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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 1 day ago

Hiroshima : comment la société japonaise s’est-elle appropriée cette catastrophe ?

Tue, 19/05/2015 - 18:11

Barthélémy Courmont est chercheur associé à l’IRIS, rédacteur en chef de « Monde chinois, nouvelle Asie ». Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Le Japon de Hiroshima. L’abîme et la résilience » (ed. Vendémiaire) :
– Pouvez-vous nous rappeler le contexte du lancement de la bombe sur Hiroshima ?
– De quelle manière la société japonaise s’est-elle appropriée la catastrophe d’Hiroshima ?
– Quelle perception les Japonais ont-ils aujourd’hui de la question du nucléaire après la catastrophe de Fukushima ?

« La paix n’aura pas lieu : Israël-Palestine » – 3 questions à Pierre Puchot

Tue, 19/05/2015 - 11:01

Pierre Puchot est reporter Maghreb & Moyen-Orient à Médiapart. Il répond à nos questions à l’occasion de son nouveau livre « La paix n’aura pas lieu », paru aux éditions Don Quichotte.

1) Le résultat des élections législatives israéliennes et la composition du nouveau gouvernement viennent-ils confirmer le pronostic contenu dans le titre du livre ?

Hélas, oui. Aucune force politique, en dehors de la Liste unifiée, ne propose autre chose sur le dossier israélo-palestinien que de continuer à s’inscrire dans le processus d’Oslo, sans pour autant se donner les moyens de parvenir à des négociations équitables, qui permettent in fine aux Palestiniens d’obtenir un Etat viable. L’une des conditions d’existence de cet Etat est le retrait des colonies de Cisjordanie, retrait qui n’est envisagé à ce jour par aucune des principales forces politiques du pays, hormis cette Liste unifiée.

2) Pourquoi écrivez-vous qu’ « Israël n’a jamais été aussi radicalisé à droite et son armée si violente » ?

Vingt ans, déjà, se sont écoulés depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995, par un extrémiste juif. Depuis, le conflit au Proche-Orient est parvenu à un point de non-retour : la guerre à Gaza, à l’été 2014, en est la preuve flagrante. Tous les dix-huit mois, une nouvelle confrontation survient, et la question n’est plus de savoir si mais quand le prochain conflit armé éclatera. Vingt ans après la mort de Rabin et la signature des accords d’Oslo, Israël n’a jamais été aussi radicalisé à droite, son armée si violente : Gaza n’a jamais subi de destructions aussi massives ; jamais autant de roquettes n’ont été tirées par le Jihad islamique et le Hamas ; jamais autant de civils palestiniens n’ont péri sous les bombes israéliennes. Fin 2014, au lendemain de l’offensive « Bordure protectrice », la droite israélienne a promu davantage de lois ségrégationnistes à l’Assemblée. Jamais le fossé entre les deux peuples n’a paru si grand. Vingt ans après la poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, comment en est-on arrivé-là ?

Oslo, tout d’abord : entérinant la création de l’Autorité palestinienne et prévoyant le retrait progressif des forces israéliennes des territoires occupés, la signature des accords en 1993 1994 devait permettre à terme l’établissement d’un État palestinien viable, au-delà des frontières arrêtées à l’issue de la guerre de 1967. C’est tout le contraire qui s’est passé. Sous la pression des États-Unis, l’Autorité palestinienne est devenue un relais sécuritaire pour Israël. Et Oslo a conduit à la fragmentation de la Cisjordanie en plusieurs zones (A, B, C), utilisées par Israël pour isoler les Palestiniens entre eux et transformer ce territoire en une série de bantoustans. Au bout du compte, la situation est devenue bien plus problématique qu’avant 1994. Un seul coup d’œil aux cartes qui figurent au début de ce livre suffit pour s’en convaincre.

L’impasse actuelle n’est ni le résultat d’une fatalité pour deux peuples que rien ne pourrait permettre de cohabiter, ni la conséquence d’une guerre de religion sans fin. Il s’agit, en réalité, de l’aboutissement d’un déséquilibre, d’un système de négociations bipartites biaisé, entre un État souverain (Israël), en capacité d’imposer sa politique de colonisation, et une population (palestinienne) sans État ni leviers politiques pour y résister, au gouvernement divisé, sans contreparties à offrir à Israël en échange d’un retrait de colons de Cisjordanie. Paradoxalement, alors même qu’ils en avaient fait la promotion, les accords d’Oslo ont signé l’arrêt de mort de la solution à deux États et, du même coup, réduit à néant les espoirs de paix à court terme. Nous reviendrons sur ces vingt années de négociations stériles, et sur ce déséquilibre accentué par la passivité de la communauté internationale et l’absence de vision pour la région, d’une administration Obama qui a failli à sa tâche.

3) Comment expliquer l’échec d’Obama à relancer réellement le processus de paix ?

Le tournant date sans doute de l’automne 2011. La secrétaire d’État d’alors, Hillary Clinton, se rend le 31 octobre à Abou Dhabi (Émirats arabes unis) et Jérusalem, auprès de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, puis de Benjamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël. La secrétaire d’État crée alors la surprise en saluant les efforts d’Israël, en dépit du refus de ce dernier de geler la colonisation et les constructions en Cisjordanie (condition préalable à une reprise des négociations pour les Palestiniens). « Ce que nous avons reçu des Israéliens est sans précédent » et constitue « un mouvement positif » mais « ce n’est pas ce que nous préférons », a par la suite précisé la secrétaire d’État. « C’est comme pour les progrès faits par les Palestiniens en matière de sécurité », a-t-elle dit. Voilà les États-Unis convertis au concept de « gel partiel » des colonies inventé par Netanyahou. La diplomatie américaine est ridiculisée.
Pis : en 2011, Barack Obama met en garde les Palestiniens contre toute tentative d’« isoler symboliquement Israël aux Nations unies en septembre », leur demandant de ne pas proclamer la création d’un État indépendant à cette occasion.

Aux États-Unis, les analystes en avaient de toute façon fait le pari dès le début du premier mandat : l’administration Obama reculerait sur ce dossier plutôt que d’essuyer un revers qui l’affaiblirait, dans la perspective d’une réélection trois ans plus tard. C’est d’autant plus problématique qu’in fine, c’est aussi cette vision de court terme, amorcée par Bush et prolongée par l’administration Obama, qui pousse la droite israélienne à croire que son projet politique de toujours, le grand Israël de Jabotinsky, est plus que jamais possible, au détriment des Palestiniens.

Fragile in Every Sense of the Word – Nepal’s Political Crisis

Mon, 18/05/2015 - 17:40

Next year marks the 10th anniversary of the end of Nepal’s civil war, a conflict that resulted in the deaths of approximately 18,000 Nepalese and the displacement of around 100,000 more. A decade of violence and political turmoil was ended with the signing of the Comprehensive Peace Accord by the government and Maoist rebels. It was also accompanied by an agreement to draft a new political constitution for the former mountain kingdom. However, vested political interests and bad governance have once again brought a negotiation process that formally began in 2008 to a grinding halt. As a result, concerns are growing that Nepal might soon be in for another round of political upheaval – at a time when it needs it the least.

Sticking Points

The events of 22nd January amply demonstrate the potential for crisis inside this poor, fragile and now devastated state. The most recent attempt to reach a consensus on a new constitution was marred by violence between members of Nepal’s Constituent Assembly. It was the fourth time since 2010 that lawmakers have attempted to finalize the new constitution’s text. The reasons for this breakdown are all too familiar: political and ethno-religious interests continue to trump pragmatism and political expediency. The complacency and self-interest of many Nepalese lawmakers should also be taken into account. Indeed, the last significant piece of progress dates back to 2007, when a simple interim draft to govern national affairs was agreed upon.

Accordingly, the disturbance also reflects that the ‘sticking points’ between Nepal’s rival political factions have changed very little over the past few years. For instance, debates continue to rage over whether Nepal should be a secular or Hindu state as well as the final shape of country’s electoral system. Of equal (if not greater) importance is the final composition of the federal democratic republic that replaced two centuries of monarchical rule. Debates here continue to reflect the gulf between the coalition government of Prime Minister Sushil Koirala and the Maoist/Madhesi opposition. While the Nepali Congress-CPN-UML coalition is pushing for a smaller federation of six to eight states, opposition politicians continue to demand almost double this number.

The Maoist and Madhesi opposition’s support is based around their heartlands in the south of the country. Both groups want a federal system that better reflects Nepal’s diverse and complex ethnic mix. For its part, the Koirala government remains opposed to these demands, arguing that this approach would aggravate ethnic tensions and undermine a much-needed national unity. As a result, the coalition is determined to push through proposals for a federal system based on geographical rather than ethno-religious logic. The opposition, understandably, views this proposal as a recipe for further disaster.

Towards a Jana Andolan III?

Nowhere are these differences of opinion more keenly felt than on the Terai plains. Located along the border with India, the region accounts for 1/5 of Nepal’s landmass and is home to approximately 50% of its population. The Terai is also the home of the Madhesi community, an ethnic group that’s culturally and linguistically distinct from Nepal’s northern tribes. For this reason, Madhesi activists continue to lobby for a different administrative status from the rest of the country, a demand that’s bitterly opposed by the Koirala administration. So far, protestors have preferred to take non-violent forms of action against the government. However, patience is beginning to wear thin among some activists.

That said, activists from all of Nepal’s ethnic groups continue to feed off the uncertainty caused by Kathmandu’s failure to draft a workable constitution and improve the country’s parlous economic conditions. It’s estimated that a quarter of the Nepalese population lives below the poverty line on an annual income of less than 600 Euros. Moreover, a quarter of the country’s gross domestic product (GDP) can be attributed to the vast Nepalese diaspora. In response, Nepal has been plagued by general strikes and sporadic outbursts of pro- and anti-government protests since at least 2006. To further complicate matters, there have been no less than seven changes of government over the past seven years. This is just as much a reflection of the negligence and ineptitude of Nepal’s political elite as it is the general unease among the wider population.

As things stand, Nepal is currently ranked 126th out of 174 countries by Transparency International’s Corruption Perceptions Index. Many Nepalese also view the country’s political parties and legislature as hotbeds of cronyism and nepotism. It’s much the same with public appointments, with the opening line of the Nepal section of the Global Corruption Report stating:

‘’With the exception of recruitments dealt with directly by the Nepal Public Service Commission, nepotism in appointments is systematic in Nepal. Government schools are no exception’’.

Such perceptions have undoubtedly created a sense of disillusionment among Nepal’s electorate. This is further compounded by research suggesting that the country’s military, media outlets, religious bodies and business community are also viewed with a fair degree of cynicism. As a result, many Nepalese do not expect the current social, economic and political system to improve living standards, enhance transparency and provide opportunities for greater participation in the country’s politics.

One can only imagine how the recent earthquakes will impact upon Nepal’s already less-than-ideal social and economic conditions. For the time being, however, public dissatisfaction and political dissent is likely to give way to the need to rebuild the country’s infrastructure. This also means that a return to the more extreme political protests that blighted Nepal between 1990 and 2006 is unlikely to happen in the months ahead. Dialogue on a new constitution will be placed on the backburner, and troops will be (re)mobilized to aid recovery efforts rather than breaking up political protests. It also remains to be seen whether the recovery from this latest natural disaster will instill a new sense of identity among Nepal’s disparate ethnic groups.

In the Wings

The earthquake crisis is also likely to have a temporary impact on the strategic calculations of Nepal’s largest neighbors, China and India. Of the two, the latter currently has a greater vested interest in the long-term fate of the country. Kathmandu’s relations with New Delhi were cemented in 1950 with the signing of the Treaty of Peace and Friendship. An estimated 600,000 Indians currently live in Nepal, thereby expanding the country’s Hindu community and making a significant contribution to the economy. India also accounts for approximately 40% of foreign direct investment (FDI) into Nepal, as well as two-thirds of its foreign trade. However, a number of high-profile energy projects – such as the Raxaul-Amlekhgunj pipeline – have stalled as a result of the country’s political instability.
By comparison, Nepal’s relations with China remain a ‘work in progress’. In December 2012, Nepal’s foreign minister Mahendra Bahadur Pandey used his trip to China to confirm the Koirala government’s admiration for Beijing’s “peripheral diplomacy” and “development cooperation relations”. He also confirmed Kathmandu’s interest in being part of China’s ambitious Silk Road initiative. While Nepal has little to offer in the way of natural resources or manufactured goods, its involvement in one of Beijing’s flagship projects will enhance connectivity between South Asia and China. It will also provide Beijing with a greater degree of influence over a state that was once thought to be exclusively in New Delhi’s strategic backyard. Indeed, China can now stake its claim with an even greater degree of confidence now that it has replaced India as the largest contributor of FDI into Nepal.

