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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 2 weeks ago

Canada : de l’antiterrorisme à l’islamophobie

Tue, 28/07/2015 - 16:08

Dans un rapport rendu le 8 juillet 2015, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense canadien a établi une liste de vingt-cinq recommandations visant à « combattre la menace terroriste au Canada ». Quels que soient les éléments de langage mobilisés, le terrorisme dit « islamiste » demeure la cible prioritaire et, sous cet angle, le comité ne fait que suivre une ligne stratégique déjà ancienne, confinant à l’islamophobie.

Signé par une majorité de sénateurs conservateurs, ce rapport souligne avant tout le danger auquel seraient confrontés les citoyens canadiens, eu égard à la montée du terrorisme de type islamiste tant à l’échelle internationale qu’à l’échelon canadien, tout en alléguant, par ailleurs, l’aspect « multidimensionnel » de cette menace. Ce qui étonne, à la lecture de ce texte, c’est qu’à l’inverse d’un rapport rendu en 2014 sous la direction du ministre de la sécurité publique, il prenne systématiquement pour cible la menace « islamique fondamentaliste » (sic). Or, comme l’indique Sylvain Guertin, chef du Service des enquêtes sur la menace extrémiste de la Sûreté du Québec, lors de son audition devant le comité, les dossiers liés à la radicalisation islamiste constituent moins d’un quart des dossiers ouverts par son service, derrière ceux dédiés aux activistes d’extrême droite. Mais, de cette dernière menace, le rapport ne dit mot.

Malgré ses précautions langagières, le document peine à voiler les schèmes ethnocentristes qui le sous-tendent. Se prévalant d’être les représentants « d’une société civilisée », les rédacteurs du rapport exhortent le gouvernement canadien à « affaiblir et vaincre les forces les plus sauvages ».

De fait, sous des dehors libéraux, les sénateurs ne parviennent pas totalement à dissimuler le fond islamophobe de leur discours, particulièrement patent dans un point précis du rapport. Il s’agit d’une critique adressée à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), en raison du soutien passager qu’elle a apporté à un texte rédigé sous la houlette de plusieurs associations musulmanes canadiennes, et auquel elle a participé : United against terrorism. Ce texte, diffusé à l’échelle internationale, a pour objectif de prévenir les risques de radicalisation afin d’empêcher ab initio que des actions terroristes puissent être entreprises. Cependant, plusieurs recommandations inscrites à la fin de ce document, qui visent à éviter tout amalgame entre religion musulmane et terrorisme soi-disant « islamiste », semblent avoir provoqué l’ire des sénateurs. Parmi elles :
– La section 5.1 : « Do not conflate religiosity with radicalization or conflate religious devotion with a propensity to commit acts of violence. »
– 5.2 : « … Avoid terms such as “Islamist terrorism”, “Islamism” and “Islamic extremism” in favor of more accurate terms such as “al-Qaeda inspired terrorism”. »
– 5.6 : « … Muslims are very diverse culturally, in religious observance and ethnicity. Do not brush them as one monolithic group and assign guilt by association. »

Ces recommandations paraissent particulièrement congrues de la part d’une communauté organisée vivant dans une démocratie libérale aux aspirations multiculturalistes. Néanmoins, les sénateurs condamnent fermement la participation de la GRC à l’élaboration de ce texte, sans pour autant fournir d’explications claires à ce sujet. Cela n’a rien d’étonnant. Comme j’ai pu le montrer dans une tribune passée, le Canada pâtit de contradictions structurelles inhérentes à son système sociopolitique, fondé de jure sur des valeurs dites universelles mais qui, dans les faits, entendent protéger un modèle « occidental » juché sur des racines culturelles judéo-chrétiennes.

C’est la raison pour laquelle il convient d’entendre les vingt-cinq recommandations du comité sénatorial non seulement suivant une logique sécuritaire, mais comme participant également à la construction d’un arsenal juridique au service d’une guerre culturelle, sinon civilisationnelle. Les sénateurs le suggèrent eux-mêmes : « Les Canadiens doivent faire preuve de vigilance puisque l’extrémisme violent est une menace réelle, tant pour leur vie que pour leur mode de vie. » Face aux projets, comme ceux de United against terrorism, qui ouvrent la voie à une lutte commune contre le terrorisme dans une perspective intégrative de la société, les sénateurs répondent par un discours de défiance visant la communauté musulmane. La logique suit celle du projet avorté de Charte des valeurs québécoises : le modèle multiculturaliste, en tant qu’horizon sociétal, subit les assauts de la radicalisation, non seulement des mouvances extrémistes prétendument islamistes, mais aussi des instances dirigeantes canadiennes elles-mêmes.

Le nouvel égoïsme territorial – 3 questions à Laurent Davezies

Fri, 24/07/2015 - 10:57

Laurent Davezies est professeur au CNAM. Il a travaillé, comme chercheur et expert, sur les mécanismes du développement territorial en France et dans les pays industriels ou en développement. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Le nouvel égoïsme territorial : le grand malaise des nations », Coéditions Seuil- La République des idées.

La prolifération étatique vous parait-elle inéluctable ?

Inéluctable, non. Nous ne sommes pas dans la tragédie antique dans laquelle des dieux capricieux nous dictent les évènements. On est dans le registre des idées et de l’action des hommes. Pour autant, beaucoup d’éléments, à certains égards rationnels, se combinent aujourd’hui pour pousser à la fragmentation des nations. Elle est du reste en cours actuellement (Belgique, Yougoslavie, Royaume Uni, Espagne, Tchécoslovaquie, sans parler des événements du Moyen Orient à l’Afrique Sub-Sahélienne…).

Face à une mondialisation qui, quand même, a réussi à sortir des centaines de millions d’individus de la pauvreté, mais qui a ébranlé le cadre des relations interterritoriales, entre les nations et en leur sein, on assiste à un mécanisme généralisé de repli sur soi. Compétition économique sauvage et généralisée -adossée à des conventions internationales qui ont, pour le moment, plus libérés qu’encadrés les échanges commerciaux- qui promeut le « chacun pour soi » ; changement technologique vers une économie de l’information qui ne peut se développer que dans les régions les plus développées ; fin du keynésianisme territorial, avec l’ouverture des frontières, qui faisait que les régions pauvres qui étaient hier aidées par les régions riches de leur pays, contribuaient par leur consommation à la croissance de ces dernières ; crise généralisée des finances publiques qui remet en cause les puissants mécanismes de solidarité redistributive inter-territoriale entre les régions au sein des nations, montée d’idées de démocratie de proximité, de gestion collective de « biens communs » locaux, de circuits courts, de monnaies locales, etc.

Bizarrement, ce sont aujourd’hui les territoires riches qui gagnent à ces bouleversements et qui sont aussi aujourd’hui les principaux moteurs de la fragmentation des nations, alors que ce sont les plus pauvres et vulnérables qui en souffrent le plus ! Les riches Flandre belge, pays basque espagnol, Catalogne, « Padanie », comme hier Slovénie et Croatie, rejetant la charge de la solidarité inter-régionale, sont – ou ont été- les moteurs de la fragmentation nationale. Plus généralement, dans le monde, la lutte pour les ressources devient le principal facteur de recomposition des nations.

Quels en seraient les dangers ?

Les dangers de cette dynamique sont nombreux. D’abord, parce qu’elle a un effet de boule de neige. N’oublions pas que les pays occidentaux restent des prescripteurs idéologiques majeurs pour le reste du monde. Donner droit de cité ici à des idées et des mouvements indépendantistes, par exemple avec le referendum écossais et peut être demain catalan, légitime partout ailleurs dans le monde de tels mouvements. On peut penser ou espérer raisonnablement qu’ici, de tels changements se feraient sans violence et dans le contrat. Rien n’est moins sûr ailleurs dans le monde (on le voit déjà avec les affaires kurdes, ouïghours ou ukrainiennes…Plus généralement, 90% des conflits actuels dans le monde sont intra-nationaux).

La fragmentation des nations pilotée par des intérêts économiques (souvent habillés de considérations identitaires) conduit à un monde plus inégal –et donc dangereux- et moins développé – par une répartition plus restreinte des fruits de la croissance et par de nouveaux obstacles aux mobilités-. Elle rend les accords internationaux plus difficiles, avec une multiplication d’acteurs égoïstes et non coopératifs, alors que les urgences, en termes de sécurité collective, d’environnement ou de lutte contre les mafias, appellent aujourd’hui à une gouvernance mondiale plus efficace. L’achat du vote de micro-États à l’ONU est à la portée de toutes les bourses, ou la corruption générale au sein de narco-États par les mafias, ne sont pas des risques, mais des réalités d’aujourd’hui qui ne demandent qu’à se répandre dans de nouveaux pays. L’Europe, par exemple, qui est la partie la plus riche et développée du monde –et la plus expérimentée sur le plan militaire !-, n’a toujours pas de politique et d’instruments de défense commune et les nouveaux petits pays qui en font partie n’ont pratiquement pas de budget de défense…
Dernier point, tous ces nouveaux petits pays, plus homogènes socialement, affranchis de la charge de la solidarité interterritoriale, constituent, par une sorte de dumping financier public, une concurrence considérée comme non déloyale vis-à-vis de grands pays à fortes disparités et solidarités internes.

Au niveau national, vous estimez que la décentralisation est devenue illisible. Pourquoi ? Comment y remédier ?

Face à ces tensions, la décentralisation, qui s’est généralisée dans le monde depuis trente ans constitue un médicament à la posologie mal maîtrisée : elle peut aussi bien contenir les mouvements autonomistes que les renforcer. Plus grave, nous n’avons aucune théorie ou doctrine politique articulée sur la question du partage du pouvoir démocratique entre plusieurs niveaux de gouvernement. Nous n’avons pas d’Aristote, de Platon, de Cicéron ou de Montesquieu de la décentralisation démocratique. Nos territoires ont été découpés par les guerres ou pour les prévenir (Clisthène avec les dèmes à Athènes ou Sieyès avec les départements en France, ont créé des entités sub-nationales sans autre principe que tactique).
La théorie économique dispose d’une doctrine, avec le « fédéralisme fiscal », qui ne prend en compte –et d’une façon abusivement abstraite- que le seul avantage du consommateur-contribuable et pas celui des nations ou des groupes sociaux (qui ne sont pas des agents économiques). Cette approche fait plus de mal que de bien dans le contexte actuel et n’est, du reste, appliquée intégralement dans aucun pays.

Les pays européens, qui constituent encore un modèle d’organisation de l’action publique, ont pourtant autant de dispositifs de décentralisation qu’il y a de pays membres, sans que ressorte le moindre principe de théorie politique explicite ou implicite. Par une sorte de vaste bricolage gaussien, les dispositifs y sont aussi différents que s’ils y avaient été établis au hasard !
Il ne s’agit donc pas de refonder les principes de l’organisation territoriale des nations, afin de contenir, tout en satisfaisant leurs aspects légitimes, les tensions régionalistes, mais de les fonder. Vaste programme…

Egypte : le cocktail explosif de la répression politique et du terrorisme

Wed, 22/07/2015 - 11:16

Deux ans après la destitution de l’ex-président Frère musulman Mohamed Morsi, comment qualifieriez-vous l’atmosphère politique égyptienne ? Que reste-t-il des manifestations et soulèvements de l’année 2011 ?
Malheureusement, il ne reste formellement pas grande chose de ces mouvements de contestation. Ce qui prévaut depuis le coup d’État organisé par l’armée en juillet 2013 contre Mohamed Morsi, seul président égyptien à avoir été élu au suffrage universel, est la répression. Celle-ci vise principalement les Frères musulmans, mais on peut considérer que toutes les forces démocratiques, tous les partis ainsi que toutes les organisations qui s’inscrivaient dans la logique du soulèvement de janvier 2011, sont également ciblées par le pouvoir. Cependant, ce sont les Frères musulmans qui paient le prix fort de cette situation puisqu’on évalue aujourd’hui environ à 1400 le nombre de morts dans les manifestations qui ont été organisées depuis le coup d’État et on estime – le chiffre est évidemment sujet à caution – entre 20 000 et 40 000 prisonniers politiques qui seraient issus principalement du mouvement des Frères musulmans. L’ex-président Mohamed Morsi a été condamné à mort par le nouveau régime, la presse est muselée et il n’y a plus aucune liberté fondamentale assurée. On constate également le retour dans les couloirs du pouvoir d’un certain nombre de caciques de l’ancien régime de l’époque Moubarak. Se sont développés une sorte d’hystérie anti-islamiste et anti-Frères musulmans, doublée d’un nationalisme égyptien exacerbé par le pouvoir. La situation est donc infiniment difficile et le bilan très préoccupant.
Le seul élément qui, à défaut de nous rendre optimiste, peut nuancer ce tableau très noir, est qu’en dépit de la répression, aucun des problèmes fondamentaux de l’Egypte n’a été réglé, notamment les problèmes sociaux. Sans oublier que l’économie égyptienne va au plus mal malgré les aides internationales, des États-Unis, et de certains États arabes du Golfe, Arabie saoudite en tête. Immanquablement, dans les semaines, les mois ou les années à venir, de nouveaux mouvements de contestation verront le jour car la vie quotidienne de l’immense majorité des Égyptiens n’est pas tenable. On peut imaginer que les révoltes de 2011, même si elles connaissent une parenthèse actuellement, ont laissé des traces et restent présentes dans la mémoire de nombreux Égyptiens qui tôt ou tard se remobiliseront. On peut conclure que la situation présente est catastrophique, tant du point de vue politique et des libertés, que du point de vue économique.

