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2023-06-28T12:43:19+02:00 Olivier Kempf
Mis à jour : il y a 2 mois 4 semaines

Entretien RFI sur l'expulsion de diplomates Russes par l'OTAN

mer, 28/03/2018 - 22:11

Ci-dessous, l'extrait mp3 de mon commentaire (diffusé dans les journaux du matin de RFI) sur l'expulsion d'une dizaine de diplomates russes par l'Alliance Atlantique.

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Lecteur audio intégré

Olivier Kempf

Catégories: Défense

Les relations entre l'Allemagne et les Etats-Unis (Festival de Géopolitique)

sam, 24/03/2018 - 12:35

Je vous l'avais signalé (ici), j'ai participé la semaine dernière au 10ème festival de Géopolitique de Grenoble. Les organisateurs ont enregistré la conférence et mis en forme, la voici prête à être visionnée, 1heure (et 6 secondes) sur l'Allemagne et ses raports avec les Etats-Unis.

La vidéo de la conférence

O. Kempf

Catégories: Défense

Relations USA - Allemagne : tensions sur l'OTAN

mar, 13/03/2018 - 22:00

J'ai le grand plaisir de revenir cette année au Festival de Géopolitique de Grenoble. Son thème : "Un 21ème siècle américain ?" IL commence mercredi 14 mars jusqu'à ce weekend.

Programme

J'y serai dès vendredi soir et interviendrai samedi matin (dès 9h00) sur le sujet des relations entre Etats-Unis et Allemagne. Déjà beaucoup d'inscrits me dit l'organisateur : je laisserai donc une grande place aux questions que je devine nombreuses ! A vous y rencontrer avec plaisir.

O. Kempf

Catégories: Défense

Robots tueurs ; Que seront les soldats de demain ? (B. Erbland)

lun, 12/03/2018 - 13:38

Le CBA Brice Erbland s'était taillé un petit nom à la suite d'un livre de témoignage de pilote d'hélicoptère en opérations. IL a poursuivi son travail en rejoignant l'Ecole de Guerre où il a conduit une belle étude sur l'éthique des robots armés. Il en a tiré un livre dont Victor Fèvre nous donne la fiche de lecture. Merci à lui. OK

Agréable à lire et muni d’excellentes références précises et nombreuses, cet ouvrage explore les limites techniques et morales qu’il faudrait apporter aux « robots » qui seraient employés au sein de nos forces armées. L’auteur insiste sur la nécessaire connaissance de l’éthique du combat, qui est trop souvent laissée de côté dans les débats passionnels autour des « systèmes d’armes létaux autonomes » (SALA), et apporte son éclairage grâce à son expérience opérationnelle militaire.

Nos systèmes d’armes sont de plus en plus dotés d’électronique et de logiciels, l’aide à la décision et l’automatisation (plus que la robotisation, qui mécanise des processus industriels simples) deviennent omniprésents. Les SALA deviennent omniprésents et certains pays (ex : Russie) poussent la recherche appliquée très loin. Il s’agit donc ici de rendre « l’inévitable un peu plus acceptable ». Toutefois, la combinaison homme – machine paraît toujours plus efficace que l’homme seul ou la machine seule. C’est ce que tente de prouver l’auteur en filigrane dans son ouvrage. D’ailleurs, l’auteur met en garde contre l’illusion de SALA comme moyen d’attendre des réductions d’effectifs : un SALA nécessite des décideurs, des opérateurs, des programmateurs, des maintenanciers, des LEGAD pour mener à bien sa mission. Le SALA ne peut pas – et ne doit pas – être réellement « autonome ».

L’auteur étudie méthodiquement si les SALA font preuve des mêmes faiblesses et vertus que les humains au combat. Toutefois, étant donné que « le combat n’est pas une science exacte », les SALA ne parviennent pas à faire face à toutes les situations et il faudra toujours garder une part d’humain pour affronter le brouillard de la guerre et discerner, émotionnellement et éthiquement. Sans aller dans des considérations trop techniques, l’auteur présente plusieurs manières logiques de programmation pour dicter au SALA sa conduite et faire son apprentissage (continu) au combat pour accroître son efficacité. Là encore, l’homme reste le superviseur indispensable en permanence, pour vérifier si le SALA a bien rempli son rôle de manière éthique au cas par cas, et effacer si besoin une « expérience » négative à ne surtout pas reproduire.

En conclusion, l’auteur présente une synthèse de ses déductions et conclusions partielles et propose un SALA « idéal » avec une architecture du processus de la prise de décision. Si l’impératif de bridage du SALA est au cœur de tout l’ouvrage, pour maximiser le contrôle humain, on peut s’interroger sur les options « déblocage » et « débridage » que l’auteur estime pourtant nécessaires. Le concept de l’ennemi aurait mérité une attention plus particulière : en quoi l’apparition de SALA sur les théâtres d’opération peut-elle modifier la conduite de la guerre, si l’ennemi en dispose également, que ce soit en conflit symétrique, dissymétrique voire asymétrique ? Qu’en est-il de la dissuasion, surtout au niveau tactique ?

Brice Erbland, Robots tueurs ; Que seront les soldats de demain ?, Armand Colin, 2018.

Victor Fèvre

Catégories: Défense

DigitalPolis : la ville face au numérique (publication)

ven, 02/03/2018 - 20:17

Il y a deux ou trois ans, j'avais participé à un colloque sur la ville connectée où nous étions intervenus, avec Thierry Berthier. Notre sujet : Ville connectée, données massives et algorithmes prédictifs. Notre communication s'articulait ainsi :

  • La ville, lieu de la transformation cyber
  • Des acteurs urbains fort divers
  • Projection, ubiquité et consentement algorithmique au sein de la ville intelligente
  • Les limites des algorithmes prédictifs sur le hasard « sauvage »

Comme d'habitude dans nos articles avec Thierry, un bon mélange de science po et de mathématiques.

Les actes en sont publiés en mars prochain : Biase, A., Ottaviano, N., Zaza, O. (dir.), (2018), Digital Polis. La ville face au numérique : enjeux urbains conjugués au futur, Paris : L’œil d'or (collection critiques & cités).

Voici ce qu'en dit l'introduction (je m'excuse, je ne suis pour rien dans cette rédaction de géographe scientifique mais je trouve intéressant la façon dont ils décrivent notre travail) :

"L’article d’Olivier Kempf et Thierry Berthier propose une lecture de la notion de réseau qui rejoint celle d’hétérotopie gestionnarisée sur plusieurs plans. Issue de la discipline des mathématiques, leur réflexion porte sur la notion d’algorithme régissant le cyberespace et ses effets sur la projection du fonctionnement urbain. La ville est envisagée comme un système cybernétique avec une réticulation à deux échelles : interne (fonctionnement inhérent) et externe (connexion à l’environnement physique et aux autres systèmes urbains). Faisant partie d’un réseau global de ville, la ville est un nœud de réseaux de toutes sortes. Vision fractale, les réseaux y sont à la fois concentrés et distribués, ce qui permet une utilisation intensive et extensive de l’espace. Ainsi, l’hétérotopie gestionnarisée se met en acte par les acteurs qui possèdent tous une projection algorithmique. Le cyberespace, artefact technique et social, influe sur le fonctionnement des villes. Ces doubles numériques des acteurs urbains sont exposés de manière systémique. Mais ces calculs algorithmiques sont mis à l’épreuve de la mesure du degré de liberté algorithmique ressenti par les usagers d’une ville intelligente. Dans une perspective d’efficience, l’accroissement de la prospérité de la ville intelligente est corrélé au niveau d’ubiquité et à ce consentement algorithmique ressenti. Modélisant des phénomènes actuels, les projections étudiées peuvent devenir prédictives. Mouvement cybernétique, des boucles rétroactives apparaissent entre espace urbain et usager et tendent à réduire la part d’aléatoire dans le fonctionnement urbain. Pour autant, l’article conclut sur l’existence de « cygnes noirs », ces hasards sauvages, qui résistent aux prédictions algorithmiques. "

O. Kempf

Catégories: Défense

Les Tragiques, leçon huguenote (Thomas Flichy de La Neuville)

mer, 28/02/2018 - 18:23

Relire les anciens, notamment ceux du XVII° siècle. Voici une gourmandise réservée au lettrés mais qui peut intéresser l'officier et le stratégiste. C'est ce que nous propose Thomas Flichy de La Neuville avec sa lecture des Tragiques, d'Agrippa d'Aubigné.

LES TRAGIQUES, UNE LECON HUGUENOTE SUR LE SENS DU COMBAT, POUR L’OFFICIER PLONGE DANS LA GUERRE CIVILE

Thomas Flichy de La Neuville

Au temps où les académies militaires n’existaient pas encore, les leçons aux futurs officiers se faisaient en plein air et en bouts rimés. Les maîtres étaient alors soldats et poètes. Agrippa d’Aubigné fut sans doute le plus grand d’entre eux. Le choc de la violence guerrière, loin de le briser, lui donna cette sorte d’extra-lucidité lui permettant de prophétiser à haute voix sur le sens du combat militaire. Aucune page des Tragiques - cette chanson de Roland du premier XVIIe siècle - n’aurait pu être écrite par un homme de cabinet. Mes yeux sont tesmoings du subject de mes vers1 rappelait l’auteur à qui voulait l’entendre. Mais Agrippa ne se contenta pas de narrer la guerre, il se plut surtout à légitimer par ses écrits poétiques la nécessité d’un protestantisme de combat s’appuyant sur ses atouts intellectuels et artistiques afin d’obtenir sinon la suprématie politique, du moins des concessions suffisamment nombreuses pour que sa survie fût garantie à long terme. Il ne fait aucun doute que pour Agrippa, les coups d’épée comptaient infiniment moins que l’acier de ses vers2. C’est sans doute la raison pour laquelle les Tragiques constituent une leçon d’un grand intérêt politique pour l’officier soudainement plongé dans les affres de la guerre civile.

FAIRE LA GUERRE EN UN MONDE RENVERSE

Le point de départ du combat religieux et politique mené par Agrippa d’Aubigné est certainement ce renversement du monde dont il s’affirme le témoin oculaire. Ce dernier donner lieu à une grande profusion de métaphores. La première est celle du roi-berger qui s’est progressivement allouvi et a fini par dévorer son peuple : « Ces tyrans sont des loups, car le loup, quand il entre dans le parc des brebis, ne succe de leur ventre, que le sang par un trou et quitte tout le corps, laissant bien le troupeau, mais un troupeau de morts »3. La seconde image est celle du triomphe des « hermaphrodites, monstres effeminez, corrompus bourdeliers, et qui estoient mieux nez pour valets de putains que seigneurs sur les hommes »4. Mais Agrippa d’Aubigné ne se contente pas de flétrir les penchants supposés d’Henri III, il s’en prend également à son entourage qui « par le cul d’un coquin fait chemin au cœur d’un Roy »5. Dans ce monde à l’envers, le sceptre est désormais « au poing d’une femme impuissante » pour laquelle, l’auteur se borne à émettre un vœu : « pleust à Dieu aussy qu’elle eust peu surmonter sa rage de régner »6. Dans ces circonstances étranges, le dieu qui présidait à la guerre semble lui-même avoir changé : les Anciens honoraient Mars, mais dans cette France à l’envers, c’est le funeste Saturne qui préside aux destinées des gens d’armes. Ceux-là se croient guerriers. Hélas, ils ne sont que gladiateurs7. Nos pères étaient Francs, nous voici esclaves s’indigne Agrippa d’Aubigné qui – dans une vision prophétique – imagine l’Océan remontant vers les sources des fleuves français afin de laver le sang qui descend de leur cours8.

L’ETAT ETRANGE D’UN PAYS AVANT LA GUERRE CIVILE

Avant que la guerre n’éclatât, la France, en fausse paix, semblait errer comme un spectre entre la vie et la mort. Dans ce pays en dépression, tout était abruti, « en sommeil lestargic, d’une tranquillité que le monde cherit, et n’a pas connoissance qu’elle est fille d’enfer »9. Mais cette paix, n’était que « la soeur bastarde de la paix »10. Le peuple était ensorcelé11, la masse avait « dégénéré en la mélancholie »12. Les élites elles-mêmes semblaient avoir quitté toute apparence humaine, d’où l’invocation du poète : « O ploïables esprits : o consciences molles, téméraires jouets du vent et des parolles, vostre sang n’est point sang »13. Dans ce cadre, il suffisait d’une étincelle pour que se déclenchât « l’embrazement de la mimorte France »14. Le conflit intérieur devient une « guerre sans ennemy, où l’on ne trouve à fendre cuirasse que la peau ou la chemise tendre »15. Le camp religieux opposé fut qualifié de barbare et de « Français de nom ». Quant aux combats, ils renversèrent eux-mêmes la géographie habituelle des guerres de conquête. Ainsi, les places de repos devinrent places étrangères, « les villes du milieu des villes frontières »16. Le corps de la France était alors « tout feu dedans, tout glace par dehors »17. Devant les divisions intérieures, Agrippa d’Aubigné refusa de céder à ceux qui souhaitaient « couler les exécrables choses dans le puits de l’oubly »18. Preste-moi, Verité, ta pastorale fronde19 écrivait t’il avant de vilipender ce prince qui combattait sur un singe à cheval. Quant aux combats, le poète nous en laisse enfin quelques images fulgurantes : « Voicy le reistre noir foudroyer au travers les masures de France, et comme une tempeste, emportant ce qu’il peut, embrazer tout le reste »20.

Au cours de sa quête pour remettre le monde à l’endroit, Agrippa d’Aubigné fut marqué par le traumatisme de la guerre civile et l’on peut avancer que l’écriture poétique eut pour lui une fonction presque thérapeutique. Malgré les déboires militaires du camp protestant, le poète fait assaut d’optimisme surnaturel, affirmant : Nostre luth chantera le principe de vie 21. Il prophétise également l’impossibilité pour l’adversaire de défaire des hommes de guerre ayant déjà fait don par anticipation de leur vie : « L’ennemy mourra donc, puisque la peur est morte »22. Quant aux jeunes officiers qui combattront après lui, il leur adresse cette dernière admonestation :

  • « Cherche l’honneur, mais non celuy de ces mignons,
  • Qui ne mordent au loup, bien sur leurs compagnons.
  • Qu’ils prennent le duvet, toy la dure et la peine;
  • Eux le nom de mignons, et toy de capitaine »23

TFLN

++Notes ++1 Agrippa d’Aubigné, Les tragiques, 1615, p. 44 2 op. cit., p. 73 3 Ibid., p. 50 4 Ibid., p. 90 5 Ibid., p. 107 6 Ibid., p. 54 7 Ibid.,p. 65 8 « L’Occean donc estoit tranquille et sommeillant au bout du sein breton, qui s’enfle en recueillant tous les fleuves françois, la tournoyante Seine, la Gironde, Charente et Loire, et la Vilaine. Ce vieillard refoulloit ses cheveux gris et blonds sur un lict relevé dans son paisible fonds, marqueté de coral et d’unions exquises, les sachets d’ambre gris dessoubs ses tresses grises » mais soudain « la mer alloit, faisant changer de course des gros fleuves amont vers la coulpable source d’où sortoit par leurs bords un déluge de sang » 9 Agrippa d’Aubigné, op. cit., p. 115 10 Ibid., p. 53 11 Ibid., p. 76 12 Ibid., p. 37 13 Ibid., p. 79 14 Ibid., p. 58 15 Ibid., p. 201 16 Ibid., p. 41 17 Ibid., p. 52 18 Ibid., p. 101 19 Ibid., p. 74 20 Ibid., p. 44 21 Ibid., p. 70 22 Ibid., p. 74 23 Ibid., p. 110

Catégories: Défense

Prise de conscience

jeu, 22/02/2018 - 22:42

Je prend soudain conscience que le camp du bien a sincèrement le sentiment, que dis-je, la conviction, qu'il défend la liberté. Toutes les libertés. Politiques, économiques, sociales, sociétales (mot qu'il a d'ailleurs inventé, pour contrer ce social qui sonne tellement "de classe").

