurrence fiscale », a d’ailleurs rappelé hier Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, en présentant un projet de budget 2017 en excédent pour la seconde année consécutive… De fait, le taux d’imposition est le reflet de choix de société et d’une gestion plus ou moins stricte des dépenses publiques qui relève de la souveraineté nationale. Schäuble a néanmoins tenu à écarter toute tentation « d’une course au taux d’imposition le plus bas » qui ne pourrait se faire qu’au détriment des travailleurs peu mobiles…

Reste qu’une fois hors de l’Union, la Grande-Bretagne ne sera plus tenue par les directives fiscales européennes déjà adoptées ou en cours de discussion : fin du secret bancaire, échange automatique d’informations sur les rescrits fiscaux, transparence fiscale pays par pays des multinationales, définition commune de l’assiette fiscale de l’impôt sur les sociétés, etc. « Si Londres décidait de ne plus déclarer les rescrits fiscaux, ce serait une déclaration de guerre à l’Union », tranche, martial, Alain Lamassoure : « c’est une ligne rouge et je ne vois pas comment on pourrait alors lui donner accès au marché unique qui comprend en particulier les services financiers. La City sera exclue de la zone euro et elle se rétrécira au niveau de la Grande-Bretagne, voire de l’Angleterre ». À la Commission, on est plus prudent : « on ne sait pas encore quel statut on va négocier avec elle si elle se décide finalement à sortir. Mais déjà, dans les accords de libre-échange que nous signons avec les pays tiers, nous exigeons au minimum que les standards fiscaux de l’OCDE soient respectés ». Et si Londres opte pour le « statut norvégien » pour avoir accès à l’ensemble du marché unique, elle devra appliquer la totalité de l’acquis communautaire.

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 7 juillet

Catégories: Union européenne

Barroso chez Goldman Sachs, un bras d'honneur à l'Europe

sam, 09/07/2016 - 14:10

REUTERS/Christian Hartmann

Mon billet sur le scandaleux recrutement de José Manuel Durao Barroso par Goldman Sachs est ici. Un cri de colère à l’égard de quelqu’un qui a fait plus de mal à l’Union européenne que personne avant lui. Et il continue.

Pour ne rien arranger, la réaction de la Commission à cette affaire est désespérante de nullité et montre à quel point certains fonctionnaires sont coupés du monde réel: «Les anciens commissaires ont évidemment le droit de poursuivre leur carrière professionnelle ou politique», a déclaré à l’AFP un porte-parole de la Commission. «C’est légitime que des personnes dotées d’une grande expérience et de qualifications continuent à jouer des rôles de premier plan dans le secteur public ou privé.» Ben voyons. L’éthique, ça leur dit encore quelque chose?

Catégories: Union européenne

Brexit: non, le référendum n'est pas le summum de la démocratie

ven, 08/07/2016 - 21:58

Mon analyse sur les référendums se trouve ici. Bonne lecture!

Catégories: Union européenne

Michel Rocard, l'homme que les socialistes ont humilié

jeu, 07/07/2016 - 07:56

`REUTERS/Charles Platiau CP/dh

En juillet 1994, je croise Michel Rocard, qui est mort samedi dernier, dans les couloirs du Parlement européen, à Strasbourg. C’est la première fois que je le vois en chair et en os. Il a l’air totalement abattu, usé, fatigué. Il erre seul, totalement seul. Je m’aperçois rapidement que cette solitude n’a rien d’exceptionnel. Elle se confirme tout au long de la session, puis en septembre. Ses « camarades » socialistes français l’évitent, l’ignorent ou, au mieux, le saluent de loin, comme s’il était porteur d’un virus mortel. Je trouve cela poignant, car c’est l’un des rares politiques pour qui j’ai une réelle admiration : représentant d’une gauche sociale-démocrate assumée, il a été un excellent Premier ministre (1988-1991) avant d’être proprement viré par François Mitterrand parce qu’il lui faisait de l’ombre.

Rocard vient d’être élu député européen, en juin, à la suite d’une campagne désastreuse pour le PS. Tête de liste (à l’époque, la France était une circonscription unique) en tant que premier secrétaire du PS, il s’est sévèrement ramassé avec moins de 15 % des voix. François Mitterrand, toujours prodigue en mauvais coups, lui a balancé dans les pattes Bernard Tapie et sa liste « MRG » (radicaux de gauche) qu’il a soutenue quasiment ouvertement. Avec un score mirifique de 10 %, Tapie a siphonné une partie des voix socialistes. Rocard est à terre. Définitivement. Il ne le sait pas encore et, surtout, ne veut pas l’admettre.

Je propose donc au journal de faire un portrait de l’homme brisé. J’appelle, en septembre, l’ancien Premier ministre qui me reçoit mal : avec son débit si particulier, il m’explique froidement qu’il ne veut plus parler aux journalistes et n’a aucune intention de me rencontrer. Je lui rétorque que rencontre ou pas, je ferai ce portrait. Un rendez-vous lui permettra peut-être de peser sur mon regard. À lui de voir. Il s’indigne : c’est du chantage. Non, c’est mon travail. Il raccroche. Et me rappelle vingt minutes plus tard : d’accord pour un déjeuner à Strasbourg, mais sans enregistrement et sans carnet de notes et avec l’interdiction absolue d’utiliser ce qu’il me dira.

Le déjeuner a lieu le 28 septembre. Il dure trois heures étourdissantes (le débit de Rocard n’est pas une légende) et alcoolisées. Rocard aime boire et je suis trop jeune journaliste pour oser refuser les verres qu’il me verse généreusement. Je sors totalement ivre pour me précipiter dans mon hôtel afin de régurgiter au plus près ce qu’il m’a raconté. Un récit passionnant de ses rapports avec François Mitterrand, tous les mauvais coups que le Président lui a faits lorsqu’il occupait Matignon. Un « enfer ». « Le matin, en me réveillant, je découvrais souvent qu’un conseil ministériel restreint dont j’ignorais tout avait eu lieu la veille et que le gouvernement avait décidé ceci ou cela. À moi d’assumer ».

Rocard, comme toujours, s’implique consciencieusement dans ses nouvelles fonctions de député européen. Il s’occupe de dossiers techniques qu’un journal comme Libé suit peu. Il préside successivement les commissions de la coopération et du développement (1997-1999), puis de l’emploi et des affaires sociales (1999-2002) et enfin de la culture (2002-2004). Il prend sa retraite en 2009 sans jamais avoir eu l’influence qu’il méritait. Car, en 2004, les Fabiusiens, en bon héritier du mitterrandisme, lui font un dernier mauvais coup : la vengeance, en politique, est sans fin. Le PS de François Hollande (il est premier secrétaire) a explosé les compteurs aux Européennes de juin : 29 % des voix. C’est même la première délégation nationale au sein du groupe socialiste. Ils peuvent donc choisir les postes qu’ils veulent. Rocard se verrait bien président du Parlement: une candidature à laquelle peu de monde s’opposerait dans l’Hémicycle. Mais les Fabiusiens ne l’entendent pas de cette oreille, alors que se profile la bataille du Traité constitutionnel européen : pas question de permettre une renaissance d’un Rocard européen. Pervenche Berès, fabiusienne de toujours, est l’exécutrice des basses œuvres : sous sa houlette, les socialistes français renoncent à la présidence du parlement en échange, pour elle-même, de la commission des affaires économiques et monétaires… C’est un socialiste espagnol, Josep Borrel qui hérite donc du perchoir. François Hollande, alors secrétaire national du PS et député européen (pour quelques semaines), laisse son vieil ami se faire une nouvelle fois humilier. Ce n’est pas demain la veille qu’un socialiste français pourra espérer l’occuper, mais qu’importe. L’essentiel n’était-il pas de se débarrasser de Rocard ? On jugera à cette aune les hommages posthumes que viennent de lui rendre plusieurs hiérarques socialistes qui ont pris une part active dans la marginalisation d’un homme qui aurait dû être le modernisateur du socialisme français.

Voici donc le portrait de Rocard paru dans le Libé du 7 octobre 1994 et intitulé : « Strasbourg, pot au noir de Rocard » avec plein de personnages qui ont totalement disparu depuis…

«Blessé ? Il le reconnaît volontiers. Isolé ? Il feint de ne pas s’en préoccuper. Las ? Il l’admet, tant de vents contraires l’ayant usé. Il est rare que le politique laisse transparaitre l’homme, même dans les pires moments. Michel Rocard est de cette espèce-là. Il a pris des coups violents et ses blessures ne sont pas refermées. Il souffre d’avoir perdu son ultime combat, celui de toute une vie, celui qui devait le conduire à la magistrature suprême. Les résultats désastreux des élections européennes ont sonné en juin le glas de ses espérances. « Il est mort, même s’il ne le sait pas encore », dit l’un de ses rares amis. Il est sonné de voir son vieil adversaire, François Mitterrand, l’avoir emporté par sa propre faute, conscient qu’il est d’avoir accumulé les erreurs.

Mais bien que tourmenté, il ne se cache pas. Depuis qu’il a été élu au Parlement européen, on ne voit que lui, à Bruxelles ou à Strasbourg. Il effectue son travail de député lambda. Les écouteurs vissés sur les oreilles, il écoute sagement les débats. Que ce soit à la commission des affaires étrangères ou en séance plénière, il quitte la salle parmi les derniers. Ce Rocard-là se veut pétri d’humilité et affirme être là pour découvrir le Parlement européen dont il ignore tout, soucieux d’effectuer au mieux son retour à la base. Le Parlement européen l’intéresse comme forum politique international. Il est aimable avec tous, salue précautionneusement les huissiers, répond au téléphone. Mais son échec, il le vit seul. Pathétiquement seul. Ses « amis » socialistes français l’évitent comme on le fait d’un grand malade, par peur, par gêne et plus rarement par pudeur. En juillet, lors de la session plénière de rentrée, le contraste était saisissant entre un Bernard Tapie, papillonnant, entouré, fêté par Jack Lang, et Rocard, totalement ignoré.

Même les soirées, conviviales par nature à Strasbourg, semblent lui échapper. Daniel Cohn-Bendit (Vert, Allemagne), rentrant un soir à son hôtel, l’avise seul, devant un demi, accoudé au bar impersonnel de l’établissement. La conversation qui suit est surréaliste, l’ex-premier secrétaire entretenant l’ancien leader de mai 68 de ses chances à la présidentielle. Au cours d’un déjeuner entre la délégation socialiste française et la presse, en juillet encore, Rocard affirme un peu trop fort, en sortant nerveusement une cigarette brune d’un paquet chiffonné, qu’il est soulagé depuis qu’il a cessé de s’occuper du PS et qu’il bien et même de mieux en mieux. Bernard Stasi (PPE, démocrate-chrétien) se rappelle qu’en juillet, « il frôlait les murs. Personne ne s’intéressait à lui ». Un autre député centriste raconte : « c’est tragique, cette solitude ». « Dans l’avion de Paris, lors de la session de septembre, les socialistes le saluaient, mais personne ne s’est assis à côté de lui ». « Rocard, il me fait de la peine, de la vraie », dit Yves Verwaerde (PPE).

Pierre Moscovici, qui se range parmi les amis de Rocard, juge que l’ambiance au sein de la délégation socialiste française peut difficilement être différente : « elle subit beaucoup le poids des clivages nationaux ». Et, de fait, « les amis de Michel sont rares ». En revanche, un « clan solide de fabiusiens, cultivant la fidélité à François Mitterrand » rend, selon Moscovici, l’atmosphère difficilement respirable. « N’oubliez pas que le meurtre rituel de Rocard est l’une des composantes importantes du mitterrandisme », ajoute-t-il. Un autre eurodéputé PS observe que « ses camarades ne font pas de cadeaux à l’ancien premier ministre. Ils lui font payer ses succès passés, son brillant ». Michel Rocard se console de la bouderie des socialistes français en rencontrant ses « amis internationaux ». Il ne cache pas son plaisir d’avoir retrouvé son « vieux complice » de 68, Dany Cohn-Bendit. Ou encore John Hume, secrétaire général du parti travailliste nord-irlandais et artisan du processus de paix. Il rappelle que, pour les travaillistes anglais, il est le dernier à avoir rencontré en tête-à-tête l’ancien leader de leur parti, John Smith, quelques heures avant sa mort.

Depuis cet été, l’ambiance s’est un peu détendue au sein de la délégation socialiste française, grâce à l’action apaisante de Nicole Péry, vice-présidente du Parlement européen. Rocard lui-même a parcouru du chemin. Comment rebondir est la question qui l’obsède. En bon protestant, il admet les erreurs qui l’ont conduit dans ce trou noir. Mais pour lui, son échec de juin n’est pas le pire de sa carrière. Celui du PSU, « ce laboratoire d’études pour une gauche renouvelée », est, à l’en croire, plus grave puisqu’il a ouvert la voie dans les années 70 à la reconstruction du PS autour de François Mitterrand.

L’ancien Premier ministre sait que sa convalescence est fragile. Il se tient donc à l’écart de la scène parisienne. Pas question de parler aux journalistes pour l’instant. Outre qu’il cultive à leur égard une méfiance développée au fils des ans, ce silence lui permet d’effectuer son « travail de deuil », selon l’expression d’un député socialiste. Mais, pour lui, son retrait n’est pas une retraite. Ainsi a-t-il participé le 27 septembre au soir à un meeting électoral du SPD à Friburg en Allemagne. Il s’entretient aussi régulièrement avec Jacques Delors à qui il donnera un coup de main pour la présidentielle si le président de la Commission le lui demande. Pour Rocard, la société française est malade, les solidarités sont défaites et il faut reconstruire. Si on l’appelle, il aidera à cette reconstruction».