La péninsule du Sinaï connaît une forte instabilité en raison du groupe « Province du Sinaï » (anciennement Ansar Bait al-Maqdis), apparu en 2011 suite au désordre post-révolutionnaire en Egypte. Pourquoi l’Egypte a-t-elle en quelque sorte délaissé la péninsule du Sinaï depuis tant d’années ? Selon vous, la gestion, purement répressive, de ce fléau sécuritaire par les autorités ne contribue-t-elle pas à aggraver la situation ?
Premièrement, il faut savoir que le Sinaï est une zone de non-droit. C’est un territoire qui a été occupé par les Israéliens après 1967, puis rendu à l’Egypte suite aux accords de paix signés entre ces deux États en 1979. Selon ces accords israélo-égyptiens, le Sinaï devient alors une zone démilitarisée. Par conséquent, c’est une zone sur laquelle, depuis plusieurs décennies, les forces armées égyptiennes n’avaient que très peu de contrôle.
Ainsi, le Sinaï, comme toute zone de non-droit, est progressivement devenu la zone de tous les trafics, qu’ils soient humains, de marchandises, etc. Mais la situation s’est considérablement dégradée depuis une petite dizaine d’années et tout particulièrement depuis les troubles révolutionnaires du début 2011. Un certain nombre de groupes djihadistes se sont cristallisés dans cette zone, alimentés par des Égyptiens ayant fait le djihad en Afghanistan, puis en Syrie, et qui sont désormais revenus en Egypte. Ces facteurs ont abouti à la création du groupe « Province du Sinaï », qui a fait allégeance à l’État islamique en novembre 2014. En raison des méthodes utilisées par Daech telles que les exécutions sommaires, filmées et diffusées, ainsi que du défi très compliqué et préoccupant que le groupe représente pour la stabilité générale en Egypte, le pouvoir a choisi de mener une gestion strictement et purement répressive de la situation. Il est parfaitement compréhensible que la répression soit nécessaire pour combattre un groupe affilié à Daech, mais le pouvoir égyptien ne peut pas se contenter de détruire les maisons de ceux qu’il suspecte d’être des complices de Daech ou de bombarder par voie aérienne des villages ou des bourgs entiers dans le Sinaï. Cette gestion purement répressive ne donnera pas de résultats à l’avenir mais, au contraire, contribue d’ores et déjà à la radicalisation de ceux qui sont déjà très mobilisés contre le pouvoir égyptien. Par conséquent, il est nécessaire que d’autres options, politiques mais également économiques, soient mises en œuvre dans cette région, ce qui est évidemment plus facile à dire qu’à réaliser dans une zone presque entièrement désertique.
Enfin, le dernier paramètre qui semble important réside dans le fait qu’au vu de la répression très violente en cours contre les Frères musulmans, une partie des jeunes au sein de cette organisation, constatant le manque de perspectives politiques sur la scène nationale, se radicalisent et parfois même pour certains d’entre eux s’enrôlent dans le groupe « Province du Sinaï ». Un renforcement de ce groupe en termes de recrutement est donc possible et est même amplifiée par la politique uniquement répressive choisie par le pouvoir égyptien. La situation est donc, là encore, particulièrement inquiétante puisque de facto, l’armée ne veut pas aller combattre au sol. Les moyens utilisés par le pouvoir ne sont ni efficaces, ni efficients pour éradiquer ce groupe affilié à Daech.

Peut-on craindre que la présence d’un groupe affilié à l’État islamique dans une zone aussi sensible que le Sinaï ait des répercussions plus larges dans la région ?
La grande inquiétude, qui n’est d’ailleurs pas propre au cas de l’Egypte, est que Daech se soit d’ores et déjà constitué une nouvelle filiale sur le territoire égyptien. L’Egypte reste, malgré toutes ses difficultés, le plus grand pays du monde arabe et le potentiel pivot de la vie politique dans la région, même si au cours des dernières années son influence a diminué. En conséquence, l’extension d’un groupe lié à Daech, non seulement au Sinaï mais également sur le reste du territoire égyptien, serait véritablement un pas en avant vers la décomposition politique régionale.
L’autre facteur immédiat est la longue frontière qui existe entre le Sinaï et Israël. Il semble probable que Daech, tôt ou tard, organisera des attentats, des bombardements, des tirs de roquettes, etc., en direction d’Israël. Cela serait là encore un pas en avant dans la décomposition régionale puisque les Israéliens n’accepteront évidemment pas cette situation. Or, nous savons que tout est envisageable quand les Israéliens ont décidé de faire régner l’ordre quelque part, ce qui induit un élément supplémentaire de déstabilisation. Quoi qu’il en soit, il est clair que l’enjeu dépasse largement le seul cadre géopolitique égyptien.

A German Europe?

Tue, 21/07/2015 - 10:49

Reports of a profound Franco-German rift over Greece are exaggerated. The rhetorical confrontation over the third Greek bailout rather tends to hide the reality of the current situation, in which Eurozone governments are unwilling to challenge Germany’s management in-depth. While the German government is being criticised for its tough tactics and the harsh austerity measures that it is imposing upon Greece, a number of national governments are increasingly wary that Germany’s stance might publicly appear to be anti-euro, thereby hindering their own political mantra — which centres on convergence towards a particular view of the German economic model.

It is particularly important to take account of the sociological change that has occurred in France and most western-European countries over the past four decades, as public administration circles have largely tightened their hold on both politics and the corporate sector. Against this background, the quest for an idealised model has shaped the action of most European leaders, who were keen to apply indisputable recipes, dubiously deemed liberal. The notion of a single European currency has mainly emerged in France within top administrative circles, which were desperate to find a new direction for European integration — an idea that would allegedly favour stability, increase Europe’s prestige and, most importantly, spur further convergence towards Germany.

In the aftermath of the Bretton Woods system’s collapse in the early 1970’s, European governments struggled to stabilise their exchange rates. Meanwhile, the constant game of exchange rate adjustment was felt as a humiliation by those governments that had to manage weaker currencies. Alignment with the deutschemark then began to be regarded as the ultimate goal of economic policy-making. An entire intellectual corpus emerged, which consisted in establishing the conditions for rapid monetary convergence. The economic cost of that convergence process was never properly appraised, although it would rapidly spiral out of control. Italy is a good example of that trend, as its stock of public debt surged (and nearly doubled) in the 1980’s and 1990’s while the Banca d’Italia set sky-high interest rates in order to combat inflation and stabilise the lira’s exchange rate versus the mark — pushing long-term interest rates and Italy’s debt burden upwards as a result. The break-up of the exchange rate mechanism (ERM) in 1992-93 was the result of the Bundesbank’s insistence on combating inflation upsurges, which were stemming from Germany’s reunification process, regardless of the situation in countries such as Britain, which were facing recession and could hardly afford to defend their exchange rate through interest rate hikes. That, however, did not alter the mood among most European policy circles. The Banque de France managed to stick to its strong franc policy, throwing France’s manufacturing sector onto a deflationary path that never ended [1], while the likes of Italy and Britain experienced massive depreciation. This experience, which was perceived as humiliating, would irremediably keep the United Kingdom away from joining the currency union. Meanwhile, most other European governments, notably in Italy, failed to identify the beneficial effects of the post-ERM depreciation and later welcomed the single currency as a means to preclude any new “monetary humiliation.”

In many respects, the single currency is older than it seems, as its sociological roots date back to the “snake in the tunnel” in the 1970’s. As such, the process of monetary unification has shaped two generations of political party cadres and technocrats in Western Europe. The euro’s management is often described as obscure and explosive by most commentators in other parts of the world, who are prone to believe that a trend of fierce opposition should eventually arise among Eurozone national governments over rescue programmes that are doomed to failure. This dynamic does not seem to have materialised so far, even when the likes of Alexis Tsipras have been elected by a desperate electorate. It should be remembered that the Greek Prime Minister sent what amounted to a capitulation letter to Eurozone authorities on 30th June, five days ahead of the national referendum over bailout measures. Mr Tsipras certainly never had the intention to reject a fresh austerity programme and was looking for a way to galvanise the Greek public while sticking to the Byzantine rules of the European game. His overall strategy went tragic when it led to bank closures, capital controls and an economic standstill, which will leave scars for years. Despite the current turmoil, Mr Tsipras is likely to have a bright future within the EU institutional system in the decades ahead.
On a different note, François Hollande was elected in 2012 on the pledge to renegotiate the so-called fiscal compact with Germany. At that time, the electoral promise was taken seriously although it was very unlikely to be fulfilled and the then socialist candidate made no secret that he had no personal reluctance towards austerity. More recently, the French President fiercely opposed any idea of a Grexit at a time when his approval would have been needed had Angela Merkel decided to put that solution forward. This however does not mean that the French government opposes Germany’s management of the Eurozone. Quite the contrary, the French government would like Germany to embody an even stronger leadership, but one that would be indisputably compatible with the preservation of the Eurozone, at any cost. In this respect, France’s stance is very stable, along the political line that was previously dubbed “Merkozy.” There was a palpable sense of embarrassment in France and other Eurozone countries, in recent months, when Germany appeared increasingly tired of devising a political plan to keep Greece in the euro and willing to subordinate the euro’s preservation to national political issues. Meanwhile, given the widespread unease with the German government’s tough methods, most Eurozone governments have felt the need to distance themselves from Germany, on the rhetorical front. An example of this includes the restructuring issue. No one among Europe’s politicians believes that the Greek debt could be made sustainable long-term without a massive adjustment. Germany insists on limiting restructuring to so-called reprofiling techniques (extending maturities and lowering interest payments further), and sticks to its decision to preclude any outright write-down, although that kind of relief is badly needed. While other European governments, inspired by the International Monetary Fund, are now pressing for a restructuring, they too increasingly favour a mild one, under the shape of a reprofiling. Oddly, several political leaders implied that they were contending with Germany on that issue although they were obviously in sync with the Chancellor. This contradictory mix of alignment with the German government and rhetorical bravado causes unhealthy confusion.

François Hollande pledged, in his traditional 14th of July interview, to promote the ideas of Eurozone economic governance – notably with the creation of a parliament – and fiscal convergence with Germany. Far from a confrontational approach, this leaves little doubt as to his vision for the Eurozone. Nonetheless, his commitment actually makes the situation even more difficult to grasp as a German Eurozone is not necessarily appealing to most Germans. Germany, under the leadership of Gerhard Schröder and Angela Merkel, has developed a largely national perspective on policy-making, particularly on economic matters. The Euro has undoubtedly been used by Germany in order to rebuild its massive trade surplus through wage moderation policies in the 2000’s, thus offsetting the effects of reunification a decade earlier. Meanwhile, a lasting trade surplus close to 7% of gross domestic product (GDP) is pointless, even in the eyes of the most conservative economists and policy-makers. Admittedly, when listening to Wolfgang Schäuble, one could think that German political leaders aim at achieving a Germanised Europe. Although it might sound surprising to those little accustomed to German politics, the finance Minister is actually a European federalist, and as such belongs to a minority within the German right. Mr Schäuble does have a vision for Europe — that of a currency union tightly supervised by his country according to German standards made European law. Mrs Merkel’s mindset is certainly more in line with the general public. Although the finance minister’s tough legalistic style makes him highly popular in Germany – even more so than the Chancellor – his particular kind of pro-European beliefs are shared by few in his home country, especially within his own political family.