Ce qui explique son désarroi puisque certains des bénéficiaires du bien, y compris ses peuples, ne partagent plus cette "vision" du monde.

Que beaucoup veulent de la justice - ce qui n'est pas la même chose. Que d'autres encore (ces catégories sont poreuses) préfèrent un peu plus de communauté (pour ne pas dire fraternité) à cette liberté parfois si menaçante.

Mais ça, le camp du Bien ne le saisit pas. Je ne suis d'ailleurs pas sûr de très bien le saisir mais au moins, je n'ai pas cette sublime assurance du "Bien". Même si l'on sent que le camp du Bien est désorienté par la montée justement de ces défis, qui ne sont pas simplement, malgré qu'il en ait, le camp du Mal.

O. Kempf

Catégories: Défense

L'horloge de la fin du monde (Entretien, FR 24)

sam, 10/02/2018 - 23:27

J'ai évoqué l'avancement de 30 secondes vers le cataclysme de l'horloge de la fin du monde, l'autre jour, sur FR 24. On y parle de nucléaire, bien sûr.

L'horloge de la fin du monde

J'ai enregistré comme j'ai pu l'entretien, qui est donc de qualité no professionnelle, mais pour une fois que je mets une vidéo sur YouTube (ce doit être ma première), je réclame l'indulgence. On fera mieux la prochaine fois.

Et donc au lieu de vous dire "bonne lecture", je vous souhaite "bon visionnage".

O. Kempf

Catégories: Défense

Bibliographie 2017

mer, 07/02/2018 - 22:56

Un petit point sur la bibliographie 2017... Et hop, pour les archives en ligne.

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Bibliographie 2016 O Kempf

Ouvrages

Au cœur de l’islam politique, éditions UPPR, juin 2017.

La Vigie Publication d’un article bimensuel dans La Vigie (www.lettrevigie.com), lettre d’analyse stratégique.

Publications

  • Communication blanche et véracité des informations, RDN, n° 804, novembre 2017.
  • La crise des relations germano-américaines vue de France (voir ici), Outreterre, 2017/2, été 2017.
  • De l’estafette au digital, Inflexions, n° 35, octobre-décembre 2017.
  • Intelligence artificielle et conflictualité (avec Th. Berthier), Revue de la gendarmerie (HS sur le droit des robots), octobre 2017.
  • Les cent jours de Trump, Conflits, juin 2017.
  • Il destino della Francia si gioca nel Maghreb, Limes 6/17, juin 2017.
  • Combattants volontaires étrangers, l’effet mercure, Revue des forces royales marocaines, juin 2017.
  • La Francia serve a Berlino contro Trump, Limes 5/17, mai 2017.
  • Vers une géopolitique de la donnée (avec Thierry Berthier), Annales des mines - Réalités industrielles, 2016/3, Août 2016 (présentation).
  • Sécurité en Europe, Conflits, avril 2017.
  • Combattants volontaires étrangers : le spectre de l’ennemi universel, RDN, n° 798, mars 2017.
  • Varsovie, un sommet finalement mesuré, Recherches internationales, n° 108, janvier-mars 2017.

Tenue régulière du blog www.egeablog.net

Recensions

Atlas des frontières, de Bruno Tertrais, texte paru sur la RDN, mars 2017.

Colloques

  • Colloque AEGES, 13 décembre 2017 (Sorbonne), table ronde de l’institut d’étude des crises (Université Lyon III), intervention sur L’OTAN face aux crises depuis la Guerre froide : de la transformation à la réserve ? .
  • Cybersecurity Forum Switzerland, Porrentruy (Suisse), 6 décembre 2017, intervention sur : Command & control, cyber and digital transformation.
  • MEDays 2017, Institut Amadeus, 8-11 décembre 2017, Tanger, intervention sur « Etats-Unis-Monde arabe : Y a-t-il une doctine trumpienne ? ».
  • Cycle « Manager aujourd’hui », Conférence « Commandement et management au 21ème siècle », Viroflay, 1er avril 2017.
  • Forum de sécurité de Marrakech, 10-11 février 2017, intervention sur « Combattants volontaires étrangers : le spectre de l'ennemi universel »

Médias

  • Entretien sur L’Otan aujourd’hui (45 mn) sur le site de podcast de la revue Conflits, le 31 mars 2017.
  • Entretien avec Radio Vatican sur OTAN, quelle stratégie sous l’administration Trump ? , 20 février 2017.

Cours Nada, niente, nix

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Le héron et le retour

lun, 29/01/2018 - 23:41

Et voici un texte du héron, qui date de six mois mais reste intemporel... OK

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L'autre matin, c'est mon copain le héron de l'Erdre qui m'a interpellé : « alors, on ne dit plus bonjour ? » Il est vrai que c'était sans regarder dans sa direction que j'étais passé, ce matin-là comme tous les matins, sur le petit Pont Saint-Mihiel qui enjambe l'Erdre à cet endroit. L'Erdre, c'est une rivière armoricaine, affluent de la Loire en rive droite au même niveau que la Sèvre vendéenne en rive gauche : depuis des temps immémoriaux cette convergence de trois courants d'eau douce, qui rencontrent la remontée périodique de la marée atlantique jusqu'au fond de l'estuaire, a créé ici de nombreuses îles alluviales. Elles ont déterminé l'existence de la ville de Nantes sur ce site favorable plus ancien que l'histoire. De nos jours l'Erdre, canalisée depuis deux siècles et protégée par de modernes mais discrets systèmes de filtrage et d'épuration, est une paisible et poissonneuse rivière citadine appréciée par mon copain le héron et par de nombreux autres oiseaux pêcheurs. Un coup d’œil sur Google-earth vous montrera le charme des lieux.

En franchissant le pont à l'aube pour prendre mon petit café au bistrot d'en face, je n'avais pas regardé vers le toit de la péniche où le héron se tient habituellement, vertical, immobile, raide et à l'affût. Cet emplacement le met hors de portée des chiens, chats et autres gêneurs éventuels.

Je n'avais pas regardé parce que depuis plusieurs semaines il était absent. Je m'étais habitué, à regrets, à son absence prolongée en espérant qu'elle n'était pas définitive. Malheureusement des goélands s'y étaient habitués aussi et commençaient à prendre leurs aises dans le quartier, menaçant d'exterminer tous les autres oiseaux dont ils dévorent les œufs : voyez Brest ou Calais et d'autres villes côtières envahies par les goélands. L'extermination pratiquée par les goélands, mauvais pêcheurs et mauvais chasseurs mais goinfres sans scrupules, en a fait des villes dont aucune mésange, aucune tourterelle, aucun rouge-gorge, aucun passereau-chanteur ne vient plus fréquenter les balcons. Ici à Nantes les hérons, oiseaux pacifiques mais de grande taille et pourvus d'un bec tranchant, préservent la biodiversité en suggérant aux goélands d'aller nuire ailleurs.

Je dis au héron : « je ne te demande pas où tu étais parce que ce serait indiscret mais je dois t'avouer que ton absence m'inquiétait.  -* C'est gentil mais il ne fallait pas t'inquiéter : lorsque le temps s'annonce favorable, on emmène les jeunes en voyage pour qu'ils trouvent le compagnon ou la compagne de leur vie.

  • - Ah oui, j'ai entendu dire que les oiseaux vivent en couple que seule la mort sépare.
  • - C'est ça. Dès que les jeunes savent voler assez longtemps on s'éloigne un peu pour créer les couples.
  • - Je comprends : pour éviter la consanguinité, vous ne pratiquez pas l'endogamie.
  • - Consanguinité, endogamie... peut-être. En tout cas on fait comme ça, on a toujours fait comme ça et c'est bien. Cette fois on est allés au Marais poitevin. Par temps chaud, on y est en une journée de vol sans battre des ailes. On n'est pas revenus directement, on est allés aussi en Eure-et-Loir : il y a là beaucoup de zones humides dont l'eau hésite entre la Loire et la Seine . On y est allés un peu aussi par souci diététique, j'avoue.
  • - Par souci diététique ?
  • - Ben oui : ça nous change des grenouilles et des poissons d'ici. Les grenouilles et les poissons ne voyagent pas : ces bestioles restent toujours dans la même rivière, elles font de la consanguinité et de l'endogamie, comme tu dis avec tes mots compliqués. Alors c'est nous qui voyageons pour changer de garde-manger. Et en même temps nos grenouilles et poissons d'ici sont un peu tranquilles, ce qui est bon pour régénérer le cheptel batracien et poissonnier.
  • - Je n'aurais pas imaginé que des hérons pussent inventer un tel système.
  • - Nous n'avons rien inventé : on a toujours fait comme ça, c'est tout.
  • - Mais avant de faire comme ça, c'était comment ?
  • - Je te dis qu'on a toujours fait comme ça mais toi, TGC avec un Trop Gros Cerveau dont t'a affublé notre Créateur, le Grand Patapon, tu vas toujours chercher des questions inutiles. A ce propos : comment va ton ami, celui qui s'appelle comme un arbre et qui voulait savoir si j'ai une stratégie à long terme, tout ça ?
  • -Olivier ? Bien : il est revenu récemment et ça me fait plaisir parce que le domaine de la géopolitique risquait fort d'être envahi par nos espèces de goélands à nous, des cuistres qui croient tout savoir, prennent l'habitude de raconter n'importe quoi et impressionnent, voire influencent, des gens qui s'y connaissent encore moins qu'eux.»
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Les chantiers à risque de MBS : le duel des alliés d'hier

lun, 22/01/2018 - 19:41

Je suis heureux de publier ce texte du Professeur Mekkaoui qui nous éclaire sur les tensions intérieures saoudiennes. Le retour à l'histoire, le rappel des guerres civiles et le questionnement de la réforme religieuse sont des apports nécessaires à la réflexion. Un grand merci à lui. OK

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La société saoudienne est actuellement très perturbée ; comme en témoignent les réactions mitigées des Saoudiens au feuilleton de la campagne anti-corruption. En effet, cette démarche largement médiatisée, ayant touché plusieurs personnalités civiles et militaires très proches de la famille des Al-Saoud, n'a pas été applaudie comme attendu par l'ensemble de la population.

DÉCOMPOSITION OU SURSAUT DES AL-SAOUD ?

Les Saoudiens considèrent que le jeune Royaume, crée en 1932 par le Roi Abdelaziz Al-Saoud, court plusieurs risques dont la guerre civile et l'éclatement. Selon certains observateurs, l'opération mains propres n'est qu'un leurre visant à cacher les véritables dissensions internes et les véritables défis externes. Ces nombreux clivages touchent toutes les structures sensibles de l'État, structures qui elles-mêmes pourraient devenir un grand chantier à risques... Les informations en provenance de Riyad et des Lieux Saints alimentent cette inquiétude croissante et présagent d'une décomposition possible de l'Arabie Saoudite à moyen terme, car ces chantiers sont multiples et interdépendants.

Le bouleversement a commencé avec l'annonce du changement dans l'ordre de succession en violation de la charte fondamentale du Royaume Saoudien. Dès lors ce conflit interne et propre à la famille royale apparaît au grand jour contrairement à l'habitude. Chaque prince tente de se positionner en faisant bouger ses réseaux locaux et leurs ramifications internationales. Cette situation inédite suscite un certain désordre dans la Monarchie, d’autant plus que la majorité des princes, fils du roi fondateur du Royaume, ont exprimé leur désaccord, voire leur désarroi, avec leur frère le roi Salman et son fils Mohamed, le nouveau prince héritier. Huit des onze fils du roi Abdelaziz soupçonnent le clan des Al-Salman de provoquer le désordre au moyen de la quatrième guerre du Yémen, la rivalité avec l'Iran, l'embargo du Qatar, sans oublier l'engagement Saoudien en Syrie et au Bahreïn, afin de consolider du pouvoir politique, religieux et économique.

Ces princes, puissants financièrement et médiatiquement, revendiquent leur opposition ouverte au clan du Roi actuel et appellent à son retrait et à son remplacement par leur frère le prince Ahmed Ibn Abdelaziz né en 1942. À cet effet, ils se manifestent souvent dans les réseaux sociaux et les médias américains en propageant l'idée selon laquelle l'interventionnisme de MBS dans plusieurs théâtres d'opération a contribué à l'affaiblissement des Saoudiens et à la décadence de l'Arabie Saoudite en tant que puissance régionale. Cette stratégie de la tension initiée par le Prince Héritier MBS sème le trouble dans les esprits des Saoudiens. Leur inquiétude s’accroît quand ils se rappellent que la dynastie des Al-Saoud était déjà disparue en 1871 à cause du conflit interne entre frères et cousins (alors, certaines factions wahhabites de l'époque avaient contribué à ces dissensions). L'autre élément qui préoccupe les Saoudiens est la décapitation de l'État-Major de l'Armée Blanche appelée la Garde Nationale. Cette Armée endoctrinée et lourdement armée est constituée de bédouins volontaires représentants toutes les tribus saoudiennes. Sa principale mission est de défendre le régime et de protéger l'idéologie wahhabite (100 000 hommes environ). Enfin, la refonte de tous les services du renseignement et de sécurité, autrefois efficaces dans la diplomatie secrète et religieuse (prosélytisme), constitue un autre élément à considérer. Ainsi les services de sécurité ont été fragmentés et ne sont plus sous les ordres d'un seul commandant, généralement un prince de haut rang.

RETOUR A L’HISTOIRE : LE SYNDROME DE LA GUERRE CIVILE

Il faut ici rappeler que la Garde Nationale, actuellement engagée au Yémen, au Bahreïn et sur la frontière avec le Qatar (bouclier), est l’héritière des Ikhwans (fratrie ou frères), milices wahhabites créées en 1906 par les Imams descendants du Sheikh Mohamed Ibn Abdelwahhab afin de conquérir toute la péninsule arabique selon le pacte scellé entre les deux familles en 1744 (Al-Saud & Al-Sheik). Les Ikhwans (les frères) étaient des jeunes aguerris et bien endoctrinés et dont la majorité était originaires de la province de Nejd. Ces wahhabites étaient les soldats de la première armée Saoudienne, très proche du modèle Taliban. Leur motivation religieuse avait facilité la conquête de la totalité du pays sous domination ottomane. Mais l'alliance entre les deux clans ne va pas durer longtemps à cause de l'intégrisme de cette milice hanbaliste . Elle a pourtant réussi à construire 200 colonies et rêvait de la création d'un califat selon le modèle des temps idylliques de l'islam. Ce projet était à l'opposé de l'agenda de leur chef politique Abdelaziz Al- Saoud qui de son côté visait la création d'un royaume familial Saoudien.