The strategic rivalry between Beijing and New Delhi is also being played out in Nepal’s post-earthquake recovery efforts. Despite geographical proximity, neither side is prepared to coordinate their emergency and rescue activities. But that’s not to say that both countries are completely locked into a game of one-upmanship over Nepal. There are many issues where Beijing and New Delhi share mutual interests and concerns, including a desire to see the establishment of a bona fide federal republic and an end to political unrest. Just don’t expect either side to work together to resolve them.

Post-recovery

As stated earlier, efforts to rebuild the country following two earthquakes that have killed almost 10,000 Nepalese will, for the time being, take precedence over creating a political constitution. However, once rescue and reconstruction efforts have ended, the international community is likely to be confronted by an all-too-familiar Nepalese state. Elites from across the political and ethnic divides will remain locked in a battle over the future shape and trajectory of the country – much to the chagrin of ‘ordinary’ Nepalese citizens. Further social unrest inside this isolated and landlocked Asian country cannot (and should not) be ruled out.

Vers un nouveau partenariat entre collectivités territoriales et grandes ONG humanitaires ?

Mon, 18/05/2015 - 10:00

Les collectivités territoriales sont-elles des nouveaux acteurs de l’humanitaire ?
Jacques Serba : Cela dépend de ce que l’on entend par « acteur humanitaire ». Mais il est vrai qu’aujourd’hui nombreux sont ceux, et les membres présents lors de la dernière Commission Nationale Humanitaire (CNH) en premier lieu, qui voient dans les collectivités locales, les entreprises et leurs fondations de nouveaux venus dans l’action humanitaire [1]. S’agissant des entreprises elles-mêmes, on soulignera néanmoins, avec une pointe d’ironie, que le geste humanitaire réussit le tour de force de fondre l’intérêt général dans l’intérêt particulier. Mais peut-être n’est-ce qu’une lecture très libérale du mécénat par certains observateurs et non un dégât collatéral du mécénat.
L’intérêt apparemment manifesté pour les collectivités locales lors de la CNH correspond tout d’abord à une reconnaissance par l’État et les grandes organisations non-gouvernementales (ONG) de la place des collectivités territoriales, et corrélativement des associations locales, qui participent à la solidarité internationale de proximité, pour reprendre un terme cher aux collectivités territoriales. Lors de la 2ème Conférence humanitaire, qui s’est tenue à Paris en mars 2014, les participants ont effectivement reconnu que les collectivités territoriales sont des acteurs de l’humanitaire et qui, « en plus d’apporter des fonds, (…) apportent leurs valeurs et leur savoir-faire, dans un contexte de décentralisation dans la plupart des pays bénéficiaires de l’aide ». C’est d’ailleurs quelques mois après la CNH que l’article L1115-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), dans sa version du 7 juillet 2014, a consacré pleinement sur le plan juridique l’action humanitaire des collectivités territoriales, sans la limiter aux situations d’urgence comme en 2007 : « Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire ». L’action humanitaire est désormais sûrement d’intérêt local, et il n’est plus nécessaire de procéder à l’exégèse de la clause de compétence générale – dont le sujet est à l’ordre du jour de la Réforme territoriale – et de l’article 72 de la Constitution.

Si sur le plan juridique, les collectivités territoriales sont de nouveaux acteurs de l’humanitaire, pour autant elles avaient développé une longue expérience à l’international avant la sécurisation juridique de 2007…
Pierrick Le Jeune : Il est indéniable que les collectivités territoriales, avec leur kyrielle d’associations locales, au sortir de la Seconde Guerre mondiale puis du fait de la politique de décentralisation, ont joué un rôle que l’on n’a pas assez mesuré objectivement. Les chiffres du Ministère des Affaires étrangères et du Développement international (MAEDI) donnent cependant une certaine idée de la discrète ampleur du phénomène : environ 5 000 collectivités territoriales françaises interviennent auprès de 10 000 collectivités, dans près de 150 pays. Si l’action extérieure des collectivités territoriales se déroule principalement en Europe, de nombreux projets d’aide au développement et à caractère humanitaire ont vu néanmoins le jour notamment dans les pays du Sud. Ainsi par exemple, le Mali, le Burkina Faso et le Sénégal, à eux seuls, abritent 1 300 projets, soit 10 % des projets recensés par le MAEDI. Désormais, l’État et les collectivités disposent d’outils au sein de la Commission Nationale de la Coopération Décentralisée (CNCD) et la Délégation pour l’Action Extérieure des Collectivités Territoriales (DAECT) non seulement pour mieux prendre la mesure du phénomène, mais aussi pour aider au pilotage des projets et actions.
Cela étant, les collectivités territoriales sur le plan de la stratégie humanitaire sont engoncées entre le respect des engagements de l’État ( voir le début de l’article L1115-1 du CGCT) et des principes du service public, les contraintes budgétaires et les attentes de la société civile locale, engagée dans l’action humanitaire selon des modalités d’action indéniablement plus offensives que celles déployées par les collectivités locales. Les contraintes qui pèsent sur les collectivités territoriales limitent leur capacité à définir en toute indépendance leur propre « cadre d’intervention ». Or, cette indépendance est une marque de fabrique des acteurs humanitaires comme l’a dit Rony Brauman lors d’une interview donnée à Grotius international [2].

Vous faites implicitement référence au débat ouvert par la prise de position de la RATP au sujet d’une campagne d’aide au profit des chrétiens d’Orient et à la grogne des élus locaux face aux réductions des dotations en provenance de l’État. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Jacques Serba : Il ne s’agit pas de revenir sur la violente polémique que nous avons connue récemment, mais de rappeler, comme le fait Pierrick, que le sujet de la neutralité du service public confronté à une action humanitaire n’est pas nouveau. Par exemple, dans un arrêt du 23 octobre 1989, le Conseil d’État a confirmé l’annulation des délibérations des communes de Pierrefitte-sur-Seine, de Saint-Ouen et de Romainville au motif qu’elles reflétaient un parti pris dans un conflit de nature politique à l’étranger. Les conseils municipaux avaient octroyé des subventions au comité « 93 Solidarité Nicaragua libre » ou au comité « Un bateau pour le Nicaragua » afin que soient apportés des secours matériels à la population, mais en imputant expressément à l’État nicaraguayen les difficultés économiques, sanitaires et sociales rencontrées par la population.
Les délibérations des collectivités sont transmises au Représentant de l’État qui dispose du pouvoir de déférer au juge administratif les actes qu’il estime contraires à la légalité. On est très loin de la possibilité des associations humanitaires de déployer des actions de plaidoyer (advocacy) contre les Etats. On pourrait également imaginer un jour un juge refuser une subvention au motif qu’elle ne vise pas au sens strict une action humanitaire. Il ne faut pas perdre de vue que même le Bulletin Officiel des Finances Publiques au sujet du mécénat humanitaire n’autorise pas toutes les conceptions de l’action humanitaire.
Après l’effet de ciseaux sur leurs fonds propres, les collectivités sont confrontées à la réduction des dotations d’État. On évoque 11 milliards d’euros entre 2015 et 2017. Si on peut craindre la réduction des investissements des collectivités territoriales, malgré les mesures de compensation prises, on peut également craindre la baisse des aides destinées à la solidarité internationale. Les collectivités arbitreront peut-être au détriment du nouvel outil que constitue le FACECO qui a pour objectif « d’apporter une réponse d’urgence efficace et pertinente, de coordonner les énergies et les moyens quand survient la crise et de garantir la traçabilité des fonds versés ». Ce fonds de concours est en effet piloté par le Centre de crise, mais aussi par des représentants des collectivités territoriales contributrices.

Quelles solutions pour les collectivités locales aux budgets contraints ?
Pierrick Le Jeune : Après leur position de bailleurs, avec notamment la loi Oudin-Santini et celle du 7 juillet 2014 relatives au « 1% déchets ménagers » [9], les collectivités locales peuvent nouer de véritables partenariats stratégiques avec de grandes ONG, non seulement celles qui fonctionnent avec des fonds publics, mais aussi celles qui disposent de moyens propres importants et dont l’identité forte permet de coopérer tout en restant à distance des décisions publiques.
Les associations humanitaires ont besoin de monter en puissance dans l’approche urbaine de leurs missions. Selon ONU-habitat, 60 % de la population africaine sera urbaine en 2030 [3]. Si les États doivent s’adapter à cette nouvelle donne, les associations humanitaires également : adapter leur approche, leurs outils d’analyse, leurs moyens, peut-être même leurs missions, et ce d’autant plus que ceux qui sont poussés vers les villes et les mégapoles ne reviennent plus sur leurs pas.
La montée en puissance des associations humanitaires est plus politique que technique. Il ne s’agit pas pour elles d’investir l’arène politique locale, voire de repenser la ville, mais de mieux maîtriser les enjeux de la décentralisation, la gouvernance et les politiques publiques locales. Il s’agit aussi de mieux comprendre les enjeux de pouvoir locaux qui se manifestent légalement mais aussi dans les pactes de corruption, voire dans les rangs des gangs qui contrôlent tout au partie de l’espace public. L’action extérieure des collectivités françaises – les réseaux des villes – peuvent être des portes d’entrée et des lieux d’expertise pour les associations humanitaires. Les collectivités, en échange, peuvent bénéficier des savoir-faire et de la vision de terrain des grandes associations humanitaires.

En conclusion, selon vous, les grandes associations humanitaires peuvent se renforcer au contact des collectivités locales?
Jacques Serba : Avec Pierrick, nous avions dénoncé l’expression péjorative « Les émeutes de la faim » dans un article paru dans Marianne 2 en 2009 [4]. Repenser l’expression « émeutes de la faim », c’est déjà faire un pas vers la compréhension des enjeux sociaux qui s’expriment dans les villes.
Pierrick Le Jeune : En nouant de nouveaux partenariats stratégiques avec les collectivités territoriales, les grandes associations humanitaires pourraient ainsi faire échec, dans une certaine mesure, à la critique de certains analystes qui voient dans la méconnaissance des processus décisionnels publiques une faiblesse des ONG.

 

Jacques Serba et Pierrick Le Jeune sont juristes en droit public, chercheurs associés à l’IRIS, et également engagés dans le domaine humanitaire. Ils codirigent notamment l’Institut de Préparation à l’Administration Générale de Brest (IPAG) qui organise régulièrement des cycles de conférence ou des séminaires sur les thèmes de l’administration, de la Fonction publique, mais aussi sur les questions humanitaires. L’IPAG de Brest délivre un Master 2 en administration et management public. Une convention de Validation des Etudes Supérieures existe entre l’IRIS et l’IPAG de Brest.

Références :
[1] CNH 2014, Synthèse des débats, p.2
[2] Brauman, Rony, Médecins sans frontières ou la politique assumée « du cavalier seul »
[3] ONU-habitat, Loger les pauvres dans les villes africaines, p.6
[4] Serba Jacques, Le Jeune Pierrick, Vers de nouvelles émeutes de la faim?

Libertariens, riches et têtus : les frères Koch sont un danger pour Obama et la démocratie

Thu, 14/05/2015 - 09:56

Les frères Charles et David Koch sont à la tête de Koch industries, conglomérat spécialisé dans le pétrole, la chimie, le papier, les engrais, la finance, l’élevage etc. Leur fortune personnelle est évaluée à 40 milliards de dollars chacun.

Ils sont libertariens, c’est-à-dire partisans d’un libéralisme économique absolu, réclamant l’intervention minimum de l’État en tous domaines.

Leur père a fait fortune dans le pétrole en Union soviétique du temps de Staline, ce qui ne l’a pas empêché de nourrir une logique anticommuniste virulente. Il a fondé en 1958 la John Birch Society, luttant contre la prise du pouvoir des communistes aux États-Unis, perspective pourtant assez lointaine.

En 1980, ils ont soutenu Ed Clark, candidat du parti libertarien, qui proposait la suppression du FBI, de la CIA, de l’impôt sur le revenu et des pensions publiques.

