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2023-06-28T12:43:19+02:00 Olivier Kempf
Mis à jour : il y a 3 mois 2 heures

Forum economique rhodanien et Transformation digitale

mar, 18/09/2018 - 12:08

Je participerai vendredi prochain au Forum Économique Rhodanien (lien), qui rassemble des chefs d'entreprise du grand Rhône (jusqu'en Suisse). Il se tiendra cette année à Divonne les bains.

Le thème de cette année : Transformation digitale et impact sociétal : quels défis ?

J'interviendrai lors d'une table ronde du matin qui aura pour thème : L’industrie et le digital. Mutations industrielles et employabilité du futur.

La participation est gratuite mais il faut s'inscrire ici.

Catégories: Défense

Usages et pratiques sociales de la génération digitale

lun, 17/09/2018 - 10:01

Poursuivons notre analyse de la transformation digitale, tout d'abord en insistant sur son aspect social, qui précède finalement l'impulsion technologique (nous reviendrons sur celle-ci, il ne s'agit pas de la négliger).

source

Beaucoup de commentateurs ont glosé sur la génération Y ou encore celle des millenials. Les mêmes parlent aujourd’hui d’une « génération digitale », traduction de l’américain digital natives. L’académicien Michel Serres en avait eu l’intuition quand il avait écrit dès 2012 un ouvrage sur le sujet . A l’époque, les téléphones avaient encore des claviers et les adolescents pianotaient sans cesse dessus pour s’envoyer des monceaux de textos. Nous sommes entretemps passés aux ordiphones, qui offrent encore plus de fonctions mais qui se commandent toujours du doigt. La génération de "petite Poucette" (l'héroïne de M. Serres) a grandi et s’est étendu à la société entière. Les traits que l’on reconnaît à cette génération digitale ont en fait infusé à toute la société. Les voici car ces pratiques sociales constituent le terreau qui rend possible la transformation digitale.

Nos contemporains veulent ainsi une hyper-connectivité : quel que soit mon emplacement, quelle que soit la situation, l’accès au réseau doit être présent. Cela encourage une mobilité accrue : nous sommes toujours en mouvement, nous voulons tout à portée de main, où et quand nous le souhaitons.

Cet accès permanent au réseau technologique permet l’accès au réseau humain. La société contemporaine est toujours sociale et interconnectée, car nous cherchons à rester en liaison avec ceux qui nous ressemblent ou avec qui nous partageons quelque chose (un centre d’intérêt, une relation d’affaire, …). Cela introduit, du moins en apparence, l’illusion de l’accessibilité et de l’ouverture : le monde entier est à notre portée. Cela étant, ce peut être une illusion. Les réseaux peuvent renforcer au contraire l’effet de club : je ne me connecte qu’avec mes pairs et me désintéresse des autres, au risque de développer une certaine endogamie qui renferme psychologiquement.

La génération digitale serait plus encline au partage, elle aurait un nouveau rapport à la propriété. Il y aurait une distanciation envers la société de consommation, une attirance pour le marché de seconde main et le partage d’un bien sous-exploité. Ceci explique d’une part le développement du marché de la location (la propriété d’un bien n’est plus forcément un signe de statut social élevé), du low-cost, ou encore le succès des plateformes de partage qui permettent d’offrir de nouveaux « biens » qui peuvent être l’usage temporaire d’une chambre de son appartement ou d’une place de sa voiture lors d’un trajet. Cependant, les critiques notent que ces pratiques existaient et étaient hors marché : d’une certaine façon, Blablacar a tué l’autostop, AirBnB les auberges de jeunesse. L’illusion du partage serait en fait l’entrée de logiques capitalistes dans des domaines jusque-là privés.

Autre caractéristique, celle de l’instantanéité. Comme tout est toujours accessible n’importe quand (conséquence de la permanence digitale), alors nous vivons dans l’instant et nous devenons impatients. Notre rapport au temps évolue et nous ne sommes plus capables de « perdre du temps » ou de « prendre le temps de vivre ».

En revanche, l’avantage de cette connexion prolongée est celle de la diffusion accélérée de l’information. Les réseaux sociaux ou les fils de presse des grands médias nous « poussent » sans cesse des informations. Cela étant, l’autorité des grandes instances traditionnelles est contrebalancée par l’autorité des pairs. La connaissance est plus partagée et horizontale.

La génération digitale aurait une quête de sens plus appuyée que ses aînées. Elle cherche donc avant tout un épanouissement (la notion d’expérience que nous avons déjà relevée). Cela affecte le contrat social en général, notamment au travail. Le Contrat à Durée Indéterminée (CDI) n’est plus requis, le jeune salarié veut la combinaison de plusieurs facteurs : intérêt, rémunération, conditions de travail, libre organisation du temps. Il est d’ailleurs prêt à changer très rapidement de postes et à zapper s’il n’atteint pas ses objectifs. Logiquement, cela entraîne des comportements qui peuvent paraître capricieux ou une intolérance à l’opiniâtreté. Mais cet esprit critique accentué est très exigeant en termes de rapports humains. La hiérarchie n’est plus acceptée en tant que telle, la confiance se mérite mais elle obtient en retour un engagement fort.

O. Kempf

Catégories: Défense

Novaq, forum de l'innovation d'Aquitaine

jeu, 13/09/2018 - 18:41

J’interviendrai demain soir vendredi 14 à une table ronde sur le Cyber à Novaq, le forum de l’innovation organisé par la région Aquitaine, à Bordeaux, hangar 14, dans le cadre de l’université du futur.

Sur le festival : lien ici.

Sur la table ronde cyber, qui sera animée par D. Pourquery, directeur de theconversation : lien ici

A demain !

La montée en puissance du « tout numérique » dans notre environnement et celle de l’intelligence artificielle produisent de la valeur et accélèrent l’économie mondiale. Nous sommes confrontés à de nouveaux défis qui engagent notre avenir, notre sécurité et qui nous interrogent : Comment aborder cette révolution numérique en tenant compte des nouvelles menaces ? Comment protéger nos intérêts nationaux, industriels et culturels sans renoncer à notre souveraineté numérique ? Comment concilier sécurité numérique et respect des données personnelles ? Trois grands experts de la cyber aborderont ces questions passionnantes de manière simple, à travers des exemples concrets.

Animateur : Didier Pourquery, journaliste et directeur de la rédaction de The Conversation.

Participants à la Table Ronde :

Thierry Berthier Chercheur et expert en cyberdéfense et cybersécurité à l’Université de Limoges

Olivier Kempf Consultant en stratégie cyber et digitale, membre EchoRadar, directeur de la collection cyberstratégie chez Economica, animateur de la lettre stratégique La Vigie

Eric Hazane Cofondateur EchoRadar, membre de la chaire de Cyberdéfense et Cybersécurité Saint-Cyr, co-animateur du groupe cybersécurité Hub France IA

Yannick Harrel Responsable de département Cyber chez T&S, membre EchoRadar, membre de la chaire de Cyberdéfense et Cybersécurité Saint-Cyr

Questions de la salle

Conclusion Université du Futur

Entrée libre

Catégories: Défense

De retour de la Malmaison

jeu, 13/09/2018 - 13:57

J'ai été visité cet après-midi le château de la Malmaison, ce qui fut une heureuse surprise. Non pas que je sois un bonapartiste caché, loin de là, je n'ai jamais caché mon scepticisme. J'apprécie plus le général que l'empereur, plus Bonaparte que Napoléon, au risque de choquer beaucoup.

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Bref : le château par lui-même n'est pas des plus gracieux. Mais finalement, ce n'est pas le plus important, mais la qualité de ce qu'on y voit. IL est très rare en effet de visiter un château "historique" où l'on ait beaucoup de choses à voir.

Ici, aussi bien l’aménagement des pièces que l'ameublement sont exceptionnels. En effet, tentures, fresques et aménagements des sols, murs et plafonds sont "comme à l'époque", certaines ayant été remarquablement restaurées.

De même, l'ameublement est sinon complètement d'origine (au sens où il aurait été installé dans le château depuis Joséphine de Beauharnais), au moins vient-il des collections de l'empereur, mobilier national ou Fontainebleau (je précise que je n'ai pas visité ce dernier lieu depuis mon enfance, je n'ai donc aucun repère précis de comparaison).

J'ai particulièrement apprécié le "bureau", une sorte de salle de réunion qui reprend l'allure d'une tente, pour rappeler à l'empereur l'atmosphère des campagnes ; et la bibliothèque... parce que c'est une bibliothèque de belle tenue. Quant aux meubles, le style empire règne mais j'ai noté deux pianoforte (j'ai cru comprendre que l'objet était rare) et surtout un très beau billard.

Enfin, j'ai été surpris par le nombre de tableaux originaux aussi bien de empereur que de l'impératrice ou de la famille. Gérard et David et Girodet à quasi foison : là, c'est exceptionnel de trouver autant de représentations d'époque du héros du lieu dans un même endroit. Je n'ai pas souvenir de quelque chose de similaire....

NB : le troisième étage est consacré à la vie à Sainte-Hélène, passage muséographique original et intéressant.

Bref, une belle visite, qui vous donnera peut-être un but pour la prochaine journée du patrimoine, le week-end prochain.

O. Kempf

Catégories: Défense

Le nucléaire militaire francais dans un nouveau contexte stratégique

lun, 10/09/2018 - 12:02

Je publie dans le prochain numéro de Politique Etrangère (3/18) paraissant lundi un article sur "Le nucléaire militaire français dans un nouveau contexte stratégique".

La population et les dirigeants français sont fermement attachés à la dissuasion nucléaire, même si des voix dissonantes se font occasionnellement entendre. Le contexte stratégique est toutefois en train d’évoluer et pourrait affecter la posture stratégique française. Entre les rodomontades de Vladimir Poutine, l’imprévisibilité de Donald Trump, et les difficultés propres à l’Europe – notamment le Brexit ou l'apparition d'un débat nucléaire en Allemagne – les incertitudes sont aujourd’hui nombreuses et laissent ouvert le champ des possibles.

Catégories: Défense

Pour un module cybersec dans le SNU

sam, 08/09/2018 - 11:17

La question du service national universel a suscité quelques débats et beaucoup d'incertitudes. Il reste que la volonté du président de la République a conduit à sa mise en place prochaine, d'autant que son principe devrait être inscrit dans la Constitution, selon le projet de révision en cours d'examen au Parlement (voir ici).

Source

Il durerait un mois et concernerait toute une classe d'âge, garçons et filles, soit environ 800.000 jeunes âgés de 16 ans. Mais on ne sait pas trop ce qu'il y aura dans ce mois. Il me semble qu'une initiation à la cybersécurité serait un bon élément du programme avec des avantages multiples : développons.

En effet, il y a beaucoup d'incertitudes concernant le contenu de ce mois. On parle du BAFA (attention, pas GAFA), d'instruction civique et d'initiation aux premiers secours. Cela paraît un peu maigre.

Or, une initiation aux gestes et pratiques de la cybersécurité constituerait une formidable initiative. D'abord parce que la population française est très mal éduquée à l'hygiène numérique ; ensuite parce que les jeunes que l'on vise sont depuis leur plus tendre enfance imprégnés de culture digitale (on parle bien de "génération digitale") : ils n'en connaissent que les usages et avantages, mais personne ne leur parle des dangers et des risques.

Enfin, une telle initiative donnerait une couche incontestablement moderne à ce service national qui sinon aurait du mal à se distinguer de l'association patriotique mélangée à de l'apprentissage aux premiers secours : très bien, fort utile mais un peu compassé.

Avoir un module de deux à cinq jours d'initiation à la cybersécurité rendrait incontestablement la nation plus résiliente. Au fond, il y aurait un côté "défense" dans ce service sans que pour autant cela pèse sur les militaires, qui ont bien d'autres missions à accomplir. Enfin, l'image projetée à l'international serait remarquable et nul doute que nous serions rapidement imités : cela entrerait parfaitement dans la stratégie numérique exposée par le PR dans son discours de la Sorbonne.

Accessoirement, les jeunes deviendraient rapidement des prescripteurs auprès de leur entourage qui considère la cybersécurité avec "distance". La diffusion d'une culture cyber serait facilitée.

Ajoutons enfin que pour mettre en place cet enseignement, il faudrait développer un corps d'instructeurs qui pourraient rapidement devenir des professionnels travaillant au profit des PME, qui constituent aujourd’hui le maillon faible de notre dispositif. Or, les PME ne peuvent pas se payer des RSSI à plein temps. En revanche, prendre appui sur un réseau de professionnels indépendants et proches de ces entreprises (or, comme le SNU sera réparti sur tout le territoire, il faudra des instructeurs répartis également partout) devrait permettre là encore d'améliorer les choses.

Dernière cerise sur le gâteau : le développement de cette cohorte de professionnels permettrait d'alimenter les besoins des armées (mais à terme des grandes administrations nationales ou territoriales) en réservistes cyber, y compris opérationnels. Cela renforcerait les armées et donc la défense de la Nation, ce qui est normalement l'intérêt d'un Service national. La boucle serait bouclée...

Autrement dit, un module Cybersécurité au sien du SNU pourrait déclencher un cycle extrêmement vertueux et utile qui légitimerait encore plus ce SNU, encore aujourd'hui controversé.

O. Kempf

Catégories: Défense

Définir la Transformation digitale

mer, 05/09/2018 - 19:11

Il est temps désormais de proposer une définition de la transformation digitale.

La transformation digitale est un processus utilisant de nouvelles technologies informatiques mobilisant des usages mobiles à grande échelle et très simples, ce qui procure un levier de puissance par la maîtrise de très gros volumes de données.

Cette définition nécessite quelques précisions de vocabulaire.

Digital ou numérique ?

Le lecteur aura pu s’agacer de notre utilisation du mot digital. En effet, la traduction française de l’américain digital est « numérique ». Pour être puriste, il faudrait donc parler de transformation numérique. Pourtant, ce n’est pas notre choix ce qui mérite quelques explications. Constatons tout d’abord que l’origine du mot américain vient du latin digit, le doigt. En effet, on comptait à l’origine sur ses doigts, ce qui explique l’association du mot à la notion de chiffre. Cette racine latine fait que le mot digital possède aussi un sens en français : ce qui est lié au doigt. Le français peut ainsi utiliser les deux mots : digital et numérique.

Pourquoi dès lors choisir l’un plutôt que l’autre ? Selon nous, le numérique est centré sur la technologie, le binaire (0 et 1), l’informatique, la dématérialisation. Le numérique indique une approche qui est d’abord technicienne. Or, le lecteur l’aura sans doute remarqué, ce n’est pas ce qui nous semble caractériser d’abord la transformation digitale. D’un autre côté en effet, le digital indique l’attention portée au le doigt, à l’écran tactile, donc à l’usage, donc à l’individu. L’adjectif digital suggère ici la prééminence du facteur social et humain de la TD, bien plus que sa caractéristique technicienne.

Ceci nous conduit à discuter justement l’expression de transformation digitale.

D’abord digital, ou d’abord transformation ?

La transformation digitale n’est-elle pas un effet de mode ? S’agit-il d’une tendance de fond, de l’établissement d’un nouveau standard ? Ne s’agit-il pas simplement d’une simple évolution technologique ?

Posons que le mot le plus important est celui de transformation : en effet, la transformation digitale est fondée sur la transformation des pratiques et des comportements, individuels et collectifs. Elle entraîne la transformation des organisations et notamment des entreprises mais aussi des administrations et autres ONG. Il ne s’agit donc pas d’une simple adaptation, d’une évolution techno-économique : c’est plus profond.

C’est pourquoi le mot important n’est pas digital, c’est bien transformation. Ne voir dans la TD qu’une vague technologique omettrait une part importante du phénomène. Pour autant, il va de soi qu’il a été rendu possible grâce aux conditions technologiques.

Digitalisation, ou transformation digitale ?

Souvent, certains parlent de digitalisation. L’inconvénient de ce mot teint à ce qu’il suggère qu’il ne s’agit que d’un processus technique, et non pas d’un phénomène plus large qui modifie non seulement les organisations mais aussi les comportements. D’ailleurs, la traduction de l’anglais digitalization est bien la numérisation : il s’agit du processus qui consiste à transformer une information analogique en information numérique. Cela peut toucher les documents (la numérisation des fichiers papiers, ce qu’on appelle la dématérialisation), mais aussi des processus plus complets (sans pour autant que l’on touche à la structure du processus.

Or, cette numérisation a déjà été mise en œuvre dans le passé. Cela fait plusieurs décennies que les entreprises et organisations se sont engagées dans des processus d’informatisation qui consistent, principalement, en une digitalisation de leurs activités. C’est pourquoi le mot de digitalisation ne rend pas compte exactement de la charge transformante de la TD. Les deux mots ne sont donc pas synonymes.

Transformer : mais quoi ?

Si le mot important est donc la « transformation », il vient immédiatement la question : quoi transformer ?

Il peut s’agir tout d’abord de transformer un processus professionnel, quitte à le désarticuler ou à proposer une nouvelle approche. Par exemple, un carnet de véhicule peut à la fois contenir des informations administratives (sur l’utilisation du véhicule, les responsables de son emploi), des informations de localisation (le véhicule est allé tel jour de tel endroit à tel autre) et des informations techniques (nombre de kilomètres parcourus, carburant consommé). Ce qui tenait dans une carnet papier, remarquable de simplicité il y a cinquante ans, n’a pas forcément besoin d’être mis sur la même application. On peut ainsi imaginer un processus administratif (tel responsable donne l’instruction à tel agent d’utiliser tel véhicule pour telle mission), un processus d’enregistrement de la localisation (grâce aux systèmes GPS qui sont aujourd’hui extrêmement courants), enfin un processus d’enregistrement des données techniques. Or, ces trois processus ne nécessitent pas forcément le même outil informatique ni le même capteur. On pourra ici utiliser un système propre à l’organisation, là une application utilisable par l’ordiphone personnel de l’agent, là enfin installer un dispositif de recueil des informations techniques sur les véhicules de la flotte.

Dès lors, la transformation digitale va toucher toutes les organisations : civiles (entreprises, ONG) ou publiques (administrations, collectivités locales, services publics divers). Les modalités seront différentes à chaque fois mais les principes demeureront, sachant que de toute façon, la transformation digitale suppose une adaptation au cas d’espèce.

Cela étant, cette transformation est double. Elle provient d’une part des nouvelles sociétés qui se placent d’emblée sous les principes de fonctionnement de cette transformation digitale : pour elle, tout est apparemment facile puisqu’elles partent de rien et que leur objet consiste précisément à défier les situations existantes, à trouver de nouveaux modèles économiques. Il s’agit évidemment des jeunes pousses (start-up en anglais), dont l’éclosion constitue le plus puissant levier de changement. Elle affecte d’autres part les sociétés existantes, qui font face à cette nouvelle concurrence, exacerbée et avec de nouvelles règles qui passent outre les barrières à l’entrée traditionnelles. C’est d’ailleurs cette vaste impulsion d’adaptation de sociétés « brick and mortar » au « clic and mortar » ,qui fait de la transformation digitale un mouvement massif depuis 2013 et 2014. Les organisations publiques s’y sont mises à leur suite car chacun comprend bien que l’adaptation est un gage de survie.

Ceci introduit la possibilité d’un changement systémique de la société. Constatons que la diffusion des ordiphones a d’ores et déjà modifié en profondeur les pratiques sociales de nos contemporains. Notre rapport aux autres s’en trouve modifié en profondeur, que nous en ayons consciences ou non. D’ailleurs, de nouveaux problème surgissent, notamment dans la sphère politique (débat en Amérique et en Europe sur les fausses nouvelles et les manipulations de l’information, mais aussi apparition en Chine d’un contrôle social des populations).

La transformation digitale s’applique donc à plusieurs niveaux, suivant le degré de focalisation que l’on recherche.

O. Kempf

Catégories: Défense

Israel, l'obsession du territoire (J. Fuentes-Carrera)

sam, 01/09/2018 - 16:29

Comment parler géopolitiquement d'Israël sans verser dans la montée très rapide à l'émotion, à l’idéologie, à la polémique, aux accusations ?, Peut-être en revenant à une analyse géopolitique fondée sur la géographie et faire travailler un auteur mexicain, assez éloigné donc des clivages émotifs du sujet. C'est ce mélange inédit qui nous propose ce livre rare et indispensable permettant un regard enfin distancié sur la question israélo-palestinienne.

Il faut dire que l'auteur est accompagné d'un des plus grands géographes français, Philippe Subra. Cela aide évidemment à apporter distance et rigueur d'analyse mais aussi expérience géographique.

Au fond, toute la stratégie territoriale d'Israël ne se réduit pas au territoires occupés ni à la construction du mur, ce à quoi on la réduit trop souvent. L’intérêt du livre consiste à montrer que le principal angle de compréhension est ce que nous appelons en France "l'aménagement du territoire". Cet angle, plus neutre, laisse toutefois apparaître une politique presque séculaire puisque remontant à la période pré-étatique, de 1890 à 1948.

Le livre montre ainsi la fabrication de frontières à l'intérieur d'Israël (dès avant le Mur) - chap 1 ; tout le travail de colonisation, d'aménagement et de maîtrise de l'espace (chap 2); que cette politique d'aménagement israélienne, ne cache pas de profondes division juives (chap 3); le livre s'attarde ensuite sur le système électoral (chap 4) puis sur Rawabi, "la ville du futur" palestinienne, (chap 6).

Bref, au-delà des guerres et des conflits, au-delà des murs et des "colonies", le livre montre aussi l'évolution des réseaux routiers ou des découpages administratifs, ou encore les séparations de communautés entre centres et périphéries des villes israéliennes.

L'ensemble dresse un tableau particulièrement instructif, sourcé et académique (je n'ose dire neutre), qui démontre une permanence des objectifs territoriaux de l’État d'Israël, confronté à une exiguïté qui rend cette question des limites essentielle. On en déduit logiquement que ce qui n'était qu'un moyen est devenu une fin en soi et que l'extension des frontières va de pair avec un enfermement psychologique et obsidional.

On note également la question de la densité démographique (et des zones désertiques), ou encore de la lutte pour les ressources en eau, avec un déterminant environnemental qui prend une importance croissante. Autant de sujets "techniques" qui militent pour des décisions "techniques", celles-ci contribuant, "par hasard" à concourir à un plan plus général d’occupation de l'espace.

L'ouvrage est illustré de très nombreuses cartes originales qui accompagnent le texte et le rendent intelligible. Voici donc un livre indispensable et distancié, loin des anathèmes habituels sur le sujet, mais qui permet de se construire son opinion : Désaltérant. A recommander chaudement.

Julieta Fuentes-Carrera (avec la collaboration de Philippe Subra, Israël, l'obsession du territoire, Armand Colin, 2018, 222 p. Lien éditeur

O. Kempf

Catégories: Défense

La fulgurante éclosion des NATU

ven, 31/08/2018 - 10:45

Ainsi, on évoque surtout la transformation digitale par ses effets. La première manifestation de la transformation digitale serait le passage des GAFA au NATU. En effet, chacun connaît désormais l’acronyme des GAFA, reprenant les initiales des mastodontes de l’Internet : Google, Amazon, Facebook et Apple. Certains ajoutent le M de Microsoft, voire le I de Intel (ce qui donnerait GAFAMI). Mais ces entreprises géantes auraient vu leur croissance dans les années 2000. La décennie 2010 verrait l’émergence de nouveaux géants. Laissons de côté les acteurs chinois (les BATX : Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) qui défient les GAFA sur leur propre terrain, et intéressons nous aux NATU, qui créent justement de nouveaux modèles de succès économique.

source

L’acronyme NATU est formé des initiales de Netflix, AirBnB, Tesla et Uber.

Netflix propose un abonnement, en flux continu par Internet, permettant de voir, sur son téléviseur ou son ordinateur, des films et séries. L’entreprise, créée en 1997, a réussi à se différencier par une gestion des ressources humaines innovante (abandon de l’évaluation annuelle remplacée par une évaluation continue, belles rémunérations, liberté des activités et des congés), une organisation agile (permettant de fournir les produits en continu) et une qualité de service rendue possible par une politique active de partenariat, notamment avec les fournisseurs d’accès. De plus, l’offre est différenciée selon les pays, à la fois pour des raisons marketing (les goûts diffèrent d’un pays à l’autre) que pour des raisons de licence des films diffusés. Fin 2017, Netflix compte 117 M d’abonnés dont 54 aux États-Unis et 3,5 M en France. Netflix est valorisé à 19 milliards de dollars (G$).

AirBnB est une société qui propose une plateforme internet de mise en location d’appartements chez les particuliers. Fondée en 2007, elle a un chiffre d’affaires de 2,6 milliards de dollars et un profit de 93 M$ ! L’entreprise a réussi à convaincre 300 M d’utilisateurs grâce à son système d’intermédiation, en organisant grâce à son outil la rencontre entre une offre (les particuliers qui ont une chambre ou un appartement à louer, de façon temporaire) et une demande (d’autres particuliers à la recherche de logements de vacances moins chers et bien situés). AirBnB a construit sa croissance grâce à une vraie agilité marketing (s’intéressant à ses deux type de clients, les offreurs comme les demandeurs), une véritable simplicité d’utilisation de son site (y compris le paiement en ligne, malgré le casse-tête des taux de change), un algorithme très puissant, une attention permanente à la communauté pour une assistance 24/7. AirBnB a su également susciter une myriade de petites entreprises associées (conciergerie, ménage, gestion d’annonces, visites touristiques, …). AirBnB a ainsi su mettre en œuvre les 4 règles qui font le succès d’une plateforme : changer la manière de produire le service, changer la manière de consommer le service, valider et contrôler le service et avoir la capacité à passer à l’échelle n(avec de faibles coûts marginaux ). Mais c’est aussi une entreprise fortement capitalistique. Pour financer sa croissance, elle a mobilisé en une décennie 4,4 milliards de dollars auprès d’investisseurs : mais elle est aujourd’hui valorisée à 31 milliards de dollars. En comparaison, le groupe Accord, qui compte 4100 hôtels et 240 000 collaborateurs, n’est valorisé qu’à 12 milliards d’euros : 570.000 chambres « en propre » contre 5 M de chambres pour AirBnB.

Tesla est une constructeur d’automobiles électriques haut de gamme. La société a été créée en 2003, et a produit son premier véhicule en 2008. En février 2018, la société produit 300.000 véhicules. Tesla est une société fondée et dirigée par Elon Musk, manager génial et malaisé . Elon Musk a des visions de très long terme et ses projets d’entreprise sont subordonnés à celles-ci : SpaceX a pour vocation de coloniser la planète mars, tandis que Tesla est fondée sur la puissance transformante de l’énergie électrique. Les véhicules Tesla bénéficient en fait de deux particularités : des batteries plates et à haute performance disposées sur le plancher de la voiture, ce qui permet de s’abstenir d’énormément de problèmes liés aux moteurs à carburant ; mais aussi une assistance informatique permanente (le mythe de la voiture sans chauffeur) mais qui permet à un véhicule de vor sa valeur augmenter avec le temps : en effet, il bénéficie de mises à jour à distance de son logiciel et voit donc ses capacités se développer. Tesla est valorisée 11,5 milliards de dollars : mais la société a levé 4 G$ entre 2013 et 2017, puis à nouveau 1,2 G$ en 2017. A titre de comparaison, Renault est valorisée 21,5 G€ et a produit en 2016 3,2 M de véhicules, soit dix fois plus que Tesla. Tesla a bénéficié de plusieurs facteurs : une approche extrêmement innovante de la dynamique industrielle des voitures, ce qui a bousculé les acteurs les plus établis du secteur ; une organisation du travail extrêmement mobilisatrice (on entre chez Tesla comme on entre en religion), et une personnalité hors pair du dirigeant, extrêmement exigeant avec ses proches tout en étant un communicant exceptionnel.

Uber est une société qui met en contact des offreurs et des demandeurs de transport. Cette société est probablement la plus emblématique de la transformation digitale puisqu’elle a donné naissance au verbe « ubériser ». En effet, l’arrivée d’Uber a mis à mal les écosystèmes de taxis dans toutes les villes du monde. Cette arrivée a provoqué un changement brusque de systèmes économiques existants, grâce à de l’innovation qui permet d’offrir soit des nouveaux services, soit une nouvelle façon de produire et échanger ces services. Uber est une plateforme d’intermédiation, comme AirBnB, mais alors que cette dernière fonctionne surtout sur un site Internet, Uber utilise d’abord les ordiphones de ses clients : Uber bénéficie ainsi de la géolocalisation permanente de ces outils pour organiser la rencontre de l’offre et de la demande. Uber a été fondée en 2009 à San Francisco. En 2017, elle est valorisée à près de 68 G$, pour un CA de 6,5 G$.

O. Kempf

Catégories: Défense

Le monde vu d'Asie

jeu, 30/08/2018 - 14:45

C'est une remarquable exposition qu'a organisé le Musée Guimet et qu'il faut se dépêcher d'aller voir, puisqu'elle se termine le 10 septembre...

Le monde vu d'Asie traite donc de la question des représentations du monde. Le terme "Asie" reprend la façon dont nous nous représentons, nous Européens, l'Asie, c'est-à-dire en omettant allègrement l'Asie Occidentale. Cela commence donc en Afghanistan, avec peut-être quelques allusions à la cartographie arabo-musulmane, mais guère plus. L'essentiel se concentre en Chine (et Taïwan), Japon, Corée, un peu la péninsule indochinoise ou l'Inde, accessoirement l'Asie centrale.

Mais nous n'allons pas mettre en miroir nos "représentations réciproques" : cela permet toutefois de montrer que la notion de "représentations" ne se réduit pas à l'appareil cartographique, même si évidemment, là est l'essentiel. D'ailleurs, le sous-titre de l'exposition (du moins du catalogue) se dénomme : "une histoire cartographique".

Car à l'origine, le "monde" en Asie s'articule, comme dans toute pensée traditionnelle, entre la terre et le ciel, entre le microcosme et le macrocosme, dans l'interaction entre le pays des hommes et le pays des cieux. La "géographie" est donc religieuse et sacrée, elle est d'abord empreinte de symboles. Il ne s'agit donc pas de dresser des territoires, mais des indications spirituelles où des éléments physiques (tel mont, tel rivage, tel fleuve) reçoivent des significations religieuses.

Viennent ensuite des représentations graphiques des paysages : une première façon de décrire la géographie et la morphologie. Viennent ensuite des plans de villes et de place-fortes.

Mais au fond, je n'ai pas perçu réellement de cartographie, au sens où nous l'entendons, d'origine purement asiatique. Dresser l'état des lieux du monde importe peu : seul comptent les territoires du souverain, ici empereur chinois en visite de ses possessions, là de tel roi ou prince... Le "reste du monde" (cette incroyable invention américaine qui reproduit, finalement, le splendide isolement des empereurs chinois, méprisant tout ce qui n'est pas eux comme étant des barbares), n'existe pas : pourquoi le cartographier ?

Tout change, apparemment, avec l'arrivée des jésuites et de Matteo Ricci : de cette rencontrent naissent deux choses : la perception du monde, mais aussi le recentrage du monde. Ainsi, la remarquable carte sino-centrée datant du XVII° siècle en est-elle emblématique : la Chine demeure "au milieu du monde" (c'est comme cela qu'elle se pense, empire "du milieu") et en même temps, elle reconnait qu'elle n'est qu'une partie du monde.

La question des proportions est ici passionnantes : dans les premières cartes d'origine asiatique, datant de plusieurs cercles auparavant la venue de Matteo RIci, la représentation de la Chine est assez fidèle à la réalité (au moins autant fidèle que nos cartes similaires de l'époque représentant l'Europe), mais les contours (Inde, Russie, îles du Pacifique, Afrique, Europe) sont écrasés à la portion congrue, aplatis, comme les cartes anamorphiques qui sont aujourd’hui courantes.

Le choc du monde entraîne de nouvelles représentations cartographiques, de nouvelles influences, mais aussi un regard sur le monde avec les décalages entre la façon dont les Asiatiques s'imaginent Paris, Londres ou New-York et la réalité que nous connaissons bien mieux, évidemment : à cet égard, les dernières salles sont assez jubilatoires car nous comprenons que nos représentations de l'Asie doivent être aussi décalées que celles qu'ils avaient de nous.

Pour le reste, cette plongée dans un univers culturel asiatique est absolument passionnante, avec une grande richesse de formes et de références qui sont un bonheur pour les yeux.

Le visiteur achètera le catalogue, indispensable pour tout amateur de cartes, rédigé par Pierre Singaravélou et Fabrice Argounès, auteur d'une "Théorie de la puissance" dont j'ai rendu compte sur La Vigie (ici).

A voir, donc, très vite.

Le monde vu d'Asie, musée Guimet, informations

O. Kempf

Catégories: Défense

Forum de Krynica

mer, 29/08/2018 - 14:36

Je participerai au prochain forum économique de Kryniça, en Pologne, du 4 au 6 septembre prochain. Cet événement qui devient le Munich de l'Europe de l'est prend chaque année plus d’ampleur (3000 participants en 2016).

Source

J'interviendrai à la table ronde : Federalisation of Europe - Is It Possible?

Présidée par Slawomir Debski, Director, Polish Institute of International Affairs, Poland, elle réunira :

  • Francesca Traldi, Independent Expert, Italy
  • Manuel Sarrazin, President of the German-Polish Parliamentary Group, Bundestag, Germany
  • Marcin Swiecicki, Member, Sejm, Poland
  • Dan Petre, Director General, Romanian Diplomatic Institute, Romania

Aler en Europe de l'est, rencontrer à la fois la défiance envers la Russie (que j'avais beaucoup ressentie il y a trois ans, lors de ma première venue) et peut-être la défiance envers l'UE, voilà qui va être intéressant.

O. Kempf

Catégories: Défense

Du modèle expéditionnaire

mar, 28/08/2018 - 16:32

Voici un billet que j'avais écrit en février 2016 et jamais publié. Il est intéressant parfois de relire ses textes publiés autrefois, mais ce n'est pas mal non plus de publier des textes écrits autrefois. Source

Régulièrement, les stratégistes débattent de concepts qui marquent le moment. Il y a ainsi des centres d’intérêt qui se succèdent. On pourrait y voir une mode mais il s’agit plutôt de thèmes structurant la discussion, toujours relié, d’une façon ou d’une autre, à l’actualité. Ce lien entre recherche théorique et réalités du terrain n’est pas critiquable pour une science humaine qui ne peut s’adonner à l’expérimentation empirique.

Théoriser le réel est logiquement le quotidien de telles spéculations, cherchant à comprendre les nouvelles façons de faire la guerre (or, celle-ci ne disparaissant pas, elle ne cesse de muter et d’appeler de nouvelles interprétations, sans même parler des évolutions technologiques) mais aussi à proposer de nouvelles pistes pour obtenir l’avantage.

Nous eûmes ainsi la révolution dans les affaires militaires puis la contre-insurrection. Ces temps-ci, on débat plutôt de guerre hybride ou d’A2/AD (anti access/area denial) pour décrire qui les actions russes en Ukraine, qui les poussées chinoises en mer de Chine (et désormais, les avancées maritimes russes en Baltique, mer Noire voire méditerranée orientale). Par ailleurs, chacun note une « fatigue expéditionnaire » notant que l’Irak, l’Afghanistan ou même la Libye n’ont pas donné satisfaction aux Occidentaux. Chacun de ces trois exemples pourrait bien sûr être nuancé mais force est de constater la conséquence politique de ces expériences : le moindre engagement opérationnel à l’extérieur, hormis quelques interventions aériennes ou maritimes, comme celles menées par la coalition contre l’EI en Irak et Syrie ou l’opération maritime anti-piraterie au large de la Somalie.

D’une certaine façon, cela constitue le trait dominant de la posture stratégique de Barack Obama, dont j’ai proposé une interprétation dans un article sur « l’indirection de la guerre ». Tout se passe au fond comme si le président américain avait conclu à l’inefficacité de l’outil militaire, hormis quelques frappes indirectes. Car l’expédition s’entend, dans l’esprit commun, comme l’envoi de troupes au sol afin de contrôler un territoire (et donc de favoriser un effet politique). C’est d’ailleurs cet axiome qui préside à l’approche américaine en Syrie à l’automne 2015. Devant l’arrivée de troupes russes à Lattaquié puis le développement d’un soutien appuyé aux forces syriennes, le gouvernement américain a probablement parié sur l’enlisement russe dans la zone, un nouvel Afghanistan qui avait laissé des souvenirs douloureux tant aux Américains qu’aux Russes. Autrement dit, pour Washington, cet engagement russe en Syrie était une bonne nouvelle puisqu’il allait engluer l’armée russe dans un bourbier sans fin.

Hors, ce n’est pas ce qui s’est passé, bien au contraire. L’armée russe a apporté bien sûr quelques moyens lourds, et notamment une suprématie aérienne massive, précise et destructrice. Elle a aussi donné quelques moyens terrestres (canons mais aussi chars). Elle a surtout apporté une capacité de C2, c’est-à-dire de planifier et d’exécuter des opérations combinées, dans la durée, donnant donc une tonalité systématique à une guerre qui était, de part et d’autres, brouillonne et insurrectionnelle, fondée sur des milices s’affrontant ici et là sans réel plan d’ensemble.

Au résultat, l’engagement russe compterait 5000 hommes et ne coûterait pas si cher, pas assez en tout cas pour saigner des finances russes par ailleurs contraintes. Autrement dit, à moindre coût, l’expédition russe peut tenir. Elle peut surtout gagner. Après une première phase de la campagne qui a été stabilisante, puis quelques grignotages ici et là, de plus en plus conséquents (voir la reprise des confins de la province de Lattaquié), elle a opéré une percée décisive au nord d’Alep qui constitue probablement le tournant stratégique de la guerre. Désormais, les forces syriennes semblent en mesure de l’emporter, réduisant d’abord l’opposition modérée (Alpe, Deraa), puis réduisant les islamistes autour d’Idlib avant enfin de se tourner contre l’EI.

Bien d’autres facteurs expliquent ce succès et nous y reviendrons quelque jour. Il reste que la supposition de Barrack Obama s’avère erronée : le modèle expéditionnaire en tant que tel n’est pas condamné, l’outil militaire réussit encore à produire des effets politiques. Il y faut certes des conditions et une volonté, mais démonstration est faite que l’emploi de la force armée n’est pas, n’en déplaise aux sceptiques, condamné à l’échec. En revanche, cela invalide certainement un certain modèle de guerre expéditionnaire. Constatons que si les Américains échouent, les Russes (ou les Français au Mali) réussissent quant à eux à y trouver des succès.

O. Kempf

Catégories: Défense

Qu'est-ce que la transformation digitale ?

sam, 25/08/2018 - 16:04

J'ouvre avec ce billet une série qui reprend mes réflexions sur la transformation digitale et ses relations avec la stratégie. Il s'agit des éléments de ce qui constituera mon prochain livre, sans doute. Bonne lecture et n'hésitez pas à commenter, pour améliorer le produit final !

source

L’absence de définition

Septembre 2016 : j’arrive à l’état-major de l’armée de Terre comme officier en charge de la Transformation digitale. Personne ne sait très bien ce que c’est, mais le mouvement a été enclenché dans les grandes entreprises et l’état-major des armées, celui de l’armée de l’Air et la direction du service du Commissariat ont également mis en place un tel poste. Il s’agit de défricher, d’explorer, de mettre en place, de convaincre, de préparer l’avenir.

La fiche de tâche est donc assez floue, comme toujours quand il s’agit d’aller vers des domaines nouveaux. Surtout, je n’ai pas de définition de ce qu’est cette « transformation digitale » que je suis désormais chargée de porter. Je me tourne donc vers des consultants d’un grand cabinet de conseil, avec qui je vais travailler. Comme tous les consultants, ils montrent une belle assurance, expliquent que leur cabinet mondial a une grosse expérience, me remettent un livre sur la dite transformation digitale qui décrit comment la mener et à quel point c’est indispensable pour prendre le pas sur ses concurrents. Le livre compte plus de 200 pages . Nulle part la transformation digitale n’est définie.

Voici donc un objet qui ferait des miracles économiques, qui serait indispensable et inévitable, mais dont on n’a aucune définition. Je vais donc en librairie consulter la littérature sur le sujet (ce doit être mon côté rétrograde, je lis encore les livres sur papier et ai besoin de les compulser avant de les acheter) pour constater le même phénomène. Pas de définition !

Les tentatives de définition

Par exemple, le professeur Aurélie Dudézert propose un petit opuscule sur la transformation digitale des entreprises . Elle ne donne pas de définition stricto sensu, même si dans un encadré elle rassemble des « définitions » de CDO (Chief Digital Officer : Officier en charge de la transformation digitale). On apprend ainsi que « la transformation digitale, c’est l’irruption du digital dans la vie de l’entreprise, y compris dans les produits », qu’elle est « avant tout stimulée par le client », que « le digital est une réelle opportunité et aussi une remise en cause en profondeur des business models », qu’elle « implique tous les métiers, tous les aspects de l’entreprise », que « le digital doit être intégré partout, dans toutes les fonctions et dans tous les métiers de l’entreprise », ou encore que « la transformation digitale, c’est créer un état d’esprit numérique au sein de l’entreprise » (Dudézert, 2018, p. 15).A l’évidence, il n’y a aucune « définition » dans cette liste. Le Pr Dudézert poursuit en montrant, de façon fort intéressante d’ailleurs, les différentes caractéristiques de cette transformation digitale. Au détour d’un paragraphe, elle propose ce qui ressemble le plus à une définition : « la transformation digitale pour les entreprises, c’est l’exploration et l’exploitation des nouveaux « possibles » engendrés par ces technologies de l’information, en particulier au niveau organisationnel ». Cette définition correspond particulièrement bien à son approche académique, à mi-chemin entre les sciences de gestion et la sociologie des organisations. Elle est toutefois décevante pour celui qui chercherait à savoir ce qu’est la transformation digitale.

Ultime signe : dans Wikipédia en français, il n’existe pas d’article sur la Transformation digitale (en août 2018). Un article assez compact existe dans la version anglaise , publié fin 2017. Il expose successivement la digitization, la digitilization puis la digital transformation. La digitization est « la conversion d’une information analogique en forme numérique ». La digitilization comprend « les changements produits par les nouvelles technologies dans certains secteurs technologiques » (médias, banque, télécoms, santé…). La digital transformation serait alors « l’effet total et global de la digitalisation sur la société ». Notons que l’article ne fait pas l’unanimité puisque plusieurs mentions le précèdent : il relèverait d’une opinion personnelle et son style ne correspondrait pas à l’ambition académique de Wikipédia (on devine en effet qu’il a été rédigé par un étudiant en master qui veut mettre en valeur ses propres travaux). Il reste que l’approche est intéressante car elle distingue plusieurs niveaux : un niveau purement technique, un niveau économique, un niveau sociétal. Toutefois, la définition ne convainc pas vraiment.

Pourquoi une telle absence ? Probablement parce qu’il s’agit d’abord d’un phénomène, d’une pratique sociale et économique dont on a vu les effets, dont on a pris progressivement conscience. La transformation digitale s’observe d’abord dans ses résultats et ses effets. Les praticiens qui l’ont examinée ont relevé des méthodes, des mécanismes, des facteurs de succès, sans pour autant déceler une universalité de ces méthodes et procédés. Voici donc un phénomène très divers et épars, dans lequel on a peine a relever des régularités et des répétitions, mais dont on observe malgré quelques similitudes, sinon de procédures au moins d’approche. Surtout, le phénomène est assez massif pour apparaître comme évident.

Cette dimension opératoire explique partiellement l’absence de définition. L’époque est au pragmatisme : les praticiens de la vie économique (car la Transformation digitale vient d’abord du monde économique) se fichent des belles théories ; ils veulent des recettes qui fonctionnent et qui produisent des effets. C’est pourquoi aussi bien ceux qui conduisent des transformations digitales que ceux qui les accompagnent n’ont pas eu le besoin de donner des définitions.

O. Kempf

Catégories: Défense

A propos du soft power

lun, 20/08/2018 - 09:42

Au cours des 30 dernières années, le concept de soft power (Puissance douce) a connu une vogue incroyable, tant il permettait d'expliquer tout un tas de choses mais aussi tant il s'accordait à une posture de puissance bien particulière, celle des Etats-Unis. Constatons que la vogue eut surtout lieu au cours des années 1990. Joseph Nye tenta bien de faire évoluer son concept avec l'idée de Smart power, sans que la chose soit réellement convaincante. De même l'avons-nous vu venir sur le terrain du Cyber, sans que là non plus cela n'apporte un vrai éclairage différent. Au fond, plusieurs dynamiques sont à l’œuvre pour relativiser l'effectivité du soft power : les attentats du 11 septembre avec la mise au premier plan, brutalement, de la question "terroriste" (en fait, djihadiste) ; la crise économique de 2008 liée d'ailleurs avec une remise en cause de la mondialisation (émergence, puis Trump) ; enfin, une montée en puissance des grands acteurs du cyber (GAFA, BATX) et donc l'explosion de l'activité sur la couche sémantique (cf. Mon bouquin Gagner le cyberconflit).

source

Or, j'ai lu (je ne retrouve plus la source, ce devait être dans un numéro de la RDN) une idée de Louis Gautier qui affirmait que le SP n'est possible que pour quelques rares États qui ont de grosses capacités techniques et économiques. Pour la plupart des autres, seul le hard power paraît à portée de main.

J'ajouterais pour ma part qu'il n'y a pas de soft power sans hard power, sans compter l'épuisement du soft power tel que nous l'entendions (celui d'influence des normes et des valeurs, au moyen de la culture, du cinéma, des grands médias d’influence, du système universitaire, de la langue...). La crise ukrainienne ou l'action russe en Syrie ou l'opération Serval montrent que l'utilisation habile de la force est toujours un moyen efficace pour atteindre des objectifs tangibles.

La popularité du SP fut aussi due à son adhérence à la vision d'un monde interdépendant, transnational, postmoderne.... Un monde pacifié où d'autres moyens permettraient de réduire les conflits. Autrement dit, une vision irénique qui permettait de s'abstenir de la vieille puissance militaire, si grossière et, désormais, si maladroite. En effet, Irak et Afghanistan semblaient montrer l'inefficacité de l'outil militaire. Mais Tchétchénie, actions israéliennes, opérations françaises en Côte d'Ivoire ou au Mali, interventions russes en Géorgie puis en Crimée ont montré une rémanence du vieil hard power, tandis que l'image des États-Unis semble durablement contestée comme l'illustrent les nombreux sondages du Pew center (dès avant l'arrivée de D. Trump). Quant à l'Europe, archétype de la puissance douce, son inefficacité en Ukraine comme en Afrique et le taux d'abstention aux dernières élections européennes illustrent à quel point cette douceur est finalement peu convaincante, surtout quand les grands tenants du hard power, États-Unis et Europe s'abritent derrière des murs toujours plus haut.

Est ce à dire pourtant qu'il a disparu? Non, simplement qu'il n'a plus son caractère de théorie centrale et qu'il faut probablement l'adapter. Pas simplement dans le smart power vaguement adopté par Mme Clinton. Mais en redécouvrant la notion d'influence et de politique culturelle. Surtout en étant plus cohérent entre des principes affirmés et leur mise en œuvre aléatoire et casuistique.

O. Kempf

Pour Maulny dans le dernier RDN, les Etats-Unis ont tout perdu mais ils ont finalement gagné grâce à leur soft power, ou plus exactement leur domination des outil de cybercommunication (google, FB, twitter).

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Géopolitique des mondes arabes (D. Billon)

mer, 15/08/2018 - 15:52

Voici un ouvrage sérieux, original, actuel. Et engagé, sans pour autant être partial. Comment peut-il en être autrement sur un sujet aussi sensible que les mondes arabes ? si l'objectivité est impossible, la rigueur est atteignable.

Très bon signe : on parle des mondes arabes (au pluriel) puisque l'unicité (sans même parler d'unité) "du" monde arabe est une illusion (et même, une représentation géopolitique qui est loin d'être neutre, justement).

Il s'articule en quatre parties (les sociétés arabes, entre diversité et unité ; une région taraudée par les conflits ; dynamiques politiques contemporaines ; enjeux régionaux et internationaux) et 40 fiches. Chaque fiche s'étale sur 4 pages avec deux pages de texte, une page de focus et une carte. L'ensemble est sobre, tricolore (N&B + des aplats de vert), très maniable.

Pour un ouvrage aussi compact, on ne s'attend pas à de longs développements. L'essentiel y est, mais tout l'essentiel, quitte à ce que certains sujets fassent l'objet de plusieurs fiches (le conflit israélo-palestinien occupe six fiches) quand d'autres ne sont couverts que par une fiche (le Maghreb). Cela étant, tous les pays de la zone sont couverts, y compris une fiche consacrée à Djibouti, la Somalie et les Comores, ce qui est exceptionnel et mérite d'être relevé.

Toutefois, il ne s'agit pas d'un annuaire de pays mais bien d'un ouvrage de géopolitique. Il se doit donc d'être multiscalaire et de proposer donc des perspectives transversales. C'est l'objet de la première partie notamment, mais aussi de la troisième. On y relativise bien des choses, refusant l'expression de "Printemps arabes", relativisant l'influence politique des réseaux sociaux, pointant l'importance de la question amazighe (la carte mettant en regard les minorité berbères et les minorités kurdes est de ce point de vue très édifiante), ou montrant la solidité, finalement, de la forme des États-nations de la région, alors qu’on ne cesse de les décrire comme fragiles. L'islamisme est mis en perspective avec l'islam politique et l'islamo-nationalisme, sans qu'il soit besoin d'en faire l'alfa et l’oméga de l'approche politique de la région.

La dernière partie évoque les acteurs extérieurs et leurs liens et influences sur la région. L'ouvrage constate que les États-unis sont en perte d'influence...

Voici donc un livre qui m'a agréablement surpris. Je pensais trouver un énième ouvrage de géopolitique régionale, descriptif, donnant des multitudes de chiffres et s'avérant finalement plat. Dans le cas présent, voici surtout des idées, des faits, des explications. Incontestablement, l'auteur, Didier Billon, directeur adjoint à l'IRIS, critique la politique israélienne de colonisation. Il ne verse pas pour autant dans un brûlot militant et son travail est suffisamment sérieux pour qu'il convainque. Tout étudiant trouvera avantage à lire le livre.

Didier Billon, Géopolitique des mondes arabes, 40 fiches illustrées pour comprendre le monde, Eyrolles, 2018, 184 pages, 16,9 euros.

O. Kempf

Catégories: Défense

Territoire et empire

dim, 12/08/2018 - 12:53

La dossier estival d'echoradar a pour thème les territoires (voir présentation du thème). Cela m'a donné de réfléchir à l'empire, sujet qui me taraude depuis quelque temps, comme alternative à l’État-nation. Quels sont les avantages de l'empire ? pourquoi ceux-ci ont-ils disparu ? peuvent-ils ressurgir ? Bref, cette forme politique qui a dominé de multiples zones de l'humanité à travers les siècles a certainement des atouts qu'il s’agit d'analyser, ce qui ne signifie évidemment pas que nous dressions un plaidoyer pour l'empire.

source : l'empire mongol de Gengis Khan.

L’empire a mauvaise presse. Qu’il s’agisse des formes anciennes de domination directe ou de l’impérialisme attribué à l’hégémon américain, chacun y dénonce un pouvoir distant et oppresseur. Or, les historiens distinguent plusieurs formes d’empire et il faut se défier de notre représentation immédiate de ce concept. H. Inglebert propose ainsi cinq types différents d’empire : grands royaumes régionaux, hégémonies régionales, empires commerciaux, empires tribaux des steppes et empires à prétention universelle (1). Constatons que nous pensons plutôt au cinquième type lorsque nous parlons d’empire. H. Inglebert précise qu’un empire doit maîtriser quatre aspects : l’extension spatiale et la maîtrise des communications ; le contrôle politique différencié de différents segments de la population ; la capacité administrative à exploiter la population ; l’autoreprésentation du pouvoir central et son influence culturelle sur les élites centrales et locales. L’empire, c’est d’abord la sujétion de territoires périphériques par un pouvoir central. Ne nous y trompons pas, il y a bien au préalable un rapport de force et de domination. Omettre cette sujétion première, c’est ne rien comprendre à la dynamique politique à l’œuvre depuis quatre siècles qui conduisit à la disparition des empires.

Toutefois, cette sujétion peut prendre bien des formes. Il s’agit rarement d’assimilation (sinon dans la très longue durée ) (2). Le plus souvent au contraire, la sujétion se traduit par quelques éléments assez simples : le paiement d’un tribut (aujourd’hui, on dirait l’impôt), la reconnaissance de la sujétion (donc l’incapacité d’une politique étrangère indépendante), enfin, selon les cas, la fourniture d’autres services (comme par exemple le service militaire ou diverses corvées d’utilité publique). En contrepartie, l’empire assure une sécurité publique et des fonctions étatiques souvent plus efficaces que le système local préexistant. La supériorité du centre s’exprime donc par un mélange de force, de culture et d’organisation. En échange, le centre obtient des ressources (monétaires ou humaines mais aussi une reconnaissance qui augmentent sa puissance.

Gradient de puissance

Mais en s’étendant, l’empire court le risque de diluer la source de sa puissance. Ce phénomène a été décrit sous le terme de « surextension impériale » par l’historien britannique Paul Kennedy (3). L’extension procure un surcroît de puissance, utilisé pour de nouvelles conquêtes, toujours plus lointaines et dont l’apport de puissance est inférieur au coût de domination (P. Kennedy a une approche économique mais les ressources de la puissances ne peuvent se réduire à ce seul facteur). L’empire est devenu trop grand et s’épuise à tenir ses conquêtes.

Ces théories impériales présupposent un fait rarement relevé : celui du gradient de puissance entre le centre et la périphérie. Ainsi, le centre dispose d’un surcroît de puissance (économique, militaire, organisationnelle, culturelle) qui lui permet de prendre le pas sur ses voisins. Il ne s’agit pas seulement du phénomène de centralisation évoqué par Norbert Elias car celui-ci intervient dans la longue durée. Dans le cas de l’empire, la domination est généralement assez rapide (de quelques années - que l’on songe à l’empire d’Alexandre - à quelques décennies) même si des contre-exemples multiséculaires existent (Rome, Chine, empire Ottoman).

Toute la difficulté consiste donc à ne pas grandir trop vite et à agglomérer durablement les nouveaux territoires et leurs populations. Les spécialistes de la question impériale, J. Burbank et F. Cooper (4), observent deux stratégies possibles : celle de l‘homogénéisation qui fut par exemple celle de Rome, étendant la citoyenneté romaine à ses acquisitions : être romain signifie adopter le mode de vie romain. L’autre stratégie consiste à maintenir la diversité, jugée normale et utile : c’est par exemple celle de l’empire Mongol, autour des XIIIe et XIVe siècles, qui tolèrent les différentes religions et cultures de leurs possessions. Burbank et Cooper relativisent d’ailleurs la prééminence de l’État-nation, qu’ils considèrent comme un récit eurocentrique. Byzance et ses 1000 ans, l’empire ottoman et ses 600 ans ou les deux millénaires de forme impériale chinoise montrent la durée de cette forme politique et surtout sa capacité d’adaptation. Par exemple, dans les Balkans, le passage de la forme impériale à l’État-nation est rien moins que convaincant.

Marches territoriales

Il faut ici revenir à cette capacité d’adaptation, mais aussi d’intégration des empires. La notion de gradient suppose une différence entre territoires. Certains peuvent bénéficier de conditions de richesse qui leurs permettent d’exercer une domination sur d’autres. On ne peut ainsi que s’interroger sur la succession, sur les rives du Bosphore, de deux empires de longue durée (Byzance puis Sublime Porte) qui ont d’ailleurs soumis une aire territoriale relativement similaire, entre Balkans et péninsule anatolienne plus quelques pourtours méditerranéens. Le lieu permet la richesse, donc attire des hommes qui favorisent un cycle de développement plus rapide que les régions environnantes. Cela permet une domination de voisinage qui s’étend peu à peu.

Une autre raison tient aux facteurs géographiques et démographiques. Des terres maigres n’encouragent pas une population intense et elles sont propices à constituer des marches territoriales, ces étendues séparant deux zones de plus grande intensité démographique. On pourrait ainsi formuler l’hypothèse que les empires s’étendent sur des zones certes habitées mais pas solidement « représentées » par leurs populations ? Il y aurait ainsi des territoires forts et d’autres qui le seraient moins, à un moment donné de l’histoire. A l’appui de cette hypothèse, le mot slave край (Kraï) qui signifie borne, bout, extrémité, bordure. On trouve ce mot dans les deux noms d’Ukraine et de Krajina. L’Ukraine est ainsi un des « bouts » de la Russie, quand les Krajina sont le bout de l’empire ottoman dans les Balkans, destinés à faire face à l’empire austro-hongrois. Territoires de bordure d’empire, territoires annexes, ils n’existent d’abord que dans cette dépendance originelle, ce qui explique d’ailleurs leur difficulté à trouver une identité nationale. L’Ukraine est aujourd’hui bien proche d’un État failli avec des difficultés nationales évidentes et une population divisée (ce dont le conflit du Donbass n’est que la manifestation la plus récente). Quant aux Krajina, elles étaient peuplées de Serbes et de Croates et les populations serbes durent les quitter lors de la fin de la guerre de Bosnie, juste avant les accords de Dayton en 1995. Cela étant, l’État bosniaque ne brille pas non plus par sa solidité.

On décèle donc aujourd’hui encore des territoires qui obéissent encore, peu ou prou, à la vieille logique des marches impériales, inventée par Charlemagne au tournant du IXe siècle. Cela signifie que nous sommes encore en train de gérer des héritages d’empire. Un bref tour du monde le montrera aisément.

Héritages d’empire

L’Europe est toujours occupée à panser les plaies des deux guerres mondiales. La situation dans les Balkans le prouve, puisqu’on vient récemment de se féliciter de l’accord trouvé entre la Grèce et la Macédoine sur le nom de cette dernière. Kossovo et Bosnie-Herzégovine ne brillent pas par la solidité de leurs États-nations. Cent ans après la fin de l’empire austro-hongrois, la situation n’est toujours pas stabilisée. Plus à l’Est, on gère encore l’éclatement de l’URSS et surtout du Pacte de Varsovie d’il y a à peine trente ans. Les trois États baltes ou la Pologne orientent encore leur politique extérieure dans la prévention d’un éventuel retour russe.

Le Proche- et le Moyen-Orient vivent toujours les suites d la disparition de l’empire ottoman, mais aussi des protectorats décidés à la suite de la Première Guerre mondiale. Aucun des États de la région ne brille par la solidité de son État-nation : Irak, Syrie, Jordanie, Arabie Séoudite, émirats du Golfe… L’Asie centrale connaît toujours le drame d’un État tampon depuis un siècle et demi, l’Afghanistan, établi pour séparer deux empires, sans même parler du Pakistan, État issu d’un empire des Indes et qui cherche toujours son identité. Plus au nord, les États issus de l’URSS (Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan, Kazakhstan) ne montrent pas une solidité évidente.

Quant à l’Afrique, la décolonisation a joué son rôle, même si elle n’est pas seule responsable des troubles que connaît le continent. Notons qu’il y a des réussites mais aussi de nombreux pays ayant des difficultés à s’établir en État Nation, qu’ils soient issus de l’empire français (Mali, Burkina Faso, RCA), belge (RDC, Ruanda), anglais (Soudan, Zimbabwe, Nigeria), portugais (Angola), italien (Érythrée, Somalie)…

L’origine impériale ne suffit évidemment pas à expliquer le mauvais État : le Liberia ou Haïti n’ont pas eu besoin de cette explication pour échouer. De même, des territoires venant d’empires ont réussi leur transformation. Il n’y a donc pas de règle absolue liant l’héritage impérial à de difficiles constructions étatiques, seulement une tendance assez lâche. Nous sommes encore en train de gérer des héritages d’empire. La notion d’État failli est controversée, même si le think tank américain Fund for peace a mis au point un index annuel de ces États « fragiles », construit à partir d’une douzaine de critères (5). La carte montre bien les zones où se situent ces États faillis.

Diversité de populations

Un autre trait de l’empire tient à la diversité des populations rassemblées sous son joug. Cela est vrai d’un point de vue macroscopique comme microscopique.

La chose est évidente du point de vue macroscopique : un empire réunit des populations aux mœurs et aux cultures différentes, cela est même son critère. Une de ses difficultés consiste justement à gérer cette diversité, à réussir à construire une certaine unité tout en ménageant plus ou moins d’autonomie de façon à réduire les troubles. En effet, les populations soumises doivent trouver un certain confort à leur soumission. Le pouvoir central doit donc manier la force mais proposer aussi des services en échange : plus il obtient l’adhésion, moins il doit déployer de force et donc plus il peut s’économiser pour allouer ses ressources de puissance à d’autres objectifs.

Cela est d’autant plus facile que le territoire dominé n’est pas trop homogène. En effet, si c’est le cas, la population locale peut puiser dans sa masse la revendication d’une plus grande autonomie : le gradient de puissance n’est pas assez net pour que le pouvoir central puisse ignorer cette tendance. L’empire austro-hongrois est typique de cette évolution : les Magyars étaient assez puissants (assez près de la capitale, il faut aussi le noter) pour que les Habsbourg leur accordent des privilèges. L’empire devient ainsi une double monarchie, « K und K (6) » comme l’on disait à l’époque. Nombreux ont d’ailleurs vu dans cette réémergence du sentiment national la raison de la fin de l’empire (7).

Toutefois, l’empire peut aussi rencontrer une diversité de population au niveau local : sur un territoire donné, de multiples minorités sont réunies par les circonstances ou les héritages de l’histoire. Alors, l’empire joue le rôle de juge de paix et permet de réduire les inimitiés. Chacun s’accorde finalement à une férule distante mais supportable plutôt qu’à la domination d’un voisin très proche et donc insupportable. On observe de nombreux exemples de cette logique : la Bosnie-Herzégovine (sous les Ottomans comme sous les Austro-hongrois), le Liban et la Syrie, l’empire des Indes, mais aussi une grande part des empires africains. Certains voient d’ailleurs la même logique à l’œuvre dans la constitution de l’Alliance atlantique où les Européens préfèrent s’en remettre à un parrain puissant et distant (un océan d’écart !) pour éviter leurs luttes intestines qui ont été suicidaires (8).

Atouts de l'empire

Voici une des principales vertus de l’empire : il permet l’apaisement des tensions locales, la fin des guerres picrocholines. Il constitue une réponse au dilemme des minorités. Celles-ci en effet ont écouté le grand récit moderniste issu de la Révolution française, celui qui promeut la Nation et lui associe un État. Voici donc le printemps des peuples au XIXe siècle puis les luttes de décolonisation au XXe : le modèle de l’État-nation est présenté comme la forme politique la plus aboutie et la plus progressiste. Tout peuple veut donc son « indépendance », quelle que soit sa taille et sa viabilité. Ceci entraîne une grande confusion puisque des micro États n’ont pas les moyens de leur indépendance et trouvent des ressources alternatives : soit des subsides en récompense de positions politiques internationales (vote à l’ONU, reconnaissance de la Chine populaire au lieu de Taïwan), soit au moyen de tolérances juridiques qui expliquent l’existence de bien des paradis fiscaux.

Le récit de la « libération nationale » revient à appuyer sur les sentiments identitaires localisés, voire à les susciter là où ils étaient absents ou latents. La raison ne tient pas seulement à des difficultés sociales : ainsi, en Europe, des revendications nationales apparaissent dans des régions riches qui veulent justement se séparer d’un centre jugé plus faible et donc exploiteur (Flandres, Catalogne, Padanie dans les années 1990). Mais il est évidement très vif dans des zones conflictuelles : le mouvement kurde s’est ainsi renforcé à la suite des difficultés politiques en Turquie mais aussi de la guerre d’Irak puis de la guerre de Syrie. Le conflit au Mali posait à l’origine une question touarègue au nord, il s’est depuis étendu à des questions ethniques au centre du pays opposant Peuls, Dogons, Bambaras, …

Une autre conséquence de ces revendications nationales de minorités consiste en l’épuration ethnique, plus ou moins violente. Il ne faut pas oublier que l’Europe d’après-guerre a organisé de tels mouvements avec le déplacement de nombreuses minorités allemandes à travers le continent. Plus récemment, les guerres de Yougoslavie ont conduit à des homogénéisations ethniques. Nul ne doute que la guerre en Syrie produira des effets similaires. Les réfugiés en dehors du pays, les déplacés à l’intérieur, se réuniront sur des bases ethniques et politiques, forçant une homogénéisation des minorités.

L’empire favorise donc une sorte d’équilibre entre la stabilité et la liberté. La revendication nationale se place évidemment sous le prisme de la liberté (ne parle-t-on pas de « libération nationale »), quand l’empire prétend apporter la stabilité. L’équilibre est parfois atteint mais l’évolution des mœurs, des conditions sociales et économiques, des influences politiques et des modes culturelles constituent autant de facteurs qui vont mouvoir cet état temporaire. Car si l’empire est comme toute construction humaine un édifice temporaire, il s’appuie sur des territoires qui sont eux-mêmes en mouvement, alors qu’on a l’illusion de les croire fixes. Si le substrat géographique évolue lentement, la couche humaine connaît en revanche des mouvements beaucoup plus vifs. Il n’y a pas de stabilité politique sans véritable politique territoriale.

O. Kempf

  • 1 H. Inglebert, « Les empires rassemblent sans se ressembler », in Coll., Atlas des Empires (pp. 30-31), Le Monde-La Vie, 2016.
  • 2 Cf. Ch. Grataloup, qui propose un schéma de l’assimilation impériale des Han (barbares crus, barbares cuits), in « Génèse impériale de la nation chinoise » in Coll, Atlas des empires, Le Monde & La Vie, 2016, p. 13.
  • 3 P. Kennedy, Naissance et déclin des grands puissances, Payot, 1989 (éd. originale : The rise and fall of great powers, Random House, 1987).
  • 4 J. Burbank et F. Cooper, Empires, de la Chine ancienne à nos jours, Payot, 2011.
  • 5 http://fundforpeace.org/global/what-we-do/fragile-and-conflict-affected-states/ accès le 6 août 2018.
  • 6 Kaiserische und Königische.
  • 7 François Fejtö, Requiem pour un empire défunt. Histoire de la destruction de l'Autriche-Hongrie, Lieu Commun, 1988.
  • 8 O. Kempf, L’OTAN au XXIe siècle, la transformation d’un héritage, Le Rocher, 2015, 2ème édition.
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Crépuscule de l'histoire (S. Sand)

lun, 06/08/2018 - 17:54

Je profite du creux de l'été pour publier des fiches de lecture en retard, qui retracent ce que j'ai pu lire au cours des 8 derniers mois...

On connaissait Shlomo Sand pour son remarquable "Comment le peuple juif fut inventé". Je m'aperçois que je n'avais pas publié de fiche de lecture pour cet ouvrage, qui demeure incontournable et explique d'ailleurs celui-ci que je chronique aujourd'hui.

En effet, Shlomo Sand est un historien israélien atypique, en marge du discours historique convenu de son pays. Ses travaux ont d'ailleurs suscité beaucoup de polémiques là-bas (mais aussi en France, où il a beaucoup travaillé), ce qui l'a amené à réfléchir justement sur le rôle de l'historien et son rapport au récit national. Bref, à écrire un livre sur l'historiographie et le métier d'historien.

Il montre ainsi qu'au cours de l'histoire, l'historien n'a quasiment jamais été "indépendant" mais toujours au service d'un pouvoir. Il démonte l’illusion scientifique qui fait rage au XXe siècle et permet aux historiens d'alors de se prévaloir d'un orgueil intellectuel d'autant plus important qu'il sert la construction nationale des États d'alors.

Viennent proutant les premières remises en question. L'Ecole des Annales propose une lecture statistique de l'histoire, sans remettre en cause pourtant son rôle de soutien politique. Puis vint le temps des déconstructeurs, sans pour autant qu'ils proposent une meilleure façon d'écrire l'histoire.

Est-il alors impossible d'être historien ? S. Sand cite ici Weber et Georges Sorel (auquel il a consacré une thèse) qui ont des propositions similaires de "penser local" (si l'on me permet cette expression de mon jus).

Voici donc un ouvrage passionnant. On pense en le lisant à Yves Lacoste (non cité par Sand) et à sa "Géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre" (voir billet). On se souvient que le fondateur de l'école française de géopolitique s'insurgeait contre la domination des historiens envers les géographes, à propos justement de la création du récit géopolitique...

On pense surtout au débat actuel sur les fausses nouvelles et bobards (anglicisme : fake news). Il faut ici relire l'ouvrage de F.-B. Huyghe sur le sujet (voir billet) pour comprendre que le débat dépasse le seul cas de l'historiographie pour évoquer la production de tout discours intellectuel en sciences humaines. La vérité est-elle en effet atteignable, après la post-vérité ? Quelles méthodes utiliser pour éviter d'une part les citations croisées et l'érudition qui n'ont que l'apparence de la scientificité, sans tomber dans un doute systématique qui est délétère et corrupteur à la longue ?

Comment articuler les convictions et la neutralité indispensable à tout discours élaboré sur la marche du monde ? La critique de S. Sand sur l'écriture du passé vaut évidemment pour la description du présent (ou du juste passé, pour être parfaitement exact).

On comprend pourquoi cet ouvrage est lui aussi absolument indispensable et qu'il est urgent de le lire.

O. Kempf

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Géopolitique du cyberespace (entretien audio avec Conflits)

dim, 29/07/2018 - 18:32

J'ai eu un long entretien avec Jean-Baptiste Noé pour une diffusion audio diffusée sur Conflits. Il m'interrogeait sur la géopolitique du cyberespace. Une heure (ou presque) de conversation audible ici.

O. Kempf

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La France face au numérique : une souveraineté rénovée ? (RIS n° 110)

ven, 27/07/2018 - 18:28

Le dernier numéro de la Revue Internationale et Stratégique était consacré à "Géopolitique et technologie (ici). J'y ai signé un article consacré à la souveraineté numérique...

En matière d’informatique, si le quinquennat de François Hollande avait surtout été marqué par la cyberdéfense, la souveraineté numérique et la transformation digitale semblent constituer les priorités du quinquennat d’Emmanuel Macron. On a en effet d’abord assisté à une prise de conscience de la notion de souveraineté numérique au cours des cinq dernières années. Elle fut particulièrement visible lors de la dernière campagne présidentielle, et le nouveau président de la République a très tôt voulu très tôt marquer ses priorités, que ce soit au travers de la Revue stratégique ou à l’occasion du grand discours de la Sorbonne. De premières mesures ont été prises, qu’il s’agisse du Plan d’action 2022 de réforme de l’État, des assignations de Google par le ministère de l’Économie et des Finances ou encore du rapport Villani sur l’intelligence artificielle. L’Union européenne (UE) se mobilise également, ce qui constitue un tournant, notamment par le règlement général sur la protection des données (RGPD) ou la proposition de « présence numérique » pour taxer le chiffre d’affaires des géants du secteur.

Trois dimensions s’articulent autour de cette question de la souveraineté numérique : le stockage et la possession des données que nous générons à chaque instant et qui sont pourtant utilisées « par quelqu’un » ; le pouvoir de l’État, restreint à ses frontières et donc limité pour contraindre les grandes compagnies transnationales ; le niveau technologique d’une nation.

Plus ici.

O. Kempf

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Le nouvel âge des cyberconflits (Conflits n° 18)

mer, 25/07/2018 - 18:13

La revue Conflits vient de publier son numéro 18 qui s’interroge sur "Que sera la guerre au XXIème siècle ?". (éditorial et sommaire ici).

J'y publie un article sur "Le nouvel âge des cyberconflits".

O. Kempf

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