Ce différent fondamental entre les deux parties provoqua la deuxième guerre civile durant une décennie (1920/1930). En fait, ce schisme était prévisible et il continue toujours à se manifester sous des formes diverses. Ce sont deux visions politiques et dogmatiques contradictoires et antinomiques entre les deux piliers du pouvoir saoudien. C'est grâce à l'appui de l'armée britannique en 1924, et notamment à son aviation, que les insurgés wahhabites considérés par les États voisins comme dangereux et détestables ont été défaits et décimés dans le désert et leurs chefs décapités. C'est la première révolte armée sérieuse des wahhabites contre leurs alliés les Al-Saoud... L’épisode constitue aussi la deuxième guerre civile Saoudienne qui menaça de disparition à l'époque les Al- Saoud...

Suite à ce bras de fer sanglant, la composante wahhabite recula tactiquement selon les principes de la Taqîya, (dissimulation), mais elle avait toujours gardé à l'esprit le sentiment de vengeance contre ses alliés, les Al-Saoud, ce qui explique plusieurs tentatives de prendre le pouvoir politique des mains de leurs princes saoudiens, considérés comme pervers, corrompus et agents des mécréants. Ainsi la rébellion des Ikhwans Wahhabites de des années 1920 fut suivie par une série de révoltes, notamment celle de 1960 lorsqu’ils forcèrent le roi Saoud Al-Kebir à abdiquer du trône et à s’exiler en Grèce. À l'époque ils avaient affiché leur rejet de toute innovation moderne et leur opposition à toute présence étrangère non musulmane sur la Terre Sainte de l'islam.

La pensée wahhabite, dans sa dimension extrémiste, développée par sa frange fanatique et sectaire, imagine toujours un projet de renversement des Al-Saoud, y compris par la force et la violence, afin d'établir à leur place une république islamique selon le modèle Taliban. Cette idéologie maximaliste s'est manifestée violemment en 1979 à l'occasion de l'attaque de la grande mosquée de la Mecque par le commando de Juhayman Al-Otaibi suivie par la création d'Al-Qaïda par Oussama Ben Laden en 1980. Les deux événements divisent encore les Saoudiens demeurés conservateurs dans leur majorité. Nous croyons que les 70% de la population des moins de 30 ans ne sont pas tous progressistes... Cela montre que les Ikhwans Wahhabites continuent encore à encadrer la société en amont et en aval et à s'impliquer d'une manière substantielle et directe dans plusieurs conflits de faible intensité. Ils ont même réussi à s'implanter sous forme de cellules dormantes dans les cinq continents grâce à la Ligue Islamique Mondiale et à des milliers d'associations caritatives.

Le "Printemps Arabe " fut pour les extrémistes religieux saoudiens une occasion idéale pour multiplier leurs interventions en hommes et en argent... En effet, 5 000 jeunes Saoudiens furent envoyés en Syrie, en Irak et ailleurs pour contrecarrer les révolutions à visée progressiste. Leur doctrine ne s’est pas affaiblie, contrairement à la propagande des dirigeants Saoudiens qui affirme véhiculer un islam modéré que nous appelons "islam d'exportation" ! Or, les jeunes djihadistes qui reviennent en Arabie Saoudite constituent une menace réelle pour les chantiers à risque lancés par MBS, principalement son projet de moderniser la société en fondant un islam modéré et acceptable par la Communauté internationale.

LE PROJET DE RÉFORME RELIGIEUSE

Pour plusieurs érudits sunnites, la réforme religieuse lancée avec précipitation et sous pression étrangère aurait des conséquences désastreuses sur les Al-Saoud. Ce champs de révision des exégèses est très complexe voire mortel, car il pourrait être l'étincelle déclenchant une explosion non maîtrisée... En effet, ces conservateurs religieux accusent ouvertement MBS de trahison des préceptes de l'islam et de vassalité vis-à-vis de l'Occident. À ce sujet, nous croyons que les wahhabites enrichis par la rente du pétrole représentent la véritable menace pour le grand chantier initié par MBS, ce qui pourrait sans aucun doute avoir des conséquences graves sur les autres chantiers en cours y compris sa "Vision Économiques 2030".

Selon plusieurs islamologues musulmans, la révision de l'islam sunnite est accueillie par un silence éloquent des religieux wahhabites et un rejet visible de la part des Saoudiens... En effet, sous le conseil des Américains, le Roi Salman Ibn Abdelaziz Al-Saoud a promulgué le 18 octobre 2017 une loi dite "historique et audacieuse", loi visant la création à MÉDINE d'une Institution Internationale dont les missions fondamentales seraient la révision totale de la Sunna, deuxième source de législation après le Coran en Arabie Saoudite, le nettoyage de la Sîra et toutes les références sacrées accréditées par le sunnisme.

Cette refonte globale des textes sacrés est conçue comme la réponse politique saoudienne aux détracteurs Chiites iraniens accusés d'idolâtrie et de générateurs du terrorisme. Cette remise à plat des textes sacrés signifie aussi la révision des recueils de tous les exégètes sunnites évoquant les paroles et les comportements du Prophète Mohamed, (tradition ou Sunna). Cela concerne les deux Sahihs d'Al-Boukhari et de Muslim ainsi que la biographie du Messager de Dieu écrite par 'ibn Hicham... Ces références considérées comme sacrées en islam sunnite feront l'objet de la réforme conduite par des savants étrangers choisis dans les quatre coins du monde. Le nouveau Centre Théologique tentera d'expurger la Sunna de toutes les contradictions, les erreurs, principalement les faux hadiths, les hadiths faibles ou posés, consciemment ou inconsciemment, dans les exégèses depuis la mort du Prophète Mohamed.

Déjà le roi Fayçal en 1970 avait initié la première expérience de révision en désignant pour cela le savant Nasr-Addine Al-Albani, théologien hanbalite modéré d'origine albanaise... Selon le prince héritier MBS, cet événement est considérable car il concernera les hadiths portant atteinte à l'image du Prophète Mohamed et à ses successeurs et ceux incitant à la violence et au terrorisme, incompatible avec l'esprit du Coran. La provenance de cette désinformation religieuse (visant l'islam sunnite, selon MBS) vient de Qom (Iran) et de Najaf (Irak), deux villes saintes du Chiisme duodécimain, l'ennemi historique du sunnisme.

D'après des experts de l'Arabie Saoudite, l'initiative du Roi Salman mine les fondements même du hanbalisme, doctrine politique et religieuse de l'État saoudien et sa raison d'être. Pour faire passer cette réforme, le Roi et son fils la situent dans le prolongement naturel de leur conflit larvé contre les Iraniens, le Hezbollah et les Houtis appelés nazis et zoroastriens...

RÉACTION MITIGÉE DES AL-SHEIK À LA RÉVISION DES EXÉGÈSES

Dans cette perspective, le silence des Al-Sheik, descendants de l'imam Mohamed Ibn Abdelwahhab, demeure inexpliqué, eux qui se considèrent les gardiens du Temple et les associés légitimes au pouvoir et non de simples fonctionnaires, et ce depuis le pacte de 1744. Les alliés des Al-Saoud paraissent réticents et cachent mal leur colère concernant cette réforme religieuse, d'autant plus que la révision fut attribuée à des savants étrangers non hanbalites. D'ailleurs plusieurs d'entre eux sont incarcérés. Beaucoup d’oulémas saoudiens se sentent dépassés et marginalisés par le pouvoir politique incarné par MBS, le jeune prince ambitieux...

Pour les religieux wahhabites, rien ne doit se faire sans leur consentement, surtout s'il s'agit d'une reforme religieuse qui fait partie de leurs missions ancestrales. Ils se considèrent comme les véritables gardiens des Lieux Saints et de l'islam orthodoxe qui est le Hanbalisme. À noter que de nombreux hadiths objet de réflexion sont l'œuvre du fondateur de la troisième École de Pensée de l'islam, Ahmed Ibn Hanbal et retravaillé par Ibn Tammiya et mis en application par Ibn Abdelwahhab...

Pour plusieurs théologiens saoudiens, il est impossible de réussir ce chantier épineux dans le temps record, dix ans paraît-il, envisagé par les experts du Sénat américain. Plusieurs observateurs croient que la loi promulguée le 18 octobre 2017 vise en fait la dissolution graduelle du wahhabisme représenté par l'institution religieuse et sa police des mœurs. En effet, les religieux du Haut Conseil des Oulémas, dont la majorité est wahhabite, coiffent plusieurs secteurs de la société saoudienne : la Justice, la Culture, les Médias, l'Éducation Nationale, la Garde Nationale et la Diplomatie, etc. Ainsi nous voyons que la purge globale a touché un champs très large de la société connue pour son conservatisme et sa religiosité. Cette réforme de la Sharia dictée d'en haut et supervisée par les alliés Américains est un événement considérable, mais il pourrait avoir des conséquences funestes sur la stabilité du pays et sur la cohésion de la société.

La désignation d'un savant wahhabite considéré comme modéré à la tête de ce Centre Religieux, chargé de la révision de la Sunna, ne contient pas le silence et le scepticisme des Oulémas saoudiens. Dans ce cadre, nous rappelons que Khomeiny a accédé au pouvoir en 1979 grâce au mécontentement des commerçants du Bazar et à la colère des paysans, accablés par des mesures financières lourdes. C'est dans ce grand sillage, que les Saoudiens se rappellent encore de l'attaque de la mosquée Al-Haram par le groupe de Juhayman Al-Otaibi en 1979, attaque d'envergure qui risqua de faire chuter le régime de Al-Saoud, et de diviser la société. À l'époque l'Armée Blanche salafiste dans sa majorité refusa d'intervenir dans la Mosquée Sacrée. Parallèlement il est probable que le danger peut venir aussi des 5000 jeunes saoudiens aguerris chez DAECH et consorts, instrumentalisés à l'origine par leurs commanditaires wahhabites.

LA REVISION N'ERADIQUERA PAS LE FANATISME

La révision des exégèses d'Al-Boukhari et Muslim est une bonne initiative que nous applaudissons, mais elle n'est pas la priorité, car elle survient dans un contexte compliqué à tous les niveaux. Ses objectifs n'éradiqueront pas le terrorisme mais ils accentueront les crises en menaçant la cohésion de la société déjà programmée par le wahhabisme depuis trois siècles environ. Signalons aussi que la purge politique et financière a été suivie par une répression contre les icônes du wahhabisme les plus populaires de l'Arabie Saoudite dont le plus célèbre Mohamed Laarifi que nous considérons plus dangereux que Abu Bak Al Bagdadi...

En conclusion, la société Saoudienne tremble à cause de ces changements accélérés. Elle aurait souhaité que les Al-Salman ouvrent les chantiers de l'Éducation Nationale, de la Justice, de la Culture et des Médias, chantiers urgents car les plus gangrenés par le Salafisme, au lieu de s'attaquer frontalement aux religieux et à la révision de la Sunna qui aurait dû être l'œuvre de l'Organisation de la Conférence Islamique, et cela au nom de tous les États musulmans. Les Saoudiens n'ont pas le monopole de l'islam : c'est le patrimoine commun de tous les musulmans !

Docteur Abderrahmane Mekkaoui, professeur à ‘l’Université de Casablanca, professeur associé à l’université de Dijon.

Catégories: Défense

Commandement et management au 21ème siècle

sam, 20/01/2018 - 18:06

Je retrouve dans mes archives un texte préparé l'an dernier, à l'occasion d'une conférence sur le "Commandement et management au XXIe siècle". Je la poste ici au cas où, pour ne pas l'oublier. La conclusion n'est pas rédigée mais j'ai depuis précisé ma pensée sur le sujet, avec plusieurs articles parus ou encore à paraître.

Source

Cette conférence conclut un cycle consacré au « management ». La notion est complexe et le mot est un américanisme, arrivé en France dans les années 1970. Il s’applique au monde de l’entreprise et recouvre deux choses : à la fois le mode d’organisation de l’entreprise mais aussi la nature des relations hiérarchiques entre des responsables (les managers) et les subordonnés. Il y a donc a priori une grande ressemblance avec le commandement qui recouvre lui aussi les deux aspects : aussi bien la fonction générale d’organisation des structures militaires (en temps de paix comme en opération), que les relations de commandement entre un chef et ses subordonnés.

Cette ressemblance n’est pas anormale car le management s’est longtemps inspiré du commandement avant de prendre son autonomie et découvrir des recettes appliquées en retour par les organisations militaires. Mais décrire ces influences réciproques serait inutile si cela ne suscitait pas des interrogations : pourquoi justement distinguer les deux ? cela recouvre-t-il quelque chose de plus profond ? Le commandement peut-il à nouveau inspirer le management et si oui, en quoi ? Réciproquement, le management peut-il encore apprendre du commandement ?

  • I Du commandement au management
  • II La persistance de particularités
  • III articuler l’organisation et les relations humaines

I Du commandement au management, histoire d’une influence réciproque

A Des racines communes

Si commandement et management sont deux mots différents qui traduisent des réalités proches, les deux environnements, celui des entreprises et celui des armées, partagent le même mot surplombant, celui de stratégie. Ceci indique qu’à l’origine, le système militaire a servi de modèle. Les sociétés civiles et donc les entreprises obéissaient à un modèle hiérarchique directement inspiré de l’armée. Celle-ci avait en effet inventé, avant la Révolution, des modèles d’organisation qui se sont perfectionnés sous la Révolution avant de donner place au système divisionnaire de Bonaparte.

Les succès éclatants de celui-ci inspirèrent tout le XIXe siècle. Les Allemands constituèrent ainsi après les campagnes napoléoniennes une école de guerre et un grand état-major général qui présidèrent aux victoires de 1866 et 1870. En retour, la France réagit pour mettre en place un modèle d’état-major décliné en bureaux qui prouva sa pertinence au cours de la Première Guerre mondiale. C’est d’ailleurs à cette occasion que les armées américaines se formèrent et imitèrent précisément le système français d’état-major. Elles en déduisirent une organisation logique et distribuée qui donna ses pleins effets lors de la Deuxième Guerre mondiale.