Catégories: Union européenne

CETA: la Commission veut-elle contourner le contrôle démocratique?

mar, 05/07/2016 - 16:17

Avec mise à jour du 5 juillet

La Commission veut-elle faire ratifier l’accord commercial conclu entre l’Union européenne et le Canada (« CETA ») en contournant les parlements nationaux ? La question sera tranchée, ce mardi, par le collège des vingt-huit commissaires, une bonne partie d’entre eux estimant qu’il suffit d’une approbation du conseil des ministres (là où siègent les États membres) et du Parlement européen. Une position juridiquement défendable, mais politiquement extrêmement risquée à l’heure où l’opposition au CETA et surtout au TTIP, le projet d’accord de libre-échange avec les États-Unis, ne cesse de s’amplifier, comme en a convenu Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen : « si les États membres pensent qu’une analyse juridique ne compte pour rien dès lors que le sujet devient trop politique, alors je serais la dernière personne à essayer de les stopper », a-t-il lancé le 29 juin, en marge du sommet de Bruxelles.

Comme toujours dans le domaine européen, l’affaire est d’une rare complexité, les Etats n’acceptant de partager leur souveraineté qu’à reculons, ce qui aboutit à des procédures byzantines. Accrochez-vous donc, le voyage commence.

Compétence exclusive

Depuis l’origine de la construction communautaire, le commerce international est une « compétence exclusive » de l’Union. Et ce, pour deux raisons. D’une part, il est difficile qu’il en soit autrement à partir du moment où il existe un marché unique et que les marchandises, les capitaux et les services qui entrent dans un pays circulent librement dans l’espace commun. D’autre part, pris ensemble, les États membres sont la première puissance commerciale du monde, ce qui leur permet d’imposer leurs priorités à leurs partenaires commerciaux soucieux d’accéder au grand marché.

Jusqu’au traité de Lisbonne, ces accords, négociés par la Commission sur mandat des États membres, étaient simplement adoptés par le Conseil des ministres à la majorité qualifiée, après une simple consultation du Parlement européen, et ce, sans aucune ratification des parlements nationaux. Sauf pour les accords dits « mixtes », c’est-à-dire qui touchent des compétences nationales, comme les services et la propriété intellectuelle, les investissements étrangers directs, les services culturels, audiovisuels sociaux, de santé et d’éducation, etc. Là, il faut en passer par la ratification nationale. Cela a été, par exemple, le cas de l’accord de Marrakech créant l’Organisation mondiale du commerce. Le Traité de Nice de 2001 a un peu modifié la règle du jeu pour les services et les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle : un vote à l’unanimité du Conseil suffisait, sans passer par la case nationale.

Contrôle du Parlement européen

Le traité de Lisbonne, entré en vigueur en novembre 2009, a introduit le Parlement européen dans la boucle afin de démocratiser la politique commerciale (article 207 du traité sur le fonctionnement de l’UE) : le conseil des ministres ratifie toujours à la majorité qualifiée (55 % des États membres représentant 65 % de la population), mais avec l’approbation du Parlement européen. Ensuite, le conseil statue toujours à l’unanimité pour les accords « mixtes », mais cette fois avec l’approbation du Parlement européen en plus de celle des Parlements nationaux : « Lisbonne n’a pas modifié la répartition des compétences entre l’Union et les États, comme le prévoit expressément l’article 207 §6 », souligne Jean-Luc Sauron, conseiller d’État et spécialiste des questions européennes. « Il s’agissait simplement de donner plus de pouvoir au Parlement européen ».

Autrement dit, c’est la qualification de l’accord qui va déterminer le processus de ratification. S’il n’est pas « mixte », les Parlements nationaux n’ont pas leur mot à dire, seul le Parlement européen étant impliqué ; s’il est « mixte », on entre dans une procédure de ratification à rallonge puisqu’il faudra passer par le Parlement européen, les vingt-huit parlements nationaux et les parlements régionaux dans les États fédéraux (Belgique, Espagne, Allemagne). Ce qui peut prendre du temps : la ratification de l’accord de libre-échange avec la Corée du Sud a duré quatre ans…

Sentant la contestation contre le CETA monter, une partie de la Commission, emmenée par la commissaire chargée du commerce, Cécilia Malmström, est donc tentée de qualifier le CETA d’accord purement européen, afin de court-circuiter les parlements nationaux. Mais cela fait hurler ceux qui s’opposent au TTIP, le CETA étant désormais perçu comme un « cheval de Troie » des intérêts américains en Europe. Cette démarche « risque d’ouvrir un boulevard aux europhobes en empêchant les Parlements nationaux d’avoir réellement leur mot à dire sur ce type de traité. Tout est fait pour empêcher un véritable débat public et ainsi accroitre la défiance à l’égard des institutions européennes », jugent ainsi Les Amis de la Terre. Il faut dire que le moment choisi est particulièrement malheureux : en plein Brexit et après que les Parlements wallon et néerlandais aient estimé, en avril dernier, que le CETA ne pouvait être ratifié en l’état…

Un boulevard pour les europhobes

À la Commission on se défend de telles arrières pensées : « c’est un problème plus général. Il ne s’agit pas d’éviter le contrôle parlementaire puisque le Parlement européen se prononcera », explique un fonctionnaire européen. Une bonne partie des eurodéputés n’apprécient guère qu’on mette en cause la qualité de leur contrôle : « la ratification de l’accord sera démocratique puisque le Parlement européen ainsi que les États membres devront le ratifier », ce qui est loin d’être « antidémocratique » comme « certains, notamment des députés européens, osent déjà qualifier cette décision », tempête Franck Proust du PPE. Jean-Claude Juncker fait aussi remarquer que les gouvernements « peuvent demander à leur parlement comment ils doivent voter » à Bruxelles… On fait enfin remarquer au sein de l’exécutif européen que « si l’on met des années à ratifier des accords conclus à la demande et par nos États membres et que l’on prend le risque d’un rejet par un seul pays voire un seul parlement subnational, notre politique commerciale commune va devenir de moins en moins crédible ».

Surtout, la Commission fait valoir qu’elle n’hésite pas à qualifier un accord de mixte si tel est le cas : « par exemple, nous venons de conclure un accord avec les pays du sud de l’Afrique. Il comporte des aspects d’aide au développement et cela relève clairement des compétences nationales. On l’a immédiatement qualifié de mixte », souligne un fonctionnaire. Il arrive aussi que la Commission, sous la pression des Etats, change son fusil d’épaule, requalifiant de mixtes des accords qu’elle considérait comme Européen (avec le Pérou, par exemple). Reste que si la Commission estime que le CETA n’est pas mixte, il faudra que les États décident du contraire à l’unanimité, comme le prévoient les traités. Or l’Italie considère déjà que tel est le cas… Cela étant, même si le CETA est considéré comme mixte, il devra être adopté à l’unanimité des Etats et à la majorité du Parlement européen.

Reste que l’affaire est tellement complexe, comme vous venez de le lire, que le message envoyé par la Commission et les États membres risque d’être celui d’une confiscation du débat démocratique même si cela n’est absolument pas le cas. Jean-Claude Juncker, fin politique, le sait : le simplisme l’emporte toujours sur le complexe. C’est pourquoi il a lancé, le 29 juin : « Je ne suis pas prêt à mourir sur l’autel d’une question juridique ».

Mise à jour le 5 juillet à 16h: La Commission a tranché: elle admet que le CETA est un accord mixte qui devra donc être approuvé à l’unanimité du Conseil des ministres, par le Parlement européen et par l’ensemble des Parlements nationaux et subnationaux dans le cas des Etats fédéraux. Il sera signé formellement en octobre , lors du sommet UE-Canada. Les parties purement commerciales de l’accord (par exemple la baisse des droits de douane ou la protection des appellations géographiques contrôlées) entreront en vigueur provisoirement dès que le Conseil des ministres et le Parlement européen auront donné leur feu vert.

Une décision purement politique comme la Commission le reconnait elle-même : «La situation politique au sein du conseil est clair et nous comprenons la nécessité de décider qu’il s’agit d’un accord mixte», a ainsi déclaré Cecilia Malsmtröm. Mais la Commission rappelle qu’elle défend toujours le fait que les accords commerciaux de la nouvelle génération ne sont pas des accords mixtes et elle attend que la Cour de justice européenne tranche, sans doute début 2017, la contestation qui l’oppose sur ce point à certains Etats membres dans le cas de l’accord UE-Singapour. On ne peut, en tout cas, que se féliciter que Jean-Claude Juncker ait pris la mesure des risques politiques qu’aurait fait peser sur l’Union une attitude rigidement juridique.

Catégories: Union européenne

Brexit: Les Vingt-sept choisissent la ligne dure avec Londres

sam, 02/07/2016 - 16:52

Out, c’est out. Et le plus vite sera le mieux. Les vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Bruxelles mardi et mercredi ont choisi sans barguiner la ligne dure vis-à-vis de la Grande-Bretagne, celle que prônait la France. Pas question d’accommodements raisonnables destinés à rendre moins douloureuse sa sortie et, pour l’avenir, pas question non plus de lui tailler un costume sur mesure en lui permettant de choisir les politiques européennes qui l’intéresse. Bref, les Britanniques -et les europhobes de tous les pays européens - vont découvrir grandeur nature ce qu’il en coûte de quitter la maison commune.

L’ambiance de ce sommet était étrange : nul drame, nulle larme. On est loin, très loin, de l’atmosphère dramatique de la crise grecque : un Grexit aurait eu des conséquences dramatiques pour lui, mais aussi pour ses partenaires qui partagent la même monnaie. Certes, tout le monde aurait préféré éviter un Brexit, mais personne n’en a fait un drame non plus, tant Londres s’est marginalisée depuis 20 ans. D’ailleurs, l’Union n’a pas perdu de temps pour lui faire comprendre qu’elle n’était déjà plus qu’à moitié dans le jeu. Ainsi, le Conseil européen s’est réuni mercredi sans David Cameron, le premier ministre britannique, qui n’a été autorisé qu’à assister à la session de travail de la veille ainsi qu’au diner. Une première dans l’histoire européenne, alors que le Royaume-Uni n’a même pas encore activé l’article 50 du traité sur l’Union qui lancera le processus de sortie. Mieux : un Sommet informel a été convoqué pour le 15 septembre à Bratislava afin de réfléchir à l’avenir de l’Union, là-aussi sans le Royaume-Uni.

Cette mise à l’écart rapide se fait sentir dans toutes les institutions. Ainsi, le commissaire britannique, Jonathan Hill, a démissionné de ses fonctions samedi. Son successeur, on n’en fait pas mystère à Bruxelles, n’héritera pas de l’important portefeuille des services financiers qu’il détenait, immédiatement confié au Letton Valdis Dombrovskis, vice-président chargé de l’euro, mais sans doute de responsabilités marginales, « comme le multilinguisme », se marre un fonctionnaire. Au Parlement européen, les députés britanniques occupant des postes de responsabilité et ceux qui sont chargés d’un rapport sur une directive ou un règlement, devraient eux-aussi laisser la place à leurs partenaires restés dans l’Union.

Certes, plusieurs pays d’Europe centrale, mais aussi l’Irlande et le Danemark, on plaidé au cours du sommet, pour que l’Union manifeste un peu de compréhension à l’égard de la Grande-Bretagne, notamment en lui laissant le temps de déclencher l’article 50 vu le désordre politique qui règne dans ce pays depuis le 24 juin. Comme l’explique un diplomate européen, « l’idée est que plus les conséquences désastreuses de la sortie seront visibles, plus il y a de chance qu’ils choisissent une voie raisonnable ». Ces pays espéraient aussi que cela pourrait peut-être permettre de renégocier avec les Britanniques afin qu’ils restent dans l’Union. Mais ils se sont finalement alignés sur la position arrêtée, lundi, à Berlin par Angela Merkel, la chancelière allemande, François Hollande, le président français, et Matteo Renzi, le président du conseil italien : l’article 50 doit être activé le plus tôt possible et, en attendant, aucune discussion de quelque nature que ce soit n’aura lieu avec Londres, histoire qu’elle ne cherche pas à obtenir des assurances sur son futur statut avant de demander formellement le divorce.

De même, les Vingt-sept ont tout de suite voulu couper court aux espoirs des « Brexiter », comme le conservateur Boris Johnson qui a affirmé dans le Daily Telegraph que son pays pourrait continuer à avoir accès au marché unique, mais sans la libre circulation des personnes, thème central du référendum. Ils ont donc décidé de lier les quatre libertés du marché unique : ce sera la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes ou rien. « Les quatre libertés sont indivisibles », a ainsi affirmé Angela Merkel. « Il faut éviter que des pays puissent s’imaginer qu’en sortant ils pourront choisir les politiques qui les intéressent », explique un diplomate français. Mieux : « l’accès au marché intérieur que réclame Boris Johnson, c’est aussi le respect de l’acquis communautaire, la compétence de la Cour de justice européenne pour régler les litiges et une contribution au budget communautaire à peu près équivalente à ce qu’ils payent aujourd’hui ». C’est le statut choisi par la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein qui n’ont, évidemment, aucun droit de se prononcer sur les lois européennes qu’ils doivent simplement appliquer…

A défaut, la Grande-Bretagne devra se contenter d’un simple accord de libre échange comme ceux que l’UE a signé avec Singapour, le Japon ou le Canada, ce qui ne fera pas ses affaires. Cette fermeté va compliquer la tâche des Brexiter qui espéraient que l’Union, par souci de défendre ses intérêts économiques, se montrerait plus compréhensive. C’est loupé. Une fermeté logique : les capitales européennes veulent éviter un effet domino en montrant aux partis europhobes, qu’ils soient au pouvoir ou pas, qu’une sortie sera plus que douloureuse afin de leur couper l’herbe sous le pied. « Leurs mensonges vont apparaître au grand jour », s’amuse un diplomate européen.