Cela n’a pas réussi, mais les frères Koch semblent aujourd’hui mieux organisés. Fini le soutien aux candidats folkloriques, désormais ils veulent porter le parti républicain au pouvoir aux États-Unis.

Une influence tentaculaire

Ils sont aujourd’hui vent debout contre l’Obamacare et prônent la suppression de l’agence fédérale de protection de l’environnement. C’est leur conviction mais également leur intérêt. Leurs industries sont très polluantes, la suppression de l’impôt leur conviendra très bien.

Les frères Koch se sont en effet intéressés de près au débat d’idées. Ils ont subventionné ou créé un système de fondations, de think tank, au point que certains parlent de « kochtopus », par référence aux tentacules de la pieuvre.

Ils sont largement à l’origine de la montée en puissance du Tea Party, qui a fait une entrée en force à la Chambre des représentants, en 2010, sur des bases très réactionnaires.

Ils ont créé un nombre de structures à but non lucratif, mais idéologiquement très intéressées, des think tank ou associations qui travaillent sur des thématiques, qui servent les intérêts des frères Koch et de leur industrie. L’idée est de limiter au maximum l’action de l’État et de laisser le marché régir l’économie.

Revendications et dérégulations économiques

La Cato Institute, créée en 1977, dont ils ont pris le contrôle récemment, emploie cent personnes qui plaident pour la réduction des impôts des services sociaux et des politiques environnementales. Selon cet institut, « les théories du réchauffement climatique donnent plus de contrôle sur l’économie au gouvernement. »

Le Mercatus center, doté d’un budget de 30 millions de dollars, prône la dérégulation économique.

Des associations de citoyens ont été subventionnées (de façon défiscalisée) : Citizens for a sound economy, qui qualifie les pluies acides et autres preuves environnementales de mythes, American for prosperity, qui dispose de 600 permanents et qui a œuvré pour la victoire des candidats du Tea Party aux élections de 2010, dénonçant le communisme d’Obama.

L’Heritage foundation : au sein de cette structure a été créé Heritage action, destiné à lutter contre l’Obamacare, avec un budget de 5,5 millions de dollars.

300 millions de dollars pour choisir le meilleur candidat

Ils ont annoncé vouloir dépenser personnellement 300 millions de dollars pour sélectionner le meilleur candidat républicain, et promettent, avec leurs alliés, d’investir 800 millions d’euros pour la campagne républicaine en vue des élections de 2016.

Les frères Koch ont leurs idées et c’est leur droit.

Le problème est l’influence qu’ils peuvent exercer, grâce à leur fortune, sur l’opinion publique américaine. Et c’est là que se pose un problème de fond : quelles sont les limites de la démocratie ? Quel est le poids de l’argent dans le débat public ?

L’avenir de la démocratie se joue ici

À un moment où l’opinion, grâce aux réseaux sociaux, se renforce, n’assiste-t-on pas à un renversement de la tendance par la manipulation des informations, du fait de la fortune de quelques-uns ? Il y a un double-mouvement. L’émancipation des individus et des peuples, grâce à l’éducation et aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, et le rôle croissant des grandes fortunes sur la vie politique : milliardaires américains, récents ou anciens, oligarques russes ou ukrainiens.

La globalisation a aussi permis la constitution rapide de fortunes faramineuses. Certains, conscients que le poids de l’opinion est plus important qu’auparavant, veulent du coup l’orienter et s’en donner les moyens.

L’avenir de la démocratie se joue ici, entre la mobilisation des citoyens et l’influence des milliardaires oligarques, dont l’objectif n’est pas forcément l’intérêt général (ni l’intérêt national d’ailleurs).

Affrontements en Macédoine : faut-il craindre un nouvel embrasement dans les Balkans ?

Wed, 13/05/2015 - 12:47

Goran Sekulovski, spécialiste de la Macédoine, professeur à l’Institut Saint-Serge, répond à nos questions :
– Dans quel contexte politique et social se sont tenus les affrontements en Macédoine ? Existe-il un lien avec le conflit de 2001 ?
– Ces troubles sont-ils le fait de conflits interethniques ou de la crise politique que traverse la Macédoine actuellement ?
– La communauté internationale a-t-elle un rôle à jouer dans l’apaisement des tensions ? Comment réagissent les pays voisins de la Macédoine ?

Victoire de David Cameron : quels sont les enjeux de sa réélection pour le Royaume ?

Tue, 12/05/2015 - 14:47

Défiant tous les sondages, David Cameron a été réélu en obtenant la majorité absolue à la Chambre des communes, avec 331 sièges. Comment comprendre cette victoire ?
C’est en effet un scénario que personne n’attendait. David Cameron semble avoir gagné cette élection essentiellement sur le terrain de l’économie, qu’il a réussi à faire repartir et qui a finalement pesé plus lourd que l’effet de l’austérité sur le pays. Au-delà de la personnalité de David Cameron elle-même, qui ne suscite pas toujours une adhésion débordante, les Britanniques ont vu un dirigeant fort, crédible économiquement, et qui n’a pas hésité à prendre les décisions qui s’imposaient. Cependant, l’analyse des résultats de cette élection ne fait que commencer, notamment pour les travaillistes qui vont devoir engager une vraie réflexion, eux qui n’ont pas gagné d’élections sans Tony Blair depuis 1974. Peuvent-ils gagner une élection sans mordre sur le centre, dans un pays modéré, qui penche au centre droit ? Des interrogations se posent aussi pour les instituts de sondages, qui ont du mal à lire le vote conservateur. Ce cas de figure s’est déjà produit plusieurs fois par le passé, notamment en 1992 où l’écart entre les estimations et le vote conservateur avait été de presque 10%. Jusqu’à la veille de l’élection, un gouvernement de coalition mené par les travaillistes semblait encore le scenario le plus probable.

David Cameron, pendant sa campagne, a promis à ses électeurs la tenue d’un référendum sur le maintien ou non du Royaume Uni au sein de l’Union européenne (UE). Il souhaite négocier avec Bruxelles une réforme du fonctionnement de l’Union. Quelle est-elle ? Selon vous, y a-t-il un risque sérieux de voir le Royaume-Uni quitter l’UE ?
La sortie du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne aurait paru entièrement inconcevable il y a de cela quatre ans, rappelons-le tout de même. Le 23 janvier 2013, David Cameron a promis un referendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, décision qu’il a prise essentiellement pour des raisons de politique intérieure. Elle était destinée à tenter d’endiguer la montée du UKIP, qui se nourrit essentiellement de l’euroscepticisme et de l’aile droite de son parti. Le résultat de ces élections peut justifier cette décision « tactique », puisqu’en dépit d’avoir dicté un certain nombre des thèmes de la campagne, le UKIP se retrouve marginalisé et n’a remporté qu’un seul siège à la Chambre des Communes. Cameron a retrouvé une marge de manœuvre et pourra user de la légitimité que lui donnent ces résultats. Reste que sa majorité demeure très limitée, à l’instar de celle de John Major en 1992, qui lui avait éprouvé de grandes difficultés à sortir de l’ornière de l’euroscepticisme de son parti. Les libéraux démocrates, qui se sont effondrés, n’auront plus l’influence positive qu’ils avaient dans la coalition depuis 2010 sur les relations du Royaume-Uni avec l’UE, et Cameron éprouvera paradoxalement plus de difficultés dans ses relations avec l’aile droite de son parti.
De ce point de vue, il doit naviguer un paradoxe dans les négociations à venir : il devra donner suffisamment de gages de bonne volonté tant à l’aile droite de son parti qu’à ses partenaires européens. C’est un exercice des plus délicats. S’il veut arriver à quelque chose en Europe, il devra faire preuve de plus de doigté que ce dont il a fait preuve jusqu’à présent : être constructif, ne pas braquer, écouter et dialoguer sans trop en demander dès l’abord. Mais cela sera-t-il suffisant pour l’aile droite de son parti ? On serait tenté d’utiliser la formule récente de Yanis Varoufakis : “Red lines are inflexible but our red lines and their lines are such that there is common ground”…
Il n’obtiendra pas de concessions majeures, comme la restriction de la liberté de mouvement ou une modification significative des traités. Il n’y a aucun appétit pour ce faire en Europe, des élections se tenant en France et en Allemagne en 2017, sans parler du budget européen fixé jusqu’en 2019. Il pourra par contre obtenir des réformes plus limitées, sur les prestations sociales des nouveaux arrivants, par exemple, ou des garanties sur le marché unique. Jean-Claude Juncker s’est dit prêt à travailler avec le Royaume-Uni. Bien menées par les deux parties, ces négociations pourraient même se révéler pour l’Europe une chance et une occasion de réfléchir à son fonctionnement qu’elle doit rendre plus cohérent et moins bureaucratique.

Le Parti national écossais (SNP, indépendantiste) est le véritable outsider de ces élections obtenant un total de 56 sièges sur 59, alors qu’il n’en possédait que 6. Comment interpréter ce succès fulgurant du SNP ? Quelles conséquences peut avoir cette large victoire pour l’Écosse et son souhait d’indépendance ?
En effet, et Cameron se trouve face à un dilemme. Le SNP a tiré profit de sa campagne lors du référendum écossais de l’année passée, qui a enclenché une véritable lame de fond, que le parti a su organiser autour d’un débat de fond et d’un vrai projet de société. L’une des caractéristiques fortes de ce projet est un engagement plus profond et plus positif avec l’Union européenne. L’Ecosse est beaucoup plus progressiste et pro-européenne que le reste du Royaume-Uni. Si le Royaume-Uni sort de l’Union européenne, quid de l’Ecosse ? L’on pourrait se retrouver dans une situation où si Cameron veut défendre l’unité du Royaume-Uni, comme il professe de le faire, il devra faire campagne pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union. Mais le pourra-t-il ? S’il ne le peut pas, il est un scénario qui le verrait rester dans l’histoire comme le Premier ministre qui a démembré le Royaume, quitté l’Union et isolé l’Angleterre.

François Hollande à Cuba : les raisons d’une visite historique

Mon, 11/05/2015 - 18:12

Pour la première fois, un président français est en visite à Cuba. Pourquoi aucun dirigeant français ne s’est rendu sur l’île auparavant ?
Pendant la Guerre froide, aller à Cuba aurait compliqué les relations avec les Etats-Unis. Par la suite, la France a néanmoins reçu Fidel Castro en 1995. C’était à la toute fin du second septennat de François Mitterrand. Après la crise d’Irak, Nicolas Sarkozy avait envisagé de se rendre sur l’île mais il a été rattrapé par la guerre en Libye. Ce voyage a donc été repoussé jusqu’à cette année. L’annonce du rapprochement entre Washington et Cuba, après 65 ans d’embargo, a néanmoins accéléré cette visite officielle.

Au delà de l’aspect historique, quelle est la symbolique de ce déplacement ?
Cette visite est certes historique sur le fond mais elle vient surtout confirmer les bonnes relations que la France et Cuba entretiennent. Le voyage officiel de François Hollande vient consacrer cet état de fait et intervient en 2015 au moment où l’île va s’ouvrir aux Etats-Unis. Le président a choisi de s’y rendre pour avoir un effet d’entraînement, les partenaires européens, principalement les pays nordiques, étant fortement réservés sur ce processus de normalisation depuis le 17 décembre dernier.
Le rapprochement historique entre La Havane et Washington sera en toile de fond. Quel message veut faire passer François Hollande ?
Le président français veut faire comprendre aux Cubains que normaliser dans un délai proche leurs relations avec les Etats-Unis est une avancée importante mais qu’ils ne doivent pas oublier que la France les a aidés à survivre pendant l’embargo. Cuba occupe une place centrale dans les Antilles mais sa position stratégique sera encore plus renforcée avec la perspective de la levée de l’embargo américain. Sur le plan purement économique, il s’agit aussi de donner une impulsion et de préserver les acquis français.

La présence française est-elle importante à Cuba ?
La France n’est effectivement pas le premier partenaire économique de Cuba, loin derrière la Chine ou le Venezuela mais elle est déjà bien présente à Cuba et a la possibilité de mieux faire dans le secteur agricole, touristique et de la santé par exemple. Les visées de cette visite seront économiques pour les patrons qui accompagnent François Hollande. Air France et Accor, déjà présentes à Cuba, sont attirées par le développement touristique de l’île où se rendent chaque année quelque 100.000 Français. Le but pour François Hollande est de préserver les entreprises françaises à Cuba qui est un marché de plus de 11 millions d’habitants en devenir. Pour toutes ces entreprises , la concurrence sera rude et agressive, autant se préparer dès maintenant.