Dans le même temps, une autre révolution toucha le monde de l’entreprise : la révolution industrielle inspira de nouveaux modes de conduite de la production : ce fut le fordisme, puis plus tard, justement avec la croissance de l’après-guerre, le développement de « stratégies d’entreprise » : citons par exemple la matrice du BCG, les méthodes SWOT, le toyotisme, la matrice de Porter ? La stratégie d’entreprise partit ensuite de la production pour s’étendre à toutes les fonctions de l’entreprise : marketing, finance, logistique, tandis que de nouvelles fonctions émergeaient comme la communication ou les systèmes d’information. De nouvelles techniques se mirent en place : contrôle de gestion, reporting, audit, contrôle interne, gestion des risques, tableaux de bord généraux et spécialisés…

B Autonomie du management d’entreprise

Au fond, il y eut une autonomisation de l’organisation de l’entreprise selon un processus logique de spécialisation. Une des conséquences fut l’apparition du « management », c’est-à-dire l’ensemble des cadres d’organisation de l’entreprise (aussi bien les structures que les hommes selon le double sens du mot cadre comme du mot management). Force est pourtant de constater qu’au-delà de ces grands principes d’organisation, le management direct des hommes fut le parent pauvre. Dans les grandes écoles de commerce ou d’ingénieur, il n’y a guère de cours de management de contact. Au mieux enseigne-t-on la conduite de projet, perçue comme un ensemble de techniques à appliquer, de processus à suivre, de procédés à mettre en œuvre. Cela sous-entend que l’organisation serait une mécanique simple où l’humain est interchangeable et ne reste qu’un simple rouage.

S’il faut à l’évidence standardisé, ne pas prendre en compte la diversité des hommes est une erreur profonde. Face au désarroi de nombreux salariés, on vit bien apparaître des méthodes d’aide au comportement, apanage de consultants spécialisés dans les relations interhumaines, suivant des écoles différentes (psychanalyse, Palo Alto, Programmation neuro-linguistique (PNL), vogue récente du coaching, …). Mais cela était le fait de la fonction RH, et apparaît souvent comme une nouvelle spécialisation, non comme une exigence commune.

Cela étant, elle pâtissait de n’être qu’une fonction et de ne pas s’intéresser au « manager », figure vague et peu identifiée : qui est en effet « manager » dans une entreprise ? Seulement les « cadres » ? La « direction » est-elle composée de managers et pas plutôt des « cadres dirigeants », sous entendant que le management touche un niveau subalterne et donc globalement d’exécution, voire de mise en œuvre de lignes directrices décidées par ailleurs ? Autrement dit encore, si l’on parle de managers, il n’y a pas de formation à l’encadrement. Alors que les forces humaines apparaissent comme un atout essentiel de l’entreprise, il est curieux que cette fonction de management soit finalement si peu valorisée dans sa dimension transversale, à tous les niveaux de la hiérarchie.

C Le commandement imite le management

De l’autre côté, les armées vécurent un processus différent. Face la masse des outils développés par le civil et par l’entreprise, elles constatèrent qu’elles devaient en adopter beaucoup. En effet, les militaires sont pragmatiques et obsédés par la nécessité de développer leur efficacité.

Ici, il faut mentionner la différence essentielle entre le monde de l’entreprise et le monde militaire. Le premier a pour objet le résultat net, comptablement valorisé. L’étalon de mesure est objectif puisqu’il s’agit d’un pied de colonne, au bas du tableur comptable. Pour les armées, les choses sont plus compliquées : elles doivent d’une part se préparer à un conflit éventuel où le rapport de force et la conduite des opérations seront essentiels et ne se mesureront pas par des résultats financiers ; d’autre part, elles existent en temps de paix et doivent donc rendre des comptes sur la bonne gestion des deniers publics, partageant avec toute la sphère publique la difficulté de ne pas pouvoir mesurer l’efficacité du travail simplement au travers d’un « résultat net comptable ». Dès lors, elles importèrent du monde privé de nombreuses techniques de spécialisation fonctionnelle.

Ainsi, prenons l’exemple budgétaire : comment mesurer l’efficacité d’une administration qui produit des services communs ? Ce débat traverse tous les services d’Etat depuis plus de quarante ans, sous la pression notamment des théories économiques remettant en cause le secteur public. Il s’en est suivi par exemple la mise en place de la Loi organique des lois de finances. Alors que jusqu’à présent, on attribuait des budgets aux administrations et qu’au fond elles étaient jugées à leur façon de le dépenser, le législateur a voulu inverser le dispositif. Chaque ministère doit justifier son besoin et mettre en place des indicateurs démontrant l’atteinte des objectifs. Ces indicateurs de performance sont mis en place par tous les ministères dont celui de la défense qui a ainsi mis en place un système de contrôle de gestion très élaboré. On pourrait multiplier les exemples de ces techniques venues du civil et adoptées pour la « gestion » des armées, que ce soit en informatique, en ressources humaines, en communication, en soutien commun, en infrastructure…

On le voit, management et commandement se ressemblent beaucoup et se sont mutuellement influencés, même s’ils ont développé leur autonomie. Car malgré ces ressemblances, ils restent distincts. On ne commande pas comme on manage. D’ailleurs, dit-on « manager une structure » ?

II La persistance des particularismes

Malgré ces influences réciproques, des particularismes subsistent, dans les deux dimensions de l’organisation et des relations humaines.

A Discipline et initiative

Les armées conservèrent leur originalité, de deux façons. L’armée met ainsi l’homme au cœur de son système de supériorité opérationnelle. Dès la fin du XIXe siècle, Ardant du Pic mettait en avant le rôle de la « force morale » dans l’obtention du succès. L’histoire militaire regorge d’exemples où une troupe moins nombreuse mais plus motivée ou mieux organisée emporte le la victoire. Deux facteurs sont ici à relever : à la fois la valeur individuelle du soldat mais aussi la qualité de l’organisation, laissant place à suffisamment d’initiative tout en fixant des buts à atteindre.

La guerre est en effet un chaos où règne l’incertitude et ce que les théoriciens appellent « le brouillard de la guerre ». Il ne s’agit pas seulement d’un partage difficile de l’information mais surtout d’une mêlée générale et confuse qui force à la prise d’initiative, donc de risque. Par nature, la fonction militaire encourage la prise de risque. Elle compense donc le danger qui découle de la dispersion des efforts par la discipline.

La discipline est une pratique qui a beaucoup évolué au cours des âges. Elle peut être très formelle ou beaucoup plus cachée mais elle est à la base des rapports entre un chef et son subordonné, d’autant plus que chacun, dans la chaîne de commandement, a conscience qu’il est simultanément les deux : on est toujours le subordonné de quelqu’un et, sauf au dernier échelon du soldat, le chef de quelqu’un d’autre mais voué à progresser et donc devenir aussi un « chef ». Cette double relation irrigue toute la culture militaire.

B L’humain au cœur du commandement

Les armées ont toujours porté une grande attention à l’humain car elles savent qu’il est la principale richesse, avant même les armements sophistiqués qu’on va lui confier ou les structures de commandement qui vont permettre de conduire la bataille.

Ainsi, le Rôle social de l’officier, écrit par Lyautey sous la IIIe République à un moment où l’on généralisait le service militaire, est-il un bon exemple de cet effort. De même, le général Frère, commandant Saint-Cyr entre les deux guerres, popularisa la formule « obéir d’amitié ». Plus récemment, dans les années 1980 on s’intéressa à la pédagogie pour réformer l’instruction. L’éthique est également au cœur des préoccupations. Lors de la professionnalisation, à la fin des années 1990, on décida d’un Code du soldat. Dans les années 2000, l’armée de Terre se mit à publier une revue, Inflexions, centrée sur l’interrogation de ces rapports humains avec un double regard de militaires et de civils. Ainsi, l’armée ne cesse de s’interroger sur cette dimension humaine.

Dans les situations de stress (et la guerre est une situation extrême de stress pour les hommes qui y sont plongés), l’armée a besoin que ses chefs de contact aient l’esprit de décision et la capacité de mener leurs hommes, ce qu’on appelle le leadership. Elle doit donc s’y entraîner dès le temps de paix. L’adversité forge le caractère. Surtout, l’armée sait que la cohésion est un facteur de supériorité opérationnelle et probablement le facteur de base. Au fond, si la guerre est un chaos, il s’agit d’apporter son propre ordre à l’intérieur du chaos pour pouvoir y agir. La cohésion (autre mot pour la discipline) est le moyen d’apporter cet ordre intérieur qui permettra de prendre l’ascendant sur les événements.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si certaines grandes écoles civiles ou des entreprises viennent de plus en plus souvent se former et se tester dans des centres d’entraînement militaire, que ce soit à Saint-Cyr ou dans des stages commandos. L’entreprise reconnait au chef militaire cette capacité à construire l’esprit d’équipe mais aussi à former des chefs capables de diriger des structures dans des circonstances hostiles.

C Le chaos et le complexe

Nous étions dans le champ des rapports humains mais la conduite guerre a aussi conduit à ce que les structures évoluent également. Sous l’influence des modèles américains (ce qu’on a d’abord appelé la « Révolution des affaires militaires » à la fin des années 1990) mais aussi des capacités technologiques, l’armée a profondément transformé ses pratiques opérationnelles, complexifiant l’organisation de ses états-majors, intégrant de nouvelles spécialités, installant de nouveaux moyens techniques (et d’abord informatiques), prenant en compte plus systématiquement des fonctions extérieures (ONG, fonctions d’Etat, communication, populations). Au combat, la simplicité opérationnelle d’autrefois a laissé place à un ballet extrêmement sophistiqué et professionnel, combinant des expertises très pointues assemblées dans la production d’effets multiples dans des situations complexes.

La guerre est devenue plus complexe, sa conduite aussi. Car l’armée fait face à une difficulté, celle de l’articulation entre le temps de paix et le temps de guerre, que n’a pas l’entreprise. Son système organisationnel mais aussi son système d’hommes (incluant donc les valeurs) lui imposent d’être aussi efficace dans les deux circonstances.

Dans le même temps, l’entreprise a fait face à des évolutions similaires. En effet, son environnement s’est complexifié. La dérégulation, l’innovation technologique, la spécialisation professionnelle et la mondialisation ont été les principaux facteurs du bouleversement de son environnement. Si l’armée faisait face au chaos, l’entreprise fait face au complexe. On le distingue du compliqué en ce que le complexe n’est pas entièrement maîtrisable. Si on peut agir dans le complexe, on ne peut maîtriser tous les éléments comme dans un moteur où chaque pièce à son rôle. Au fond, dans le complexe, on agit en environnement indéterminé. Dès lors, on pourra mettre tous les mécanismes de contrôle, il restera toujours une part à l’imprévu.

Les organisations courent alors un risque, celui de vouloir dominer le complexe environnant par une organisation qui est elle-même complexe. Les deux entrent en résonance et produisent du désordre. Vous avez probablement à l’esprit ces organisations qui, à force d’avoir spécialisé des fonctions déterminées, toujours plus nombreuses, se retrouvent avec des structures en tuyaux d’orgue. De même, quand on veut installer une certaine transversalité (mot extrêmement en vogue), on met en place des conduites matricielles qui ne sont pas pratiques car elles freinent les processus spécialisés. Autrement dit encore, on ne peut spécialiser la vue générale. L’accumulation des processus spécialisés conduit à l’inefficacité.

Force est alors de constater que souvent, le retour à la simplicité est une solution. La cohésion autour des valeurs en est une autre.

D Valeurs et culture d’entreprise

Nous avons noté que la cohésion nécessitait des efforts car elle est un facteur de supériorité opérationnelle. Voici du coup expliqué l’attachement militaire aux traditions, aux prises d’armes, aux anciens, à l’esprit de corps.

Le corpus de valeurs militaires est en effet essentiel à l’efficacité : on est donc là bien loin des codes déontologiques publiées par les grandes entreprises, codes qui se ressemblent tous. Cela ne signifie pas pour autant que chaque entreprise n’a pas ses habitudes, son corpus culturel : mais la plupart du temps, celui-ci est implicite, fondé sur la pratique, reconnu informellement, décrypté seulement par des sociologues qui viennent observer l’organisation. Si l’on pense à l’affaire France Telecom (où la pression managériale provoqua, il y a quelques années, de nombreux suicides), on voit bien que le cas est emblématique de ces relations professionnelles beaucoup plus dures que ce que les discours officiels disent. Cela ne signifie pas qu’a contrario, tout baigne dans le meilleur des mondes à l’intérieur des quartiers et des bases. Simplement qu’il y a un plus large accord des personnels sur les valeurs partagées.

Un fait illustre cette intégration très forte des cultures militaires : prenez trois jeunes gens préparant une grande école militaire : l’un entre à Saint Cyr, l’autre à Navale, le dernier à l’école de l’Air. En classe préparatoire, ce sont les mêmes élèves, ils se ressemblent, indifférenciés. Dix ans après, vous rencontrez trois officiers qui sont très différents et se reconnaissent de loin. Certes, vus en groupe, ils sont perçus par les civils comme indubitablement des « militaires » dont les réflexes professionnels sont communs et facilement identifiables. Cette transformation est le fait du métier mais aussi et surtout des systèmes de valeurs propres aux armées et qui marquent au plus profond. Au fond, être militaire est un état et pas simplement une profession.

L’ensemble de ces particularités montre bien que le duo « organisation-relations humaines » reste particulier à chaque type d’organisation, civile ou militaire. Elles répondent par des moyens parfois différents, parfois communs, à leurs finalités propres.

III Articuler l’organisation et les ressources humaines

Organisation et richesse des hommes, voici les deux points communs au commandement et au management. Les deux mots montrent deux nécessités, mais dès lors : comment les articuler ?

A Qui est le client ? Le rapport à autrui

Cette articulation dépend pour une large part du rapport à l’autre, le client pour l’entreprise, l’ennemi pour l’armée. Autrui, c’est l’extérieur, « ce qui n’est pas nous », ce « nous » que nous avons construit par la cohésion. Ainsi, la logique profonde d’une entreprise dépend-elle du client. Malgré tout, il faut le convaincre d’acheter vos produits. C’est pour cela que « le client est roi ». La formule est belle, presque obséquieuse, mais ne nous laissons pas abuser : au-delà, il s’agit bien de le plumer. L’objectif d’une entreprise est très logiquement d’assurer sa survie et pour cela d’être rentable grâce à un pouvoir de marché.

Pour l’armée, qui est le client ? L’ennemi ? mais il s’agit de le contraindre par la force, jusqu’à le tuer.

Dans un cas, il faut solliciter la décision du client, dans l’autre imposer sa décision. Toujours, agir sur sa volonté, par la persuasion ou la contrainte. Remarquons que la persuasion n’est pas l’apanage des civils puisqu’elle a toujours été un instrument dans la main des militaires (ruse, stratagème, propagande, action psychologique…). Mais en retour, cette manœuvre des volontés induit une pratique particulière à l’intérieur du système.

En effet, c’est le rapport à l’autre, celui qui est extérieur à l’organisation, qui en retour fonde celle-ci. Lors de mes cours d’économie, on m’expliquait qu’une entreprise c’était deux choses : une personne morale et une comptabilité. Mais il ne s’agit là que de signes extérieurs de la société. Celle-ci a une raison sociale, une ambition qui la distingue des autres, une affectio societatis qui dépasse le simple cercle des actionnaires. Sans surprise, le rapport à l’autre (le client ou l’ennemi) contribue à fabriquer la cohésion intérieure. L’autre est toujours perçu comme un obstacle ; tel client qui ne veut pas signer, telle administration qui demande des formulaires, tel concurrent qui a pris de l’avance. Constatons d’ailleurs que ce rapport à autrui joue aussi à l’intérieur des organisations : luttes entre telle division et telle autre, concurrence entre services. L’autre n’est pas simplement extérieur à mon organisation, il peut aussi être à l’intérieur.