The notion of a German leadership for Europe is at odds with post war trends, when Konrad Adenauer founded the Christian Democratic Union (CDU). A Rhineland Catholic, he successfully reached out to conservative Protestant politicians in order to create a political movement that aimed at westernising Germany for good and putting an end to his country’s “special path” (Sonderweg) [2]. While the widespread reference to the Third Reich, when judging the German government’s stance, is pointless, the implicit insistence on the part of other European governments that Germany should take the economic lead – while opting for a slightly more conciliatory style – has been derailing the historical process of European normalisation for four decades. Germany, like any other European nation, should not be expected to rule over the Eurozone but to simply manage its own economy – precisely what a majority of Germans want – in a cooperative manner. Conversely, no excessive austerity measures should have ever been imposed upon any Greek government in exchange for bailout funds. The current political status quo that consists in implementing depressionary bailout programmes while maintaining the Eurozone in its current form is noxious. European politics will have to move towards decisive choices.
[1] Since 1992, manufacturing prices have declined by 9 percent in France, while they have risen 28 percent in the UK and 11 percent in Germany. Source: European Commission, Ameco Database, Price Deflator of Gross Value Added: Manufacturing Industry, data retrieved on 17th July 2015.
[2] Sources: “Der Weg nach Westen”, Manfred Görtemaker, Spiegel Special 1/2006; “Kein Visionär oder Eiferer, sondern ‚praktisch und rheinisch‘“, Jacques Schuster, Die Welt, 2 may 2001; “CDU und Kirche: Den Katholiken geht das politische Personal aus“, Spiegel Online, 11 March 2012

Climat : L’engagement du Pape François peut-il faire la différence ?

Fri, 19/06/2015 - 17:12

François Mabille, Professeur de Sciences politiques au sein de la Faculté Libre de Droit, répond aux questions de l’IRIS pour l’Observatoire géopolitique du religieux :
– Qu’est-ce qu’une encyclique ?
– Peut-on évaluer l’impact d’un tel document sur les négociations en cours sur le changement climatique ?
– Qu’est-ce qu’entend le Pape par « écologie intégrale » ?
– Le changement de modèles, notamment économique et technologique, présuppose-t-il la constitution de contre-modèles par l’Église catholique semblable à un « catholicisme politique » ?

Soudan du Sud : un État mort-né ?

Fri, 19/06/2015 - 10:56

Le Soudan du Sud, jeune nation indépendante depuis l’année 2011, est ravagé par une guerre civile qui a débuté en décembre 2013 le menant aujourd’hui au bord de l’implosion. Quelles en sont les raisons ?
Il faut bien sûr se souvenir de l’histoire de ce pays. Le Soudan du Sud a été victime de guerres conduisant à l’indépendance qui ont duré plusieurs décennies et ont fait deux millions de morts, sans compter les déplacés, les réfugiés et les drames humains liés à ces conflits. Suite au référendum de 2011, l’indépendance du Soudan du Sud fut proclamée la même année, contre la règle de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) reprise par l’Union africaine, imposant l’intangibilité des frontières. C’est l’armée, dirigée par Salva Kiir, qui a lutté pour l’indépendance du pays et qui a ensuite pris le pouvoir. Malgré cet état de fait, beaucoup de problèmes n’ont pas été réglés lors de l’indépendance, ce qui explique la conflictualité actuelle dans laquelle se trouve ce jeune État. Un facteur d’instabilité majeur tient au fait que le Soudan du Sud est un des pays les plus sous-développés au monde avec un niveau extrêmement faible d’infrastructures, de formations, de système de santé, et de possibilités de nourrir la population. La seule ressource – qui a d’ailleurs été un des enjeux de l’indépendance – est le pétrole qui, pour 80% du territoire soudanais, était localisé au Sud. Par ailleurs, la difficulté à construire une nouvelle nation est dûe au fait que les milices et les mouvements armés agissant pour l’indépendance ont eu beaucoup de mal à se reconvertir en partis politiques structurés. Il faut savoir que les déterminants ethniques sont très importants au Soudan du Sud et que les rivalités entre ces groupes ethno-régionaux sont grandes. Il existe des conflits ancestraux entre les Dinka que représente Salva Kiir, l’actuel président du pays, et les Nuer que représente Riek Machar, principal opposant au pouvoir. De plus, le Soudan n’a pas réglé tous ses contentieux avec le Soudan du Sud et interagit également sur ces mouvances. Le Soudan est encore présent dans certains conflits au Soudan du Sud, et réciproquement.
Il existe donc une conjonction de facteurs qui font que, malgré les accords d’Addis-Abeba de 2014, et malgré les derniers accords d’Addis-Abeba de février 2015, la montée en puissance de la conflictualité au Soudan du Sud ne diminue pas, avec un nombre de morts qui continue de croître et des drames humanitaires qui se multiplient en termes de réfugiés, de déplacés et d’insécurité alimentaire.

Selon vous, la non-résolution de ce conflit est-elle en partie imputable aux jeux des acteurs régionaux ? Quid de la position de l’Union africaine ?
Dès le départ, de très fortes oppositions entre les États africains sont apparues quant à la légitimité de l’indépendance du Soudan du Sud, dans la mesure où elle n’avait pas de raisons historiques de s’opérer, si ce n’est en raison des conflits existant entre les groupes « négro-africains » et « chrétiens » du Sud et les groupes arabes et musulmans du Nord. Les pays comme l’Égypte ou les membres de la Ligue arabe étaient contre l’indépendance du pays, alors qu’au contraire, les États-Unis et Israël, en accord avec l’Ouganda, le Rwanda, ou encore l’Éthiopie, y étaient favorables.
Par ailleurs, les enjeux pétroliers sont considérables dans ce conflit qui est aujourd’hui devenu un jeu de géopolitique pétrolière et une source de rivalités entre les pays de la région. Le pétrole produit par le Soudan – désormais seulement 20% environ des réserves – est évacué par Port-Soudan, afin d’être ensuite exporté vers la Chine notamment. Le Soudan du Sud, quant à lui, est pour l’instant obligé d’utiliser les oléoducs du Soudan pour acheminer son pétrole, faute d’infrastructures nationales. Il a donc pour projet, en relation avec le Kenya et l’Éthiopie, de construire un nouvel oléoduc qui permettrait d’évacuer son pétrole vers la Mer rouge, sans passer par le Soudan. Ceci dit, les enjeux pétroliers ne sont pour le moment que moyennement touchés par les conflits, puisque les puits de pétrole continuent malgré tout de fonctionner. Un autre point de crispation entre les pays de la région concerne les problèmes non réglés liés à la citoyenneté. Il y a en effet un grand nombre d’apatrides qui ne sont ni Soudanais, ni Soudanais du Sud, vivant actuellement dans un certain nombre de pays voisins. Cette situation engendre des problèmes de migrations et de réfugiés que les pays voisins doivent gérer par eux-mêmes. Il y a donc tout un ensemble de problèmes qui rétroagissent d’une manière évidente sur la région.
L’Union africaine cherche effectivement à faire avancer le dossier. Elle a à cet effet nommé et envoyé sur place l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré en tant que représentant de l’Union africaine chargé d’assurer la paix. En outre, les accords d’Addis-Abeba ont été réalisés sous l’égide de l’Autorité intergouvernementale sur le développement (IGAD), groupement régional associant huit pays Est-africains. Par conséquent, l’Union africaine n’est pas totalement absente mais elle est d’une certaine manière impuissante en raison notamment des positions différentes adoptées par ses États membres sur le dossier. La communauté internationale, quant à elle, se désintéresse du conflit. Les États-Unis, qui ont œuvré pour l’indépendance du Soudan du Sud, sont très peu impliqués dans la résolution de cette crise. Le Conseil de sécurité des Nations unies a certes envoyé sur place la force de la MINUSS (Mission des Nations unies au Soudan du Sud) composée d’environ 14 000 hommes, mais ces derniers ne sont pas une force d’interposition, ils font juste en sorte qu’un minimum d’aide alimentaire puisse être acheminée dans le pays.

Toutes les tentatives de médiation menées par les instances régionales depuis le début de cette guerre ont échoué. Face à l’afflux de réfugiés et à la situation humanitaire catastrophique que connaît le pays, faudrait-il envisager une médiation internationale sur ce dossier ? Comment expliquer le manque d’intérêt de la communauté internationale ?
C’est un conflit de plus qui ne mobilise que très peu les médias et auxquelles les opinions publiques ne sont pas très sensibles. Ces dernières ont été beaucoup plus impactées par le génocide perpétré par le Soudan au Darfour, qui a fait 300 000 morts. A l’époque, de grandes mobilisations avaient vu le jour. Il me semble qu’à l’inverse, le conflit actuel au Soudan du Sud est un des drames du monde qui laisse les opinions publiques relativement indifférentes parce qu’elles n’en sont pas informées, ni sensibilisées.
A mon sens, ce sont les Etats-Unis qui sont concernés au premier chef. L’opinion publique américaine a été favorable à l’indépendance mais, aujourd’hui, aucune réaction ni de la presse, ni des partis politiques américains n’est observable.
Côté français, on peut peut-être expliquer ce manque d’intérêt par le fait que le Soudan du Sud n’est pas un pays francophone et n’a jamais fait partie de la zone d’influence de la France. Cette dernière est par ailleurs déjà engagée au Mali, en Centrafrique, et se préoccupe également de la situation des pays sahéliens. La France ne peut pas être sur tous les fronts en même temps et par conséquent, n’est pas particulièrement responsable de cette situation. L’Union européenne a selon moi sa part de responsabilités en ne mobilisant pas suffisamment les opinions publiques sur ce drame. C’est un conflit occulté, comme beaucoup de drames de l’humanité qui ne sont pas sur le devant de la scène. Paradoxalement, un attentat suicide mobilise beaucoup plus les opinions publiques qu’un génocide provoquant la mort de 300 000 êtres humains.

Quelle stratégie face à Daech ?

Thu, 18/06/2015 - 17:23

Retour 70 ans en arrière. En 1945, les démocraties occidentales venaient à bout du péril nazi au bout de six ans de guerre et d’une succession d’erreurs qui avaient laissé Hitler étendre son emprise sur l’Europe depuis son arrivée au pouvoir en 1933 et les scandaleux accords de Munich qui lui avaient abandonné la Tchécoslovaquie en lui ouvrant la voie de toute l’Europe orientale. Et, comme chacun sait, ces mêmes démocraties occidentales n’auraient certainement pas gagné la guerre sans une alliance conclue avec l’Union soviétique de Staline après la rupture du pacte germano-soviétique, autre erreur dont celui-ci n’avait pas perçu la menace lorsqu’il l’avait conclu. Cette alliance de raison et de convergence d’intérêts s’est donc imposée avec Staline malgré ce précédent et nonobstant le fait que son régime ait eu à son passif un nombre de morts et de déportés largement susceptible de rivaliser avec les nazis. Toutefois, une différence de taille pouvait distinguer les régimes nazi et stalinien aux yeux des occidentaux : contrairement au premier, le second ne menaçait pas directement la sécurité de l’Occident au-delà de sa zone d’influence. Justement, l’obtention de cette zone d’influence en cas de victoire fut la condition posée par Staline pour prêter main forte aux alliés. Et, comme chacun sait, ceux-ci y ont souscrit lors du partage du monde acté à Yalta.

Face à la capacité d’extension de l’organisation de l’État islamique (Daech), peut-on ignorer les rapports de force sur le terrain ?

Aujourd’hui, en 2015, la situation dans le monde arabo-musulman avec l’émergence de Daech et l’extension inquiétante de la zone tombée sous sa domination en Irak et en Syrie, d’une part, et en Libye, d’autre part, ainsi que sa capacité à susciter des ralliements ailleurs comme avec Boko Haram au Nigéria, pose aux puissances occidentales et aux États arabes ou musulmans hostiles à Daech une question quasi-similaire : une victoire est-elle possible sans une large alliance et sans la fin des guerres fratricides entre arabes et musulmans sunnites et chiites hostiles au groupe djihadiste, nonobstant les nombreuses erreurs commises par les uns et les autres et le prix à payer pour acter les ralliements à une telle alliance ? Alors que Daech gagne du terrain partout, la réponse est sans doute négative.

D’ailleurs, l’existence simultanée de plusieurs zones de conflit dominées par Daech vient rappeler que, contrairement à l’Allemagne hitlérienne, l’organisation de l’État islamique tire une part de sa force du fait que son idéologie ne prenne pas ses racines dans un territoire identifié à une nation appelée à dominer le monde, mais bien dans une idéologie transnationale susceptible de susciter des ralliements de partout, où le djihadisme sunnite peut avoir prise. En face, les composantes d’une éventuelle coalition anti-Daech ne peuvent être que ceux qui le combattent déjà dans les zones disputées ou qui auraient la capacité et l’intention de le faire. Autrement dit, au Proche-Orient, l’Iran et ses alliés essentiellement chiites, parmi lesquels figurent, outre l’Irak, le régime de Bachar el-Assad en Syrie, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien, bien qu’inscrit dans la mouvance islamiste sunnite des Frères musulmans, et les nouveaux maîtres du Yémen, les Houtis chiites alliés à l’ancien dictateur sunnite déchu Ali Abdallah Saleh, que l’Arabie saoudite et ses alliés sunnites essaient de déloger du pouvoir. En Libye, Daech a face à lui une multitude de factions obéissant le plus souvent à des regroupements tribaux, comprenant à la fois des nostalgiques du régime de Kadhafi et d’autres l’ayant fait tomber, parmi lesquels figurent des groupes islamistes de diverses obédiences allant de factions proches des Tunisiens d’Ennahdha à des salafistes a priori non-djihadistes, avec deux gouvernements rivaux incapables de s’entendre. Dans les deux cas, l’impossible unification des forces anti-Daech est aussi urgente qu’indispensable.

Au Proche-Orient, l’Iran chiite allié incontournable faute de puissance sunnite ?

Pour ce qui est du conflit en Irak et en Syrie d’abord, la question posée est donc bien celle de l’inclusion dans une telle alliance de la seule vraie puissance militaire du Proche-Orient, en dehors d’Israël, à savoir l’Iran chiite et ses alliés, malgré ce qu’est le régime des Mollah et les crimes imputables à celui d’Assad, quitte à envisager d’en juger ses responsables ultérieurement. Force est de constater que le recul d’Assad sur le terrain n’a quasiment bénéficié qu’à l’organisation de l’État islamique ou à des factions comme le Front al-Nosra, lié à Al-Qaïda, qui ne sera donc jamais un allié fiable, malgré le soutien qui lui serait apporté par l’Arabie saoudite ou le Qatar qui, une fois encore, joueraient avec le feu sans être rappelés à l’ordre par leurs soutiens occidentaux. Des Occidentaux qui continuent de jouer la carte saoudienne dans le conflit yéménite contre les Houtis soutenus par l’Iran, en tentant peut-être un nouveau pari hasardeux consistant à introniser l’Arabie saoudite comme chef de file du camp sunnite, notamment grâce à l’aval du nouvel homme fort de l’Égypte, le Général Sissi, parvenu au pouvoir en évinçant les Frères musulmans avec l’appui des Saoudiens et de leur parti-relai salafiste Al-Nour. Mais un tel pari pourrait être rapidement voué à l’échec en raison de l’incapacité prévisible de l’armée saoudienne et de ses alliés d’engager une intervention au sol face aux Houtis au-delà des bombardements aériens actuels, une réticence trahissant peut être un réel aveu de faiblesse de cette coalition et, a fortiori, son incapacité à mener une guerre plus large face à Daech ?

Est-ce à dire qu’il n’y aurait pas aujourd’hui de puissance militaire sunnite de taille au Proche-Orient depuis la chute du régime de Saddam Hussein, en dehors peut-être de la Turquie, mais dont le jeu trouble du gouvernement envers Daech ne permet pas d’envisager d’y voir un allié sûr, d’autant plus que les islamistes y ont gagné les récentes élections et pourrait gouverner avec l’extrême-droite ? En effet, il n’y a guère de doutes sur ce dernier point, vu la suspicion manifestée par le gouvernement turc à l’égard du soutien des Occidentaux aux Kurdes combattant l’organisation djihadiste et sa volonté de favoriser la chute du régime d’Assad à n’importe quel prix. Quant aux Saoudiens, ils n’ont pas été en mesure de rallier à leur cause les deux puissances militaires sunnites que sont le Pakistan, dont le Parlement a refusé d’engager son armée au sein de la coalition anti-Houtis, et l’Égypte qui, malgré la puissance militaire qui lui est reconnue et la proximité du Général Sissi avec l’Arabie saoudite, n’apparaît aucunement prête à s’engager dans une guerre dans la péninsule arabique ou au Proche-Orient, dans le cas où elle aurait à se prémunir d’une éventuelle extension du conflit libyen à son territoire.

Enfin, ce constat en appelle un autre : l’Iran chiite est aujourd’hui la seule puissance militaire digne de ce nom du Proche-Orient susceptible de tenir tête, avec ses alliés, à Daech. Ceci d’autant plus que, quel que soit le dessein de l’Iran, les chiites apparaissent aujourd’hui comme des alliés sûrs face aux djihadistes, même si la marginalisation des sunnites en Irak après la chute de Saddam Hussein et en Syrie par la dynastie Assad, représente l’erreur majeure des régimes alliés de l’Iran que celui-ci n’a pas cherché à stopper, et dont Daech a su tirer bénéfice en ralliant à lui nombre d’anciens officiers bâasistes sunnites victimes de l’épuration et autant de stratèges militaires, ainsi que des tribus ou des citoyens sunnites s’estimant lésés par le nouveau pouvoir chiite. A ce jour, le gouvernement irakien tente de rattraper l’erreur continue de ses prédécesseurs et de rallier les tribus sunnites dans sa lutte contre Daech, indépendamment de l’hypothèse d’une inclusion ou non de l’Iran dans une éventuelle coalition.

Un Yalta proche-oriental en contrepartie du soutien de l’Iran ?

La première erreur à réparer par l’Iran et ses alliés chiites serait donc évidemment de faire cesser la marginalisation des sunnites, et de leur donner des gages solides pour l’avenir à ce propos, afin que ce conflit ne continue pas de dégénérer en une guerre entre chiites et sunnites au lieu d’opposer Daech à ses adversaires, aussi divers soient-ils.
Mais dans l’hypothèse où la mise à l’écart de l’Iran cesserait en vue de son inclusion dans une large alliance anti-Daech, comme pourrait peut-être le laisser supposer le récent assouplissement de l’attitude des États-Unis sur le dossier du nucléaire iranien, quelles seraient les conditions de l’Iran à ce ralliement ? Sans doute la reconnaissance d’une zone d’influence sur la sphère chiite incluant l’Irak, vu comme l’extension arabe de la sphère iranienne, la Syrie, en fonction de ce que les alaouites et leurs alliés parviendraient à garder, un partage du pouvoir favorable au Hezbollah au Liban et aux Houtis au Yémen, avec le Hamas palestinien qui, tout en étant d’obédience islamiste sunnite, reste pour l’Iran un moyen de pression sur Israël et combat à Gaza les groupes liés à Al-Qaïda ou à Daech.

Mais l’hypothèse d’une inclusion de l’Iran dans une coalition contre le groupe djihadiste, même si elle venait à s’imposer en raison de son caractère incontournable, serait évidemment très mal vue par l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et Israël, notamment. A charge pour les Occidentaux d’obtenir des gages de l’allié potentiel iranien en faveur de ces États opposés à une telle alliance, afin de faire taire leurs réticences face à l’objectif majeur de combattre Daech. Une sorte de Yalta proche-oriental pourrait alors s’imposer en assurant à chacun de trouver la garantie de sa propre sécurité et de sa zone d’influence strictement limitée par rapport à celles de ses voisins. L’Iran ne pourrait donc obtenir à la fois sa zone d’influence sur la sphère chiite, tout en continuant d’être vu comme une menace par les États sunnites voisins ou par Israël. Cela supposerait donc d’abord un accord global sauvegardant les intérêts mutuels des chiites et des sunnites à travers une règle de partage du pouvoir empêchant la marginalisation des uns ou des autres, ainsi que des minorités. Concernant Israël, des solutions seraient à trouver sur le nucléaire iranien et la question palestinienne, pour lesquelles une double influence américaine et iranienne pourrait être susceptible de faire évoluer les positions d’Israël et du Hamas, tout en confortant celle du Fatah, affaibli par l’enlisement des négociations avec Israël.

En Libye, première urgence : éviter l’extension du conflit et contenir l’influence de Daech ?

L’évolution de la situation de la Syrie et de l’Irak pourrait laisser craindre le pire pour la Libye, qui est peut-être déjà atteint, mais aussi pour le reste de l’Afrique du Nord si le conflit venait à s’étendre aux États voisins, même si la Libye reste entourée des trois puissances militaires régionales majeures que sont l’Algérie à l’ouest, l’Égypte à l’est et le Tchad au sud. Les voisins les plus vulnérables seraient alors certainement la nouvelle démocratie qu’est la Tunisie à l’ouest, dont les faibles moyens militaires posent la question de sa capacité à se défendre en cas de pénétration massive du groupe djihadiste sur son territoire, ainsi que le Niger au sud, qui fait face au même problème. Dans ces conditions, l’Algérie, l’Égypte et le Tchad ont un rôle majeur à jouer en vue d’éviter toute extension du conflit, sachant que leur propre sécurité serait directement menacée dans le cas où Daech déciderait de se constituer des bases-arrières sur les territoires des maillons-faibles que sont, militairement parlant, la Tunisie et le Niger. Des tentatives en ce sens ont déjà été observées à travers les attentats perpétrés dans certaines zones de ces pays, qui pourraient être destinés à ouvrir la voie à des opérations de plus grande envergure, à terme, profitant de l’extrême difficulté de contrôler un territoire désertique.

Il est toutefois vrai qu’à ce jour l’organisation de l’État islamique a déjà fort à faire pour défendre ses positions en Libye avant de penser à s’attaquer à d’autres territoires, à moins de pouvoir compter sur le ralliement de groupes locaux comme Boko Haram. Mais, si Daech venait à prendre le dessus en Libye, rien ne l’empêcherait plus de ne pas passer à l’étape suivante, en donnant le signal du réveil de cellules dormantes sur d’autres territoires et en envisageant d’attaquer ceux-ci s’ils sont trop faiblement défendus. Dans ces conditions, face à une éventuelle attaque de Daech contre les deux États frontaliers de la Libye les plus vulnérables que sont la Tunisie et le Niger, un ferme engagement des trois puissances régionales à ne pas rester inertes serait indispensable, sachant que leur propre sécurité serait en jeu à court terme. L’organisation djihadiste pourrait ainsi d’autant plus difficilement envisager de passer à l’action contre les États voisins face à la perspective de se trouver pris en tenaille entre les armées algérienne à l’ouest, égyptienne à l’est et tchadienne au sud et accuser ainsi de lourdes pertes sans pouvoir progresser sur le terrain. Evidemment, cette stratégie d’encerclement géographique de Daech en vue d’éviter tout débordement du conflit au-delà de la Libye, devrait aussi impliquer, dans la mesure du possible, son isolement en termes de ravitaillement supplémentaire en armes, en pétrole et en vivres, par terre, mer et air, tout en sachant qu’il dispose déjà de réserves considérables sur le territoire libyen lui-même.

Quant aux puissances occidentales, si leur soutien aux États de la région et aux factions armées combattants les djihadistes peut être déterminant, peu d’entre eux envisagent sérieusement une intervention directe, autant en raison du risque d’enlisement sur le terrain que face à celui de voir une telle action perçue par certains comme une ingérence étrangère et une tentative d’invasion, en favorisant le ralliement de certaines tribus et factions armées à Daech, aux antipodes de l’objectif poursuivi.

L’hypothétique alliance libyenne anti-Daech, même assortie de garanties de partage du pouvoir ?

Evoquer une solution politique et une alliance anti-Daech en Libye suppose de tenir compte, à la fois, des rivalités tribales et politiques qui traversent ce pays et qui l’ont mené au chaos depuis la chute de Kadhafi. La difficulté de constituer une telle alliance a encore été confirmée avec le récent échec des négociations sous l’égide de l’ONU, s’il venait à perdurer, en vue du rapprochement des deux gouvernements que connaît actuellement la Libye : celui de Tobrouk, ville située à l’extrême est du pays, le seul reconnu par la communauté internationale et composé de non-islamistes et d’ancien soutiens du régime déchu de Kadhafi, et celui de Tripoli, la capitale à proximité de la frontière tunisienne, composé d’une coalition de milices se réclamant de la Révolution de 2011 combattant aujourd’hui Daech, mais dominé par les factions islamistes, dont celles proches des Frères musulmans et des Tunisiens d’Ennahdha, mais aussi des salafistes.