Sur l’avenir de l’Union, en revanche, les Vingt-sept restent prudents : priorité aux réalisations concrètes à très court terme, à la simplification et à la clarification afin de « reconquérir les cœurs des citoyens ». Une remise à plat des traités est renvoyée sine die : « On ne va pas modifier les traités, ce n’est pas la priorité », a ainsi répété à plusieurs reprises Angela Merkel. Les Vingt-sept veulent éviter d’étaler leur divergence, entre les pays, notamment d’Europe centrale, qui voudraient réduire aux acquêts l’Union, et ceux qui, au sein de la zone euro, veulent achever leur intégration, notamment en la démocratisant. « C’est la dernière ces choses à faire aujourd’hui, car ce serait bataille extrêmement clivante et les opinions publiques sont épuisées par ces crises », renchérit-on dans l’entourage du président français.

N.B: article paru dans Libération du 30 juin

Catégories: Union européenne

Brexit: l'UE en désordre de bataille

ven, 01/07/2016 - 17:47

Et maintenant? Comme il fallait s’y attendre, les Etats membres et les institutions communautaires n’ont aucun plan B dans la poche, pas plus, d’ailleurs, que les partisans britanniques de la rupture avec l’Union. D’où le flottement actuel, tant à Bruxelles que dans les capitales européennes. Tout se passe comme si personne n’avait osé envisager le pire, pariant sur une vision idéalisée du fameux « pragmatisme » britannique. Faute de préparation, il ne faut donc pas s’attendre à ce que les chefs d’Etat et de gouvernement qui se réunissent mardi et mercredi à Bruxelles, ou encore le Parlement européen, qui tient une session extraordinaire mardi, propose une réponse ambitieuse au séisme politique que vient de vivre l’Union. « On ne va pas préparer un nouveau traité dans les 15 jours », a reconnu Emmanuel Macron, le ministre de l’économie, samedi, lors d’un débat à Sciences po.

Il est vrai que la réaction des Vingt-sept dépendra de l’analyse qu’ils feront des raisons du vote négatif des Anglais et des Gallois, mais aussi de la réaction de la classe politique britannique. Pour l’instant la poussière de la déflagration du « leave » est loin d’être retombée, à tel point qu’on ne sait pas encore si et quand Londres activera l’article 50 du traité sur l’Union qui enclenche le processus de sortie ! Outre que le référendum est consultatif, il faudra que le gouvernement de sa gracieuse majesté obtienne une majorité à la chambre des communes, où les « Bremain » sont largement majoritaires, mais aussi semble-t-il, au sein des parlements régionaux : or l’Ecosse n’a aucune intention de faciliter la tâche des « Brexiters »… Un beau casse-tête constitutionnel en perspective.

C’est pour cela qu’Angela Merkel, la chancelière allemande, appelle à répondre au Brexit « avec calme et détermination » en évitant « des solutions rapides et simples qui diviseraient encore davantage l’Europe ». Une prudence habituelle de sa part, mais qui, pour le coup, est justifiée : « c’est un échec britannique avant tout », approuve Emmanuel Macron, avant d’être un échec européen. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a renchéri de son côté dans Bild zeitung, samedi : « l’UE a des décennies d’expérience dans la gestion des crises et en est toujours sortie renforcée ». Néanmoins, les vingt-sept capitales reconnaissent que le projet européen est en danger, l’euroscepticisme et le nationalisme ayant le vent en poupe partout en Europe. Il faut donc le remettre d’aplomb afin de répondre aux préoccupations des citoyens. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire. Décryptage des défis et des enjeux.

* Comment éviter que le poison du Brexit ne paralyse l’Union ?

C’est le cauchemar des Européens : que les négociations du Brexit durent plusieurs années et paralysent totalement l’Union. Car, tant que la Grande-Bretagne n’est pas sortie, elle continuera à siéger au sein des instances européennes et pourra poser son véto à toute réouverture des traités par exemple. Face aux hésitations londoniennes, David Cameron, le premier ministre britannique, laissant à son successeur le soin d’activer l’article 50, et Boris Johnson, le leader des « leave » au sein du parti conservateur considérant qu’il n’y a aucune urgence à le faire, les ministres des affaires étrangères des six pays fondateurs de l’UE (France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), réunis samedi à Berlin, ont invité le Royaume-Uni à lancer « le plus vite possible » la procédure de sortie de l’UE. « Nous disons ici, ensemble, que ce processus doit commencer aussi vite que possible pour qu’on ne se retrouve pas embourbé », a martelé le ministre des affaires étrangères allemand, le social-démocrate, Frank-Walter Steinmeier. Le Parlement européen devrait adopter mardi une résolution allant dans le même sens : il faut couper les ponts au plus vite avec le Royaume-Uni pour éviter le pourrissement. A Bruxelles, on multiplie les gestes symboliques : les 27 Représentants permanents (ambassadeurs) des Etats membres se sont réunis hier sans le représentant britannique pour préparer le sommet de mardi et de mercredi et il est déjà prévu que les chefs d’Etat et de gouvernement se réuniront mercredi sans David Cameron. Toujours pour accroitre la pression, le Polonais Donald Tusk, le président du Conseil européen, a désigné samedi le belge Didier Seeuws, un fonctionnaire européen, comme chef de la « Brexit task force » du Conseil, alors que la Commission mettait aussi en place un groupe équivalent pour préparer les futures négociations.

Reste à savoir si les Vingt-sept sont exactement sur la même longueur d’onde. A Paris, on reconnaît « que si le SPD ou Wolfgang Schäuble, le ministre des finances, sont d’accord pour accélérer les choses, la Chancelière n’est pas encore parfaitement alignée. Comme dans le cas de la Grèce, elle veut se donner du temps ». D’autant que l’activation de l’article 50 recouvre une seconde question : comment éviter que Londres refuse de l’activer tant qu’elle n’a pas obtenu l’assurance d’un futur statut préférentiel qui ne la coupera pas du marché intérieur, un élément vital pour elle ? « L’article 50 n’a pas été conçu pour servir d’instrument de chantage. Un pays peut sortir, mais c’est seulement ensuite qu’on se mettra d’accord sur un futur statut », insiste un diplomate français. Or, plusieurs Etats membres pourraient accepter de se montrer conciliant : d’abord l’Allemagne et les Pays-Bas, qui réalisent à eux deux plus de la moitié de l’excédent commercial de l’UE avec le Royaume-Uni, mais aussi les pays d’Europe du nord dont l’anglophilie n’est plus à démontrer.

« Mark Rutte, le premier ministre néerlandais, après avoir hésité, a admis que toute attitude trop conciliante serait utilisée par ses europhobes comme argument de campagne pour montrer qu’une rupture n’est pas si grave, explique-t-on à Paris. Nous avons le même problème, tout comme Matteo Renzi en Italie ». On se dit confiant qu’au final, Angela Merkel, qui n’est pas aussi menacée par les populistes de l’AfD que François Hollande par le FN, soutiendra le point de vue français. Mais l’attitude des autres pays n’est absolument pas garantie et ce sera l’un des principaux enjeux du sommet de mardi et de mercredi.

· Qui veut relancer ?

Si François Hollande a immédiatement affirmé que « l’Europe ne peut plus faire comme avant » et que Manuel Valls a appelé à « refonder, réinventer une autre Europe en écoutant les peuples », la prudence semble l’emporter dans la plupart des autres capitales, où l’appétence pour une remise à plat du projet européen est plus que limité. Surtout, Allemands et Français ne sont pas d’accord entre eux sur les contours d’une telle relance qui passerait nécessairement par une réforme des traités. Car expliquer que l’Europe ne fait pas assez pour les gens est pour le moins limité, les régions anglaises les plus aidées financièrement par l’Union européenne étant souvent celles qui ont le plus massivement voté pour le Brexit…

En fait, depuis l’élection de François Hollande, le couple franco-allemand se porte mal, en dépit des dénégations de Paris. En grande partie parce que Berlin n’a plus grande confiance en son partenaire qui s’inquiète de sa capacité à réformer son économie. Mais aussi parce que le chef de l’Etat n’a jamais formulé la moindre proposition concrète acceptable par l’Allemagne : en particulier, celle-ci refuse d’aller plus loin dans l’intégration politique sans une modification des traités qui permettrait de démocratiser la zone euro, celle-ci fonctionnant en dehors de tout contrôle parlementaire, européen ou national. De fait, Hollande craint par dessus-tout qu’une réforme des traités entraine ipso facto un référendum qu’il serait certain de perdre. Paris privilégie donc des changements « à traité constant », ce qui est inacceptable pour un gouvernement allemand soumis à la pression de sa Cour constitutionnelle : celle-ci a jugé à plusieurs reprises que l’Union est un trou noir démocratique, ce qui, selon elle, fait obstacle à tout partage de souveraineté supplémentaire, notamment dans le domaine financier. Pas question donc d’un budget de la zone euro ou d’un trésor capable de lever l’emprunt sans contrôle parlementaire. Une contradiction dans laquelle s’est empêtré le couple franco-allemand.

Cela étant, tout n’est pas de la faute de Paris : outre Rhin, la crise de la zone euro et la solidarité forcée à l’égard de la Grèce a laissé des traces profondes, tout comme la politique monétaire trop accommodante de la Banque centrale européenne qui a jeté par dessus bord tous les fondamentaux de la Bundesbank : « la Chancelière nous a dit qu’elle était épuisée par la crise grecque et qu’il ne fallait pas compter sur elle pour aller plus loin dans l’approfondissement de la zone euro », confie un responsable français.

Or, sans un couple franco-allemand en ligne, rien ne peut se faire en Europe, comme l’a rappelé dimanche le chef de l’Etat : « il est de la responsabilité de la France et de l’Allemagne de prendre l’initiative ». Matteo Renzi, le président du Conseil italien, conscient de ce blocage, a imaginé un nouveau moteur, celui que pourrait former les six Etats fondateurs. Son idée serait qu’ils accouchent d’une proposition de nouveau traité pour le soixantième anniversaire du traité de Rome, en mars 2017. Mais, là aussi, ça coince, plusieurs pays, dont l’Espagne, n’appréciant pas de se retrouver mis sur le côté… Et ce format n’a pour l’instant pas permis de surmonter les divergences franco-allemandes. Enfin, parmi les autres pays européens, aucun n’est demandeur d’un approfondissement de l’Union, et en particulier pas les pays nordiques et d’Europe centrale…

· Relancer pourquoi faire ?

Tirer les leçons du Brexit n’est pas simple, puisque la Grande-Bretagne avait un statut à part au sein de l’Union et ne participait pas aux politiques les plus intégrées : monnaie unique, union bancaire, Schengen, politique d’immigration et d’asile, police, etc. En outre, David Cameron avait obtenu de ses partenaires, en février dernier, de nouvelles clauses dérogatoires qui lui auraient notamment permis de discriminer les ressortissants européens sur le plan des prestations sociales… Mieux, les accusations de déficit démocratiques, en ce qui la concerne, tombaient totalement à plat : le marché intérieur et la politique agricole commune sont, depuis le traité de Lisbonne, totalement contrôlés par le Parlement européen et la Commission a commencé sa mue démocratique en mai 2014, son président étant désormais directement issu des élections européennes. Autrement dit, sauf à déconstruire totalement l’Union, on ne voit pas très bien l’enseignement qui pourrait être tiré de cette consultation, si ce n’est éventuellement en mettant au clair la répartition des compétences entre le niveau européen et le niveau national.

En revanche, personne ne peut nier la montée de l’euroscepticisme, notamment au sein des dix-neuf pays de la zone euro. C’est là le principal enjeu, comme l’a parfaitement compris François Hollande qui a appelé à un « renforcement de la zone euro et de sa gouvernance démocratique ». Ce qui passe par une réforme des traités afin d’instaurer un contrôle parlementaire, ce qui donnerait enfin aux citoyens leur mot à dire sur la gestion de la zone euro. A l’Elysée, on l’admet enfin, mais on renvoie cette réforme après 2017.

· Comment réformer ?

La tentation française est de négocier un nouveau traité entre Etats, comme d’habitude, à charge pour chacun de le faire ensuite ratifier. Une méthode qui échoue pourtant de plus en plus, comme le montre la succession de référendums négatifs sur l’Europe. « Il faut procéder autrement en lançant des conventions citoyennes à travers l’Europe », a donc plaidé, samedi, Emmanuel Macron : « un projet de refondation, ça doit se construire avec les gens, à partir d’un débat démocratique ». Et pour éviter 27 référendums nationaux, il plaide aussi pour une « consultation transeuropéenne ». Les Etats seront-ils prêts à une telle révolution copernicienne ? De la réponse qu’ils apporteront à cette question dépend le futur de l’Union. Et les vingt dernières années n’incitent guère à l’optimisme.

N.B.: article paru dans Libération du 27 juin

Catégories: Union européenne

Brexit: le divorce, une autre paire de Manche

mar, 28/06/2016 - 10:27

Le général de Gaulle a posé deux fois son véto à l’adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE de l’époque, en 1963 et en 1967, en expliquant que ce pays ne parviendrait pas à renoncer à ses spécificités pour s’intégrer dans un ensemble plus grand. Il estimait qu’il fallait mieux lui proposer un « accord d’association » purement commercial. Son avertissement, lancé le 27 novembre 1967, prend, aujourd’hui, des allures prémonitoires : « Faire entrer l’Angleterre », ce serait « donner d’avance (notre) consentement à tous les artifices, délais et faux-semblants qui tendraient à dissimuler la destruction d’un édifice qui a été bâti au prix de tant de peine et au milieu de tant d’espoir ». L’Europe en est là : elle doit éviter que le départ fracassant de la Grande-Bretagne ne fasse s’effondrer l’Union et gérer sans casse le divorce entre ce pays, qui a décidé de quitter unilatéralement la maison commune, et l’Union, qui ne voulait pas le voir partir. La séparation ne se faisant pas par consentement mutuel, on risque d’assister à quelques belles bagarres entre les deux anciens conjoints. Décryptage.