Visite de François Hollande à Cuba : pour quelle stratégie diplomatique ?

Mon, 11/05/2015 - 18:06

Ce lundi 11 mai 2015, François Hollande est en visite officielle à Cuba. Il est le premier président français depuis l’indépendance de l’île en 1898 à s’y rendre. Comment cela s’explique-t-il ?
Cuba est un petit pays. Indépendamment de son régime politique, Cuba a toujours été très proche des États-Unis, qui historiquement ont interféré dans sa vie intérieure. La France n’a jamais voulu se mêler des affaires cubaines avant que cela ne soit possible, que n’apparaisse une fenêtre d’opportunité. Cette occasion de rapprochement est apparue avec la fin de la division du monde entre l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et les États-Unis, qui a permis une réinsertion de Cuba dans son environnement régional et d’une manière générale, dans le monde.
En 1993, peu de temps après la chute du mur de Berlin et la disparition de l’URSS, la France a décidé de voter à l’Assemblée générale des Nations unies en faveur de la résolution qui condamne l’embargo des États-Unis. En 1995, la France, a reçu Fidel Castro. Depuis lors, les relations entre la France et Cuba se sont densifiées et beaucoup de visites ministérielles ont eu lieu. La visite de François Hollande consacre la normalité des relations entre la France et Cuba à un moment où elles pourraient être bousculées par l’irruption, en matière économique et culturelle, des États-Unis. En effet, les deux présidents – cubain et américain – ont décidé le 17 décembre 2014 de normaliser leurs relations, suspendues depuis 1962.

François Hollande et son homologue cubain, Raul Castro, discuteront du développement de liens économiques entre leurs deux pays. Cela se fera-t-il au détriment de la question des droits de l’Homme ? Quelle est la nature actuelle des liens économiques entre les deux pays ? La France peut-elle passer outre la réalité des droits de l’Homme à Cuba ?
Je ne sais pas si la visite du président français se fera « au détriment » de la question des droits de l’Homme. Je n’ai en tous les cas rien lu de tel venant de la part de la présidence de la République française. C’est un commentaire qui a été fait par des associations proches des milieux dissidents, par des associations de droits de l’Homme ou encore des organisations d’opposants au régime cubain. La question des droits et libertés avait gravement perturbé les relations de la France avec la Colombie puis le Mexique, au cours de la mandature de Nicolas Sarkozy. Une nouvelle approche a été mise en application par François Hollande. Elle vise à parler des droits de l’Homme de façon discrète, en tête à tête, et sans tapage médiatique. Cette méthode a permis la libération d’une française incarcérée au Mexique pour un délit de droit commun qui avait provoqué la quasi suspension des relations ministérielles entre ces deux pays. C’est une méthode qui est évidemment beaucoup moins bruyante et médiatique que celle qui été appliquée précédemment. Mais elle a le mérite de ne pas affecter l’ensemble des relations bilatérales. Un chef d’État, doit défendre au mieux la globalité des intérêts nationaux. François Hollande pour préserver les intérêts culturels et économiques de la France à Cuba, comme ailleurs dans le monde, a donc choisi de ne pas faire de déclaration publique spectaculaire sur les droits de l’Homme. Mais il en sera néanmoins question à l’occasion de son dîner de tête avec le président Raúl Castro.
Concernant les relations économiques, la préoccupation française est de préserver les positions acquises par les entreprises françaises à Cuba avant le déferlement prévisible des entreprises nord-américaines. Barack Obama a en effet ouvert le 17 décembre 2014 la voie à une normalisation sans condition avec Cuba. Il a mis entre parenthèses ce qui était exigé jusqu’à aujourd’hui par les États-Unis, le changement de régime, plus de libertés et de démocratie avant de normaliser les relations avec Cuba. Le président américain a considéré que cette politique d’isolement et de sanctions n’avait eu aucun effet et avait eu plutôt comme conséquence d’isoler les États-Unis sur le sous-continent latino-américain. Barack Obama a opté pour une autre stratégie. Elle prendra certainement du temps, compte-tenu des résistances du parlement. Mais le jour où elle arrivera à maturation, il est évident que les entreprises nord-américaines seront très bien placées pour prendre des parts de marché aux entreprises françaises, européennes, chinoises, colombiennes, mexicaines ou encore canadiennes, qui sont pour l’instant présentes à Cuba sans véritable concurrence venue des États-Unis.

Selon vous, ce rapprochement avec Cuba s’inscrit-il dans une stratégie plus large de renforcement de la présence française dans les Caraïbes voire en Amérique Latine ?
Tout le monde a les yeux fixés sur Cuba puisque c’est la première fois qu’un président français y effectue une visite officielle mais aussi en raison du caractère particulier du régime cubain. Pourtant, cette visite de François Hollande s’inscrit dans une stratégie caribéenne, régionale : après Cuba, le président se rendra en Haïti et avant Cuba, il avait réuni les chefs d’États de la région en Martinique, pour une conférence sur le changement climatique et ses incidences dans les grandes et petites Antilles. C’est une stratégie qui est en cohérence avec la diplomatie économique qu’il a mise en place depuis 2012. Elle concerne tous les continents. En Amérique latine, François Hollande a effectué des déplacements au Mexique et au Brésil. Le ministre des Affaires étrangères a visité un grand nombre de pays d’Amérique latine, tout comme le secrétaire d’État au Commerce extérieur ainsi que d’autres ministres. Marisol Touraine, ministre de la Santé, était d’ailleurs à Cuba avant l’arrivée du président Hollande. Ce voyage s’inscrit donc dans une cohérence continentale. Elle vise à assurer une présence économique et culturelle française plus forte, afin de donner à la France des fenêtres extérieures de sortie de crise.
Cuba présente par ailleurs un double intérêt pour la France. L’un est économique, l’autre est d’influence. Nul doute que ces deux considérations sont entrées dans le scénario ayant justifié cette visite.
L’intérêt économique va bien au-delà du modeste marché cubain, qui représente à peine onze millions de consommateurs. L’intérêt économique de Cuba vient de sa situation géographique. L’’île, est une sorte de « porte-avions » entre l’Amérique du Nord, les Amériques du Sud et Centrale, face au Canal de Panama, en phase d’élargissement. Cette position stratégique en fait un lieu privilégié pour développer le commerce maritime et des plateformes d’échanges en matière aérienne pour le tourisme. Un grand port de redistribution de conteneurs est actuellement en construction à Mariel près de La Havane, avec le soutien du Brésil. D’un point de vue économique, c’est dans ces domaines que la France entend se placer sans pour autant négliger quelques grands contrats potentiels.
Concernant l’influence, Cuba symbolise la résistance d’un petit pays face à un géant, les États-Unis. Les frères Castro ont une image positive auprès de leurs homologues latino-américains et caribéens. Il y a quelques mois, Cuba, du fait de cette image a pu présider la Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbes (Celac). Cuba par ailleurs joue actuellement un rôle dans la recherche de la paix en Colombie. Rendre visite au chef d’État cubain, c’est prendre en compte aussi cette réalité et ce rayonnement.

Hollande en Caraïbe : un retour de la guerre de course ?

Mon, 11/05/2015 - 16:55

Grandes et Petites Antilles sont terres de tourisme. Et peut-être un peu plus. Depuis quelques semaines en effet, les avions officiels côtoient sur les aéroports les vols nolisés par les agences de voyages. Erdogan, le Turc, Hollande, le Français, Obama, le Nord-américain, Poutine, le Russe, Rajoy l’Espagnol, et en septembre prochain, le pape François ont dans le désordre posé ou vont faire stationner leurs aéronefs dans la région. Mais leur venue n’a rien à voir avec le triptyque des vacanciers, « rhum, cigares et soleil ». Assisterait-on alors à une reprise actualisée de la guerre de course des temps passés ?

Dès le XVIIe siècle, les Caraïbes ont été au cœur de contestations impériales. Anglais, Danois, Français, Hollandais, Suédois, ont contesté la domination espagnole. Ces puissances montantes ont grignoté avec succès le domaine insulaire des Habsbourg. Corsaires, pirates, marins officiels de ces différents royaumes ont alors écumé le Golfe du Mexique. A coups de sabre et de canon, ils ont fabriqué une nouvelle carte politique de la Méditerranée américaine.

Erdogan, Hollande, Obama, François et Poutine, n’ont rien de commun avec Henry Morgan, et François l’Olonnais. Ils ont délaissé le bateau pour l’avion et le pistolet pour l’appareil de photo. Leurs visites croisées et parallèles sont rythmées par le seul bruit des médias. Ces va-et-vient d’aujourd’hui rappellent pourtant ceux d’hier. Une sorte de course au trésor commune rapproche à trois siècles de distance ces visiteurs des Antilles. Mais que peuvent-ils donc chercher dans ces îles souvent minuscules, et pour les plus grandes de superficie modeste?

Sans doute ce qui fait courir le monde, depuis que le monde est monde, selon les enseignements de la sagesse populaire. De l’argent et du pouvoir. Hier de l’or, des produits tropicaux, et un accès facile à la terre ferme, les Amériques, centrale, du nord et du sud, garantis par un chapelet de forteresses construites au plus haut des îles. Aujourd’hui de l’influence, ces pays ayant pour la plupart un siège et une voix aux Nations Unies, et une place maritime stratégique au cœur du continent américain.

Le Turc Erdogan a ciblé en février 2015 Cuba, située au centre du dispositif caribéen et deux pays riverains, la Colombie et le Mexique. La Turquie en plein essor économique, cherche à bonifier diplomatiquement cet acquis. Face à ces trois pays il y a Panama, et son canal en voie de modernisation. Et à Port Mariel, à deux pas de La Havane, il y a un port en eaux profondes et une zone franche, construits avec des capitaux brésiliens. La Colombie et le Mexique sont économiquement liés aux Etats-Unis. La Havane et Washington négocient en ce moment la normalisation de leurs relations. Que cela plaise ou déplaise aux Etats-Unis et aux alliés de l’OTAN le chef de l’Etat turc, a profité de la circonstance pour signaler que c’était le bon chemin: « car les sanctions, a-t-il déclaré, ne sont pas de notre point de vue une bonne chose ».

Hollande, le Français, est chez lui aux Antilles. Il entendait le faire savoir et valoriser la plate-forme des DFA (départements français des Amériques). Diplomatie climatique et diplomatie économique ont été sollicitées. Le 10 mai 2015, il a inauguré en Guadeloupe un centre de la mémoire, rappelant le fléau moral imposé par l’Europe à toute la Caraïbe, la traite négrière. Il a réuni en Martinique, le 9 mai 2015, l’ensemble des territoires de la région pour les mobiliser sur les objectifs de la conférence climatique organisée à Paris en fin d’année. Le 11, il effectue une visite officielle à Cuba, la première jamais réalisée par un président français. Le 12 mai, il sera à Haïti, seul état francophone des Grandes Antilles. Façon de rappeler avant la déferlante attendue des Etats-Unis que la France a des intérêts à Cuba et qu’elle entend les préserver. Façon aussi de faire bouger Bruxelles, arc-bouté à la suite de l’Espagne et des anciens satellites de l’URSS sur une coopération conditionnelle avec Cuba, désormais abandonnée par les Etats-Unis.

Obama en effet a surpris son monde le 17 décembre 2014. Ce jour-là, il a en effet annoncé l’ouverture de négociations destinées à normaliser les relations diplomatiques avec Cuba. Le 11 avril 2015, à Panama, à l’occasion du 7e sommet des Amériques, il a devant une forêt de caméras ostensiblement serré les mains de son homologue cubain, Raúl Castro. Les conversations sont complexes. La majorité républicaine s’oppose dans les Chambres à cette normalisation. Mais a déclaré le président soucieux de justifier son prix Nobel de la paix, et sans doute un tantinet agacé par ses opposants, il est temps de tourner la page. La guerre froide est finie. Cuba ne menace pas ou plus la sécurité des Etats-Unis. L’embargo unilatéral paradoxalement isole les Etats-Unis et de moins en moins Cuba, totalement intégré dans la société internationale. Pour bien profiter des difficultés du Venezuela, contraint par la crise de réduire son soutien aux pays de la Caraïbe, Washington doit impérativement revenir dans la course en rétablissant ses relations avec La Havane. Le 10 avril 2015, en Jamaïque, Obama a posé un premier jalon en faisant une offre de sécurité énergétique aux pays de la région désormais privés du pétrole venu de Caracas.

