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Interruption momentanée des programmes

sam, 14/05/2016 - 13:01

Je prends quelques jours de vacances, loin, très loin du vieux continent, laissant le Brexit (en photo Margaret Thatcher lors de la campagne référendaire de 1975), le Grexit, le Nederxit, la crise des réfugiés, l’effondrement belge, le terrorisme, etc, derrière moi. Retour aux manettes de ce blog fin mai. A bientôt: vous avez quinze jours pour tout remettre d’aplomb ;-)

Catégories: Union européenne

Il y a quelque chose de pourri dans le Royaume de Belgique

jeu, 12/05/2016 - 22:56

Au lendemain de la publication de mon article sur le «failed state» belge dans Libération qui a causé beaucoup de remous dans le plat pays, La Libre Belgique m’a interrogé sur le regard que je portais sur le royaume. L’entretien a été publié samedi et repris dimanche dans la Dernière Heure. Etonnament, il a été reçu plutôt positivement. Pour compléter le tableau d’ensemble d’un pays en pleine déliquescence où l’intérêt national semble avoir totalement disparu, on peut ajouter le procès de la filière terroriste de Verviers qui a débuté lundi matin a dû s’interrompre à 16 heures, lorsque la sécurité a plié bagage, la grève des gardiens de prison qui privent les prisonniers de douches, de sorties, de visites depuis 17 jours (et les trois repas sont servis le matin en vrac), et hier la grève surprise des bagagistes d’un aéroport de Bruxelles que tout le monde semble s’ingénier à vouloir couler définitivement (après la grève des policiers puis de Belgocontrol puis les queues délirantes causées par des mesures de sécurité absurdes)... Bonne lecture!

Après la publication de votre article dans Libération sur l’Etat belge qui a failli, vous avez une nouvelle fois fait l’objet de critiques acerbes. Certains lecteurs se demandent même « pourquoi vous restez dans un pays sur lequel vous crachez » ?

En clair, comme étranger, je n’aurais qu’un seul droit, celui de me taire ! Je rappelle, pour ceux qui ne l’auraient pas compris, que je suis journaliste, que j’exerce un droit fondamental, celui de la liberté de la presse, et que je suis à Bruxelles, comme plusieurs centaines de mes collègues, pour suivre les institutions européennes, puisque la capitale de la Belgique est aussi celle de l’Union, et, dans la mesure de mes disponibilités, la Belgique. Ma fonction, mon devoir, c’est de décrire ce que je vois, de l’analyser, d’être critique et de pointer les dysfonctionnements, même si, et je dirais surtout, si cela déplait et fait mal. L’ADN du journaliste, ce n’est pas d’être porte-parole ou communicant, ce n’est pas de chercher à plaire à tout le monde, mais de concourir à préserver la démocratie. Ces attaques ont d’autant moins de sens que je n’ai pas choisi de vivre ici, pas plus que l’ensemble des journalistes, des fonctionnaires européens, des diplomates ou des lobbyistes présents dans ce pays. Pour certains Belges, manifestement, tout étranger n’est que toléré dans ce pays et, pour se faire accepter, il n’a d’autres choix que d’être perclus d’admiration pour la société d’accueil! Cette vision, d’un paternalisme sidérant en soi, est tout simplement intolérable dès lors que l’on prétend l’appliquer à des Européens qui n’ont pas d’autres choix que d’être dans ce pays parce qu’il accueille les institutions communautaires. Les Belges qui me critiquent parce que je suis critique, devraient se rappeler que leur pays, dont ils sont si fiers, s’est battu pour obtenir le siège de l’Union et que dès lors leur Royaume est aussi celui de tous les Européens : nous avons autant le droit qu’eux de le critiquer et de l’aimer. Si cela en gêne certains, on peut régler le problème simplement en déménageant les institutions. Strasbourg serait ravi ! On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière…

Vu la répétition de vos papiers écrits à l’acide, certains se demandent si vous n’aimez pas le pays ou si vous dénoncez uniquement son fonctionnement.

La question n’est pas de savoir si j’aime ou si je n’aime pas la Belgique ou Bruxelles. Comme tout journaliste, je cherche des angles, de préférence les plus aigües possible, afin de donner envie à mes lecteurs l’envie de lire mes articles. Manifestement, c’est réussi, puisque vous me faites l’insigne honneur de me questionner sur mes papiers… De plus, le regard extérieur des journalistes étrangers, forcément plus angélique et moins cajolant que celui des journalistes belges qui n’ont plus toujours le recul nécessaire, est intéressant pour le pays que l’on couvre. On concourt au débat démocratique, on l’enrichit. Ainsi, en écrivant ‘Bruxelles, pas belle !’, en 2013, j’ai rendu un signalé service aux Bruxellois en replaçant la politique de la ville au centre du débat politique. Vous pensez réellement que les Bruxellois sont heureux de vivre dans une ville que l’on a consciencieusement saccagée à coup d’autoroutes urbaines et d’opérations immobilières qui ont détruit une partie de son patrimoine architectural, de subir des services publics déficients, comme le ramassage des poubelles ou l’absence totale de coordination des travaux d’entretien quand il y en a, de subir un mille-feuille institutionnel qui permet à chacun de ne jamais se sentir responsable de ce qui ne va pas ? Les Belges peuvent être contents que les journalistes étrangers jouent les chiens de garde face aux dysfonctionnements qui empoisonnent lentement cette ville et ce pays.

Ce qui blesse aussi, c’est de lire un tel article alors qu’on est à un mois après les attentats de Bruxelles. Était-ce le bon timing pour flinguer la Belgique ?

Mes confrères du Monde, je vous le rappelle, ont publié un éditorial au vitriol, au lendemain des attentats de Paris du 13 novembre, en qualifiant la Belgique « d’Etat déliquescent » lorsqu’on a découvert que Molenbeek était un véritable nid de daeschistes. Le site américain Politico a fait exactement le même constat quelque temps plus tard. J’avais trouvé, à l’époque, que l’on manquait encore d’éléments pour faire une telle analyse, la France n’ayant guère été plus glorieuse pour prévenir la constitution de ghettos ou démanteler les filières djihadistes. Mais, à la fin novembre lors du fameux lockdown de Bruxelles, il est devenu évident que ce pays ne tournait plus rond. C’était une décision totalement folle, alors qu’il n’y avait pas eu d’attentats en Belgique, une décision qui n’a d’ailleurs pas été expliquée à ce jour ! Aucune ville au monde ayant été victime dans sa chair du terrorisme, que ce soit Paris, Londres ou Madrid dernièrement, n’a subi un tel traitement qui a coûté 0.1% de PIB au pays ! C’était le signe d’une panique totale au plus haut niveau de l’État à un moment où il fallait au contraire se montrer ferme face au terrorisme et rassurer la population. Là, l’État belge s’est avoué vaincu et a paniqué ses citoyens.

Vous vous êtes donc retenu d’écrire en novembre ?

Oui, car je me disais que le pays découvrait qu’il était une cible terroriste, comme la France l’était et comme tout pays qui veut jouer un rôle le devient à un moment donné. La Belgique n’est pas la Suisse, même si c’est un petit pays : elle est membre de l’Union et de l’OTAN. Peut-être lui fallait-il un peu de temps pour réagir, pour se mettre en ordre de bataille. Mais on a petit à petit découvert une accumulation proprement sidérante de ratés dans la gestion de la crise qui montre une faillite de l’État. Ainsi, Salah Abdeslam n’a été interrogé que 2 heures en tout et pour tout la veille des attentas de Bruxelles. Arrêté en France, il aurait fait 96 heures en garde à vue et on ne l’aurait pas laissé beaucoup dormir d’autant qu’on savait qu’il avait été en contact avec des membres du réseau qui a frappé Paris et que d’autres attentats étaient sans doute en préparation. Deux heures d’audition seulement, mais qui ont immédiatement fuité grâce, il faut le reconnaître, à François Molins, le procureur de Paris. Résultat, les terroristes, avertis que leur camarade risquait de les balancer, ont décidé de se faire sauter à Bruxelles. Pire : on apprend que le chef de la police de Malines connaissait le lieu de la cache d’Abdeslam, mais n’a pas jugé utile de transmettre l’information à sa hiérarchie. Puis, c’est la gestion ahurissante de la période post-attentats qui montre que le lockdow de Bruxelles était bien la démonstration d’un État incapable de faire face à la menace terroriste.

Vous visez qui là ?

Pas les secours, en tous les cas, qui ont été formidables ! Mais pourquoi avoir fermé pendant plusieurs semaines la moitié des stations de métro, stopper la circulation à 19h puis à 21h, fermer la plupart des sorties ? Des décisions délirantes : les rames étaient bondées en fin d’après-midi, tout comme les trams et les bus, ce qui a créé des cibles potentielles pour les terroristes. Comme si un attentat ne pouvait avoir lieu que dans une station sur deux ou après 19h… Pis : il a fallu un mois pour rouvrir l’aéroport, le poumon économique et la vitrine internationale du pays… et que voit-on ? Des files de centaines de personnes que l’on fouille avant de les laisser entrer dans le hall d’enregistrement, là aussi autant de cibles pour les terroristes, des milliers de passagers qui loupent leur vol et tout le monde qui se renvoient la balle. Et pourquoi cela ? Parce qu’un syndicat policier exige plus de sécurité à l’aéroport alors qu’il se préoccupe moins du métro où pourtant, il y a eu plus de morts et de blessés. Mais il est vrai qu’il y a moins de policiers dans le métro qu’à Zaventem. En clair, c’est un syndicat qui décide de l’avenir économique d’un pays. Ce feuilleton a fait déborder le vase…

Sur Twitter, vous conseillez aux voyageurs de passer par Paris ou Schiphol…

Qui a envie de faire la file dehors pendant plusieurs heures avant de pouvoir prendre – ou manquer - son avion ? Brussels Airport avait l’ambition de devenir un grand hub international, mais, à ce rythme, il deviendra vite un aéroport régional incapable de gérer un trafic d’envergure. Autre démonstration de l’illogisme total qui préside aux décisions de l’Etat : à Bruxelles-Midi, il n’y a plus aucun contrôle avant d’embarquer dans le Thalys, alors que la Gare du Nord à Paris est sécurisée. Pourtant, le Thalys a échappé par miracle à un attentat sanglant en août dernier, le terroriste ayant embarqué à Bruxelles. Et en quoi une gare est-elle moins exposée qu’un aéroport ? Comprenne qui pourra.

Certains vous invitent à regarder en France avant de critiquer la Belgique…

Je n’ai pas ménagé mes critiques contre le gouvernement français dans Libération et sur mon blog. Les attentats du 13 novembre ont démontré que la France – services de police et de renseignements en tête - a dysfonctionné puisqu’on n’a pas pu empêcher deux attentats d’envergure en un an. J’ai aussi été très critique des mesures décidées dans la précipitation par le gouvernement, du rétablissement du contrôle aux frontières à l’État d’urgence en passant par la proposition de déchoir les binationaux accusés de crime et de délit contre la nation de leur nationalité française ou encore par la loi de réforme du code de procédure pénale qui menace l’État de droit. Mais le post-attentats a révélé que l’État belge était miné de l’intérieur par des dizaines d’années de lutte entre néerlandophones et francophones qui ont rendu le pays en grande partie ingérable. Et puis soyons sérieux. Qu’est-ce qui a fait le plus de mal à l’image de la Belgique ? Mon article ou les déclarations du ministre de l’Intérieur, le nationaliste Jan Jambon, qui, en quelques jours, nous gratifie d’une sortie antisémite, puis d’une ahurissante stigmatisation de la communauté musulmane ?

À lire les critiques

contre vous, le fait que vous soyez français énerve d’autant plus ?

Il y a un certain racisme anti-Français en Belgique francophone qui est totalement toléré et qui ne suscite guère de débat. Vous imaginez une seule seconde qu’on dise « Toi, le Marocain, va plutôt voir ce qu’il se passe à Marrakech ! » ou « Toi, l’Algérien, vas voir ce qu’il se passe à Alger ! » ? Que l’on conteste le fond d’un article, soit, mais la nationalité de son auteur, c’est proprement intolérable.

En 2013, vous aviez épinglé l’état lamentable des tunnels bruxellois. L’avenir vous a donné raison.

Même Charles Picqué, l’ancien ministre-président régional, parlait « d’égouts à bagnoles ». Sincèrement, ils font peur les tunnels bruxellois : les voitures foncent dedans, des morceaux de béton tombent, ils menacent de s’effondrer par manque d’entretien. Et moi, je me suis fait insulter pour avoir dénoncé cela. À Boston, ils ont complètement enterré l’autoroute sous terre. À Paris, on a fermé les autoroutes urbaines. La réalité bruxelloise, c’est que dès qu’on a de l’argent, on fiche le camp de cette ville à travers les tunnels. Si Bruxelles parvenait à garder sa classe moyenne, on aurait moins de ghettos dans certaines communes. Le problème, c’est que les dirigeants socialistes ne vivent pas à Bruxelles. Donc, au lieu de supprimer les tunnels et tirer les leçons du passé, ils vont les refaire pour arriver le plus vite possible et repartir tout aussi vite le soir en bagnole ! Cette ville est la seule au monde où le ‘tout bagnole’ reste la règle…

Oui, mais la façon de mettre en place le piétonnier n’est pas plus rassurante pour l’avenir de la ville, si ? L’objectif était justement de satisfaire les Bruxellois en interdisant drastiquement la voiture.