· À quel moment vont commencer les négociations de rupture ?

L’article 50 du traité européen, introduit par Lisbonne entré en vigueur en décembre 2009, prévoit qu’un Etat qui veut quitter l’Union « notifie son intention » au Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement. À partir de là, les États membres ont deux ans pour parvenir à « un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union ». Faute d’accord, les traités cessent purement et simplement de s’appliquer à ce pays, sauf si la période de négociation est prolongée à l’unanimité des États membres. Il ne dit absolument rien d’autre. Profitant de ce flou juridique, David Cameron, le Premier ministre britannique, a d’ores et déjà annoncé qu’il ne déposera aucune demande lors du sommet de mardi et mercredi prochain. Il laissera ce soin à son successeur, sans doute Boris Johnson, lorsqu’il aura démissionné à l’automne. Mais même là, rien n’est certain : Londres pourrait même faire indéfiniment durer le plaisir afin d’essayer de négocier avec chaque capitale européenne le meilleur des arrangements possibles, partant du principe qu’il est plus facile de parler avec une Union divisée qu’unie. Pour Guy Verhofstadt, le patron du groupe libéral au Parlement européen, il faut absolument éviter de tomber dans ce piège : « il faut obliger le Royaume-Uni à déposer sa demande le plus vite possible ». « Je voudrais que pour tout le monde il soit très clair, évident, nécessaire, que le processus d’incertitudes dans lequel nous sommes entrés ne dure pas trop longtemps. Il faut accélérer les choses », a plaidé se son côté Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. Avec Donald Tusk, le président du Conseil européen, et Martin Schulz, le président du Parlement européen, il a demandé « que le gouvernement du Royaume-Uni rende effective cette décision du peuple britannique dès que possible ».

· Comment vont se dérouler les négociations ?

Là aussi, l’article 50 est silencieux : seront-elles menées par le Polonais Donald Tusk, le président du Conseil européen, qui craint qu’un Brexit « marque le début de la destruction de l’Union européenne, mais aussi de la civilisation occidentale », la Commission ou par des représentants des trois institutions (Parlement, Conseil, Commission) ? Le choix que feront les chefs d’État et de gouvernement ne sera évidemment pas neutre sur la façon dont les Vingt-sept (qui se réuniront mardi pendant quelques heures sans le Royaume-Uni) envisagent la suite des négociations. En effet, deux questions différentes se posent : les conditions de la rupture elle-même, et le futur statut qui liera la Grande-Bretagne à l’Union. La tentation des plus anglophiles, en réalité ceux qui réalisent une partie non négligeable de leurs échanges avec le Royaume-Uni, sera de rendre la sortie la moins douloureuse possible en évitant un vide entre la fin de l’application des traités européens et l’accès au marché unique que veulent obtenir les Britanniques pour continuer à exporter leurs biens et leurs services. Le problème est qu’un tel schéma va se heurter aux impératifs de politique intérieure de plusieurs États membres, dont l’Allemagne, la France ou encore l’Italie. Si la rupture se passe sans aucune conséquence économique pour la Grande-Bretagne, cela fournira des arguments aux populistes locaux pour réclamer à leur tour un référendum de sortie. Même si la situation de la zone euro est spécifique, puisqu’il faudrait alors abandonner la monnaie unique, le FN ou Alternativ für Deutschland (AfD) ne se gêneront pour invoquer le caractère indolore d’une séparation à l’amiable. C’est pourquoi tant Angela Merkel, la chancelière allemande, que François Hollande, le Président français, ont clamé en cœur : « dehors, c’est dehors » : « quand c’est non, c’est non, et il n’y a pas de statut intermédiaire, il y aurait donc à en tirer toutes les conclusions », a martelé le chef de l’Etat jeudi. Autrement dit, plusieurs batailles vont se dérouler en même temps : l’une vis-à-vis de la Grande-Bretagne pour l’obliger à déposer sa demande, l’autre entre les Européens pour déterminer s’ils utilisent la méthode douce au risque de donner des arguments à leurs populistes, ou la méthode brutale afin d’éviter un effet domino.

· Quelle place pour la Grande-Bretagne dans l’Union avant la rupture définitive ?

Là aussi, l’article 50 est muet. A priori, la Grande-Bretagne présidera l’Union au second semestre 2017, David Cameron et son successeur continueront à siéger au Conseil européen, les ministres britanniques à voter au Conseil des ministres, les députés européens britanniques à adopter les textes européens, le commissaire britannique à proposer des législations, les juges britanniques de la Cour de justice européenne à rendre des jugements. Ce qui est extrêmement étrange alors que toutes les décisions qui seront prises durant cette période n’auront pas vocation à s’appliquer outre-Manche. La logique voudrait que les Britanniques s’abstiennent de participer aux votes, mais on peut douter qu’ils se comportent ainsi en parfaits gentlemen… Quant aux fonctionnaires britanniques des institutions communautaires (1400 en tout), ils resteront en place au moins jusqu’au Brexit effectif. Ils devraient ensuite conserver leur job, puisqu’ils n’ont pas été recrutés en fonction de leur nationalité, mais n’occuperont plus aucun poste politique (directeurs généraux, directeurs généraux adjoints, directeurs). C’est pourquoi la plupart d’entre eux vont chercher à acquérir la nationalité d’un État membre (soit par naturalisation, ce qui profitera aux Belges, soit grâce à leur conjoint).

· Quel statut pour la Grande-Bretagne ?

En réalité, il est fort probable que le Royaume-Uni soit simplement traité comme un pays tiers, sans accès privilégié au marché unique. Non pas du fait des Européens, qui seront demandeurs d’une relation renforcée pour des raisons commerciales et financières, mais du fait de Londres qui ne pourra sans doute faire aucune concession qui s’apparentera à un abandon de souveraineté. Ainsi, il est hors de question que le pays intègre l’Espace Economique Européen comme la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein : en effet, toute la législation concernant le marché unique continuerait à lui être applicable, y compris la libre circulation, le droit de l’environnement ou la politique sociale, sans qu’elle ait son mot à dire. Pis, elle devrait contribuer au budget communautaire : sa contribution, par rapport à son niveau actuel, ne diminuerait que de 9 %. Un statut à la Suisse, qui a négocié 120 accords bilatéraux avec l’Union, se heurterait aux mêmes obstacles : outre que les services financiers en seraient exclus, cela l’obligerait à accepter la libre circulation et elle devrait contribuer au budget européen (mais avec une diminution de 55 % de sa contribution). Entrer dans l’Union douanière, comme l’a fait la Turquie, ne serait pas très intéressant pour elle, puisque, là aussi, les services financiers ne sont pas concernés. Enfin, il y aurait la possibilité de conclure un simple accord de libre-échange avec l’Union. Mais, comme dans les cas précédents, elle n’aurait qu’un accès très partiel au marché unique et elle serait obligée de respecter l’ensemble des normes européennes, celles-là mêmes que les europhobes britanniques ont dénoncées pendant la campagne. Bref, trouver un statut ad hoc va prendre du temps, énormément de temps et pendant ce temps-là, la Grande-Bretagne n’aura qu’un accès limité au marché unique. Et son commerce avec le reste du monde va souffrir : l’Union a conclu 200 accords de libre-échange que Londres va devoir renégocier pour son propre compte. Et là, elle ne sera pas en position de force.

· Comment consolider l’Union européenne ?

C’est sans doute l’enjeu le plus important : le départ de Londres souligne les insuffisances de l’intégration communautaire, son caractère inachevé, l’insatisfaction qu’elle suscite dans les opinions publiques, souvent pour des raisons opposées. Ainsi, si les Français la jugent « ultra libérale », les Anglais l’estiment trop réglementaire. Il faut donc remettre l’ouvrage sur la table et seul le couple franco-allemand, pour l’instant en coma profond, peut le faire, en s’appuyant sur les autres pays fondateurs. Jean-Claude Juncker attend Paris et de Berlin « des prises de positions très claires », comme il l’a dit vendredi, et Paris affirme y travailler d’arrache-pied depuis…4 ans. Sauf surprise, cela ne devrait pas être pour le sommet de mardi : « on va dans un premier temps essayer de limiter l’onde de choc », dit-on à Paris. Le second temps sera celui de la relance, mais sans doute pas avant les échéances électorales franco-allemandes de 2017.

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 25 juin

Catégories: Union européenne

Une "nouvelle frontière" pour l'Europe après le Brexit

lun, 27/06/2016 - 15:57

In ou out, plus rien ne sera comme avant : la succession de référendums perdus sur les questions européennes, le fait qu’un pays s’interroge sur son maintien dans l’Union, montre que le rêve européen est, sinon brisé, du moins sérieusement ébréché. Comment redonner du sens à une construction qui a pourtant réussi à maintenir la paix sur le vieux continent depuis 1950 ? Deux europhiles convaincus, Sylvie Goulard, députée européenne libérale - qui vient de publier « Goodbye Europe » (Flammarion)-, et son ancien collègue écologiste, Daniel Cohn-Bendit, député européen entre 1994 et 2014, livrent leur diagnostic croisésur l’état de l’Union et sur la meilleure façon de rebondir. En résumé, « soyez réalistes, demandez l’impossible »...

Ce référendum marque-t-il un tournant dans l’histoire de l’Union européenne ?

DCB : Absolument ! Quel que soit le résultat, même si le « remain » l’emporte, l’Europe a failli sombrer et elle sombrera si l’on continue comme avant : l’Union n’est plus désirable, car elle n’est pas à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés.

SG : Ce référendum est un événement majeur qui n’a pas été traité comme il le méritait. Jusqu’à présent, le processus d’élargissement et d’approfondissement de l’Union, quoique chaotique, a été continu. Personne ne l’a jamais remis en cause au point de vouloir quitter l’Union. Si c’est un non extrêmement clair, ce sera la première dislocation de l’Union. On pourra peut-être l’endiguer car le Royaume-Uni a une relation spéciale avec l’UE. Mais on peut se retrouver dans un scénario intermédiaire avec un petit « oui » qui rencontrerait des résistances extrêmement fortes, notamment au sein du Parlement britannique ou un petit « non », incitant Londres à négocier des dérogations supplémentaires. David Cameron y sera d’autant plus enclin que nous sommes déjà tombés dans le piège du chantage : la sortie de l’Union prévue par les traités ne doit pas être un instrument de menace qui permet d’obtenir un statut privilégié. Si on sort, on sort.

Y a-t-il un risque d’effet domino ?

SG : Oui, on ne peut pas l’exclure.

DCB : Si la Hongrie veut suivre, grand bien lui fasse ! Il y a des limites au bashing européen : si on pense que l’Union, comme l’affirme Viktor Orban, c’est l’URSS, il vaut mieux en partir. Et là, pas de risque que l’Europe envoie ses chars, ce qui n’est pas mal pour un espace prétendument dictatorial…

Pourquoi assiste-t-on à une telle montée de l’euroscepticisme ?

DCB : Le projet européen est en rupture avec trois siècles d’histoire conflictuelle entre États : il ne peut donc pas se faire sans douleur et sans va-et-vient. Après les deux guerres mondiales, les élites européennes se sont demandé comment éviter que cela se reproduise. La réponse a été la construction communautaire. Mais elle ne pouvait être lancée avec l’accord des peuples. Si en 1950, on avait demandé aux Français s’ils voulaient se réconcilier avec les Allemands, le non l’aurait emporté très largement. Mais il a fallu attendre l’effondrement des empires coloniaux qui rendait impossible toute tentation hégémonique pour que le projet européen soit véritablement lancé. Trente ans après, l’Union a été confrontée à la chute du communisme et au désir des États d’Europe centrale et orientale de participer au bien-être européen. L’Union a été prise dans un piège politique exactement comme l’Allemagne après l’unification, lorsque Helmut Kohl a décidé de la parité entre le mark de l’ouest et le mark de l’est. C’était une aberration économique, mais il ne pouvait pas faire autrement sinon des millions d’Allemands de l’Est seraient passés à l’ouest. Et on n’allait pas construire un mur ! L’Europe n’a pas pu faire autrement avec l’Est et a dû accepter l’élargissement. Mais ce faisant, la nature de l’Europe a changé et les Européens ne comprennent plus pourquoi on fait l’Europe. On est resté au milieu du gué en n’achevant pas la construction communautaire ce qui la laisse démunie face aux crises que nous affrontons : certains croient donc que la souveraineté nationale nous protègera mieux contre les crises. C’est l’indécision des États qui fait le lit des populismes.

SG : En Europe, beaucoup a été promis, peu a été tenu et, dans le même temps, le monde a changé.

Les citoyens qui votent contre l’Europe ont à peu près le même profil dans tous les pays : des hommes, plutôt âgés, peu formés, vivant hors des grands centres urbains et qui se sentent oubliés du progrès économique. N’est-ce pas inquiétant pour le projet européen ?

SG : C’est surtout inquiétant pour nos sociétés Les États peinent à produire de la cohésion. Rappelons nous que ce sont eux qui restent responsables des politiques économiques, sociales, d’éducation et de formation, qu’ils soient dans la zone euro ou non. Ainsi, le Royaume-Uni dont les performances agrégées sont bonnes connaît de fortes inégalités, que ce soit en termes de revenus, de territoires, d’accès à la culture, de formation. En France, il y a infiniment trop de jeunes sans formation, livrés à eux-mêmes sans outils de compréhension du monde. Ca, c’est la faillite des États, pas de l’Europe. C’est tout le problème : le projet européen est pris en tenaille entre les niveaux nationaux et le niveau mondial. Même sans l’Europe, l’incapacité des États à assurer l’égalité des chances demeurerait et la mondialisation continuerait à produire ses effets.

N’y a-t-il pas une ambiguïté du projet européen qui a longtemps dissimulé ses objectifs politiques derrière des objectifs purement économiques.