Rajoy l’Espagnol aimerait bien participer à la fête. L’Espagne après tout n’est-elle pas la mère patrie de la plupart de ces Etats? Mais l’Espagne n’a plus de points d’attache territoriaux, comme la France. Elle vit des moments économiques difficiles depuis 2008, qui ont réduit la voilure de son influence. Elle souffre enfin d’une idéologisation de sa diplomatie qui l’a éloigné de Cuba comme du Venezuela. En dépit de démarches répétées, les présidents de Cuba et du Venezuela ont parmi d’autres boudé le sommet ibéro-américain qui s’est tenu à Veracruz (Mexique) les 8 et 9 décembre 2014. Raúl Castro a en revanche mis les petits plats dans les grands pour recevoir l’ex-premier ministre espagnol José Luis Rodriguez Zapatero, le 25 février 2015.
Poutine le Russe en quête de pontages diplomatiques, économiques, et commerciaux, a retrouvé le chemin de Cuba et de ses voisins. Les logiques de la guerre froide remises sur rail par la crise ukrainienne ont repris du service. Le président russe a visité La Havane en juillet 2014. Il a reçu le 9 mai 2015, Raúl Castro, le président cubain. D’autres visites et d’autres accords, avec le Nicaragua, le Venezuela, ont matérialisé ce retour de la Russie dans l’étranger proche des Etats-Unis.

Le Pape François enfin est attendu à Cuba en septembre 2015. Il doit aussi visiter les Etats-Unis et d’autres pays de la région. La réconciliation en cours de Cuba avec les Etats-Unis doit en effet beaucoup à la diplomatie vaticane. Non seulement à celle de François, mais aussi à celles de Jean-Paul II et de Benoit XVI qui tous deux ont travaillé au corps et peut-être à l’âme les autorités cubaines. Bousculée par beaucoup de contentieux mettant en cause l’éthique de ses prêtres, l’Eglise catholique a retrouvé là une légitimité morale. Elle a par la même occasion élargi l’espace d’autonomie du clergé cubain.

Il y a trois siècles, les Européens se disputaient la Caraïbe à coups de canon. La page de la guerre de course est tournée depuis longtemps. Mais les Européens, les Nord-Américains, les Turcs et bien d’autres, gardent un œil vigilant sur des iles géographiquement si bien situées. Les visites se sont multipliées depuis quelques mois. Les uns et les autres à défaut de guerre de course, placent des pions diplomatiques comme économiques, et font.. leurs courses.

Expo universelle, G20 et COP21 : l’agriculture comme thème central dans l’agenda stratégique international

Mon, 11/05/2015 - 16:45

En quoi l’année 2015 est-elle particulière pour les questions agricoles et alimentaires ?
L’agriculture n’est pas un sujet conjoncturel. Loin de là ! Je le dis d’entrée car c’est une évidence pour certains, un rappel pour d’autres. Il n’y a pas une année pour l’agriculture, mais un impératif alimentaire en tout temps et en tout lieu. C’est vieux comme le monde et cette histoire n’est pas prête de se finir. Il faut se nourrir pour vivre et il faut donc produire en agriculture pour assurer la sécurité alimentaire du plus grand nombre de personnes. Or démographiquement, la planète est en croissance continue. Des tensions fréquentes existent dans ce secteur vital puisqu’il arrive que l’offre ne corresponde pas à la demande, provoquant un emballement des prix, que d’autres facteurs peuvent accentuer ou par ailleurs déclencher, comme les accidents climatiques, les problèmes logistiques et bien évidemment les conflits. Guerre, pauvreté et faim sont malheureusement liées.
Aux yeux de l’opinion publique et des non-initiés, il est certain que la crise alimentaire de 2008 aura été un marqueur de cette centralité agricole dans les affaires stratégiques mondiales. Ce fut un tournant puisqu’une attention accrue s’est véritablement porté sur l’agriculture depuis. Il faut d’ailleurs au passage indiquer que l’indice moyen des prix des denrées alimentaires de base, proposé mensuellement par la FAO, n’est toujours pas redescendu en dessous de ses niveaux d’avant crise alimentaire 2008. Le monde se situe dans une séquence particulièrement fragile, quand bien même un repli des prix est enregistré ces derniers mois. Ce repli ne doit pas masquer des enjeux immenses, qui sont structurels, et que l’on résumera ainsi pour faire court : comment produire plus (pour répondre aux besoins humains, animaliers, énergétiques et industriels) mais mieux (pour préserver davantage l’environnement et cesser de commettre certains excès) avec moins de ressources (rareté de l’eau et des sols, financements, etc.).

Mais 2015 est tout de même une année spéciale non ?
En effet, sans être « l’année » de l’agriculture, 2015 n’en reste toutefois pas moins une année chargée en événements mondiaux où la problématique de la sécurité alimentaire sera mise en exergue. La 21ème conférence des parties sur le changement climatique (COP21) se tiendra à Paris en décembre 2015. Ouverte de mai à octobre, l’Exposition universelle de Milan, intitulée « Nourrir la planète. Une énergie pour la vie », représente un autre moment fort de l’année 2015. Le 7ème forum mondial de l’eau, organisé du 12 au 17 avril dernier en Corée du Sud, s’est longuement attardé sur les défis hydriques et l’irrigation. De même, l’année internationale des sols lancée par les Nations Unies en 2015 met en exergue le rôle essentiel de l’agriculture dans la conservation des sols et du foncier agricole dans les politiques de développement. Dans le cadre du G20, la Turquie, présidant le Forum en 2015, a également placé l’agriculture dans ses priorités. Une ministérielle vient de se tenir à ce sujet à Istanbul, le 8 mai dernier.
Les questions liées aux ressources naturelles, aux dérèglements climatiques, à la production agricole, à la croissance inclusive (sociale et territoriale) et à la sécurité alimentaire (socle indispensable à la sécurité humaine) se trouvent donc au cœur d’une année 2015 riche en événements, qui se veut celle des solutions pour un développement plus durable. Incontestablement, ces rendez-vous internationaux positionnent les enjeux agricoles, alimentaires et ruraux au centre de l’attention politique et médiatique. Mais également au cœur des Objectifs de développement durable (ODD) qui seront instaurés dans le cadre du nouvel agenda global du développement post-2015. Celui-ci sera adopté en septembre lors de l’Assemblée générale annuelle des Nations-Unies et constituera une des principales matrices de la coopération internationale pour les quinze prochaines années, comme le fut l’agenda du Millénaire entre 2000 et 2015.

Comment expliquer ce choix thématique sur l’agriculture pour l’Exposition universelle de Milan ?
Les Italiens sont très attachés à l’agriculture et à l’alimentation, et l’Italie est sans cesse soucieuse à bien considérer ces questions dans l’agenda de la coopération internationale. Dans sa propre politique étrangère, les questions agricoles sont d’ailleurs centrales. En présentant en octobre 2006 sa candidature pour l’organisation de l’Exposition universelle en 2015 dans la ville de Milan, le gouvernement italien et les autorités de cette grande ville de Lombardie avaient vu juste sur le plan thématique. En mars 2008, quand le vote final s’est déroulé au Bureau international des Expositions (BIE) pour l’attribution du choix de la ville organisatrice, nous étions en pleine crise alimentaire mondiale ! Cela détermina sans aucun doute pour beaucoup le choix du dossier de Milan intitulé « Nourrir la planète. Une énergie pour la vie ».
Cette Exposition vient de s’ouvrir le 1er mai. Pendant six mois, Milan sera en quelque sorte la capitale mondiale des agricultures du monde et des systèmes alimentaires les plus variés. L’accent est mis sur les pratiques innovantes et les solutions locales adoptées dans les pays et leurs territoires. Milan, capitale traditionnelle de la haute-couture, propose donc la sécurité alimentaire comme sujet à la mode. Mais une mode qui se doit d’être permanente, et en aucun cas passagère. Voilà le message principal de Milan avec cette Exposition. Tournée vers les enjeux d’un développement agricole et alimentaire plus durable et responsable, elle constitue un lieu privilégié de rencontres, de découvertes et de débats, à la fois pour le grand public mais également les décideurs et les scientifiques. Les autorités italiennes se sont beaucoup mobilisées ces derniers mois pour faire de ce Forum à ciel ouvert un grand succès qui puisse apporter des résultats dans la durée en termes de coopération et de diplomatie agricoles mondiales. Outre l’influence de l’Italie dans ce domaine et les retombées économiques locales qu’il ne faut pas déconsidérer avec l’afflux de visiteurs, c’est un pari politique qui est fait avec cette Exposition : comme tant d’autres par le passé, elle vise à léguer des éléments dans la durée. Une charte sera adoptée pour la sécurité alimentaire mondiale, certains pavillons seront utiles par-delà la période de six mois, un Centre de connaissances sera constitué, les meilleures innovations seront primées et partagées. Beaucoup de pays ont leur propre pavillon. Une Exposition, c’est aussi l’expression d’identités nationales et donc des spécificités et des atouts de chacun vis-à-vis des autres. En cela, il est intéressant d’observer sur quels thèmes les accents ont été mis pour chaque pavillon, afin d’obtenir une cartographie des différents modes de représentation actuels de l’agriculture et de l’alimentation par les États de la planète. Coopération donc, mais aussi concurrences indirectes à travers cet événement, car en agriculture, des modèles de développement s’opposent, des visions différentes existent et des stratégies de puissance s’expriment. Il ne faut pas le nier. A Milan, ce sont aussi des jeux de pouvoir qui rythmeront six mois d’Exposition. Plusieurs décideurs s’y retrouveront. Avec plaisir, mais surtout pour négocier et faire avancer des positions. Pour les responsables agricoles du monde, ne pas aller à Milan serait préjudiciable. Rares sont les occasions de voir autant de personnes et de découvrir autant de connaissances en un lieu unique.

Quels sont les principaux enseignements à tirer de la deuxième réunion des ministres de l’Agriculture du G20, tenue à Istanbul le 8 mai ?
D’abord, soulignons que la Turquie préside, après l’Australie et avant la Chine, le G20 en cette année 2015. Créé en 1999, ce Forum connut une véritable impulsion en 2008 pour tenter de résoudre la crise financière internationale et d’esquisser une nouvelle gouvernance mondiale en ce sens. Les matières premières agricoles ont été au cœur de ces travaux, et notamment quand la France avait la présidence du G20 en 2011. La réunion, en juin 2011, à Paris, des ministres de l’Agriculture du G20, fut jugée comme une réussite. Ce forum des vingt économies les plus puissantes de la planète représentent 80% de la production agricole mondiale actuelle. Un Système d’information sur les marchés agricoles (Agricultural Markets Information System, AMIS) avait été lancé pour encourager le partage de données, optimiser les systèmes d’information existants, permettre une meilleure compréhension partagée de l’évolution des prix alimentaires (notamment des céréales) et favoriser le dialogue politique. Pour cette seconde réunion ministérielle sur l’agriculture du G20, la Turquie, grande nation agricole (sur le plan productif et commercial), s’est attelée à poursuivre dans la direction entreprise depuis 2011, tout en concentrant les discussions sur la durabilité des systèmes alimentaires, avec le défi de la lutte contre les pertes et gaspillages de produits agricoles au premier plan. Une plate-forme internationale sera prochainement instituée pour mieux traiter cette problématique et améliorer les dispositifs pour y faire face. Rappelons que selon la FAO, un tiers environ de la production d’aliments dans le monde serait perdue ou gaspillée, faute de conditions techniques et logistiques adéquates en post-récoltes ou de comportements insuffisamment responsables dans la distribution et lors des consommations individuelles. Réduire les gaspillages constitue donc un vrai levier pour réduire les insécurités alimentaires mondiales et renforcer le pouvoir économique des individus. En outre, à Istanbul, les ministres et les chefs des organisations internationales participants (FAO, Banque mondiale, OCDE, PAM, IFAD, IFPRI, CIHEAM) ont insisté dans leur déclaration sur l’importance de parler désormais de « sécurité alimentaire et nutritionnelle », appelant à des approches davantage intégrées entre politiques de développement agricole et celles menées en matière de santé-nutrition. Si le communiqué final adopté reste assez classique et peu novateur, il n’en fut pas moins adopté à l’unanimité grâce aux efforts payants de la présidence turque et de son ministre de l’agriculture, M. Eker. Pivot géopolitique du globe pour de nombreuses raisons, la Turquie joue de plus en plus un rôle central dans les échanges agricoles mondiaux et les débats sur la sécurité alimentaire. Dans l’expression de sa diplomatie, l’agriculture représente donc une force majeure.
Ayant eu la chance d’assister à la réunion à Istanbul, au sein de la délégation du CIHEAM, je termine en disant à quel point fut intéressante l’observation évidente faite à l’écoute des discours des différents ministres. Rapides, ils n’en ont pas moins révélé de profondes divergences d’approches quand il s’agit d’exprimer la vision du pays vis-à-vis de la sécurité alimentaire et nutritionnelle mondiale. Ainsi donc certains ont mis l’accent sur l’importance du commerce (Australie, Chine, Canada, Etats-Unis), des infrastructures et de la logistique (Inde, Arabie Saoudite, Brésil, Suède, Turquie), des investissements en agriculture (Chine, Royaume-Uni), des progrès de la recherche (Australie, Argentine, États-Unis) sur la qualité sanitaire des produits (Japon, Allemagne, Italie) ou encore sur la transparence des marchés (France, Afrique du Sud, Royaume-Uni), le climat (France, Inde, Mexique) et la contribution des femmes (Espagne, États-Unis).

