Vous êtes ici

Coulisses de Bruxelles

S'abonner à flux Coulisses de Bruxelles
Les dernières actualités du site bruxelles.blogs.liberation.fr
Mis à jour : il y a 1 mois 6 jours

Yanis Varoufakis a bien failli en venir aux mains avec Jeroen Dijsselbloem (droit de suite)

ven, 28/08/2015 - 09:34

Yanis Varoufakis et Jeroen Dijsselbloem. Photo Francois Lenoir Reuters

Le 18 février dernier, j’ai raconté dans Libération et sur ce blog comment Yanis Varoufakis et Jeroen Dijsselbloem avaient failli en venir aux mains lors d’une réunion qui a eu lieu à Bruxelles le lundi 16 février, juste avant le début d’un Eurogroupe, à laquelle assistait Pierre Moscovici. Le ministre des finances grec avait démenti fermement ce récit. Pour sa part, le ministre néerlandais des finances et président de l’Eurogroupe a, dans le Financial Times, affirmé qu’il n’y avait pas eu d’altercation physique avec son homologue grec. Ce que je n’ai jamais écrit, pour le coup. J’ai bien entendu maintenu l’ensemble de mes informations n’ayant pas l’habitude de publier des faits non vérifiés, même si mes sources avaient demandé à rester anonymes. Les thuriféraires de Syriza m’avaient bien évidemment accusé de mentir pour nuire au gouvernement grec…

Je finis actuellement de tourner un documentaire pour ARTE, intitulé « Grèce, le jour d’après » qui sera diffusé le 20 octobre prochain. Dans ce cadre, j’ai interviewé, fin juillet, le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires, Pierre Moscovici. À la fin de l’entretien, je lui ai demandé, face caméra, de me raconter une anecdote qui l’avait particulièrement marqué au cours des six mois de négociation écoulés. Voici sa réponse : « Ça se passe lors d’une réunion (le 16 février) entre Dijsselbloem, moi-même et le ministre grec, en l’occurrence Varoufakis. Varoufakis a tenté de m’opposer à Dijsselbloem en laissant filtrer un document qu’il a appelé le plan Moscovici, mais qui n’était pas le plan Moscovici, qui était un document qui sortait du 13e étage de la Commission (là où se trouve le bureau du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, NDA), qui était une contribution, qui était bien sûr passé par la moulinette de l’Eurogroupe. Mais il y avait 2 papiers : un papier de la Commission daté de la veille et un papier préparé par les services de l’Eurogroupe qui était différent. On est entré dans cette réunion et il y a eu un moment de tension physique entre Dijsselbloem et Varoufakis, ils ont failli se battre. Ils se sont accusés d’être des menteurs. J’ai dû m’interposer. Je les ai pris un moment donné, ils ne se seraient pas battus vraiment, comme ça, physiquement, en les écartant, pour essayer en même temps de les rapprocher. J’ai réussi à les écarter, mais je n’ai pas réussi à les rapprocher. D’ailleurs à partir de ce moment-là ils ne se sont plus jamais parlé en vérité ».

Une belle confirmation qui se passe de tout commentaire, non ?

Catégories: Union européenne

Alexis Tsipras, bon politique grec, mauvais négociateur européen

mar, 25/08/2015 - 11:30

Alexis Tsipras, le premier ministre grec, a décidé, jeudi dernier, de démissionner pour provoquer des élections législatives anticipées qui auront lieu le 20 septembre prochain. Voici son bilan européen.

« Monsieur le Premier ministre, vous ne pouvez pas faire ça, vous ne pouvez pas ! », s’exclame Nikos Pappas, le plus proche conseiller d’Alexis Tsipras. Il parle à dessein en anglais afin que tout le monde comprenne. Le chef du gouvernement grec vient d’accepter d’aligner la TVA appliquée dans les îles grecques sur celle du continent comme le lui demandaient ses interlocuteurs : Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, Pierre Moscovici, le commissaire chargé des affaires économiques et financières, Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, et Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe. « Il s’en fichait, manifestement », raconte l’un des témoins de la scène qui s’est déroulée, à Bruxelles, au printemps dernier, lors d’une énième séance de négociation. « La seule chose qui l’intéressait, c’était d’obtenir une négociation au niveau politique, avec les chefs d’Etat et de gouvernement, pas de négocier le détail du programme d’assistance financière. Il a donc accepté la TVA sur les îles d’un geste agacé », poursuit notre source. La brutale interruption de Pappas sidère tout le monde : on n’a jamais entendu, dans un gouvernement « normal », un simple conseiller s’adresser ainsi à un Premier ministre. Tsipras et Pappas sortent et se rendent auprès de la délégation grecque. De retour, Tsipras, sans gêne particulière, explique que, tout bien considéré, il ne peut pas accepter d’augmenter la TVA sur les îles. Juncker et ses partenaires en restent bouche bée.

Ce mode de fonctionnement chaotique est la marque de fabrique du gouvernement Syriza I. Car, en réalité, Alexis Tsipras n’était pas Premier ministre, mais simple « primus inter pares » au sein d’un appareil politique complexe : « comme j’ai été trotskiste dans ma jeunesse », s’amuse Pierre Moscovici, « j’ai tout de suite compris comment ce gouvernement fonctionnait, quelle était sa tactique, sa stratégie ». « Syriza n’est pas un parti soudé, c’est une addition de mouvements, de tendances, de fractions, de courants », raconte un responsable européen qui a participé aux négociations : « ce constat n’est pas seulement idéologique, il est physique. Alexis Tsipras se déplaçait toujours avec beaucoup de monde pour que chaque fraction de son parti soit du voyage : il fallait mettre à la disposition de la délégation grecque plusieurs salles afin que les différentes tendances puissent siéger séparément. Pendant les négociations, Tsipras s’absentait régulièrement pour vérifier qu’il bénéficiait toujours du soutien de ces différentes fractions. Lorsqu’il constatait que ça n’était pas le cas, il revenait en salle, et même s’il s’exprimait tout en nuance, tout le monde remarquait qu’il était obligé de changer de position ».

Bref, les Européens ont négocié pendant six mois non pas avec un gouvernement classique, mais avec un comité central… Le problème est que cela a généré une méfiance croissante, la parole d’un membre du gouvernement grec n’engageant que lui, d’où le sentiment d’être en permanence trahi alors qu’en réalité Tsipras faisait de la politique européenne comme on gère un parti de gauche radicale et ses nombreuses chapelles. Les partenaires d’Athènes ont mis plusieurs semaines, après les législatives du 25 janvier, à comprendre à qui ils avaient affaire : une confédération de petits partis allant du trotskisme aux socio-démocrates bon teints en passant par des communistes staliniens, des chavistes ou des maoïstes, passé en moins de quatre ans de 4 % des voix à 36 %, sans aucune expérience ni gouvernementale ni administrative, sans connaissance des contraintes européennes, ni même de la situation économique et financière de la Grèce.

Comme on le note à Bruxelles, « Tsipras était persuadé qu’il suffirait de se mettre d’accord avec l’Allemagne et la France pour que tous les autres suivent. C’était une grave erreur d’analyse, les pays plus pauvres que la Grèce ou ceux qui venaient de sortir du programme d’assistance financière comme l’Irlande, le Portugal et l’Espagne, étant infiniment plus durs que Berlin ». Autrement dit, il aurait fallu négocier avec tout le monde. Surtout, ses partenaires n’ont jamais compris quelle était sa stratégie : certains estiment qu’il n’en avait aucune, piégé qu’il était par des promesses de campagne intenables et la gauche de son parti qui ne voulait rien lâcher, alors que d’autres au contraire pensent qu’il savait ce qu’il faisait. C’est le cas de Pierre Moscovici : « l’objectif de Tsipras, c’était d’aller jusqu’au conseil européen. Yanis Varoufakis, son ministre des finances, était là pour ne pas négocier, jouer la montre, attendre la fin du mois de juin en espérant que la perspective du Grexit nous fasse suffisamment peur pour qu’on leur fasse des concessions, notamment sur la dette, contre quelques réformes emblématiques ». Autrement dit, obtenir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.

Mais le jeune Premier ministre, dont la personnalité séduisait même les plus farouches ennemis de Syriza, s’est pris les pieds dans le tapis européen avec l’annonce surprise, le 26 juin, d’un référendum, alors que l’accord était tout proche. Il n’a pas voulu voir que ce référendum, présenté comme un moyen de renforcer sa position de négociation, intervenait beaucoup trop tard, après l’échéance fatidique du 30 juin, et serait vu par ses partenaires comme une consultation sur l’euro : « le référendum a porté un coup à la confiance fragile que les Etats membres, le FMI, la BCE, la Commission pouvait porter à ce gouvernement », juge Moscovici. Surtout que le texte soumis aux citoyens grecs n’était pas le dernier état de la négociation, ce qui a été vécu comme une trahison supplémentaire.

« Le résultat du référendum a été une victoire de politique intérieure pour Tsipras : il est devenu le leader incontesté de son parti, de son pays », estime Moscovici : « il avait besoin de se débarrasser de l’aile gauche de son parti et il s’en est donné les moyens politiques ». Tsipras, dans un entretien à Sto Kokkino, une radio proche de Syriza, a d’ailleurs implicitement reconnu que tel était son intention : « à quel point le parti participait de façon active pour créer les conditions d’un soutien à l’effort gouvernemental dans la négociation ? C’est une question que l’on doit se poser ». « Le référendum pouvait avoir trois significations », analyse Ilias Nikolakopoulos, professeur de sciences politiques à l’université d’Athènes et membre de Syriza : « pour ou contre l’euro, pour ou contre les mesures d’austérité, pour ou contre le Premier ministre. Or, c’est ce dernier choix qui a été fait : ce référendum a été en réalité un plébiscite pour Tsipras, ce qu’Antonis Samaras, l’ancien Premier ministre et président de Nouvelle Démocratie, a parfaitement compris en quittant immédiatement la tête de son parti ».

Mais au niveau européen, ce référendum a été un désastre : tels les bourgeois de Calais, Tsipras a dû se rendre à Bruxelles le 12 juillet avec un projet d’accord encore plus dur que celui qu’il avait soumis à référendum. Il savait qu’il y aurait un prix à payer pour avoir « renversé la table », selon l’expression de Moscovici. « Les Européens lui ont dit : tu as eu ton référendum ? Et alors ? Maintenant si tu veux un accord, ce sera à nos conditions », raconte le commissaire français. Or, Tsipras n’avait aucun « plan B » : le 14 juillet, il expliquera avoir demandé une étude sur les conséquences d’un Grexit à ses services, ce qui lui a fait définitivement écarter cette option. Lui qui ne voulait absolument d’un troisième programme a finalement dû y consentir à des conditions encore plus dures que celles qu’il était prêt à consentir. « Le chantage (des Européens) était cynique : soit le compromis dur et douloureux, soit la catastrophe économique, gérable pour l’Europe, pas au niveau politique, mais économiquement parlant, qui pour la Grèce et la gauche grecque aurait été insurmontable », a dénoncé Alexis Tsipras le 29 juillet. Mais il revendique ce nécessaire « compromis », comme un « élément de la tactique révolutionnaire » si chère à Lénine puisqu’il « permet de continuer le combat ». Autant dire que la confiance entre Tsipras et ses partenaires, en dépit de l’accord rapide sur le troisième programme d’aide, n’est pas à l’ordre du jour : se référer à Lénine n’est, de fait, pas le meilleur moyen de rassurer les conservateurs allemands ou les anciennes « démocraties populaires » d’Europe de l’Est… Tsipras a mis la Grèce « au centre du monde », comme il s’en réjouit, mais aussi sous surveillance étroite.

N.B.: Version longue de mon article paru dans Libération du 22 août

Catégories: Union européenne

L'UE seule face à l'afflux de réfugiés

lun, 24/08/2015 - 12:54

Jamais l’Union européenne n’a été confrontée à un tel afflux de réfugiés sur son sol. La hausse, perceptible depuis janvier 2015, s’est brutalement accélérée en juillet : 107.500 entrées illégales contre 70.000 en juin, soit trois fois plus qu’un an plus tôt. Et il s’agit bien de réfugiés fuyant des zones de guerre, les migrants économiques n’étant qu’une partie minoritaire de l’afflux actuel : « Syriens et Afghans se taille la part du lion dans le nombre de migrants entrant illégalement dans l’UE » souligne ainsi Frontex, l’agence européenne de contrôle des frontières extérieures, Irakiens et Érythréens constituant le reste de ces demandeurs d’asile.

Par exemple, selon le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR), les 160.000 personnes entrées en Grèce depuis janvier 2015 (contre 50.242 pour l’ensemble de 2014) proviennent essentiellement de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan. Plus précisément, sur les 20.843 personnes entrées la seconde semaine d’août, 82 % sont Syriens, 14 % Afghans et 3 % Irakiens, dont « la grande majorité (…) devrait recevoir le statut de réfugiés ». « C’est sans aucun doute la plus grande crise de l’asile depuis la Seconde Guerre mondiale », reconnait Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’École d’économie de Paris et à l’université de Yale (États-Unis). À tel point qu’Angela Merkel, la chancelière allemande, a déclaré le 16 août que le sujet allait « nous occuper bien, bien plus que la Grèce ou la stabilité de l’euro ». Son pays, qui assume le traitement de 40 % des demandes d’asile dans l’Union, s’attend à recevoir 800.000 réfugiés cette année, soit quatre fois plus qu’en 2014 !

Collectivement, l’Union a essayé de réagir en mettant en place, en juin, une mission navale en Méditerranée (« EU Navfor Med » dont le QG est à Rome) destinée à lutter contre les passeurs responsables de la mort de plus de 2000 personnes. Mais faute d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU l’autorisant à avoir recours à la force dans les eaux territoriales libyennes, c’est-à-dire au plus prêt des côtes, elle permettra seulement d’identifier et de surveiller les réseaux. La Commission a aussi proposé, en mai, que les Vingt-huit se répartissent le traitement des demandes d’asile émanant de Syriens et d’Erythréens afin de décharger les pays de la « ligne de front » (Italie et Grèce). Mais ce mécanisme de « relocalisation » obligatoire, qui ne concernait pourtant que 40.000 personnes, a été torpillé par les pays d’Europe centrale (les trois Baltes, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, l’Autriche, la Slovénie) ainsi que par l’Espagne qui estime avoir fait sa part du travail en étant parvenu à bloquer le départ des « pateras » qui franchissaient le détroit de Gibraltar. Résultat, seuls les pays volontaires ont accepté d’accueillir des demandeurs d’asile dans la limite de 32.256 personnes… En revanche, l’Union a accepté d’accueillir sur son sol 20.000 Syriens bénéficiant déjà du statut de réfugiés, mais résidant dans des pays tiers (Turquie, Liban , Jordanie, etc.).

Pour le reste, c’est le chacun pour soi, chacun tentant de se débarrasser du mistigri. Ainsi, la Grèce n’hésite pas à transporter à la frontière macédonienne des réfugiés syriens, sachant pertinent que ceux-ci vont traverser le pays puis la Serbie pour se rendre dans l’Union via la Hongrie, ce qui a poussé Budapest à se lancer dans la construction d’un mur… Ainsi, le 19 août, les autorités grecques ont gracieusement envoyé dans l’ex-République yougoslave 2600 Syriens. Les autorités macédoniennes viennent d’ailleurs de crier grâce. Les Italiens font exactement la même chose, laissant les migrants filer chez leurs voisins, en Allemagne surtout. D’où la récente colère de Thomas de Maizière, le ministre de l’Intérieur allemand : « nous ne dédouanerons pas nos partenaires et la Commission de leurs responsabilités » : « la commission doit agir contre les États membres qui n’assument par leurs devoirs ».

Pis : les États européens se sont lancés dans l’érection de murs à leurs frontières, à l’image de ce qu’a fait depuis longtemps l’Espagne autour de ses enclaves marocaines de Ceuta et Melilla. La Bulgarie a décidé, fin 2014, de prolonger de 130 km le mur de 30 km qu’elle a déjà érigé à sa frontière de 275 km avec la Turquie. Même si le ministre de la Défense, Anguel Naydenov, a reconnu qu’il n’était « pas fier de cette clôture«, ce qu’on peut comprendre de la part d’un pays qui a connu le rideau de fer durant quarante ans. La Hongrie n’est pas en reste : ce pays qui a fait tomber le mur du communisme érige à son tour une barrière « anti-immigrés » afin de rendre infranchissable sa frontière de 175 km avec la Serbie : sur les 81.000 migrants entrés illégalement dans le pays depuis janvier, 80.000 sont, de fait, passés par son voisin… La Grèce a elle-aussi, depuis 2012, son mur « anti-immigrés » de 12,5 km afin de protéger la partie la plus vulnérable de sa frontière de 150 km avec la Turquie.

Le vice-chancelier allemand, le social-démocrate Sigmar Gabriel, n’a donc pas tort d’affirmer que « l’Union a échoué lamentablement ». De fait, une gestion collective de ce flux sans précédent semble hors de portée des Européens. Tout simplement parce que « s’enfermer dans une logique purement intra-européenne, c’est donner la priorité aux agendas nationaux », analyse Patrick Weil. En effet, la plupart des pays sont confrontés à un ras-le-bol de leur population (hormis en Allemagne qui se réjouit de l’arrivée de Syriens parfaitement formés) vis-à-vis de l’immigration musulmane. C’est le cas en France, avec un FN menaçant, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Autriche ou encore en Suède. « Il faut sortir du psychodrame européen dans lequel l’ONU nous a enfermé en affirmant que l’Union ne prenait pas ses responsabilités ce qui est faux quand on voit les chiffres », poursuit Patrick Weil, « en convoquant une conférence internationale afin d’impliquer toutes les parties prenantes de cette crise. Ainsi David Cameron aura du mal à faire valoir ses contingences domestiques face à Barak Obama ».

Si la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak fournissent aujourd’hui le gros du contingent de réfugiés, c’est dû à l’action des États-Unis et de ses alliés britanniques, australiens, saoudiens ou des monarchies du Golfe qui a déstabilisé la région. « Cette crise de l’asile n’est pas due à l’Europe, elle est simplement géographiquement proche de l’épicentre de la crise », insiste Patrick Weil. Une conférence internationale s’impose d’autant plus que plusieurs pays du Moyen-Orient sont menacés de déstabilisation : un tiers de la population de la Jordanie ou du Liban est composée de réfugiés et deux millions de Syriens se trouvent en Turquie. C’est en réalité toute la région qui est devenue un baril de poudre et ce n’est pas une énième réforme des lois européennes qui y changera quoi que ce soit.

N.B.: article paru dans Libération du 21 août

Catégories: Union européenne

Hôtel California

mar, 18/08/2015 - 22:44

«You can check out anytime you like, but you can never leave» («Tu peux quitter l’hôtel quand tu veux, mais tu ne pourras jamais partir»). Pour ceux qui en doutaient encore, la Grèce vient de démontrer que l’euro, c’est comme la chanson Hotel Californiades Eagles : on est libre d’y entrer, mais une fois dedans, plus question d’en sortir. Non pas parce que la Commission européenne, l’Allemagne ou la Finlande enverraient leurs divisions pour éviter une sécession, mais parce que le coût d’une sortie serait si faramineux pour le pays qu’aucun gouvernant sensé n’oserait prendre une telle responsabilité.

S’il y a un parti qui aurait pu tenter l’aventure du retour à la monnaie nationale pour s’affranchir des contraintes européennes, c’est bien Syriza, une nébuleuse regroupant l’ensemble de la gauche radicale grecque, à la fois anti-austéritaire, nationaliste (rappelons qu’il gouverne sans problème avec Anel, un parti de droite extrême anti-austéritaire) et dont une forte minorité (environ 40 %) est europhobe. Yánis Varoufákis, l’ancien ministre grec des Finances, avait d’ailleurs préparé un plan de retour à la drachme. Mais Aléxis Tsípras a tranché : pas question de quitter l’euro. Même si le prix à payer implique de se soumettre aux dures exigences de ces créanciers contre lesquelles Syriza s’est fait élire en promettant la fin de l’austérité.