Le piétonnier, c’est le symbole de la gestion de la Belgique ! On prend le problème à l’envers. Évidemment qu’il faut un piétonnier après une adaptation des moyens de transport. À Strasbourg, lors de la mise en place du tramway, la ville réduisait petit à petit la circulation automobile. Cela a permis aux gens de s’habituer à un centre 100% piétonnier. À Bruxelles, on a fait l’inverse, en bloquant d’une seule traite l’équivalent des Champs-Élysées et de ses alentours, et ce, sans l’aménager immédiatement, sans le rendre attractif, sans alternative de transport et en ne permettant plus le passage d’un côté à l’autre de la ville. Aller au centre-ville en voiture, c’est devenu un suicide. Une nécessité absolue pour l’avenir de Bruxelles se transforme en catastrophe économique ! Il devrait y avoir des écoles pour enseigner ça…

Vous flinguez toute une série de dysfonctionnements, mais quelle cause commune voyez-vous à cela ?

La Belgique centralisée fonctionnait très bien. Les dysfonctionnements ont commencé avec la fédéralisation du pays et la régionalisation de certaines compétences au fil des 6 réformes de l’État. Vous imaginez, six changements constitutionnels profonds en à peine 40 ans ? Aucun pays n’est capable de survivre à de tels changements en si peu de temps. Lors de négociations aux couteaux, on a dépecé l’État central sans aucune logique. Par conséquent, on ne sait plus qui est responsable et qui décide. Cette lasagne institutionnelle fait que tout le monde ne cesse de se renvoyer la balle. Même à Brussels Airport, la police accuse l’État, qui lui accuse l’aéroport, qui lui-même dénonce les syndicats policiers. Bref, c’est la faute à personne… Personne n’est jamais responsable dans ce pays.

Mais il y a bien un responsable de cette évolution ?

Qui a dépecé l’État fédéral, si ce ne sont les nationalistes flamands ? La N-VA devrait logiquement se dire qu’il est temps de cesser ces conneries et remettre de l’ordre dans tout ça, mais elle ne le fera pas, car elle espère reconstruire un État central sans les francophones et limité à la Flandre. Au contraire, ce parti accuse le fédéral d’être responsable de la situation, c’est dire à quel point ce pays est malade. Il est poussé vers le précipice par les nationalistes flamands qui se succèdent depuis 40 ans. La 6e réforme de l’Etat a abouti à un Etat failli.

Que pensent les autres correspondants étrangers basés à Bruxelles ? Ils sont aussi sévères que vous ?

Je perçois un changement radical depuis le lockdown. Ils dénoncent quelque chose de pourri dans le Royaume de Belgique. Certains disent pour la première fois qu’ils en ont peur de tant de dysfonctionnements et incompétences étatiques. Ils envisagent de rentrer dans leurs pays. Ils n’ont pas peur du terrorisme, présent partout, mais craignent la folie des autorités belges à tous les niveaux. On a le sentiment d’être pris en otage par tant d’incompétences. Les correspondants américains sont même hystériques face à tant d’amateurisme. D’autant que la désorganisation des transports complique fortement notre travail de journalistes internationaux.

Entretien : Dorian de Meeûs

Catégories: Union européenne

Europe: demandez le programme des candidats LR!

mer, 11/05/2016 - 16:42

REUTERS/Eric Vidal

REUTERS/Eric Vidal

En ce 9 mai, fête de l’Europe, les quatre grands candidats à la primaire des Républicains (LR) ont livré leur vision de l’avenir de l’Union et les principaux éléments de leur programme. Classique, Nicolas Sarkozy a donné une interview au Figaro dont le lectorat est son cœur de cible, Alain Juppé, plus œcuménique, une tribune au Monde, François Fillon, plus racines régionales, a prononcé un discours à Schiltigheim, en Alsace, et, enfin, Bruno Le Maire, le seul germanophone de la bande des quatre, alivré sa vision à la Hertie School of Governance de Berlin, tout un symbole. On aurait aimé que François Hollande profite aussi de cette date pour enfin donner sa vision de l’avenir de l’Union à un an de la fin de son mandat, mais, sur le sujet, la procrastination semble être décidément son mantra… La droite semble plus assurée que la gauche sur la question européenne et, au sein des conservateurs, Bruno Le Maire se détache par un projet plus construit que celui de ses rivaux et qui, plus est, évite globalement les récriminations habituelles contre «Bruxelles».

«Grimace de dégoût»

Globalement, la bande des quatre est d’accord sur le diagnostic : l’Union va mal. «Dans dix ans, l’UE existera-t-elle encore ?», se demande ainsi François Fillon, qui estime qu’elle «fonctionne comme une bureaucratie», «un vieux corps malade». Alain Juppé insiste davantage sur les dangers du retour des nationalismes qui ronge l’Europe de l’intérieur, tout comme Bruno Le Maire : outre l’inquiétante Autriche qui dérive à nouveau vers le fascisme, «en Pologne, en Hongrie, en République tchèque, en Finlande, mais aussi en France et en Allemagne, le populisme progresse, sous des masques différents, mais avec la même grimace de dégoût devant la construction européenne». Le Maire est le seul à reconnaître la responsabilité du personnel politique dans le désamour à l’égard du projet européen : «qui pour pleurer sur cette Europe ? Personne. Qui pour crier contre cette Europe ? Tout le monde».

Tous partagent le même avis sur le bilan européen de François Hollande : «où est la France en Europe ? Nulle part», constate Le Marie. «La France manque à son rôle européen historique», renchérit Juppé. «La France est encalminée et l’Europe, la pauvre Europe, n’y est pourtant pour rien», constate Fillon : «la France de Hollande étant à la traîne, c’est l’Allemagne qui a pris les rênes de l’Union pour le meilleur comme pour le moins bon».

Les quatre candidats LR sont aussi d’accord sur la nécessité de poursuivre la construction européenne. «Qui pourrait rêver de revenir à une Europe des conflits et des espaces bornés ?» se demande Bruno Le Maire. «Si toute intégration européenne supplémentaire est désormais compliquée, une sortie de la construction européenne est encore plus hasardeuse», poursuit l’ancien ministre de l’Agriculture. «Il n’y a pas de réponse efficace en dehors du cadre commun européen», confirme Alain Juppé. François Fillon, lui, pour mieux justifier la construction communautaire, renoue avec le vieux discours gaulliste de l’Europe multiplicateur de la puissance de la France : «on ne relancera pas la France en défaisant l’Europe». Au contraire, «l’intérêt national commande d’être européen […] Lorsque la France est faible, elle subit l’Europe, lorsqu’elle est puissante, elle la conduit et l’Europe existe».

Référendum en France

Ces constats posés, comment relancer le projet européen ? Le discours de la méthode de Bruno Le Maire, est le plus abouti pour que le «renouveau européen» qu’il appelle de ses vœux se réalise : d’abord relancer l’axe franco-allemand (via une «structure de dialogue permanente» portant sur l’immigration, la défense et l’approfondissement de la zone euro) puis réunir les six pays fondateurs afin de préparer un nouveau traité qui sera soumis aux Vingt-huit. Il souhaite consulter les Français par référendum sur le projet qui émergera de ces travaux «pour refermer la blessure de 2005» : « ce sera un référendum pour un projet, pas contre notre appartenance à la construction européenne». Si l’ancien Président de la République veut aussi un «traité de refondation», il reste, tout comme son ancien Premier ministre, dans le «je» oubliant ainsi la méthode pour convaincre leurs partenaires de les suivre. Or, la France seule ne peut rien. C’est pourquoi Alain Juppé prend la précaution d’évoquer l’axe franco-allemand qu’il ne juge plus dépassé du tout, comme il le pensait il y a vingt ans…

Mais quelle Europe construire ? Tout le monde est d’accord là aussi : l’élargissement politique a échoué, et il faut geler les nouvelles adhésions, même si c’est un succès économique : «l’Europe à 28 membres a rendu caduc l’objectif d’une Europe fédérale […] et elle a déréglé le fonctionnement de l’Europe communautaire», analyse Fillon. Pour les quatre, il y a deux Europe, l’Europe des 28 et celle de la zone euro : «nous avons une Europe du marché et une Europe des valeurs. Nous avons une Europe du libre-échange et une Europe de la politique économique. Nous avons une Europe à 28 et une Europe à 19», résume Bruno Le Maire.

Ce dernier propose, pour l’Europe à Vingt-huit, la mise en place d’une «Commission réduite et plus transparente, des élections différentes au Parlement européen avec des groupes politiques plus clairs, la suppression de la Présidence tournante». Si Sarkozy ne formule aucune proposition institutionnelle précise, il estime que «l’Europe s’occupe de beaucoup trop de choses» : il veut recentrer son action sur une «dizaine de politiques communes prioritaires», sans dire lesquels. Au passage, il s’attaque à l’obscure «comitologie», certes un problème, mais qui mériterait une explication à elle seule, sachant que son extension doit beaucoup à la France de Sarkozy… Fillon, qui n’oublie pas qu’il a voté «non» à Maastricht, ne peut s’empêcher de s’en prendre au passage à cette Europe qui veut passer «la toise sur tous les sujets», mélangeant un peu tout dans cette attaque largement infondée. Il rejoint Sarkozy en exigeant une remise à plat de la politique européenne de concurrence qui devrait permettre l’émergence de monopoles européens comme aux États-Unis. Bref, les deux hommes veulent d’une grande Europe réduite aux acquêts, ce qui n’est le cas ni d’Alain Juppé ni de Bruno Le Maire qui semblent vouloir en rester à ce qui existe, sans aller plus loin.

Noyau dur

En revanche, tout le monde se retrouve sur l’approfondissement de la zone euro, la base de la «refondation», le «noyau dur» de la future Union, selon l’expression de Juppé. Comme le note Fillon, tant à propos de Schengen que de la monnaie unique, «les gouvernements ne sont pas allés au bout de la logique de leurs ambitions affichées». Fillon propose, pour la zone euro, la mise en place d’un «directoire politique […] avec des parlementaires nationaux désignés pour encadrer démocratiquement cette zone monétaire». Un parlement de la zone euro sur le modèle proposé en son temps par Joschka Fischer, le ministre vert des affaires étrangères allemand. Une idée que partage aussi Bruno Le Maire qui estime que le Parlement européen n’a pas la légitimité nécessaire pour exercer ce rôle. Outre l’harmonisation budgétaire, fiscale et économique souhaitait par la bande des quatre, Juppé ajoute l’harmonisation sociale. Sarkozy, lui, veut aussi créer un «Fonds monétaire européen et un secrétaire général du gouvernement économique qui agisse commun un véritable directeur du trésor» (donc avec la possibilité de lever des emprunts).

Autre élément de ce noyau dur, Schengen qu’il «ne faut pas renier», comme le dit Fillon : le contrôle des frontières extérieures doit devenir une politique communautaire. Juppé propose même d’aller plus loin et de transformer Europol et Eurojust en une «police et une justice directement compétente pour traiter de la grande criminalité internationale», une proposition très fédéraliste. Alain Juppé, François Fillon et Bruno Le Maire sont d’accord pour créer, selon les mots du maire de Bordeaux, une «vraie politique européenne de l’asile et de l’immigration». Sarkozy et Fillon clouent au pilori l’accord UE-Turquie sur les migrants : «c’est une humiliation de se laisser manipuler par les autorités turques», juge l’ancien Président.

Une défense française financée par l’Union

Enfin, si tous constatent qu’une défense européenne est pour l’instant une chimère, Sarkozy et Fillon aimeraient bien que leurs partenaires (lesquels ? Les Vingt-Huit ou les Dix-neuf ?) financent les efforts français. Fillon propose la création d’un fonds européen permanent alors que Sarkozy évoque une «participation financière de l’Europe» lorsque «les intérêts de l’Europe sont en jeu». Sarkozy est aussi favorable à une mutualisation du «renseignement» ainsi que «des satellites de surveillance financés par des fonds européens». Bref, sur ce chapitre, c’est la souveraineté nationale sur fonds européens, un rien contradictoire…

Parmi les quatre, Fillon se distingue par une tonalité très anti-américaines («où sont les armées européennes ? Planquées sous le sigle de l’OTAN, aux ordres de l’allié et ami américain», dénonciation de l’unilatéralisme américain et du TTIP) et pro-russe : «avec la crise ukrainienne, l’Europe s’est inutilement brouillée avec la Russie», ce qui, selon Fillon, a entraîné une crise agricole… Un intéressant dégradé entre les quatre candidats, Bruno Le Maire et Alain Juppé se montrant les plus conséquents sur leur engagement européen.

Catégories: Union européenne

Visas : voyage en absurdie européenne

jeu, 05/05/2016 - 15:41

L’Union européenne donne parfois l’impression d’être un bateau ivre dont le capitaine a depuis longtemps déserté la passerelle de commandement. L’affaire des visas (de moins de 90 jours) en fournit une illustration saisissante. Ainsi, en juin prochain, les Turcs devraient pouvoir se rendre dans l’espace Schengen sans visa, l’une des concessions faites à Ankara pour qu’elle stoppe l’afflux de migrants et de réfugiés sur le sol européen. Les Ukrainiens, si les États membres acceptent la proposition faite par la Commission le 20 avril, devraient prochainement bénéficier du même régime de libre circulation, en dépit du rejet par les Néerlandais, le 6 avril, de l’accord d’association avec Kiev. Parallèlement à ce grand mouvement d’ouverture, le 12 avril, l’exécutif européen a publié une communication menaçant de rétablir les visas pour les ressortissants américains et canadiens, Washington exigeant toujours des visas pour les Bulgares, Croates, Chypriotes, Polonais et Roumains, et Ottawa pour les Bulgares et Roumains. Autrement dit, l’Union se prépare à désarmer face à la Turquie et à l’Ukraine, des pays instables et pauvres, et se propose de réarmer face à l’Amérique du Nord, un continent qui n’est pas connu pour les problèmes de sécurité et d’immigration qu’il pose à l’Union… Une logique qui ne peut qu’échapper au commun des mortels.