Faut-il relier ces événements (Expo, G20) à la COP21 qui se tiendra à Paris en décembre 2015 ? Si oui, dans quelle mesure la France peut-elle apporter une contribution originale ?
Complément, et ce fut d’ailleurs l’un des points saillant dans le discours du ministre français Stéphane Le Foll prononcé lors de la réunion du G20. Il a appelé à saisir les opportunités offertes par cette séquence 2015 composée de l’Exposition à Milan, du G20 à Istanbul et de COP21 à Paris. « Sécurité alimentaire, lutte contre le réchauffement climatique et paix dans le monde sont intimement liées » a-t-il rappelé. Ces interdépendances sont d’ailleurs mises en exergue sur le site du Pavillon de la France à l’Exposition de Milan. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international, considère lui-même que l’agriculture doit trouver toute sa place dans le processus en cours des négociations sur le changement climatique, n’hésitant pas à indiquer qu’elle est source de solutions autant que victime des évolutions climatiques. À l’occasion du Forum de haut niveau sur l’agriculture et le changement climatique organisé à Paris le 20 février 2015, Laurent Fabius plaida ainsi pour une « agriculture climato-protectrice, c’est-à-dire protégeant la planète et nourrissant la population ». La France joue donc un rôle essentiel pour reclasser l’agriculture à sa juste valeur stratégique dans le cadre du débat climatique mondial. Elle le fait aussi dans le cadre du G20 et dans bien d’autres forums régionaux (notamment en Méditerranée et en Afrique), convaincue que les enjeux alimentaires y déterminent pour beaucoup la stabilité, le développement et la coopération entre les sociétés. Elle a aussi fait la promotion des solutions agro-écologiques dans ce contexte, les situant même comme pratiques incontournablesdésormais dans les champs de l’Hexagone depuis l’adoption en 2014 de la nouvelle Loi d’avenir agricole.
Cette préoccupation sur l’international et sur l’écologie doit s’accompagner par un soutien envers l’agriculture du pays qui continue à être compétitive. La puissance de la France ne peut pas uniquement être cantonnée à la diplomatie et à la coopération technique. L’exportation de produits agricoles stratégiques comme les céréales permet aussi de vitaliser l’économie française et de réduire le déficit commercial du pays. En agriculture, la France n’a pas perdu la bataille de la mondialisation, bien au contraire. Mais c’est vraiment maintenant qu’il faut agir stratégiquement pour éviter qu’un lent déclin ne s’opère silencieusement. Et grâce à la dialectique du « produire plus et produire mieux », la France peut contribuer à répondre aux besoins de la planète sur le plan alimentaire mais aussi sur le plan écologique. Performances diplomatiques, performances économiques et performances environnementales forment trois piliers d’une même stratégie : faire du développement de l’agriculture un moteur de la puissance responsable, et de l’influence durable de la France dans le monde.

 

Sébastien Abis  publiera en juin prochain « Géopolitique du blé. Un produit vital pour la sécurité mondiale » chez Armand Colin/IRIS.

David Cameron mise tout sur l’économie. Les Britanniques vont payer son erreur

Mon, 11/05/2015 - 10:26

La victoire des conservateurs aux élections législatives britanniques est aussi massive que surprenante. Ils ont une centaine de sièges de plus que les travaillistes alors que tous les instituts de sondage donnaient les deux partis au coude à coude.

Vers une sortie de l’Europe ?

Au final, c’est la situation économique qui a compté. Elle est incontestablement bonne : le taux de chômage n’est que de 5,5 %, la croissance de 2,6 % pour 2014. De quoi faire rêver la plupart des pays européens.

Comment, dès lors, a-t-on pu douter de la victoire de David Cameron ? Il y a un hic : les très fortes inégalités sociales qui se creusent et la peur du déclassement qui hante de nombreux Britanniques. Mais aussi le déclassement international du pays.

Ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, souhaitaient la victoire des travaillistes, seuls en mesure de redonner une nouvelle vigueur à leur politique étrangère et la possibilité de rejouer un rôle moteur en partenariat avec les Français, ne peuvent qu’être déçus.

Le maintien au pouvoir de David Cameron risque d’avoir une conséquence majeure : la sortie possible, voire probable, du Royaume-Uni – même si lorsque les indépendantistes du SNP remportent 56 sièges sur 59 en Écosse le terme semble sujet à caution – de l’Union européenne.

David Cameron s’est engagé à soumettre au référendum la question du maintien de son pays au sein de l’UE avant fin 2017. Dans un climat général de fatigue de l’Europe au sein des frontières de l’Union européenne, on peut penser que dans un pays qui n’a jamais eu la fibre européenne le « non » l’emportera.

Une réussite économique, pas géopolitique

Dans sa grande majorité, la presse attise les sentiments anti-européens. Les Britanniques voient dans l’Europe un risque d’immigration massive, une stagnation économique et une perte d’identité nationale. Si le parti anti-européen UKIP a échoué aux élections, c’est en grande partie parce que David Cameron a asséché leur terrain électoral en prenant (et donc en nourrissant) des positions anti-européennes.

Mais, après tout, ne faut-il pas se réjouir de cette clarification ? Puisque Londres a décidé de ne pas jouer son rôle moteur dans la construction européenne, ne vaut-il mieux pas rompre avec un pays qui est un frein ? Et cela ne permettrait-il pas au contraire de donner un nouvel élan à l’Europe ?

Si David Cameron a réussi sur le plan économique, il a largement échoué sur le plan international. C’est sans lui qu’Angela Merkel et François Hollande ont conclu les accords de Minsk avec la Russie et l’Ukraine.

La Chambre des communes a refusé en 2013 de laisser l’armée britannique intervenir en Syrie, le Foreign Office subit des coupes sombres, ainsi que le budget de la défense qui passe en dessous de la barre des 2% du PIB à un tel point que le chef d’état-major de l’armée américaine a émis des commentaires publics négatifs sur l’évolution de l’armée britannique.

L’influence britannique en Europe rétrécit

Vu de Washington, la Grande-Bretagne n’est plus un allié aussi fiable que par le passé. C’est l’Allemagne pour les aspects économiques et la France pour les aspects stratégiques qui sont devenus les partenaires privilégiés.

David Cameron a également rétréci l’influence britannique en Europe. Son influence est réduite et même son pouvoir de nuisance a diminué. Il s’est opposé en vain à la nomination de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. Le parti conservateur a quitté le groupe politique le plus important, le PPE, et cultive un isolement qui n’est pas splendide.

Les demandes de Cameron de réaménager les positions britanniques au sein de l’Union ont été repoussées. La sortie de l’Union européenne risque de s’avérer beaucoup plus coûteuse pour le Royaume-Uni que pour l’Europe. Mais David Cameron a, par sa promesse de référendum, lancé un processus qu’il ne contrôle plus.

Loin de la politique de Tony Blair

Quelle dégradation de la situation par rapport à celle qui prévalait au début de ce siècle ! Tony Blair qui, faut-il le rappeler, voulait que son pays adopte l’euro, avec sa troisième voie, était un leader incontournable d’une Europe sociale-démocrate avec ses partenaires français, allemands, espagnols et portugais. Il avait une influence supérieure à ces derniers aux États-Unis.

La Grande-Bretagne était à la fois influente en Europe et outre-Atlantique. Elle n’est plus ni l’une ni l’autre. C’est certainement l’une des conséquences de la décision catastrophique d’entrer en guerre aux côtés de Washington contre l’Irak en 2003. C’est a partir de là qu’est venue la rétraction actuelle de la Grande-Bretagne sur la scène internationale, qu’une sortie de l’Union européenne va accélérer.

C’est une première pour un président français : pourquoi Hollande se rend à Cuba

Sun, 10/05/2015 - 16:58

Sans le rapprochement entre Cuba et les Etats-Unis, cette visite aurait-elle eu lieu ?
C’est une bonne question, mais il faut replacer cette visite dans son contexte. Ce passage à Cuba s’intègre dans un voyage aux Antilles françaises et dans les Caraïbes (ndlr : après Cuba, le chef de l’Etat ira à Haïti) où François Hollande a abordé la question de la traite négrière etpréparé avec les pays de la région la conférence sur le climat qui aura lieu en décembre à Paris.

Certes, mais rien n’imposait spécifiquement de passer par Cuba.
Tout à fait. Il s’agit probablement d’une opportunité proposée par l’entourage de François Hollande pour symboliser sa « diplomatie économique ». Opportunité qui se combinait très bien avec son agenda politique personnel, la préparation de Cop21 et surtout sa volonté d’encourager ce qui se passe entre les Etats-Unis et Cuba afin de lui donner une dimension européenne.

C’est-à-dire ?
L’Union européenne a un temps de retard dans sa politique de normalisation de ses relations avec Cuba par rapport aux Etats-Unis. Au milieu des années 90, elle avait suivi le durcissement de l’embargo décidé par Washington. Depuis le 17 décembre dernier et l’annonce du dégel par Barack Obama et Raul Castro, elle est obligée de suivre le mouvement. Mais, comme sur chaque sujet de politique étrangère, il est très compliqué de faire converger les 28. En raison des droits de l’homme, les pays nordiques sont réticents à une normalisation, tout comme les anciens pays communistes d’Europe de l’Est. En revanche, la France, l’Italie ou l’Allemagne sont en phase avec la position américaine.

Comment qualifier les relations entre la France et Cuba depuis l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro 1959 ?
Sur le plan strictement bilatéral, elles n’ont jamais rien eu de particulier et n’ont jamais été suspendues. N’oublions pas par exemple que Fidel Castro a été reçu par François Mitterrand à Paris en 1995. Plus récemment, Nicolas Sarkozy avait nommé Jack Lang comme son représentant spécial à Cuba et les visites ministérielles se sont multipliées. Sur le plan économique, de nombreuses entreprises françaises sont aussi déjà présentes à Cuba et beaucoup de touristes s’y rendent.
Bref, il n’y a rien de bien original là-dedans puisque c’est le cas de nombreux pays à l’exception des Etats-Unis. Cette visite de François Hollande ne fait ainsi que conforter ce qui existe déjà. Mais elle est évidemment importante puisque c’est la première d’un président français en exercice dans le pays. Elle a donc une portée symbolique liée à ce qui se passe entre les Etats-Unis et Cuba et avec les autres pays de l’UE.

Accompagné de nombreux dirigeants français, François Hollande semble vouloir, sur le plan économique, placer ses pions pour profiter de la future levée de l’embargo.
Comme nous venons de le voir, la France est déjà bien présente à Cuba. Accorgère des complexes touristiques, Pernod-Ricard exporte le rhum cubain, Alcatel ou Total ont chacun des intérêts dans leur secteur et l’industrie automobile française possède des contrats avec le gouvernement. Sur le plan purement économique, il s’agit donc moins de profiter de cette future levée de l’embargo et de donner une impulsion que de préserver les acquis français.
Le jour où l’embargo sera levé -ce qui prendra encore du temps-, une déferlante américaine va évidemment arriver sur l’île, située à moins de 200 km des côtes de Floride. Pour toutes les entreprises étrangères déjà installées à Cuba, la concurrence sera rude et agressive. Autant se préparer dès maintenant.
En outre, à moyen-terme, grâce à l’élargissement du canal de Panama, Cuba, en face du Mexique, des Etats-Unis, de la Colombie et du canal, bénéficiera d’une position géographique stratégique pour le commerce maritime. Les Brésiliens se sont déjà placés sur ce créneau en construisant un port de porte-conteneurs près de La Havane.

Comme on a encore pu le voir au début de la semaine avec le voyage de François Hollande dans les monarchies sunnites du Golfe, la diplomatie économique ne se marie pas forcément bien avec les droits de l’homme. Que peut-on attendre à Cuba ? Les droits de l’homme sont en effet toujours un dossier délicat à manier. Une chose est sûre : après que Barack Obama a admis que demander la fin du régime communiste ne sert à rien, sinon à le renforcer, la France ne le fera pas. Mais il est possible qu’elle aborde des cas particuliers, de manière discrète.

Une rencontre Hollande-Fidel Castro est-elle possible ?
Quand une personnalité étrangère vient à Cuba, une rencontre avec Fidel Castro est un passage obligé, qu’elle le veuille ou non. Cette rencontre dépend aujourd’hui uniquement de la santé de Castro. Si elle a lieu, elle intéressera bien sûr la presse. Mais ce n’est pas l’essentiel du voyage, loin de là.

L’Algérie

Sat, 09/05/2015 - 16:52

Le nouvel égoïsme territorial : Quels défis pour les États ? Quels enjeux pour la cohésion nationale ?

Thu, 07/05/2015 - 18:05

Laurent Davezies est professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), titulaire de la chaire « Économie et Développement des Territoires». Il répond à nos questions à propos de son ouvrage  récemment paru « Le nouvel égoïsme territorial » (éd. du Seuil et La République des Idées) :
– Qu’entendez-vous par « égoïsme territorial » ?
– Au vu des trois cents mouvements régionalistes existant dans le monde, faut-il selon vous refonder notre modèle d’organisation territoriale ?
– Vous parlez dans votre ouvrage de trois grandes périodes historiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
– Dans quelle mesure la fragmentation territoriale est-elle une boîte de Pandore ? Quels risques représentent l’accession à l’indépendance des régions qui la souhaite ?

 

Qui est Jokowi ?

Thu, 07/05/2015 - 17:40

L’Indonésie est sous le feu des projecteurs. C’est rarement le cas. Il faut même remonter au terrible tsunami au large de Sumatra de décembre 2004 pour voir ce pays trop souvent ignoré figurer en bonne place dans l’actualité internationale. En marge des condamnations à mort (et exécutions dans plusieurs cas) de ressortissants étrangers (dont le Français Serge Atlaoui) jugés coupables par la justice indonésienne de trafics de stupéfiants, c’est le président de l’immense archipel, arrivé au pouvoir à l’automne dernier, qui est l’objet de toutes les attentions. Mais qui est donc ce Joko Widodo, plus connu sous son surnom de Jokowi ? Septième président de la République d’Indonésie depuis l’indépendance, et surtout le cinquième depuis la chute de Suharto en 1999 et la mise en place d’un système démocratique, l’homme fort du quatrième pays le plus peuplé de la planète, plus grand pays musulman, mais aussi première puissance économique de l’ASEAN, a refusé d’accorder la grâce présidentielle aux condamnés. Derrière ce qui est perçu comme une grande fermeté, quel est son profil ? Souvent comparé à Barack Obama (la ressemblance physique et le fait qu’ils ont exactement le même âge n’y sont sans doute pas étrangers) par ses partisans et dans la presse indonésienne qui mettent en avant son grand pragmatisme, Jokowi rompt surtout avec une tradition de dirigeants membres de l’establishment. Issu d’un milieu très modeste (il a même dû travailler dans la petite entreprise de meubles de son père dès douze ans pour payer les frais de sa scolarité), né près de quinze ans après l’indépendance (le 21 juin 1961), il est également perçu par la population comme moins autoritaire et surtout moins corrompu que ses prédécesseurs. Voilà donc des perceptions qui, dans le contexte actuel, sont presque l’opposé de la manière dont le président indonésien est présenté dans les pays occidentaux. Au-delà des idées reçues et des jugements hâtifs, il convient donc de présenter son parcours, ses convictions, mais aussi ses bilans dans ses fonctions successives, à Solo puis à Jakarta.

Une rupture dans la vie politique indonésienne

Listé en 2014 par le magazine Fortune parmi les 50 « plus grands dirigeants de la planète » alors qu’il n’était pas encore élu à la fonction suprême [1], le président indonésien est un personnage atypique. Originaire de Solo (Surakarta), l’un des centres historiques et culturels de Java, et accessoirement le lieu de graves émeutes antichinoises en 1999 et souvent identifié comme un foyer de l’islamisme radical dans l’archipel, Jokowi en fut le maire de 2005 à 2012. Consacrant des résultats jugés remarquables, sa réélection en 2010 fut fracassante, avec 91% des suffrages, et faisait déjà de lui un potentiel présidentiable. En 2012, il était candidat au poste de gouverneur de Jakarta dans un scrutin qui n’était pas gagné d’avance, car Jokowi s’affichait avec un colistier chrétien (dans un pays qui compte 85% de musulmans, et plus encore dans la capitale) et le gouverneur sortant était explicitement soutenu par le président. Pourtant, il a remporté une large victoire avec 54 % des voix, lors d’un scrutin que le magazine local Tempo qualifia d’« élection modèle », renversant « la carte du pouvoir habituellement dominée par une élite alliée au pouvoir de l’argent ». Une fois au pouvoir dans la capitale, il a multiplié les mesures populaires, comme la mise en place d’un réseau de métro qui permettra à terme de désengorger l’immense métropole, et des mesures concrètes dans les quartiers les plus défavorisés. Bien qu’installé seulement deux ans sur le siège de gouverneur de Jakarta, son train de vie très modeste et un souci permanent de transparence lui ont par ailleurs permis de recueillir le soutien des plus démunis et des médias, qui lui furent particulièrement utiles pour l’élection présidentielle. C’est aussi grâce à ce poste prestigieux qu’il parvint à se faire connaitre de tous les Indonésiens. Sa marche vers la présidence en portant les couleurs du PDI-P (Parti démocratique indonésien de lutte) n’en fut que facilitée, et c’est finalement sans grande surprise qu’il s’imposa avec plus de 53% des voix contre Prabowo Subianto, candidat du Partai Gerindra (parti d’inspiration nationaliste créé en 2008), et accessoirement ancien gendre de Suharto. Au sein même du PDI-P, Jokowi se distingue également de Megawi Sukarnopotri, la fille de Sokarno présidente de 2001 à 2004 et battue à deux reprises à l’élection présidentielle par Susilo Bambang Yudhoyono (qui fut au passage, avant Jokowi, le seul président indonésien élu).

Le soutien de Megawi dans l’investiture du PDI-P et la course à la présidentielle joua un rôle évident dans le succès de Jokowi, mais peut-être pas autant que son allure décontractée – il apparait souvent en public vêtu d’une simple chemisette – son goût prononcé pour le hard rock qui le rend populaire auprès des jeunes, et lui valut au passage des critiques pendant la campagne électorale, à coup de décibels parfois insupportables, et sa proximité avec les milieux défavorisés, qu’il visita très régulièrement en tant que gouverneur. Ses détracteurs y voient d’ailleurs la marque d’un populisme auquel il répond par des actions fortes, comme des mesures pour le contrôle des inondations ou le développement de programmes scolaires pour les plus pauvres, et met en avant son propre parcours, d’un milieu modeste jusqu’à la plus haute fonction de l’État. Le New York Times a rapporté à ce sujet des propos qu’il aurait tenus, selon lesquels « maintenant, c’est un peu comme l’Amérique, n’est-ce pas ? Il y a le rêve américain, et ici nous avons le rêve indonésien » [2], comme pour illustrer une rupture avec le passé.

Des défis en cascade

Non issu d’une lignée de dirigeants ni des milieux militaires, Jokowi semble de fait tourner la page des années Sokarno et Suharto et incarne le renouveau de la politique, dans un pays où les élites au pouvoir ne sont pas parvenues à modifier une image négative qui perdure depuis le régime de Suharto et à laquelle sa chute en 1998 n’a pas totalement mis fin. Le successeur de Suharto, Bacharuddin Jusuf Habibie (1998-1999), ouvrit les portes à la démocratie. La liberté de la presse fut rétablie et plus de cent partis politiques furent rapidement enregistrés. La Constitution de 1945 fut de son côté revue en profondeur, avec notamment un code complet des droits de l’homme. Ce processus spectaculaire de démocratisation, caractérisé par l’organisation d’élections libres, fut un succès et ouvrit une ère de modernisation profonde dans l’archipel [3].

Ces avancées ne se sont cependant pas traduites, quinze ans plus tard, par une bonne image des responsables politiques auprès de l’opinion publique. Un rapport intituté Indonesian Governance Index 2012, publié en septembre 2013 par l’organisation Partnership for Governance Reform, montre que la population juge le service public mal organisé, peu efficace, trop couteux, et gangréné par la corruption jusqu’aux niveaux les plus élevés [4]. D’innombrables affaires de corruption impliquant des personnalités politiques importantes ont été ainsi relevées au cours des dernières années, et malgré plusieurs condamnations, l’opinion publique a perdu foi en ses dirigeants.

L’économie indonésienne est de son côté dynamique et pleine de promesses, mais elle reste également fragile et confrontée à une multitude de défis, dont les effets sur la société et la vie politique sont importants [5]. La corruption reste un fléau considérable, et elle a même progressé selon deux rapports rendus publics pendant l’été 2013 [6] ; les déséquilibres économiques et sociaux entre les différentes provinces de l’immense archipel n’ont fait qu’augmenter au cours des deux dernières décennies ; la dépendance aux exportations, très forte dans l’industrie minière, est potentiellement déstabilisante ; et la pauvreté reste très visible. Les transformations de l’économie indonésienne ont eu des effets positifs au niveau macro-économique, en favorisant la croissance du PIB, mais restent trop déséquilibrées [7]. On relève ainsi que l’emploi n’a pas bénéficié de l’industrialisation du pays, et les disparités sociales restent en conséquence très marquées. La crise de 1997 a par ailleurs eu des effets désastreux pour les économies locales, tandis que les grandes entreprises en sont sorties considérablement renforcées [8], au point qu’elles dictent deux décennies plus tard, directement ou à distance, les trajectoires économiques du pays. L’introduction de techniques de microfinance fut de son côté exposée aux réalités locales, et connut une trajectoire aux résultats mitigés [9]. Enfin, dans certaines régions, les mécanismes économiques et sociaux restent très exposés à la résilience d’un conservatisme fortement inscrit dans la société et des pratiques religieuses et sociales que la période coloniale n’a pas éliminées, et qui se sont même parfois renforcées pendant l’occupation hollandaise [10].

Au-delà des symboles et de l’espoir qu’a suscité son arrivée au pouvoir (qui peut dès lors être à la hauteur de l’insatisfaction dans le cas d’un échec), Jokowi sera-t-il, dans la durée, en mesure de répondre aux immenses défis et de modifier en profondeur la relation entre les Indonésiens et leurs dirigeants politiques ? Plébiscité par le public avant même d’être officiellement candidat, son élection a bénéficié d’un soutien populaire en aucune mesure comparable avec celui de ses prédécesseurs, qui n’ont pas su générer d’enthousiasme dans la population. Jokowi pourrait-il poursuivre la lune de miel, et ainsi se démarquer encore plus des différents présidents qu’a connus l’Indonésie depuis 1999, dont la popularité était de manière presque chronique en berne ? S’il réussit ce pari, sa présidence s’inscrira réellement dans une rupture avec le passé. Mais il devra pour ce faire clarifier et au besoin concrétiser ses convictions profondes, et faire face à une multitude de défis.

L’heure des choix ?

C’est ici que l’intransigeance du président indonésien sur la lutte contre le trafic de stupéfiants entre en jeu. A cet égard, il convient d’ailleurs de rappeler quelques faits. D’une part, si l’Indonésie n’a procédé à aucune exécution en 2014, année électorale, il serait erroné de considérer que ce pays se découvre une « passion » soudaine pour la peine capitale, ou que celle-ci serait directement liée à son nouveau président, puisque l’archipel la pratique de façon régulière, bien que dans des proportions modestes face à des pays comme la Chine, l’Iran, ou même les États-Unis. D’autre part, les condamnés à mort qui ont fait la une des manchettes de l’actualité internationale ces dernières semaines ne l’ont pas été depuis l’arrivée au pouvoir de Jokowi, mais bien avant. C’est notamment le cas de Serge Atlaoui, arrêté en 2005, et condamné en 2007. Reste que le président indonésien a refusé d’accorder sa grâce aux condamnés, et c’est sur ce point qu’il est montré du doigt dans les sociétés où la peine de mort est abolie.