La clé de cette capitulation en rase campagne a été livrée par le Premier ministre le 14 juillet, au lendemain du Conseil européen au cours duquel Tsípras et ses partenaires de la zone euro sont parvenus à un accord ouvrant la voie au maintien du pays au sein de la monnaie unique et à un troisième plan d’aide financière validé vendredi (on en sera à plus de 320 milliards d’euros, un montant sans équivalent dans l’histoire). Au cours d’un entretien télévisé, le Premier ministre grec a reconnu avoir commandé en mars une étude sur les conséquences d’un «Grexit» qui lui a fait comprendre qu’il n’y avait pas d’alternative crédible à l’euro : le retour à la drachme aurait ajouté la catastrophe à la catastrophe. Le PIB grec aurait sans doute été ramené à son niveau de la fin des années 80…

Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, a donc eu beau jeu de mettre brutalement le marché dans les mains de Tsípras à la veille du 13 juillet : le Grexit accompagné d’une restructuration de la dette publique et d’une «aide humanitaire», ou le respect - même douloureux - de la règle du jeu définie en commun pour rester dans l’euro. Et c’est ça l’autre leçon de la crise grecque : l’appartenance à la monnaie unique impose de respecter son règlement intérieur. En ratifiant le traité de Maastricht, les Etats ont signé un contrat qui les lie et dont ils auraient dû lire tous les paragraphes. Les Etats du Sud, France comprise, croyaient avoir fait main basse sur le mark et ses taux d’intérêt à faire rêver sans réelle contrepartie : au fond, la bonne gestion, ce serait pour un jour lointain…

Les pays du Nord ont profité de la crise grecque pour bien faire comprendre à chacun que tel n’était pas le cas : la monnaie, c’est aussi un ensemble de règles et de valeurs qui doivent être respectées bon gré mal gré. On peut s’en abstraire, mais alors il faut être prêt à en payer le prix. On comprend mieux, dès lors, que la gauche radicale et l’extrême droite françaises, sortent sonnées de l’affaire. La démagogie, Syriza l’a montré, n’est plus de saison.

N.B.: éditorial paru dans Libération du 17 août

Catégories: Union européenne

Daniel Cohn-Bendit: "Le souverainisme est de droite parce qu’il repose sur l’égoïsme national et l'égoïsme n'est pas une valeur de gauche"

jeu, 13/08/2015 - 10:31

Pour Daniel Cohn-Bendit, ancien coprésident du groupe Vert au Parlement européen, le souverainisme est une idée de droite « car il repose sur l’égoïsme national ». Pour lui, la gauche devrait tirer les leçons de la crise grecque et se battre pour organiser la solidarité entre les peuples européens, comme le propose François Hollande.

L’accord avec la Grèce est-il le résultat d’un « diktat » allemand ?

L’Allemagne a une idée très précise de la façon dont doit fonctionner l’euro : le règlement de copropriété de la monnaie unique, arrêté en commun, doit-être être respecté et les transferts financiers entre États exclus, car chacun reste responsable de sa politique économique et budgétaire. Même si l’Allemagne, sous pression de ses partenaires, a finalement accepté que les États en faillite soient aidés, c’est à condition que les pays en difficulté suivent une cure d’austérité pour redresser leurs comptes publics et faire redémarrer l’économie. Une conception partagée par une grande majorité des gouvernements de la zone euro, ceux du nord, mais aussi ceux du sud qui ont renoué avec la croissance en appliquant les recettes du nord de l’Europe. Autrement dit, si l’Allemagne a pu avoir une position très dure au cours des négociations avec la Grèce, c’est parce qu’elle était largement soutenue, seule la France ayant émis quelques réserves. On ne peut donc absolument pas parler de « diktat » allemand.

Pourquoi Alexis Tsipras a-t-il finalement cédé ?

Les Grecs voulaient le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière. À 60 %, ils ont rejeté l’austérité, mais à 80 % ils voulaient rester dans la zone euro. Tsipras a dû trancher. En décidant de rester dans l’euro, il n’avait d’autre choix que de trouver à n’importe quel prix un accord avec ses partenaires. J’ai trouvé terrifiant que beaucoup trouvent géniale l’idée du référendum grec du 5 juillet parce que c’était soi-disant démocratique. Mais si en Allemagne, en Finlande, aux Pays-Bas, on avait fait un référendum pour savoir si on devait redonner de l’argent aux Grecs, le résultat aurait été négatif et de façon écrasante. C’est démocratie contre démocratie et dans cette affaire les Grecs sont minoritaires. Il ne devrait y avoir en Europe que des référendums transeuropéens sur les questions européennes avec une double majorité, celle des États et celle des peuples. Tant qu’on ne sortira pas de ce souverainisme démocratique national, on n’y arrivera pas. Le défi, c’est de faire émerger une souveraineté européenne qui sera la base d’une démocratie fédérale.

Si l’Irlande, le Portugal et bientôt Chypre sont tiré d’affaires, ce n’est pas la cas de la Grèce qui en est à son troisième plan d’aide.

Ce dont a besoin la Grèce, c’est de temps pour se doter d’un Etat fonctionnel. Pour l’instant, elle est même incapable de dépenser l’argent qu’on lui verse sans aide administrative européenne. Au début de la crise, en 2010, le commissaire à l’agriculture avait appelé son collègue grec pour lui dire qu’il y avait entre 3 et 6 milliards d’euros de disponible dans le budget agricole. Il ne l’a jamais rappelé. C’est pareil dans tous les secteurs. Savez-vous qu’il y a plus de panneaux solaires et d’éoliennes en Suède qu’en Grèce ! Ce qu’on doit faire dans ce pays, c’est du « state building » afin que l’Etat soit capable d’accompagner l’économie et de lever l’impôt. Je me demande aussi pourquoi Athènes n’a toujours pas demandé à la Suisse combien de fonds grecs – on parle de 20 à 30 milliards d’euros- ont trouvé refuge dans ses coffres pour vérifier s’il ne s’agit pas de fraude fiscale. De même, si Tsipras a été capable d’organiser un référendum en dix jours, pourquoi n’en fait-il pas un pour modifier la Constitution afin de taxer armateurs et Eglise ? Ou encore, pourquoi ne pas réduire le budget militaire pour abonder à hauteur de deux milliards par an un fonds de protection social minimal ? Il faut savoir qu’il n’existe pas de revenu minimal garanti après un an de chômage, ce qui concourt à la crise humanitaire. Les Européens pourraient y consacrer 5 milliards d’euros sur le prochain plan d’aide. Cela aiderait à bâtir une vraie solidarité européenne. Mais, bon, je ne suis pas sûr que le partenaire de coalition de Syriza, le parti de droite radicale ANEL, accepte de diviser par deux le budget de la défense…

L’Allemagne a-t-elle été solidaire de la Grèce ?

La désolidarisation est générale en période de crise. Il y a une Allemagne égoïste, une France égoïste, une Finlande égoïste, etc. Regardez ce qui s’est passé pour la répartition du traitement des demandes d’asile : cela a été un festival d’égoïsmes nationaux. Mais, en même temps, la solidarité existe en dépit des postures des uns et des autres. Ainsi, les Allemands qui ne voulaient pas d’une Europe des transferts financiers ont accepté la création du Mécanisme européen de stabilité qui est en fait l’équivalent d’un trésor européen : c’est par ce biais qu’on a transféré à la Grèce plus de 200 milliards d’euros (en tenant compte du troisième plan d’aide), des emprunts faits sur les marchés, mais garantis par les États. Et il faut ajouter les 53 milliards de prêts bilatéraux de 2010. Tout le monde triche et cela fausse le débat européen ! Au lieu de tirer les conséquences d’une monnaie unique et de l’assumer, on mène une politique économique et financière de plus en plus bancale.

Une solidarité qui profite aux banques affirme une partie de la gauche française…

C’est du baratin ! Aucune société ne peut vivre sans banques : les banques, c’est le crédit, cela permet aux entreprises, aux agriculteurs, aux ménages de vivre. Pour faire fonctionner une économie de marché, on a besoin d’elles.

N’est-il pas plus facile de changer la France qu’une Europe majoritairement de droite ?

Il n’existe pas de majorité en France pour changer de modèle économique pas plus que dans les autres pays. Ce n’est pas l’Europe qui est de droite, ce sont les sociétés qui sont de droite. L’alternative à François Hollande qui est un social-démocrate, c’est Nicolas Sarkozy, Alain Juppé ou Marine Le Pen, pas Jean-Luc Mélenchon ou Arnaud Montebourg. Il est aussi difficile de faire changer l’Europe que de changer les politiques des États nations.

La crise grecque n’a-t-elle pas montré que la zone euro ne pouvait pas être cogérée par les États ?

La folie intergouvernementale a atteint ses limites. Il n’est pas rationnel que 19 chefs d’État et de gouvernement passent une nuit blanche pour trouver, à l’unanimité, une solution à un problème économique et financier. C’est aberrant. La fédéralisation de l’Europe, c’est le seul moyen d’organiser de la solidarité entre les États et les peuples. L’intergouvernemental, c’est l’institutionnalisation de barrières nationales à la solidarité, car chacun réagit en fonction de son opinion publique.

De plus, personne n’est là pour représenter l’intérêt européen, la Commission n’ayant aucun statut.

Ce sont les ministres des Finances de l’Eurogroupe qui décident de tout à l’unanimité et leur président est le ministre néerlandais des Finances, ce qui est une aberration. La monnaie unique implique qu’on ait une institution qui représente l’intérêt général européen.

François Hollande propose justement de créer un budget de la zone euro.

De fait, l’Union ne dispose pas d’un budget capable d’agir en cas de crise : 1 % du PIB communautaire, c’est ridicule, alors que le budget américain pèse 23 % du PIB. Quand la Californie tombe en faillite, les programmes sociaux et d’investissement, qui sont des programmes fédéraux, continuent à fonctionner. Si le budget que propose Hollande est doté de 200 ou 300 milliards d’euros, si on peut l’utiliser, sur proposition de la Commission, sans avoir besoin d’une décision unanime et avec un contrôle démocratique du Parlement, c’est une bonne idée. Le budget, c’est le b a ba de la fédéralisation. Cela aurait permis d’intervenir plus rapidement et plus efficacement en Grèce, notamment en décidant d’un programme d’investissement massif.

Ce budget serait-il celui de la zone euro ou de l’Union européenne ?

On ne peut plus continuer à avoir d’un côté la zone euro, de l’autre l’UE. Il faut que ceux qui ne veulent pas de l’euro se retirent et restent dans le marché européen, une sorte de partenariat privilégié. La Grande-Bretagne, la Suède, la Turquie pourraient en faire partie. L’euro sera ainsi la monnaie de toute l’Europe.

Et l’idée d’une avant-garde au sein de la zone euro ?

Mettre en place à quelques-uns une convergence fiscale et sociale me paraît une bonne idée. Cela aurait un effet d’entrainement. Si l’Allemagne et la France lançaient une vraie fédéralisation, y compris en mettant en commun le siège français au conseil de sécurité de l’ONU, cela créerait une dynamique extraordinaire.

Peut-on encore être de gauche et Européen ?

Si l’on veut vraiment une régulation sociale de la mondialisation, une régulation écologique, cela passe par l’Europe. Pour la gauche, l’Europe est une utopie nécessaire, car elle permet de dépasser l’État nation et cette croyance que c’est lui qui nous protège le mieux. Or les États nations ne s’en sortiront pas seuls : dans vingt ans, l’Allemagne ou la France pèseront dans le monde l’équivalent de ce que pèsent aujourd’hui Malte ou le Luxembourg en Europe. Vous croyez que Malte a les moyens de défendre un projet de civilisation ? Être de gauche aujourd’hui, c’est participer à cette construction et lutter contre un retour souverainiste. Le souverainisme est de droite parce qu’il repose sur l’égoïsme national et l’égoïsme n’est pas une valeur de gauche. Si on veut une répartition plus juste des richesses en Europe, ça ne se fera pas État par État. Croyez-vous que la France ou l’Allemagne seules auraient été capables de voler au secours de la Grèce ? La construction de cet espace politique qui s’appelle l’Europe prendra du temps. Mais il a fallu attendre 1945, avec le vote des femmes, pour que la France devienne un véritable espace démocratique.

N.B.: entretien paru dans Libération du 11 août

Catégories: Union européenne

De l'hystérisation du débat à l'heure numérique

lun, 10/08/2015 - 20:57

«Quatremer serait mieux entre quatre planches » (@Marmo73). « Voici des journalistes ! Mes vieux slips ont plus de personnalité… » (@winston4511). « Les gens en ont marre de votre propagande néolibérale. On sait reconnaître les chiens de garde lorsqu’ils aboient » (@JonathanMachier). « Oui ! Interrogez-vous vite et choisissez une terre d’accueil ! Ca ne va pas tarder » (@Wanatoctouillou). « Il est tellement pro-allemand que je me demande de quel côté Leparmentier aurait été en 1939 » (@lepiche). « Quatremer n’a jamais fait un océan. Pardon, si, un océan de connerie ! » (@Le_Comptoir). « Imagine un être avec la gueule de merde de Quatremer, la coupe de cheveux à la con de Leparmentier et aussi que leur somme. Chaud ! » (@ASBAFfr). « On parle de vous, Quatremer et Leparmentier et la clique éditocratique docile » (@DonBishopSam). « Leparmentier et Quatremer, une patate et une nouille, le régime des temps difficile » (@MaloKerfriden). « Leparmentier et Quatremer, encore deux kollabos à mettre sur la liste pour le jour de la Libération. Mais le problème, en amont, ce sont les milliers de crétins qui continuent à lire leur torchon » (Rodolphe Dumouch). « En fait quatremerde pendant la seconde guerre mondiale t’aurais vendu du beurre aux allemands je pense… eurocollabo ». « Leparmentier et Quatremer doivent démissionner ou être licenciés ». (@Lantiboutin) « Des amis antifa athéniens les cherchent, on ne sait pas encore s’ils y sont, c’est dommage » (@talktilk). « La propagande austéritaire et imbécile des merdes comme Quatremer et autres éditocrates » (@KampfVoid). « Là, faut faire quelque chose: Leparmentier et Quatremer sont en pleine phase d’exhibitionnisme de leur QI sur twitter. C’est pas beau à voir » (@PopulusRe). « C’est en faisant trop le malin qu’on finit dans une rizière (proverbe Khmer rouge) » (@bheiderich).

Sus aux «éditocrates libéraux eurobéats»

Ce florilège de tweets haineux et menaçants (je vous épargne ceux à connotations sexuelles...), émanant généralement de courageux anonymes, ne sont qu’un échantillon de ceux que mon collègue du Monde, Arnaud Leparmentier, et moi-même avons reçus ces dernières semaines à propos de la Grèce. D’autres journalistes, comme Jean-Michel Apathie, Bruno-Roger Petit, Jean-Marie Colombani, Bernard Guetta ou encore Laurent Joffrin, tous qualifiés «d’éditocrates» libéraux et eurobéats, n’ont pas été oubliés par une «gauchosphère» et une «fachosphère» en folie. Notre « faute » ? Ne pas être béat d’admiration devant Syriza, le nouvel eldorado des souverainistes de tous bords, montrer une réalité grecque un peu plus complexe que celle que s’imaginent des gens qui plaquent sur un pays qu’ils ne connaissent pas leurs a priori idéologiques. Tout fait qui s’éloigne de la doxa qui veut que « les » Grecs (le pluriel est important dans l’essentialisation des Grecs) crèvent de faim à cause de l’Europe, du FMI et des banques est aussitôt brocardé, pas réfuté, brocardé.

L’agitation de ces internautes, certes minoritaires, mais bruyants, a, et c’est une première, trouvé quelques relais (des RT complaisants, voire des interpellations directes avec le même ton de procureur à la petite semaine) parmi des journalistes qui n’ont pas mesuré ce que ces tentatives de réduire au silence des confrères accusés de « mal penser » impliquait pour la liberté de la presse et la liberté d’expression en général. Car on cherchera en vain le même type de prise à partie émanant de ceux que ces gens qualifient « d’eurobéats ultra libéraux anti-Grecs » : cette violence hystérique, cette volonté d’interdire le débat, en opposition frontale avec toutes les valeurs démocratiques, est bien le fait d’une partie du spectre politique français, la gauche radicale (héritière du communisme et de ses déclinaisons) et la droite radicale (héritière de Pétain et de Maurras), celle qui, en réalité, n’a jamais admis la démocratie. La Grèce, de ce point de vue, offre un bon exemple de leur façon de penser : Syriza élu, c’est le peuple et la démocratie en marche. Les dix-huit autres gouvernements de la zone euro, ce sont des technocraties peu respectables (l’Allemagne est quasiment redevenue nazie) puisqu’ils osent s’opposer à cette gauche radicale…

On se dira qu’il s’agit là d’un épiphénomène, que cela n’est le fait que d’une minorité et que cela n’est pas très grave. C’est se tromper. Car si ces « « twitteux en folie et internautes déchaînés », comme les qualifie le philosophe et historien Marcel Gauchet (entretien à Libération, 17 juin 2015), se croient autorisés à insulter des journalistes (je parle ici de la profession qui est la mienne) qui ne font que leur travail, c’est parce que cette haine est validée par des politiques (la famille Le Pen et consorts, Jean-Luc Mélenchon pour ne citer que les plus tristement célèbres) qui dénoncent sans cesse des journalistes « aux ordres », mais aussi des intellectuels, comme l’économiste Frédéric Lordon, dont les articles sont autant d’appels répétés à la haine (et je suis l’une de ses cibles favorites).

Envoyer les journalistes à la décharge

Ainsi, Lordon a écrit une interminable chronique sur son blog du Monde Diplomatique à propos d’un selfie ironique que Leparmentier et moi-même avons posté le 2 juillet sur Twitter pour nous moquer des excités du clavier qui nous poursuivaient (je revendique le droit à l’humour et à la dérision, oui, oui). Il nous qualifie avec sa délicatesse habituelle « d’ahuris » aux « regards béats et satisfaits » avant d’inviter ses lecteurs à nous mettre à la « décharge », avec ce que cela sous-entend quand on connaît les « réalisations » de la gauche radicale, par exemple au Cambodge : « Têtes politiques en gélatine, experts de service, journalisme dominant décérébré, voilà le cortège des importants qui aura fait une époque. Et dont les réalisations historiques, spécialement celle de l’Europe, seront offertes à l’appréciation des temps futurs. Il se pourrait que ce soit cette époque à laquelle le référendum grec aura porté un coup fatal. Comme on sait, il faut un moment entre le coup de hache décisif et le fracas de l’arbre qui s’abat. Mais toutes les fibres commencent déjà à craquer. Maintenant il faut pousser, pousser c’est-à-dire refaire de la politique intensément puisque c’est la chose dont ils ignorent tout et que c’est par elle qu’on les renversera. L’histoire nous livre un enseignement précieux : c’est qu’elle a des poubelles. Il y a des poubelles de l’histoire. Et c’est bien. On y met les époques faillies, les générations calamiteuses, les élites insuffisantes, bref les encombrants à oublier. Alors tous ensemble, voilà ce qu’il faudrait que nous fassions : faire la tournée des rebuts, remplir la benne, et prendre le chemin de la décharge ». En quelques phrases glaçantes, tout est dit.

Cette volonté d’éradiquer, au sens propre, des journalistes qui seraient l’incarnation du libéralisme honnie, on la retrouve aussi sur des sites spécialisés dans la « critique » des médias comme Acrimed ou Arrêt sur Images qui se sont fait une spécialité de clouer au pilori ceux qui ont le malheur de ne pas être « antilibéraux » ou anti-européens (pour ne pas être en reste, je signale que l’extrême droite a créé son propre « Observatoire des journalistes et de l’information médiatique »). Cette aversion se retrouve dans un hebdomadaire parisien comme les Inrockuptibles dont un chroniqueur vient de dénoncer (avec notre photo à l’appui, style « liste rouge ») la « suffisance » et « l’arrogance » de notre selfie humoristique, justifiant, citations de Lordon à l’appui, « la détestation du journalisme à la botte de Bruxelles ». En clair, nous n’avons qu’à nous en prendre à nous même si nous nous faisons ainsi trainer dans la boue.