DCB : L’idée était effectivement d’unifier le continent par l’économie, le charbon et l’acier, puis le marché unique, en évitant les grands projets politiques qui risquaient de crisper les États. D’ailleurs, l’armée européenne a échoué en 1954… Il fallait donc d’abord apprendre à vivre en commun avant toute intégration politique. C’est au moment de la création de l’euro, en 1991, qu’on est totalement passé à côté du momentum politique. C’est à ce moment-là qu’on aurait du clarifier le projet : d’un côté, un marché, de l’autre une Europe politico-économico-sociale. Car il ne faut pas s’y tromper : la justification de l’euro n’était pas du tout économique, mais politique, tout comme la parité entre le mark de l’est et de l’ouest était politique. Pour éviter l’hégémonisme d’une Allemagne unifiée au centre du continent, il fallait renforcer l’intégration européenne. Mais, à Maastricht, les chefs d’État et de gouvernement ont fait du marxisme basique : ils ont posé les bases d’une Europe économique et financière en pensant que le politique, c’est-à-dire la structure, suivrait automatiquement. C’est le type même de pensée magique. Résultat : le projet politique qui doit gouverner l’Europe économique et financière n’a jamais été mis en place. On en est resté à une addition d’États souverains qui, même avec la monnaie unique, sont toujours aussi jaloux de leur souveraineté alors même qu’ils auraient dû en transférer une bonne partie à un espace commun qui s’appelle l’Union européenne.

SG : Les Français doivent se souvenir que leur Parlement a rejeté la Communauté de défense en 1954 et que Mitterrand a refusé le projet d’union politique proposé à Maastricht par la Présidence néerlandaise, en accord avec l’Allemagne. Ceci dit, il faut regarder devant. Il pourrait y avoir dans le référendum britannique un aspect positif : inciter à mettre au clair le projet européen et à répondre aux inquiétudes et interrogations des citoyens. L’UE n’est pas une entité abstraite : elle est ce que nous en faisons. Personne n’est satisfait mais aucun État ne propose des changements. En France, où est pourtant né le projet européen, le gouvernement ne cherche pas à perfectionner la démocratie au sein de la zone euro alors même que les Européens sont avides d’avoir leur mot à dire. Nous avons besoin d’une « nouvelle frontière », d’un projet, d’un nouveau rêve, comme, en son temps, le défi américain d’aller sur la lune : un projet touchant aux nouvelles technologies, à la culture, une grande avancée scientifique, comme par exemple la création de nouveaux antibiotiques. L’Europe mérite mieux que d’être vendue par la peur ou le coût de sa dislocation.

L’Union est faite par les États : or, plus aucun responsable politique national n’est prêt à aller plus loin.

SG : De fait, le projet européen est en déshérence. Mais attention au piège ! Si l’Union s’effondrait, les États européens qui se sépareraient n’en sortiraient pas grandis. Il est illusoire croire que nous avons le choix entre d’un côté, une voie européenne et, de l’autre une voie nationale. Sur bien des sujets, la voie nationale est une escroquerie ou, au mieux, une nostalgie. Et la chute de l’UE entraînerait les Etats à sa suite car il y a une interaction entre les deux. Le comportement des générations au pouvoir rappelle celui des enfants gâtés de familles fortunées: le grand-père bâtit la maison, le fils l’entretient, le petit-fils, en se laissant vivre, dilapide le patrimoine.

DCB : On le voit notamment en France avec François Hollande qui se tient totalement en retrait du débat européen. Quand j’entends les ministres de l’Intérieur affirmer que l’Europe est un échec en matière de la lutte antiterroriste alors que les États refusent de lui donner des compétences dans le domaine de la police et du renseignement, c’est fort de café. Il faut sortir de ce cercle vicieux. Aujourd’hui, on est dans la situation de ceux qui ont lancé l’Europe dans les années 50 : ils n’étaient pas majoritaires, mais ils ont tenu le coup, ils sont partis à la conquête idéologique des sociétés. Il ne faut pas reculer, il faut briser cette armure d’illusions sur la capacité des États à agir dans un monde qui n’est plus celui des années 20.

N’est-on pas à la fin d’un cycle historique, celui de la construction communautaire, et au début d’un autre, le retour des États défendant leurs intérêts nationaux.

SG : Le repli national, comme avant 45 ? Cela mérite d’y réfléchir deux minutes. D’abord, la mondialisation, vous pouvez la nier, elle peut se rappeler à vous, à une terrasse de café du 11ème arrondissement de Paris, quand un fanatique entraîné en Syrie vient vous tirer dessus. Notre devoir est de dire que le monde actuel est inhospitalier et que nous ne répondrons pas aux défis qui se posent à nous, que ce soit dans le domaine du commerce, du changement climatique ou du terrorisme, en s’enfermant dans le pré carré national. Ensuite, « le monde d’avant » 1950 n’était pas terrible. Le nationalisme des uns exacerbait celui des autres, d’où la confrontation et la haine. Nous ne devrions pas nous croire plus malins que ceux qui, par le passé, ont payé l’illusion nationale au prix fort. Des millions d’Européens en sont morts. Enfin et surtout, pourquoi désespérer ? Pourquoi ne pas croire que la majorité des êtres humains veut vivre libre et en paix ?

DCB : Il faut prendre le risque de se projeter dans l’avenir, imaginer une renaissance du projet européen autour d’une constitution créant une fédération, ce qui ne veut absolument pas dire un super Etat, mais tout simplement une meilleure organisation des compétences et de leur contrôle démocratique. Seule une Europe forte nous permettra d’affronter la mondialisation, une mondialisation qui change complètement la donne : qui peut décemment croire que les Etats européens peuvent peser sur l’avenir du monde s’ils sont divisés ?

N.B.: Version longue de l’entretien paru dans Libération du 24 juin avant que l’on connaisse les résultats du référendum.

Catégories: Union européenne

Brexit: dearest English friends, thank you!

dim, 26/06/2016 - 17:14

And now, Ladies and Gentlemen, the English version of my column!

My heartfelt thanks to you, my English and Welsh friends. You have managed to resist all argumentations - from the rational to the apocalyptic - of those who backed ‘REMAIN’. You have chosen to disregard the risks of your glorious country exploding - the Scots and the Northern Irish, two of the remaining four countries of your Empire, having voted massively – and shamefully– in favour of the Union. You have risked dividing your society in the long term between, on the one hand, the young, educated urban youth who are massively in favour of ‘REMAIN’, and on the other hand the older, less-qualified country dwellers supporting ‘LEAVE’, resulting in what amounts to a long-lasting social fracture. An incredibly brave choice because it has politically devastated and will economically weaken your country, for which Europe will be eternally grateful to you.

This demonstrates your sense of sacrifice which has already benefited the continent on several occasions, for instance when you saved it from the grasp of Napoleon, and subsequently twice from German hegemony. You have finally come to the conclusion that the place of your island is not within the Union. Even if you were already well and truly ‘outside’ (budget, euro, Schengen, security and immigration policies, banking union, etc.), the mere fact that you were there was always enough to block all attempts at further integration - not only in fear of displeasing you - but because each time we had to create extra unnecessarily complex procedures to enable you to keep your ‘special status’. The result of this is that the reforms have always ended up, thanks to you, in making this very Union more and more unreadable in the eyes of its citizens and thereby distancing them from it. Once again, despite all our efforts you continued to consider this European Union ultra dogmatic and over-controlled : we were not fortunate enough to have experienced Thatcherism and we remained for the most part attached to the welfare state, state interventionism, regulated markets – all of which horrified you. We also had to accept a watering down of the vision of the founding nations and adoption of short-term policies which, in the end, please no one : Europe has accomplished the amazing feat of inventing regulatory ultraliberalism.

You witnessed the successive crises which have shaken the Union since 2008 and you understood that it was doomed to perish beneath its contradictions, its paralyses, its compromises and the mediocrity of its national leaders who encourage ever greater scepticism of a European project held responsible for all national issues. You have therefore decided to give us a monumental kick up the backside: if the shock of the departure of one of the four largest countries in the Union does not wake us up, if we do not mobilise ourselves in order to revitalise the construction of the European Union, which has ensured peace on our continent for 70 years, then we no longer deserve to exist. Your Churchillian gesture will go down in history! So you know what awaits you : after World War II you descended into such economic depression that the IMF had to come to your aid, almost as if you were like petty Greece! When you joined in 1973 your GDP was one of the lowest in the EEC, and this is why you adhered to a project you despised. If Churchill believed in the United States of Europe, it had to be with the United Kingdom occupying the role of super power and certainly not a simple member with no more importance than France!

As always, I am amazed by your sense of sacrifice and general interest. When I think what lies ahead of you, both in cutting the links between you and us (200 commercial deals safeguarded by the Union and which you will need to renegotiate, 80,000 pages of community based laws which you will need to sort through to avoid legal loopholes, the many transactions in euros which will desert you for the Continent) and your need to maintain access to the single market, in particular for your banks and financial services, I can only salute your courage! Ahead of you are years of uncertainty, torment and heartrending moments! I salute you, my English friends ! I hope we will be seen as worthy of your sacrifice! In any case, bonne chance for the lonely journey which awaits you!

Traduction: team Vadot (Gordes-Bruxelles-Canberra). Merci à elles et eux!

Catégories: Union européenne

Brexit: amis anglais, merci pour votre sacrifice !

ven, 24/06/2016 - 15:28

Amis Anglais et Gallois, merci, du fond du cœur. Vous avez su résister à tous les arguments, des plus rationnels aux plus apocalyptiques, de ceux qui militaient pour le remain. Vous avez choisi d’ignorer les risques d’explosion de votre glorieux pays, les Écossais et les Irlandais du nord, deux des quatre nations de ce qui reste de votre Empire, ayant massivement -et honteusement- voté en faveur de l’Union. Vous avez pris le risque de diviser pour longtemps votre société entre, d’une part, jeunes, diplômés et urbains, massivement «remain», et, d’autre part, vieux, peu diplômés et ruraux, massivement «leave», une fracture sociale pour longtemps béante. Un vote d’un courage inouï puisqu’il a politiquement dévasté et va économiquement affaiblir votre pays, ce dont l’Europe ne peut que vous être reconnaissante.

Car il manifeste votre sens du sacrifice dont le continent a bénéficié à plusieurs reprises, lorsque vous l’avez sauvé des griffes de Napoléon, puis de l’hégémonisme allemand (à deux reprises). Vous avez enfin compris que la place de votre île n’était pas au sein de l’Union. Bien que vous ayez un grand pied en dehors (budget, euro, Schengen, politique de sécurité et d’immigration, union bancaire, etc.), votre seule présence suffit à bloquer toute tentative d’intégration supplémentaire, non seulement par peur de vous déplaire, mais parce qu’il fallait à chaque fois imaginer une usine à gaz supplémentaire pour que vous conserviez votre « statut spécial ». Résultat : les réformes de l’Union ont toujours abouti, à cause de vous, à la rendre de plus en plus illisible aux yeux des citoyens et donc à les en éloigner. En dépit de tous nos efforts, vous continuiez à trouver cette Europe ultra-réglementaire et dirigiste, alors que la majorité des Européens la trouvent bien trop libérale : nous n’avons pas eu la chance de connaître Margaret Thatcher et nous sommes restés, globalement, attachés à l’État providence, à l’interventionnisme étatique, au marché régulé, toutes choses qui vous font horreur. Aussi, nous avons du accepter d’affadir le projet des pères fondateurs et pratiquer une politique du moyen terme qui, au final, déplait à tout le monde: l’Europe a réussi l’exploit d’inventer l’ultralibéralisme réglementaire !

Vous avez assisté aux chocs qui ont secoué l’Union depuis 2008 et vous avez compris que l’Union risquait de mourir sous le poids de ses contradictions, de ses paralysies, de ses compromis et de la médiocrité de ses dirigeants nationaux qui alimentent un scepticisme de plus en plus fort à l’égard d’un projet européen rendu responsable de toutes les difficultés nationales. Vous avez donc décidé de nous donner un grand coup de pied au derrière : si le choc du départ de l’un des quatre grands pays de l’Union ne nous réveille pas, si nous ne mobilisons pas pour relancer une construction qui a assuré la paix sur le continent depuis 70 ans, c’est que vraiment nous méritons de disparaître. Votre sursaut churchillien restera dans l’histoire ! Car vous savez ce qui vous attend : après la Seconde Guerre mondiale, vous vous êtes enfoncé dans la dépression économique au point que le FMI a dû voler à votre secours, comme une vulgaire Grèce. Votre PIB, lors de votre adhésion en 1973, était l’un des plus bas de la CEE, et c’est pour cela que vous avez rejoint un projet qui vous répugnait. Si Churchill était pour les États-Unis d’Europe, c’était évidemment avec un Royaume-Uni qui en serait la puissance tutélaire et non un simple membre, pas plus important que la France !

Je suis impressionné, comme toujours, par votre sens du sacrifice et de l’intérêt collectif. Quand je pense à ce qui vous attend, tant pour couper les liens entre vous et nous (200 accords commerciaux signés en votre nom par l’Union que vous allez devoir renégocier, 80000 pages de lois communautaires qu’il va falloir trier pour éviter les vides juridiques, les opérations en euros qui vont partir pour le vieux continent) que pour essayer de conserver un accès au marché unique, notamment pour vos banques et vos services financiers, je ne peux que saluer votre courage ! Ce sont des années d’incertitudes, de tourmentes, de déchirements qui vous attendent. Chapeau bas, messieurs les Anglais ! Espérons que nous saurons nous montrer dignes de votre sacrifice. En tous les cas, good luck pour votre aventure solitaire.

Catégories: Union européenne

Brexit: qui est in? Qui est out?

jeu, 23/06/2016 - 17:02

Aujourd’hui, un numéro spécial de Libération consacré au Brexit. Superbe mise en page. D’un côté, les arguments du «in», de l’autre, ceux du «out», le tout vu tant d’un point de vue britannique qu’européen. Mes articles sont ici: pour le remain , pour le leave.