Or, aujourd’hui, dans le contexte libyen, tout rapprochement de ce genre sera conditionné par des garanties à apporter aux différentes factions armées et groupes tribaux en vue d’éviter la marginalisation des uns ou des autres en cas de reconquête du pouvoir, sur l’ensemble du territoire ou une partie de celui-ci, voire dans l’hypothèse d’une partition en différentes entités correspondant aux territoires tribaux qu’on ne peut écarter. Mais concernant les interlocuteurs actuels que sont les gouvernements de Tobrouk et de Tripoli, la question de la représentativité réelle des différents groupes les composant se pose également, afin de pouvoir évaluer leur véritable poids dans une négociation de ce type et leur capacité d’influence sur les groupes tribaux qu’ils sont censés représenter. Des garanties de non-marginalisation à l’égard de l’ensemble des factions en présence impliqueraient ainsi, non seulement le partage du pouvoir politique, mais sans doute aussi un accès équitable entre les territoires au produit de la rente pétrolière inégalement répartie sur l’ensemble du pays. Une solution de ce type apparaît en tout cas comme l’autre urgence majeure de la situation.

« Le blé fait grandir la taille de la France sur un planisphère »

Thu, 18/06/2015 - 10:58

Le pays compte parmi les grands greniers à grains du monde depuis les années 1970. Son blé peut être un instrument de choc pour sa diplomatie économique, estime l’auteur de « Géopolitique du blé », à paraître le 1er juillet chez Armand Colin.

Avec le blé, quel pouvoir a la France, premier producteur européen et troisième exportateur mondial ?

Le blé, c’est le pétrole doré de la France ! Elle exporte un produit vital et elle est présente structurellement sur le marché mondial. Jusque dans les années 1950, elle importait du blé. Aujourd’hui, non seulement elle satisfait à ses propres besoins, mais elle exporte. Il faut prendre conscience que le « club » des pays producteurs et exportateurs de blé est particulièrement restreint : ils sont bien moins de vingt, alors que les pays dépendants des marchés internationaux sont très nombreux. Le blé fait grandir la taille de la France sur un planisphère, il est un excellent ambassadeur. Cela peut lui permettre de rester influente, dans un secteur où elle est attendue. Or ce produit consommé quotidiennement est parfois oublié de l’analyse stratégique dans le pays et dans la diplomatie économique.

Comment expliquez-vous cet oubli ?

La France a des tabous que les autres grands producteurs n’ont pas. On ne parle pas suffisamment de la France agricole qui marche, qui exporte, alors que depuis trente à quarante ans, le blé français réalise des performances commerciales. Il faut revaloriser ce secteur, le décloisonner. Cela signifie aussi sortir des cercles habituels. Actuellement, dans la diplomatie économique, l’agriculture et ses filières n’a pas une place suffisante. Il y a une aberration à vendre le kit made in France en mettant en avant le Rafale, le TGV, et pas un grain de blé. Puisqu’on fait appel aux forces vives de la nation, il y a un reclassement stratégique à faire des questions agricoles, par le Quai d’Orsay aussi !

La place de la France dans le marché mondial du blé est-elle menacée ?

Dans les pays arabes – l’Algérie et le Maroc sont nos premiers clients -, on s’inquiète que la France puisse un jour arrêter d’exporter. En outre, la concurrence continue à s’aiguiser : les pays de la mer Noire et les Etats-Unis vendent de plus en plus au bassin méditerranéen. Mais les exigences changent chez les acheteurs, leur cahier des charges évolue et il faut adapter la production française. Il ne faut surtout pas s’endormir. Je suis frappé de voir qu’il reste si difficile en France de parler de l’agriculture, hormis sous le prisme de l’environnement. Or, ce n’est pas l’unique pilier de la politique agricole. Le développement durable doit s’appuyer sur les piliers social et économique.

Géopolitique du blé : un produit vital pour la sécurité mondiale

Wed, 17/06/2015 - 11:14

Sébastien Abis est administrateur au Secrétariat général du CIHEAM, chercheur associé à l’IRIS. Il répond à nos questions alors qu’il présentera son ouvrage “ Géopolitique du blé, un produit vital pour la sécurité mondiale” dans le cadre du colloque “Le blé, enjeux géopolitiques et diplomatie économique” organisé par l’IRIS et l’AGPB le jeudi 18 juin 2015 :
– Le colloque organisé par l’IRIS le jeudi 18 juin sera l’occasion de discuter des enjeux géopolitiques du blé. Quels sont-ils ? Dans quelle mesure cette céréale est-elle déterminante pour la sécurité mondiale ?
– Vous consacrez une partie de votre ouvrage à la « géohistoire d’un grain au cœur du pouvoir ». En quoi le blé a-t-il contribué à l’histoire du monde ?
– Dans quelle mesure les matières premières agricoles, et notamment le blé, sont-elles révélatrices des tensions et des compétitions entre les États ?

Participation de Omar el-Béchir au Sommet de l’UA en Afrique du Sud : le dilemme entre le droit et la realpolitik

Tue, 16/06/2015 - 15:20

Le président du Soudan, Omar el-Béchir, a quitté lundi 15 juin l’Afrique du Sud vers le Soudan, ignorant une décision de la Haute Cour de Pretoria ordonnant son arrestation à la demande de la Cour pénale internationale (CPI). La demande d’arrestation formulée par la CPI à l’encontre du président du Soudan avait également été présentée aux autorités sud-africaines le 26 mai 2015. Celles-ci avaient néanmoins choisi d’inviter Omar el-Béchir et avaient publié un décret garantissant l’immunité des chefs d’État présents au vingt-cinquième sommet de l’Union africaine (UA).

Rappelons que le président du Soudan est poursuivi par la CPI pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité en 2009 et génocide en 2010 au Darfour ayant conduit à plus de 300 000 morts. Jusqu’à présent, il ne s’était déplacé que dans les pays africains non membres de la CPI ou ne respectant pas ses décisions. Lors de la Coupe du monde de football de 2010 en Afrique du Sud, il ne s’était pas déplacé, craignant d’être arrêté. Ce déplacement et cette invitation cherchent à narguer la CPI et à montrer la solidarité des chefs d’État africains entre eux. L’invitation d’Omar el-Béchir en Afrique du Sud, à l’occasion de la réunion de l’Union africaine définie souvent comme un syndicat de chefs d’État africains, a été émise par le gouvernement sud-africain pour signifier notamment son attachement à l’UA, sa défiance vis-à-vis de la CPI et affirmer sa position d’une Afrique aux Africains.

Cet imbroglio juridique, diplomatique et géopolitique est révélateur du dilemme entre le droit et la realpolitik, tant sur le plan interne à l’Afrique du Sud que sur les relations entre la justice internationale et les autorités politiques africaines.

Sur le plan juridique, la condamnation pour crimes de guerre, contre l’humanité ou génocide suppose de la part des États membres une coopération. La CPI, créée en 1998 et opérationnelle depuis 2002, comprend 123 États (sur 193 membres des Nations unies) et 33 États africains sur 54. Elle n’a pas les moyens d’arrêter ceux qui ont été condamnés et son action suppose une coopération de la part des États membres. Le décret pris par le gouvernement sud-africain d’accorder une immunité au président du Soudan n’est pas juridiquement valable. Aux yeux de la CPI, ce déplacement nargue la justice internationale. Les crimes contre l’humanité et les génocides sont imprescriptibles et la CPI est une instance juridictionnelle internationale dont les décisions l’emportent sur les droits nationaux. L’Afrique du Sud est un État de droit caractérisé par l’indépendance de la justice, le respect de la Constitution et le respect de ses engagements auprès de la justice internationale – en tant que signataire du Traité de Rome ayant institué la CPI -, l’importance de la société civile, malgré certaines dérives depuis l’arrivée au pouvoir de Jacob Zuma.

Sur le plan politique, le Congrès national africain (ANC) – parti dominant au pouvoir – ainsi que les autorités politiques, à commencer par le président Jacob Zuma, veulent montrer leur indépendance vis-à-vis de la CPI, affirmer leur appartenance à l’Union africaine et leur solidarité avec les autres responsables africains. De nombreux chefs d’État ne reconnaissent pas en effet la légitimité de la CPI considérant qu’elle condamne prioritairement des Africains. Le président en exercice de l’UA, Robert Mugabe, a sur ce point une position très ferme. Jusqu’à présent, la CPI n’a pas condamné de présidents en exercice. C’est l’Afrique du Sud et l’Union africaine qui avaient invité Omar el-Béchir et c’est le gouvernement sud-africain qui voulait assurer l’immunité des chefs d’État.

Les enjeux géopolitiques sont également importants. Bien que les puissances occidentales soient hostiles à Omar el-Béchir et que les États-Unis (qui n’ont pas adhéré à la CPI) aient appuyé fortement l’indépendance du Soudan du Sud – jeune pays aujourd’hui en guerre – Omar el-Béchir, âgé de 71 ans, vient d’être réélu chef d’État avec plus de 94% des voix. Il est, malgré les dérives et le maintien du conflit au Darfour, plutôt un élément de stabilisation dans une région touchée par le maintien du conflit au Darfour, les affrontements avec le Soudan du Sud et les risques de montée de mouvements djihadistes. Certaines puissances voient en lui, aujourd’hui, un moindre mal.

Omar el-Béchir a quitté l’Afrique du Sud, allant à l’encontre du droit national et international. La realpolitik l’emporte donc sur le droit. Ce déni de justice a un double impact : il détériore l’image de la nation arc-en-ciel mais aussi celle de la CPI.

Sommet UE-Celac : un multilatéralisme mis à mal au profit de relations bilatérales

Tue, 16/06/2015 - 09:52

Le deuxième sommet Union européenne (UE) – Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (Celac) a eu lieu les 10 et 11 juin 2015. Les avis sont divergents quant au succès de ce sommet et aux engagements pris par les deux entités. Qu’en est-il ?
On peut difficilement être déçu par ce genre de sommet puisqu’en règle générale, il ne s’y passe pas grand-chose. Il y a effectivement eu un certain nombre de thèmes qui ont été évoqués et qui sont plutôt consensuels, à l’instar des déclarations non contraignantes sur la nécessité de lutter contre le changement climatique. L’Union européenne s’est également engagée à aider les pays latino-américains à combattre la rouille du café et les sous-équipements sanitaires dans les zones péri-urbaines. Sur les dossiers politiques, un soutien européen aux négociations entre la Colombie et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et la normalisation des relations entre les États-Unis et Cuba ont été évoqués. Néanmoins, ce type de grands rendez-vous internationaux comme le G7, le G8 ou encore le G20 débouche rarement sur de grandes avancées concrètes. De plus, on remarque que tous les chefs d’État européens ont assisté à ce sommet, alors que du côté latino-américain, quatorze chefs d’États s’étaient fait représenter par des ministres, voire des ambassadeurs, et une délégation n’a même pas envoyé de représentant. Par exemple, n’étaient pas présents les présidents de Cuba, de la République dominicaine, du Salvador, du Guatemala, du Nicaragua, de l’Uruguay, du Venezuela, ainsi que la présidente de l’Argentine.
Cela est assez révélateur des rapports nouveaux qui existent depuis quelques années entre les Européens et les Latino-américains. Au mois de décembre 2014, l’Espagne en avait déjà fait l’expérience puisqu’à l’occasion d’une conférence ibéro-américaine, de très nombreux chefs d’État latino-américains n’avaient pas fait le déplacement.

En tant que premier partenaire commercial de l’Amérique latine, l’UE a-t-elle les moyens de faire face à la concurrence des pays asiatiques et notamment celle de la Chine ? Selon vous, a-t-elle l’ambition de rester un partenaire de premier ordre ?
Tout cela est très relatif. La Chine représente un État, un gouvernement, alors que l’Union européenne désigne un ensemble de vingt-huit États qui sont plutôt en situation de concurrence en matière commerciale ou d’investissements, que ce soit en Amérique latine ou ailleurs. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce sommet a donné l’occasion à plusieurs chefs d’État latino-américains de visiter un certain nombre de pays européens et de négocier des accords bilatéraux très concrets. A titre d’exemple, le président mexicain Enrique Peña Nieto, pays latino-américain membre du G20, a profité du sommet de Bruxelles pour faire un détour par Berlin. A cette occasion, il a mis en place avec l’Allemagne une grande commission bilatérale qui traitera, au sein de groupes de travail particuliers, de questions aussi importantes que le commerce, l’économie, les investissements, la culture, la formation notamment professionnelle, ou encore la défense de l’environnement. Il s’est également rendu en Italie. La présidente du Chili, quant à elle, a fait un détour par Paris pour signer des accords bilatéraux avec la France, tout comme le président du Costa Rica. Le président du Paraguay en a fait de même avec le gouvernement espagnol. Par conséquent, on se rend compte que pour les pays latino-américains, ces sommets européens sont finalement l’occasion de nouer des liens commerciaux en bilatéral avec leurs homologues du vieux continent. Mais la situation la plus paradoxale est celle de la présidente de l’Argentine, Cristina Fernández de Kirchner, qui était en Europe lors du sommet sans toutefois y participer. Elle s’est arrêtée à Rome pour signer des accords et pour rendre visite au Pape.
Le constat que l’on peut dresser est que ces rencontres entre l’Union européenne et l’Amérique latine sont en quelque sorte traités par les Latino-américains comme les prises de fonction présidentielle en Amérique latine. C’est pour eux une occasion de rencontrer leurs homologues et à cet égard, l’UE fait plutôt office d’espace d’accueil permettant à divers contacts bilatéraux de se concrétiser. Malgré tout, il y a eu pour la Colombie et pour le Pérou une évolution intéressante au cours de ce sommet. Ces deux pays ont négocié de leur côté, indépendamment de leurs homologues latino-américains, la possibilité de faire entrer leurs ressortissants sur le territoire des pays membres des accords de Schengen sans visa.

L’UE souhaite moderniser ses relations avec Cuba et les deux parties souhaitent trouver un accord sur ce point avant la fin de l’année 2015. Sur quoi portent les négociations ? Ont-elles une chance d’aboutir ?
Les Européens auraient souhaité parler du Venezuela pour émettre un communiqué signalant la nécessité pour ce pays d’être plus respectueux des libertés et de la démocratie. Sur ce point, les Latino-américains ont fait bloc. Ils se sont opposés à ce souhait européen de montrer du doigt le Venezuela. Le communiqué final du sommet va même en sens inverse de ce que souhaitait l’UE. Il prend note de la position des dirigeants latino-américains telle qu’elle a été exprimée dans une série de communiqués depuis le début de l’année, condamnant systématiquement les ingérences extérieures dans les affaires du Venezuela.
Par ailleurs, les Européens, comme le souhaitaient les pays latino-américains, se sont félicités du rapprochement entre les États-Unis et Cuba depuis le 17 décembre dernier. Ils ont à cette occasion rappelé le souhait pour l’UE de revenir sur le conditionnement de la coopération entre l’UE et La Havane, liée depuis 1996 à une évolution de Cuba en matière de droits et de libertés. Des négociations sont actuellement en cours sur ce sujet avec les autorités cubaines.
Pour le reste, la position des Européens reste inchangée. La quasi-totalité des pays européens ont déjà des relations bilatérales tout à fait normales avec Cuba depuis plusieurs années, y compris l’Espagne qui avait été en 1996 à l’origine de ce conditionnement de la coopération européenne avec l’île. Malgré cette initiative, Madrid avait continué à être le premier investisseur européen à Cuba et à entretenir des relations normales avec la Havane. Ces règles de conditionnement de la coopération européenne sont actuellement en cours de réactualisation afin d’adopter, en tant qu’entité, la même démarche et position que les États-Unis. Il faut donc bien distinguer ce qui est bilatéral de ce qui est du ressort de la coopération européenne, cette dernière étant relativement secondaire dans cet ensemble.

Le blé, un produit stratégique pour la France et son influence dans le monde

Mon, 15/06/2015 - 17:22

Le texte qui suit n’est que pure-fiction… Gardons toutefois en tête les réalités suivantes pour que sa lecture prenne une tonalité géopolitiquement plus profonde : la France est le 5e pays producteur et le 3e exportateur en blé de la planète. Près de 10% de la superficie métropolitaine française est couverte en blé. Environ 500 000 emplois directs et indirects sont générés en France par la filière céréalière. En 2014, l’exportation de céréales s’est élevée à 9,5 milliards d’euros, le blé étant la céréale phare de cette France agricole performante dans la mondialisation. Un hectare de blé sur cinq cultivé en France se retrouve consommé par les populations du Sud de la Méditerranée, qui captent deux-tiers des exportations françaises de blé en dehors de l’UE. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la France avait besoin de l’étranger pour couvrir ses besoins en blé. Depuis le dernier tiers du XXe siècle, la France n’a pas de pétrole mais elle a du blé. Dans un contexte alimentaire en évolution rapide depuis le début du XXIe siècle, le blé constitue un atout majeur pour la compétitivité économique et l’influence stratégique de la France dans le monde.

18 juin 2020. A Paris, les Champs-Elysées sont recouverts de blé. Le temps d’une journée, le produit phare de l’agriculture française est célébré. La date est symbolique. Cela fait cinq ans qu’un « appel du blé » a été lancé pour positionner cette céréale au cœur de la diplomatie économique de la France. C’est aussi le trentième anniversaire de la même manifestation tenue le 24 juin 1990, date d’une « Grande Moisson » qui avait pris possession de l’une des avenues les plus célèbres du monde. De l’Arc de Triomphe à la Concorde, les épis de blé tapissent les sols sur près de 2 kilomètres et 70 mètres de large. Il s’agit à la fois de valoriser le secteur auprès de l’opinion publique et de promouvoir le rôle essentiel du blé pour l’économie nationale mais également l’influence du pays à travers la planète, notamment en direction des pays francophones.

En 2020, plus que jamais, le blé contribue à rééquilibrer la balance commerciale nationale, encore déficitaire mais dont les corrections restent effectuées grâce aux performances à l’exportation de certains produits où la France reste compétitive. C’est notamment le cas de l’agro-alimentaire et des céréales. Si ce tableau ne fait que confirmer des réalités connues et observées depuis le début du siècle, la vraie différence tient au fait que le discours politique et diplomatique a évolué. Le blé fait partie intégrante des éléments de langage des décideurs français, quand bien même ils ne sont pas affairés aux questions agricoles. Reclassé parmi les atouts majeurs de la Nation, le blé représente cette matière première bien vivante du territoire français, procurant de l’emploi et générant des revenus. Surtout, pour les diplomates et tous ceux qui travaillent à l’expression de la puissance française dans le monde, le blé est devenu l’un des meilleurs arguments pour illustrer ce que le pays peut faire, depuis les terres de l’Hexagone, pour concrètement contribuer à la stabilité et au développement dans le monde. Les grains produits en France partent pour désormais deux-tiers d’entre eux en direction de l’étranger. C’est une évolution forte par rapport à la situation qui prévalait encore au milieu de la décennie 2010, quand une tonne sur deux récoltée se retrouvait mise sur les marchés internationaux. Alors que la production française s’est améliorée quantitativement, avec la barre des 40 Mt franchie pour la première fois en 2019, elle s’est aussi bonifiée en termes qualitatifs. Les producteurs ont continué à améliorer leurs pratiques, inscrivant leurs activités dans les sillons d’un développement durable où la sécurité humaine est essentielle, comme cela a été défini dans le cadre de l’agenda post-2015 et de la feuille de route climatique établie à Paris lors de la COP21 tenue en décembre 2015. Plus responsable encore sur le plan environnemental, le producteur français s’est également attelé à faire progresser la qualité de ses blés. Davantage protéinés, ils correspondent aux attentes des consommateurs des pays acheteurs, qui reconnaissent les efforts menés depuis plusieurs années pour que l’origine française en blé cultive sa compétitivité. Il faut dire que cette montée en gamme sur le plan qualitatif fut rendue nécessaire face aux concurrences renforcées des origines russes et roumaines, de plus en plus présentes sur les marchés des rives Sud et Est du bassin méditerranéen. Et c’est bien là que la géopolitique du blé connaît sa sismicité la plus soutenue.

Les autorités françaises, en étroite association avec les producteurs et les nombreux acteurs de la filière blé dans le pays, ont organisé cette journée du 18 juin 2020 pour une raison stratégique : de fortes secousses alimentaires ont déstabilisé la planète entre le printemps et l’automne 2019. Plusieurs gouvernements sont tombés dans des Etats où la demande en blé n’est couverte intégralement que grâce aux approvisionnements extérieurs. Or la tonne de blé s’est nettement renchérie en 2019, conséquence d’une campagne mondiale très défavorable et d’une combinaison d’événements géopolitiques ayant impacté lourdement le cours des céréales. La sécheresse historique aux Etats-Unis, à l’été 2018, est venue plomber la production de blé chez celui qui reste l’un des principaux greniers traditionnels du globe. Déjà fragilisée par la primauté donnée au maïs, le blé américain chute à 40 Mt pour la récolte de cette campagne 2018-2019. La conséquence pour les marchés mondiaux est immédiate : seuls 20 Mt seront exportées depuis les Etats-Unis, soit 40% de moins que la moyenne enregistrée lors des campagnes précédentes. La nervosité des cours du blé s’accentue à l’été 2018 quand il apparaît que la récolte autour de la mer Noire s’annonce mauvaise. Les problèmes politiques en Ukraine persistent depuis 2014, obérant le développement agricole du pays, dont une partie des terres à céréales est ravagée par des conflits militaires locaux entre les forces d’un régime affaibli à Kiev et des rebelles à l’Est revendiquant le rattachement à la Russie. Celle-ci plonge toutefois dans l’inconnue stratégique la plus totale à l’automne 2018. Son président perd le pouvoir et c’est tout le système politique russe qui tente de se recomposer face à cet événement soudain. La population saisit cette vacance de gouvernance pour muscler ses revendications. Les rues de Moscou sont pleines de manifestants, tandis que les campagnes connaissent une année creuse. Les plaines russes ont en effet subi une période de chaleur excessivement longue lors de l’été 2018. Quelques mois plus tard, il apparaît que la production en blé, comme celle des Etats-Unis, est historiquement basse. Avec 25 Mt, la récolte est à la fois catastrophique pour l’économie russe mais également terrible pour les équilibres du marché mondial. A peine 5 Mt de blé russe sortiront des ports de la mer Noire…La tonne de blé atteint 400 dollars le 16 mars 2019 à la bourse de Chicago. Le prix du blé reste supérieur à 300 euros en « rendu Rouen » pendant plus de cinq mois cette année-là. A l’été 2019, les guerres dans la péninsule arabique sont telles que le passage des navires par le canal de Suez est impossible. Sa fermeture pour plusieurs semaines perturbe le commerce mondial et certains flux céréaliers dans la région. Le hub céréalier de Damiette, au nord de l’Egypte, à peine inauguré en 2018, est presque vide. Le coût du fret maritime part à la hausse, sans oublier un baril de pétrole situé à 200 dollars quand l’Arabie saoudite perd le contrôle de la moitié de son territoire en septembre 2019. Le Royaume, pour sauver la face et tenter d’endiguer les menaces, achète 10 Mt de blé sur les marchés, malgré le prix. Puisant dans leurs immenses réserves financières, les autorités saoudiennes redistribuent du blé aux populations moyen-orientales qui lui sont fidèles (ou qu’il faut conquérir) à bas coût, mais surtout sous la forme d’une aide alimentaire déguisée.

A l’instar de l’épisode de 2007-2008, la crise alimentaire mondiale de 2019 est la conséquence d’une combinaison de facteurs. L’inflation du prix de plusieurs matières premières agricoles n’est pas uniquement le résultat de récoltes moins bonnes. Elle est aussi liée à de mauvaises nouvelles géopolitiques. L’inconnue russe, le chaos moyen-oriental, sans oublier les désordres socio-politiques en Afrique de l’Ouest, inquiètent les marchés et les contaminent. Les signaux pour l’économie mondiale sont mauvais. Les échanges de blé se tendent : malgré une production record de 765 Mt en 2018-2019, la demande dépasse l’offre. Comme au cours des deux précédentes campagnes. Les événements de 2018 et 2019 viennent pressuriser des marchés déjà particulièrement vulnérables. La facture à l’importation pour les Etats dépendants en blé explose. Certains n’ont pas les moyens de la régler. En Afrique du Nord, cela fait dix ans que les systèmes politiques sont bousculés par des aspirations sociales de plus en plus fortes. Le pain fait défaut dans de nombreux foyers en 2019. Il est si cher que son accès est difficile pour les populations vulnérables. Les subventions alimentaires en Egypte ont été réduites, tout comme au Maroc et en Tunisie, ce qui fait beaucoup hésiter l’Algérie à faire de même. Le renchérissement du pétrole lui offre un ballon d’oxygène sociopolitique à la différence de ses voisins. Mais l’Algérie achète en 2019 beaucoup de blé pour tenter d’éteindre les étincelles qui se multiplient dans une bande sahélo-saharienne en pleine ébullition. La pauvreté, les guerres et les insécurités s’y multiplient depuis des années. Cela nuit à la stabilité nord-africaine et pèse fortement sur le développement de toute l’Afrique de l’Ouest.