Le procès qui nous est fait ne se base évidemment pas sur des faits, puisqu’on est dans l’ordre de la diabolisation visant à la disqualification. Comme dans les procès totalitaires, on ne va pas laisser les faits stopper une condamnation ! Mes contempteurs sont bien en peine de faire la même chose. Aucun de mes articles, aucune de mes notes de blog n’est jamais cité. Et pour cause. J’agace, car je dis ce qui est et non ce qui devrait être. J’agace quand j’ose rappeler que la dette grecque n’est pas tombée du ciel, que tous les Grecs en ont profité et que ce n’est pas l’euro qui a mis le pays à genoux, mais sa classe politique très démocratiquement élue. Alors on se rabat sur mes tweets : en annonçant la faillite de la Grèce pour le 30 juin, je manifesterais une « joie mauvaise » (Lordon). En utilisant le #Grexit, je militerais pour la sortie de la Grèce de la zone euro alors que j’écris l’exact contraire depuis 2010 ; surtout ce # est utilisé par l’ensemble de la presse (y compris Guillaume Duval, le patron d’Alternatives économiques…). Je raconte que des jeunes hurlent leur joie le soir du non au référendum en agitant des drapeaux au volant d’une Porsche Cayenne, je sous-entends que les Grecs sont « des voleurs de poules ». Je dis que la place Syntagma n’est pas pleine le soir du 5 juillet, je suis accusé de mentir, images de la télévision russe RT à l’appui… Je dirais quelques jours plus tard la même chose pour la manif pro-oui, sans que cela ne soulève de protestations des pro-européens et des « libéraux ». Comme on le voit, on est dans le procès d’intentions. Un déferlement émotionnel auquel il est impossible de répondre. Que voulez-dire quand on vous accuse « de ne pas aimer les Grecs » ou d’être l’ennemi de la démocratie ou d’être l’ami des banquiers ?

La revanche du café du commerce

Ce phénomène de disqualification de ceux qui pensent mal a toujours existé en France : « mieux vaut avoir tort avec Sartre que raison avec Aron », clamait ainsi stupidement une certaine gauche au siècle dernier (avec prescience, on l’a vu…). Mais il a pris une autre ampleur à l’ère numérique. L’heure de la revanche du café du commerce a sonné : des propos qui ne quittaient pas le zinc ou la machine à café peuvent désormais être portés à la connaissance d’un large public via les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas de regretter le bon vieux temps et de nier que le net permet l’avènement d’une société du savoir ! Mais, comme l’imprimerie a permis la diffusion des livres les plus nauséabonds, le net et les plates-formes style Twitter ou Facebook véhiculent le pire avec une efficacité démultipliée. Les groupes extrémistes l’ont parfaitement compris.

Autre phénomène nouveau apparu avec le net : tout le monde a le sentiment d’être sur un plan d’égalité avec son interlocuteur, ce qui n’est évidemment pas le cas. Poser une question, partager une réflexion avec un philosophe, un physicien, un politique est devenu possible. Mais cette proximité nouvelle et bienvenue ne veut pas dire que toute parole se vaut. Ainsi, un journaliste, lorsqu’il écrit un article, publie une note de blog ou tweete, fait son métier. Il donne de l’information ou fait une analyse basée sur une connaissance intime d’un sujet. Il a recueilli des faits, rencontré des acteurs et livre son travail au public. Ceux qui le prennent à partie en vociférant le font avec leur sentiment et leur passion, sans fait à leur disposition. Par exemple, lorsque je dis qu’il y a peu de monde dans une manifestation à laquelle j’assiste, c’est un fait. Quand un internaute me dit à 3000 km de là que c’est faux, c’est irrationnel. Si je dis qu’Athènes est mise sous tutelle par la zone euro, c’est un fait, pas une réjouissance. Si je dis que Syriza s’est planté, c’est une analyse qui appelle une réfutation, pas une insulte. La Grèce est un très bon exemple de cette fausse horizontalité qui créé une cacophonie excluant tout débat : tout le monde a un avis sur le sujet, sans doute pour y avoir passé 15 jours de vacances, mais personne n’a enquêté sur ce pays (sauf d’autres journalistes et de rares économistes). On « croit » savoir, on ne sait pas. Pas plus que je ne sais, autrement que par mes lectures, ce qui se passe en Chine ou en Russie (et je me garde bien de commenter des sujets que je ne connais pas).

Pourtant, grâce au net, ceux qui estiment avoir quelque chose à dire peuvent écrire des articles, faits à l’appui, trouver leurs lecteurs et ainsi ouvrir un débat qui pourrait être intéressant. Mais, outre qu’il est plus simple de cracher des insultes et de proférer des menaces, le débat n’est pas le but recherché. Au contraire, il s’agit de l’interdire, de décourager l’expression d’opinions divergentes, de mettre en place, par la violence des mots, une police de la pensée. Une minorité agissante, certes, qui donne une image déformée du monde, mais qui fait du bruit tant il est vrai que c’est la haine qui attire le regard, pas le débat serein. Quelques dizaines de tweets anonymes et c’est le peuple qui s’exprime, comme on peut le lire dans la presse…

Compatir et non comprendre

Si ce n’est pas la première fois que j’affronte la violence des réseaux sociaux (de DSK à « Bruxelles pas belle » en passant par mes démêlés avec le FN ou la gauche de la gauche), celle qui entoure la question grecque est intéressante en ce qu’elle est typique du fonctionnement de cette « hystérisation » du débat public que dénonce Gauchet : chacun est sommé de choisir son camp. Le soutien au peuple grec souffrant, forcément victimes des banques, de l’euro et de l’Europe, ne tolère pas la nuance. Blanc ou noir, surtout pas de gris. Il faudrait presque commencer chaque tweet, chaque article, par : « je compatis aux terribles souffrances du peuple grec » pour ne pas être soupçonné de racisme anti-grec, de mépris de classe, de suffisance, d’arrogance, bref d’être du côté des Allemands et de leurs alliés Finlandais, Baltes, Slovaques, de tous ces peuples indignes de la démocratie. Cela me rappelle la fin des années 70 où, avant de s’émouvoir des conditions de détentions des terroristes d’extrême gauche, chacun était sommé de prendre d’abord ses distances avec le terrorisme… Cette nouvelle version du « camarade, choisi ton camp », est bien pratique : tout ce qui ne va pas dans le sens que l’on pressent être « juste » est disqualifié. Pas factuellement, car là on serait dans le débat, mais émotionnellement, par l’insulte. La compassion a remplacé la compréhension.

Marcel Gauchet dénonce à raison « l’irruption de la culture du ressentiment et de la haine qui fleurit dans l’univers numérique » : « Il y a une surréaction émotionnelle à des événements ou des propos publics d’importance très relative, une disproportion théâtrale des arguments » de la part de « Twitteux en folie et d’internautes déchaînés ». « Dans cette joyeuse ambiance, il est impossible de discuter de façon sereine, argumentée et respectueuse. Débattre de l’Europe ou de l’islam est une hérésie à proscrire par la vocifération, le procès d’intention et la disqualification morale. La maladie française, c’est le refoulement hystérique de ce qui devrait être sur la table commune. » Et de conclure avec justesse : « il faut de la contradiction, c’est sûr. Mais laquelle et comment ? Il y a une manière de s’engueuler qui fait reculer tout le monde en s’enferrant dans des oppositions stériles. L’art de l’engueulade constructive, voilà ce dont nous avons besoin. Il n’est pas au rendez-vous. » Le seul moyen que j’ai personnellement trouvé, c’est de modérer a priori les commentaires sur mon blog pour écarter ceux qui ne développent pas une argumentation afin de créer un espace de qualité (et c’est une réussite) et de bloquer les fâcheux sur Twitter pour ne plus entendre leur vocifération.

N.B. 1 : J’ai supprimé des exemples d’agressions le tweet de Vincent Glad qui me fait savoir de la régie que son référendum sur mon éventuelle exclusion de la zone twitto était de l’humour. Je lui avais posé la question à l’époque, mais je n’avais pas eu de réponse. Dont acte!

N.B. 2 : Voir aussi l’article du Point.fr sur le déchainement de certains twittos (ici). Et Acrimed se lache allant à chaque fois un peu plus loin : ici, ici, ici, ici, ici ou encore ici. Il parait que ce site tout à fait neutre m’aurait, selon un internaute, mais je n’ai pas vérifié, déjà consacré en tout ou en partie 38 articles. Et ça s’accélère. Mazette

N.B. 3 : Un article tente de répondre à mon papier: c’est . Son auteur, Vincent Glad, à qui j’ai longuement parlé au téléphone, semble conseiller aux journalistes de ne pas descendre «dans l’arène numérique», en clair de ne pas répondre, ni par l’humour, ni par l’invective (ce qui m’arrive, nul n’est parfait). En fait, pour se préserver, il faudrait retrouver notre magistère dédaigneux, ignorer la plèbe... Ce n’est pas ma conception du journalisme à l’heure des réseaux sociaux: je passe beaucoup de temps à répondre aux internautes, sur mon blog, sur Facebook, sur Twitter, car le débat est très majoritairement intéressant et me permet d’améliorer mon travail. Et qu’on ne dise pas que je me plains, que je me sens brimé, j’analyse juste un phénomène. Et la modestie, cher Glad, ce n’est pas considérer que toute parole se vaut. Mais d’aller sur le terrain pour confronter ses idées à la réalité.

N.B. 4 : Eloise Bouton a posté un excellent papier sur la violence et les menaces sur internet dont font l’objet les femmes. Il fait écho à mon article et constitute aussi une réponse à Vincent Glad. J’ai hâte qu’il lui réponde qu’elle manque de «modestie»...

N.B. 5 : La télévision allemande dénonce la haine sur le net. Nous sommes manifestement nombreux à ne pas nous accommoder de cette expression soi disant démocratique : http://tvmag.lefigaro.fr/le-scan-tele/polemiques/2015/08/07/28003-20150807ARTFIG00207-migrants-une-journaliste-allemande-denonce-les-discours-racistes.php

Catégories: Union européenne

La déroute d'Alexis Tsipras

sam, 25/07/2015 - 13:13

Un Waterloo européen, un désastre économique, mais une victoire politique intérieure. Voici, en quelques mots, le bilan des six premiers mois de pouvoir d’Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, dont le parti de gauche radicale, Syriza, a gagné les élections législatives anticipées du 25 janvier dernier, il y a six mois.

Pour mesurer l’ampleur exacte de ce qui ne peut être que qualifié de catastrophe, il faut se rappeler qu’il y a un an, la Grèce semblait tirée d’affaire : après deux plans d’aide financière successifs à 225 milliards d’euros (contre un seul pour l’Irlande, le Portugal et Chypre) et deux restructurations de dettes (1), le pays semblait tout prêt de pouvoir à nouveau accéder aux marchés financiers. Les taux d’intérêt exigés diminuaient rapidement et plusieurs émissions de dettes à court terme avaient été des succès. Les banques grecques, après leur recapitalisation financée par la zone euro, étaient de nouveau d’aplomb et le budget de l’État était en excédent primaire (hors charge de la dette). Surtout le pays avait enfin renoué avec la croissance (+ 0,8 %), ce qui commençait à se traduire par une réduction du chômage. Pour 2015, les institutions grecques, européennes et internationales misaient sur une croissance comprise entre 2,5 % et 3 % du PIB, le plus fort taux de la zone euro.

Un an plus tard, l’économie grecque est à genoux. Le pays est de nouveau en récession : elle sera comprise entre 2,5 et 3 % en 2015 selon la Commission européenne, soit une perte de croissance comprise entre 4,5 et 6 %... Pour rappel, le PIB grec a reculé de 4,5 % en 2010, année du début de la crise de la dette publique et de 6,8 % l’année suivante. Mécaniquement, le ratio de la dette s’envole (vu l’effondrement du PIB) et devrait rapidement passer de 177 % à 200 % du PIB… Les banques, quasiment en faillite à la suite du « slow bank run » qui a commencé en décembre 2014, et le contrôle des capitaux instauré le 29 juin ont paralysé l’économie : des centaines d’entreprises (on n’a pas encore de chiffres précis) ont dû mettre la clef sous la porte faute de pouvoir se financer ou tout simplement effectuer des opérations avec l’étranger. Les investisseurs, qui n’aiment pas l’incertitude, ont massivement fui le pays. Après un tel marasme, la reprise ne sera pas là en 2016, puisqu’il faut du temps pour qu’une économie redémarre.

Le retour sur les marchés, lui, est reporté sine die : un troisième plan d’aide financière va être négocié. Il va falloir recapitaliser une nouvelle fois les banques sur fonds européens (15 ou 20 milliards, on connaitra le montant à la rentrée), voire en fermer une ou deux, et essayer de faire revenir en Grèce les 90 milliards d’euros qui ont fui le pays depuis 2010… Last but not least, de nouvelles mesures d’austérité infiniment plus rudes que celles rejetées par référendum le 5 juillet ont été imposées par les créanciers de la Grèce, ce qui va freiner l’activité. Enfin, le pays, à la suite du référendum qui a braqué les partenaires d’Athènes, passe sous tutelle de la zone euro et du FMI qui devront approuver tous les projets de loi mettant en œuvre les mesures prévues par le programme imposé à la Grèce lors du Conseil européen des 12 et 13 juillet.

Une mauvaise évaluation du rapport de force européen

Quelques éclaircies, malgré tout, dans ce sombre tableau : les Européens ont accepté de lui accorder un nouveau plan d’aide de 83 milliards d’euros, ce qui mettra la Grèce à l’abri des marchés pour quelques années ; l’excédent budgétaire primaire a été préservé, mais au prix d’une baisse des dépenses publiques (23,2 milliards au premier semestre 2015 contre 26 milliards sur la même période en 2014) ; un plan d’investissement européen de 31 milliards d’euros sur quatre ans va être débloqué, mais sera géré directement par la Commission (en grande partie des fonds déjà prévus dans le budget européen, mais sans les conditionnalités de co-financement qui sont normalement exigées) ; enfin, la restructuration de la dette grecque détenue par les Européens est à l’ordre du jour (pas sous forme de haircut, c’est-à-dire d’abandon de créances, mais sous forme de baisse des taux d’intérêt et d’allongement des maturités –date de remboursement-, ce qui revient au même).

Mais ça n’est même pas une victoire d’Alexis Tsipras : la soutenabilité de la dette était déjà au programme de la zone euro depuis novembre 2012 (et cela a été répété à plusieurs reprises depuis cette date), tout comme le plan d’investissement. Autant dire que la stratégie suivie par Syriza depuis janvier dernier relève d’une erreur majeure d’appréciation : le parti était persuadé que ses partenaires, effrayés par la perspective d’un Grexit, lui accorderaient des conditions infiniment plus favorables que celles qu’avaient obtenues les gouvernements précédents. Il a donc mené le pays au bord du précipice en espérant qu’au dernier moment les partenaires européens craqueraient. Comme je l’ai écrit depuis six mois sur ce blog, c’était méconnaître les autres pays européens : Alexis Tsipras a sous-évalué l’agacement des capitales européennes à l’égard d’un pays qui n’arrive pas à sortir de la crise et d’un gouvernement de gauche radicale qui a cru malin de passer six mois à les insulter (le mot « assassin » est resté en travers de la gorge de nombreux ministres des finances).

La responsabilité d’Antonis Samaras

Mais il serait inexact de faire porter l’entière responsabilité de cette séquence hallucinante sur le seul Tsipras. Antonis Samaras, son prédécesseur conservateur (Nouvelle Démocratie), a joué un rôle non négligeable dans la dégradation de la situation de son pays. À la fin du printemps 2014, il a cru que être tiré d’affaires: en déclarant que la Troïka serait partie dès la fin de l’année et que la Grèce n’avait plus besoin de financement, il a paniqué les marchés. À la suite de la victoire de Syriza aux Européennes de mai 2014, Samaras a viré cinq de ses ministres les plus réformateurs pour les remplacer par des populistes, obtenu la peau de Harry Theoharis, le secrétaire général chargé des recettes fiscales, et renoncé à présenter un programme de réformes comme il s’y était engagé en mai. En particulier, il s’est opposé aux demandes du FMI et de la zone euro qui, avant de verser la dernière tranche d’aide du second plan (7,2 milliards d’euros), voulaient obtenir une réforme d’un régime de retraite insoutenable au regard de la natalité et des moyens du pays (16 % du PIB), une augmentation de la TVA et une réforme du marché du travail, toutes choses qui aujourd’hui apparaissent bénignes… En clair, il a donné le signal que le temps des réformes était terminé et que tout allait redevenir comme avant, clientélisme, populisme, dépenses non financées compris. À partir du mois de novembre, les taux d’intérêt grecs ont à nouveau flambé sur le marché secondaire et la bourse s’est effondrée, les marchés estimant que le pays n’était pas prêt à voler de ses propres ailes.

Dans une manœuvre désespérée, Samaras a alors anticipé l’élection présidentielle de quelques mois : faute d’une majorité suffisante au Parlement, il ne pouvait la gagner, sauf accord de Syriza pour un candidat de compromis. Et c’est là où Tsipras a commis une erreur. Au lieu d’attendre son heure (2016), il a préféré jouer les législatives anticipées en refusant de donner une majorité au candidat conservateur (la dissolution du Parlement est alors automatique,) alors que la situation de la Grèce n’était absolument pas stabilisée. A-t-il cru qu’il ferait mieux que Samaras ? Sans aucun doute. Quant au Premier ministre conservateur, il espérait, en cas d’échec, que Tsipras serait obligé d’accepter ce qu’il avait lui-même refusé, ce qui signerait sa perte…

Un pari perdu sur la peur

La séquence suivante s’est ouverte au lendemain du 25 janvier, avec un Yanis Varoufakis, nouveau ministre des Finances, qui, dès sa prise de fonction, clame, le 29 janvier, dans le New York Times que « les 7 milliards d’euros, nous n’en voulons pas, ce que nous voulons c’est repenser totalement le programme ». S’ensuit alors un mois de négociations serrées qui aboutissent finalement à un premier accord le 24 février : il permet la prolongation du programme d’assistance financière jusqu’au 30 juin. Syriza a obtenu, comme il l’avait lui-même demandé, qu’environ 30 % du programme de réformes soit revu pour tenir compte de ses priorités. Mais au lieu de le mettre rapidement en musique, le gouvernement grec fait le mort jusqu’au mois de juin en espérant, manifestement, qu’à l’approche de l’échéance du 30 juin, la zone euro, effrayée par les conséquences d’un « Grexit », reverrait ses exigences à la baisse. C’est l’exact contraire qui s’est passé : de l’agacement, les partenaires d’Athènes sont passés à l’énervement puis à la colère contre un partenaire qui ne comprenait pas la gravité de sa situation. Mais, entre le 18 et le 25 juin, après un sommet de la zone euro et plusieurs Eurogroupes, Tsipras a enfin semblé revenir à la raison: son équipe de négociation a été remaniée et Varoufakis mis sur la touche. Tout le monde a même pensé qu’un paquet comprenant un programme de réformes, un plan d’investissement, une nouvelle aide financière de quelques milliards d’euros et une discussion en vue d’une restructuration de la dette serait conclu le 27 juin. Mais dans la nuit du 26 au 27, le Premier ministre grec a pris tout le monde par surprise en annonçant un référendum pour la semaine suivante portant sur le texte de compromis du 25 juin et non celui, plus favorable, du 26.

Ce coup de poker (aux limites de la démocratie puisque le délai a interdit toute campagne) reste totalement incompréhensible sur le plan européen : soit le oui l’emportait, et un texte moins favorable que celui du 26 juin aurait dû être appliqué, soit le non l’emportait et la Grèce serait en position de faiblesse face à ses créanciers.En effet, pour ceux-ci, le « non » ne pouvait être interprété que comme un signal que les Grecs voulaient quitter la zone euro, comme ils lui ont expliqué. Surtout, avec cette annonce, Tsipras a immédiatement fait plonger l’économie de son pays, déjà fortement atteinte par cinq mois d’incertitudes politiques : pour que la Banque centrale européenne continue à fournir des liquidités aux banques grecques, il n’a eu d’autres choix que de fermer les banques d’établir un contrôle des capitaux dès le 29 juin pour éviter que les Grecs vident leurs comptes. À défaut, les Européens auraient financé le bank run grec alors qu’ils sont déjà exposés à plus de 110 milliards d’euros (totalité des prêts aux banques grecques). Les entreprises ont été immédiatement asphyxiées (plus de crédit, plus de possibilité de payer les importations) et le tourisme, la première ressource du pays, a commencé à souffrir de multiples annulations, la Grèce devenant un pays « à risques ». En réalité, entre le 29 juin et le 20 juillet, date de réouverture des banques, les Grecs ont eu un petit avant-goût de ce qu’aurait été un Grexit.