La menace d’un rétablissement des visas (pour 12 mois dans un premier temps) à l’égard des États-Unis et du Canada est, a priori, de bonne politique, puisque ces pays refusent, en discriminant entre les États membres, de reconnaître l’Union comme un tout, alors même que leurs ressortissants peuvent voyager librement sur le territoire des Vingt-huit. Serait-il imaginable que l’on distingue, par exemple, entre le Texas et l’Illinois ? Évidemment non. Depuis les élargissements de 2004, 2007 et 2013, Bruxelles exige donc que tous ses États soient traités de la même façon, notamment sous la pression de Varsovie qui ne digère pas, elle, l’alliée fidèle qui a suivi Washington dans toutes ses aventures guerrières, d’être traitée comme un réservoir d’immigrants illégaux. Mais les États-Unis et le Canada font la sourde oreille alors que l’Australie et le Japon ont fini par supprimer, fin 2015, les visas qu’ils réclamaient encore aux ressortissants de certains pays de l’Est (Bulgarie, Roumanie et Croatie pour le premier, Roumanie pour le second).

Le principe de réciprocité devrait donc s’appliquer sans l’ombre d’un doute. Mais voilà : l’Union est prête à se sacrifier pour la Pologne, en particulier, alors que ce pays estime que la solidarité européenne ne doit jouer qu’en sa faveur, comme l’a montré son attitude dans la crise des réfugiés. Peut-on la conforter dans cette attitude d’enfant gâté avec les conséquences que cela aura pour leurs partenaires ? Car les États-Unis et le Canada ne manqueront pas de répliquer à un rétablissement des visas et les pays qui auront le plus à en souffrir seront ceux qui accueillent le plus de touristes et d’hommes d’affaires nord-américains sur leur territoire, au premier rang desquels la France. Au-delà du message d’incohérence dans sa politique des visas envoyé aux opinions publiques européennes et au reste du monde, l’Union prend le risque d’accroitre le divorce grandissant avec ses propres citoyens qui comprennent de moins en moins ce qui se passe à Bruxelles : si réciprocité il doit y avoir, elle doit être à double sens, ce qui implique que la Pologne, pour ne citer qu’elle, assume aussi des politiques qui lui pose problème, par exemple en accueillant quelques dizaines de milliers de réfugiés comme elle s’y est pourtant engagée... L’Union n’est pas un guichet où l’on ne prend que ce qui intéresse ! Même si personne n’ose le dire tout haut, c’est que beaucoup de pays pensent tout bas et rares sont ceux qui ont envie de se fâcher avec Ottawa et surtout Washington.

N.B.: article paru dans Libération du 2 mai ici.

Catégories: Union européenne

Les dessous du TAFTA

lun, 02/05/2016 - 08:15

Photo Kai Pfaffen. Reuters

Qui croit encore à l’avenir du Tafta (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership, soit Partenariat Transatlantique pour le Commerce et l’Investissement (PTCI) en français) ? Dès le lancement de la négociation, en juillet 2013, de cet accord de libre-échange dit de « nouvelle génération » entre l’Union européenne et les États-Unis, il est devenu un véritable épouvantail pour une partie des opinions publiques européennes. Désormais, il suscite des réserves grandissantes de plusieurs États membres, au premier rang desquels la France, mais aussi l’Allemagne. Alors que les négociateurs européens, emmenés par l’Espagnol Ignacio Garcia Bercero, et américains, dirigés par Dan Mullaney, ont entamé hier à New York un treizième round de pourparlers, jamais l’avenir de cet accord n’a paru aussi compromis. Le président américain, Barack Obama, a profité de sa visite officielle en Grande-Bretagne et en Allemagne, pour lancer un vibrant plaidoyer en faveur du TTIP et d’une conclusion rapide.

· Pourquoi ce raidissement de certains États européens ?

Après avoir appelé régulièrement à une conclusion rapide du TTIP, François Hollande a brutalement tourné casaque le 14 avril, sur France 2 : « la France a fixé ses conditions, la France a dit que s’il n’y a pas de réciprocité, s’il n’y a pas de transparence, si pour les agriculteurs il y a un danger, si on n’a pas accès aux marchés publics et si, en revanche, les États-Unis peuvent avoir accès à tout ce que l’on fait ici, je ne l’accepterai pas ». Le vice-chancelier allemand, le social-démocrate Sigmar Gabriel, a repris le même refrain, dimanche : « les Américains ne veulent pas ouvrir leurs appels d’offres publics aux entreprises d’Europe. C’est tout le contraire du libre-échange, selon moi ». Pour lui, la position des Américains se résume à « acheter américain », ce qui n’est « pas acceptable » et condamne la négociation à l’échec.

Une convergence qui n’a rien d’étonnant, puisque Berlin et Paris ont, vendredi 22 avril, accordé leurs violons dans une lettre cosignée par Matthias Machnig, le secrétaire d’État allemand aux affaires économiques et à l’énergie, et Matthias Felk, son homologue français chargé du commerce extérieur. Les deux pays ont listé leurs exigences minimales « sans quoi il n’y aura pas d’accord possible à la fin de cette année ». En particulier, ils veulent que l’harmonisation des normes, la grande affaire de cette négociation destinée à créer l’équivalent du marché unique européen entre les deux blocs commerciaux, doit « se fonder sur les exigences les plus élevées, en matière sociale, environnementale et de sécurité, tout en maintenant notre droit à réglementer et à adopter des mesures selon nos processus administratifs et réglementaires respectifs ». En clair, il n’est pas question de revoir à la baisse les lois européennes ou de s’interdire de légiférer dans les domaines où Américains et Européens se seraient mis d’accord pour harmoniser leurs normes. De même, les deux rives du Rhin exigent un accès aux marchés publics des États fédérés (pour l’instant fermés), un avantage dont bénéficient déjà les Américains dans l’Union, ou encore la reconnaissance des appellations contrôlées de l’Union, un point dur de la négociation.

Pour la Commission européenne, qui négocie au nom des Vingt-huit, rien d’inquiétant à ce stade de la négociation : « il est normal que les États membres rappellent leurs intérêts et augmente la pression politique au moment où les négociations s’accélèrent, tant sur le plan politique que technique. En particulier, la crise agricole rend Paris très attentive à cet aspect des négociations. Mais pour l’instant, aucun pays ne veut les arrêter ». D’autant qu’il ne s’est rien passé sur un plan concret qui justifierait de stopper brutalement la machine diplomatique : « je ne vois pas, en l’état, de raison de dire qu’on ne veut plus de cet accord », analyse un diplomate français. « Ça sera une autre affaire lorsqu’il sera conclu et qu’il faudra le ratifier. C’est à ce moment-là que Lionel Jospin avait enterré l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI) ». « Tout le monde est d’accord sur un point : il n’est pas question de conclure à n’importe quel prix, comme l’a rappelé Cecilia Malmström, la commissaire chargée du commerce », souligne-t-on à la Commission.

· Pourquoi Barack Obama pousse-t-il à un accord ?

La visite du Président américain en Europe se situe dans un contexte très particulier, celui du référendum du 23 juin sur un éventuel « Brexit », un départ de la Grande-Bretagne de l’Union. Washington est, en effet, de plus en plus inquiet de la déstabilisation du vieux continent qui renoue avec ses vieux démons du nationalisme, du populisme, de la xénophobie, du protectionnisme, comme viennent de le montrer coup sur coup le rejet par les Néerlandais de l’accord d’association avec l’Ukraine ou la percée de l’extrême droite au premier tour de la présidentielle en Autriche. Le Brexit, dans ce contexte, serait une catastrophe, car il pourrait donner le signal du délitement de l’Union et la fin d’une longue période de paix. « Les États-Unis et le monde entier ont besoin d’une Europe forte, démocratique et unie », car « ce qui se passe sur ce continent a des conséquences sur le monde entier », a-t-il donc plaidé, avant de rappeler qu’au « siècle dernier, à deux reprises dans une période de trente ans, les forces des empires, celles de l’intolérance et du nationalisme extrême ont consumé et largement réduit en ruines ce continent ». « Si une Europe unie, pacifique, démocratique et orientée vers l’économie de marché commence à douter d’elle-même, à remettre en question les progrès réalisés ces dernières décennies, alors (...) cela renforcera ceux qui disent « cela ne peut pas marcher » et soutiendra le communautarisme ».

Le Royaume-Uni étant particulièrement attaché au commerce et au libre échange, Barack Obama a joué sans vergogne sur cette corde, renvoyant les tenants de la sortie au risque de l’isolationnisme : « certains pensent peut-être qu’il y aura un accord de libre-échange USA/Royaume-Uni, mais cela n’arrivera pas de sitôt », a-t-il déclaré à Londres : « le Royaume-Uni sera en queue de peloton », la priorité des États-Unis étant les « négociations avec les grands blocs », comme l’Union ou la Chine. Et de donner comme exemple le… TTIP, qui devient donc un argument en faveur du maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE. David Cameron, le Premier ministre britannique, a immédiatement saisi la balle au bond, en soulignant que ce traité ferait « gagner des milliards à nos économies ». Les hurlements des tenants du Brexit, Boris Johnson, le maire de Londres, n’hésitant pas à invoquer les origines kényanes d’Obama pour expliquer sa prise de position, montre qu’il a touché juste. Bref, c’est moins le TTIP qu’est venu défendre Obama, que le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union.

· Où est-ce que ça coince ?

Pour autant, tout ne va pas mieux dans le meilleur des mondes entre les deux rives de l’Atlantique, même s’il n’est pas question qu’une des deux parties quitte la table des négociations. En particulier, et comme on pouvait s’y attendre, les États-Unis ne se montrent pas pressés d’ouvrir à la concurrence étrangère les services, les marchés publics (ouverts en Europe, fermés à 70 % aux États-Unis), le transport maritime, les services portuaires ou encore les compagnies aériennes qui ne sont que partiellement accessibles aux investissements étrangers. Le problème, côté américain, est que les États fédérés et les agences indépendantes ont des compétences exclusives dans les services, les marchés publics ou encore certains produits comme les médicaments, et Washington n’a pas la compétence de les engager à la différence de Bruxelles : un engagement européen vaut pour tous les États membres... De même, l’organe de règlement des différents entre les Etats et les investisseurs pose problème. Sous la pression des opinions publiques, la Commission européenne a proposé en septembre 2015 de ne plus faire appel à des arbitres privés, comme c’est le cas dans tous les accords de ce type, mais de créer une véritable Cour permanente à deux degrés de juridiction faisant appel à des juges professionnels. Ce système, baptisé Investment Court System (ICS) a été introduit rétroactivement, en février dernier, dans l’accord de libre-échange déjà conclu avec le Canada (et pas encore en vigueur). Mais, pour l’instant, les Américains font la sourde oreille…

· Le TTIP verra-t-il le jour ?

La négociation est mal partie dès 2013, et ce, à cause du président de la Commission de l’époque, José Manuel Durao Barroso, qui a fait du TTIP la grande affaire de la fin de son mandat. Au lieu de préparer les opinions publiques et d’expliquer en détail ce qu’il voulait faire, il s’est lancé dans des négociations secrètes qui ont donné l’impression qu’il s’agissait de mettre à bas une partie de la législation des États membres au profit des multinationales. Toutes les peurs de l’époque, avivée par la crise économique et financière de 2007-2008 qui a mis fin au mythe de la mondialisation heureuse, se sont donc cristallisées autour du TTIP : à terme, les Européens allaient être gavés de poulet au chlore, de bœuf aux hormones ou de faux camemberts made in US et les entreprises américaines allaient empêcher l’Union de légiférer… Ce péché originel a empoisonné toute l’affaire, en dépit des efforts de transparence et d’explication de la Commission présidée par Jean-Claude Juncker qui n’a pas hésité à revoir plusieurs points clefs du mandat de négociation accepté à l’unanimité des États membres (par exemple l’organe de règlement des différents).

Les États européens doivent donc compter avec des opinions publiques particulièrement réticentes, notamment en Allemagne. Autant dire que la ratification, tant par le Parlement européen, que par les vingt-huit parlements nationaux n’est nullement acquis. D’autant qu’aux Pays-Bas, les eurosceptiques qui ont obtenu le rejet de l’accord avec l’Ukraine via un référendum d’initiative populaire ont d’ores et déjà annoncé qu’ils étaient prêts à recommencer avec le TTIP. Si on ajoute à cela les réticences des principaux candidats à l’élection présidentielle américaine de poursuivre sur la voie du libre échange général, l’avenir de ce traité, s’il est un jour conclu, n’est rien moins que rose…

N.B.: Version longue de mon article paru dans Libération du 25 avril

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La Belgique, un "failed State" voulu par les nationalistes flamands

ven, 29/04/2016 - 17:41

Comment ne pas désespérer de la Belgique? Impossible face à l’évaporation accélérée de ce pays. Mon analyse est ici. Le Monde l’avait écrit le 23 novembre dernier, mais j’avais trouvé à l’époque qu’ils y allaient trop fort alors que l’on n’avait toujours pas fini d’analyser les défaillances françaises. Cinq mois après, personne ne peut plus nier que la Belgique est un «failed State», un Etat en voie de déliquescence.