La difficulté des dirigeants consiste précisément à articuler cette distinction (qui est la conséquence de l’organisation et donc de la spécialisation) et les luttes humaines qu’elle entraîne. En effet, si la compétition peut être stimulante et forcer à progresser, son excès est délétère et freine la marche générale de l’organisation. Au manager et au chef de trouver la juste mesure entre l’esprit de groupe (nécessité de cohésion propre à la cellule considérée) et souci de collaboration (nécessité de cohésion de l’ensemble plus large auquel on appartient, le bien commun). On touche là à un point très sensible, celui qui lie les deux sens du « management », à la fois structuration et relations humaines.

B La volonté : forcer la décision

Nous avons parlé, à l’instant, de manœuvre des volontés en évoquant l’imposition de sa propre volonté à l’autre. Cela se reflète à l’intérieur de l’organisation.

Chez les militaires, le chef peut naturellement imposer sa volonté à ses subordonnés. On cherche d’abord des chefs qui commandent, c’est-à-dire qui donnent des ordres. A la guerre, mieux vaut une initiative que l’inaction, mieux vaut agir sur les événements que rester là à subir. Les militaires ont ainsi une belle formule en parlant du « culte de la mission » : la mission doit être remplie coûte que coûte. Tout dépend bien sûr de la façon dont la mission est énoncée. L’armée a ainsi mis en place un processus d’expression de la mission de façon que les ordres soient pleinement exprimés dans le dialogue entre le chef et ses subordonnés.

Mais la formalité ne suffit plus, d’où l’ensemble des évolutions pour susciter l’adhésion des subordonnés et surtout leur faire comprendre le sens de la mission. Les militaires parlent d’effet majeur, qui consiste au fond à définir l’esprit de la mission, l’objectif final à atteindre, les ordres de détail pouvant être rapidement déjoués par les circonstances du combat. Alors, au chef de contact de prendre les initiatives voulues pour atteindre l’effet recherché.

Dans le civil, l’imposition de la volonté du chef immédiat peut être moins marquée formellement. Il y a d’ailleurs une part d’hypocrisie qui semble pouvoir plus facilement se loger dans les relations officiellement souples voire amicales, (« appelons nous par notre prénom », etc.) : Se font jour tout un tas de signes indirects qui établissent malgré tout la hiérarchie, et ils peuvent être d’autant plus violents que justement ils ne sont pas formels.

En fait, et nous y avons fait allusion quand nous avons traité du complexe, la pression est désormais très forte dans les organisations civiles, qu’elles soient publiques (ressources très contraintes et amoncellement de normes prudentielles) ou privées. Pour celle-ci, les marchés stagnent le plus souvent et la concurrence s’est élargie très souvent au monde entier. On assiste dès lors à des pratiques d’optimisation : faire plus avec moins, en un mot. Cela entraîne, qui ne l’a constaté, des pressions sur les organisations internes et donc sur les relations humaines qui en dépendent. Le cas France Telecom que nos avons cité en est l’exemple symptomatique.

C Responsabilité

Un dernier point mérite d’être évoqué : le rapport à la responsabilité. Qu’est-ce qu’être responsable dans l’entreprise ? Qu’est-ce qu’être responsable dans l’armée ? de plus en plus, à la suite de la juridisation croissante de nos sociétés, la responsabilité est d’abord définie par des textes, légaux, réglementaires ou conventionnels. C’est d’abord le manquement aux règles qui entraîne une sanction. Mais cela ne suffit pas, chaque organisation doit mobiliser ses troupes pour augmenter la performance.

Cela a entraîné un système de motivation par objectifs. Chaque manager se voit fixer des objectifs annuels, souvent quantifiés. Il s’ensuit des systèmes d’évaluation qui nourrissent la notation annuelle, selon des procédures assez lourdes, pas toujours convaincantes, parfois opaques. Pour éviter de trancher, certains usent (quand il n’y a pas de risque économique) de l’indifférenciation ou de l’avancement à l’ancienneté, sans reconnaissance du mérite. Beaucoup de managers peuvent être assez lâches, en effet, dans la mesure où ils craignent le face à face où ils vont dire à tel subordonné qu’il a bien travaillé, le contraire à tel autre. Ne parlons même pas des cas de favoritisme ou de fayotage, ils existent dans n’importe quel système.

Constatons que le système militaire n’échappe pas globalement à ce genre de dispositif mais que la nécessité d’avoir du personnel jeune fait que les contrats sont la plupart du temps courts et que pour les gens de carrière, l’avancement se fait au mérite. Enfin, nous parlons ici du temps de paix, le combat et ses fortunes provoquants d’autres reclassements, l’histoire nous l’a sans cesse a enseigné (qu’on pense aux généraux de napoléon ou aux généraux de la Première Guerre mondiale qu’il a fallu brutalement sélectionner au vu des premiers combats de l’été 1914).

Mais les chefs, civils ou militaires, doivent aussi « prendre des décisions ». Au fond, c’est leur fonction première : arbitrer des situations incertaines où justement, les circonstances ne sont pas claires. C’est leur grandeur, rarement évoquée. On parle parfois à l’armée de « décision de commandement » : l’expression est un pléonasme car la décision est justement l’attribut du commandement mais aussi du management. Si elle est encadrée par les règles, elle relève pourtant de l’essence ultime du responsable : celui-ci arbitre quand les règles ne suffisent plus à dire ce qu’il faut faire.

Ceci explique la profonde réticence des managers envers le « principe de précaution » : par construction, celui entrave toute action et toute décision. Au prétexte de protéger, il stérilise. Cela ne veut pas dire que le décideur doit faire n’importe quoi. Une décision doit être instruite et prendre en compte les facteurs mais, à la fin, la noblesse du chef est de trancher. Et d’assumer.

D L’excès de pression

Remarquons enfin que trop de pression suscite des effets négatifs. Ainsi, telle entreprise de conseil me confiait qu’elle avait du mal à conserver ses jeunes collaborateurs qui étaient pressurés et, ne voyant guère de perspective de carrière ni d’allègement des charges, décidaient de quitter le cabinet vers d’autres horizons. De même, les arrêts de travail sont souvent l’expression d’un « droit de retrait privé », une façon de manifester un désaccord avec les rapports professionnels à l’intérieur du groupe.

Il y a ainsi une certaine limite à la pression interne. Dans l’armée comme chez les civils, les membres de l’organisation obéissent à une « servitude volontaire » pour reprendre le mot de La Boétie. Avec la professionnalisation qui a pris la place de la conscription, l’armée a rejoint les paramètres du civil : on ne la rejoint que sur volontariat et après avoir passé un contrat.

L’effet délétère de la pression entraîne l’importance de la mesure du moral. Un chef doit faire attention au moral de ses troupes car ce moral est un facteur d’efficacité, comme nous l’avons vu. Au fond, alors que l’esprit de décision est l’attribut du chef, le maintien du moral est son outil premier car celui qui, finalement, permettra à son équipe d’atteindre l’objectif fixé. Voilà au fond le seul principe de précaution que devrait suivre un décideur : toujours faire attention au moral des troupes, savoir passer outre un coup de grogne, mais aussi se méfier d’un silence suspect, annonçant l’abattement, la démission ou la révolte.

IV En conclusion, le nouveau choc technologique

Les deux termes ne font-ils pas face au même défi, celui d’une vague de transformation numérique, qui remet radicalement en cause des principes qu’on croyait acquis ?

A Transformation digitale

  • Les trois révolutions informatiques
  • La troisième vague actuelle
  • Usages, individualisation, mobilité.
  • La donnée, nouvelle instrument de la puissance

B TD et management

  • Le mot important c’est transformation
  • Elle transforme les relations humaines aussi dans l’entreprise
  • Cf. les start-ups où l’état d’esprit n’a rien à voir avec celui des entreprises anciennes. Télétravail, souplesse…
  • Défi commun du chef de contact : quelle autorité conserve-t-il si tout est décentralisé ?
  • Mais du coup, transforme aussi l’organisation : le modèle hiérarchique est-il encore pertinent ? risque du micro-management

C Quelle décision demain ?

  • Dépasser la robotique
  • IA Forte, IA faible
  • Toujours, lé décision. Trancher l’incertitude
  • Retour au chaos et au complexe.

Olivier Kempf

Catégories: Défense

Y a-t-il une doctrine trumpienne envers le monde arabe ?

mar, 09/01/2018 - 17:45

Je participai l'autre jour au Meddays 2017, à Tanger, à une table ronde sur "Etats-Unis et monde arabe : quelle doctrine trumpienne ?". Voici les quelques notes que j'avais préparées pour mon intervention. Pas totalement rédigées, vous me le pardonnerez, mais il faut aussi ce genre de liberté pour mieux passer à l'oral.

Il y a un triple paradoxe dans l’approche trumpienne.

Le premier, le plus classique, est celui séparant le discours intérieur du discours extérieur. Aucun lien entre les deux, comme si les deux rhétoriques étaient totalement disjointes.

Le second réside dans le contraste entre son ton habituellement fracassant et une relative modération du discours à l’égard du Proche- et du Moyen-Orient. Comme si la discrétion était le maître mot, chose surprenante de la part de Trump. Certes, quelques déclarations fracassantes mais les actes sont beaucoup plus mesurés.

Le troisième paradoxe tient à au mélange de continuité avec la politique d’Obama et des évolutions, pour certaines marquées. Autrement dit, le changement annoncé n’est pas aussi flagrant qu’attendu, pour l’instant du moins. Mais cette maîtrise du temps, pour ne pas dire mesure, si elle laissera peut-être la place à des ruptures plus nettes, constitue par elle-même une relative surprise par rapport au tempérament du président américain.

Continuité

Poursuite des opérations contre l’EI au sein de la coalition, en Irak, mais aussi en appui des FDS en Syrie sur la rive gauche de l’Euphrate (chute de Rakka, conquête des champs pétroliers d’Omar). Quelques anicroches avec les Russe mais globalement, l’accord de déconfliction a tenu.

D’où le maintien de l’appui à Bagdad, jusqu’à renier les velléités indépendantistes kurdes après le référendum d’indépendance

Il ne cherche pas particulièrement à se raccommoder avec Erdogan, continue d’abriter F. Güllen.

De même, peu de changement en Afrique du Nord, notamment en Libye ou dans la BSS.

Evolutions

Renoue avec le régime saoudien à la faveur des évolutions du nouveau prince héritier, MBS. Cf. voyage en mai 2017 où il passe de gigantesques contrats notamment d’armement. En jeu : bien sûr, le soutien à la BITD US mais aussi le renouvellement de l’alliance visant à sauvegarder le pétrodollar, et donc le dollar comme monnaie de réserve internationale (face à concurrence montante du yuan). Mais aussi promesse d’évolution vis-à-vis du djihadisme. Vu très vite en Syrie, cf. aussi annonces en octobre 2017. Dès lors, passe par poursuite du soutien à guerre au Yémen.

Evolution vers l’Iran. Remise en cause annoncée de l’accord nucléaire. Permet de satisfaire les Iraniens mais aussi les Israéliens.

Envers Israël, signes de rapprochement même si très déclaratoire : ne condamne pas les colonisation mais finalement, ne déménage pas l’ambassade à Jérusalem (NB : l'annonce n'en sera faite qu'un mois plus tard). Agit probablement en sous-main pour un plan de paix, cf. la décision récente du Hamas de se réconcilier avec l’AP.

O. Kempf

Catégories: Défense

Le héron et la vérité

ven, 05/01/2018 - 12:33

Le héron est encore venu commenter un billet, merci à lui. Mais du coup, il dis des choses tellement sensées (je ne sais si elles sont vraies ou réelles) que je décide qu'elles mérite un billet. Et même une nouvelle catégorie, dénommée "Le héron". Tout simplement.

source

Merci au héron... Et bonne année à lui. OK

Définir ce qui est vrai, c'est un bon sujet à l'approche de Noël. C'est aussi une question que j'ai posée à mon copain le héron de l’Erdre. Il était, comme à son habitude, perché sur le toit d’une péniche de plaisance. Ces péniches, ici, sont plutôt sédentaires et vous pouvez les voir sur google-earth (il suffit de taper Pont Saint-Mihiel, Nantes). Elles sont pour la plupart des résidences secondaires mais certaines sont habitées en permanence par des artistes qui y ont leur atelier et vendent leurs œuvres, au calme mais en pleine ville et s’imaginant peut-être qu’ils voyagent.

Pour interroger un héron, il faut avoir la manière parce que les hérons sont prétentieux et aiment la flatterie. C'est donc avec beaucoup de précautions oratoires que je lui ai posé la question alors que je passai presque à sa hauteur sur le pont qui franchit l'Erdre : j'ai vanté sa sagesse légendaire (sans citer cependant Jean de la Fontaine, ce médisant), j'ai évoqué avec une conviction feinte le respect que l'on doit à des êtres qui nous ont précédé sur Terre de plusieurs dizaines de millions d'années (du moins à ce qu'on dit mais l'heure n'était pas à la contestation). Pourtant le héron ne m'a pas répondu.

Etonné de son silence, j'ai mieux regardé et j'ai vu qu’il avait une grenouille en travers du bec. C’est la grenouille qui me répond : « ayez pitié de moi, mon bon Monsieur ! Faites-le parler et je pourrai me sauver !

  • – Et pourquoi t’aiderais-je, vilaine grenouille ? Je ne veux pas priver mon copain de son déjeuner.
  • – Parce que je suis une jolie princesse qu’un mauvais sort a transformée en grenouille ! Pitiééé ! »

Mon copain le héron, d’une secousse habile, place la grenouille en bonne position et l'avale. Ceci fait, il me dit : « une jolie princesse ! Ces bestioles ont un culot incroyable. Je peux te dire que nous, les hérons, on en entend, du baratin de batracien, des sornettes de rainettes, de l'amphigouri d'amphibien, des carabistouilles de grenouilles !