Un plébiscite personnel

Le référendum s’est finalement soldé par un plébiscite personnel pour Tsipras, le non l’emportant parplus de 61 %, à sa grande surprise d’ailleurs : l’appel à voter oui des leaders ND et PASOK, totalement décrédibilisés, a joué en sa faveur. Cette victoire lui permet, dans la foulée, de se débarrasser de l’encombrant Varoufakis qui commet la faute impardonnable de revendiquer la victoire avant le Premier ministre. Surtout, il continue à plaider pour l’épreuve de force quitte à risquer le Grexit. Or, comme l’expliquera Tsipras à la télévision le 14 juillet suivant, il a demandé en mars une étude sur les conséquences pour son pays d’une sortie de la zone euro : cela l’a convaincu que ce n’était pas une option, sauf à prendre le risque d’un soulèvement du peuple qui ne l’a pas élu pour ça. Et les fantasmes, entretenus par l’aile gauche de Syriza, d’une aide russe, chinoise ou vénézuélienne se sont dissipés : personne, en dehors de la zone euro, n’a les moyens financiers de sauver la Grèce…

Tsipras croit néanmoins que le «non» lui a redonné une marge de négociation. Autant dire qu’il persiste dans l’erreur. Le sommet de la zone euro, qui se réunit le 7 juillet, lui signifie brutalement que, faute de nouvelles propositions sérieuses pour la fin de la semaine, ce sera le Grexit de fait. En cas d’échec, un sommet à 28 est même convoqué pour le 12 juillet afin de dégager une aide humanitaire pour la Grèce. C’est la fin de partie pour Athènes. Faute de plan B sérieux, Tsipras comprend enfin qu’il est déjà au-dessus du précipice et il décide donc de préparer dans l’urgence, avec l’aide de la Commission et de la France, un programme de réformes qui ressemble comme deux gouttes d’eau au compromis du 26 juin, programme qu’il fait adopter par son Parlement lors d’une séance dramatique le vendredi 10 juillet, la veille d’un nouvel Eurogroupe.

Un Waterloo européen

Mais ses partenaires ne veulent pas qu’il s’en sorte à si bon compte : si la Grèce veut rester dans la zone euro, ce sera à leur prix, pas au sien. En clair, les compromis du 25 et du 26 juin ne sont plus d’actualité. Le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, propose même une sortie, soi-disant temporaire de cinq ans. L’Allemagne est loin d’être seule sur cette ligne : la Finlande est encore plus dure, tout comme les Pays-Bas ou la Belgique. Comme le reconnaitra Tsipras, seuls la France, l’Italie, le Luxembourg et l’Autriche l’ont soutenu. À l’issue d’un sommet des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro dramatique, le 13 juillet au matin, le Premier ministre grec doit capituler en rase campagne : ce qu’il accepte fait ressembler le compromis du 25 juin rejeté par référendum à une aimable promenade de campagne. En particulier, avant même de commencer à négocier le troisième plan d’aide, la zone euro lui exige que son Parlement adopte une série de réformes : hausse de la TVA et des cotisations sociales, transposition de la directive sur la résolution des crises bancaires, nouveau code de procédure civile, réforme des retraites… Ce qui est fait les 16 et 22 juillet. De même, les privatisations que Tsipras voulait stopper vont reprendre de plus belle.

Au final, quoi qu’on pense de la viabilité de ce plan adopté dans la douleur, la défaite est lourde pour Syriza qui s’est fait élire sur un programme anti-austérité. Par ses erreurs de manœuvre, il a démultiplié l’austérité en paralysant l’économie de la Grèce et en acceptant un plan dont les plus durs parmi ses partenaires n’auraient même pas osé rêver quelques semaines plus tôt. Par quelque bout que l’on prenne ce qui s’est passé au cours de ces six mois, on ne peut que conclure à l’échec de Tsipras.

Vers des élections anticipées

Ce qui aurait dû aboutir à sa démission et à de nouvelles élections. Mais, sa défaite européenne est, sur le plan intérieur, une victoire, aussi curieux que cela puisse paraître : il a réussi à réunir autour de lui 61 % des Grecs qui ne lui en veulent pas d’avoir dû capituler tant le rapport de forces lui était défavorable, il a obtenu des super-majorités au Parlement, l’opposition de la Nouvelle Démocratie, du PASOK (socialiste) et de To Potami (centre gauche) le soutenant, et, enfin, il a marginalisé son opposition de gauche.

Reste qu’en dépit de la fidélité de son partenaire de coalition (ANEL, droite radicale, 13 députés, qui est récompensé en obtenant un second portefeuille), il n’a plus de majorité, entre 31 et 39 députés de son groupe (sur 149 ayant) ayant voté contre lui : au mieux, il ne dispose plus que de 131 sièges sur 300. Cela devrait se traduire par de nouvelles élections, sans doute à l’automne prochain, ce qui lui permettra de faire le ménage au sein de Syriza, son autorité étant incontestable. Et il est presque certain de les remporter (actuellement, Syriza compte 20 points d’avance sur la ND, dont Samaras s’est enfin décidé à abandonner la présidence). Sa chance, si l’on peut dire, est que l’opposition ND-PASOK est tellement assimilée à la corruption et au clientélisme que les Grecs ne veulent pas les voir revenir au pouvoir : l’austérité, d’accord, mais avec Tsipras. Le jeune Premier ministre, qui n’aura à affronter aucun scrutin local jusqu’en 2019, a désormais le temps de démontrer qu’il a la volonté de réformer l’État grec et de redresser son économie. Un sacré défi.

(1) Au printemps 2012, le secteur privé a pris une paume de 115 milliards d’euros. Puis, fin 2012, la zone euro restructuré la dette de 200 milliards d’euros qu’elle détient : elle a diminué ses taux d’intérêt, allongé les maturités à 30 ans en moyenne et décrété un moratoire jusqu’en 2023 sur le paiement des intérêts.

N.B.: pour lire l’ensemble de mes articles sur la Grèce, cliquez sur le mot Grèce dans le nuage de mots...

Catégories: Union européenne

Nikolas Bloudanis: «l'Etranger tient davantage à la Grèce que ses dirigeants»

ven, 17/07/2015 - 14:35

Nikolas Bloudanis, Grec né à Patmos, historien et romancier, m’a fait parvenir ce texte pour que je le publie sur mon blog, ce que je fais volontiers. Une critique virulente de Syriza, mais aussi des gouvernements qui l’ont précédé.

par Nikolas Bloudanis

Être Grec pouvait être aussi source de fierté. Elle ne l’est plus par les temps qui courent pour les personnes sensées de ce pays. Rien de nouveau dans les mœurs politiques depuis le XIXe siècle: face aux difficultés, on fait appel au nationalisme et au conservatisme des clientèles électorales qui tiennent envers et contre tout à garder leurs petits privilèges. Lors du référendum du dimanche 5 juillet, le gouvernement «SYRIZA - ANEL», épaulé par les néonazis d’Aube Dorée, n’a pas failli à la tradition et a récolté 61% de votes en sa faveur. Une semaine plus tard, il entérine un accord exactement contraire aux positions qu’il défendait lors du référendum.

Le pari absurde de Tsipras.

Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, pensait avoir gagné un pari en remportant un plébiscite qu’on peut qualifier de «bonapartiste» (une semaine pour un référendum de cette importance est hors-norme, les questions posées étaient dépassées, incompréhensibles et multiples). À la «Grèce profonde» dans ce qu’elle a de plus négatif, au nationalisme, au gauchisme d’une partie de SYRIZA, aux néonazis, se sont ajoutés ceux et celles qui considéraient n’avoir «rien à perdre»: les victimes en détresse des mesures d’austérité, mais aussi de leur application parfois maladroite par le précédent gouvernement. Ces dernières sont les seules dont on peut respecter le «non». Votes surréalistes en fait, car portant sur une question inexistante dans la mesure où les textes soumis au vote (soit les propositions des créanciers du 25 juin), avaient été remplacés par celles du 26 juin sensiblement plus favorables.

Une semaine plus tard, confronté à de dures négociations, Alexis Tsipras mesure qu’on ne peut mentir simultanément à tout le monde. Au peuple grec, tout d’abord, à qui il avait promis «la fin de l’austérité et le retour à la dignité nationale». Depuis janvier, son gouvernement a entraîné le pays dans une succession de marchandages ratés avec les créanciers. Aux partenaires européens, ensuite, qu’il a menés en bateau pendant 5 mois au prix d’une perte de crédibilité totale de la Grèce. En fait de pari gagné, le référendum n’a été qu’une farce, une dernière gaudriole de politiciens adolescents : un accord ne pouvait être que plus difficile pour la Grèce, ses partenaires ne pouvant qu’exiger des mesures plus dures que celles contenues dans le projet du 26 juin.

Ce gouvernement a joué les apprentis sorciers : on ne peut que le soupçonner d’avoir eu l’intention inavouée de larguer les amarres européennes. L’opinion grecque y étant très largement opposée, il a fallu la convaincre à petits pas que c’est la «méchante Europe» qui chasse la Grèce et non la Grèce qui veut quitter l’Union. On peut deviner en filigrane cette intention dans la rhétorique que Tsipras et ses ministres ont développée tout au long de la crise. Le «Grexit» est surtout le but avoué de la frange extrémiste de SYRIZA, menée par Zoé Konstantopoulos, présidente de la Vouli, qui semble rêver de l’instauration d’un régime autoritaire. Les relations et rapports de force entre les deux personnages restent toutefois une inconnue.

Quelques rappels historiques.

Après la faillite de 1893, le gouvernement a d’abord refusé les conditions des créanciers et s’est lancé dans une politique nationaliste sourde et aveugle qui a abouti à une guerre perdue contre l’Empire ottoman, à l’issue de laquelle la Grèce n’a même pas été admise aux pourparlers de paix et a dû «remettre son sort à la magnanimité des grandes puissances». Par la suite, le pays a été placé sous une tutelle économique totale de ses créanciers.

En 1920, la Grèce qui faisait partie des vainqueurs de la 1re Guerre mondiale a reçu l’administration de territoires situés sur les rivages d’Asie Mineure et en partie peuplés de communautés helléniques, notamment Smyrne et sa région. Elefthérios Vénizelos, rénovateur de l’État fut accusé d’être l’«agent des puissances» et a perdu les élections qui ont suivi. Les conservateurs, revenus au pouvoir, ont poursuivi contre l’avis des puissances alliées, une guerre désastreuse contre la Turquie,à l’issue de laquelle, en 1922, plus d’un million de Grecs (soit entre 20 et 25% de la population totale de la Grèce) ont été déracinés et dû vivre dans un dénuement extrême en Grèce.

À l’issue de la faillite de 1932, les dissensions politiques entraînent une cascade de coups d’État, un début de guerre civile, puis une dictature qui durera jusqu’à la guerre. Durant la Seconde Guerre mondiale et l’occupation, la Grèce, dont les structures sociales étaient extrêmement fragilisées, a connu une famine qui va coûter la vie à près de 300.000 civils, phénomène unique en Europe. En 1946-1947, la gauche grecque, comptant sur «la solidarité des peuples», déclenche, contre l’avis du Kominform et de Staline lui-même, une guerre civile qui fera plus de 60.000 morts et aboutira, vingt ans plus tard, à la dictature des colonels.

Inutile de rappeler les événements entre 2010 et ce dimanche 5 juillet 2015, on peut en trouver la relation sur ce blog et ailleurs. Contentons-nous de dire que, durant les époques évoquées ci-dessus la Grèce a aussi été l’instrument de puissances impérialistes peu scrupuleuses, ce qui a servi de paravent partiel à l’insignifiance de ses dirigeants de tous bords. Aujourd’hui elle est (encore) membre d’une Confédération d’États à laquelle elle a librement adhéré. Au surplus, l’Union s’est montrée extrêmement (peut-être même trop) généreuse et solidaire de l’État grec depuis son adhésion. Les immenses transferts financiers (jusqu’à 4 % de son PIB chaque année) dont a bénéficié le pays depuis 1980 auraient pu lui permettre de forger une économie moderne, solide et, au bout du compte réellement sociale. Au lieu de cela, on peut dire sans exagérer que la Grèce n’a pratiquement fait, durant 35 ans, que gaspiller l’argent reçu, considérant l’Europe (et les marchés qui lui inconsidérément prêté) comme une vache à traire ou un organisme de charité.

«L’étranger» tient davantage à la Grèce que ses dirigeants

Y a-t-il une tendance suicidaire récurrente chez les Grecs, en particulier dans leur façon de se saisir des problèmes surtout lorsqu’ils sont graves ? La réponse est certes complexe, mais relève principalement de la psychologie collective déterminée, pour le cas de la Grèce, par l’éducation. Cette dernière, ainsi que les représentations sur la «place» du pays, relève en bonne partie de la pure mythologie nationaliste. Il en a été ainsi ailleurs, notamment en Europe occidentale. Mais cette dernière, en particulier depuis les années 1970, a évolué. L’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie, l’Irlande ou le Portugal se sont posé des questions. Pas la Grèce. Il suffit d’ouvrir ses manuels scolaires ou de parler avec une majorité des enseignants pour trouver les sources de ce nationalisme et de ce chauvinisme systématiquement inculqués depuis l’enfance. Il est urgent que le pays commence à songer à évoluer.

Indécisions, ambiguïtés puis raidissement absurde côté grec, manque de confiance des partenaires européens. L’accord auquel la Grèce et ses créanciers sont parvenus aujourd’hui sera douloureux pour le pays. Défendant samedi cette perspective devant son Parlement, Tsipras a enfin reconnu qu’il n’y avait pas d’alternative et qu’il faut choisir «le moindre mal». Mieux vaut tard que jamais, la Grèce semble vouloir rester européenne, mais son gouvernement le lui fait payer cher. Encore faudra-t-il respecter les engagements pris, surtout du côté grec, mais aussi européen.

L’absence d’un «pôle opposé», sur lequel les extrêmes auraient pu s’appuyer, semble heureusement avoir exclu l’éventualité d’un abandon de l’Europe dont les conséquences auraient été catastrophiques. Poutine, pour autant qu’il constitue un pôle (en aucun cas comparable avec l’URSS de la Guerre froide), n’a pas du tout envie de se charger du «canard boiteux» grec, fût-il un atout stratégique. Et à propos de stratégie, relevons la déclaration du mercredi 8 juillet de Jack Lew, secrétaire au Trésor américain : «Un éventuel effondrement de la Grèce serait une faute géopolitique».

Finalement, ce sont les partenaires de la Grèce, grâce au sérieux coup de main de la France et de la Commission, qui ont décidé de donner une ultime chance à la Grèce de se transformer en un Etat moderne et de se doter d’une économie fonctionnelle. «L’étranger» semble tenir davantage à ce pays que ses dirigeants de tous bords.

Catégories: Union européenne

Le Grexit temporaire, cet attrape gogo

ven, 17/07/2015 - 14:11

Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, veut la peau de la Grèce. Mais pour faire passer la pilule tant auprès des Grecs que des marchés, l’homme de fer de Berlin propose à la fois une restructuration de la dette (qu’il refusait jusque-là) et que la sortie soit seulement temporaire : au bout de cinq ans, la Grèce serait réadmise dans l’euro. Une illusion ou un mensonge, c’est selon : la sortie du pays serait définitive.

Que la sortie soit « temporaire » ou non, elle implique de toute façon un retour à la drachme. Comme les liens avec la Banque centrale européenne seraient immédiatement coupés, le manque de liquidités conduira les banques grecques à l’effondrement : le gouvernement sera donc contraint de les nationaliser (cela ne lui coûtera qu’une drachme symbolique...) afin d’éviter leur disparition. Pour les recapitaliser, faute d’argent européen, il devra saisir en partie les comptes bancaires encore détenus sur place par les Grecs.

Dans le même mouvement, Athènes mettra fin à l’indépendance de la Banque centrale grecque afin de piloter l’émission de la nouvelle drachme, ce qui sera l’affaire d’un mois, deux maximum, sans doute au taux de une drachme=un euro. L’euro sera alors une monnaie sans cours légal dans le pays.

Mais la valeur de la drachme s’effondrerait rapidement sur le marché. Pour rappel, le peso argentin a perdu 80 % de sa valeur face au dollar en un an lors de la rupture du lien qui l’unissait au billet vert en 2001. En clair, le pouvoir d’achat des Grecs suivrait le même chemin, la balance commerciale grecque étant gravement déséquilibrée (Athènes importe son énergie, mais aussi des produits agricoles et bien sûr les produits manufacturés). L’inflation atteindra rapidement des sommets. Ce sera l’euthanasie des épargnants, mais aussi celle des petites gens qui n’ont pas planqué des euros sous leur matelas ou à l’étranger. Afin de défendre la valeur de sa monnaie et de juguler l’inflation, le gouvernement sera tenté d’augmenter les taux d’intérêt, ce qui étranglera davantage une économie déjà exsangue.

La bonne nouvelle est que la Grèce sera soulagée d’une partie du fardeau de la dette, Berlin offrant de la restructurer. Ce qui permettra ainsi au pays de se financer à nouveau sur les marchés. Mais à quels taux ? Quel investisseur sera prêt à prendre des risques dans un tel chaos ? En clair, soit la Grèce se contente de ce qu’elle gagne, soit elle enrichit les marchés... jusqu’à la prochaine faillite.

Le pire est que la drachme ne permettra que d’acheter des produits locaux et encore. A la différence de l’Argentine, la Grèce change de monnaie alors que son économie est totalement « euroïsée ». Et elle le restera : les entreprises, qui devront payer les importations non pas en drachmes dévaluées, mais en euros ou en dollars, exigeront d’être payées en euros. Or, les Grecs en ont énormément en leur possession. En clair, la vraie monnaie du pays restera l’euro. C’est le vieux principe de « la bonne monnaie chasse la mauvaise »...

L’économie informelle, qui représente déjà sans doute plus de la moitié du PIB grec, explosera (l’euro n’ayant pas cours légal, les transactions se feront sous la table), ce qui privera l’Etat grec de recettes fiscales. Le gouvernement devra prendre des mesures brutales de contrôle et de surveillance de l’économie et de la société, sinon la Grèce deviendra vite un « fail State », ce qui est autre chose qu’un Etat dysfonctionnel. Bref, il faudra plus de cinq ans au pays pour espérer se redresser après un tel choc. Les critères de Maastricht lui resteront pour longtemps inaccessibles (taux d’intérêt, inflation, déficit, dette, indépendance de la Banque centrale) et il faudra encore plus longtemps pour que ses partenaires la réadmette (à l’unanimité) dans une zone euro qui, si elle survit, aura frôlé la catastrophe à cause d’elle. Athènes, si elle sort, ne pourra pas lancer : « I’ll be back ».

N.B.: article (version longue) paru dans Libération du 13 juillet

Catégories: Union européenne

Tsipras et le principe de réalité

lun, 13/07/2015 - 22:19

Vendredi dernier, il y a un siècle, le premier ministre grec Alexis Tsipras parvenait à faire adopter par son Parlement un programme de réformes dont on peinait à voir la différence avec celui que les Grecs avaient rejeté par référendum le dimanche précédent. Il faut dire que la faillite menaçait et que les autorités grecques commençait à comprendre que le coût en serait élevé. Voici le papier que j’ai écrit pour mon journal daté du 11 juillet.

La saga grecque ressemble au poème de Victor Hugo sur la bataille de Waterloo : soudain, « l’espoir changea de camp, le combat changea d’âme ». Alors que la Grèce semblait avoir définitivement emprunté la voix menant vers la sortie de l’euro à la suite du référendum de dimanche rejetant le programme de réformes proposées par la zone euro et le Fonds monétaire international (FMI), elle vient d’effectuer un virage sur l’aile qui la replace au centre du jeu et place sur la défensive les pays qui, comme l’Allemagne ou les Baltes, se réjouissaient de se débarrasser de ce « fardeau ». « Rien n’est encore joué », met cependant en garde un responsable français : « il faut encore que l’Allemagne et le camp des durs acceptent le plan grec et surtout soient convaincus qu’Alexis Tsipras ne tente pas une nouvelle fois de les rouler dans la farine comme cela a été le cas depuis cinq mois ».

C’est mardi soir, à la suite du sommet extraordinaire de la zone euro, que le gouvernement dirigé par le jeune leader de gauche radicale a compris qu’il n’avait même plus une paire de deux en main : ses dix-huit partenaires lui ont signifié qu’ils se préparaient à gérer un « Grexit » jugé inéluctable sauf nouvelles propositions convaincantes déposées d’ici vendredi minuit. Pis, un sommet européen à 28 a même été convoqué dimanche afin de mettre au point le scénario de sortie et l’organisation d’une aide humanitaire sans doute nécessaire suite à l’effondrement prévisible de son PIB. « Si l’Eurogroupe fonctionnait comme une démocratie parlementaire, tu serais déjà dehors, car la quasi-totalité de tes partenaires le souhaite », aurait glissé Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, à Alexis Tsipras.