Dans ce contexte, la France a pris des décisions courageuses en 2019. Elle a mis en place un système inédit de diplomatie alimentaire, en synergie complète avec les producteurs de blé et les opérateurs de la filière, y compris de la logistique et du négoce. Le blé d’origine France sera patriotique et stratégique. Il est vendu 220 euros la tonne lors de la campagne 2019-2020, quel que soit le cours sur les marchés et la volatilité des prix. Ce tarif unique et stable est pratiqué en direction des pays partenaires traditionnels de la France qui sont les premiers débouchés du blé français à l’export. Les Etats de l’Afrique du Nord et de l’Afrique de l’Ouest sont ainsi concernés, mais Paris n’oublie pas certaines destinations du Proche-Orient. La contrepartie diplomatique est simple : que ces pays achètent du blé français dans des quantités bien déterminées au cours des cinq prochaines campagnes et dans une fourchette de prix qui sera obligatoirement entre 200 et 240 euros la tonne, tarifs jugés suffisamment rémunérateurs pour l’agriculteur et relativement accessibles pour les acheteurs. Cette contractualisation quinquennal rassure tout le monde, producteurs de blé en France comme consommateurs dans les pays importateurs. Les opérateurs des marchés sont mobilisés pour se situer dans cet exercice. La puissance publique s’appuie sur les forces vives de la Nation. A travers une telle démarche de diplomatie économique avec le blé, les autorités françaises contribuent à atténuer les risques d’instabilités géopolitiques dans les régions voisines africaines. Si l’acte n’est pas compatible avec les règles commerciales de l’OMC et de l’UE, il est tout de même autorisé à titre expérimental pour répondre à une situation de crise. Le processus séduira Bruxelles qui décide de mener une réflexion approfondie pour qu’un tel dispositif soit appliqué à l’échelle européenne à partir de 2025, dans le cadre de la nouvelle PAC qui sera davantage géostratégique et articulée avec les politiques de coopération renforcée établies avec les pays du voisinage de l’UE.

Le 18 juin 2020, le Président de la République française termine son discours à la Concorde en rappelant que le blé fait non seulement partie de l’histoire profonde du pays mais qu’il est surtout un produit vital pour la sécurité mondiale. Il appelle les concitoyens à être fiers que la France soit dotée d’un tel atout, contribuant à l’alimentation de base de la population nationale et à l’équilibre des marchés internationaux où la croissance des besoins alimentaires s’affiche comme l’un des principaux moteurs. Le Président français conclut en regardant l’horizon de ces Champs Élysées recouverts de blé : il y voit au loin la défense des intérêts de la France et, au milieu, le triomphe de son modèle diplomatique. Rayonner avec ses atouts dans la mondialisation et savoir être une puissance juste dans son action : tel est le cap fixé pour le développement économique et la politique extérieure de la France.

 

Sébastien Abis présentera son ouvrage “ Géopolitique du blé, un produit vital pour la sécurité mondiale” dans le cadre du colloque “Le blé, enjeux géopolitiques et diplomatie économique” organisé par l’IRIS et l’AGPB le jeudi 18 juin 2015.

Un militant propalestinien arrêté par le Raid après un canular : ce procédé est effrayant

Mon, 15/06/2015 - 11:45

Un responsable d’une association juive chez lequel les forces de sécurité débarquent en nombre et de façon violente, défoncent sa porte, le molestent et l’embarquent de force, cela rappelle de mauvais souvenirs.

C’est ce qui est arrivé, le 9 juin, à Pierre Stambul, vice-président de l’Union juive française pour la paix (UJFP). Mais apparemment, cela a peu ému les médias et le milieu politique. Silence radio.

Le 9 juin au matin, à 1h30, le Raid a en effet débarqué à son domicile et a utilisé le protocole pour neutralisation de terroriste retranché et armé. Du très lourd pour un paisible citoyen.

Pierre Stambul serait-il la nouvelle victime du dénommé Ulcan ? C’est une hypothèse envisagée. Cette intervention faisait suite à un appel téléphonique reçu par la police, informant que la femme de Pierre Stambul venait d’être tuée. Ulcan a utilisé ce procédé de nombreuses fois. Pierre Haski en a été victime. Plus grave encore, à force d’harcèlements de ce type, le père du journaliste Benoit Le Corre est mort de crise cardiaque.

Israël et la France entretiennent d’excellentes relations, malgré la présence massive de l’extrême-droite au sein du gouvernement israélien et le désaccord majeur sur le conflit israélo-palestinien. On pourrait ainsi penser que la justice française pourrait facilement obtenir des autorités israéliennes l’extradition de ce criminel, ou du moins qu’il cesse ses actions. Que nenni !

Cette intervention pose plusieurs questions : même en cas d’assassinat, l’intervention du Raid se justifie-t-elle ? Pourquoi avoir emmené Pierre Stambul, alors que sa femme était à ses côtés et manifestement vivante ? Pourquoi, par la suite, avoir mené une garde à vue de plus de sept heures? Comment se fait-il que les policiers ne connaissaient pas l’identité de ce militant pacifiste ?

Ceci est en fait un acte clairement antisémite, car c’est bien parce que Pierre Stambul est juif qu’on s’est attaque à lui. Ou plutôt, c’est parce que Stambul est juif et qu’il est critique de la politique du gouvernement israélien, ce qui pour des gens est inadmissible, et nourrit sa haine dévastatrice.

Si un autre responsable communautaire avait subi un tel désagrément (le mot est faible) de la police, sans doute aurait-il été reçu au plus haut niveau, et les médias auraient fait leur une de cet événement. Là, peu d’échos, juste les réseaux sociaux qui en ont rendu compte. Un juif qui est critique à l’égard de Netanyahou serait-il moins défendable ? L’accusation d’antisémitisme serait-elle recevable que pour les juifs qui défendent le gouvernement Netanyahou et serait-elle irrecevable pour ceux qui le critiquent ?

Pourquoi, alors que responsables et médias se plaignent, à juste titre, de l’assimilation entre juifs français et israéliens, n’évoque-t-on jamais l’action de l’UJFP (Union juive française pour la paix), qui justement montre la diversité de la communauté juive française et casse, par ses actions, cet amalgame dangereux ?

Le lendemain, c’est toujours en pleine nuit au domicile de Jean-Claude Lefort, député honoraire et ancien président de l’Association France Palestine Solidarité, que les forces de l’ordre débarquent pour des motifs identiques. Lui n’a eu droit qu’à la BAC mais, heureusement, il n’était pas chez lui. Ce sont les voisins qui ont été dérangés.

Le climat est de plus en plus pestilentiel. On ne peut pas admettre que ceux qui, en raison de convictions universalistes, et quelles que soient leurs origines, puissent être soumis à de telles attaques.

Football, un espace médiatique et géopolitique

Mon, 15/06/2015 - 11:02

Pendant une semaine, l’actualité mondiale n’a tourné qu’autour du « Fifagate ». Le reste est passé au second plan, ce qui en dit long sur l’importance que le football occupe désormais sur la scène mondiale. Un scandale comparable, concernant une autre fédération sportive ou lié au football il y a vingt ou trente ans, n’aurait jamais occupé un tel espace médiatique. L’enquête n’en est qu’à son début et de futures révélations sont à venir. Si Sepp Blatter a décidé de démissionner de lui-même, après avoir été réélu confortablement, c’est bel et bien qu’il avait compris que sa position ne serait pas tenable pour les quatre ans qui viennent.

D’ores et déjà, on parle de la remise en cause de l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar. Pour le moment, il n’y a pas de preuves que ces décisions soient liées à la corruption massive. Il faut donc attendre que les rumeurs se transforment en preuves. On a appris que l’attribution des Coupes du monde 2006 et 2010 avait été entachée de fraude en faveur de l’Allemagne et de l’Afrique du Sud. En fait, cette décision d’attribuer la Coupe du monde à la Russie et au Qatar a été critiquée dès le départ dans certains cercles. Par les perdants de la compétition (l’Angleterre contre la Russie et les États-Unis contre le Qatar), mais aussi par une partie des responsables occidentaux, qui estimaient que ce choix n’était pas valide pour des raisons politiques. Ces adversaires mettaient en avant la nature des régimes politiques russe et qatari pour s’opposer à ce qu’ils organisent la Coupe du monde. Problème : ces événements ne peuvent-ils avoir lieu que dans des démocraties occidentales ? Le but de la Fifa est d’étendre le football au niveau mondial. Il y a chez certains la nostalgie d’une période où l’Occident dominait la planète comme le monde du sport. Mais, aujourd’hui, les jeux Olympiques peuvent ne pas être organisés uniquement en Europe et aux États-Unis, et la Coupe du monde en Europe et en Amérique du Sud. Il est donc logique que, dans un monde où les pays émergents se font de plus en plus entendre, l’organisation de compétitions sportives se mondialise également. Dès le départ, Poutine a critiqué une justice américaine qui a pour habitude de chercher à étendre sa juridiction au-delà de ses frontières. Après les jeux Olympiques d’hiver de Sotchi, la Coupe du monde de 2018 est un objectif stratégique important pour Poutine en termes d’image.

Le retrait de cette compétition, suite à une enquête déclenchée aux États-Unis, constituerait un nouvel épisode dans la crispation des relations entre Washington et Moscou, sur fond de différends ukrainien et syrien. Par ailleurs, il faudra probablement attendre l’élection du prochain président de la Fifa pour rouvrir le dossier. Le temps paraît court vis-à-vis de l’objectif 2018, tant le calendrier que l’importance de la Russie sur la scène mondiale semblent protéger le maintien de la compétition dans ce pays. Le Qatar s’est également placé sur un plan géopolitique. Il met en avant que certains n’avaient pas digéré le fait qu’un pays arabe puisse organiser un événement sportif mondialisé, tout en niant toute mauvaise conduite. La position du Qatar est plus fragile parce que l’objectif est plus lointain dans le temps et que le Qatar n’a pas le poids stratégique de la Russie. Le retrait de la compétition de ce pays nourrirait très certainement le sentiment d’un complot américain et/ou occidental pour humilier les nations arabes. On peut toujours contester l’attribution de la compétition à tel ou tel pays. La lui retirer après la lui avoir attribuée aurait un impact tout à fait différent et, au-delà de l’aspect sportif, un impact stratégique réel.

Ukraine, Moyen-Orient : quel est le point de vue du Royaume-Uni sur ces dossiers ?

Thu, 11/06/2015 - 11:09

Entretien avec Sir Peter Ricketts, Ambassadeur du Royaume-Uni en France :
– Quelle est la position du Royaume-Uni vis-à-vis de la Russie sur le dossier ukrainien ? Comment le Royaume-Uni envisage-t-il l’évolution des sanctions à l’encontre de Moscou ?
– Nombreux sont ceux qui parlent de la disparition du Royaume-Uni de la scène diplomatique européenne. Cela vous semble-t-il justifié par certains aspects ? Le Royaume-Uni peut-il être influent, tout en étant en retrait de la scène européenne, sur le dossier ukrainien ?
– Comment les partenaires européens peuvent-ils œuvrer ensemble pour résoudre la crise au Moyen Orient?

La Tripartite Free Trade Area : un projet d’intégration régionale pour mettre fin à la fragmentation commerciale en Afrique

Thu, 11/06/2015 - 10:57

Vingt-six pays africains ont signé le 10 juin 2015, un accord de libre-échange qui intéresse 620 millions d’habitants du Caire au Cap. Quelle est la portée de cet accord « Tripartite » ?
La Tripartite Free Trade Area (TFTA) englobera les pays membres de trois organisations régionales déjà existantes : le Marché commun d’Afrique orientale et australe (Comesa), la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). L’objectif est de supprimer les barrières douanières et non tarifaires. L’approche régionale est donc privilégiée comme partout dans le monde, confirmant ainsi l’échec de la démarche globale préconisée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis quinze ans.
L’accord intéresse un ensemble qui regroupe plus de 600 millions d’habitants et plus de 1 000 milliards de dollars de PIB, associant près de la moitié des pays africains. On y retrouve des économies qui par leur taille et leur potentiel peuvent jouer un rôle dynamique dans l’intégration économique, avec au Nord, l’Égypte, à l’Est, le Kenya, et au Sud, l’Afrique du Sud. Sans oublier des économies qui affichent des taux de croissance très élevés comme l’Angola, l’Éthiopie et le Mozambique, et qui attirent d’importants investissements étrangers. Seul manque au tableau le Nigeria, premier PIB d’Afrique mais qui appartient à l’espace occidental.