Catégories: Union européenne

Le Brexit en dix questions

mer, 22/06/2016 - 08:34

Voici l’article que j’ai écrit avec Vittorio De Filippis et Sonia Delesalle-Stolper

David Cameron, le Premier ministre, l’avait promis : jeudi, les Britanniques se prononceront par référendum sur la sortie ou le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Libération passe en revue dix conséquences possibles si d’aventure le «leave»(départ de l’UE) devait l’emporter.

1. Vers une crise politique majeure ? (SDS)

Le 23 janvier 2013, David Cameron promet aux Britanniques un référendum sur l’Union européenne. Son objectif est clair : éloigner la menace des anti-européens du Ukip et damer le pion aux eurosceptiques de son parti conservateur. Echec sur toute la ligne. Les gains électoraux du Ukip se sont amplifiés. Et, depuis, les tories anti-UE ne le laissent pas en paix. Le verdict du 23 juin, deux ans et cinq mois exactement après cette promesse, scellera l’avenir du Royaume-Uni. Mais aussi celui de Cameron, qui a pris la tête de la campagne du «remain», en faveur du maintien au sein de l’UE. Il a, à ses côtés, le parti libéral-démocrate, les travaillistes et les Verts. Contre lui se trouvent le Ukip et… une bonne moitié de sa formation. Le Premier ministre a laissé chacun libre de son vote, que ce soit les députés de son parti ou les ministres de son cabinet (23 d’entre eux sont pour rester, 7 pour quitter l’UE).

Si le «remain» gagne, Cameron peut espérer museler, pour un temps, ses troupes. Encore que. Il faudrait pour cela que non seulement le camp du «remain» l’emporte largement dans le pays - c’est mal barré -, mais également au sein des tories. Or, sur 330 députés conservateurs, au moins 130 se sont déclarés en faveur du «leave». Le comble : que le pays vote pour rester mais que la majorité du parti du Premier ministre vote contre. Dans ce cas, et dans celui évidemment d’une victoire du Brexit, ses jours seront comptés. En embuscade, l’ancien maire conservateur de Londres, Boris Johnson. Sa décision - tardive - de soutenir une sortie de l’UE a surpris, avant qu’elle ne soit interprétée comme un choix politique. Le regard de l’ancien maire de Londres n’est pas porté vers le continent. Il est fixé sur le 10, Downing Street.

2. Doit-on redouter l’explosion du Royaume-Uni ? (SDS)

Et si en cas de Brexit, l’Ecosse était, elle aussi, tentée de prendre la poudre d’escampette ? Histoire de mieux revenir ensuite dans le giron de l’UE. Les Ecossais sont, en grande majorité (à plus de 55 %, selon les sondages), en faveur du maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE. Or, si l’ensemble du pays votait jeudi pour une sortie, l’Ecosse pourrait décider de reconvoquer un référendum sur son indépendance, comme en septembre 2014. Lors de son rejet, par 55 % contre 45 %, le Scottish National Party (SNP), parti indépendantiste qui domine le Parlement semi-autonome d’Ecosse, avait prévenu que ce référendum était le dernier pour au moins une génération, à moins d’un «changement important de circonstances». Comme un Brexit ? Nicola Sturgeon, la cheffe du SNP et Première ministre de l’Ecosse, n’a pas caché le risque d’un tel scénario. Cameron, lui, a mis en garde contre celui d’un démantèlement du Royaume-Uni. Qui sait ? L’Irlande du Nord, qui penche pour le «remain», ou le pays de Galles, plus partagé, pourraient aussi être tentés par l’indépendance. Surtout si les résultats de jeudi donnaient des électeurs anglais en faveur du Brexit et tous les autres (Ecossais, Gallois et Nord-Irlandais) pour le «remain». Reste qu’un nouveau référendum en Ecosse est loin d’être acquis. Le SNP ne dispose plus d’une majorité absolue au Parlement écossais et Nicola Sturgeon ne prendra le risque de convoquer un nouveau scrutin que si elle est sûre d’emporter l’indépendance. Or l’appétit pour l’indépendance ne s’est pas accru en Ecosse. Au contraire. La chute des revenus pétroliers a mis en doute la possibilité qu’une Ecosse indépendante puisse survivre économiquement. Les derniers sondages donnent 41 % des Ecossais en faveur de l’indépendance. En cas de Brexit, la proportion ne dépasserait pas les 44 %.

3. Quel statut aurait le Royaume-Uni ? (JQ)

That is the question. L’UE va devoir négocier les conditions du retrait du Royaume-Uni et s’entendre sur ses futures relations avec Londres. Une partie des capitales européennes, par anglophilie et intérêts bien compris, souhaite rendre ce retrait le moins douloureux possible. Elle voudra négocier, parallèlement aux conditions de départ, un accord sur le statut britannique. Ce qui permettra de ne rompre à aucun moment les ponts entre les deux rives de la Manche. Et Londres pourra continuer à bénéficier des avantages du marché unique. D’autres, dont Paris et Berlin, veulent séparer les deux négociations pour éviter de conforter les eurosceptiques dans leurs visées sécessionnistes… Si le Royaume-Uni obtient tout ce qu’il demande sans dommages pour son économie, cela ne peut qu’encourager le Front national à réclamer le même traitement pour la France. Un piège dans lequel François Hollande ne veut pas tomber à un an de la présidentielle. «L’article 50 du traité sur l’UE prévoit une négociation de deux ans à partir de la notification formelle de son intention de retrait pour rompre les liens, et ça sera déjà très compliqué. Attendons la fin de cette négociation pour savoir quel statut lui accorder ensuite»,explique-t-on à Paris. En clair, faisons la démonstration qu’un divorce est toujours douloureux avant de voir si on peut continuer à déjeuner de temps à autre ensemble.

A la Commission européenne, on campe sur la même longueur d’onde : «Deux ans, ce n’est pas énorme vu la complexité de la négociation : tout ce qui a été touché par le droit de l’Union devra être réglé, explique un fonctionnaire. La logique serait qu’on termine d’abord la négociation de rupture avant de régler les relations entre Londres et l’Union.» «Il ne va pas être facile de trouver un accord à 27 sur ce problème», concède un diplomate. D’autant que le Royaume-Uni va devoir choisir un statut. Ce qui risque de déclencher une nouvelle guerre interne. Hors de question de ne plus avoir aucun accès au marché unique. Mais, dans un premier temps, elle se retrouvera dans la situation d’un pays tiers qui n’a négocié aucun accord préférentiel avec l’Union. Un accord de libre-échange est donc le minimum : «Mais ça prendra du temps. Avec le Canada, on a mis presque dix ans pour y arriver»,rappelle un diplomate. Le Royaume-Uni voudra-t-il aller plus loin et intégrer l’Espace économique européen, à l’instar de la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein ? Continuer à être soumis à la quasi-totalité de la législation de l’UE sans avoir voix au chapitre et contribuer au budget européen pour le prix d’un accès total au marché unique ? On peut en douter. Un système à la Suisse fait d’accords bilatéraux ? Rien n’est moins sûr. Demandera-t-elle le statut turc, ce qui lui permettrait au moins d’être dans l’union douanière, à l’exclusion de toutes les autres politiques ? Là aussi, la souveraineté britannique serait limitée. Le choix sera cornélien.

4. Faut-il craindre un effet domino en Europe ? (JQ)

C’est la terreur des pro-européens, fédéralistes ou pas. Déjà, Geert Wilders, leader du PVV, le parti d’extrême droite qui caracole en tête des sondages aux Pays-Bas, réclame un référendum sur l’appartenance de son pays à l’Union européenne, tout comme le FN en France. D’autres Etats eurosceptiques pourraient être tentés, à l’image de la Suède, voire du Danemark. Dans l’est de l’Europe, le danger d’une sécession est moins grand : ces pays bénéficient de la manne du budget communautaire (jusqu’à 4 % de leur PIB chaque année). Mais si Londres obtient un statut trop avantageux, cela risque d’encourager des vocations. D’où la volonté de Paris de ne pas s’engager dans cette voie risquée. Reste que le danger est, pour l’instant, lointain : même si l’idée européenne est en perte de vitesse dans la plupart des pays, la virulence anti-UE n’a jamais atteint le niveau britannique. Surtout, à la différence du Royaume-Uni, la France et les Pays-Bas appartiennent à la zone euro, ce qui rendrait encore plus périlleuse une sortie de l’UE, comme l’ont montré les débats en Grèce ces derniers mois.

5. Le Royaume-Uni va-t-il subir un choc économique ? (VDF)

C’est l’histoire de trois candidats à un emploi. Le premier est mathématicien, le second comptable et le troisième économiste. Une même question est posée aux trois : «Combien font deux et deux ?» Sans hésiter, le mathématicien répond «quatre». Le second nuance : «En moyenne, ça fait quatre.» L’économiste ? Il se lève, ferme la porte, baisse les rideaux et chuchote à l’oreille de son interlocuteur : «Vous voulez que ça fasse combien ?» Lorsqu’il s’agit d’évaluer l’impact économique d’un Brexit, le patron de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Angel Gurría, se veut incontestable. En visite à Londres fin avril pour présenter les résultats d’une étude sur les conséquences du Brexit, l’homme parle avec la précision d’un physicien. A court terme, c’est-à-dire à l’horizon 2020, le PIB du Royaume-Uni devrait être inférieur de 3,3 % à celui attendu si d’aventure les Britanniques décidaient de claquer la porte de l’UE. Et en livres sterling, le manque à gagner pour chaque foyer britannique serait de 2 200 livres par an (2 785 euros). Plus pessimiste que l’estimation de la London School of Economics (LSE), qui préfère donner une fourchette de perte de PIB entre 1,3 et 2,6 %. L’étude de l’OCDE rejoint ainsi celle de la Confederation of British Industry (CBI). Défiance, renchérissement des financements extérieurs, fuite des capitaux…

Pour nombre d’économistes, un Brexit provoquerait une forte dépréciation de la livre sterling (qui a déjà commencé). De quoi doper les exportations ? Pas tout à fait. Les plus pessimistes - réalistes, diront certains - estiment que la chute de la devise anglaise pourrait bien provoquer un effet opposé. Certes, le Royaume-Uni exporte des services très sophistiqués (financiers, juridiques, informatiques…) et des biens tout aussi élaborés (comme la pharmacie ou l’électronique). Mais les économistes sont formels : leur niveau d’exportation ne dépend pas du prix, puisque l’élasticité-prix de ces produits et services «made in UK» ne dépasse pas les 0,12 %. En clair, une dépréciation de la livre de 1 % entraînerait une hausse des exportations de 0,12 %. Trois fois rien. En revanche, ça pourrait se gâter côté de l’inflation. Pourquoi ? Parce qu’une monnaie qui se déprécie entraîne un renchérissement du prix des importations. De quoi provoquer une perte de pouvoir d’achat des Britanniques. L’OCDE voit plus loin. Au risque d’être démentis par les faits, les économistes du château de la Muette poussent leur exercice de prospective jusqu’en 2030. A cette date, le PIB sera inférieur de 5,1 % à ce qu’il aurait été en restant dans l’UE. Soit en moyenne 3 200 livres (4 052 euros) par foyer fiscal. Pile poil dans la fourchette (entre 2 600 et 5 200 livres, soit entre 3 292 et 6 586 euros) évoquée dans un rapport du Trésor britannique, qui estime entre 3,8 % et 7,5 % du PIB l’impact d’une sortie de l’UE à l’horizon 2030. Autre point négatif, souligné cette fois par le cabinet PricewaterhouseCoopers : la hausse du taux de chômage. D’ici à 2020, ce sont près d’un million d’emplois (950 000 très exactement) qui seraient perdus à la suite, notamment, du départ de certaines entreprises et du déménagement de sièges sociaux, soit une hausse de 2 à 3 % du taux de chômage.

6. La City délocalisera-t-elle ses banques ? (VDF)

Officiellement, pas de panique. Personne n’envisage de plan B, de plan Brexit. Sauf que depuis la multiplication des sondages qui donne les «leave» en tête, la City est nerveuse. Elle a même sorti l’artillerie lourde avec le Canadien Mark Carney : le 12 mai, le gouverneur de la Banque d’Angleterre a en effet mis en garde contre une récession technique en cas de Brexit et un effondrement de la livre sterling, qui chute à chaque remontée dans les sondages du camp du «leave». En février, Douglas Flint, le président de la banque HSBC - qui venait d’annoncer le maintien de son siège à Londres après avoir songé à le transférer à Hongkong - déclarait qu’il envisageait le transfert vers Paris d’au moins 1 000 postes. En avril, le directeur général de la Deutsche Bank (12 200 salariés au Royaume-Uni) avait déjà sonné l’alarme. «Il serait bizarre de conduire des transactions sur des devises et des obligations d’Etats européens depuis la branche londonienne», avait-il prévenu. Avant de laisser entendre qu’il pourrait transférer une partie des activités de la banque à Francfort. Début juin, c’était au tour de Jamie Dimon, directeur général de la banque américaine JP Morgan, de mettre les pieds dans le plat. «Après un Brexit, nous ne pourrons pas continuer à tout faire ici, et nous devrons commencer à planifier. Je ne sais pas si cela signifiera 1 000, 2 000 - ça pourrait aller jusqu’à 4 000 - emplois en moins au Royaume-Uni»,déclarait-il devant 4 000 employés de sa branche de Bournemouth (sud de l’Angleterre). Même Goldman Sachs a accroché devant son siège londonien un drapeau européen à côté du drapeau britannique. C’est dire l’inquiétude qui règne. Le camp du Brexit parle de propagande, de conspiration intégrée au grand «Project Fear» («projet de la peur») qui serait, selon lui, orchestré par le camp du «remain». Pourtant, pas un seul établissement financier important n’a plaidé en faveur du Brexit.