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Sven Mary: "comme si j'étais Abdeslam"

mer, 27/04/2016 - 22:49

Salah Abdeslam, le seul terroriste survivant des attentats du 13 novembre, a été remis aujourd’hui par la Belgique à la France dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen. Mon portrait de son avocat belge, Sven Mary, qui parle avec une franchise déconcertante de son client, est ici. Bonne lecture!

La polémique n’a pas tardé, mais Sven Mary assume (lire ici). Et le Washington Post cite ce portrait et ça fait bien plaisir. La Nouvelle Edition de Canal+ en parle .

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L'anglais langue unique, un danger pour la légitimité de l'Union européenne

ven, 22/04/2016 - 18:29

Mon éditorial sur les dangers du monolinguisme anglophone de l’Union européenne est ici. Un coup de sang nécessaire, même si je crains qu’il ne soit vain... Mais comme disait Churchill dans cette belle langue, «success is not final, failure is not fatal: it is the courage to continue that counts» ;-)

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Le communautarisme belge a permis le développement du communautarisme musulman

jeu, 21/04/2016 - 20:11

REUTERS/Yves Herman

Mon interview de Sarah Turine, l’échevine (maire adjointe) de Molenbeek-Saint-Jean, l’une des dix-neuf communes bruxelloise, est ici. Bonne lecture !

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L'Europe après la pluie

mar, 19/04/2016 - 17:22

Excellente initiative des éditions La Volte: la réédition, en un seul volume, des trois magnifiques romans de science-fiction de Philippe Curval consacrés au «Marcom», le Marché commun du futur. Curval m’a demandé d’en écrire la préface, un honneur pour moi qui suis un fan de la première heure de l’un des meilleurs auteurs français du genre. La voici. J’espère qu’elle vous donnera envie d’acquérir cet ouvrage prémonitoire.

En ce début de XXIe siècle, le premier référendum organisé à l’échelle de l’Union européenne est sans appel : 80 % des citoyens ont approuvé la fermeture totale des frontières extérieures. Tous les étrangers non communautaires, y compris ceux qui ont acquis une nationalité de l’un des vingt-huit États membres depuis moins de deux générations, sont expulsés, puis « un réseau de défense automatisé d’une sophistication extrême » est mis en place. Ce rideau de fer, dont même les Soviétiques n’ont pu que rêver, coupe totalement l’Union du reste du monde : personne n’entre, personne ne sort, les échanges sont totalement interrompus. L’Union et ses 500 millions d’habitants sont désormais « un monde clos, secret, mystérieux, un grisé sur la carte de la Terre », un monde qui vit sur ses seules ressources.

Confrontée, depuis 2015, à une « invasion arabe », comme l’a qualifié le pape François, plus d’un million de personnes ayant gagné cette année-là le territoire européen, et au terrorisme islamique, travaillée par des partis populistes, fascistes et isolationnistes qui ont contaminé les vieux partis démocratiques, terrifiée par une mondialisation dont sa population vieillissante sent qu’elle ne sortira pas vainqueur, usée par une crise financière et économique qui n’en finit pas de finir, l’Europe a choisi de se replier sur elle-même, persuadée qu’elle s’en sortira mieux à l’abri d’un monde de plus en plus incertain.

Un petit scénario fiction qui n’est qu’un mauvais rêve. Pour l’instant. Car, il pourrait bien devenir réalité. Ce qui était inimaginable il y a encore quelques années semble, en effet, se réaliser sous nos yeux. La Hongrie, le pays qui a pourtant mis à bas, en 1989, le rideau de fer qui a séparé l’Europe en deux durant quarante ans, a donné le signal en érigeant en 2015 un mur à ses frontières extérieures avec la Serbie et la Croatie afin d’endiguer l’afflux de migrants et de réfugiés chassés par les guerres en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Soudan, par les dictatures africaines ou par la misère. Car l’Europe est un ilot de paix et de bien-être pour le reste de l’humanité. Tous les pays de la « ligne de front » ont ensuite suivi « l’exemple » hongrois, bâtissant à la hâte des murs défensifs, déployant armée et police pour stopper, à leur tour, cet afflux. Des contrôles ont été rétablis entre les pays de l’espace de libre circulation Schengen pour arrêter ceux qui auraient réussi à franchir les barbelés. Comble de l’ignominie, le Danemark a voté une loi permettant de saisir les maigres biens des réfugiés pour subvenir à leurs besoins, une loi que d’autres pays se préparent à adopter.

Il n’a fallu que quelques mois pour qu’une Europe affolée jette par-dessus bord ses valeurs les plus fondamentales, celles qui ont fondé le projet communautaire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : droit d’asile, libre circulation, protection des minorités. Même des gouvernements de gauche ont adopté une rhétorique xénophobe, voire raciste, que l’on croyait réservée à l’extrême droite. Quelques centaines de milliers de migrants et de réfugiés ont suffi pour que les peurs primitives face aux « grandes invasions » bouleversent le vieux continent et fassent resurgir les pulsions qui l’ont mené à sa perte dans les années 30.

Relire aujourd’hui les trois romans que Philippe Curval a consacrés au « Marcom » (le Marché commun) procure un vertige. Trois ans après le premier choc pétrolier de 1973, « Cette chère humanité » -suivi en 1979 par « Le dormeur s’éveillera-t-il ? » et, en 1983, par « En souvenir du futur », tous trois heureusement réédités aujourd’hui- a identifié les prémisses de la tentation du repli sur soi qui commençaient à fouailler nos sociétés usées, mal remises d’une guerre dévastatrice, travaillées par la peur et le rejet de l’autre, en l’occurrence l’Arabe (déjà), la crainte d’un monde où l’homme blanc chrétien ne dicterait plus la marche du monde. Rares sont les auteurs de science-fiction (citons notamment le Britannique J.G. Ballard) qui ont utilisé le potentiel de l’Europe en construction pour imaginer le monde du futur, sans doute parce que le genre est largement dominé par des auteurs anglo-saxons pour qui le vieux continent à son avenir derrière lui.

Philippe Curval a imaginé un Marcom xénophobe et réactionnaire coupé du monde, afin de protéger son économie de l’immigration et des influences extérieures. Même si la science-fiction n’a aucune fonction prédictive, elle se fonde sur des faits, des tendances, des idéologies connus à l’époque où l’auteur écrit son roman pour envisager des futurs possibles. Quarante ans après, les romans de Curval montre à quel point les passions de 2016 étaient déjà bien présentes comme le démontre chaque jour une actualité dramatique. Et, face à l’incertitude, les sociétés fragiles pensent toujours que la fermeture, une réponse simpliste à un problème complexe, est la solution la plus adéquate alors qu’elle est mortelle.

Certes, le « Marcom » imaginé par Curval est pré-chute du mur (1989) et pré-Union européenne (1992). En 1976, il était inimaginable que l’Union soviétique, ce nouvel « empire de mille ans », puisse s’effondrer sans crier gare et que l’Europe s’étendrait un jour jusqu’aux confins de l’ex-URSS. Ainsi, ce Marcom imaginaire ne compte que treize États, loin des vingt-huit actuels : en 1976, les membres de la Communauté économique européenne (CEE) n’étaient que neuf, auxquels l’auteur a ajouté l’Espagne et le Portugal –devenus effectivement membres en 1986-, l’Autriche -1995- et un treizième pays qui pourrait être la Suède ou la Finlande -1995 aussi-, cela n’est pas précisé. En revanche, la Grèce (adhésion en 1981), qui n’a pas de continuité territoriale avec la CEE, n’est pas dans le Marcom, car elle aurait compliqué son isolement. Ce qui est plutôt bien vu, un « Grexit » n’étant plus totalement écarté.

Mais pour le reste, le Marcom rappelle étrangement l’Union de 2016 : il est allergique aux non-Européens (les ressortissants des « Payvoïdes », anciens pays en voie de développement), vit dans son passé (avant, c’était forcément mieux) et est profondément individualiste. Il est dirigé par un « gouvernement secret » qui ressemble étrangement à la Commission, car dans le Marcom, on vote pour des idées, pas pour des hommes ou des femmes. Ce sont ensuite les adhérents du parti arrivé en tête qui choisissent les ministres, en l’occurrence, dans « Cette chère humanité », l’UDC, « l’union de défense du citoyen ». A l’époque, l’UDC suisse (Union démocratique du centre), isolationniste et xénophobe, n’existait pas encore…

Curval s’amuse à pousser jusqu’à l’absurdité une certaine furie normative communautaire. La bibliothèques des « textes sacrés du Marcom » est affriolante : « Traité des bordures de trottoirs dans les villes de moins de dix mille habitants des treize États du Marcom » et en sous-titre : « Minutes des 123 conférences de La Haye » ; « Règlements fédéraux pour le transport sous douane des escargots sans coquille » ; « Recueil des décrets portant sur l’organisation des commissions chargées d’organiser les commissions fédérales d’études » ; « Dictionnaires des mots interdits » : « Charte fédérale de définition des eaux polluées »… Tout est fait pour assurer le bonheur du citoyen. Même contre son gré : le port du casque et de combinaison protectrice pour les piétons est obligatoire et des inspecteurs sont même chargés de veiller au respect de l’hygiène corporelle… Le meilleur des mondes.

Dans ce monde parfait, mais vieillissant, on prolonge la vie par des greffes d’organes, mais aussi en ralentissant le temps. Chacun possède sa « cabine de temps ralentie » qui permet de vivre sept jours en un jour. Une vie centrée sur le culte du passé (le Marcom devient un musée), où le repli sur soi ne s’arrête pas aux frontières extérieures, mais gagne petit à petit chaque communauté puis chaque individu : la campagne est désertée, les villes sont devenues aveugles et muettes et les Marcom’s répugnent à quitter leur cabine de « temps ralentis » : « tous les Marcom’s vivent comme des chrysalides dans un cocon, sans jamais devenir chenilles, puis lépidoptères », écrit Curval. Pour l’auteur, l’espoir, ce sont les « Payvoïdes », « la face éclairée de l’humanité ». Tout est dit.

Face à l’énergie du reste de la planète, les vieux Européens, pourtant issus d’un melting pot qui n’a rien à envier à celui des États-Unis ou du Canada, ont pris peur et cette peur les a conduit inéluctablement à l’enfermement. Mais celui-ci ne peut conduire qu’à l’entropie, aucun mur n’ayant jamais empêcher l’effondrement d’une civilisation, celle-ci puisant sa force dans l’ouverture. L’Union de 2016 va-t-elle devenir le cauchemar marcomien décrit par Philippe Curval ? On ne peut totalement écarter le fait que des agents du « Centre de gestion temporel » (« En souvenir du futur ») sont à l’œuvre pour éviter qu’il se concrétise … Le pire n’est jamais sûr, même s’il est hélas souvent probable.

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Panama Papers: une transparence fiscale limitée pour les entreprises,

lun, 18/04/2016 - 08:45

Jean-Claude Juncker s’y était engagé au lendemain du Luxleaks, en novembre 2014: comme président de la Commission européenne, il allait combattre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscale, en clair faire l’exact contraire de ce qu’il avait fait pendant 25 ans comme ministre des finances et Premier ministre du Grand Duché. Depuis lors, difficile de ne pas reconnaître qu’il tient parole: transparence des rescrits fiscaux, lutte contre la fraude à la TVA, fin du secret bancaire, etc. Il franchit un pas supplémentaire, en proposant d’imposer aux multinationales la transparence fiscale pays par pays (CBCR pour Country by country report) et donne ainsi satisfaction à une vielle revendication du Parlement européen et des ONG qui accusaient les grandes entreprises de profiter des différences de législation et de l’opacité actuelle pour échapper à l’impôt.

C’est mardi que la Commission a présenté ce projet de directive comptable qui obligera, s’il est voté par les Etats membres et le Parlement européen, les entreprises, européennes ou non, qui réalisent un chiffre d’affaire annuel supérieur à 750 millions d’euros à rendre public les lieux où elles réalisent des profits et ceux où elles payent des impôts, ainsi que les données nécessaires pour analyser ces informations (chiffre d’affaire, nombre de salariés, nature de l’activité). Mais cette obligation s’appliquera uniquement aux filiales ou aux établissements situés dans l’un des 28 Etats membres: pour le reste du monde, seuls des chiffres globaux seront fournis. Même ainsi limité, il s’agit d’une première mondiale, pour le coup, aucun pays n’imposant de révéler, en dehors des administrations fiscales bien évidemment, des informations qui ressortent, à en croire les entreprises, du « secret des affaires ».

A l’étude depuis un an, cette proposition a été revu à la hausse à la suite des « Panama papers »: l’obligation de transparence sera étendue aux filiales situées dans une liste noire de paradis fiscaux que la Commission doit présenter dans les prochaines semaines, comme s’y est engagé Pierre Moscovici, le commissaire européen à la fiscalité. Une liste qui laisse présager de belles bagarres, certains Etats membres n’ayant aucune liste de paradis fiscaux, comme l’Allemagne, alors que d’autres disposent de listes à rallonge, comme le Portugal qui y a inscrit quasiment la moitié de la planète…

Reste qu’une partie de la gauche européenne ainsi que les ONG estiment que cette proposition ne va pas assez loin: en particulier, le seuil de 750 millions d’euros ne couvre que 10 à 15 % des multinationales, même si celles-ci génèrent 90 % des revenus des entreprises transnationales. « Les banques sont déjà soumises aux CBCR et ça ne pose aucune problème », explique Pervenche Berès, eurodéputée socialiste française. « Le seuil devrait être abaissé à 40 millions d’euros ». De même, la gauche et les ONG souhaitent que le CBCR s’applique à l’ensemble des pays de la planète.