Même avec un référendum gagné avec plus de 60 % des voix, le chef du gouvernement grec savait qu’il n’a pas été élu pour sortir son pays de l’euro et qu’il serait vite lâché par une population qui verrait son niveau de vie s’effondrer brutalement. Mais comment renouer les liens ? Heureusement pour lui, la Commission, dont c’est le rôle institutionnel, et la France, qui se bat depuis 2010 pour maintenir l’intégrité de la zone euro, ont offert leurs services pour aider le nouveau ministre des Finances, Euclides Tsakalotos, à rédiger un programme de réformes destiné à équilibrer durablement le budget grec et à bâtir un État fonctionnel et impartial capable de lever l’impôt. « La présence de Tsakalotos a beaucoup aidé : il est aussi dur idéologiquement que Yanis Varoufakis, son prédécesseur, mais il est poli, il argumente, il écoute, il tient parole », se réjouit un négociateur européen. Au final, le document de 13 pages présenté par Athènes vendredi soir ressemble comme deux gouttes d’eau à la version à laquelle étaient parvenus la Grèce et ses créanciers le vendredi 26 juin, juste avant l’annonce surprise du référendum. Celui-ci n’a d’ailleurs pas porté sur ce texte, mais sur celui, moins favorable, de la veille (notamment la TVA sur les hôtels était de 23 % alors qu’elle n’était plus que de 13 % le lendemain)…

Le plus étonnant est l’effort supplémentaire totalement inattendu consenti par Tsipras : alors que ses partenaires demandé des augmentations d’impôt et des coupes dans les dépenses de 8 milliards d’euros, il en consent 12, le tout sans toucher à l’Église orthodoxe et en limitant la casse pour le budget de la défense… « Il a réussi à trouver un milliard par jour de négociation », ironise Yannis Prétendéris, éditorialiste de Mega Chanel. La réforme des retraites reste au menu, tout comme l’alignement de la TVA sur les îles sur celle du continent, mais avec la possibilité de subventionner les transports vers les îles les plus pauvres. Bref, de « l’austérité » à tous les étages, mais avec la promesse d’un meilleur avenir.

« Très intelligemment, Athènes s’est engagée à entamer ses réformes dès lundi, sans attendre le versement de l’argent européen », analyse un responsable français. « De même, elle a renoncé à demander une diminution immédiate de sa dette, mais veut, comme on le lui proposait, entamer une discussion, ce qui évite de braquer l’Allemagne. De même, si elle a demandé un nouveau programme de 53 milliards d’euros sur trois ans, elle n’exclut pas de nouvelles conditions comme elle le faisait jusqu’à présent ». De fait, le paquet sur lequel l’Eurogroupe va se prononcer aujourd’hui, comportera quatre volets : les réformes, un nouveau programme destiné à la mettre à l’abri des marchés pour plusieurs années, un engagement à discuter de la soutenabilité de la dette et un programme d’investissement européen de 35 milliards sur trois ou quatre ans (il s’agit de sommes déjà inscrites dans le budget européen, mais qui seront versées plus vite et sans aucune condition de co-financement).

Si l’Eurogroupe donne son feu vert, un sommet des dix-neuf chefs d’État et de gouvernement aura quand même lieu dimanche : Alexis Tsipras en a politiquement besoin, tout comme Angela Merkel, qui devra sans doute tordre le bras de son ministre des finances, Wolfgang Schäuble, ou François Hollande. Il s’agira pour tous de montrer qu’il s’agit d’un compromis politique et pas seulement technique. Mais Tsipras n’en a pas fini avec l’ex-Troïka, désormais groupe de Bruxelles : l’argent ne sera versé qu’au compte-goutte en fonction des réformes accomplies.

Catégories: Union européenne

La zone euro, "une maison inachevée"

jeu, 09/07/2015 - 09:31

L’Allemagne et la Finlande sont furieuses : leurs partenaires de la zone euro sont passés outre leurs objections afin de boucler un accord avec la Grèce à la suite de la victoire du « non » au référendum. Soucieuse de garder le pays dans la zone euro, une large majorité de l’Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances) a renvoyé aux calendes grecques la réforme des retraites, ce qui laisse présager de nouveaux dérapages budgétaires, et a accepté une restructuration immédiate de la dette qu’ils détiennent. Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, et Alexander Stubb, son collègue finlandais, savent que leur majorité ne suivra pas. Alors qu’un sommet de la zone euro doit se réunir le lendemain pour acter ce compromis, en pleine nuit, les chefs de gouvernement allemand et finlandais décident de convoquer pour la semaine suivante un référendum afin de répondre à une simple question : « acceptez-vous de renoncer à une partie des prêts que l’Allemagne/la Finlande a consenti à la Grèce » ? La réponse ne fait guère de doute : ce sera nein/ei. Et un retour au point de départ.

Ce petit scénario de politique-fiction illustre l’impasse dans laquelle la Grèce a précipité la zone euro en décidant d’organiser un référendum purement national sur une question qui ne l’engage pas seule, celle des conditions auxquelles les aides financières de ses partenaires sont consenties. Si chaque gouvernement se met à jouer son peuple contre celui des autres, l’avenir de la monnaie unique est compromis : la France pourrait organiser un référendum sur le respect des 3 % du PIB de déficit public (réponse assurée), les pays riches sur les mesures de solidarité financière (réponse assurée), les pays pauvres sur l’instauration de transferts financiers obligatoires (réponse assurée), etc.. Comment refermer une telle boîte de Pandore ?

Lorsque la crise grecque a éclaté, en 2010, les Européens ont découvert ce qu’ils avaient voulu oublier en 1992 en signant le traité de Maastricht : la monnaie unique n’était que le premier pas vers une fédération politique, condition sine qua non pour assurer sa viabilité à long terme. À l’époque, les conditions politiques n’étaient pas remplies pour aller plus loin. Il fut donc seulement convenu que chaque État gérerait son économie et son budget en respectant un ensemble de règles communes (le Pacte de stabilité). Lors du passage à la monnaie unique, en 1999, le « choc fédéral » prévu par Hubert Védrine, ancien conseiller de François Mitterrand, n’a pas eu lieu. Les marchés, estimant que la zone euro allait devenir de facto les États-Unis d’Europe, ont prêté à tous les États membres à des conditions allemandes. Puisque tout allait bien, pourquoi aller plus loin dans l’intégration ? Il a fallu le choc de la crise financière de 2007-2008, puis la révélation du mensonge de la Grèce qui avait divisé par trois son déficit réel, pour qu’ils paniquent et cessent de prêter de l’argent aux pays les plus fragiles.

La zone euro s’est alors aperçue qu’elle était une « maison partiellement achevée », comme le note le rapport « Compléter l’union économique et monétaire européenne »présenté par les présidents des institutions communautaires au Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement de juin dernier : « lorsque la tempête a frappé, ses murs et sa toiture ont dû être rapidement renforcés ». En moins de deux ans, les États ont créé en tâtonnant les instruments nécessaires pour aider les pays attaqués par les marchés. Des prêts bilatéraux, on est passé au Fonds européen de stabilité financière puis au Mécanisme européen de stabilité doté d’une capacité d’emprunt de 750 milliards d’euros. La zone euro a renforcé sa gouvernance économique en se donnant les moyens de contraindre les États de respecter la discipline commune, ce qui passe par une intrusion plus grande dans les politiques nationales. Enfin, elle a confié la surveillance des banques à la BCE, les autorités nationales ayant eu tendance à cacher la vérité sur la situation réelle de leur système bancaire.

En dépit de tous ces progrès, on reste encore loin d’une véritable union politique. La zone euro est « un pain à moitié cuit », souligne ainsi Romano Prodi, l’ancien président de la Commission (1999-2004) : « Si l’Europe veut s’en sortir, elle doit réagir immédiatement en se dotant d’une authentique autorité fédérale ». C’est le sens du rapport des « cinq présidents » (Commission, Parlement, Conseil européen, Eurogroupe, BCE) qui propose d’achever l’union monétaire : contrôle démocratique de la Commission et de l’Eurogroupe par un Parlement de la zone euro, surveillance renforcée des économies et des budgets nationaux, création d’un budget de la zone euro afin « d’atténuer les chocs macroéconomiques » et enfin d’un « Trésor européen ». Pour Romano Prodi, cette fédéralisation, qui aboutirait en réalité à placer sous tutelle les politiques économiques nationales, est le seul moyen de sortir d’une zone euro gouvernée par des États « otages de leurs problèmes politiques internes », comme le démontre la Grèce.

Mais on peut se demander si la zone euro ne fait pas fausse route en s’ingérant toujours davantage dans les affaires intérieures des États membres. Car ce schéma n’empêchera pas une répétition du référendum grec par un État mécontent de telle ou telle mesure. Pour Daniel Cohn-Bendit, ancien président du groupe vert au Parlement européen, « aux États-Unis, il y a un budget fédéral qui finance des dépenses fédérales (armée, police, recherche, investissement, etc.). Les États fédérés, eux, restent maîtres de leur budget, sans ingérence possible du fédéral. Et lorsque la Californie frôle la faillite, ce dernier n’intervient pas : à elle de s’en sortir ». Pourquoi ne pas transposer ce modèle, puisque les dépenses et les recettes des États resteront votées par des parlements nationaux, ce qui ne peut que faire naitre des tensions entre le niveau fédéral chargé de forcer les budgets nationaux à converger et le niveau étatique ? À chaque niveau de gérer ses affaires.

Dans le cas grec, une fédéralisation à l’américaine aurait abouti à laisser le pays faire défaut, la zone euro se contentant de venir en aide à la population (grâce à des dépenses fédérales) et l’Union bancaire permettant d’éviter tout effet systémique aux faillites des banques grecques. La potion aurait été encore plus amère et brutale pour les Grecs (il aurait fallu couper du jour au lendemain 36,3 milliards d’euros de dépense sur 84 milliards pour équilibrer le budget), mais personne n’aurait pu accuser l’Europe de quoi que ce soit. Le seul référendum qu’aurait pu organiser un gouvernement aux abois aurait été un référendum de sécession.

N.B.: version longue de l’article publié dans Libération du 6 juillet

Catégories: Union européenne

Grexit: tu veux ou tu veux pas?

mar, 07/07/2015 - 10:03

Le gouvernement grec affiche une tranquille assurance : fort du « non » massif obtenu dimanche, il va pouvoir revenir à la table de négociation pour conclure un nouveau compromis bien plus favorable qui lui permettra de conserver sa place au sein de la zone euro. Il se sent d’autant plus en position de force qu’il est certain que jamais ses partenaires n’oseront prendre le risque d’un Grexit qui risquerait de déstabiliser la zone euro dans son ensemble. Athènes devrait expliquer dès aujourd’hui à ses partenaires ce qu’il veut, puisqu’ils ont convoqué un Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances plus le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne) suivi d’un sommet des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro. Preuve de sa bonne volonté, Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, a procédé à un « Varoufexit » préalable en limogeant son ministre des finances, Yanis Varoufakis qui a réussi à se mettre tous ses partenaires à dos. Pas sûr que ses partenaires l’entendent de cette oreille. Trois scénarios sont possibles.

· La séparation à l’amiable

Les autorités européennes avaient prévenu qu’un « non » au projet de compromis négocié entre la Grèce et ses créanciers (zone euro et FMI) signifierait une sortie de la monnaie unique. « Il n’y a que la France, l’Italie et la Commission qui veulent vraiment reprendre le fil de la négociation », dit-on à la Commission. Les autres veulent faire payer à Tsipras son coup de poker. Le ton a été donné dès dimanche soir par le gouvernement allemand : pour Sigmar Gabriel, le vice-chancelier social-démocrate, reprendre les négociations lui paraît « difficilement imaginable », Tsipras ayant « coupé les derniers ponts ». Le référendum « est un rejet du principe qui a guidé les aides aux pays européens en difficultés) selon lequel la solidarité et les efforts sont indissociables », a estimé Steffen Seibert, le porte-parole d’Angela Merkel. Les petits pays pauvres de la zone euro (les trois pays baltes, la Slovaquie, la Slovénie) ou ceux qui ont aussi dû redresser leurs comptes publics (Portugal, Irlande, Chypre) sont tout aussi intraitables. Les conservateurs européens, réunis au sein du PPE, proposent déjà la mise en place d’une « aide humanitaire » pour amortir le choc d’un Grexit.

Ces pays sont d’autant moins enclins à l’indulgence qu’ils ont peur de créer un précédent: dans le futur, chaque pays faisant faillite pourrait être tenté de faire appel à son peuple pour s’exonérer des règles communes ou pour obtenir un effacement total ou partiel de sa dette. Autant dire que la victoire du « non » a renforcé le camp des durs qui, non seulement ne croient plus un mot de ce que dit le gouvernement Syriza (gauche radicale), mais sont persuadés qu’un Grexit n’affectera que marginalement une zone euro qui s’est considérablement renforcée depuis 2010 et a montré qu’elle avait capable de régler les problèmes des autres pays en crise. Le calme des marchés depuis 10 jours semble leur donner raison.

Devant l’impossibilité de trouver le moindre terrain d’entente, Athènes pourrait accepter une séparation amiable afin de limiter les dégâts. Cette sortie serait présentée comme « temporaire », le temps pour le pays de se réformer, ce qui lui permettrait d’assurer son maintien dans l’Union (les aides régionales et la politique agricole commune pèsent 4 % du PIB grec), une sortie de l’euro allant de pair avec une sortie de l’Union. Surtout, la Grèce obtiendrait le soutien de la BCE, ce qui permettrait aux banques grecques de tenir jusqu’à la réintroduction de la drachme.

· L’accord

C’est le scénario de rêve auquel personne n’ose plus croire, après cinq mois de douches froides à répétition. Mais cette fois-ci Tsipras va pouvoir négocier fort du soutien de tout un peuple qui veut rester dans l’euro et de la majorité des partis représentés au Parlement qui lui ont donné mandat de négocier pour la Grèce. Ce qui était inacceptable avant le référendum pourrait devenir acceptable dans ces conditions, l’extrême gauche de Syriza devant reconnaître que la légitimité de son chef ne dépend plus d’eux… « On a peu de temps pour y arriver à cause de l’échéance du 20 juillet : à ce moment, il faudra que la Grèce ait reçu de l’argent pour rembourser la BCE, ce qui implique l’approbation préalable de plusieurs parlements ».

Si Tsipras a soumis à référendum la version de l’accord du 25 juin et non celle plus favorable du 26 juin, c’est peut-être pour se ménager une marge de manœuvre dans le but de parvenir à un accord rapide. De toute façon, en supposant que ses partenaires soient prêts à conclure, ils ne pourraient que lui concéder que quelques miettes supplémentaires dans le temps imparti.

En réalité, c’est sur la dette que Tsipras veut obtenir quelque chose de tangible : même si la les prêts accordés par Européens ne pèsent pas sur le budget grec, puisqu’un moratoire jusqu’en 2023 assorti d’une baisse des taux a été consenti fin 2012, c’est son remboursement futur qui explique l’exigence d’un surplus budgétaire primaire (avant charge de la dette) important dans les années à venir. Les Européens avaient déjà envisagé de faire un geste supplémentaire (notamment en allongeant les prêts de 30 à 50 ans) si l’accord avait été scellé le 27 juin. Mais, après le scrutin de dimanche, la donne s’est compliquée : toute concession apparaitra comme une prime donnée à ce coup de poker de Syriza. Le ministère allemand des Finances a déjà affirmé qu’un allègement de la dette grecque n’était « pas un sujet » pour clore le sujet…

· La sortie désordonnée

« Personne ne veut prendre la responsabilité politique de mettre la Grèce dehors », note-t-on à la Commission. « Si Tsipras n’arrive pas avec un plan convaincant, il est probable qu’on va simplement laisser les choses pourrir ». En clair, attendre l’étranglement du pays : même si la BCE maintient sa ligne de liquidités d’urgence (ELA) à son niveau actuel (plus 90 milliards) au mépris de ses règles internes (lire ci-contre), « il ne reste plus qu’entre 500 millions d’euros et un milliard d’euros dans les coffres grecs », souligne Wolfango Piccoli, économiste au Think tank Teneo intelligence. En clair, si Francfort n’augmente pas ce plafond, les banques ne pourront plus alimenter les DAB et le contrôle des capitaux sera renforcé. Selon une source du gouvernement grec, dès aujourd’hui, les retraits quotidiens devraient passer de 60 à 20 €… Les fonctionnaires et les retraités ne devraient pas être payés à la fin du mois. « On est en train de couper tous liens entre les succursales des banques grecques en Bulgarie et en Roumanie et leur maison mère », reconnaît-on à Bruxelles. La BCE maintiendra sans doute jusqu’au 20 juillet sa ligne ELA, mais pas après le non-remboursement des 3,5 milliards qu’Athènes lui doit. La faillite du système bancaire grec ne sera plus alors qu’une question de jours.

Le gouvernement n’aura alors d’autres choix que d’émettre une monnaie parallèle, les fameux IOU (I owe you), des reconnaissances de dette auprès de l’État. Mais cela ne pourra qu’être temporaire avant le retour pur et simple à la drachme. La Grèce ne serait pas pour autant débarrassée de sa dette qu’elle devra négocier avec ses créditeurs si elle ne veut pas que ceux-ci, pour se rembourser, saisissent tous ses biens à l’étranger (y compris avions et bateaux) et rendent impossible ses transactions internationales (un achat de pétrole nécessite un paiement qui pourra être saisi). Et cela est valable que le Grexit soit amiable ou pas : aucun pays ne peut s’exonérer de sa dette unilatéralement.

N.B.: article (version longue) paru dans Libération d’aujourd’hui

Catégories: Union européenne

L'Europe contre les peuples, vraiment?

dim, 05/07/2015 - 13:40

Le référendum serait-il devenu l’expression la plus aboutie de la démocratie, bien plus légitime qu’un système représentatif accusé de tous les maux ? C’est manifestement devenu le cas en France où une majorité de la gauche, radicale ou non, mais aussi la droite radicale et l’extrême droite, a applaudi des deux mains l’annonce du référendum grec (dont le principe a été approuvé par la gauche radicale de Syriza, la droite radicale d’ANEL et les néo-nazis d’Aube Dorée). Les critiques portées, en Europe (mais aussi en Grèce) contre ce scrutin organisé à la va-vite par un gouvernement aux abois, sont vues comme la preuve que l’Union serait incompatible avec la seule démocratie qui vaille, la démocratie référendaire.

Le débat est particulièrement virulent en France où les blessures du référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005 sont toujours vives. Les tenants du « non » sont persuadés de s’être fait voler « leur » victoire par « Bruxelles », le traité de Lisbonne de 2009 étant la copie quasi-conforme du texte qu’ils avaient rejeté. Les précédents danois et irlandais, des pays qui ont dû revoter deux fois pour finalement adopter l’un le traité de Maastricht de 1992, l’autre le traité de Nice de 2001 et le traité de Lisbonne de 2009, sont venus alimenter une accusation récurrente qui fait le miel des eurosceptiques : « l’Europe » est une affaire technocratique qui n’aime pas ses peuples. La sortie maladroite de Jeroen Dijsselbloem, le ministre social-démocrate des finances et patron de l’Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances de la zone euro) n’en est-elle pas la preuve ? « C’est une triste décision pour la Grèce, car cela a fermé la porte à la poursuite des discussions », a-t-il lancé.

Il est intéressant de constater que ce débat n’existe pas, ou pas dans les mêmes proportions, dans les autres pays de l’Union. C’est notamment le cas aux Pays-Bas qui ont pourtant rejeté, le 1er juin 2005, par une majorité de plus de 60 %, le traité constitutionnel européen : pourtant, pas plus qu’en France, les autorités politiques de ce pays n’ont jugé utile de convoquer un second référendum. C’est aussi le cas en Irlande et au Danemark, deux autres pays réticents à l’intégration communautaire pour des raisons différentes.