  • – Elle disait peut-être la vérité.
  • – La vérité, peut-être. Mais la réalité sûrement pas.
  • – Ce n’est pas la même chose ? On m’a toujours dit que c’est synonyme.
  • – Non, c’est différent. Par exemple : je suis réel, tu es réel, mais notre conversation n’est pas réelle. Notre conversation est, tout au plus, vraie.
  • – Vraie mais pas réelle ! Explique ?
  • – Le réel, c’est ce qui existe. Le vrai, c’est ce qu’on croit ou qu’on fait semblant de croire.
  • – Alors, le Père Noël est vrai, d’après toi ? Tu es sûrement le seul héron de la Création qui croit au Père Noël.
  • – J’ai déjà entendu ce nom-là, attends que je me souvienne … Ah oui : au début de l’hiver, des gamins en parlaient avec leurs parents. Les gamins croient au Père Noël et les parents font semblant d’y croire. Par conséquent oui, le Père Noël est vrai.
  • – Tu as raison, finalement, étonnant volatile : il suffit de voir la quantité d’argent que le Père Noël fait circuler. De ce point de vue, il est même réel.
  • – Là, tu vas peut-être un peu trop vite : c’est quoi, l’argent ?
  • – C’est, par exemple, le billet ou les pièces que je donne en échange du café que je prends à la terrasse du bistrot d’à côté. Je suppose que tu m’as déjà vu faire ?
  • – Oui, tu le prends dans un grand verre qui tient debout comme moi.
  • – Je voulais faire croire au lecteur que je ne bois que du café, mais c’est raté. Après tout, on est en Val-de-Loire, n’est-ce pas. On n’y cultive pas de café : je fais du protectionnisme, je favorise la production locale. Et puis le café, ça jaunit les dents.
  • – Au sujet des dents je n’ai pas d’avis. L’argent, si je comprends bien, n’est pas complètement réel : les billets et les pièces sont réels, la valeur ne l’est pas. La valeur de l’argent est seulement vraie, comme le Père Noël et comme notre conversation si les lecteurs veulent y croire ou faire semblant d’y croire. Si personne ne croit à la valeur des pièces et des billets, ces objets existent encore mais n’ont plus de valeur. Si personne ne fait semblant de croire à notre conversation, qui de toute façon n’est pas réelle, alors elle n’est même pas vraie.
  • – Par conséquent tu as répondu à ma question.
  • – Oui mais non euh... attends ! Ne vas pas répéter notre conversation ! Ne dis pas que je t'ai donné mon avis : tu imagines le nombre de gens qui vont venir m'interroger simplement pour savoir si un héron qui parle, c'est vrai ? Je tiens à ce qu'on me laisse tranquille, moi. »

Il se tait puis conclut comme pour lui même : « c'est vrai, quoi. »

Catégories: Défense

L’énergie de la première moitié du 21e siècle, c’est la donnée

jeu, 04/01/2018 - 22:48

L'autre jour, un journaliste m'appelle pour un article que j'avais publié il y a quelques mois sur la géopolitique de la donnée (avec Th Berthier, ici, voir aussi sur egea). Il avait travaillé le sjet, du coup la discussion a été passionnante, du coup il en a tiré quelques éléments écrits, que je reproduis avec plaisir sur ce blog. Car la donnée revêt uen dimension stratégique très forte, ce qui est peu soupçonné. Merci à Romain Ledroy (voir ses articles ici et ici).

source

Vous parlez de géopolitique de la donnée, pouvez vous expliquer cette notion ?

Olivier Kempf : Depuis l’entrée dans l’ère contemporaine, les conflits sont à coupler avec les intérêts pour l’énergie. Au 19e siècle, l’énergie est le charbon, et il joue un rôle crucial dans les conflits de l’époque, comme la guerre de 1870. La question à laquelle on s’affaire pendant la guerre : comment organiser les déplacements de troupe grâce au train, et donc grâce à l’énergie ? Plus tard, pour la première moitié du vingtième siècle, le pétrole et donc le moteur à explosion seront au cœur de la seconde guerre mondiale avec le couple « char et aviation », les forces blindées mécanisées, etc. Après la guerre, l’énergie nucléaire et sa maîtrise permettent la dissuasion nucléaire, l’armement nucléaire et entraînent le monde dans une nouvelle époque. Le fond du problème, c’est que l’énergie de la première moitié du 21e siècle, c’est la donnée. Nous avons de facto une course à l’armement, une course à la technologie. Cette course à la technologie est encouragée par deux facteurs propres au développement de la donnée. Le premier est un effet quantitatif, ce que je qualifie de « tsunami du big-data ». Les systèmes d’information actuels dans de grandes organisations traitent des données en « dix puissance onze, dix puissance douze », soit des téraoctets de données. Dans quelques années, les prévisions s’accordent à dire que l’on passera à des ordres de grandeur de « dix puissance vingt », soit une multiplication par un milliard des données traitées par les organisations. Toutes les structures vont devoir y faire face : les grandes entreprises, les collectivités, les états. Il est avant tout question d’absorber le choc, et pouvoir répondre à cette démultiplication de la donnée. Le second effet est qualitatif. Ces données produites en masse doivent être analysées, valorisées, exploitées dans l’intérêt de l’organisation. C’est dans ce cadre que fleurissent des innovations technologiques décisives dans le traitement qualitatif de la donnée : le big-data, la blockchain, les intelligences artificielles… Ce contexte amène donc à considérer une approche politique de la donnée.

En quoi la donnée représente une valeur aujourd’hui, et pour longtemps ?

Olivier Kempf : Il suffit de regarder la valorisation boursière des GAFAM ! Autre exemple, comment expliquer la valorisation boursière de AirBnB, qui n’a aucun hôtel dans le monde et environ 3000 salariés, et le groupe Accor qui a 4200 hôtels dans le monde et 250 000 salariés ? (NDLR : AirBNB a une valorisation boursière de 31 milliards USD contre 12 milliards d’euro pour le groupe Accor). La différence : l’adaptation des acteurs aux nouveaux marchés ouverts par la profusion de données. Sur le marché, les challengers dynamitent les barrières à l’entrée grâce à l’exploitation des données des utilisateurs, et ce big-data se monnaye. De toute façon, soit les organisations, publiques comme privées, comprennent cette transition et s’adaptent, soit elles subiront de plein fouet cette évolution structurelle. La collecte de données est une chose, mais sa valorisation en est une autre. Elle doit permettre aux entreprises, aux collectivités, aux états d’anticiper la prise de décision, de minimiser les inconnues et donc les risques afférents. En tant que tel une donnée a une certaine valeur, mais elle a surtout une valeur que l’on ne soupçonne pas, celle d’être croisée avec d’autres données. La création de richesse viendra de ce croisement de données parfois étrangères pour corréler, prédire et donc, concrétiser une stratégie politique, économique (NDLR : cette notion fait écho à la data-driven architecture).

Vous semblez nuancer la thèse selon laquelle l’Europe souffre d’un retard permanent, vis-à-vis des États-Unis, dans la prise en considération de cette ère de la donnée ?

Olivier Kempf : Très honnêtement, on assiste en ce moment à une réelle prise de conscience, et en ce sens la perspective du Règlement européen sur la protection des données est un signal fort. Nous pouvons convenir qu’il n’y a pas un dirigeant européen qui est étranger aux concepts du Big-data et de l’importance des données des citoyens. Dans le même sens, les récentes amendes liées à l’évasion fiscale de certaines grandes firmes nord-américaines témoignent d’une volonté d’un plus grand contrôle du cyberespace. Cela dit, nous sommes quand même en retard par rapport au gigantisme nord-américain, qui a su créer un nouveau modèle économique, avec des masses de capitaux liées à la mondialisation financière, en créant de la richesse, et de l’économie virtuelle. Pour autant, là où l’Europe est en difficulté, c’est dans la création d’ETI, les Entreprises de taille intermédiaire pouvant devenir des fleurons de l’industrie numérique. Il faut pouvoir encourager la constitution d’organisations à même d’imposer des modèles européens, créer des valeurs et une culture au sujet des données.

Le Règlement général sur la protection des données, le RGPD, insiste sur un autre point : les libertés fondamentales numériques. Ce point incarne cette volonté de l’Europe de créer un référentiel culturel.

Olivier Kempf : Oui, et c’est essentiel. Le mot protection des données peut contenir une ambiguïté. Il ne s’agit pas pour moi en premier lieu d’organiser la souveraineté, mais de veiller aux libertés individuelles. On reconnaît ici l’influence de la Commission nationale informatique et libertés, la CNIL, sur ce point. À ce titre, ce que le RGPD crée est tout à fait différent de la conception nord-américaine sur les données, mais c’est aussi différent de ce que proposent certains états dans l’emballement sécuritaire actuel. Ce cadre législatif est innovant. Quand bien même le RGPD est perçu comme une contrainte, un obstacle par beaucoup d’organisations, une application habile de ce texte entraînera un autre effet, celui de la confiance. Rappelez-vous le cas d’Apple qui refuse d’ouvrir ses données au FBI : certains félicitent l’entreprise dans leur volonté de protéger les données. Sans en être dupes, nous voyons ici que la question de la confiance est essentielle et le RGPD permet aux organisations d’affirmer une vision des données personnelles.

O Kempf

Catégories: Défense

La crise des relations germano-américaines vue de France

ven, 29/12/2017 - 18:26

Profitant de ces quelques instants de calme pour dresser ma bibliographie de 2017, je m'aperçois que je ne vous ai pas signalé cet article, paru dans Outreterre, la revue de Michel Korriman, dans son numéro d'été 2017 ici. Il s'agit d'une version francisée d'un article paru en mai dans Limes.

Premières lignes : Les relations entre l’Europe et l’Amérique traversent une période délicate. On peut les ramener à une crise germano-américaine mais ce point de vue mérite, d’emblée, quelques précisions. En effet, il suppose que l’essentiel repose sur une relation bilatérale, selon le vieux vocabulaire des puissances. Il n’est pas faux mais il ne suffit pas. L’Allemagne est effectivement une puissance européenne importante...

O. Kempf

Catégories: Défense

Du prochain crach du bitcoin

sam, 23/12/2017 - 23:22

Le bitcoin monte à des valeurs folles. Le rythme de croissance de son cours rappelle l'inflation dans l'Allemagne de l'après-guerre mondiale. A la seule différence qu'alors, c'était la valeur de la monnaie qui subissait une chute vertigineuse, tandis que dans le cas présent, elle connaît une hausse exponentielle. Mais ne s'agit-il que d'une bulle spéculative ? "C'est pas si simple", comme disait mon expert favori...

source

En effet, on pourrait penser à une bulle spéculative. Comme celles auxquelles les marchés financiers nous ont habitué. Pour les plus anciens, souvenez-vous de la bulle des dot.com en 2000. Alors, l'exubérance irrationnelle des marchés financiers jouait à plein (était-ce de Greenspan ou de Bernanke ?). On nous expliquait le mimétisme à la fois rationnel de ceux qui suivaient la bulle mais aussi sa nécessaire explosion, une fois que le fantasme laissait cours à la nouvelle, celle qu'il y a bien une réalité et que "les arbres ne montent pas jusqu'au ciel" et que "il faut vendre au son du canon" et autres proverbes boursiers.

Après, par exemple en 2008, on nous a expliqué la pyramide de Ponzi : ce phénomène de cavalerie vieux comme le monde et qui entube le nigaud qui se pointe le dernier. Variante financière, vous l'avez compris, du jeu de bonneteau. Bon, on ne va pas dire que "le système financier" dans son ensemble a joué à ce jeu là, continue d'y jouer, et que Madoff n'a été qu'une victime expiatoire, bien pratique pour remplir les colonnes des journaux et répondre à la reine " mais pourquoi les économistes n'ont-ils pas prévu ça ?" . Mais ils l'ont prévu, madame, ils n'étaient pas payés pour le dire, voilà tout.

Bon, après ces propos marxisto-populistes, vous me voyez venir avec le bitcoin.

Oui mais non.

Parce que là, il y a deux ou trois petites choses différentes. Dues à la technique même de la blockchain, sous-jacente aux bitcoins. Je vais essayer d'être simple et d'expliquer ce que j'ai compris (je dis ça pour les puristes...)

Tout d'abord, cette monnaie repose sur une chaine qui doit être vérifiée à chaque inscription de nouveaux blocs. Ce qui suppose des puissances de calcul dédiés, qu'on appelle le minage. IL faut donc des armées de mineurs pour que ça fonctionne. Mais comme c'est décentralisé, tout va bien. Sauf que si quelqu'un récupère 51% des blocs, il peut en théorie altérer la BC... D'un côté, on vous dit décentralisation ; de l'autre puissance de calcul. Donc regroupements. En cartels. Heureusement, aucun n'atteint de près ou de loin les 51 %. Tout va bien.

Sauf que.

Sauf que les mineurs sont pour la plupart des Chinois. Et que les trois premiers cartels sont chinois. Et qu'à eux trois ils contrôlent plus de 60 % de la blockchain bitcoin. Et que donc il pourrait très bien y avoir un cartel de cartels. Je ne vois pas trop s'ils ont intérêt à casser le marché mais notons qu'ils pourraient le faire.

En ce moment, cette flambée des prix les sert, puisqu'elle attire de plus en plus d'investisseurs qui transforment de la vraie monnaie (dollars, euros, yen) en vrais bictoins, ce qui augmente les besoins en calcul, mais aussi la valeur des bitcoins (chaque fois qu'un cartel réussit à prouver une transaction, il gagne une fraction de bitcoin) : donc plus il y a de transaction, plus il gagne, et doublement car la valeur de ce qu'il gagne, le bitcoin, augmente d'autant. Ce qui devrait rassurer : il n'a pas intérêt à ce que le système se plante. Et donc, il est possible que la bulle n'explose pas : du moins, pas comme celles dont on a l'habitude.

Possible seulement, hein. Pas certain.

Car il y a un autre phénomène : A la différence des banques traditionnelles, là c'est l'algorithme qui calcule lui-même... Et surtout, il a été conçu par des gens qui n'aiment pas le monde financier traditionnel. Et qui sont prêts à ce que celui-ci soit dynamité. En gros, le bitcoin, c'est la monnaie pour quand tout se sera écroulé. (voir ici). Et dans ce cas, la bulle n'est pas là où on la croit : elle ne serait pas dans la nouvelle monnaie, mais dans l'ancienne qui est en train de se casser la figure.

ça nous change, de Ponzi, non ?

O. Kempf

Catégories: Défense

Communication blanche et véracité des informations

sam, 16/12/2017 - 22:54

Et voici mon dernier article paru dans le numéro de novembre de la RDN !

In a time of universal deceit, telling the truth is a revolutionary act. George Orwell

En politique, ce qui est cru est plus important que ce qui est vrai. Talleyrand

Qu’il s’agisse de l’affaire des mails d’Hillary Clinton ou du piratage de l’équipe de campagne d’E. Macron, les différentes campagnes électorales des mois passés ont toutes mis en avant la question des informations faussées. Ces deux exemples illustrent combien l’information est devenue un enjeu essentiel de nos sociétés contemporaines. En effet, le point le plus saillant de ces affaires n’était pas tant leur véracité (les informations en question étaient vraies, même si quelques faux ont été cachés maladroitement dans le stock des courriels d’E. Macron) que leur mode de diffusion (ce n’est pas leur auteur qui les a rendues publiques). Il convient donc de distinguer l’émetteur et le diffuseur de l’information, en sus de sa qualité.

Simultanément, nos sources d’informations ne cessent de subir tout un tas de torsions d’informations : rumeurs, fausses nouvelles (fake news), canulars (hoax), spams (pourriels), simulations et autres usurpations (Faux Ordres de Virements, dits « arnaques au président ») ne cessent d’animer les flux médiatiques, qu’ils soient publics ou privés, au travers de nos boites mèl et de nos comptes sociaux. Au point que les analystes ont inventé la notion de post-vérité. Si la formule date de 2004, elle a été popularisée en 2016 à l’occasion du vote sur le Brexit ou de l’élection présidentielle américaine. En contrepartie, des vérifieurs de faits (fact-checkers) se multiplient, voulant « rétablir » une vérité selon eux malmenée. Ils sont eux- mêmes accusés de servir des intérêts ou des visions sociales très marquées et donc de n’être pas aussi objectifs qu’ils le clament.