N.B.: version longue d’un article paru le 14 avril

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Le PNR, un nouveau fichier inutile,

lun, 18/04/2016 - 08:45

REUTERS/Vincent Kessler

Le PNR est devenu le mantra de la lutte antiterroriste. Au lendemain des attentats de Paris, le 13 novembre, puis de ceux de Bruxelles, le 22 mars, Manuel Valls a tapé du point sur la table en enjoignant au Parlement européen de voter séance tenante la création de ce fichier qu’il bloque depuis 2007 et qui est destiné à recueillir les données personnelles de tous les passagers aériens (Passenger Name Record, en anglais), qu’il voyage de, vers ou à l’intérieur de l’Union. Le premier ministre français peut-être content: les députés européens ont voté jeudi, à une large majorité (461 voix contre 179 et 9 abstentions), la directive « relative à l’utilisation des données des dossiers passagers pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalités, ainsi que pour les enquêtes et les poursuites en la matière » « relative à l’utilisation des données des dossiers passagers pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalités, ainsi que pour les enquêtes et les poursuites en la matière », de son petit nom. Seuls les Verts, la gauche radicale, l’extrême droite, les souverainistes , quelques socialistes et libéraux ont voté contre.

En réalité, il s’agit de créer, non pas un super fichier européen, l’équivalent du Système d’information Schengen (SIS), mais d’autoriser et d’harmoniser la création de 28 fichiers nationaux qui chacun essaiera d’établir des profils de suspects potentiels en fonction de leurs voyages aériens, et ce, à partir des dix-neuf données personnelles détenues par les compagnies aériennes: identité, moyen de paiement, itinéraire complet, passager fidèle, bagages, partage de code, etc. Les terroristes ne seront pas les seuls à être ainsi « profilés »: la liste des infractions qui permettra d’utiliser le PNR est large (traite d’êtres humains, exploitation sexuelle des enfants, trafic de drogues, cybercriminalité)… C’est pourquoi le Parlement européen a longtemps bloqué ce texte qui autorise rien de moins qu’un profilage généralisé de tout un chacun uniquement parce qu’il voyage et non parce qu’il fait l’objet d’une enquête policière ou judiciaire (lire mon article précédent sur le sujet ici).

Le second problème est que les renseignements obtenus ne seront pas automatiquement partagés entre les pays européens: il faudra que chacun demande spécifiquement à ses partenaires telles ou telles données. On peut s’interroger sur l’intérêt de se lancer dans une telle usine à gaz, puisque même si les pays sont autorisés à créer un fichier commun. Surtout, beaucoup se demande en quoi le PNR aurait permis d’éviter les attentats, la quarantaine de terroristes qui ont frappé l’Europe ces derniers mois étant déjà été connus des services et aucun d’entre eux n’ayant emprunté l’avion pour frapper les cibles choisies, mais plus prosaïquement, la voiture, le taxi ou le métro… Après tout, les vols ne représentent que 8 % du trafic intra et extra-communautaire : l’Europe n’est pas une île.

En fait, tous ceux qui défendent les libertés publiques estiment que ce fichage va trop loin pour une efficacité quasi-nulle. Manuel Valls, le premier ministre français, qui était de passage à Strasbourg mardi, m’a fait cette réponse lorsque je lui ai demandé en quoi ce fichier aurait permis d’éviter les attentas: «Il ne faut pas être réducteur et caricatural sur ces questions. Personne n’a jamais dit que le PNR pourrait éviter les attentats. Au plan national, nous avons ce PNR. Il y a des problématiques techniques qui sont en train d’être réglées. Si nous voulons un PNR national qui fonctionne, il doit aller de pair avec un PNR européen. Et nous devons donc nous doter de tous les moyens dans cet équilibre qu’il faut toujours articuler entre sécurité et libertés fondamentales. Nous devons nous doter de tous les moyens. C’est ce que nous faisons au plan national par la réforme de nos services de renseignement, par les moyens que nous leur donnons, par les moyens supplémentaires que nous donnons à la police et à la gendarmerie, mais aussi à nos forces armées, par la mobilisation de la société contre ce que l’on appelle la radicalisation d’une partie de notre jeunesse qui concerne des centaines, voire des milliers d’individus en France en et Europe, par la coopération bien sûr entre les pays et les services de renseignement, en essayant de s’adapter, de comprendre ce que font les terroristes, parce que eux mêmes s’adaptent et changent. Mais pour ce qui concerne le contrôle des passagers aériens, nous avions besoin de cet outil. Sur la quarantaine de terroristes liés aux attentats à Bruxelles et Paris, vous n’en savez rien, il faut être extrêmement prudent : tous n’étaient pas fichés « S ». Il faut faire attention. D’ailleurs c’est comme si je disais que parce qu’ils sont passés pour certains d’entre eux à travers les flux de réfugiés que tous les réfugiés devraient être considérés comme des terroristes. Non, moi je considère que le PNR européen est un moyen supplémentaire dont nous nous dotons pour être efficaces dans la lutte contre le terrorisme. Mais la lutte contre le terrorisme, c’est le travail de renseignement, c’est le travail humain, ce sont de nouvelles technologies, et sans ces nouvelles technologies –c’est pour cela que nous avons une loi de renseignement que je crois efficace en France- nous ne serons pas capables de favoriser un certain nombre d’interceptions, je n’en dis pas plus, qui sont utiles dans la lutte contre le terrorisme».

Seule consolation pour les défenseurs des libertés publiques: les eurodéputés ont réussi à tordre le bras au conseil des ministres et à voter en même temps, pour prix de leur ralliement au PNR, la directive et le règlement de protection des données personnelles (pour en savoir plus, c’est ici).

N.B.: version actualisée d’un article paru dans Libération du 13 avril

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La directive sur le «secret des affaires» menace les lanceurs d'alerte

dim, 17/04/2016 - 20:15

REUTERS/Vincent Kessler

En dépit d’une opposition qui ne faiblit pas, d’une pétition signée par 530.000 citoyens, d’un appel commun lancé par une cinquantaine d’ONG, syndicats de salariés, de journalistes, d’avocats et de magistrats, le Parlement européen a adopté, jeudi, à une très large majorité (503 voix contre 131 et 18 abstentions), la proposition de directive sur la protection du « secret des affaires ». Un texte controversé, car les journalistes et les « lanceurs d’alerte » pourrait bien être les victimes collatérales d’une législation qui visait d’abord à lutter au niveau européen contre l’espionnage industriel et commercial. Un comble en pleine affaire des Panama Papers, parfait exemple d’une fuite (ou d’un vol) de secrets des affaires !

C’est un petit groupe de multinationales, américaines (Intel, General Electric, etc.) et européennes (Michelin, Alstom, etc.), qui a demandé, en 2010, à la Commission de proposer une directive sur le secret des affaires, celui-ci n’étant pas protégé en tant que tel dans la quasi-totalité des pays de l’Union à la différence de ce qui se fait aux Etats-Unis, au Japon ou en Chine. En général, le sujet est traité par le biais de la concurrence déloyale, de la propriété intellectuelle (brevets, marques,…), du droit du travail (clause de non concurrence), du droit pénal (vol de documents), etc. Or, le « secret des affaires » est, dans l’esprit des entreprises, beaucoup plus large et partant plus flou, puisqu’il concerne aussi bien l’aspect technique qui n’est pas forcément protégé par un autre moyen (dessins, recettes, savoir-faire, essais cliniques, évaluation scientifique des produits chimiques, etc.) que commercial (liste de clients, études de marché…) de l’activité d’une société, dès lors qu’ils sont secrets et ont une valeur commerciale (parce que secrets).

Lobbying des multinationales

Plusieurs cas de vols de secrets d’affaires ont défrayé la chronique ces dernières années, affaires mises en avant par les entreprises et la Commission pour justifier cette législation. Cela va de la stagiaire chinoise qui a copié, en 2005, des fichiers informatiques de l’équipementier automobile Valeo à Michelin, dont un prototype de pneu a été copié, toujours en 2005, lors d’un rallye automobile… Autant de cas pourtant déjà couverts par la législation existante dans les différents Etats européens (vols de documents, brevets, concurrence déloyale). « En réalité, le problème existe surtout pour les PME qui, en raison de l’hétérogénéïté des droits des Etats membres, n’ont pas les moyens, faute de levier juridique unique, de lutter contre l’espionnage industriel », explique la députée européenne (radicale) Virginie Rozière.

Michel Barnier, le commissaire au marché intérieur de l’époque, s’est laissé convaincre et a proposé, en novembre 2013, une directive sur le secret des affaires, une législation a minima qui autorise les Etats à aller plus loin s’ils le souhaitent. Ce projet ayant été largement inspiré par des cabinets d’avocats grassement rémunérés par les multinationales, comment s’étonner que sa première version permettait d’interdire aux journalistes de faire leur métier et de baillonner les lanceurs d’alerte ? En effet, le « secret des affaires » aurait concerné l’ensemble de la société et plus seulement les concurrents commerciaux : « de facto, on passe d’un cadre juridique de concurrence déloyale à quelque chose qui se rapproche de la propriété intellectuelle, sur le modèle américain où le secret des affaires en est une catégorie », explique Martin Pigeon de Corporate Europe Observatory: « l’intention concurrentielle n’est plus requise ».

Une définition vague

Surtout, la définition du « secret des affaires », qui figure dans un « considérant », est particulièrement vague et ouvre la porte à bien des abus : «savoir-faire ou informations» ayant «une valeur commerciale, effective ou potentielle. Ces savoir-faire ou informations devraient être considérés comme ayant une valeur commerciale, par exemple lorsque leur obtention, utilisation ou divulgation illicite est susceptible de porter atteinte aux intérêts de la personne qui en a le contrôle de façon licite en ce qu’elle nuit au potentiel scientifique et technique de cette personne, à ses intérêts économiques ou financiers, à ses positions stratégiques ou à sa capacité concurrentielle».

La société civile n’a découvert ce texte qu’en novembre 2014, au moment de son adoption par le Conseil des ministres (c’est-à-dire les Etats), et ce qu’il impliquait pour la liberté d’information. Les ONG, les syndicats (qui craignent que la mobilité des cadres soit entravée par ce texte) et les journalistes ont alors essayé de limiter les dégâts. Avec un certain succès, puisque le Parlement, colégislateur avec les vingt-huit Etats membres, a modifié le projet « afin d’exclure journalistes et lanceurs d’alerte du champs d’application de ce texte », explique Viriginie Rozière, même si « la bataille a été assez rude ». Ainsi, « le secret des affaires ne pourra pas être opposé aux journalistes, point », affirme l’eurodéputée radicale.

Les «lanceurs d’alerte» oubliés

Pour les « lanceurs d’alerte » qui ne sont pas cités en tant que tel, l’article 5 de la directive indique que ne pourront pas être poursuivis ceux qui violent le secret des affaires s’ils ont « agi pour protéger l’intérêt public général ». Autrement dit, « ce sera au juge d’apprécier au cas par cas, car on est à la limite », estime Virginie Rozière. Reste que l’exception est limitée aux seuls cas où il s’agit de révéler une « faute, une malversation ou une activité illégale ». Pas question, donc, de dévoiler des petits ou grands secret au nom de la seule morale ou de l’idée qu’on s’en fait. « L’alerte éthique peut pourtant porter sur des violations des droits de l’homme, des risques pour la santé ou l’environnement », s’inquiète l’ONG Transparency International. Des limites dont ont conscience les eurodéputés: « le Parlement demande à la Commission de proposer un texte horizontal sur le statut des lanceurs d’alerte », précise Virginie Rozière qui fait valoir qu’il était difficile d’aller plus loin dans le cadre de cette directive.

C’est tout le problème: « le texte a évolué, mais il reste marqué par sa logique d’origine », estime Martin Pigeon. Pour lui, il va permettre aux entreprises de poursuivre journalistes et lanceurs d’alertes pour les intimider: « il faudra attendre que la jurisprudence se stabilise pour savoir ce qu’il en est vraiment, ce qui risque de prendre du temps et, en attendant, de permettre aux entreprises d’imposer le silence sur leurs activités ». Les Etats, qui doivent encore formellement adopter la directive (elle est ici) lors d’un prochain Conseil des ministres, auront deux ans pour la transposer dans leur droit interne.

N.B.: Un article sur ce thème a été publié dans Libération de jeudi

Catégories: Union européenne

"Panama papers": la Commission veut en finir avec les paradis fiscaux, les Etats moins

mar, 12/04/2016 - 17:04

Pierre Moscovici, le commissaire européen à la fiscalité, voit dans les « Panama papers », l’occasion d’en finir avec la réticence des Etats à lutter contre la fraude et « l’optimisation » fiscale. C’est la première fois que l’ancien ministre des finances français s’exprime depuis la révélation de ce qu’il qualifie de « scandale insupportable ».

L’ampleur des révélations des Panama Papers vous ont-elles surprises ?

Je n’ai pas été surpris de ce scandale mondial, ce scandale insupportable, car je mène un combat constant contre la fraude fiscale, l’évasion fiscale, l’optimisation fiscale agressive, qui visent à payer moins d’impôts et érodent la base fiscale. Toutes ces pratiques ne sont pas illégales, mais toutes sont immorales et choquantes. Si nous ne les combattons pas résolument, nous fournirons une arme incroyable aux populistes : si les citoyens pensent que tous les partis politiques, tous les acteurs publics, toutes les entreprises, tous les individus qui gagnent beaucoup d’argent sont «pourris», si on a l’impression qu’il y a une élite qui se protège mutuellement pour échapper à l’impôt, alors le populisme triomphera. Face à ce danger pour la démocratie, il y a une chance politique qu’il faut saisir : avec ces Panama papers, ceux qui combattent la fraude et l’évasion fiscale, comme la Commission européenne, bénéficient désormais du soutien de l’opinion publique pour y mettre fin. Comme commissaire, je me sens conforté quand je me tourne vers les États membres pour les inciter à se montrer impitoyables.