7. Londres cessera-t-il d’être la capitale de la finance ? (VDF)

Si les Britanniques optent pour la séparation, la City pourrait bien perdre son rang de première place financière mondiale. La menace ? Qu’une partie des fameuses chambres de compensation financières installées outre-Manche soient contraintes de migrer dans la zone euro. La mission de ces chambres : éliminer le risque de contrepartie sur les marchés financiers. Lorsqu’un contrat est, par exemple, négocié sur un marché financier entre un acheteur et un vendeur, ce sont ces chambres de compensation qui se substituent aux deux contractants, faisant ainsi office d’acheteur en face du vendeur (et inversement). Elles endossent le rôle de contrepartie unique. Ce sont encore elles qui enregistrent quotidiennement les contrats échangés sur les marchés à terme sur les matières premières, sur les monnaies. Et s’assurent qu’en face de chaque vendeur se trouve bien un acheteur. Ces chambres donnent donc une vision équilibrée de la masse totale des montants qui s’échangent chaque jour et pour chaque type de marché. Or la quasi-totalité de ces chambres qui garantissent la sécurité des transactions en euros est basée à Londres. La Banque centrale européenne (BCE) a toujours fait la grimace : ces chambres de compensation installées dans la capitale britannique la prive d’une totale maîtrise de sa politique monétaire. Elle a même demandé en 2011 que ces chambres quittent Londres pour s’installer dans les capitales de la zone euro. Un affront pour Cameron, qui a décidé de saisir la Cour de justice de l’UE. L’enjeu est de taille : le montant des transactions géré par les chambres de compensation du Royaume-Uni atteint 130 000 milliards d’euros par an (deux fois le PIB mondial). En mars 2015, la Cour de justice européenne donne raison à Londres. Motif : ce n’est pas à la BCE de prendre une telle décision, mais aux instances politiques communautaires puisque le Royaume-Uni est membre de l’UE. Mais en cas de Brexit, la question ne se posera plus : ces chambres de compensation devront regagner la zone euro. De quoi «définanciariser» (en partie) un Royaume-Uni qui abrite cinq fois plus de banques étrangères que l’Allemagne ou la France.

8. Le budget européen passera-t-il à la diète ? (JQ)

Le Royaume-Uni est un contributeur net au budget européen, il paye plus qu’il ne reçoit : 15,2 milliards d’euros par an en moyenne pour un «retour» de 6,7 milliards, soit une contribution nette de 8,5 milliards (0,3 % de son PIB). Ce qui reste très inférieur à la contribution nette allemande et française. L’économie que le pays réalisera sera donc de 8,5 milliards puisqu’il devra maintenir les dépenses dont bénéficient actuellement l’agriculture, les régions pauvres, la recherche, etc. Mais s’il entrait dans l’Espace économique européen, sa contribution ne serait réduite que de 9 %. Et s’il bénéficiait d’un statut à la Suisse, de 55 %, selon le CER, un think tank britannique. Soit une économie comprise entre 0,03 % et 0,18 % de son PIB. Des chiffres qui ne tiennent pas compte des effets du ralentissement économique qui aura lieu en cas de Brexit… Pas de quoi pavoiser. Pour les 27, en revanche, l’addition sera élevée : il faudra se répartir le manque à gagner britannique, c’est-à-dire les 8,5 milliards d’euros, qui bénéficient surtout aux pays d’Europe de l’Est. Selon un rapport du Sénat, la charge française, italienne et espagnole augmenterait de plus de 5 %, celle de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche et de la Suède de près de 11 %.

9. Que deviendront les eurocrates britanniques ? (JQ)

Par prudence, quelques fonctionnaires britanniques (ils sont 1 164 rien qu’à la Commission) ont déjà pris la nationalité de leur conjoint, si ce dernier a celle d’un autre Etat membre. D’autres sont à la recherche d’ancêtres irlandais qui leur permettraient de réclamer la nationalité de ce pays… Car s’ils ne risquent pas d’être virés de leur travail, puisque leur recrutement dans l’ensemble des institutions communautaires resterait parfaitement valable en dépit de la défection de leur pays d’origine, leur carrière s’arrêtera net. «Les nominations à des postes importants se font en tenant compte des nationalités des Etats membres», explique un eurocrate. C’est vrai en particulier pour les directeurs généraux, leurs adjoints, les conseillers hors classe et les directeurs. Par exemple, on compte à la Commission trois Britanniques (sur la quarantaine de directeurs généraux), quatre adjoints et un conseiller hors classe qui resteront à leur poste jusqu’à la sortie effective du Royaume-Uni. Mais la pression des Etats va ensuite être forte pour se répartir les dépouilles… Et même pendant la négociation de sortie, les eurocrates britanniques risquent d’être mis sur la touche, car ils seront soupçonnés de conflits d’intérêts. Cette période va être délicate pour le commissaire, les 74 députés européens, les juges, l’auditeur et même les ministres britanniques : pourquoi devraient-ils continuer à se prononcer sur la législation européenne alors même qu’ils vont quitter l’Union ? Problème : le traité européen ne dit rien sur cette question.

10. L’anglais va-t-il rester la langue dominante des institutions de l’UE ? (JQ)

Il n’a pas fallu plus de dix ans pour que le français soit éradiqué comme langue de travail de l’UE (sauf à la Cour de justice européenne) au profit quasi exclusif de l’anglais ou plutôt du «globish», cet anglais abâtardi. Peut-on imaginer que l’anglais, langue officielle de trois petits pays (Irlande, Malte et Chypre) garde son statut privilégié ? La tentation sera grande de ne rien changer. Ce n’est pas tant l’activisme britannique qui explique sa place que l’influence de l’Allemagne, qui n’a jamais admis que le français soit plus parlé que l’allemand. L’argument imparable : démontrer, comme le fait l’hebdomadaire britannique The Economist, que le globish européen est devenu une sorte d’espéranto. Seul un retour de la France sur la scène européenne pourrait inverser cette tendance.

N.B.: Article paru dans Libération du 17 juin

Catégories: Union européenne

Jo Cox: qui sème la haine?

dim, 19/06/2016 - 23:20

Ce dessin de mon ami Pierre Kroll, paru au lendemain du meurtre de la députée travailliste Jo Cox, résume parfaitement l’état du débat britannique . Son assassin l’a tué en criant «Britain first», un cri qu’il a répété devant le juge: «mort aux traitres, liberté pour le Royaume-Uni». Exactement comme le font les islamistes qui hurlent «Allahou akbar» en commettant leurs horreurs... Certains expliqueront qu’il s’agit d’un fou, que les pro-leave n’y sont pour rien, les mêmes d’ailleurs qui refusent toutes circonstances atténuantes aux tueurs se revendiquant de Daesh...

Car il faut le dire clairement: ceux qui font campagne en prônant le nationalisme, en stigmatisant l’immigré, en accusant les «élites» d’être inféodées à une Union européenne qui ne serait autre qu’un «IV Reich» ou une nouvelle «UESSR», ceux-là poussent les esprits faibles à la violence. Quand ils ne la justifient pas par avance. Ainsi, Nigel Farage, le leader europhobe de UKIP, expliquait le 17 mai dernier: «il est légitime de dire que si le peuple sent qu’il perd complètement le contrôle, et nous avons perdu complètement le contrôle de nos frontières comme membre de l’Union européenne, et si le peuple sent que son vote ne change rien, alors la violence est le prochain pas». Marine Le Pen, la patronne du FN, n’a pas dit autre chose le 17 juin à Vienne en retrouvant ses amis de l’alliance brune européenne: «méprisés par leurs élites inféodées à Bruxelles, les classes populaires ont parfois recours elles-aussi à une forme de violence» (1). Mais il suffit de lire ce qui circule sur le net pour se rendre compte de la violence que véhicule la campagne des europhobes. Une violence certes verbale, mais qui a fini, comme toujours, par se traduire par des actes.

On n’a encore jamais vu un pro-européen, un démocrate-chrétien ou un social-démocrate commettre un attentat ou tuer son voisin: certaines idéologies, totalitaires en ce qu’elles désignent toujours des boucs-émissaires, sont mortelles et le nationalisme haineux en est une. Son retour, en Europe, au XXIème siècle, est aussi inquiétant que la montée de l’islamisme.

(1) Ces deux perles ont été dénichées par un citoyen européen franco-britannique, Evan O’Connel.

Catégories: Union européenne

La loi «travail» a-t-elle été recommandée par Bruxelles?

dim, 19/06/2016 - 13:58

REUTERS/Stephane Mahe

Le projet de loi El Khomri a-t-il été préparé dans le secret des bureaux de la Commission de Bruxelles et imposé à la France ? C’est en tout cas ce qu’affirme tout ce que la France compte de souverainistes, du Front de gauche jusqu’à l’extrême droite de Marine Le Pen, sans doute la première à avoir fait le lien entre la loi travail et l’Europe. Le 9 mars, elle affirme qu’il «suffit de se plonger dans les innombrables textes de la Commission européenne sur le droit du travail en France pour comprendre que la loi El Khomri n’est que le nom donné à une exigence de l’Union européenne». Le 25 mai, sur son blog, elle remet le couvert en dénonçant «cette mainmise de l’Union européenne sur la démocratie française». Jean-Luc Mélenchon, leader du Front de Gauche, a, lui aussi, enfourché ce prometteur cheval de bataille. Sur son blog, le 7 avril, dans une note intitulée «la loi El Khomri, c’est la faute à l’Europe»,il accuse la Commission de l’avoir «presque» écrite : «La loi dite El Khomri n’est pas tant une proposition émanant du gouvernement qu’une réponse aux injonctions» de Bruxelles. Une antienne même reprise par Philippe Noguès, député frondeur (qui a quitté le PS), dans Marianne du 25 mai : «Que reste-t-il de la souveraineté populaire quand une loi, inspirée par la technocratie européenne, est adoptée sans le vote de la représentation nationale ?» Allusion à l’utilisation du 49-3.

Programme de stabilité

Alors, le gouvernement français s’est-il fait dicter la réforme par Bruxelles ? Après tout, lorsqu’on lit la «recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2015 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour 2015», proposée par la Commission le 13 mai 2015, on a bien l’impression de lire ce qui allait devenir quelques mois plus tard le projet de loi travail, et plus précisément son article 2 si contesté sur les accords d’entreprise : pour réduire la «segmentation» entre CDI et CDD, l’exécutif européen préconise de «réviser les cadres juridiques régissant les contrats de travail» et de permettre aux sociétés de «déroger aux accords de branche»pour «adapter les salaires et le temps de travail à leur situation économique». N’est-ce pas là la preuve du diktat européen ?

En réalité, ceux qui dénoncent l’ingérence de Bruxelles inversent la causalité : «Ce n’est pas la Commission qui décide de quoi que ce soit dans ce domaine, mais les Etats membres qui proposent des réformes destinées à faire converger leurs économies afin d’éviter qu’un pays devienne un problème pour tous les autres, comme on l’a vu lors de la crise de la zone euro», explique un responsable français. De fait, afin de renforcer la «gouvernance économique»de la zone et éviter une répétition du cauchemar grec, les gouvernements ont décidé, en 2010, de passer des molles «grandes orientations de politique économique» (Gope), prévues dans le traité de Maastricht et qui n’engageaient à rien, au «semestre européen» (issu de six textes connus sous le nom de «six pack»), un rien plus contraignant. L’idée était de faire prendre conscience à chaque pays que sa politique économique entraîne des conséquences pour ses voisins et sur la stabilité de l’ensemble de la zone euro et qu’il faut dès lors mieux se coordonner.

Dorénavant, chaque année, tout commence en novembre, avec des rapports de la Commission examinant les politiques économiques et budgétaires menées par les Etats l’année écoulée, pointant les déséquilibres macroéconomiques de telle ou telle capitale («rapport annuel de croissance»). Sur la base de ces textes, le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement adopte, à l’unanimité, en mars des «recommandations de politique économique» : «Par exemple, en mars, nous avons appelé à une relance de l’investissement public», souligne un diplomate français. A partir de là, chaque pays présente ensuite son «programme national de réformes» et la Commission l’intègre dans ses «recommandations pays par pays» qui seront adoptées, en juin, par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement (par consensus) et, en juillet, par le conseil des ministres des Finances (à la majorité qualifiée si nécessaire). Tout ce processus est parallèle à la surveillance budgétaire (le fameux objectif des 3 % de PIB), les réformes structurelles, comme on les appelle, crédibilisant les objectifs des Etats en termes de dépenses et de recettes publiques.

«On leur a dit de se calmer»

Cette coordination renforcée des politiques économiques n’a pas été évidente à mettre en place. La faute principalement à la Commission qui s’est prise pour le Fonds monétaire international et a voulu prescrire des réformes précises à chaque pays : «Certains fonctionnaires de la direction générale des affaires économiques et financières [Ecfin] parlaient au directeur du Trésor français comme s’il était un simple exécutant, c’était sidérant, se souvient un proche de José Manuel Barroso, président de la Commission jusqu’en 2014. On leur a dit de se calmer, mais avec la crise grecque, ils ne se sentaient plus.» «On a eu de gros ratés, reconnaît un fonctionnaire européen, comme dans l’affaire des retraites en mai 2013, alors que Pierre Moscovici était encore ministre des Finances : on a carrément écrit dans nos recommandations la réforme que nous préconisions sans l’accord de Paris.»