Le problème se situe donc à un double niveau : celui de la justesse des informations, mais aussi celui du canal par lequel elles sont transmises à la connaissance du public. Pour appréhender cette difficulté, nous proposons un modèle décrivant différentes types de communication, que nous classons selon leur couleur (blanche, grise, noire). Après avoir rappelé combien les nouvelles pratiques nourrissent de nouveaux débats, nous décrirons comment les trois couleurs (blanc, gris noir) sont utilisées dans des registres voisins, avant d’en venir aux trois types de communication.

I Nouvelles pratiques, nouveaux débats

La vérité ? Quelle vérité ?

La notion de post-vérité apparaît au croisement de deux évolutions. Une évolution intellectuelle fait suite à la French Theory aux États-Unis où l’on critique, dans les années 1990, tout discours comme étant « construit » et constituant donc un « récit » auquel il n’est plus possible de croire. Il n’y a dès lors plus de vérité possible. Par ailleurs, l’évolution technologique de la deuxième génération d’Internet (le 2.0) voit le développement des réseaux sociaux au cours des années 2000 et leur massification dans les années 2010. Dès lors, relativisant la place du producteur professionnel d’information dont le métier est de vérifier les nouvelles, certains estiment qu’ils n’ont plus besoin de faire référence à la vérité, reprenant le vieux principe de propagande : « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ». La notion de mensonge devient peu à peu cruciale. Certains doutent des versions officielles sur le déroulé du 11 septembre, tandis que tout le monde constate, quelques mois après, que Colin Powell a menti en 2003 à l’ONU en brandissant un faux flacon de produit chimique irakien. Ainsi, la « post-vérité » désigne une circonstance où le façonnage de l’opinion publique s’appuie plus sur l’émotion ou l’opinion personnelle que sur la vérité. Si l’expression date du mitan des années 2000, elle touche le grand public à partir de 2016, quand le Brexit puis l’élection de Donald Trump semblent déterminées par des leaders d’opinion qui n’ont semblé faire aucun cas des « faits objectifs ». Le tintamarre, même mensonger, compte plus que la vérité.

Pourtant, sur la même période de temps, le site Wikileaks fondé en 2006 connaît une influence grandissante en rendant publiques, grâce aux lanceurs d’alerte, des informations cachées : la transparence devient le gage de la vérité. Qu’il s’appelle wiki n’est pas anodin : en effet, ce préfixe désigne un savoir collaboratif construit par les participants, la multiplication des contributeurs paraissant un meilleur gage de vérité que la parole d’un seul expert. C’est d’ailleurs sur ce même modèle que s’est développé Wikipédia, encyclopédie partagée et en ligne qui est souvent critiquée par les universitaires sans que cette dénonciation n’entrave la popularité de l’outil. Dans le cas de Wikileaks, les contributeurs sont des « lanceurs d’alerte ». Les affaires lancées par Wikileaks sont nombreuses et personne n’a mis en doute leur véracité : on pense aux War logs d’Afghanistan en 2010, puis un peu plus tard aux télégrammes diplomatiques américains (le Cablegate). En octobre 2016, le site dévoile les mails de John Podesta, directeur de campagne d’Hillary Clinton.

Le rapport à la vérité ne cesse donc de se brouiller mais surtout de se multiplier. Elle venait exclusivement d’experts, elle vient désormais de tout un tas de sources, plus ou moins autorisées, plus ou moins honnêtes. Le trait commun tient à la défiance envers une vérité « officielle » qui était autrefois délivrée par des professionnels, ici des médias, là des universitaires (en France, on dirait même des « intellectuels »). L’espace communicationnel s’est considérablement élargi et ceux qui le régentaient voient désormais des concurrents de toute sorte marcher sur leurs plates-bandes. Désormais, la vérité est multiple. L’expertise ne suffit plus à la garantir.

Expressions de la vérité

Il serait loisible de dénoncer la perversion de la vérité en l’attribuant seulement aux mécanismes de diffusion de masse : alors, on évoquerait la banalisation du mensonge, le développement des théories du complot, le primat de l’émotion. Ces constats ne sont évidemment pas faux mais ils expliquent finalement assez peu la raison des évolutions en cours. Or, il faut bien la trouver dans la multiplication des réseaux sociaux, qui entraîne une individualisation de l’information : cela concerne aussi bien sa consommation que sa production puisque chacun est désormais un fournisseur potentiel d’information et qu’il n’y a plus jamais d’incident qui ne soit aussitôt filmé par un portable et mis en ligne dans la foulée.

Les médias qui avaient le monopole de la production de l’information, mais aussi de son commentaire, se voient donc concurrencés par leurs propres clients. Ils perdent leur autorité d’autant plus que les flux d’information ne cessent de grossir de façon exponentielle. L’autre source d’autorité des médias, leur accès aux élites politiques et économiques, se retourne presque contre eux : ils sont désormais ressentis comme connivents et membres de la classe dirigeante.

Les médias se défendent donc de deux façons. D’une part en dénonçant les mensonges des grands leaders : le Washington Post tient ainsi à jour la liste des mensonges de Donald Trump, ce qui est une bonne façon de regagner en légitimité. Sauf que cela ne convainc que les lecteurs du Post, déjà convaincus, et que les supporters du président y voient seulement le signe d’une coalition des élites contre un représentant de l’Amérique oubliée et ne tiennent aucun compte de cette vérité alléguée ; D’autre part en installant des fonctions de « contrôle des faits » qui redonnerait du lustre déontologique. Le Monde a ainsi voulu mettre en place un site de décodage public, qui a été aussitôt critiqué tant il n’était pas aussi objectif qu’il le prétendait. Au fond, un média n’est plus aujourd’hui d’abord un passeur d’information, c’est surtout un commentateur, qui est donc forcément subjectif. Le mythe de la neutralité des médias semble disparaître avec l’ultra communication contemporaine.

Il reste que les médias ne portent pas tous les torts puisque l’on assiste dans le même temps à une multiplication des altérations de l’information.

Altérations de l’information : canulars, pourriels et autres rumeurs…

De nombreux exemples de ces altérations viennent à l’esprit. Les pourriels (spams) inondent nos messageries, qu’il s’agisse de publicités intempestives ou de fraudes diverses (fraude à l’amour dite à la nigériane, contrefaçon de message officiel, hameçonnage…). Dans tous les cas cependant, l’information est ciblée et vise un usager défini et individuel (même si souvent elle est reproduite en masse à destination d’un très grand nombre de récipiendaires). De plus, cette information altérée présente toujours, pour son auteur, un objectif clair et souvent immédiat : provoquer un clic qui déclenche la fréquentation d’un site (publicités intrusives), ou une arnaque permettant de soutirer de l’argent ou d’implanter un maliciel.

Toutefois, une autre catégorie d’informations touche le grand public. Il s’agit de rumeurs, de fausses nouvelles (fake news), mais aussi de canulars (hoax).Dans ces cas, l’information se présente comme s’adressant à tous, à la différence des messages ciblés précédemment décrits et qui ont tous l’apparence de l’individualisation. Ici, c’est le « public » qui est visé, le message est « général ». De même, l’effet recherché est indirect : il s’agit de former l’opinion ou, au minimum, de l’orienter dans un sens défini. L’intérêt de l’émetteur varie : il peut vouloir soutenir une cause (publique ou privée, cf. l’armée électronique syrienne et son piratage du compte twitter de l’Associated Press qui provoqua une chute brutale de la bourse de Wall Street), ou obtenir une réaction de masse dont il saura exploiter les effets (cas des hoax crash comme celui qui a touché Vinci à l’automne 2016 ). Enfin, le canal de diffusion diffère puisque les réseaux sociaux sont majoritairement utilisés (Facebook et Twitter notamment).

En effet, la multiplication des sources d’information alternatives a fait de ces médias des vecteurs comme les autres d’information. Nombre de journalistes officiels en tirent la source de leurs articles, car ils y trouvent la réactivité et la couverture autrefois réservées aux seules agences de presses. Il y a ainsi une certaine mauvaise foi à accuser les réseaux sociaux puisque tout le monde les utilise. Au fond, ce ne sont pas eux qui par eux-mêmes posent problème, mais l’usage qui en est fait et l’écho qu’ils rencontrent.

On butte ici sur la question de la rumeur : Constatons qu’elle a toujours existé, même au temps de la presse traditionnelle. La seule différence avec autrefois tient à son retentissement, incomparablement plus rapide et diffus que les anciennes rumeurs qui n’utilisaient que le bouche à oreille. Notons que la succession des rumeurs, permise par la technologie, les affadit même si l’on observe parfois des rémanences longues, puisque rien ne s’oublie sur le web. La rumeur est globalement passée du bruit moyen sur un temps long à un bruit fort sur un temps bref.

Le rapport à la vérité et à ses déviations est donc devenu compliqué et la vérité n’apparaît plus comme une valeur fondatrice du débat public. Comment expliquer cette progressivité du rapport à la rumeur ? Un détour par des classifications issues de registres non directement liés aux médias aidera probablement à s’y retrouver. Il s’agit des mondes blancs, gris et noirs.

II Mondes blancs, gris, noirs

Ces catégories ont la vertu de mieux faire comprendre certaines dynamiques à l’œuvre car dans la réalité, ce qui compte c’est la progressivité. Sans varier jusqu’à cinquante nuances de gris, les choses s’étagent en effet du blanc au noir.

Les hackeurs et leurs chapeaux

Le terme de hackeur est désormais tellement utilisé qu’on ne sait plus très bien ce qu’il signifie. Du pirate informatique d’origine à tonalité péjorative, la compréhension a évolué vers des acceptions plus diverses. Le hackeur est même devenu parfois le héros des temps modernes : il est ainsi du dernier chic d’organiser Nuits du hack et autres Hackathons, de tels événements étant supposés récupérer l’énergie, l’innovation et l’imagination « disruptive » (selon la novlangue) des hackeurs.

Au sens premier, un hackeur est un informaticien qui cherche les moyens de contourner les protections des logiciels existant sur la toile. Ce n’est donc pas nécessairement un « pirate informatique », comme beaucoup le croient. Voici pour son activité : le mobile est en revanche très divers, ce qui a amené la communauté informatique à classer les hackeurs selon la couleur de leur « chapeaux ». On parle ainsi de White, grey ou black hats, la couleur variant en fonction du mobile, le plus généreux étant blanc, le plus malfaisant étant noir.

Le hackeur blanc est souvent un professionnel de la sécurité des systèmes d’information qui effectue des tests d’intrusion afin de vérifier la solidité de la défense de ses clients : ceux-ci le savent et la démarche s’effectue en conformité avec la loi.

On s’approche alors des hackeurs gris : ceux-là pénètrent dans des systèmes sans y être autorisés, non par volonté malveillante mais pour démontrer leurs qualités programmatiques. L’esprit de compétition les anime puisqu’ils veulent faire preuve de leurs compétences, grâce à des « exploits informatiques ». Cependant, techniquement, leur acte est illégal même si le mobile n’est pas malfaisant. D’autres hackeurs gris cherchent les failles des logiciels, afin de les rendre publiques au plus vite de façon à améliorer la sécurité générale des systèmes. Le but est ici philanthropique. Certains cherchent enfin à promouvoir une cause : on parle alors d’hacktivistes qui sont, finalement, une forme particulière de hackeur gris.

Le hackeur noir perce lui aussi les logiciels et systèmes informatiques, mais dans un but beaucoup plus égoïste : qu’il s’agisse d’espionnage, de militantisme politique, d’escroquerie, le but est alors de nuire, de faire du profit ou du chantage par l’introduction de maliciels (cas des rançonnages) ou de soutirer des informations jugées monnayables. Le procédé est évidemment illégal et le hackeur noir est en fait le véritable « pirate informatique » auquel l’opinion publique assimile souvent tous les hackeurs.

Cette classification est intéressante car malgré les distinctions apportées, les limites sont relativement floues. De plus, tous ces hackeurs sont proches de l’information et peuvent également la manipuler. Ainsi, beaucoup des procédés évoqués dans la première partie ont été rendu possibles par l’action de hackeurs. Notons également que le procédé est le même à chaque fois mais que la distinction se fait selon l’intention de celui qui le met en œuvre.

Renseignement

Les spécialistes du renseignement utilisent, eux aussi, cette classification afin de qualifier les « informations » qu’ils traitent (en effet, pour un service spécialisé, un renseignement est la combinaison d’informations et de l’analyse d’un expert : le renseignement est le produit d’un processus).

Les informations blanches sont ainsi faciles à trouver : elles ont été rendues publiques par leur détenteur et elles sont aisément accessibles et facilement repérables. Elles viennent de sources dites ouvertes. Le développement de l’Internet a radicalement augmenté le volume de ces informations blanches puisqu’on peut considérer qu’elles représentent 80 % de l’information utilisée par les services.

Les informations grises proviennent aussi de sources ouvertes (ou licitement accessibles). Elles sont toutefois plus difficiles à trouver puisqu’elles sont diffusées par des canaux spécialisés ou discrets, mais non fermés. Elles nécessitent donc des techniques plus avancées pour y accéder. On estime qu’elles représentent 10 % de l’information utilisée.

Les informations noires, enfin, sont des informations qui existent sur des réseaux fermés (donc hors « source ouverte »). Pour y accéder, il faut utiliser des méthodes d’espionnage et donc, parfois, recourir à des hackeurs. Dans les deux cas, celui de l’espionnage ou du hack, l’information est considérée comme potentiellement vraie, même si le spécialiste du renseignement fournira beaucoup d’efforts pour confirmer la véracité d’une « information » en essayant de la recouper par d’autres sources ou informations. Ce n’est pas forcément le cas dans la catégorie suivante, celle de la propagande.

Propagande

Les spécialistes distinguent en effet trois types de propagande, même si la notion demeure sujette à caution . Rappelons que « entre l'information et la propagande, il y a au moins une différence de degré et d'intention. L'information se veut information, c'est-à-dire communication de données dont l'informé fera ce qu'il veut. Elle s'adresse à la seule intelligence qu'elle entend meubler de connaissances. L'intelligence jugera. La propagande se veut propagande, c'est-à-dire influence sur celui à qui elle s'adresse. Elle veut convaincre ». La propagande fait depuis toujours partie de la guerre de l’information et les nouvelles techniques permettent des variations beaucoup plus subtiles qu’autrefois .

La propagande blanche provient d’une source ouvertement identifiée. Elle est principalement utilisée par les gouvernements qui veulent renforcer une idée partagée par la population. Elle peut s’accompagner de censure. C’est la vérité « officielle ». La propagande grise n’a pas de source identifiable, elle provient d’une source apparemment neutre mais en fait hostile. Les Américains l’ont beaucoup utilisé pendant la Guerre froide. Les Russes affirment aujourd’hui que cette technique demeure toujours utilisée, au travers des Révolutions de couleur et autres ONG jugées partisanes.