Les membres de la Tripartite

Qu’attendre de cet accord ?
L’objectif est de mettre fin à la fragmentation commerciale. L’idée de base qui sous-tend ce type de projet d’intégration est qu’un marché régional où la circulation des marchandises est ouverte et protégée vis-à-vis de l’extérieur par un tarif unifié est bénéfique pour tous. Sous réserve cependant qu’il y ait, au sein de l’espace concerné, concurrence, économies d’échelle et création de trafic.
L’idée n’est pas neuve en Afrique. L’intégration commerciale est inscrite à l’agenda des pays africains depuis les indépendances des années 1960. Avec jusqu’à présent des résultats modestes. Seulement 12 % environ des échanges commerciaux en Afrique ont lieu entre pays du continent, contre 55 % en Asie et 70 % en Europe. Les instruments de l’intégration ne manquent pourtant pas et l’on peut penser que si les textes étaient effectivement appliqués, certaines sous-régions constitueraient déjà de vraies zones de libre-échange. La Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) constitue le seul exemple véritablement significatif de renforcement des échanges. Au cours de la période 2005-2015, la baisse des droits de douane en son sein a dynamisé le commerce régional et a permis aux cinq pays membres d’accélérer leur croissance. Les exportations entre le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie ont triplé pour représenter 23% de leurs échanges. L’union monétaire est promise pour 2017. De son côté, du fait de sa souplesse, la SADC devrait être la plus performante des organisations régionales, avec ses douze membres ayant aboli des droits internes et s’étant engagés vers une Union douanière.
Les obstacles non tarifaires internes aux échanges restent partout nombreux : contingents, permis divers, règles d’origine, normes sanitaires et phytosanitaires, refus des conditions préférentielles. L’équivalent tarifaire de ces obstacles s’établit en moyenne à 40 %, soit un taux qui, pour la plupart des produits, est beaucoup plus élevé que les tarifs appliqués par la plupart des pays du monde. Si la Tripartite a l’ambition de réduire ces pratiques, l’accord ne permettra pas de supprimer ipso facto toutes ces entraves, et pas davantage ce que les économistes appellent pudiquement les « pratiques anormales ». Elle se mesure par exemple par les délais de transport et les coûts de franchissement des frontières.

Quelles seront les prochaines étapes ?
Il faudra attendre plusieurs mois avant que ne se concrétise véritablement la Tripartite. Le calendrier de démantèlement des barrières douanières n’a pas encore été établi et il faudra de longs délais de négociation entre experts. Pour entrer en vigueur, le traité devra être ratifié dans les deux ans par les Parlements des vingt-six pays.
Au-delà, pour engager en profondeur un processus d’intégration régionale rêvé par les pères des Indépendances, la création d’un vaste marché ne suffira pas. Il devra être accompagné par le développement de projets d’infrastructures (transport, énergie notamment) à vocation régionale et par l’adoption et l’application de règles communes allant jusqu’au transfert de souveraineté avec des structures institutionnelles de type fédéral. On en est encore loin.

Libye : les négociations en cours ont-elles une chance d’aboutir ?

Wed, 10/06/2015 - 16:02

Les représentants des deux Parlements libyens rivaux sont réunis depuis lundi 8 juin à Skhirat au Maroc pour tenter de trouver un accord politique sur la crise libyenne. Quels sont les enjeux de cet accord pour la stabilité de la Libye ? Quels sont les défis auxquels fait face le pays actuellement ?
L’enjeu de cette négociation à Skhirat au Maroc est de parvenir à un accord intérimaire qui permettrait de constituer un gouvernement d’union nationale dont la durée de vie serait d’un an, afin de stabiliser la situation, faire cesser les combats et désarmer les milices. C’est l’objectif absolu et prioritaire de l’émissaire des Nations unies pour la Libye, M. Bernardino Leon. Mardi 9 juin, ce dernier est apparu très optimiste en annonçant que sa proposition avait été bien accueillie par les deux parties, mais dans l’après-midi, des réactions à la fois des dirigeants qui gouvernent à Tripoli et de ceux qui sont à Benghazi, ont affirmé qu’un accord n’était pas encore en vue. Les négociations sont donc toujours en cours avec à l’esprit de tous les belligérants, l’urgence de la situation qui continue à se dégrader sur le terrain avec la poursuite des combats. Par ailleurs, l’implication de la communauté internationale est évidemment due à la crainte de voir l’organisation de l’État islamique (Daech) devenir le principal acteur politique de la Libye, puisque le groupe islamiste ne cesse d’étendre son influence sur le pays. C’est cette urgence absolue qu’il faut parvenir à endiguer.
Les divergences entre les deux gouvernements et les deux parlements sont aujourd’hui particulièrement exacerbées, et les contacts entre les deux camps ont été rompus depuis plusieurs mois déjà. Par conséquent, la négociation qui se déroule à Skhirat a ce double objectif à la fois de permettre la reprise d’un contact entre les différents acteurs mais surtout de parvenir à stopper les combats fratricides sur le terrain pour redonner un peu de stabilité à la Libye. Cela permettrait, par voie de conséquence, de tenter à nouveau de stabiliser la situation sécuritaire sur le flanc sud de la Méditerranée puisque c’est évidemment une des grandes inquiétudes des Européens.

Les représentants des deux parlements vous semblent-ils partager la même optique de résolution du conflit ? Quelles sont les chances d’arriver à un accord ferme et définitif ?
Bien sûr, toutes les parties prétendent être d’accord sur la nécessité de trouver un compromis. Le problème est qu’elles sont toutes deux pour le moment dans un rapport de force qui les empêchent d’aboutir à un accord. Ceux qui, dans les deux camps, ont des positions à préserver ou à défendre veulent les maintenir en l’état. Si l’on veut parvenir à un accord, il faudra pourtant que chaque camp fasse des concessions. Selon moi, cela va être assez compliqué mais possible, à condition que la communauté internationale maintienne la pression sur les différents acteurs de cette crise. Ajoutons qu’une pression régionale est également à l’œuvre aujourd’hui puisque l’Algérie, l’Egypte et l’Italie ont signé dimanche au Caire une déclaration commune pour qu’un compromis politique voit le jour et que les combats cessent. Cela étant, on est pour le moment loin du compte. Les discussions ont été engagées depuis plusieurs mois maintenant, ce qui est déjà très important. Il faut donc poursuivre les efforts qui ont été entamés en 2014 sous les auspices du Maroc, qui joue un rôle central dans ce dossier.

Alors que M. Bernardino Leon, émissaire des Nations unies pour la Libye, tente de faire pression sur les deux camps via les dispositifs onusiens, la communauté internationale semble divisée quant à la manière de gérer ce conflit. Quid du jeu de la communauté internationale sur celui-ci ?
La situation est un peu compliquée car beaucoup de partenaires de l’Union européenne (UE) considèrent que la France est en grande partie responsable de cette crise dans la mesure où elle a participé en 2011 à l’intervention en Libye avec la Grande-Bretagne, provoquant la chute de Mouammar Kadhafi et par voie de conséquence, l’instabilité chronique dans laquelle vit le pays depuis presque quatre ans. Un certain nombre de pays de l’UE ou de pays arabes – parfois même les deux – considèrent que c’est à la France de travailler à une stabilisation de la situation. Aujourd’hui, des débats ont lieu entre la nécessité de mettre l’accent sur la diplomatie ou bien d’envisager une nouvelle intervention militaire. Pour le moment, l’option militaire semble écartée, mais il n’est pas à exclure qu’elle puisse être un recours à un moment ou à un autre. Ce serait selon moi une aberration puisqu’à l’heure actuelle, on ne sait même pas contre qui il faudrait se battre. Par ailleurs, cela supposerait évidemment l’envoi de troupes au sol, ce qui a des conséquences sur le plan politique, et notamment sur les opinions publiques françaises. Parallèlement, le développement de Daech sur le territoire libyen fait régner une grande inquiétude sur les vieilles démocraties européennes. L’arrivée massive de dizaines de milliers de migrants venant d’Afghanistan, de la Corne de l’Afrique, du Soudan, d’Egypte, du Mali ou du Sahel risque de provoquer des tensions dans ces démocraties européennes qui pourraient également connaitre une sorte d’instabilité.
La situation est donc compliquée, à la fois sur le plan diplomatique, mais aussi sur le plan politique et sur le plan sécuritaire. Nous sommes aujourd’hui dans une situation où il s’agit de ne gérer que des urgences. La question est aujourd’hui de savoir si l’on parviendra à un accord diplomatique entre les différents acteurs de la crise pour tenter de résoudre plus facilement et plus durablement les deux autres aspects de ce conflit qui sont politique et sécuritaire, c’est-à-dire respectivement l’instabilité institutionnelle et la lutte contre Daech. Il faut absolument qu’avant de rejoindre Berlin pour la tenue d’une réunion internationale, M. Bernardino Leon parvienne à arracher un accord, au moins a minima.

La France et les musulmans, défi majeur de 2017 : le combat pour l’égalité n’est pas vain

Wed, 10/06/2015 - 11:00

Le rapport de la France avec ses citoyens musulmans est certainement l’un des défis les plus importants qui se dresse devant nous. Il risque, pour le meilleur ou pour le pire, d’être un enjeu majeur des élections de 2017. Il est essentiel et déterminant, tant pour les équilibres internes de la société française que pour la place de notre pays sur l’échiquier mondial.

Deux options sont sur la table. Soit on considère qu’ils sont des Français à part entière, qu’ils jouissent des mêmes droits que les autres, ce qui ne signifie pas, bien entendu, le droit d’imposer leur vision du monde à leurs concitoyens. Il ne s’agit pas d’accéder à toutes leurs demandes, il s’agit de penser qu’ils ont le droit de les exprimer librement. Ils sont enfants de la République, avec les mêmes droits et les mêmes obligations que les autres.

Soit on considère qu’ils constituent un élément externe et étranger à la République française, qu’ils sont tolérés à la seule condition de ne pas faire de vagues et de n’émettre aucunes revendications, forcément jugées antirépublicaines et dangereuses pour la société française.

Il y a des tentatives de leur assigner dans les médias des représentants désignés de l’extérieur de leur communauté, dans lesquels ils ne se reconnaissent pas et même qu’ils rejettent et on met trop souvent en avant des musulmans à même d’alimenter un discours stigmatisant sur l’islam, ce que l’on ne fait pour aucune autre communauté.

En réalité, certains leur refusent de s’organiser de façon autonome. Pourquoi leur nier le droit de décider eux-mêmes les figures dans lesquelles ils se reconnaissent ?

La radicalisation de quelques éléments est un défi à relever. C’est un problème qu’il ne faut pas occulter, mais dont les Français musulmans ne sont, collectivement, ni responsables, ni coupables.

Certains considèrent qu’il est consubstantiel à l’islam, d’autres, qu’il est le produit d’un moment historique, un processus qui peut être combattu efficacement par un dosage de réponses sécuritaires et politiques. Que l’islamophobie et la radicalisation se nourrissent mutuellement et qu’il faut les combattre simultanément.

Peut-on penser que les musulmans ont leur place en France, à la seule condition de ne pas s’exprimer par eux-mêmes, de rester à leur place, celle qui était la leur il y a quarante ans, en bas, très loin en bas, sans aucuns droits, comme des dhimmis d’une nouvelle sorte ?

C’est trop tard. Ceux qui rêvent de cela, pour des raisons diverses ne réalisent pas le changement fondamental qui s’est opéré.

Nous pouvons choisir entre une société ouverte et dynamique, attractive et apaisée ou des affrontements sans fin, un cercle vicieux où les extrémistes se nourrissent mutuellement.

Les musulmans français ni ne partiront, ni ne se courberont. Ils veulent prendre place à la table de la République. Ils ont déjà formé une classe moyenne supérieure qui accède aux responsabilités. Vouloir les exclure n’est ni possible, ni souhaitable. Et cela donne, à l’extérieur, une image dégradée de la France, aux antipodes de sa tradition d’ouverture et d’universalisme.

Les musulmans français ne sont plus majoritairement des ouvriers non qualifiés dont le principal objectif est de regagner, sans être victimes de ratonnades, leur foyer Sonacotra, comme dans les années 70. Nombre d’entre eux sont ingénieurs, professeurs, avocats, médecins, etc.

Si le plafond de verre existe encore pour les responsables politiques, préfets, généraux, chefs d’entreprise, il y a une classe moyenne supérieure dont on parle peu, ou pas, qui s’est développée. Cela doit d’ailleurs être un motif d’espoir et de mobilisation pour nos compatriotes musulmans.

Ils ont raison de dire qu’ils sont plus discriminés que le reste de leurs compatriotes français – Roms exceptés – mais ils doivent réaliser que des progrès, fort heureusement, ont eu lieu, et que le combat pour l’égalité n’est pas vain, qu’il faut au contraire le poursuivre parce qu’il paye.

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