Ceux qui accusent « Bruxelles » de ne pas respecter le suffrage populaire ou de reconvoquer les électeurs « jusqu’à ce qu’ils disent oui » se trompent de cible. La décision de négocier un traité puis de le ratifier par voie parlementaire ou référendaire appartient aux seuls États et non aux institutions communautaires fort dépourvues de compétence en la matière. En Allemagne ou en Belgique, par exemple, le référendum est inconstitutionnel. Aux Pays-Bas, au Luxembourg ou en Espagne, il est purement consultatif. Renégocier ou non un texte rejeté soit par le Parlement, soit par les citoyens est aussi une prérogative souveraine. En France, c’est Nicolas Sarkozy qui a fait campagne, en 2007, en promettant de faire adopter un autre traité pour relancer l’Europe. Si la France avait voulu s’y opposer, elle aurait pu le faire sans problème, chaque État disposant d’un droit de véto. Au Danemark et en Irlande, dans les deux cas, ce sont les gouvernements qui ont décidé de renégocier le traité rejeté, mais ce sont les citoyens qui ont ratifié cette nouvelle version : le Danemark a ainsi obtenu un opt out sur la monnaie unique et l’Irlande la garantie que l’Union ne lui tordrait pas la main pour autoriser l’avortement ainsi que le maintien d’un commissaire par État membre (au lieu d’une Commission réduite…).

Si un gouvernement décide de ne rien demander, les choses resteront en l’état. Ainsi, la Suède a demandé à ses citoyens s’ils voulaient rejoindre l’euro et, le 14 septembre 2003, 56 % d’entre eux ont répondu « non ». Depuis ce pays n’a pas rejoint la monnaie unique alors qu’il remplit tous les critères. Pourtant, Stockholm a violé la légalité communautaire puisqu’elle ne bénéficiait pas d’un « opt out » formel comme la Grande-Bretagne et le Danemark : en approuvant par référendum, le 13 novembre 1994 son adhésion à l’Union, ce pays acceptait, du même coup, de rejoindre l’euro dès qu’il verrait le jour… De même, on l’oublie trop souvent, toutes les adhésions à l’Union ont été soumises à référendum (sauf en Grèce, au Portugal, en Espagne et à Chypre) et un pays, la Norvège, a voté par deux fois non : en 1972 et en 1994. En 1972, fait sans précédent et sans héritage, la France a même organisé un référendum pour faire approuver l’adhésion de l’Irlande, de la Grande-Bretagne et du Danemark. Bref, au regard de cet historique, accuser une nébuleuse « Bruxelles » de tout faire pour étouffer la voix des peuples n’a guère de sens. Chaque pays organise sa vie politique comme il l’entend.

Pour autant, on ne peut nier que l’exercice référendaire pose un réel problème à l’intégration européenne dès lors qu’elle ne concerne pas la question de l’adhésion. Comme la consultation est organisée dans un cadre national, cela revient à confier à un peuple l’avenir de tous les autres. Dans le cas de la Grèce, par exemple, 11 millions de personnes vont décider de la survie de l’euro (et de la reprise économique), un sujet qui concerne un ensemble de 330 millions de personnes et de 19 États membres. Dès lors que la question posée concerne une compétence communautaire, la seule voie qui vaille, si on estime qu’un référendum est une nécessité démocratique, est celle défendue par Daniel Cohn-Bendit ou Guy Verhofstadt, respectivement ancien patron des verts et président du groupe libéral du groupe libéral du Parlement européen, celle d’une consultation transnationale portant sur une même question. Et si une majorité renforcée (par exemple les ¾ des États comme aux États-Unis) l’adopte, le sujet est tranché. À défaut, si un pays estime ne plus pouvoir accepter de nouveaux transferts de compétences, il ne devrait poser qu’une question et une seule à son peuple : rester ou partir.

N.B.: article paru dans Libération du 4 juillet.

Catégories: Union européenne

Grèce: l'Union indique la sortie à Tsipras

ven, 03/07/2015 - 16:46

Plus rien ne semble pouvoir empêcher un « Grexit », une sortie de la Grèce de la zone euro, sauf un improbable vote positif des Grecs au référendum convoqué dimanche 5 juillet. Si tous les Etats de la zone euro, les institutions communautaires et le Fonds monétaire international (FMI) répètent sur tous les tons que « la porte à une reprise des négociations reste ouverte », il n’est pas question de convoquer un énième sommet de la dernière chance et de se réconcilier autour d’un miraculeux « plan B ». Le seul « plan B », en réalité, c’est le Grexit, et les partenaires d’Athènes ont tenu à faire passer le message : « Si la Grèce dit non, la Grèce dit non à l’Europe », a répété à deux reprises Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, hier, lors d’une conférence de presse. « L’enjeu (du référendum, NDLR) est de savoir si les Grecs veulent rester dans la zone euro », lui a fait écho François Hollande, le Président français. Et, dramatisant encore davantage l’enjeu, Angela Merkel, la chancelière allemande, estime que le « Grexit » menace la zone euro : « si l’euro échoue, l’Europe échoue ».

La bataille autour de la question qui sera soumise à référendum est en réalité la clef de la bataille qui se joue, car, espèrent les Européens, elle pourrait changer le sens de la réponse. Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, a en effet décidé de demander à ses citoyens, non pas s’ils veulent rester dans la zone euro, la réponse ne faisant guère de doute, mais leur avis sur un texte extrêmement technique négocié entre Athènes, la Commission, la Banque centrale européenne (BCE) et le FMI qui porte sur les « actions prioritaires » que devra mener le gouvernement grec en échange d’une aide financière. C’est un cocktail de hausses d’impôts, de coupes dans les dépenses publiques, de réformes structurelles (retraites, administration, fiscalité, lutte contre la corruption, etc.). Même si, comme on le note à la Commission, « il respecte les lignes rouges de Syriza puisqu’il n’y a pas de baisse des retraites et des salaires », il faudrait avoir la foi européenne chevillée au corps pour le voter : accepter une augmentation des cotisations sociales et de la TVA, une limitation des préretraites, un recul de l’âge légal de la retraite de 62 à 67 ans, cela ne va pas de soi…

Pis : la version retenue par Tsipras pose un réel problème, puisqu’il a choisi celle du jeudi 25 juin, beaucoup moins favorable que celle du vendredi 26 juin. Et ce texte avait encore vocation à être modifié dans la journée de samedi, ce qui n’a pu être fait, l’annonce du référendum au milieu de la nuit ayant gelé les travaux. Les négociateurs grecs ont d’ailleurs été cueillis à froid, selon des sources européennes : l’ambiance était bonne et tout le monde était persuadé qu’on allait parvenir à un compromis samedi soir. On était à « quelques centimètres » d’un accord, a regretté, hier, Pierre Moscovici, le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires.

Cette interruption des négociations a empêché l’Eurogroupe de samedi d’adopter les autres éléments du « paquet » final : un calendrier pour discuter de la soutenabilité de la dette grecque, une prolongation du programme d’assistance financière avec une augmentation de 7,2 milliards à 15,5 milliards d’euros des fonds versés à Athènes, ainsi qu’un plan d’investissement sur 4 ans de 35 milliards d’euros (comprenant les aides régionales déjà promises à Athènes, mais qui auraient pu être versées sans aucune conditionnalité). Or, les citoyens grecs n’auront aucun de ces éléments en leur possession, puisqu’on leur demande de se prononcer sur un texte qui n’existe plus (celui du 25 juin) et sur une partie seulement du paquet qui aurait dû être conclu samedi, ce qui donne toutes ses chances à un non pour lequel le gouvernement va faire campagne. « C’est contre la vérité, contre le déroulement des discussions » que de tronquer ainsi la question, s’est indigné Juncker.

C’est pour cette raison que les partenaires d’Athènes ont décidé de dramatiser l’enjeu du scrutin en s’adressant directement aux électeurs grecs : au-delà d’un texte technique, c’est l’avenir de la Grèce dans la zone euro qui se jouera dimanche. « Il ne faut pas se suicider parce qu’on a peur de la mort », a ainsi lancé Juncker : « Il faut voter oui, indépendamment de la question posée » pour « dire oui à l’Europe ». En clair, le référendum n’est pas un joker dans une négociation post-5 juillet, ce que cherche à vendre le gouvernement d’Alexis Tsipras, mais un point final. « Si le gouvernement grec s’imagine qu’un non lui permettrait d’obtenir davantage de flexibilité, il se trompe lourdement », a expliqué à Libération Michel Sapin, le ministre français des Finances : « cela va créer une crispation et trois quarts de l’Eurogroupe se montrerait encore plus durs »… « Le non, c’est la pente de la sortie », ajoute le ministre français. D’ailleurs, même si la zone euro et le FMI voulaient faire d’ultimes concessions afin de peser sur l’issue du référendum, ils seraient bien en peine de les faire, puisqu’Alexis Tsipras a rompu les discussions sans dire sur quels points la « ligne rouge » avait été franchie.

Ainsi, le gouvernement grec avait accepté mercredi l’augmentation de la TVA sur la restauration à 23 %, mais avait refusé que celle applicable à l’hôtellerie dépasse 13 %. Ce qui avait été acté. De même, il avait été convenu que le complément pour les « petites » retraites (petites car prises après 15 ans de carrière), qui fonctionnait comme un incitant aux pré-retraites, serait revu dans le cadre d’une réforme plus vaste du système. Alors ? Est-ce la taxation des armateurs exigée par les créanciers ? Les coupes dans le budget militaire elles-aussi demandées par le groupe de Bruxelles ? On murmure à Bruxelles que Tsipras aurait paniqué à la suite d’une prise de bec avec son allié de droite radicale, le souverainiste d’ANEL Panos Kammenos, ministre de la Défense, qui l’aurait menacé de rompre l’accord de coalition s’il acceptait un quelconque compromis. La seule voie de sortie qui semble désormais acceptable aux yeux du gouvernement grec serait que ses créanciers lui versent l’argent promis sans contrepartie ou, du moins, en se contentant de son engagement de mener à bien des réformes. Inacceptable pour la totalité de ses partenaires.

En réalité, « seul un oui permettrait désormais d’accorder davantage de flexibilité à la Grèce », confie un responsable gouvernemental : « Tout le monde aura envie de se montrer compréhensif ». Mais qui y croit encore ? Les noms d’oiseaux commencent à voler, les gouvernements de la zone euro, les institutions communautaires, le FMI étant à la fois épuisés, usés et en colère contre un gouvernement grec qu’ils ne comprennent pas après cinq mois de négociations. Juncker a réglé quelques comptes hier, manifestement en colère : « On entend parler d’ultimatum, d’accord à « prendre ou à laisser » (…), de chantage. Mais qui agit ainsi ? D’où viennent les insultes, les menaces, les quiproquos, les phrases non terminées qui portent à l’imagination de ceux qui les écoutent très très loin, trop loin ». Manifestement, la Commission, mais aussi les Etats membres ont décidé de faire campagne et de ne pas laisser les mains libres à Alexis Tsipras qui joue à pile ou face l’avenir de la zone euro.

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 30 juin

Catégories: Union européenne

Grexit: quel effet sur la zone euro?

ven, 03/07/2015 - 16:34

Et si la Grèce quittait la monnaie unique? Alors que le pays n’a pas remboursé 1,5 milliards d’euros au FMI le 30 juin à minuit (le non paiement le plus important de l’histoire de l’institution), quel serait l’effet d’un «Grexit» sur la zone euro? Deux scénarios fictions extrêmes.

1/ Le scénario noir

C’est celui que tout le monde craint, celui de la contagion. Une crainte sur laquelle a d’ailleurs parié Alexis Tsipras pour contraindre ses partenaires à lui accorder un compromis qui lui soit favorable. En vain, même s’il s’avère qu’il a eu raison : la Grèce entraine dans sa chute ses dix-huit partenaires. La zone euro encaisse d’abord un choc économique au moment du Grexit (« Greece exit »). La timide reprise est ébranlée, car la confiance s’effondre : les ménages mettent de l’argent de côté pour parer à toute éventualité et les entreprises suspendent leurs projets d’investissement avant d’y voir plus clair. Fin 2015, la zone euro est de nouveau en récession, avec des conséquences dramatiques pour l’emploi, notamment dans les pays les plus fragiles (France, Italie, Espagne, Portugal). Le second choc est politique : la monnaie unique n’est plus irréversible. Autrement dit, investir en Allemagne ou au Portugal, ça n’est plus la même chose et il faut donc distinguer selon les pays. C’est la panique : les bourses plongent, car on se débarrasse des actions des entreprises que l’on imagine les plus exposées et les taux d’intérêt des obligations d’État des pays les plus fragiles se tendent. Le Portugal et l’Espagne, en pleine convalescence, trinquent, tout comme l’Italie et la France, désormais considérée comme un maillon faible. Le spread (écart de taux d’intérêt) entre Paris et Berlin flambe, les marchés se réfugiant dans les pays les plus sûrs, ceux de l’ancienne zone mark.

La Banque centrale européenne (BCE) et le Mécanisme européen de stabilité (MES) interviennent en rachetant à tour de bras toutes les dettes d’État dont les investisseurs se débarrassent. Ils parviennent non sans mal à calmer le jeu, mais les écarts de taux restent importants : les coûts d’emprunt de la France et de l’Italie se sont envolés, ce qui gonfle la charge de la dette et accroit le déficit. Surtout, les bilans de la BCE et du MES se gorgent de dettes des pays du sud, ce qui revient en partie à en faire supporter le risque à l’Allemagne et aux autres pays « vertueux ». Outre-Rhin, les voix, notamment au sein de la Bundesbank, s’élèvent contre cette dérive de l’union monétaire : le risque devait rester national, or il se communautarise. Au nom de quoi l’Allemagne prendrait-elle le risque d’assumer un jour une faillite italienne et française ? Un pur fantasme ? Pas tant que ça : le choc économique qui a suivi le Grexit ayant surtout touché les pays du sud de la zone euro, leurs finances publiques se dégradent rapidement au rythme du ralentissement économique. D’autant qu’il leur a fallu supporter leur part des pertes dues au défaut grec : 331,4 milliards d’euros au total dont 70 milliards pour la France et 61,5 milliards pour l’Italie… Les gouvernements hésitent à serrer les boulons : en France, l’élection présidentielle de 2017 approche et il ne faut pas donner de grain à moudre au FN. Les tensions au sein de la zone euro s’accroissent. Les opinions publiques décrochent : au sud, parce que la solidarité paraît à jamais compromise, au nord, au contraire, parce que l’on craint cette solidarité avec de nouvelles Grèce potentielles. Les marchés commencent à fuir cette zone euro qui apparaît chaque jour plus fragile : elle qui n’a pas su régler le problème grec qui pesait à peine 2 % de son PIB, pourra-t-elle encaisser un choc italien ou français ? Le temps de l’euro semble compté.

2/ Le scénario rose

Les marchés ont largement intégré le départ de la Grèce, on en est persuadé à Bruxelles et à Francfort. Ils ont compris qu’il ne s’agissait pas d’une malfaçon de la zone euro, mais d’un problème purement grec, son incapacité à se doter d’un État fonctionnel propre à lever l’impôt et à imposer des réformes. L’Irlande, le Portugal, l’Espagne et Chypre, des pays qui ont connu des difficultés en 2010 et ont bénéficié de l’assistance financière européenne, sont tous revenus sur les marchés et ont renoué avec une solide croissance. Même Chypre est en voie de rémission. Ces précédents ont convaincu les investisseurs que la solidarité fonctionnait au sein de la zone euro et que les États avaient tous la ferme volonté politique de respecter la règle du jeu commune. Sauf la Grèce. Et ceux qui en doutent encore sont tenus en respect par le canon de la BCE, qui a augmenté son programme rachat de dettes publiques de 60 milliards par mois à 100 milliards pour faire face au choc de la sortie de la Grèce, et le bazooka du MES (750 milliards d’euros de capacité d’emprunt). Les quelques Hedge Fund qui se sont risqués à prendre des positions contre les dettes des pays périphériques ont été rincés. L’Union bancaire a aussi permis d’écarter toute attaque contre les banques, la supervision confiée à la BCE rassurant les marchés. Sonnés par le Grexit, les États membres de la zone euro serrent les rangs : il n’est plus question de jouer au cavalier solitaire.

Les dix-huit décident immédiatement de mettre le rapport des « cinq présidents » (Commission, Parlement européen, Conseil européen, Eurogroupe et BCE) du 26 juin 2015 intitulé : « compléter l’Union économique et monétaire européenne ». L’Union bancaire est rapidement achevée et l’union des marchés de capitaux lancée, la convergence budgétaire et économique rendue encore plus contraignante, le parlement de la zone euro créé. Des progrès qui montrent aux opinions publiques que l’euro est vraiment leur monnaie, qu’ils la contrôlent démocratiquement, ce qui permet aux Dix-huit de lancer une réforme des traités afin de créer un budget de la zone euro doté d’une capacité d’emprunt (Trésor de la zone euro). Cinq ans après le « Grexit », la zone euro n’a jamais été aussi forte, désormais solidement plantée sur ses deux jambes, monétaire et économique. Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, est ravi. Il s’est passé exactement ce qu’il espérait : partisan depuis longtemps d’une zone euro réduite, il a toujours pensé qu’il fallait réparer certaines erreurs passées dont l’admission de la Grèce dans la zone euro, en 2001, a été la principale. Pour lui, mais aussi pour Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank, le Grexit devait servir de leçons aux pays tentés de ne pas suivre les règles du jeu de l’Union monétaire et indiquer au reste du monde que la zone euro est une affaire de gens sérieux qui tiennent leur parole. La France, en particulier, a entendu le message et a renoué avec des comptes à l’équilibre. L’euro est désormais la première monnaie de réserve du monde et même le prix du pétrole est calculé en euros

N.B.: article paru dans Libération daté du 29 juin

Catégories: Union européenne

Le "Grexit" au bout de la semaine?

lun, 29/06/2015 - 23:44

Si Alexis Tsipras pensait faire plier ses partenaires de la zone euro, ou au moins les diviser, en annonçant, dans la nuit de vendredi à samedi, un référendum (le 5 juillet) sur un compromis qui n’existe pas, c’est totalement loupé. C’est exactement le contraire qui s’est passé au cours de l’Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances) convoqué samedi dans l’espoir de boucler un accord avec la Grèce destiné à lui assurer une nouvelle aide financière de plus de 15 milliards d’euros, un plan d’investissement de 30 à 35 milliards d’euros, le tout assorti d’un calendrier de renégociation de la dette grecque en échange de réformes structurelles, de hausses d’impôt et de coupes dans les dépenses publiques. Ce référendum « ferme la porte à la poursuite des discussions », a tranché le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem et patron de l’Eurogroupe. La Vouli, le parlement monocaméral grec, a adopté la loi autorisant le référendum dans la nuit de samedi par une très large majorité de 178 voix contre 120 (sur 300 sièges). Le Grexit redouté est désormais au bout de la semaine, voire avant, sauf rebondissement en Grèce.

Que s’est-il passé ?

Personne ne comprend le brutal raidissement d’Alexis Tsipras : « on était à deux doigts d’un accord », affirme une source proche des négociations. « Tout le monde pensait qu’on allait conclure. À la demande des Grecs, on a convoqué, lundi, un Eurogroupe et un sommet de la zone euro, puis un nouvel Eurogroupe mercredi, puis jeudi. Le Conseil européen de jeudi et vendredi a aussi permis de progresser et c’est pour ça qu’on a convoqué un nouvel Eurogroupe samedi ». Mais, à la surprise générale, Tsipras a annoncé au milieu de la nuit de vendredi à samedi la tenue d’un référendum sur le texte de compromis tel qu’il existait jeudi, après avoir prévenu quelques minutes auparavant François Hollande et Angela Merkel, (Jean-Claude Juncker, lui, plongé dans un profond sommeil, n’ayant pas décroché). « Or, ce texte a changé vendredi pour tenir compte des demandes grecques. Ce référendum est sans objet », ajoute cette même source. Pire : « les Grecs sont partis au pire moment, avant qu’on parle de la soutenabilité de la dette, de l’extension du programme (au-delà du 30 juin) » et du plan d’investissement, s’est étonné Jeroen Dijsselbloem. En effet, si le texte est négocié par le « groupe de Bruxelles » (les représentants de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI)), seuls les ministres des Finances sont habilités à parler des autres questions. « Tout était sur la table de négociation » afin « d’aboutir à un accord global et durable », insiste Michel Sapin : « mais le gouvernement grec n’a pas souhaité que la négociation continue ».