Le 29 mai 2013, François Hollande a piqué une grosse colère : «La Commission n’a pas à dicter ce que nous avons à faire.» «Les pays veulent demeurer maîtres de leur agenda de réformes et ne veulent en aucun cas être soumis à une Commission dont la légitimité sur ces affaires est pour le moins fragile»,admet un fonctionnaire européen, qui assure que la leçon a été apprise : «Désormais, on dialogue, on n’est plus prescripteur, on n’entre plus dans le détail des réformes : on identifie le problème […] et on fournit des comparaisons pays par pays.» Ce qui ne veut pas dire que la Commission ne rentre pas dans les détails : «Par exemple, dans le cas de la France, on a souligné l’absence de concurrence dans les taxis et les bus et la loi Macron I a été la réponse», poursuit ce même fonctionnaire.

Rencontres à Bruxelles

Les responsables gouvernementaux ont pris l’habitude, depuis 2011, de venir à Bruxelles pour discuter avec la direction générale Ecfin de leurs projets de réforme et les fonctionnaires de la Commission se rendent dans les capitales pour rencontrer les directeurs d’administration centrale et les syndicats. Ne figurent dans les «recommandations par pays» que les réformes que les Etats sont prêts à effectuer, pas celles dont rêve l’exécutif européen. Ce qui est logique, puisqu’elles doivent passer par le Conseil européen où les décisions se prennent à l’unanimité. «Il arrive que des gouvernements nous demandent de proposer telle ou telle réforme dans nos recommandations en nous avertissant qu’ils nous en feront porter la responsabilité», ironise un fonctionnaire de la Commission, avant d’ajouter, «mais ce n’est pas le cas de la France, qui assume».

De fait, la réforme El Khomri (alors que celle-ci n’était pas encore ministre du Travail) était déjà en germe dans le «programme national de réformes» présenté le 15 avril 2015, un pavé de 171 pages. «Parmi bien d’autres sujets», comme on le rappelle à Matignon, il est précisé, dans le chapitre consacré à la «lutte contre les rigidités du marché du travail», que le gouvernement veut harmoniser les indemnités de licenciement et qu’une «place accrue» sera donnée «aux accords de branche et d’entreprise», ce qui allait devenir le fameux article 2. «L’ambition n’est pas de se limiter à des aménagements techniques du cadre législatif actuel,peut-on lire dans le texte européen, mais d’ouvrir des perspectives ambitieuses visant à moderniser en profondeur notre système de relations sociales et sa pratique, [notamment] au niveau des branches et des entreprises».

Après discussion avec le gouvernement français, la Commission a intégré, avec l’accord de Paris, ce projet dans sa recommandation qui a été adoptée à l’unanimité du Conseil européen de juin 2015 et du Conseil des ministres des Finances de juillet 2015. «Fin 2015, Myriam El Khomri [qui était devenue ministre du Travail le 2 septembre] est venue à Bruxelles rencontrer Pierre Moscovici, le commissaire chargé des Affaires économiques et financières, et Marianne Thiessen, sa collègue chargée de l’Emploi, pour expliquer les détails de sa réforme avant qu’elle ne soit présentée en Conseil des ministres à Paris», raconte un fonctionnaire de la Commission.

Une idée française

Même s’il préexistait dans ses grands principes, avant même la nomination de la ministre, le projet El Khomri est bien une idée française. Certes, il satisfait la Commission et les partenaires européens de Paris inquiets de la dégradation du marché du travail en France. Mais ceux qui dénoncent l’ingérence de Bruxelles font en réalité comme si la France ne partageait pas une monnaie commune avec 18 autres pays, ce qui implique une coordination des politiques. «C’est ce qu’on appelle la gouvernance économique»,justifie un haut fonctionnaire européen. Paris est la capitale qui réclame le plus fermement la création d’un véritable «gouvernement économique», notamment en créant un poste de ministre des Finances pour la zone euro, afin de contraindre davantage chaque Etat à se plier aux politiques décidées en commun.

Reste que cette coordination pose un problème de «légitimité démocratique», comme le reconnaît Pierre Moscovici, puisqu’elle se fait uniquement entre la Commission, les ministres des Finances et les chefs d’Etat et de gouvernement : le Parlement européen n’a pas voix au chapitre et beaucoup de Parlements nationaux ne sont saisis qu’en bout de chaîne des textes mettant en musique ce qui a été décidé à Bruxelles. Mais pour introduire un contrôle démocratique, il faut changer les traités et, de cela, François Hollande ne veut pas entendre parler. Ce qui permet aux eurosceptiques de dénoncer un «complot».

REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Pervenche Béres : « le déficit démocratique et le déficit du dialogue social français s’ajoutent au déficit démocratique de la zone euro»

Pour la députée européenne socialiste Pervenche Berès (photo DR), le projet de loi El Khomri est un projet français, même s’il satisfait les instances de la zone euro. Selon la membre de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, et auteure d’un projet de rapport sur «la capacité budgétaire de la zone euro», le déficit social et démocratique hexagonal explique en grande partie l’opposition à la loi travail.

Selon la gauche radicale et l’extrême droite, c’est Bruxelles qui a dicté la loi El Khomri…

Accuser l’Europe, c’est un peu fort de café alors que François Hollande a toujours dit qu’il engagerait des réformes qui seraient dans l’intérêt de la France. Tout le monde sait très bien que nous n’avons pas su gérer notre perte de compétitivité après le passage à l’euro et que nous devons agir. Mais, pour le coup, la France aurait été bien inspirée de copier le modèle allemand de démocratie sociale : si on avait eu un vrai dialogue avec les syndicats très en amont du projet de loi travail, on aurait pu désamorcer une partie des oppositions.

Le malaise est aussi démocratique, puisque le Parlement français est tenu à l’écart de la préparation des réformes…

De fait, la loi El Khomri, quel que soit par ailleurs le débat sur son contenu, n’est pas un engagement que le gouvernement a pris à Bruxelles, mais qui se trouve dans le programme national de réforme envoyé chaque mois d’avril à la Commission en même temps que le programme de stabilité budgétaire. Ces deux textes, préparés par le gouvernement français, devraient faire l’objet d’un débat et d’un vote à l’Assemblée nationale, puisqu’ils vont servir de base à la Commission pour rédiger ses recommandations par pays - ces dernières seront ensuite adoptées par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement et par le Conseil des ministres des Finances. Or, à aucun moment, les députés ne sont intégrés dans ce processus. En clair, le déficit démocratique et le déficit du dialogue social français s’ajoutent au déficit démocratique de la zone euro. Indépendamment du problème purement européen, la France aurait les moyens de combler son propre déficit démocratique, ce qu’elle ne fait pas. Dans le système français, il y a un autre problème : c’est le Premier ministre qui sera chargé de mettre en œuvre les engagements pris par le chef de l’Etat au sein du Conseil européen et par le ministre des Finances au sein de l’Eurogroupe. Or, il n’est jamais en situation de peser sur des sujets qui le concernent au premier chef, puisqu’il n’est pas dans la négociation ! Pourtant, ce sont ces engagements qui vont déterminer la politique économique qu’il va appliquer. L’efficacité de notre modèle pour peser sur les orientations européennes et les mettre en œuvre est une question centrale dont personne ne parle.

La dénonciation d’un complot européen en matière de politique économique, est-ce le refus de la monnaie unique ?

Bien sûr ! Je rappelle que c’est la France qui a inventé l’expression de «gouvernement économique», et il est incroyable de voir que certains ne comprennent manifestement pas ce que cela implique en termes de coordination. Le gouvernement économique, ça n’est pas seulement pour les autres !

Comment faire pour éviter ces procès en complotisme ?

Il faut impliquer les partenaires sociaux et le Parlement national dans la préparation du programme de réforme. Ensuite, il faudrait par exemple que, quatre fois par an, les commissions des finances des Parlements nationaux et les membres de la zone euro du Parlement européen se réunissent pour qu’il y ait un comité de pilotage de la zone. Les élus du Parlement européen qui appartiennent à cette dernière devraient aussi avoir un vrai pouvoir de codécision pour tout ce qui la concerne. C’est par la démocratie qu’il y aura une appropriation des engagements européens.

N.B. : articles parus dans Libération du 12 juin

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Elargissement: un échec politique

lun, 06/06/2016 - 17:44

Agencja Gazeta/Slawomir Kaminski/via

Mon éditorial sur l’échec politique de l’élargissement est ici.

L’ambassadeur de Hongrie en France y a répondu aujourd’hui (). Une réponse qui ne me convainc absolument pas, vous vous en doutez.

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Brexit: partez les premiers messieurs les Anglais !

dim, 05/06/2016 - 15:12

REUTERS/Darren Staples

Mon éditorial sur le Brexit se trouve ici en version française et en version anglaise: oui, moi, en anglais, ce qui prouve que tous les coups sont permis dans cette campagne référendaire...

The Guardian a repris mon article aujourd’hui (par ici). Et figurez-vous qu’il s’est hissé immédiatement au top des cinq articles les plus lus avec un nombre de commentaires hallucinant (plus de 2200 ce dimanche). Une chose parait claire à leur lecture : l’ironie britannique n’est plus ce qu’elle était :-D

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La Belgique divisée par les grèves

mar, 31/05/2016 - 22:01

Quand les deux régions francophones, Bruxelles et Wallonie, sont confrontées à une série de grèves sectorielles, successives ou concomitantes, depuis plusieurs mois, la Région flamande (60 % de la population) n’est que marginalement touchée.

La caricature de Kroll ci-dessus, parue dans le Soir, résume à merveille la profonde et inquiétante division du pays : alors que les deux régions francophones, Bruxelles et Wallonie, sont confrontées à une série de grèves sectorielles, successives ou concomitantes, depuis plusieurs mois (routiers, gardiens de prison, transports publics, contrôle aérien, police et bagagistes de l’aéroport de Bruxelles, magistrature), la Région flamande (60 % de la population), elle, n’est touchée que marginalement. Même la « grève générale » des services publics d’aujourd’hui n’a été suivie que très partiellement par les Flamands (par exemple aucun train à Bruxelles et en Wallonie, 50 % du trafic en Flandre).

La grève la plus dure est celle du personnel pénitentiaire (qui, à la différence de la France, dispose du droit de grève), uniquement suivie par les Francophones, pourtant confrontés aux mêmes réformes que les Néerlandophones. Elle a commencé le 25 avril et a des conséquences dramatiques pour les détenus qui voient leurs droits les plus élémentaires bafoués. Confinés dans leur cellule surpeuplée, ils sont privés de douche, de linge de rechange, de sortie, de visite, de contact avec la justice, d’une nourriture décente (trois repas froids livrés en vrac le matin). Au point que le gouvernement a dû faire appel à l’armée et à la police, qui ne sont pourtant pas formées à ces tâches, pour assurer un service minimum. Le Royaume, déjà condamné à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’état déplorable de son système pénitentiaire, risque de connaître une explosion dans ses prisons : déjà, un détenu est mort à la suite d’une bagarre qu’aucun gardien n’a pu stopper... Or, rien n’indique un retour prochain à la normale, un nouveau protocole d’accord ayant été rejeté hier par la base. Les raisons de la grève : une rationalisation de la gestion du personnel qui va aboutir à une diminution des primes et du nombre de fonctionnaires.

Sur le rail, la situation s’est brutalement tendue mercredi dernier, avec la grève « au finish » déclenchée sans préavis par la base francophone. Le motif du mécontentement est particulièrement obscur : la direction de la SNCB veut supprimer un jour de récupération (sur les 13 jours consentis en 1996 en compensation d’une baisse de rémunération depuis compensée) après 18 jours d’absence pour congé ou maladie… Les syndicats expliquent qu’il s’agit là de la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, la majorité actuelle ayant programmé des coupes sombres (2 milliards d’euros) dans le budget de la SNCB. Mais le résultat est là : les trains roulent au nord, alors qu’il est aussi concerné par la réforme, mais pas au sud. Ce qui fournit la preuve que la scission du rail entre la Flandre et la Wallonie est tout à fait possible comme le réclament depuis longtemps les nationalistes flamands de la N-VA, le premier parti de Flandre, mais aussi de la majorité fédérale.

Et c’est là que réside le danger du jusqu’au-boutisme des branches francophones des syndicats, en partie noyautée par le PTB, un parti communiste stalinien qui fait une percée remarquable dans les sondages en Wallonie, qui sont pourtant les dernières organisations à ne pas être totalement scindées entre communautés linguistiques (alors que les partis le sont). Il donne en effet raison aux libéraux de la N-VA qui soutiennent que la chienlit est francophone, le sud du pays étant dominé par un PS, accusé d’être corrompu, clientéliste et allergique à la réforme, et sa courroie de transmission, la FGTB, majoritaire à Bruxelles et en Wallonie (alors que la CSC, chrétienne-démocrate, est majoritaire en Flandre). Cet écueil avait été évité au dernier trimestre 2014, lorsque les syndicats du nord et du sud avaient su rester unis pour protester contre les réformes lancées par le gouvernement libéral de Charles Michel.

Cette fois-ci, cela n’est pas le cas et la N-VA a le plus grand mal à cacher sa satisfaction face à la situation « révolutionnaire » du sud du pays, selon le mot du député flamand du CD&V, Hendrick Bogaert : la Belgique est bien constituée de deux pays dont la réalité politique et sociale se différencie chaque jour davantage. D’un côté, une Flandre libérale, travailleuse, soucieuse de concertation sociale, de l’autre une communauté francophone dominée par les socialistes et les communistes staliniens du PTB, figée dans la défense de ses droits acquis, bref un boulet aux pieds du lion flamand. Sonnée par les attentats du 22 mars, la Belgique démontre qu’elle a été incapable d’un sursaut collectif et qu’elle se laisse emporter dans une spirale mortifère qui pourrait se traduire par une scission du pays.

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Le CETA, un accord commercial en sursis

lun, 30/05/2016 - 22:35

REUTERS/Nigel Treblin

Vous trouverez ici et ici, les deux articles que j’ai consacré à l’accord commercial conclu entre le Canada et l’Union européenne. Je vous conseille aussi la lecture du papier de mon confrère Vitorio De Filippis.

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