La propagande noire L’initiateur se fait passer pour ami, diffuse beaucoup de vraies nouvelles (facilement recoupables par l’auditoire) et les truffe, ici ou là, d’informations fausses qui vont influencer la cible dont on aura auparavant gagné la confiance. Cela a été utilisé par les Anglais au cours de la Seconde Guerre mondiale, contre les Allemands.

Blanc, gris, noirs et information

Dans ces trois cas, la véracité de l’information a finalement beaucoup moins d’importance que la façon dont on y accède. Pour les hackers, il s’agit d’entrer dans un code (de façon plus ou moins légale). Pour un espion, la différence se fait là aussi par la facilité d’accès (il dit « l’ouverture »). Enfin, dans le cas de la propagande, l’information est très accessible puisque le propagandiste veut justement qu’elle se diffuse au maximum. Plus elle se diffuse, plus ses informations altérées pourront influencer les esprits.

Or, cette distinction entre la qualité de l’information et le contrôlé de sa diffusion paraît tout à fait essentielle aujourd’hui, compte-tenu des nouvelles pratiques rendues possibles par les réseaux sociaux. C’est pourquoi il paraît nécessaire de théoriser cette réalité en présentant le concept de communication de couleur.

III Vers une communication blanche

Trois types de communication

Selon cette approche, la communication est blanche, grise ou noire. La couleur résulte de deux critères : la véracité de l’information et le contrôle de sa diffusion par son auteur. Par exemple, les courriels d’Hillary Clinton étaient vrais mais elle n’a pas contrôlé leur diffusion . Une information vraie peut donc être à la source d’une communication noire. À l’inverse, une information fausse peut être diffusée tout à fait sciemment, comme dans le cas de la propagande (que celle-ci soit d’ailleurs blanche, noire ou grise) : alors la communication sera également noire. En revanche, une information vraie contrôlée par son auteur appartient au registre de la communication blanche. La couleur intermédiaire (grise) dépend principalement du degré de contrôle de l’information. La notion de contrôle se prête à toutes les nuances, surtout dans les conditions modernes de diffusion permises par les réseaux sociaux. Prenons ce qu’on a appelé « l’effet Streisand ». La chanteuse a en effet poursuivi en justice en 2003 l’auteur d’une photographie de sa propriété privée. Or, la publication de la procédure a eu pour effet de faire connaître l’image par les internautes : beaucoup virent la photo et la relayèrent sur les comptes sociaux, au détriment de Barbara Streisand. Ainsi, en voulant contrôler une information vraie, la chanteuse a réussi à attiré l’attention sur ladite information beaucoup plus que si elle s’était tue. Au fond, on a le plus grand mal à contrôler les informations de nos jours (ou plus exactement à restreindre leur diffusion). L’effet Streisand appartient logiquement à la catégorie de la communication grise.

Mais une information fausse peut également être peu contrôlée, comme par exemple des rumeurs de toute sorte (remarquons qu’une information peut être faussée sans être fausse) ou des informations ne présentant qu’une partie de la vérité ou mélangeant des bouts de vérité et des bouts de mensonge. Cela peut naître spontanément sur les réseaux sociaux, par un internaute qui n’a pas la rigueur qu’on attendrait d’un journaliste chevronné, ou encore par manipulation d’un service spécialisé qui utilise des faux-nez pour lancer des rumeurs sur Internet. Là encore, on est dans la catégorie de la communication grise.

INFORMATION Contrôlée Peu contrôlée Non contrôlée

Vraie Blanche Grise Noire

Fausse Noire Grise Noire

Le lecteur remarquera que nous ne posons pas la question de l’effet de l’information, à la suite de l’opération de communication. En effet, tout dépend du mobile de l’auteur et celui-ci s’apprécie difficilement. Par exemple, une information fausse délibérément lancée (communication noire) peut réussir... ou rater : cela dépend des circonstances, non de l’opération. Une rumeur peut se répandre, que l’internaute l’ait voulu ou non.

Garantir la communication blanche

À observer ce tableau, on s’aperçoit que seule la communication blanche peut être effectivement garantie. En effet, une information non contrôlée ou peu contrôlée ne peut pas l’être. Seul le cas de la fausse information, dont la diffusion est contrôlée, pose difficulté : il s‘agit d’une communication noire. Toutefois, la véracité de l’information peut être contrôlée ce qui rend ce type de communication noire aléatoire. Dès lors, renforcer la communication blanche permettrait de relativiser les autres informations qui verraient dès lors le poids du doute peser sur elles.

Constatons que l’auxiliaire humain est aujourd’hui le moyen utilisé pour atteindre cette garantie. Or, il ne donne pas satisfaction. En effet, les méthodes employées sont diverses : elles contribuent à une certaine authentification sans la garantir complètement.

La première méthode est celle de la confiance et des signalements (systèmes de cotation de la prestation). Cette méthode est utilisée par beaucoup de plateformes d’intermédiation, par exemple AirBnB ou Blablacar. Les utilisateurs notent les prestataires. Cela est efficace à un niveau de micro échanges mais ne permet pas d’être à l’abri des surprises. En effet, le système de notation réciproque (les deux parties se notant anonymement) fait que beaucoup, dans un système de théorie des jeux, préfèrent donner une bonne note pour éviter d’en recevoir une mauvaise en retour. En effet, à donner des mauvaises notes, on se bâtit une réputation de mauvais coucheur ce qui amoindrit la clientèle. L’autre méthode régulièrement employée, cette fois-ci pour des informations publiques, est celle du contrôle des faits (fact checking) et des signatures de presse. Cela est également utile sans fournir une garantie absolue. D’une part, on ne peut pas contrôler toutes les informations et les vérifieurs sont obligés de sélectionner celles qu’ils vont vérifier : vu le nombre de déclarations publiques, ils ne nettoient qu’une part infime. Ne parlons même pas du procès en subjectivité que nous avons déjà évoqué et qui ne dit rien de la qualité de la méthode, qui seule nous intéresse ici.

Quant à la signature sensée inspirer confiance, elle revient à dire qu’on fait confiance à l’expert, quel qu’il soit. Expert enquêteur (journaliste) ou expert technicien, force est de constater qu’il y a eu tellement de mélanges des genres que cela ne convainc plus aujourd’hui. Ainsi, la figure de l’intellectuel français, héritier de Zola et de Jean-Paul Sartre, a durablement décrédibilisé l’expertise : la formule « l’intellectuel se mêle de ce qui ne le regarde pas » a peut-être une belle résonnance citoyenne, elle affaiblit dans le même temps l’autorité scientifique de celui qui la met en œuvre.

Auxiliaire technologique

Dès lors, la technologie semble une voie possible. Elle seule permet d’une part de traiter la masse d’information qui est publiée chaque jour. Les chiffres sont astronomiques mais recouvrent tout et n’importe quoi et notamment toutes les photos de vacances ou égotistes publiées chaque jour sur Facebook ou Instagram. Dans le domaine des informations sérieuses, il devrait être aisé de mettre en place un système de garantie qui soit compatible avec les technologies de données de masse (Big Data), grâce aux capacités actuelles de stockage et de calcul. On peut alors imaginer deux types de systèmes. L’un qui s’attache à la véracité de l’information. Cela peut passer par l’analyse sémantique ou encore par les progrès à venir d’intelligence artificielle. Toutefois, ce fact checking automatique ne garantira pas à 100 % l’information traitée, sans compter les biais de subjectivité. L’autre s’attacherait au mode de diffusion et organiserait, de manière décentralisée, une diffusion de l’information garantie par l’émetteur : la combinaison de l’infonuagique (cloud) et de la technologie blockchain paraît ici envisageable.


***

Ainsi, les postures moralisantes auxquelles on assiste régulièrement sont-elles gênantes. Venant souvent de médias qui se sentent menacés dans leurs monopoles, elles peinent à convaincre pleinement. Pour autant, nul n’est réellement satisfait de la quantité d’informations falsifiées ou altérées qui circulent. N’en attribuer la responsabilité qu’aux réseaux sociaux paraît un argument de faible portée. C’est pourquoi il convient de revenir sur le couple combinant justesse de l’information et diffusion de celle-ci. C’est en analysant ce couple qu’on a pu distinguer trois types de communication, désignées par des couleurs. Le comprendre permettrait de mettre en œuvre les moyens permettant de garantir la communication banche. Alors, selon une loi de Gresham renouvelée et inversée, la bonne information chasserait la mauvaise.

Olivier Kempf est directeur de la lettre d’analyse stratégique La Vigie (www.lettrevigie.com). Il a publié avec F.-B. Hyughe et N. Mazzucchi Gagner le cyberconflit, au-delà du technique, Economica, 2015.

Catégories: Défense

Made in Sillicon Valley (D. Fayon)

mar, 28/11/2017 - 21:27

A l’heure de la transformation numérique, réfléchir à ses origines paraît fort utile. En effet, nous assistons à une quatrième révolution informatique (après l’ordinateur individuel dans les années 80, l’Internet dans les années 90, le web 2.0 dans les années 2000), celle de l’ultra mobilité individuelle : Internet des objets, impression 3D, intelligence artificielle, Big Data, réalité augmentée, blockchain, chatbots, tels sont les mots commun de cette nouvelle vague qui n’est pourtant pas qu’une vague technologique, mais aussi une révolution de méthodes.

Chacun a entendu parler des GAFA, mais l’acronyme NATU est moins connu : Netflix, AirBnB, Tesla, Uber sont les stars de cette révolution. Toutes américaines, comme leur prédécesseurs. Car en même temps, alors qu’on voyait une Amérique géopolitique en déclin relatif (et l’élection de Donald Trump en a été un signe, surprenant mais éloquent), constatons que les Etats-Unis ont su dans le même temps trouver les ressorts d’un renouveau économique tout à fait surprenant, qui a su animer et tirer profit de cette révolution numérique.

Aussi, aller à la source de ce succès, creuser un peu plus loin que les deux minutes du reportage télé, tenter de percer les recettes de ces succès, voici œuvre utile. Elle a été menée par David Fayon, ingénieur français qui, par une opportunité de carrière, est parti trois ans aux Etats-Unis. Passionné de technologie (on lui doit une « Géopolitique de l’internet »), il a mis à profit cette expérience pour enquêter. Trois ans d’entretiens et de questionnements sur le terrain par un connaisseur du sujet : voici au fond l’immense intérêt de ce livre, qui est évidemment beaucoup plus profond et vivant que toute ouvrage de journalisme avec lequel on pourrait le confondre.

Il est structuré en dix chapitres : Fondamentaux de la société américaine (le lecteur averti n’y apprendra pas de grandes nouveautés, convenons-en, mais bon, il faut bien être pédagogique), les trois ères de l’informatique, les fondements américains d’innovation, la Sillicon Valley épicentre numérique du monde, les autres centres américains du numérique, les 9 fantastiques (GAFAM + NATU), les secteurs stratégiques, les autres terres d’innovation dans le monde, le combat numérique entre Etats-Unis et Asie, enfin un chapitre terminal intitulé « réflexions pour la France ».

L’écriture est limpide et soignée (ce qui est rare dans ses ouvrages technologiques) et elle est surtout un entrelac construit de faits, de commentaires et surtout de très nombreux entretiens avec des spécialistes du sujet traité : voici à mon sens l’immense avantage de cet ouvrage, celui de corroborer par des témoignages du terrain ce qui s’y passe. Ainsi, la comparaison entre les différents styles de management dans les Gafa m’a paru tout à fait unique.

De même, on a quelques aperçus originaux comme par exemple la stratégie du thé (p. 132-133), la modification du rapport au risque capitalistique (p. 172) ou le modèle BIS (pp. 201 sqq.) qui donneront plein d’idées. Car voici au fond la grande utilité de ce livre : donner des idées, que ce soit à des start-uppers, des business angels, des responsables de transformation digitale, des chefs d’entreprise, des conseillers en stratégie, des responsables publics. Pour aller plus loin que l’article que vous avez eu dans le dernier Point ou même dans le dernier Challenge.

Made in Silicon Valley Du numérique en Amérique , David Fayon, Pearson, 2017

O. Kempf

Catégories: Défense

Décès de Christian Malis

sam, 25/11/2017 - 21:35

Christian Malis vient de décéder. La communauté stratégique perd un de ses membres éminents et moi un ami.

Nous nous sommes connus il y a quelques années, lorsqu'il a monté avec Stéphane Dossé et moi le premier colloque français de cyberstratégie. Stéphane le considérait comme l'un des meilleurs penseurs stratégiques actuels qui se ne distinguait pas uniquement pas ses compétences mais aussi par sa modestie et son ouverture d'esprit. Le sujet était alors totalement nouveau car s'il y avait déjà quelques approches de cybersécurité, la partie étendue incorporant la défense n'existait pas vraiment. Avec les membres d'AGS dont beaucoup ont depuis rejoint EchoRadar, nous étions une bande de passionnés qui s'interrogeaient sur ce domaine émergent. Christian est venu nous trouver, appuyé par le Centre de Recherche des Ecoles de Coëtquidan, pour monter ce colloque qui a donné lieu à un livre dans la collection Cyberstratégie que je lançais simultanément chez Economica.

Il s'est suivi une amitié durable, des échanges sur le cyber mais aussi la stratégie. Je lui avais demandé son propre ouvrage de cyber et il m'avait répondu qu'il travaillait sur autre chose, un livre de stratégie générale. Cela a donné "Stratégie au XXIème siècle", un livre qui n'a pas retenu l'attention de la critique spécialisée à l'époque alors qu'il était pourtant très profond. Mais n'est-ce pas, un auteur francophone et discret, cela ne plaît pas forcément. J'en ai dit immédiatement du bien (voir ici), non pas parce qu'il était un ami mais aussi parce qu'il valait le détour. Or, je constate depuis que petit à petit, ce livre fait son chemin et je le vois régulièrement cité dans des articles ou dans des fiches plus discrètes. Signe de cette valeur.

Il avait beaucoup échangé avec les membres d'Echoradar : Charles Bwelé explique qu'il "était un gars vraiment sympa, humble, curieux, très enrichissant... Et prêtait attention aux modestes blogueurs que nous étions/sommes. Son bouquin "Guerre et stratégie au XXIème siècle" est un vrai bijou. Une discrète comète nous a quitté...". Thomas Schumacher "offre d’ailleurs son bouquin à nos auditeurs…". "Son ouvrage avait même reçu une distinction nationale" rappelle Yannick Harrel (prix Maréchal Foch de l'Académie française en 20115, voir ici). Eric Hazane ou Nicolas Mazzucchi se souviennent des longues conversations avec lui.

Et puis il a eu une longue maladie. Commencée il y a quelques mois, puis une rémission l'an dernier et une rechute avant l'été. Il était lucide et les quelques brefs échanges que j'ai eus disaient beaucoup par leur laconisme. Il était catholique et sa foi l'a porté jusqu'au bout. Ses obsèques ont lieu lundi après midi.

RIP, Christian, tu me manques déjà (Christian était latiniste et savait bien que RIP signifie Requiescat in pace...). A Dieu.

O. Kempf

Catégories: Défense

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