Le principal parti populiste français, le FN, est lui-même impliqué indirectement dans l’affaire des Panama papers. Pensez-vous que cela aura des conséquences en terme électoral ?

Au-delà du cas du FN, il faut avoir conscience que le populisme ne frappe jamais les populistes. Ceux qui sont le plus blâmés ne sont pas forcément les plus blâmables, c’est ainsi. Il faut donc que les démocrates, les républicains, les Européens soient les défenseurs ardents de l’exemplarité et de la transparence. C’est ainsi que nous ramènerons les citoyens qui doutent des partis démocratiques et de l’Europe vers la démocratie et vers l’Europe.

Est-ce la crise économique et financière qui a rendu insupportable l’évasion fiscale ?

Effectivement. La crise nous ayant contraints à lutter contre les déficits afin de réduire des stocks de dettes devenus insupportables, les impôts ont alors été augmentés. Mais certains, parce que plus riches ou mieux conseillés, ont utilisé des trous dans les législations ou les ont contournés pour échapper à l’impôt. Autrement dit, les bons citoyens ont vu leurs efforts dérobés par d’autres : ces sommes qui échappent aux budgets des États sont colossales : on l’estime à près de 1000 milliards d’euros par an au niveau mondial. Rien que le manque à gagner à la TVA dans l’Union représente 170 milliards d’euros par an, ce qui m’a conduit à présenter un plan d’action contre ce fléau ce jeudi 7 avril. De même, selon des estimations récentes du Parlement européen, nous perdons chaque année entre 50 et 70 milliards d’euros à cause des phénomènes d’évasion fiscale des multinationales dans l’UE.

Les Panama papers vous réjouissent donc ?

C’est une excellente nouvelle politiquement, qui va nous permettre de franchir de nouveaux pas dans cette révolution de la transparence fiscale qui est en cours : la lutte contre l’évasion fiscale a déjà fait des progrès considérables depuis la prise de conscience américaine en 2010 et les actions menées par l’OCDE, le G20 et l’Union européenne. Nul ne peut s’y opposer : ceux qui imaginent qu’on peut continuer à faire ses petites affaires dans l’opacité viennent d’avoir la démonstration qu’on est toujours rattrapé par la patrouille. La leçon des Panama papers ou du Luxleaks, en 2014, s’adresse aussi à ceux qui sont tentés d’échapper à l’impôt : les Panama papers, la plus grande fuite qui ait jamais existé, n’est pas un feu de paille. Ceux qui n’ont pas été pris cette fois-ci le seront la prochaine fois, ce qui doit inciter tout le monde à jouer la transparence.

Le citoyen a le sentiment que l’État se montre plus impitoyable à son égard s’il a 24 heures de retard de paiement qu’à l’égard des grandes fortunes…

Ne généralisons pas. Les Panama papers ne concernent que certaines fortunes et certaines entreprises. La transparence va permettre de combattre ces pratiques immorales. Je suis très fier d’avoir introduit dans la loi bancaire de 2013, alors que j’étais ministre des finances français, l’obligation pour les banques françaises de publier les données comptables et fiscales de leurs filiales à l’étranger (« Country by country report » ou CBCR). Mardi prochain, la Commission va proposer un CBCR public pour toutes les grandes entreprises, et pas seulement un échange d’informations entre administrations fiscales. Nous serons les premiers à mettre en place cette transparence afin que tout le monde puisse avoir accès à ces données: nous répondons ainsi à une demande des opinions publiques, des ONG et du Parlement européen.

À la suite du Luxleaks, vous n’avez pas voulu rendre publics les rescrits fiscaux, mais seulement rendu obligatoire l’échange d’informations entre administrations fiscales.

Le cas est différent, car il s’agit de permettre à des entreprises de connaître par avance leur taux d’imposition. Pour cela, la réponse doit être l’échange d’informations entre administrations fiscales afin d’éviter les distorsions dans les législations et les pratiques des entreprises, pas la publicité qui peut nuire à la décision d’investir. Mais le résultat de ces opérations sera connu à terme puisqu’il figurera dans les données fiscales des entreprises qui seront publiées…

Pourquoi les lanceurs d’alertes préfèrent-ils s’adresser aux médias plutôt qu’aux administrations fiscales ? Faut-il craindre que les États étouffent ce genre d’affaires ?

Les choses évoluent : Michel Sapin, mon successeur à Bercy, vient de déclarer qu’il fallait encourager les lanceurs d’alerte. Plus généralement, il faut une évolution de la mentalité dans les administrations fiscales. Leur réflexe est souvent d’être prudentes. D’ailleurs, lorsque j’ai présenté en début d’année un paquet annonçant une série de réformes visant à imposer la transparence en matière de fiscalité des entreprises, dont le CBCR public, j’ai senti de la part de certains ministres des finances une certaine réticence. Après les Panama Papers, j’ai envie de leur dire : laissez tomber la prudence mes amis… Il faut que les entreprises payent leurs impôts là où elles réalisent leurs profits.

Le problème concerne aussi les paradis fiscaux.

Nous avons fait beaucoup de progrès en mettant fin au secret bancaire en Europe continentale. Mais avec les paradis fiscaux non européens, c’est autre chose. En juin dernier, j’ai proposé de mettre en place une liste européenne des juridictions non coopératives, qui a pu être critiquée. La méthode était imparfaite, je le savais, car j’ai procédé en compilant les listes nationales qui sont très hétérogènes. Dans certains pays de l’Union, et cela reflète la psyché des administrations fiscales, on trouve des listes très longues, comme au Portugal qui recense 85 paradis fiscaux, alors que dans d’autres pays, comme en Allemagne, il n’existe aucune liste. Au sein de l’Union, il n’y a que huit pays, neuf bientôt avec la France, qui ont inscrit le Panama dans leur liste. J’avais donc proposé une liste de 30 paradis fiscaux et j’avais averti les pays qui y figuraient. Tous m’ont répondu et certains sont venus ici : chez certains, comme Jersey, Guernesey ou le Liechtenstein, il y avait une claire volonté de se mettre en conformité avec les standards internationaux, car figurer sur une liste, cela crée immédiatement la volonté d’en sortir, car on va immédiatement être placé sous les feux de la rampe, puis être l’objet de toutes sortes d’enquêtes. Je veux donc profiter de ce momentum pour proposer la création d’une vraie liste européenne établie non pas à partir des listes nationales, mais de critères communs et assortis de sanctions communes. Je veux que nous avancions concrètement dans les 6 mois. Il faut en finir avec cette hétérogénéité et parfois ces complaisances ou ces attitudes compréhensives à l’égard des paradis fiscaux.

On a l’impression que les administrations fiscales disposent de moins de moyens d’investigation que les médias. Comment, par exemple, la France a-t-elle pu laisser de grandes entreprises françaises créer des offshores sous son nez ?

Les administrations fiscales ont les moyens d’enquêter et la législation européenne leur fournit les moyens de le faire notamment dans le domaine bancaire. Il faut qu’elles y mettent encore davantage d’énergie. Maintenant, aller enquêter au Panama, c’est plus compliqué…

François Hollande avait promis qu’il interdirait aux banques françaises d’avoir des filiales dans les paradis fiscaux...

C’est un engagement qui a été tenu à travers la transparence que j’ai imposée dans la loi bancaire de 2013. A ma connaissance, il y a une seule banque française qui est impliquée dans les Panama papers et son président a pris des engagements en la matière. Ce n’est donc pas du côté des pouvoirs publics que des manquements seront trouvés.

L’existence de ces paradis fiscaux n’est-elle pas la résultante d’une absence de volonté politique des États de lutter contre eux ? Les États-Unis n’ont-ils pas réussi à avoir la peau du secret bancaire suisse le jour où ils ont réalisé les dommages qu’il leur causait ?

Les progrès dans la lutte contre l’érosion de la base fiscale ont été faits au niveau international et il faut clairement aller plus loin. Je crois beaucoup au travail effectué dans ce cadre multilatéral, à l’OCDE, au G20, en Europe : les problèmes sont mondiaux ou européens, la réponse doit l’être aussi. Je veux au passage saluer les progrès faits par la Suisse qui, en signant avec l’Union européenne un accord d’échange automatique d’information, met fin au secret bancaire.

Si les fraudes sont avérées, les sanctions doivent-elles être exemplaires ?

Il faut des sanctions, mais il faut aussi que nous réformions nos législations, en comblant les trous qui existent, pour empêcher ce genre de pratique. Un bon impôt est un impôt simple, juste et non excessif .Tout le monde doit balayer devant sa porte. Il faut de la transparence et de l’exemplarité. Les Panama papers nous offrent une opportunité extraordinaire de prendre le leadership dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. C’est pour cela que je tiens beaucoup aux deux propositions que je vais porter, sur la publicité du CBCR et la liste commune des paradis fiscaux.

N.B.: Version longue de l’entretien paru dans Libération du 9 avril

Catégories: Union européenne

Les conséquences délétères du «non» néerlandais

lun, 11/04/2016 - 11:17

L’avenir de l’Europe?

REUTERS/Yves Herman

L’Union européenne ou la crise sans fin... Les Néerlandais, en rejetant, mercredi 6 avril, par référendum, l’accord d’association entre l’Union et l’Ukraine, ont accru le gite d’un bateau européen secoué par les crises à répétitions, et ce, juste avant une autre consultation autrement plus périlleuse qui décidera, le 23 juin, du maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union. Certes, les Néerlandais ne se sont pas prononcés sur leur appartenance à l’Union, ce sujet ne pouvant pas être soumis à référendum, mais le scrutin était un test de la popularité de la construction communautaire dans ce pays qui fait parti des six premiers signataires du Traité de Rome de 1957. Le verdict est, a priori, sans appel, puisque 61,1 % des Néerlandais ont voté « non » (un vote négatif concentré dans les campagnes et les petites villes). Mais, en réalité, on est loin d’un raz-de-marée : ce premier référendum d’initiative populaire n’a mobilisé que 32,2 % du corps électoral, ce qui signifie que seuls 2,45 millions de Néerlandais sur 12,5 millions ont rejeté l’accord d’association. Néanmoins, il sera difficile au gouvernement libéral-social démocrate du Premier ministre Mark Rutte de ne pas tenir compte du résultat, même s’il est juridiquement consultatif. Un scrutin qui pose aussi de redoutables défis à l’Union. Passage en revue des conséquences.

· L’Ukraine fragilisée

Le référendum néerlandais n’a pas d’impact immédiat. De fait, l’Union a décidé d’appliquer provisoirement l’accord d’association avec l’Ukraine dès le 1er janvier 2015 afin de soutenir économiquement un pays étranglé par la guerre larvée que lui mène la Russie. « La période provisoire, qui porte sur l’essentiel, c’est-à-dire l’aspect commercial, n’a pas de durée limitée, ce qui nous donne le temps de trouver une solution », explique un diplomate européen. « Il faut aussi éviter que ce référendum soit instrumentalisé par Vladimir Poutine qui ne peut que se réjouir du coup que viennent de porter les Néerlandais au régime ukrainien », poursuit-il. C’est loupé, le Kremlin s’étant immédiatement réjoui de la « défiance » ainsi manifestée par les Néerlandais, tout comme les partis d’extrême droite qu’il soutient en Europe (le Front national en tête). De fait, les événements de la place Maidan ont eu pour origine le refus du gouvernement ukrainien de l’époque de signer, en novembre 2013, cet accord d’association, ce qui a abouti à la chute, en février 2014, du président pro-russe Viktor Ianoukovitch. C’est donc un retournement de l’histoire qui doit particulièrement plaire à Moscou, puisque la Russie considère que cet accord, pour lequel elle n’a pas été consultée, avec un pays qu’elle estime faire partie de sa sphère d’influence est un véritable acte d’agression… De là à ce que Moscou se sente conforter dans ses revendications sur l’Ukraine après ce désaveu infligé aux États européens par le peuple néerlandais, il n’y a qu’un pas qui donne des sueurs froides aux chancelleries occidentales…

· La politique extérieure de l’Union paralysée.

Le non néerlandais est un coup dur pour la politique étrangère des Vingt-huit. En effet, les principaux instruments de l’influence de la première puissance économique du monde sont les accords commerciaux, les accords d’associations et bien sûr les traités d’élargissement. C’est par ces moyens que Bruxelles parvient à exporter ses valeurs et ses normes, comme l’a montré sa gestion réussie de la transition démocratique des anciennes Républiques populaires d’Europe centrale et orientale, aujourd’hui membres à part entière de l’Union. « Ce sont aussi ces accords qui nous permettent de maintenir la stabilité dans les Balkans », souligne un diplomate bruxellois. Négociés par la Commission sur mandat des États membres, ces traités doivent être approuvés par l’ensemble des États membres et ratifiés par le Parlement européen et les Parlements nationaux. Or, l’irruption du référendum d’initiative populaire dans le champ diplomatique complique singulièrement la donne, fragilisant un processus déjà complexe. En théorie, lorsqu’un accord est purement commercial, ce qui est une compétence exclusive de l’Union, l’approbation des parlements nationaux n’est pas requise, celle d’une majorité qualifiée d’États membres et du Parlement européen suffisant. Mais la plupart des traités comprennent des aspects politiques et surtout traitent de sujets qui relèvent de l’unanimité (exception culturelle, visas, etc.), les ratifications nationales sont nécessaires. « L’idée était d’inclure le commerce dans une démarche politique afin d’en faire un instrument diplomatique. Ne plus faire que du commercial pour éviter un référendum serait une sacrée régression », met en garde un diplomate européen.