Au cours de la réunion à haute tension qui a débuté en début d’après-midi, aucun pays de la zone euro, mis à part la France, n’a plaidé pour une poursuite du programme d’assistance financière au-delà du 30 juin, la date convenue lors d’un premier accord conclu avec la Grèce le 24 février. Tsipras l’avait pourtant demandé afin de permettre à son pays de tenir jusqu’au référendum : sans ce cadre – qui est une promesse que la Grèce acceptera de procéder à des réformes afin d’équilibrer son budget-, la BCE ne peut pas continuer à alimenter les banques grecques en liquidités (ELA ou ligne de liquidités d’urgence dont le plafond approche désormais les 100 milliards d’euros).

Les Européens, lassés par cinq mois de vaines négociations, ont refusé de lui faire ce cadeau. Il fera son référendum, mais l’Europe ne lui tendra pas la main, ce qui risque de précipiter son pays dans une crise bancaire et économique… À quoi bon continuer la discussion dès lors que le gouvernement grec a décidé de soumettre à référendum un texte datant de jeudi et auquel il a décidé d’appeler à voter non ? « On ne peut pas étendre un programme dont un pays ne veut pas puisque le gouvernement grec a d’ores et déjà décidé d’appeler à voter non », s’est justifié le ministre des Finances français, Michel Sapin.

La rupture a donc été rapidement consommée. L’Eurogroupe a été suspendu, le temps que Yanis Varoufakis, le ministre grec, quitte la salle, et la réunion a ensuite continué pour évoquer les conséquences d’un défaut grec, désormais inéluctable, et les mesures à prendre pour éviter une contagion au reste de la zone euro. Pour la première fois, un communiqué de l’Eurogroupe, qui signe la fin du programme d’assistance à la Grèce, a été adopté par seulement dix-huit ministres des Finances qui, au passage, rappelle « les importants transferts financiers et l’aide apportée à la Grèce au cours des dernières années ». Le Grexit, souhaité par plusieurs ministres, dont l’Allemand Wolfgang Schäuble, est désormais dans toutes les têtes.

Que va-t-il se passer la semaine prochaine ?

La BCE va se réunir dimanche. Selon toute probabilité et en l’absence de programme, elle va décider (à la majorité des deux tiers de ses 25 membres) d’interrompre l’alimentation des banques grecques en liquidités : « poursuivre cette aide, c’est encourager le bank run, c’est-à-dire le retrait d’argent par les Grecs, aux frais des contribuables européens. Rien que cette semaine, les 1,6 milliard d’euros prêtés aux banques grecques ont été immédiatement retirés par les épargnants. C’est un puits sans fond », nous confie une source européenne. Si la Grèce adopte une loi ce dimanche prévoyant la fermeture des banques dès lundi et la mise en place d’un strict contrôle des capitaux, la BCE pourrait de nouveau intervenir pour éviter les faillites bancaires que la Grèce seule n’a pas les moyens d’éviter faute d’argent (elle n’a pas accès aux marchés et les caisses sont vides). Mais cela n’est pas certain, les durs de la BCE pouvant faire valoir que l’attitude de Tsipras exclut un retour à la normale avant longtemps. Surtout, les banques grecques ne sont plus solvables à la suite du retrait massif d’argent de ces derniers mois.

Si jamais la Grèce n’adopte pas un contrôle des capitaux, la zone euro va se couper de tous les canaux la reliant au système financier grec pour éviter la contagion d’un effondrement du système financier grec. En clair, si la Grèce ne s’isole pas elle-même, c’est la zone euro qui l’isolera. Dans le second cas, le système bancaire grec va vite s’effondrer faute d’argent frais. Selon plusieurs experts, ce sera une affaire de jours et non de semaines… Ce qui aura un effet immédiat sur le tissu économique grec, alors que le pays est déjà retombé en récession (on attendait 3 % de croissance cette année): les faillites d’entreprises vont se multiplier, faute de crédit, et les Grecs ne pourront plus retirer d’argent. Cette asphyxie programmée du système bancaire risque aussi d’affecter la saison touristique qui a déjà commencé. On imagine le marasme et la panique dans lequel va se dérouler le référendum.

Cela étant, la zone euro insiste sur le fait que les négociations peuvent reprendre à chaque instant : « les portes sont ouvertes », a martelé Jeroen Dijsselbloem, « ce ne sont pas les institutions qui ont quitté la table de négociations la nuit dernière, c’est le gouvernement grec ». Tous les gouvernements ont tenu le même discours : l’accord est proche, il suffirait de quelques heures pour le boucler.

Sur quoi va porter le référendum ?

Il semble que la question portera sur le projet de compromis dans sa version de jeudi. Le problème est que ce texte est déjà dépassé (par exemple, vendredi, les créanciers ont accepté de limiter l’augmentation de la TVA sur l’hôtellerie à 13 % au lieu de 23 %). Surtout, ce texte n’a plus aucune existence légale depuis samedi, puisque le programme prend fin le 30 juin, ce qui signifie que l’offre des créanciers est caduque. Même si le résultat est positif, il faudra reprendre les négociations sans garantie que le texte final sera identique à celui de vendredi. Surtout, les Grecs vont se prononcer sur un texte qui ne porte ni sur la restructuration de la dette, ni sur le plan d’investissement promis, ni sur l’extension du programme (avec un doublement de la somme de 7,2 milliards promise). Ce référendum est donc un tantinet surréaliste. La seule question qui vaille, en réalité, devrait porter sur l’appartenance de la Grèce à la zone euro.

Le « oui » peut-il l’emporter ?

Même si les Grecs sont massivement attachés à l’euro (entre 70 % et 80 %), le résultat ne fait guère de doute. « Si j’étais Grec, je voterais non à ce texte », confie un diplomate d’un grand pays, « puisqu’il ne comporte que des hausses d’impôts et des coupes dans les dépenses publiques. En soi, il ne veut rien dire, puisqu’il n’est pas accompagné des mesures qui donnent un horizon au pays. Mais le gouvernement grec se gardera bien de le dire et ça n’est pas à la zone euro de faire campagne ». Si par miracle le « oui » l’emportait, Tsipras serait dans une situation inconfortable et devrait sans doute convoquer de nouvelles élections après un tel désaveu. Et là, tout est possible.

Vers le Grexit ?

« Il n’y a pas de mode d’emploi pour une sortie de la zone euro, car personne n’avait prévu une telle situation. On est dans les figures libres », confie une source européenne. On peut donc très bien imaginer que la Grèce reste formellement dans la zone euro, mais ne dispose plus d’euros fournis par la BCE. Il faudra donc qu’elle émette en parallèle une nouvelle monnaie (après avoir repris le contrôle de sa banque centrale, ce qui l’exclura de facto de la BCE) afin de payer les salaires des fonctionnaires et les retraites. Mais cette nouvelle drachme, qui circulera parallèlement à l’euro, n’aura de valeur que pour les biens et les services produits par la Grèce, ce qui limitera considérablement son pouvoir d’achat : tous les produits importés (ou comportant une part d’imports) devront être payés en euros sonnants et trébuchants. Et la Grèce importe beaucoup, des produits agricoles aux produits technologiques en passant par les médicaments. La Grèce serait dans la situation de Cuba qui connaît aussi une double circulation monétaire, le peso local qui ne vaut rien et le peso convertible (CUC) dont la valeur est proche de celle du dollar qui permet seul l’accès aux produits de « luxe »… La Grèce, privée d’accès à l’euro, peut aussi choisir de partir d’elle-même. Dans les deux cas, sa situation ne sera guère brillante, car elle n’aura pas accès avant longtemps aux marchés financiers : elle devra vivre avec ce qu’elle produit.

Un risque de contagion ?

C’est la question à mille euros. Jeroen Dijsselbloem a insisté sur la solidité de la zone euro qui disposerait désormais des moyens de « préserver son intégrité ». En particulier, le Mécanisme européen de stabilité (MES), doté d’une capacité d’emprunt de 750 milliards d’euros, pourra intervenir pour venir en aide à un pays attaqué par les marchés et la BCE est lancée dans un programme de rachat massif des dettes d’État de 60 milliards par mois qui permettra de juguler une éventuelle panique des marchés. « Ils ont intégré depuis longtemps le risque d’un Grexit, mais on ne peut jamais savoir comment ils réagiront », confie une source européenne. Néanmoins inquiet, l’Eurogroupe a décidé d’accélérer son intégration en suivant les recommandations du rapport des cinq présidents (Commission, Parlement européen, Eurogroupe, BCE, Conseil européen) dont les chefs d’État et de gouvernement ont pris connaissance vendredi. Un mal pour un bien ? C’est l’espoir auquel on se raccrochait à Bruxelles, samedi soir.

Catégories: Union européenne

Grèce: Christine Lagarde, le bad cop du FMI

sam, 27/06/2015 - 17:11

Christine Lagarde a remplacé Angela Merkel dans le Panthéon grec de l’impopularité. Un exploit, car la chancelière allemande (et les Allemands en général) avait plusieurs longueurs d’avance sur la directrice générale du Fonds monétaire internationale (FMI). Mais, le 16 juin Alexis Tsipras, le jeune premier ministre grec, a clairement désigné son nouvel ennemi : devant la Vouli, le parlement monocaméral grec, il a dénoncé la « responsabilité criminelle » de l’organisation dirigée par Lagarde dans la situation de son pays. Deux jours plus tard, celle-ci lui répondait sèchement en demandant que la Grèce envoie enfin des « adultes » pour négocier. Pas démonté, Tsipras a remis le couvert le 24 juin en l’accusant de ne pas chercher réellement un compromis, mais de « servir des intérêts particuliers », comprenez ceux de ses adversaires politiques…

« Il y a un problème FMI », confirme un diplomate européen dans les couloirs du sommet qui a eu lieu à Bruxelles jeudi et vendredi. Alors que la zone euro affichait lundi soir son optimisme, après qu’Alexis Tsipras ait enfin proposé une série de réformes, dont la plupart à l’opposé de ses engagements électoraux, Christine Lagarde a jeté un froid en corrigeant rudement sa copie. Pour elle, la Grèce, en procédant surtout à des hausses d’impôts au détriment des coupes dans les dépenses publiques, allait étouffer son économie déjà flageolante… « C’était une négociation surréaliste, car le FMI ne semble plus savoir ce qu’il veut », raconte un diplomate proche des négociations. « Ainsi, il voulait une hausse de la TVA sur la restauration à 23 %, une mesure que rejetait Tsipras à cause de son effet récessif. On lui a expliqué que cela lui permettra de trouver les 900 millions qui manquent pour parvenir à un deal. Il négocie durement avec sa majorité et finalement accepte. Mais à ce moment le FMI explique qu’il a refait les calculs et qu’à cause de l’effet récessif, cette mesure va seulement ramener 300 millions et qu’il faut augmenter la TVA ailleurs. De quoi devenir dingue, non ? »

La Commission a depuis longtemps pris ses distances avec les « fanatiques » de l’organisation de Washington, mais sans jamais s’épancher sur la place publique. « Le Fonds est dans une posture idéologique », dénonce un eurocrate : « par exemple, il estime qu’un assouplissement du marché du travail est bénéfique par principe. Mais en Grèce, le chômage est à 25 % et même le patronat ne le demande pas. Même chose sur les retraites, il faut les réformer, mais pas en 3 mois : ça se prépare, ça se négocie, on ne passe pas à la hussarde ». Mais, pour le FMI, la Commission a une vision bisounours du monde, celle où on essaye de ménager toutes les susceptibilités et de ne fâcher personne. Lui, il n’a pas ces états d’âme : lorsqu’il intervient pour éviter à un pays la faillite, il a l’habitude de prendre les commandes du pays et de tailler à la hache pour que le plus dur soit fait rapidement. Les Britanniques, qui ont dû l’appeler à l’aide en 1976, sont encore traumatisés par son intervention qui a préparé l’avènement de Thatcher : mieux vaut faire soit même les réformes plutôt que d’attendre les « hommes en noir »…

Leur boîte à outils est simple : des prêts à court terme pour permettre à l’État aidé de continuer à payer ses fins de mois, des coupes dans les dépenses publiques, des hausses d’impôts, une restructuration de la dette et une dévaluation de la monnaie, ce qui est censé remettre le pays sur pied avec des comptes publics en ordre, une compétitivité restaurée, une dette soutenable. Le problème est que cette boite à outils n’est pas adaptée à la Grèce : la monnaie ne peut pas être dévaluée et ses partenaires de la zone euro ont exclu une nouvelle restructuration de la dette grecque après celle de 2012 (115 milliards d’euros de perte pour les créanciers privés). Et pour ne rien arranger, les réformes n’ont été que partiellement mises en œuvre par Athènes, les différents gouvernements se heurtant à de fortes résistances internes. Or, les règles internes du FMI sont strictes : pour prêter, il faut que la dette soit soutenable, ce qui n’est pas le cas de la dette grecque qui continue d’augmenter. Donc il faut davantage couper dans le budget afin de dégager des marges pour permettre ce remboursement, même si cela accroit le marasme économique. Bête et méchant. « Alors que nous, les Européens, on s’en fiche », explique-t-on à Paris. « On sait qu’on rendra cette dette perpétuelle par de l’ingénierie financière et qu’elle ne sera pas intégralement remboursée. Mais ça, le FMI ne peut l’entendre ».

On ne peut pas faire l’injure à Christine Lagarde, ancienne ministre française des Finances, de ne pas comprendre le piège dans lequel elle risque de faire tomber et la Grèce et la zone euro. Mais elle n’est pas libre de faire ce qu’elle veut : son board est composé d’une majorité de pays infiniment plus pauvres que la Grèce qui encaissent mal le traitement de faveur qui lui a été accordé, jamais aucun pays n’ayant reçu une telle aide. Beaucoup estiment que si les recettes du FMI ne fonctionnent pas, c’est de la faute des Grecs : on le pense en Allemagne, en Finlande ou aux Pays-Bas, qui soutiennent l’approche du FMI, mais aussi en Afrique, en Amérique Latine et en Asie. Lagarde, en campagne pour sa réélection, et certaine de bénéficier du soutien des Européens, n’a aucune intention de se couper de son board en lui tordant le bras. En supposant qu’elle en ait l’autorité suffisante. Ce dont doutent plusieurs observateurs, après qu’elle se soit plainte de ne plus pouvoir contrôler son négociateur en chef, le Danois Poul Thomsen, qui ne cache pas son mépris des Grecs après cinq ans de négociations épuisantes.

N.B.: article paru ce matin dans Libération

Catégories: Union européenne

Aux racines de la crise grecque

sam, 27/06/2015 - 00:33

Syriza s’est fait élire en promettant la fin de l’austérité. Ce parti de gauche radicale prétend, et il n’est pas le seul en Europe, qu’elle est imposée de l’extérieur par la zone euro et le Fonds monétaire internationale et affirme qu’une « autre politique » est possible. Or, disons-le brutalement, cela n’est pas le cas. L’histoire sans fin qu’est la crise grecque a fait oublier son point de départ : en 2009, Athènes affichait une dette de 134,6 % du PIB et un déficit de 15,3 % du PIB. Dit comme cela, ça ne paraît pas grave. En chiffre absolu, cela signifie que ce pays de 11 millions d’habitants dépensait 36,3 milliards d’euros de plus qu’il ne disposait de revenus ! 36,4 milliards d’euros alors que la France a le plus grand mal à faire 4 milliards d’économies. C’était loin d’être un accident : dès l’accession au pouvoir du socialiste Andreas Papandreou, le déficit grec a plongé dans les abîmes (-8,7 % en moyenne entre 81 et 99) dont il n’est sorti qu’à la suite d’un trucage des comptes publics destiné à qualifier le pays pour l’euro. Une fois dans la monnaie unique, en 2001, la fête a repris de plus belle. Par exemple, les salaires des fonctionnaires ont augmenté de 126 % entre 2000 et 2009.

En 2010, les marchés financiers ont refusé de lui prêter davantage d’argent. La Grèce n’a alors eu d’autre choix que d’équilibrer son budget, ce qui passait par des coupes dans les dépenses publiques et des hausses d’impôts, mais aussi par la réforme d’un État clientéliste, bureaucratique, corrompu, incapable de lever l’impôt.

La zone euro et le FMI, en intervenant, ont permis à la Grèce d’éviter une faillite brutale qui aurait risqué de contaminer le reste de la zone et de déstabiliser le système bancaire européen. En échange, ils lui ont demandé non seulement de se réformer, mais aussi d’adapter ses dépenses à ses faibles revenus réels, l’Europe n’ayant pas vocation à les financer. C’est douloureux, nul ne le conteste, mais quelle était l’alternative ? Même si les Européens s’étaient contentés d’assister au naufrage grec, il aurait quand même fallu qu’Athènes équilibre son budget en coupant 36,4 milliards d’euros de dépenses. Et, pour le coup, pas sur cinq ans, mais dans la minute… Sans compter que les banques auraient fait elles aussi faillite, ce qui aurait fait perdre aux Grecs leur épargne.

La politique d’austérité n’est donc rien d’autre qu’un ajustement budgétaire rendu nécessaire par le refus des marchés de prêter de l’argent à un pays qui s’est endetté en oubliant de produire de la richesse. L’Irlande, le Portugal, l’Espagne ou encore, hors zone euro, la Lettonie sont aussi passés par là, et, curieusement, cela n’a guère suscité de compassion.

Ceux qui imputent l’austérité à l’Europe oublient de dire ce qu’il aurait fallu faire. Et on le comprend : en réalité, pour préserver le niveau de vie de la Grèce, et faute pour elle de disposer d’une économie compétitive et d’un accès aux marchés, la seule solution aurait été que les citoyens européens acceptent de lui verser chaque année sans contrepartie 36 milliards d’euros afin de financer ses dépenses… Pas facile à vendre.

Catégories: Union européenne

Grèce: des négociations au finish

jeu, 25/06/2015 - 21:05

Depuis jeudi dernier, le malade grec a mobilisé : jeudi, un Eurogroupe (les ministres des Finances de la zone euro, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne) ; lundi, un Eurogroupe suivi d’un Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro ; mercredi soir, un Eurogroupe ; aujourd’hui : un Eurogroupe suivi d’un Conseil européen et sans doute, demain ou lundi, d’un nouvel Eurogroupe. Sans compter les réunions techniques, les réunions à deux, à trois, à quatre. Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, a quasiment planté sa tente au rond-point Schumann à Bruxelles, à mi-chemin de la Commission et du Conseil européen…

Les négociations entre la Grèce, d’une part, la zone euro et le FMI, d’autre part, ont largement battu les records de durée de l’histoire communautaire. Cela fait cinq mois que le gouvernement Syriza/Anel (gauche radicale/droite radicale) discute avec ses créanciers, sans guère de résultat. Or, l’horloge tourne inexorablement : il ne reste plus que cinq jours avant le 30 juin, date d’expiration du second programme d’aide financière et date à laquelle Athènes devra rembourser 1,6 milliard d’euros au FMI, une somme qu’elle ne pourra payer que si ses créanciers lui versent les 7,2 milliards promis. Les plus anciens comparent cet affrontement aux marathons agricoles des années 70 au cours desquels les Six de l’époque s’empaillaient sur la fixation des prix, encouragés à l’intransigeance par des manifestations de paysans souvent violentes. Jacques Chirac aimait raconter l’un de ses exploits : avoir réussi à tenir sept jours et sept nuits à Luxembourg, alors jeune ministre de l’Agriculture de Georges Pompidou…

Pourquoi ça coince ?

Dimanche soir, Alexis Tsipras a envoyé à ses partenaires un projet de compromis signé de sa main, une première. Un geste apprécié, car en cinq mois la valeur de la parole grecque s’est effondrée, les négociateurs, tant au niveau technique qu’au niveau politique (celui de Yanis Varoufakis, le ministre des Finances), ayant souvent été contredit par Athènes quelques heures après avoir conclu un accord à Bruxelles. La méfiance a atteint un tel sommet que le négociateur en chef du FMI, le Danois Poul Thomsen, s’est contenté, ces derniers jours, d’envoyer un fonctionnaire junior ne disposant d’aucune autorité… Ambiance.

