La 11e Session internationale Euro-Méditerranée (Siem) de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), en partenariat avec la Direction de la coopération de sécurité et de défense ...
Dans le cadre d’un accord préliminaire, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé samedi 4 mars le versement d’une aide d’un milliard de dollars à l’Ukraine. Parallèlement, Kiev attaque la Russie devant la Cour internationale de justice.
Dans quel contexte et pour quels motifs le FMI verse-t-il cette somme à l’Ukraine ? Quelle est la situation économique générale du pays ?
En 2015, le Fonds monétaire international a adopté un programme d’aide à l’Ukraine d’un montant de 17,5 milliards de dollars. Il s’agissait, à l’époque, d’éviter la faillite à ce pays confronté à un choc majeur suite à la perte de la Crimée et au conflit dans le Donbass. Parmi les contreparties figuraient notamment la maîtrise du déficit public, des réformes dans le secteur énergétique ou bien encore la lutte contre la corruption. A ce jour, seuls 7,3 milliards de dollars ont été débloqués, le programme ayant été suspendu en 2016 faute d’avancées significatives côté ukrainien et en raison des incertitudes liées au départ de plusieurs ministres réformateurs.
Les perspectives économiques pour 2017 sont relativement bonnes : la Banque mondiale, par exemple, table sur une croissance de 2%. Mais cela ne saurait occulter la trajectoire – très inquiétante – de l’Ukraine sur le plus long terme. En 2014, elle était l’un des rares pays de l’ex-URSS à ne pas avoir retrouvé son niveau de 1991, date de la disparition de l’Union soviétique. Le PIB ukrainien a chuté de près de 17% en 2014 et 2015, à la suite de la perte de la Crimée et du conflit dans les régions de Donetsk et de Lougansk, qui assuraient jusqu’alors 25% de la production industrielle du pays. L’écart en termes de PIB/habitant avec la Russie et la Pologne est désormais supérieur à 1 pour 3. Le gâchis est donc immense pour l’Ukraine. Pour ne rien arranger, des éléments radicaux ont décidé d’instaurer un blocus total avec les territoires séparatistes du Donbass, ce qui pourrait coûter plusieurs milliards de dollars au pays, des dizaines de milliers d’emplois dans la métallurgie et compromettre sa reprise économique.
Où en est la situation du conflit avec les séparatistes pro-russes à l’Est du pays ? Comment évolue le regard porté par la communauté internationale sur le sujet ?
Le processus de Minsk est dans l’impasse depuis de longs mois. Les belligérants se renvoient la responsabilité des combats qui reprennent périodiquement et de l’échec du volet politique des accords conclus à la mi-février 2015, sous l’égide de la France et de l’Allemagne. Militairement, aucune des deux parties ne paraît en mesure de faire évoluer de façon significative le rapport de forces sur le terrain. L’armée ukrainienne a cependant cherché à grignoter des portions de territoires situés dans la « zone grise », ce qui a conduit aux récents affrontements à Avdiivka en janvier. Les séparatistes continuent, quant à eux, à être soutenus sur les plans financier et sécuritaire par la Russie.
Fondamentalement, nous assistons à un jeu à fronts renversés. Kiev, qui dit vouloir restaurer son intégrité territoriale, a de fait tiré un trait sur les territoires séparatistes et ses habitants ; le choix fait implicitement est celui de la « petite Ukraine ». Moscou, contrairement à une idée reçue, n’a pas intérêt au gel du conflit mais plutôt à une réintégration des territoires séparatistes dans l’ensemble ukrainien, ce qui lui redonnerait des leviers d’influence. Berlin et Paris sont de plus en plus exaspérés par l’absence de bonne volonté de part et d’autre et sont impuissants pour débloquer le processus. Les Occidentaux soutiennent désormais Kiev sans illusions, par inertie, et parce que tout autre choix reviendrait à s’interroger sur les décisions prises ces dernières années – en particulier en ce qui concerne le Partenariat oriental – et à conforter, de fait, Vladimir Poutine.
Pour quels chefs d’accusation Kiev attaque-t-elle Moscou devant la Cour internationale de justice ? Peut-on espérer que la CIJ mène à une résolution du conflit russo-ukrainien ?
L’action intentée par Kiev contre Moscou pour terrorisme devant la Cour internationale de justice ne représente que l’un des nombreux volets de la guerre judiciaire à laquelle se livrent l’Ukraine et la Russie. Les autres concernent notamment la Crimée, le sort du crédit de 3 milliards de dollars octroyé par le Kremlin à Kiev en décembre 2013 – juste avant le renversement de Viktor Ianoukovitch par les activistes de Maïdan -, et divers contentieux entre Gazprom et son homologue Naftogaz Ukraïny à propos des livraisons et du transit du gaz russe.