· L’élargissement rejeté

On a conscience, à Bruxelles, qu’il y a une « fatigue de l’élargissement ». Les tenants du « non » aux Pays-Bas ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils ont expliqué que l’accord d’association avec l’Ukraine était un premier pas vers l’adhésion. Difficile de leur donner totalement tort, puisque c’est ainsi que le présente Kiev, mais aussi les pays d’Europe de l’Est désireux d’arracher l’Ukraine à l’influence de Moscou et la Russie elle-même inquiète de cet expansionnisme de l’UE (et de l’OTAN). La France est l’un des rares pays à refuser cette perspective d’élargissement infini, mais elle est très minoritaire dans le politiquement correct ambiant hérité de la chute du mur en 1989 : « il y a une hypocrisie à affirmer la perspective européenne des Balkans, de l’Ukraine ou de la Turquie », tranche un diplomate français. De fait, depuis les référendums français et néerlandais (déjà) de 2005 sur le traité constitutionnel européen, les gouvernements européens et la Commission savent que la majorité des opinions publiques d’Europe de l’Ouest est vent debout contre tout nouvel élargissement, l’adhésion de dix pays entre 2004 et 2007 n’ayant jamais été digérée. Même la perspective d’une levée des visas pour ces pays ne passe plus. Mais avouer officiellement que la porte de l’Union est fermée pour longtemps risque de déstabiliser durablement ses marches. Bref, entre perdre son opinion publique et prendre le risque de l’instabilité à ses frontières, l’Union louvoie. Les Néerlandais ont tranché pour tout le monde.

· Le projet européen contesté

« Il est horriblement difficile de gagner un référendum sur la question européenne », euphémise-t-on à Bruxelles. Depuis le traité de Maastricht de février 1992, on ne compte plus les référendums négatifs : Danemark, Suède, Irlande, France, Pays-Bas, Grèce et, sans doute, Royaume-Uni. En décembre dernier, les Danois ont ainsi refusé de lever, par 53 % des voix, la dérogation que leur pays avait obtenue en 1992 dans le domaine de la justice et de la police. L’addition des mécontentements, tant vis-à-vis de l’Europe que du gouvernement en place, constitue presque toujours une majorité qu’il est difficile de renverser, « la conjuration des forces rationnelles ne faisant que renforcer les tenant du non », comme le note un diplomate bruxellois : « Il a aussi une incapacité à démontrer la valeur ajoutée de l’Union en période de crise ».

· L’incompatibilité du référendum avec le système politique de l’Union européenne

La Suisse, qui pratique de façon assidue la démocratie directe, a compris depuis longtemps que le référendum d’initiative populaire était incompatible avec le système institutionnel de l’Union. Non pas en lui-même, mais parce que le référendum est pratiqué au niveau national, ce qui revient à donner un pouvoir de blocage à une infime minorité d’Européens. Un référendum paneuropéen sur les questions qui relèvent des compétences de l’Union, comme c’était le cas de l’accord d’association avec la Turquie, permettrait de lever l’objection. Mais il n’existe actuellement aucun consensus entre les États pour instaurer une telle procédure : pour eux, la démocratie s’exerce pour l’essentiel dans un cadre national. Le référendum peut donc remettre en cause un consensus difficilement obtenu entre les États et entre les États et le Parlement européen y compris pour des textes adoptés à la majorité qualifiée des États. Qui osera appliquer demain une directive ou un règlement légalement adopté par l’Union, mais rejeté par un référendum ? « Il peut vite devenir un instrument de chantage pour certains États, comme on le voit en Grande-Bretagne, en Hongrie, en Pologne, ou pour les Europhobes, ce qui paralysera durablement l’Union », met en garde un haut fonctionnaire. Et il est difficile aux pro-européens de dénoncer ces référendums nationaux sauf à être accusés de vouloir tenir à l’écart les peuples, ce qui renforcera mécaniquement le camp europhobe. Le piège est parfait.

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 8 avril

Catégories: Union européenne

Les Pays-Bas au bord du «Nederxit»?

mer, 06/04/2016 - 22:19

REUTERS/Michael Kooren

Mon article sur le référendum néerlandais est ici. Bonne lecture !

Catégories: Union européenne

Terrorisme: la frénésie sécuritaire française à côté de la plaque

dim, 03/04/2016 - 12:58

Les quelques dizaines de fanatiques radicalisés qui ont commis des attentats sanglants en France et en Belgique sont désormais quasiment tous identifiés ce qui permet d’en dresser le « portrait robot » : pour la quasi-totalité d’entre eux, il s’agit de ressortissants d’un État membre de l’Union européenne (ou titulaire d’une carte de résident), souvent issus des mêmes quartiers voire des mêmes familles, identifiés par les services de police comme islamistes radicalisés et, souvent, comme petits ou grands délinquants de droit commun. Les hommes qui ont frappé Paris soit résidaient sur place soit ont emprunté la route, ceux qui ont frappé Bruxelles ont juste eu à prendre un taxi ou le métro. Rien d’étonnant en fait : depuis 1995 (de Khaled Kelkal aux attentats de Paris en janvier 2015 en passant par le gang de Roubaix, les assassins de Massoud, les attentats de Madrid et de Londres en 2004 et 2005, l’équipée sanglante de Toulouse en 2012 ou encore le musée juif de Bruxelles en 2014), tous les terroristes agissant au nom de l’Islam, répondent au même «portrait robot».

L’enquête, qui est loin d’être terminée, a déjà mis à jour d’incroyables dysfonctionnements des services de sécurité, et ce, en France et en Belgique : des suspects dont la dangerosité a été gravement sous-estimée, des renseignements non transmis entre services de police (à l’intérieur du pays et entre pays), des combattants européens expulsés de Turquie que les États ont laissés s’évaporer dans la nature, des renseignements transmis par Ankara non exploités faute de moyens humains, des suspects en fuite que l’on contrôle, mais que faute d’ordinateur, on laisse filer, et on en passe. En réalité, c’est parce que la gravité de la menace représentée par les « returnees », c’est-à-dire les combattants rentrant de Syrie ou d’Irak, sans parler des ravages du salafisme subventionné par l’Arabie Saoudite, a été ignorée par les États, en dépit de quelques cris d’alarme, notamment ceux du coordinateur européen chargé de la lutte antiterroriste, Gilles de Kerchove, que les attentats ont pu être commis.

Face à cet échec, autant politique que policier et judiciaire, la réaction des autorités, notamment en France, a été de se lancer dans une frénésie législative sécuritaire sans précédent, comme si la loi allait permettre de remédier à des défaillances humaines. Ainsi, au lendemain du 22 mars, Manuel Valls n’a rien trouvé de mieux que d’exiger que le Parlement européen adopte séance tenante le fichier PNR qui doit recueillir les des données de tous les passagers aériens sans distinction afin d’identifier ceux qui ont un comportement suspect, alors même qu’aucun de ces radicalisés n’a emprunté l’avion pour commettre son forfait. Le Premier ministre n’en est pas à son coup d’essai en matière de réponse inadaptée : la loi sur le renseignement intérieur de juillet 2015, votée après Charlie Hebdo et l’Hyper Cascher, a placé sous surveillance tout le trafic internet au nom de la lutte antiterroriste. Mais, outre qu’il n’y a personne en bout de chaîne pour exploiter les renseignements obtenus, le terrorisme actuel n’est nullement high-tech, mais, au contraire, low-tech : pas d’utilisation du net, on se parle en direct, on achète des téléphones jetables, on loue des voitures ou des taxis, on fabrique des bombes avec du matériel acheté dans des magasins de bricolage, on se procure des armes sur le marché de la grande criminalité...

Et que dire de l’état d’urgence qui ne s’est traduit par l’arrestation d’aucun terroriste, pas plus que le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen. C’est le travail des policiers, placés sous la surveillance de juges indépendants, qui, en appliquant la loi actuelle, a permis de remonter les filières. Mais cela n’empêche pas le gouvernement de persévérer : la future loi sur la procédure pénale va faire entrer dans le droit interne les dispositions les plus liberticides de l’état d’urgence alors même qu’il a échoué. Or, une assignation à résidence préfectorale est juste une plaisanterie en matière de lutte antiterroriste, tout comme la possibilité de retenir pendant quatre heures n’importe quelle personne même si elle a justifié de son identité.

En réalité, ce sont de moyens humains et matériels dont la police et la justice ont besoin, pas de nouvelles lois confiantes des pouvoirs exorbitants et sans contrôle à l’exécutif. La gauche française prend un risque historique en empruntant cette fausse route sécuritaire : avec ces lois d’exception, « la France peut basculer dans la dictature en une semaine »,a mis en garde Frédéric Sicard, le bâtonnier de Paris, à l’unisson de nombreux juges. Le prix à payer pour combattre et contrôler quelques centaines de « returnees » connues de la police doit-il être l’abandon de libertés publiques si durement acquises ?

N.B.: version longue de mon édito paru dans Libération du 31 mars

Catégories: Union européenne

La révolte très sélective de la jeunesse

sam, 02/04/2016 - 09:50

March 31, 2016. REUTERS/Stephane Mahe

La révolte, la soif d’égalité, la lutte contre l’injustice, voilà des traits que l’on associe à la jeunesse, surtout à la jeunesse lycéenne et étudiante, parce qu’elle a le temps de l’étude, de la réflexion et n’est pas encore contaminée par les petits renoncements de la vie quotidienne dont l’accumulation finit par se traduire en résignation. Rien d’étonnant donc à ce que les lycées et les universités se mobilisent, comme on l’a vu dans la rue le 9 mars, au lendemain du vote quasi unanime par l’Assemblée nationale (474 voix contre 32) de l’une des lois les plus liberticides adoptées par la France depuis la guerre d’Algérie, celle introduisant dans le droit commun la plupart des dispositions de l’état d’urgence, cet état d’exception digne d’une dictature. Une mobilisation qui ne faiblit pas malgré les attentats qui ont ensanglanté la Belgique. Pardon ? Cette mobilisation n’a rien à voir avec les atteintes à l’État de droit, mais est motivée par le projet de loi sur le travail, un texte dont le contenu est bien loin d’être l’horreur que l’on décrit, comme le montre la position des syndicats réformistes ?

Il faut tristement se rendre à l’évidence : la jeunesse de 2016 a la révolte sélective, très sélective. Elle ne s’est pas soulevée contre la loi sur la procédure pénale qui donne pourtant les pleins pouvoirs à l’exécutif, pas plus qu’elle n’a cillé quand l’État d’urgence a été instauré, ou que la loi sur le renseignement intérieur de juin 2015, qui a donné naissance à un Big Brother camembert, a été adoptée. Pis, l’abandon du droit d’asile par les Etats européens, lors de leur sommet du 18 mars, n’a pas suscité plus d’émotion. On cherchera en vain les pétitions massives, les déclarations enflammées, les manifestations, les grèves contre nos libertés attaquées, l’État policier que l’on met en place (enfin si, lorsque les étudiants découvrent que la police peut-être capable de violences diproportionnéescompris contre eux), les réfugiés qu’on laisse se noyer à nos frontières… Même les scores inquiétants du FN lors des Européennes de 2014 et des régionales de 2015 n’ont pas réveillé cette pétulante jeunesse prête à se battre contre le plafonnement des indemnités de licenciement après quinze ans d’ancienneté ou les accords d’entreprises. Il est vrai que le FN réalise désormais des scores plantureux parmi les 18-24 ans (35 %) : 2002, c’était presque un autre siècle.

Que l’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas : bien sûr, il y a des protestations, ici ou là, des mobilisations, ici ou là, la «jeunesse» n’étant pas un bloc, mais rien de comparable aux mouvements citoyens en faveur des réfugiés en Allemagne ou aux passions que soulèvent la loi sur le travail. Les libertés publiques, cela intéresse surtout les politiques, les médias, les intellectuels, quasiment pas la société civile qui semble parfaitement s’accommoder d’une démocratie et d’une Europe qui s’effilochent. Ce qui interroge, ce n’est pas le mouvement contre la loi sur le travail (même si certains devraient se poser des questions sur cette société qui vit très bien avec un chômage de masse touchant surtout les exclus d’un système scolaire à bout de souffle) : mieux vaut une jeunesse excessive, qu’amorphe, résignée, soumise ! Non, ce qui crée un malaise, c’est son caractère exclusif.

Tout se passe comme si la seule chose qui préoccupait les citoyens était la préservation de ce qui existe par peur du changement vécu comme une agression. Ce n’est pas un hasard si on ne trouve une aussi forte mobilisation, ces dernières années, qu’en 2006, contre le «contrat première embauche» (CPE), en 2010, la réforme des retraites, ou, dans le domaine sociétal, en 2013, contre le «mariage pour tous». Le mouvement actuel, qu’il soit ou non jugé pertinent, doit être lu en creux : il est révélateur de ce qui indiffère et des peurs qui fouaillent un pays terrifié par le présent et le futur. Notre société vieillissante se ferme sur elle-même : le moi l’emporte sur le nous, l’insider sur l’outsider, la sphère personnelle sur les principes fondant nos démocraties, le national sur l’étranger porteur d’incertitude.

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La Belgique résiste à l'état d'urgence

sam, 26/03/2016 - 19:17

Au soir des attentats les plus meurtriers qu’ait connu la Belgique, le 22 mars, nulle déclaration martiale déclarant la guerre à Daesh, nul coup de menton pour proclamer l’état d’urgence ou la « fermeture des frontières », comme l’a fait François Hollande le 13 novembre dernier, alors que Paris était encore ravagée par les tirs des terroristes. Le petit Royaume de 11 millions d’habitants a, au contraire, choisi la retenue, le refus de la stigmatisation : « Dans ce moment noir pour notre pays, je veux appeler chacun à faire preuve de calme, mais aussi de solidarité. Nous devons faire face à cette épreuve en étant unis, solidaires, rassemblés », a déclaré Charles Michel, le Premier ministre belge (libéral francophone), évoquant, avec émotion, « des vies fauchées par la barbarie la plus extrême ». « Face à la menace, nous continuerons à répondre ensemble avec fermeté, avec calme et dignité », a pour sa part déclaré le chef de l’Etat, le roi Philippe, dans une brève adresse au pays : « gardons confiance en nous-même. Cette confiance est notre force ».

Même les nationalistes flamands de la N-VA, actuellement au pouvoir avec les démocrates-chrétiens néerlandophones et les libéraux francophones, pourtant habitués aux sorties sécuritaires à l’emporte-pièce et aux propos peu amènes à l’égard de la communauté musulmane, ont évité tout dérapage. « En Belgique, nous n’avons pas la même culture politique qu’en France, un pays où l’on aime les déclarations définitives et fracassantes », analyse la députée socialiste francophone Ozlem Özem : « on est plus calme, on réagit plus à froid et c’est tant mieux ». L’hymne national belge, la Brabançonne, qui ne parle pas de « sang impur », ne se termine-t-il pas par ces mots : « le Roi, la loi, la liberté » ?

« Nous n’avons pas eu de dérive sécuritaire à la française », se réjouit Manuel Lambert, conseiller juridique de la Ligue des droits de l’homme : « Charles Michel, depuis le début de la vague d’attentats, a répété que la Belgique agirait dans le cadre de l’Etat de droit et qu’il n’était pas question d’adopter un Etat d’urgence à la française ». De fait, il n’existe aucune loi équivalente dans le droit belge, pas plus d’ailleurs que dans les autres législations européennes, l’Etat d’urgence étant un héritage de la guerre d’Algérie. « Alors que la France a notifié au Conseil de l’Europe, en novembre dernier, la suspension de plusieurs articles garantissant le respect des droits de l’homme, comme on peut le faire en cas de danger public menaçant la vie de la nation, la Belgique ne l’a pas fait et n’a pas l’intention de le faire ».

Interrogé mercredi matin sur la RTBF, Jan Jambon, le ministre de l’Intérieur, membre de la N-VA, a balayé d’un revers de main l’instauration de « pouvoirs spéciaux » qui permettraient à l’exécutif de statuer sans passer par le Parlement (sur le modèle des ordonnances à la française) : « ce n’est pas dans la culture de notre démocratie. Je ne sais pas ce que ça rapporte. On a pris beaucoup de mesures (…) Je pense qu’on doit rester cool, vraiment maîtriser la situation et voir si on doit ajouter des mesures ». Bart De Wever, le leader du parti nationaliste, est sur la même longueur d’ondes, comme il l’a déclaré dans le journal L’Écho de samedi : « Ce serait une erreur que d’annoncer de nouvelles mesures après chaque attentat ».Bref, rien à voir avec la frénésie législative française depuis les attentats de Charlie Hebdo.

Pour autant, « tout n’est pas rose en matière d’équilibre entre sécurité et liberté », tempère Manuel Lambert : « l’appareil répressif se développe depuis quelques années et on cherche, comme en France, à dépouiller le juge judiciaire, un juge indépendant, de ses prérogatives au profit du parquet qui est soumis à l’autorité politique du ministre de la justice ». Dans le cadre de la réforme des codes belges, poétiquement appelée « pot pourri » (PP), des mesures d’exception ont été adoptées sans guère de débats. Ainsi, depuis le 1er mars, les perquisitions peuvent avoir lieu 24h sur 24 et sont désormais ordonnées par le parquet et non par un juge du siège, les écoutes téléphoniques obtenues illégalement seront toujours valides ou encore le jugement des terroristes relèvera des tribunaux correctionnels qui pourront prononcer des peines allant jusqu’à 40 ans de prison et non plus des cours d’assises… « Ce n’est pas une loi antiterroriste, mais la lutte contre le terrorisme imprègne la réforme du Code pénal », constate Manuel Lambert. Une loi antiterroriste a cependant été adoptée le 20 juillet 2015 afin de rendre punissable le fait de sortir ou d’entrer dans le pays avec une « intention terroriste », de faciliter la déchéance de nationalité si elle ne crée pas d’apatridie ou encore de permettre la confiscation des papiers des personnes soupçonnées de vouloir partir combattre à l’étranger.

D’autres mesures coincent devant le Parlement : « la détention préventive doit être confirmée par la chambre du Conseil (un juge) tous les mois, ce qui oblige le juge d’instruction à faire avancer son dossier. Le gouvernement voudrait faire passer ce délai à deux mois, ce qui n’est pour l’instant pas passé », explique Ozlem Özem, membre de la commission justice de la chambre des députés. De même, la prolongation de la garde à vue en matière terroriste de 24 h à 72 h, qui nécessite une modification de la Constitution, est toujours dans les tuyaux législatifs, tout comme le port d’un bracelet électronique par les personnes fichées par les services de renseignements…

« Je préfèrerais, à tout prendre, qu’on ait un état d’urgence à la française, plutôt que de toucher au corps même de notre droit pénal, car cela menace l’Etat de droit et donc la situation de l’ensemble des citoyens », tranche Christophe Marchand, un avocat pénaliste qui défend de nombreux « returnees », c’est-à-dire les combattants rentrant de Syrie et d’Irak. « La situation est effrayante, ces jeunes ont subi un lavage de cerveau et beaucoup d’entre eux ont commis des crimes de guerre : il faut des mesures exceptionnelles, mais qui s’appliquent seulement à eux, car le risque est gigantesque », insiste ce ténor du barreau bruxellois. Le danger, il en convient, est que l’état d’urgence devienne le droit commun, comme en France, où le gouvernement veut introduire dans le Code pénal les principales mesures de cet état d’exception. « Même si les dérives sont pour l’instant limitées, rien n’est écrit pour l’avenir », met en garde Manuel Lambert. D’ailleurs, le gouvernement belge envisage bien de proposer l’instauration d’un niveau d’alerte 5 (4 actuellement) afin de créer une sorte d’état d’urgence « light » pour une période limitée permettant d’interdire les rassemblements, d’instaurer un couvre-feu ou encore d’assigner administrativement à résidence des personnes fichées… La mesure est en discussion entre les partenaires de la majorité gouvernementale.

N.B.: version longue et mise à jour de mon article paru dans Libération du 24 mars.

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Les Vingt-huit expulsent le droit d'asile

sam, 19/03/2016 - 11:27

Derrière les grandes proclamations sur le respect des droits de l’homme, du droit international et du droit européen, la réalité est brutale : les vingt-huit États européens vont bel et bien enterrer le droit d’asile accusé d’attirer des centaines de milliers de réfugiés. Le plan germano-turc, présenté lors du sommet européen du 7 mars, et qui prévoit le renvoi quasi-automatique de tous les migrants, économique ou demandeur d’asile, vers la Turquie, a été adopté aujourd’hui par les chefs d’État et de gouvernement, une nouvelle fois réunis à Bruxelles.

· Comment l’Union va-t-elle supprimer le droit d’asile tout en respectant la légalité internationale et européenne ?

« Nous respecterons le droit européen et la Convention de Genève, ce n’est pas possible de faire autrement », a martelé, hier, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker. « En tant qu’Européen, nous ne pouvons tourner le dos à l’asile, nous avons l’obligation d’aider les réfugiés », a surenchéri, Frans Timmermans, le vice-président de l’exécutif européen. En réalité, la souplesse du droit permet de rendre légal ce qui est moralement indéfendable.

Contrairement à ce que suggérait la chancelière Angela Merkel, qui a brusquement et sans concertation avec ses partenaires européens, changé son fusil d’épaule, il n’est pas question de renvoyer immédiatement les migrants arrivant dans les îles grecques. La Commission, mais aussi le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU, a expliqué que cela serait illégal, tout demandeur d’asile ayant le droit de voir son dossier examiné. Tel sera bien le cas, assure la Commission, en application de la directive européenne du 26 juin 2013 « relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale ».

Si un étranger demande l’asile, il aura la garantie que l’office grec compétent examinera son dossier sur place. Et une procédure d’appel devant un juge, jusqu’à présent inexistante, sera organisée. En attendant la réponse, le candidat réfugié restera confiné dans un camp (ou « hotspot »).Jusque-là, rien à dire : les demandeurs d’asile seront simplement obligés de demander protection à la Grèce, ce qu’ils font peu actuellement, préférant se rendre en Allemagne ou en Suède.

Mais, pour pouvoir renvoyer massivement les demandeurs d’asile, la Commission propose d’organiser l’irrecevabilité de ces demandes en s’appuyant sur l’article 33 de la directive qui prévoit que l’asile sera refusé si l’étranger provient d’un « pays sûr » ou est passé par un « premier pays d’asile ». Un « pays sûr » (articles 36 à 39), c’est un statut accordé par chaque État membre à un pays tiers, comme vient de le faire la Grèce à l’égard de la Turquie : il faut simplement que, dans ce pays, le réfugié ne risque pas d’être persécuté au sens de la Convention de Genève de 1951 et qu’il puisse y obtenir le statut de réfugié. Le « pays de premier asile » (article 35), c’est celui où il peut jouir « d’une protection suffisante ». Certes, chaque demandeur d’asile pourra contester que le pays tiers soit sûr dans son cas (par exemple un kurde syrien), mais il faudra l’établir… Surtout, si l’asile est accordé, il le sera seulement en Grèce.

L’examen étant ainsi individualisé, il n’y aura pas « d’expulsion collective », une pratique bannie par le droit international et la charte européenne des droits de l’homme à la suite des barbaries nazies et soviétiques, mais des expulsions individuelles groupées… Le secrétaire général du Conseil de l’Europe, le Norvégien Thorbjorn Jagland, s’est dit satisfait de ce tour de passe-passe juridique qui revient, en réalité, à refuser l’asile en Europe à toute personne ayant traversé un « pays sûr » ou un « pays de premier asile ».

En décidant d’appliquer massivement ces articles, l’Union régionalise le droit d’asile : il est rare qu’un réfugié n’ait pas, au cours de son périple, traversé des pays où il ne risque rien, la persécution étant souvent limitée à son pays d’origine. Avec ce principe, aucun Cambodgien ou Vietnamien n’auraient obtenu l’asile en France dans les années 80, puisqu’ils ont d’abord séjourné en Thaïlande, un pays sûr. Désormais, il reviendra aux pays se trouvant autour des zones de conflit ou de dictatures de gérer le problème des réfugiés. En réalité, on se demande à quoi sert encore le protocole de 1967 étendant la protection de la convention de Genève de 1951, jusque là limitée à l’Europe, à l’ensemble de la planète.

- Quels sont les problèmes pratiques que cette solution soulève ?

Le problème est que la Turquie n’a pas ratifié le protocole de 1967 : le statut de réfugié est réservé dans ce pays aux seuls Européens… Il va donc falloir qu’elle le ratifie ou que l’Union modifie la directive de 2013 pour se contenter d’un statut « équivalent », ce qui est la voie la plus simple. Côté grec, il va falloir installer dans les cinq hotspots chargés de recenser les arrivants, des « officiers de protection » chargés d’examiner les demandes d’asile et surtout prévoir des juridictions ad hoc pour statuer sur les recours, ce qui s’annonce pour le moins difficile quand on connaît le temps que prennent les réformes en Grèce… Il faudra que ces juges spécialisés travaillent non stop afin de statuer au plus vite, sauf à prendre le risque de voir les réfugiés coincés pendant de longs mois dans les îles avec tous les problèmes (santé, éducation, etc.) que cela posera. Enfin, la question éminemment pratique des retours de dizaines de milliers de personnes n’est absolument pas abordée : il faudra sans doute mobiliser l’armée pour assurer le calme et affréter des norias de bateaux chargés de ramener les réfugiés et les immigrés sur les côtes turques. Les images risquent d’être particulièrement choquantes.

- Est-ce que l’abandon du droit d’asile va interrompre le flux de migrants ?

Les réfugiés ne représentent qu’environ la moitié, voire moins, du flux actuel. Autrement dit, les migrants économiques tenteront toujours d’entrer par d’autres voies. Pour les réfugiés, l’Union promet d’appliquer le principe du « un pour un » : pour chaque demandeur d’asile renvoyé, elle s’engage à reprendre un réfugié statutaire installé en Turquie. Mais à y regarder de plus près, il n’est pas question d’accueillir des centaines de milliers de personnes. Les Vingt-huit s’engagent seulement à accueillir, sur une base « volontaire », des réfugiés dans la limite du plafond des 160.000 personnes qui doivent être relocalisées comme ils l’ont décidé en juillet dernier. Sur ce contingent, il reste 18.000 places et les Vingt-huit sont prêts à ajouter 54.000 places. Soit 72.000 réfugiés… On est loin du « un pour un » qui ressemble fort à un attrape-gogo destiné à calmer les ONG de défense du droit d’asile. C’est donc bien d’un abandon du droit d’asile qu’il s’agit.

N.B.: Article paru dans Libération du 18 mars.

La conclusion de sommet fait l’objet de cet article, par ici.

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