Comment donc expliquer cette intransigeance, surtout chez celui qui fut souvent présenté comme un « réformateur » (cette appellation devant cependant être appréhendée avec précaution, la notion de réforme pouvant revêtir une forme très différente selon les régimes politiques et, plus encore, les cultures) ? Il convient d’abord de mettre en relief la marge de manœuvre limitée dont il dispose. Pour s’imposer et imprimer sa marque, le président indonésien a adopté la fermeté, qu’il estime indispensable pour mener à bien les réformes qu’il a promises. Dans ce cadre, la lutte contre le trafic des stupéfiants (dont on peut bien sûr s’interroger sur le fait de savoir dans quelle mesure des condamnations à mort sont efficaces) figure en bonne position. S’ajoute à cela une demande de la population – qui n’est pas étrangère à la victoire de Jokowi l’an dernier – en faveur d’une plus grande indépendance face aux pressions étrangères. En janvier, quelques mois avant l’arrivée au pouvoir de Jokowi, son prédécesseur repoussait sine die une loi minière devant renforcer le contrôle des pouvoirs publics sur l’exploitation des richesses du pays, véritable superpuissance dans le domaine. Cette décision fut le résultat de très fortes pressions des groupes miniers internationaux, inquiets de voir leurs bénéfices baisser comme conséquence directe d’une plus grande mainmise de l’État sur leurs activités – la loi minière devait notamment garantir des partenariats entre groupes étrangers et entreprises indonésiennes. Jokowi est attendu au tournant, par ses supporters autant que ses détracteurs. Il est ainsi hautement probable qu’en se montrant inflexible sur la question des condamnations des ressortissants étrangers, il pense à d’autres enjeux.

A la question « qui est Jokowi ? », devrait donc s’ajouter « que pense Jokowi ? ». En choisissant comme colistier le très expérimenté Jusu Kalla (né en 1942 comme, pour l’anecdote et pour pousser plus loin la comparaison, l’actuel vice-président américain Joseph Biden), le nouveau président indonésien apporte des éléments de réponse. Kalla est issu du Golkar, l’ancienne formation politique de Suharto dont il fut président de 2004 à 2009 et qu’il quitta pour rejoindre Megawi en 2012, occupa plusieurs fonctions ministérielles et fut surtout déjà vice-président, entre 2004 et 2009, lors du premier mandat de Susilo Bambang Yudhoyono, avant d’échouer lui-même à la présidentielle de 2009 (avec 12,5% des voix). Originaire de Sulawesi (Célèbes) – et offrant ainsi un profil moins « javanais » à Jokowi – Kalla est surtout un pragmatique très proche des milieux économiques et financiers, lui-même anciennement dans les affaires et accessoirement étudiant de l’INSEAD à Fontainebleau dans les années 1970. Le nouveau vice-président indonésien est une sorte de caution pour les milieux d’affaires, qui contraste avec le profil « populaire » de Jokowi, qui s’est davantage distingué jusqu’à présent par ses mesures sociales. Le choix de Kalla comme colistier, quelques semaines seulement avant l’élection présidentielle, répondait ainsi à la volonté de Jokowi de présenter un gouvernement associant son parti de centre-gauche à la mouvance conservatrice dont est issu Kalla, qui sont également les deux principaux partis en nombre de sièges au Parlement. Il est en revanche encore difficile, comme le note le spécialiste australien de l’Indonésie Peter McCawley, de savoir si cette alchimie va, dans la durée, se traduire par une libéralisation de l’économie en Indonésie en lien avec l’international, ou au contraire une accélération des réformes sociales à l’intérieur de l’archipel, ce qui nous invite à considérer que Jokowi est à la croisée de modèles socialistes et libéraux [11]. Sans doute les défis économiques et sociaux et la manière dont ils sont évalués par le président détermineront ces orientations, et à ce titre, son intransigeance sur la peine de mort est à replacer dans son contexte et ne saurait à elle-seule résumer son profil et ses positionnements.

[1] The World’s 50 Greatest Leaders (2014), Fortune, 20 mars 2014. / Jokowi occupait le 37ème rang de ce classement dominé par le Pape François et Angela Merkel.
[2] Cité dans Joe Cochrane, “Joko Widodo, Populist Governor, Is Named Winner in Indonesian Presidential Vote”, The New York Times, 22 juillet 2014.
[3] Edward Aspinall, Opposing Suharto: Compromise, Resistance and Regime Change in Indonesia, Stanford, Stanford University Press, 2005.
[4] Arfianto Purbolaksono, “The image of State officials: A response to the results of the Indonesian Governance Index in 2012”, The Indonesian Update, Vol. 8, n°2, août-septembre 2013.
[5] Lire Sarah Anaïs Andrieu, « Indonésie. Une année préélectorale mitigée », in Jérémy Jammes et François Robinne (dir.), L’Asie du Sud-est 2014. Bilan, enjeux et perspectives, Bangkok, IRASEC, 2014, pp. 191-218.
[6] Il s’agit d’un rapport de l’ONG Transparency International-Indonesia (www.ti.or.id). Lire Maya Nawangwulan, “Corruption in Indonesia Increases: Survey”, Tempo, 11 juillet 2013. L’autre rapport, d’Indonesian Corruption Watch (ICW), est paru fin août de la même année, et dresse le même constat.
[7] H. Hill, Indonesia’s Industrial Transformation. Singapore, Institute of Southeast Asian Studies, 1997.
[8] D. A. Narjoko et H. Hill, “Winners and Losers during a Deep Economic Crisis: Firm-level Evidence from Indonesian Manufacturing”, Asian Economic Journal, Vol. 21, n°4, 2007, pp. 343-368.
[9] J. Rosengard, R. Patten, D. Johnston et W. Koesoemo, “The Promise and the Peril of Microfinance Institutions in Indonesia”, Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol. 43, n°1, 2007, pp. 87-112.
[10] Sur ce sujet, lire Mary Zurbuchen (ed.), Beginning to Remember: The Past in the Indonesian Present, Singapore, Singapore University Press, 2005.
[11] Peter McCawley, Joko Widodo’s Indonisia. Possible Future Paths, Canberra, ASPI, septembre 2014.

Ce texte reprend certains passages d’un article publié dans le numéro 183 de la revue Le Débat, mars-avril 2015, intitulé « Indonésie, archipel d’espoirs et d’incertitudes ».

« La conscription en France » – 3 questions à François Cailleteau

Thu, 07/05/2015 - 11:02

François Cailleteau a été chef du Contrôle général des armées puis Inspecteur général des finances. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « La conscription en France, mort ou résurrection ? », aux éditions Economica.

A l’heure où renait une nostalgie pour le service national, vous montrez qu’il était injuste socialement et inefficace militairement. Pourquoi ?

Le service national était devenu inefficace militairement parce qu’il était trop court, par rapport aux besoins d’une armée aux matériels de plus en plus sophistiqués et de moins en moins nombreux. Si le service était court (dix mois en 1992), c’est parce que le volume de chaque classe d’âge était très supérieur aux besoins des armées. Cela ne laissait le choix qu’entre une brièveté et un taux insupportable d’exemption du service dans un pays aussi attaché à l’égalité, au moins formelle, que la France.
Inefficace aussi parce qu’on ne pouvait envoyer que des volontaires, dont l’expérience prouvait qu’ils ne dépassaient guère le dixième des appelés dans les opérations extérieures (OPEX), alors que ces OPEX devenaient, après la fin du bloc soviétique, l’essentiel des missions des armées.
De plus, il était injuste parce qu’environ 30% des jeunes gens en étaient dispensés ou exemptés, pour des motifs souvent discutables, ce qui donnait à la sélection l’allure, soit d’une loterie, soit du règne de la fraude ou du piston.
Enfin, pour ceux qui étaient appelés, les conditions de service étaient très différentes, allant de l’emploi profitable dans une entreprise à l’étranger à celui de fantassin dans les camps de l’est de la France ou de l’Allemagne, en passant par les « planques » largement répandues dans tout l’appareil militaire. Force était de constater que les emplois les plus doux étaient réservés aux bénéficiaires du capital social (études, relations) et qu’au sein des emplois les plus rudes, à l’exception de quelques volontaires, se concentraient les plus démunis de ce capital (faible niveau scolaire, pauvreté, chômage).

Serait-il matériellement possible de faire renaître le service national ?

Le service national obligatoire et principalement militaire, tel qu’il existait jusqu’en 1997, ne peut matériellement pas être remis en place. Les armées ne disposent ni des casernements, ni des équipements correspondant au volume des armées des années 1990. Il y faudrait un énorme effort financier qui serait en outre un non moins énorme gaspillage.
En effet, en partant de l’hypothèse du maintien de l’interdiction d’employer les appelés non volontaires dans les OPEX (et cette hypothèse peut être considérée comme une certitude), les unités composées d’appelés ne pourraient servir qu’à renforcer, dans les tâches les plus basiques (gardes, patrouilles) les forces de police et de gendarmerie. Leur volume serait considérablement supérieur aux besoins, même avec un service très court et un taux très élevé d’exemptions (un service de quatre mois avec un taux d’exemptions et de dispenses de 40% donnerait un effectif permanent de 70 000 appelés).

Un service national obligatoire et principalement civil pose d’autres problèmes. D’abord, il n’est pas sûr qu’il soit juridiquement possible, dans la mesure où il pourrait être considéré comme un travail forcé, interdit par des conventions internationales signées par la France. A supposer cet obstacle levé, on se heurterait ensuite à la question du volume. D’abord, parce que les jeunes femmes ne pourraient évidemment pas en être dispensées du seul fait de leur sexe. Ensuite, parce qu’il serait difficile de pratiquer de forts taux d’exemptions sur la base de l’aptitude physique, puisqu’on ne pourrait exciper des contraintes de l’activité militaire. Cela exigerait donc de faire faire chaque année un service à quelques 700 000 personnes. Même avec une durée très courte du service (et, plus c’est court, moins c’est utile), une organisation de masse devrait être mise en place. Enfin, il faudrait décider de la nature des activités des appelés à ce service. Il faut qu’elles soient utiles, soit à eux-mêmes, soit à la collectivité. Dans le premier cas, on trouverait principalement le rattrapage de formation, mais peut-il être efficace s’il ne s’adresse pas exclusivement à des volontaires suffisamment motivés ? Dans le second cas, le risque est de faire tenir aux appelés des emplois que devraient tenir des salariés.
Toutes ces considérations conduisent à renoncer à l’idée d’un service national universel (et donc obligatoire), qu’il soit principalement militaire ou principalement civil, et à revenir aux idées de service civil volontaire.

Est-ce la bonne réponse aux défis actuels de la société : absence de cohésion sociale, terrorisme, etc. ?

L’histoire nous montre que c’est la cohésion sociale qui a permis le service militaire universel, et non l’inverse. Il ne faut donc pas attendre d’une forme quelconque de service qu’elle pallie toutes les insuffisances que les familles, l’éducation nationale et la société, dans son ensemble, ont laissé s’installer dans les jeunes générations.
Ceci étant, des formes de service volontaire peuvent être utiles pour aider à l’insertion des jeunes dans la vie active et pour répondre au besoin d’engagement d’une fraction de la population jeune. Elles existent déjà et il s’agit seulement de les développer.
Encore faut-il que ce développement se fasse avec un souci d’efficacité et non avec celui de « faire du nombre ». Il faut s’assurer que les volontaires aient une motivation suffisamment forte. De plus, leur service doit être assez long, assez encadré pour être efficace ce qui suppose qu’il ne soit pas trop fait à l’économie.
Quant à lutter contre le terrorisme, pour l’essentiel, laissons cela aux professionnels. Tout au plus, on peut imaginer une forme de service volontaire qui permettrait d’assurer l’essentiel des missions de garde et de patrouille, actuellement confiées à l’armée de terre, au détriment de la préparation des militaires professionnelles aux OPEX ou à celui de leur repos après ces missions exigeantes.

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