Lundi soir, après la réunion du Conseil européen de la zone euro convoquée en urgence vendredi dernier, tout le monde pariait sur un accord, la Grèce ayant fait un effort important pour non seulement équilibrer son budget, mais dégager un excédent budgétaire primaire (avant charge de la dette), certes sérieusement revu à la baisse par ses partenaires : les mesures proposées étaient censées rapporter 2,69 milliards d’euros en 2015 et 5,2 milliards en 2016 (2,87 % du PIB). Las : dès le lendemain, le FMI a passé le projet grec au karcher. Publié par le Wall Street Journalet le Financial Times, le document revu et corrigé ressemblait à une copie d’étudiant barrée de rouge par un professeur acrimonieux… Un rien humiliant pour la partie grecque.

Sur le fond, l’organisation dirigée par Christine Lagarde, soutenue depuis par la zone euro, reproche au compromis grec de miser essentiellement sur des hausses d’impôts frappant, notamment, les entreprises et d’oublier les coupes dans les dépenses, ce qui risque d’étouffer définitivement la reprise économique. Le compromis grec donne, de fait, l’impression de vouloir préserver à tout prix les retraites (le régime étant gravement déficitaire) et la fonction publique au détriment de l’économie réelle et de l’avenir de sa jeunesse.

Parmi les points de désaccord : la trop forte hausse de l’impôt sur les sociétés, la taxe spéciale de 12 % sur les bénéfices des entreprises supérieurs à 500.000 euros ou encore la taxe sur les jeux. En revanche, les créanciers estiment qu’il faut que la réforme de la TVA permette de dégager un gain de 1 % du PIB (la Grèce propose 0,74 %). Dans le viseur, en particulier : le passage de 6 à 23 % de la TVA sur la restauration (Athènes a accepté que la TVA sur les hôtels passe de 6,5 % à 13 %). Au chapitre des coupes dans les dépenses, les créanciers exigent une accélération de la réforme des retraites, avec notamment un recul de l’âge de la retraite de 62 à 67 ans et à 40 annuités dès 2022 (et non 2025) et une augmentation des cotisations sociales dont les retraités étaient exonérés jusqu’à présent. Ils veulent aussi des économies plus conséquentes dans le budget de la défense (de 200 à 400 millions).

Pourquoi la zone euro refuse-t-elle de restructurer la dette grecque ?

Pour ne rien arranger, la zone euro refuse de faire le geste qui permettrait à Tsipras d’avaler une pilule nettement plus amère qu’attendu : répéter leur engagement de novembre 2012 d’examiner la soutenabilité de la dette grecque, ce qui ouvrirait la porte à une restructuration (sous forme d’un allongement des remboursements de 30 à 50 ans). Même si la dette détenue par les États et le Mécanisme européen de stabilité (195 milliards d’euros sur 251,5 milliards d’euros) ne pèse pas sur les finances publiques grecques pour l’instant (moratoire sur les intérêts jusqu’en 2023 et maturités portées à 30 ans), elle explique pourquoi les créanciers exigent un excédent budgétaire primaire : il s’agit de dégager de l’argent pour un futur remboursement au détriment de la relance…

Mais affirmer trop clairement que la zone euro va encaisser une perte risque de compromettre l’approbation de l’éventuel compromis par plusieurs Parlements nationaux, en Allemagne, en Finlande (dont la nouvelle majorité est très remontée contre toute aide à la Grèce) ou aux Pays-Bas. D’autant qu’il va sans doute falloir remettre une vingtaine de milliards au pot pour éviter à Athènes un retour prématuré sur les marchés. Bref, si la restructuration de la dette est une urgence politique pour Tsipras, elle est un épouvantail politique pour la plupart de ses partenaires, même si ceux-ci ne se font pas d’illusions.

Quelles sont les marges de manœuvre d’Alexis Tsipras ?

Le projet de compromis du gouvernement grec a mis en fureur l’aile gauche de Syriza, à tel point que Tsipras a dû retirer, mercredi soir, deux mesures qu’il proposait, dont l’augmentation des cotisations sociales sur les retraites (que les créanciers jugent déjà insuffisantes…). Il faut dire que la marge de manœuvre du Premier ministre grec est très étroite : entre 40 et 45 % de ce conglomérat de petits partis d’extrême gauche (maoïstes, trotskistes, communistes staliniens, eurocommunistes) et d’anciens cadres du PASOK (parti socialiste) sont clairement en faveur d’une rupture avec « Bruxelles » et le FMI, assimilés à des forces d’occupation dignes du nazisme, d’un retour à la drachme et à la constitution d’un nouveau front des « non-alignés » version 2015 qui irait de Caracas à Pékin en passant par La Havane, Moscou et Athènes. Ainsi, ce matin, Panagiotis Lafazanis, le ministre de l’Énergie, représentant du courant le plus dur de Syriza, a même affirmé que la Grèce devait tourner la page de l’euro et chercher ailleurs de nouvelles alliances…

La majorité du parti, elle, est réaliste, mais est loin d’être convaincu par les bénéfices de l’intégration communautaire : elle savait surtout que pour se faire élire, les Grecs étant massivement attachés à l’euro, Syriza ne devait pas attaquer directement la monnaie unique, mais l’austérité. Ces « Européens » espéraient que les créanciers, effrayés par les risques de contagion d’un éventuel « Grexit », accepteraient un compromis qui leur serait défavorable. Ils se sont rapidement rendu-compte qu’ils se trompaient lourdement : d’accord pour laisser les Grecs choisir les coupes budgétaires et les augmentations d’impôts nécessaires pour équilibrer le budget, d’accord pour redonner des marges de manoeuvre budgétaires à la Grèce en revoyant à la baisse l’exigence d’un excédent primaire (avant charge de la dette), mais pas question de courir le risque d’un nouveau déficit d’ici un an ou deux, ce qui impliquerait un nouveau plan de sauvetage... Tsipras n’a d’ailleurs trouvé aucun allié en Europe et s’est même mis à dos les pays de la zone euro les plus pauvres qui ont contribué au sauvetage de son pays et estiment que la Grèce n’a pas été jusqu’au bout de la purge nécessaire (Lettonie, Lituanie, Estonie, Slovaquie, Slovénie, Portugal). L’Allemagne, le bouc émissaire facile, est donc loin d’être isolée au sein de la zone euro…

Si le soutien de son parti est fragile, Tsipras peut compter sur celui de l’opinion qui lui est largement favorable, ce qui lui donne de l’air. Selon un sondage GPO-Mega Channel effectué la semaine dernière, plus de 56 % des Grecs sondés (contre 36,4 %) estiment que ce sont les créanciers qui sont responsables d’une absence d’accord, 54,3 % contre 43,8 % approuvent la façon dont les négociations ont été menées par le gouvernement et 47,3 % estiment que Syriza devra rester au pouvoir en cas d’échec. Et, cerise sur le gâteau, en cas d’élections anticipées, il obtiendrait le même score qu’en janvier dernier alors que Nouvelle Démocratie (conservateurs) ne recueillerait que 23 % des voix, soit un écart de treize points... De quoi faire rentrer dans le rang une partie des députés Syriza qui seraient tentés par une fronde à la Vouli, le parlement monocaméral grec.

Reste-t-il encore du temps ?

Très peu : même si la Grèce parvient à rembourser le FMI le 30 juin, elle sera confrontée à une nouvelle échéance le 20 juillet, date à laquelle elle doit rembourser 3,5 milliards d’euros à la Banque centrale européenne (des obligations rachetées sur le marché secondaire et qui arrivent à échéance). Le pays sera donc en défaut de paiement soit le 30 juin, soit le 20 juillet… Sauf un éventuel compromis auquel tout le monde affirme encore croire.

Catégories: Union européenne

Grèce/zone euro/FMI : les acteurs de la négociation

mer, 17/06/2015 - 16:38

La partie d’échecs qui se joue entre la Grèce, d’une part, la zone euro et le Fonds monétaire international (FMI), d’autre part, est sur le point de s’achever. Si aucun accord sur les coupes budgétaires et les augmentations d’impôts à accomplir n’est trouvé rapidement (1), Athènes ne recevra pas l’argent promis (7,2 milliards d’euros) et elle ne pourra pas rembourser les 1,6 milliard d’euros qu’elle doit au FMI et les 6,7 milliards qu’elle devra verser à la Banque centrale européenne (BCE) en juillet : elle sera en défaut de paiement et ce sera un saut dans l’inconnu qui pourrait conduire le pays à abandonner l’euro.

Depuis cinq mois, le processus de négociation n’a cessé d’être confus. Fin février, le gouvernement d’Alexis Tsipras a accepté tout un catalogue de réforme en échange d’une prolongation du second plan d’aide jusqu’au 30 juin. Ensuite, pendant plus de deux mois, il ne s’est strictement rien passé : « pour négocier, il faut être deux. Or, les Grecs écoutaient nos demandes, rentraient à Athènes et revenaient avec une proposition qui ne répondait à aucun de nos objectifs », soupire un diplomate européen. Finalement, Alexis Tsipras a remanié son équipe de négociation, mais les avancées que les Européens et le FMI croyaient avoir actées à Bruxelles ont continué à être infirmées par Athènes quelques jours plus tard. « La parole grecque n’a jamais été notée AAA. Mais aujourd’hui, elle est au niveau d’une obligation pourrie (junk bond) », ironise un proche des négociations.

Les négociations sont d’autant plus difficiles à suivre qu’elles se déroulent à huis clos et que les intervenants sont multiples. Chacun envoie des messages contradictoires, d’où l’accumulation de bulletins de « victoire » suivis d’annonces de catastrophe imminente. Afin de vous aider à vous y retrouver, je me suis s’est plongé dans les maquis bruxellois, athénien et washingtonien afin d’identifier les pièces de cette partie d’échecs dont l’enjeu est le maintien d’Athènes dans l’euro.

• • Les créanciers

- Le FMI se montre le plus intransigeant à l’égard de la Grèce. Il exige notamment une réforme immédiate du système de retraite, de fait insoutenable (un actif pour deux inactifs alors qu’il faudrait trois actifs pour un inactif pour que le régime soit à l’équilibre) et une forte augmentation de la TVA. Son souci est d’éviter que les comptes publics grecs ne replongent dans le rouge, ce qui l’obligerait à intervenir à nouveau. Or, l’institution de Washington est excédée par la Grèce : beaucoup de pays pauvres et émergents n’ont pas digéré le traitement de faveur qui lui a été accordé, jamais l’institution n’ayant aidé dans de telles proportions un pays en difficulté, surtout un pays riche comparé au reste du monde… Christine Lagarde, la directrice générale et ancienne ministre des Finances françaises, doit donc tenir compte de cet équilibre politique interne lorsqu’elle négocie au sein de l’Eurogroupe, l’enceinte qui réunit les dix-neuf ministres des Finances de la zone euro.

Au quotidien, le travail de négociation est assuré par le danois Poul Thomsen, le directeur « Europe » du FMI. C’est un dur de dur, le seul membre de la « Troïka » (Fonds, BCE, Commission), l’organe chargé de négocier les programmes de réformes que la Grèce doit appliquer en échange d’une aide financière, qui est là depuis le début de la crise, en 2010. « Il est devenu au fil du temps très insultant à l’égard des Grecs », regrette une source européenne : « après cinq ans, la Grèce est devenue son combat personnel et ça nous complique la tâche ». Sa voix pèse d’autant plus que le FMI doit apporter 3,2 milliards sur les 7,2 milliards promis à la Grèce.

- Aux côtés du FMI, la zone euro est représentée à la fois par la Commission, la Banque centrale européenne et les États membres, chacun ayant des préoccupations différentes.

° Ainsi, la Commission essaye d’être dans le rôle de l’honnête courtier afin de sauvegarder à tout prix l’unité de la zone euro. À la manœuvre, au niveau politique, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen, et le Français Pierre Moscovici, le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires. Au premier, le contact quotidien avec Paris, Berlin et Francfort, au second avec la Grèce et le FMI. Curieusement, le vice-président chargé de l’euro, le Letton Valdis Dombrovskis, est totalement absent : alors que Juncker espérait qu’il ferait le lien avec la Finlande et les Baltes, qui sont parmi les plus exigeants à l’égard de la Grèce… Juste en dessous, trois personnages plus discrets sont à la manœuvre : l’Allemand Martin Selmayr et le Français Luc Tholoniat, respectivement chef de cabinet et conseiller économique de Juncker, et le Français Olivier Bailly, chef de cabinet de Moscovici.

Au quotidien, c’est Declan Costello, directeur à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission, qui négocie avec les Grecs au sein de la Troïka, rebaptisé « groupe de Bruxelles ». C’est un homme de compromis qui n’est clairement pas du côté des durs du FMI : en tant qu’Irlandais, il a mesuré les ravages de l’austérité imposée par le redressement des finances publiques de son pays et il ne veut pas pousser le bouchon trop loin. Mais il doit aussi compter avec son directeur général, l’Italien Marco Butti, et l’un de ses subordonnés, un autre Italien, Gabriel Giudice, chef de l’unité Grèce à la Commission. Son CV parle pour lui : comme chef de mission en Lettonie, il a mis en musique la très dure politique d’austérité décidée par le Premier ministre de l’époque, un certain… Valdis Dombrovskis, afin d’éviter (avec succès) la faillite de la petite République balte… Costello rend compte de toutes ses activités à Moscovici et à Juncker qui le soutiennent.

° Du côté de l’Eurogroupe, les deux personnalités clefs sont son président, le ministre des Finances néerlandais Jeroen Dijsselbloem, et l’austro-américain Thomas Wieser, le patron de l’Euroworking group, l’instance de préparation de l’Eurogroupe qui réunit les directeurs du Trésor de la zone euro. Ces deux hommes représentent des pays particulièrement réticents à toute aide supplémentaire à la Grèce.

° La BCE, plus en retrait depuis que l’Italien Mario Draghi en a pris les rênes fin 2011, est représentée par le Français Benoit Coeuré, membre du directoire. Tout comme son patron, c’est un homme de compromis, soucieux de maintenir la Grèce dans la zone euro.

Tous ces négociateurs se retrouvent dans plusieurs enceintes : le « groupe de Bruxelles », au niveau technique, où siègent la Commission (Declan Costello), le FMI (Poul Thomsen), la BCE, le Mécanisme européen de stabilité (MES) et le négociateur grec, Georges Chouliarakis. Le « groupe de Washington » dont le but est de faire entrer les États membres dans la danse : aux côtés de Marco Butti, Poul Thomsen, Benoit Coeuré, Thomas Wieser, on retrouve les directeurs du Trésor allemand, français, italien et espagnol. Et, enfin, le « groupe de Francfort », qui réunit Christine Lagarde, Benoit Coeuré et Pierre Moscovici afin de coordonner la position des « institutions ».

À ces différents aréopages, il faut bien sûr ajouter les États membres et surtout l’Allemagne et la France : la chancelière Angela Merkel et le président François Hollande ont dû s’impliquer, à leur corps défendant, dans une négociation qu’ils auraient voulu laisser à leur ministre des finances. Ils entretiennent désormais un dialogue serré avec Alexis Tsipras qui réclame depuis son élection un traitement « politique » de la crise grecque. Merkel a même pris sur elle de marginaliser son très intransigeant grand argentier, Wolfgang Schäuble, qui était prêt à tenter le Grexit pour mettre à genoux Syriza… Les autres capitales sont aussi aux aguets, puisqu’au final, ce sont elles qui devront approuver tout compromis négocié avec la Grèce. Or, si Berlin est régulièrement cloué au pilori en Grèce, c’est loin d’être le pays le plus dur : les trois Baltes, la Slovaquie, la Slovénie, l’Autriche, les Pays-Bas ou encore l’Espagne le sont bien plus. Tous ces acteurs, tous ces groupes entretiennent des dialogues parallèles entre eux et avec Athènes, ce qui entretient l’impression de cacophonie…

• • La Grèce

Face à la multiplicité des créanciers, on pourrait s’attendre à une plus grande cohésion de l’unique débiteur. Il n’en est rien, tant la majorité qui dirige la Grèce est divisée. À la fois entre Syriza et ANEL, le parti de droite radicale souverainiste dirigé par Panos Kamenos, le ministre de la Défense, auquel Alexis Tsipras a choisi de s’allier, et entre l’extrême gauche communiste anti-européenne de la confédération de partis qu’est Syriza (entre 40 et 45 % des membres du comité central et environ 30% des députés) et les pro-européens rangés derrière le Premier ministre. Ce dernier doit donc naviguer entre ces forces centrifuges qui devront, au final, approuver un éventuel compromis lors d’un vote à la Vouli, le parlement monocaméral grec. Tsipras ne peut pas se permettre trop de défections, vu l’étroitesse de sa majorité (162 sièges sur 300, dont 13 députés d’ANEL). S’il peut compter sur le soutien du centre gauche de To Potami, d’une partie du Pasok (socialiste) et des conservateurs, une déperdition de plus de 13 sièges signifierait qu’il n’a plus de majorité, ce qui l’obligerait à convoquer des élections anticipées…

Alexis Tsipras veut donc parvenir à un compromis avec ses créanciers, mais en faisant le moins de concession possible pour le rendre acceptable par son parti et ANEL. Pour ce faire, il a tâtonné. Dans un premier temps, il a laissé le champ libre à son ministre des finances, Yanis Varoufakis, qui s’est surtout signalé par ses déclarations à l’emporte-pièce qui l’ont rendu insupportable à l’ensemble des ses collègues de la zone euro : « lui et son équipe sont des brutes », dit un négociateur européen. Mais, dans le même temps, Tsipras a chargé l’un de ses proches, un discret et compétent maitre de conférence en intégration économique européenne à l’université de Manchester, Georges Chouliarakis, de négocier avec ses partenaires au sein du « groupe de Bruxelles ». Un homme qualifié de « technicien pro-européen » par un eurocrate. C’est à lui que l’on doit l’accord du 24 février entre l’Eurogroupe et la Grèce qui a permis la prolongation du second plan d’aide jusqu’au 30 juin. Mais, à la suite de cet accord, Varoufakis l’a remplacé par l’un de ses hommes liges, un secrétaire général du ministère des Finances dont la mission semble avoir été de ne surtout pas négocier... Finalement, devant l’urgence et l’impatience de plus en plus grande de ses créanciers, Tsipras a remanié son équipe de négociation le 27 avril en rappelant Chouliaraki et en écartant le chien fou Varoufakis au profit d’un autre économiste, Euclide Tsakalotos, ministre délégué aux affaires étrangères chargé des relations économiques internationales.

Lors de la constitution du gouvernement, Tsakalotos a refusé d’être placé sous les ordres de Varoufakis et c’est la raison pour laquelle on lui a taillé sur mesure un poste dépendant des affaires étrangères. Un choc d’ego, car les deux hommes sont tous deux issus du système éducatif anglo-saxon et idéologiquement proches. Ainsi, Tsakalotos est plus Britannique que Grec, tout comme Varoufakis est plus Australien que Grec : pur produit d’Oxford, marié à une Britannique, parlant beaucoup mieux anglais que grec, le ministre délégué est idéologiquement eurosceptique comme le sont les Britanniques et trotskyste comme l’est l’aile gauche du Labour. Mais s’il est tout aussi dur que Varoufakis, il est infiniment plus discret et tacticien.

Pour coiffer politiquement ce tandem technique Tsakalotos-Chouliarakis, Tsipras a désigné deux de ses proches : Nikos Pappas, ministre d’État sans portefeuille, et le vieux Yannis Dragasakis, vice-premier ministre, sans doute le seul communiste grec qui a fait la London School of Economics (LES) : ce dernier est en effet un ancien responsable du KKE, le PC stalinien local. Mais Varoufakis n’est pas totalement écarté : Tsipras l’utilise régulièrement pour souligner à quel point il est, lui, modéré…

Ces six hommes rejoints par Giorgos Stathakis, le ministre de l’Économie, Gabriel Sakellaridis, le porte-parole du gouvernement, et, parfois, par Tassos Koronakis, le secrétaire général de Syriza, forment le « groupe politique de négociations » qui se réunit régulièrement dans le bureau du Premier ministre. Il est frappant de constater qu’aucun anti-européen de Syriza ne figure dans ce groupe très masculin : Panagiotis Lafazanis (ex-KKE), le ministre de l’Énergie, ou encore Zoé Konstantopoulou, la présidente de la Vouli, les deux porte-paroles de l’aile dure du parti sont soigneusement tenus à l’écart, tout comme Panos Kamenos, le patron d’ANEL…

(1) Un éventuel accord devra être validé par l’Eurogroupe puis par un certain nombre de Parlements nationaux (Allemagne, Finlande, etc.) avant que l’argent ne soit versé…

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération daté du 15 juin

Catégories: Union européenne

Pages