Pour les autorités ukrainiennes, il s’agit surtout, semblerait-il, de garder l’attention des médias et des responsables occidentaux, qui éprouvent progressivement une certaine « fatigue » du dossier ukrainien. Il est évidemment illusoire de considérer que le conflit dans le Donbass et, plus généralement les tensions russo-ukrainiennes, puissent être résolues par voie judiciaire.
La série d’essais balistiques à laquelle la Corée du Nord vient de procéder, associée au début du déploiement d’un système de défense anti-missile en Corée du Sud, commencent à susciter de nombreuses inquiétudes. La possibilité d’une guerre dans la région est de nouveau soulevée.
En réalité, les inquiétudes et angoisses à propos de la Corée du Nord constituent un marronnier stratégique. Très régulièrement, un essai de missile – voire un essai nucléaire – est effectué, suscitant des bruits de bottes, des inquiétudes et des menaces de la part du leader nord-coréen. Depuis 1993, date à laquelle la Corée du Nord s’est dotée de l’arme nucléaire, on observe très régulièrement ce schéma. Mais au final, la situation revient toujours à la normale. Pour autant, la crainte qu’un réel dérapage ne se produise ne disparaît pas.
Il est vrai que Kim Jong-un est particulièrement inquiétant. L’assassinat de son demi-frère a montré, s’il en était besoin, qu’il pouvait passer aux actes. Cependant, il n’est pas de son intérêt de se lancer dans un conflit, contre la Corée du Sud et/ou le Japon. Certes, il pourrait occasionner des destructions extrêmement importantes aussi bien à Séoul, qui n’est qu’à 60 kilomètres de la frontière intercoréenne, qu’au Japon, dont le territoire est à la portée des missiles nord-coréens. Mais en même temps, il sait qu’il n’aurait aucune chance de sortir militairement vainqueur de tels agissements : l’armée sud-coréenne à elle seule peut facilement vaincre sa rivale nord-coréenne, sans parler du soutien américain. Or, Kim Jong-un, s’il est peu sympathique, n’est pas irrationnel, comme on peut l’entendre souvent. Son maintien au pouvoir prouve même le contraire. En réalité, le but de toutes ses gesticulations est de rester à la tête du régime le plus longtemps possible, alors qu’il a complètement échoué à développer son pays et à nourrir sa population. La Corée du Nord est en effet restée dans l’état politique et économique des années 1960. Il s’agit bel et bien du dernier régime stalinien et totalitaire à la surface de la planète. Kim Jong-un est certes effrayant mais il ne se lancera pas dans une guerre. Les dirigeants nord-coréens estiment que Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi seraient encore à la tête de leur pays s’ils avaient possédé l’arme nucléaire. L’arme nucléaire nord-coréenne a donc pour but principal et ultime le maintien du régime, et non pas la reconquête de la Corée du Sud, la réunification par la force des deux pays ou l’invasion et la destruction du Japon.
Mais cette situation ennuie particulièrement la Chine qui souhaite apparaître comme un pays responsable, participant à la sécurité collective. Pour Pékin, Pyongyang pose un double problème. Le premier est issu du fait qu’elle ne la maîtrise pas. Bien que la Corée du Nord soit un pays client, qui dépend très largement de l’aide et des contacts chinois, Pékin est bien incapable de faire entendre raison à Kim Jong-un. Ce dernier estime n’avoir rien à perdre et que la Chine est bien obligée de le soutenir, afin d’éviter que le régime ne s’effondre ou que des militaires américains se déploient à la frontière chinoise. Le second vient du fait que les gesticulations nord-coréennes ont donné une justification au déploiement d’un système anti-missile américain en Corée du Sud. Si les États-Unis voulaient déployer ce bouclier depuis longtemps, ils ont maintenant un motif pour le faire. Ceci est vu comme extrêmement inquiétant, voire menaçant pour les dirigeants chinois. Du fait des gesticulations de leur allié nord-coréen, Pékin doit donc subir une montée en puissance des forces américaines et leur renforcement stratégique en Asie, ce que les dirigeants chinois ne souhaitent à aucun prix.
Finalement, rien de nouveau dans la situation nord-coréenne : toujours des gesticulations mais pas de réunification en vue, ni par la négociation ni par la force. Pas non plus de guerre qui signerait la fin du régime nord-coréen. Mais il est vrai que Kim Jong-un a réussi « l’exploit » d’être encore plus inquiétant que ses prédécesseurs…
Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS