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2023-06-28T12:43:19+02:00 Olivier Kempf
Mis à jour : il y a 2 mois 4 semaines

L'avenir de l'OTAN

mar, 02/07/2019 - 21:29

Vous le savez peut-être, je suis chercheur associé à la FRS. Dans le cadre d'un séminaire tenu l'autre jour à Paris, à l'occasion du 70ème anniversaire de l'OTAN, on m'a demandé quelques mots sur l'avenir de l'OTAN. J'aurais certes pu reprendre ce que j'ai déjà écrit et qui est assez pessimiste (par exemple ici). Je me suis essayé à quelque chose de plus ouvert, sinon optimiste. Vous avez le résultat ci-dessous, en français (et bien sûr en anglais).

source

As you may know, I am an associate researcher at the FRS. At a seminar held the other day in Paris, on the occasion of NATO's 70th anniversary, I was asked to write a few words about the future of NATO. I could certainly have taken what I have already written and which is rather pessimistic (for instance here). I tried something more open, if not optimistic. You have the result below, in French (and of course in English)

Après soixante-dix ans, l’Alliance s’interroge sur son avenir. Certes, l’environnement international est marqué par la montée des risques et la fin de l’ordre mondial auquel nous étions habitués. Mais justement, si la montée des risques devrait favoriser l’OTAN, la remise en cause de l‘ordre mondial la touche également. Voici donc l’Alliance soumise à des mouvements contradictoires.

Ce n’est pas faute de vouloir s’adapter : depuis la fin de la Guerre froide en effet, l’Alliance a passé son temps à se transformer, au point d’ériger cette fonction en commandement stratégique à Norfolk. De même, elle a créé au siège une division des défis de sécurité émergents, qui s’occupent des nouvelles questions : terrorisme, sécurité énergétique, cyber, etc… Enfin, la montée des tensions (et la pression américaine, qui avait d’ailleurs précédé l’arrivée de D. Trump au pouvoir) a suscité une prise de conscience, celle d’accroitre les moyens consacrés à la défense : ce fut l’engagement du sommet de Galles, celui des 2% de PIB consacrés au budget de défense. Les alliés européens s’y dirigent doucement.

Insuffisamment aux yeux du nouveau président américain. Voici en fait une course entre l’impatience budgétaire de ce dernier, qui menace ouvertement de quitter l’Alliance, et le « partage du fardeau », ce qui dans son esprit signifie l’achat croissant de matériels américains. Aux dépens de l’Union européenne. Cela soulève un autre problème : l’Alliance doit conjuguer ce défi stratégique à un autre, celui de l’autonomie européenne. En effet, le raidissement américain suscite une prise de conscience chez nombre d’Européens qui pousse certains à promouvoir une défense européenne. Nous voici revenus au tournant des années 2000, lorsqu’on discutait de la non-duplication. Cette montée en puissance permettrait de soutenir l’autonomie stratégique européenne. Il faudrait alors mieux articuler les deux bras armés, Alliance d’un côté, Défense européenne de l’autre. Est-ce seulement possible, surtout si l’autonomie européenne est conçue par certains comme un moyen de résister à la pression américaine, alors que l’Alliance consiste justement à maintenir les Américains dans la sécurité stratégique européenne ? Le premier objectif de l’alliance reste bien de « keep the Americans in », comme le constatait le premier secrétaire général, lord Ismay.

Pour autant, on peut rester optimiste car ces questions se posent finalement depuis des décennies : le thème du partage du fardeau a émergé dans les années 1960 et l question de l’autonomie européenne depuis les années 1990. Quant au président Donald Trump, chacun commence à décoder ses manières de négociation, toujours brutales, portant très haut les enchères, pour finalement arriver à des deals.

Dans ce cas : Nihil nove sub soli.

  After seventy years, the Alliance is wondering about its future. Admittedly, the international environment is marked by rising risks and the end of the world order to which we were accustomed. But precisely, if the rise in risks should favour NATO, the questioning of the world order also affects it. So the Alliance is subject to contradictory movements.

It is not for lack of willingness to adapt: since the end of the Cold War, indeed, the Alliance has spent its time transforming itself, to the point of establishing this function as a strategic command in Norfolk. Similarly, it has created at NATO HQ a division for emerging security challenges, which deals with new issues: terrorism, energy security, cyber, etc. Finally, the rise of tensions (together with American pressure, which preceded the arrival of D. Trump in power) has raised the awareness of the necessity to increase the resources devoted to defence: this was the commitment of the Wales’ summit, that of the 2% of GDP devoted to the defence budget. The European allies are moving slowly towards it.

Insufficient in the eyes of the new American president. Here is actually a race between the latter's budgetary impatience, which openly threatens to leave the Alliance, and "burden sharing", which in his mind means the increasing purchase of American equipment. At the expense of the European Union. This raises another problem: the Alliance must combine this strategic challenge with another one, that of European autonomy. Indeed, the American stiffening is raising awareness among many Europeans, which is pushing some to promote a European defence. We are back at the beginning of the 2000s, when we were discussing non-duplication. This increase in power would make it possible to support European strategic autonomy. It would then be necessary to better articulate the two armed arms, Alliance on one side and European Defence on the other. Is this only possible, especially if European autonomy is conceived by some as a means of resisting American pressure, whereas the Alliance consists precisely in keeping Americans in European strategic security? The first objective of the alliance remains to "keep the Americans in", as noted by the first Secretary General, Lord Ismay.

Nevertheless, we can remain optimistic because these questions have finally been raised for decades: the theme of burden sharing emerged in the 1960s and the question of European autonomy since the 1990s. As for President Donald Trump, everyone is beginning to decode his ways of negotiating, always brutal, raising the stakes very high, to finally reach deals.

In this case: Nihil nove sub soli.

Olivier Kempf

Catégories: Défense

Lune rouge

mar, 25/06/2019 - 18:26

Je reste attaché à Lefranc, série mineure de Jacques Martin mais qui a été reprise par plusieurs auteurs. Elle est moins réputée que les Blake et Mortimer alors pourtant que la période est la même. DIsons qu'il s'agit là d'une ambiance française, avec moins de tweed mais plus de voitures de sports, et qu'on est plus proche de l'environnement historique quand B&M sont plus distants. Enfin, Lefranc touche plus à l'espionnage quand B&M s'inspire plus de la science fiction.

Évoquons tout de suite les points faibles : un exposé verbeux au cours des trois premières pages, une intrigue un peu poussive et pas très convaincante (Lefranc qui devient un auxiliaire de la CIA pour une opération d'infiltration montée en trois jours) : autrement dit, le scénario peine à convaincre, Corteggiani nous avait habitué à plus de soin. Après, montrer l'alliance spatiale entre la Russie et la Corée du Nord au milieu des années 1950 est quelque chose d'intéressant.... à défaut d'être crédible.

Il reste le dessin qui est très bien troussé, avec un Lefranc qui vieillit : on avait un jeune trentenaire, on sent qu'il est désormais quadra.... J'ai beaucoup apprécié la peine page du site de la fusée, qui rappelle évidemment Objectif lune.

Car voici au fond le grand bonheur de cette BD : ses nombreuses citations de Hergé (Objectif Lune mais aussi L'affaire Tournesol), Blake et Mortimer, voire Buck Danny pour les paysages d'avions dans la jungle.

Autrement dit, ce n'est pas une extraordinaire réussite mais un album plaisant, plus pour les dessins et les citations que pour l'histoire.

Lune rouge (Lefranc, chez Casterman)

O. Kempf

Catégories: Défense

Le nouvel équilibre des DSI face à la transformation digitale

ven, 21/06/2019 - 15:29

Victor Fèvre est un jeune professionnel du secteur de la cybersécurité mais aussi de la transformation digitale. Je suis heureux de l'accueillir. OK

La transformation digitale a révélé que toutes les organisations - publiques ou privées, peu importe leur cœur de métier ou leur business model - étaient concernées par le numérique : paradoxalement, cela a été souvent mal vécu par les directions des systèmes d'informations.

L'irruption des métiers dans ce qui était considéré comme le "pré carré" et le monopole des DSI a rarement été vue d'un bon œil et a plutôt eu tendance à déclencher des réflexes de repli sur soi et de rejet.

La transformation digitale était parfois stigmatisée comme mode, sans chercher à comprendre les mécanismes profonds de cette transformation (le mot digital est accessoire) et la formidable opportunité qu'elle pouvait représenter grâce à une nouvelle approche du numérique.

En effet, le cycle court des métiers en front-office, en prise directe avec les clients et mettant au cœur de la démarche la convivialité de l'expérience utilisateur, n'est pas aisément compatible avec la temporalité plus longue des experts techniques des projets informatiques.

Pourtant, il s'agit bien là de la clé du succès d'une organisation conduisant sa transformation digitale. C'est là où la posture des DSI est en pleine évolution par rapport à la situation d'il y a 2 ou 3 ans.

Aujourd'hui, les DSI se sont réinventées un rôle dans le nouvel équilibre économique et restent régaliennes pour la cybersécurité de leur organisation. La sécurité des systèmes d'information commence de plus en plus à être vécue non plus comme une contrainte, mais bien comme une opportunité "au profit" des organisations.

La vague des rançongiciels de 2017 a marqué les esprits et les PME se sont réellement rendues compte que les cybermenaces n'étaient pas l'apanage de services de renseignement, des militaires ou des OIV. Une cyberagression peut être mesurable et avoir un impact monétaire immédiat.

Ainsi, les DSI peuvent maintenant se positionner en tant que garants d'une cybersécurité considérée comme facteur de réussite et parfaitement indissociable de la transformation numérique de leur organisation. Mieux, elles gagnent en visibilité, en reconnaissance et en importance: ce n'est pas le bastion d'ingénieurs ou d'informaticiens "dans leur monde", mais leur travail est l'affaire de tous. Les DSI deviennent vraiment un acteur incontournable.

La maturité des DSI sur les nouveaux modèles économiques (SaaS, Cloud) augmente notablement et nous pouvons espérer que les entreprises ne s'y précipiteront pas à l'aveugle, mais en ayant bien réfléchi aux avantages qu'un système ou un modèle pouvait apporter à leur SI ou leur produit, tout en prenant les mesures adéquates pour limiter les risques associés.

V. Fèvre

Catégories: Défense

Quel projet pour l'UE ? (parution)

lun, 17/06/2019 - 20:34

Heureux d’annoncer la parution d’un ouvrage auquel j'ai contribué, ayant proposé un texte sur “L’évolution de l’OTAN : des fins de l’Alliance à la fin de l’Alliance“. Vous trouverez ci-dessous les détails de cet ouvrage et de ses nombreux contributeurs.

QUEL PROJET DEMAIN POUR L’UNION EUROPÉENNE D’AUJOURD’HUI ?

Sous la direction de Pierre Pascallon

« Notre monde est-il au bord du gouffre ? » On a pu montrer que le monde des années 2010-2015 n’était plus celui de « la mondialisation heureuse » (A. Minc) marqué par « la fin de l’Histoire » (F. Fukuyama), mais le monde d’une « mondialisation dure ». Force est de reconnaître que ces dernières années ont confirmé ce désordre grandissant : on en vient à parler de « l’affolement du monde » (Th. Gomart). On ne s’étonnera donc pas qu’à l’heure du redéploiement des cartes de la puissance mondiale, l’Union européenne nous montre aujourd’hui le visage d’un vieux continent en plein doute qui doit à nouveau s’interroger sur ses contenus et finalités, à l’horizon 2030-35.

Ont contribué à cet ouvrage : Ludmila CHERENKO, le général (2S) Etienne COPEL, l’Amiral (2S) Jean DUFOURQ, le Recteur Gérard-François DUMONT, Jean-Claude EMPEREUR, Jean-Marc FERRY, le général (2S) Gilles GALLET, Thierry GARCIN, Pascale JOANNIN, Philippe MOREAU-DEFARGES, le général (2S) Olivier KEMPF, Hartmut MARHOLD, Sylvie MATELLY, Jacques MYARD, Pierre PASCALLON, Charles SAINT-PROT, Jacques SAPIR, Irnério SEMINATORE, Hans STARK, Pierre-Emmanuel THOMANN, Alexandre VAUTRAVERS, le Recteur Charles ZORGBIBE.

Pierre Pascallon est professeur agrégé de faculté. Ancien parlementaire, il anime depuis une vingtaine d’années le Club Participation et Progrès, structure de rencontre ouverte et reconnue dans le paysage français des organismes et des institutions s’ intéressant aux questions de défense et aux problèmes géo-stratégiques.

Avant-propos Introduction générale : l’Europe d’hier à aujourd’hui Partie I : le projet demain, à l’horizon 2030-2035, d’une Union européenne rebâtie dans un vaste ensemble euro-atlantiste I.1) Le projet d’Union européenne dans le cadre, demain, d’un vaste ensemble euro-atlantiste : présentation I.2) Le projet d’Union européenne dans le cadre, demain à l’horizon 2030-2035, d’un vaste ensemble euro-atlantiste : débat Partie II : le projet demain, à l’horizon 2030-2035, d’une Union européenne recentrée sur un petit noyau fédéral ouest-européen II.1) Le projet d’Union européenne dans le cadre, demain, d’un petit noyau fédéral ouest-européen : présentation II.2) Le projet d’Union européenne dans le cadre, demain, d’un petit noyau fédéral ouest-européen : débat

Pour une prélecture : cliquez ici

Le site de l’Harmattan avec lien direct vers l’ouvrage : cliquez ici

Broché – format : 15,5 x 24 cm ISBN : 978-2-343-17407-5 • 12 avril 2019 • 286 pages

Catégories: Défense

Chercheur associé à la FRS

jeu, 13/06/2019 - 20:39

La Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) m'a fait le très grand honneur de m'accueillir comme chercheur associé. J'y traiterai surtout des questions de cyber mais aussi d'intelligence artificielle et reviendrai vous raconter, en temps utile, les quelques projets que l'on a dans nos cartables.

Lien vers la page de présentation.

O. Kempf

Catégories: Défense

L'Algérie, le hirak et la France (La Vigie)

mar, 11/06/2019 - 19:44

J'ai peu publié sur l'Algérie dans Egéa, même si j'ai toujours suivi attentivement ce qui se passait dans ce pays si proche. C'est pourquoi il est important de vous signaler le récent dossier, en lecture gratuite, que La Vigie consacre au sujet avec son dossier stratégique n° 11 : L'Algérie, le hirak et la France (daté du 30 mai 2019).

En effet, La Vigie suit attentivement le dossier maghrébin depuis de nombreuses années. Au centre du Maghreb et dans une relation ancienne à la France, il y a l’Algérie. Ce pays proche est un thème d’études régulier du Cercle euromaghrébin de La Vigie (CEM : lien) que nous conduisons depuis plus de deux ans. Ce Cercle réunit pour un échange de vues mensuel et informel quelques spécialistes ou experts intéressés par les questions euromaghrébines et par la perspective stratégique de la Méditerranée occidentale. Il va de soi que le Hirak (le mouvement) déclenché en Algérie depuis plusieurs mois a particulièrement mobilisé le CEM, d’autant plus qu’il entretient des contacts multiples avec des acteurs et chercheurs sur place, ce qui lui offre une vue précise de la situation en Algérie.

Aussi, après avoir été relativement discrets jusqu’ici à ce sujet (tout de même : deux lorgnettes du LV 112 et 115, un article du LV 117, un billet sur le site), il nous semble aujourd’hui opportun de faire valoir nos vues sur ce dossier qui intéresse la France au premier chef.

C’est pourquoi les deux rédacteurs habituels de La Vigie se sont associés la compétence et l’autorité du professeur Kader Abderrahim, maître de conférences à Science Po et membre du CEM.

Voici donc un texte à trois voix qui parle surtout de l’Algérie, mais aussi du Maghreb et de la France.

Cliquer ici pour télécharger l'étude au format pdf.

Source image

O. Kempf

Catégories: Défense

IA, explicabilité et défense

lun, 10/06/2019 - 19:24

Près d'un mois sans avoir publié sur ce blog, et je m'en excuse. Pour vous récompenser, l'annonce d'un article paru dans un excellent numéro spécial Intelligence Artificielle, dans la Revue Défense Nationale du mois de mai (n° 80). Il s'intitule"IA, explicabilité et défense" (ici). Je l'ai co-écrit avec Eloïse Berthier, jeune Polytechnicienne, actuellement en thèse d'IA....

Résumé : L’IA est une réalité déjà ancienne mais son champ d’emploi ne cesse de s’élargir et accapare des domaines nouveaux, en particulier pour la défense. L’IA est polymorphe et se retrouve confrontée à un problème d’explicabilité. Pourquoi et comment sont les questions qui se posent pour les applications liées au contexte militaire ?

Abstract : AI is in itself old news but its fields of application never cease to expand and capture new ones, particularly in the defence domain. AI takes on many forms and faces a problem of how it should be described. Why? and how? are the questions to be asked about those applications with a military connection.

Premières lignes ci-dessous.

L’intelligence artificielle (IA) est le concept « numérique » dont on parle le plus depuis ces derniers mois. Les grands noms (Elon Musk, Stephen Hawking) s’en émeuvent, les publicistes en vogue écrivent des livres dessus (Luc Ferry, Laurent Alexandre), le gouvernement appelle une médaille Fields pour écrire un rapport sur le sujet (rapport Villani) : autant dire que tout le monde a entendu parler d’IA, sous les atours les plus flatteurs et les plus inquiétants, d’ailleurs pour la même raison : ce serait capable de tout faire mieux que l’humain.

Il faut bien sûr raison garder et se méfier de ces modes qui animent régulièrement le débat public. Observons au passage qu’il s’agit là d’une résurgence (avec d’autres mots) d’un débat très ancien sur le progrès et son rôle dans nos sociétés humaines : le mythe de Prométhée est antique, lui qui vola le savoir divin pour le donner aux hommes. La tension entre le savoir et la connaissance (voire la sagesse) est une question philosophique classique qui trouve ici de nouveaux atours. Ajoutons le mythe de la créature qui prend le pas sur son créateur : là encore, de Pygmalion à Frankenstein puis Dr Jekyll et Mr Hyde, l’humanité a construit beaucoup de modèles inquiétants : sait-on d’ailleurs que Mary Shelley sous-titra son roman « Le Prométhée moderne » ?

La suite à lire dans la RDN

O. Kempf

Catégories: Défense

Pays du Golfe (S. Boussois)

sam, 11/05/2019 - 16:33

Voici un livre déconcertant. Au fond, il est mélangé, avec de bonnes choses et quelques unes qui le sont moins. Je n'en suis pas sorti totalement convaincu.

Le titre tout d'abord, qui est finalement assez trompeur. En effet, tout est vu à l'aune de la crise entre l'Arabie Séoudite et le Qatar, déclenchée en 2017. Il s'agit donc moins d'une étude sur les pays du Golfe que sur une crise qataro-séoudienne, qui implique évidemment les autres pays de la péninsule.

Le livre est découpé en une trentaine de courts chapitres, articulés en trois grandes parties : "Aux origines d'une crise", "Une nouvelle guerre froide ?", "D'une crise régionale à une crise mondiale".

La succession de chapitres est finalement assez décousue. Du coup, on se perd un peu à la lecture, sachant que l'appareil de notes est décevant (en plus, reporté à la fin de l'ouvrage, ce qui est profondément agaçant). On n'aperçoit pas de bibliographie ni de carte non plus.

Il reste malgré tout une mine d'informations et de détails qui raviront les spécialistes à l'affut de petites pépites. Mais si l'on cherche un ouvrage de synthèse, permettant un point de situation, il vaut mieux ne pas commencer par cela.

Un autre biais agaçant est le parti-pris de l'auteur, qui charge énormément l'Arabie et se retrouve donc à plaider pour le Qatar. Non pas qu'il faille vouloir établir un équilibre à tout prix, ni même défendre le royaume séoudien et notamment la direction de MBS, qui est comme chacun sait hautement critiquable (brutalité intérieure, interférence au Liban et avec le premier ministre quasi kidnappé, guerre au Yémen, affaire Kashoggi, ... : la liste est longue). Mais du coup, le Qatar est présenté comme un modèle de vertu, ce qui est probablement excessif. Ainsi, le livre de Chesnot et Malbrunot, Nos très chers émirs (ici) n'est pas cité.

Le livre évoque le rôle des Émirats Arabe Unis (on comprend que MBZ est le génie malfaisant derrière MBS) puis très brièvement les autres pays de la région (Oman, Koweït, Barhein). L'Iran ou le Yémen sont rapidement cités, tout comme les États-Unis. Ainsi, l'ouvrage se concentre exclusivement sur une rivalité intra-péninsulaire, ce qui a sa logique mais omet quand même un certain nombre de grands acteurs extérieurs qui auraient mérité une étude plus attentive.

Au final, un livre intéressant, qui vient compléter les connaissances sur un théâtre particulier : encore fait-il avoir des bases assez précises de l'environnement général pour en tirer tout son fruit.

Sébastien Boussois, Pays du Golfe, les dessous d'une crise mondiale, Armand Colin, février 2019, 216 p., 22,9 €. Lien vers l'éditeur

O. Kempf

Catégories: Défense

Transformation digitale : une interview

dim, 05/05/2019 - 11:32

Le London Speaker Bureau m'a demandé une interview à la fois sur les questions de cyber et de transformation digitale: il était intéressant de relier les deux, c'est si rare. Lien ici, interview ci-dessous.

La chaîne hôtelière Marriott a été récemment victime d’une attaque de piratage qui a causé le vol d’un fichier informatique contenant les données personnelles de 500 millions de clients. Les affaires de piratage informatique à grande échelle font régulièrement la une des journaux. Sommes-nous réellement en mesure de contrer ces cyberattaques ? Sont-elles destinées à s’intensifier ?

Oui, on observe un double phénomène : celui de l’augmentation du nombre d’attaques, mais aussi celui de leur effet puisqu’à la fois elles sont plus évoluées et elles touchent des cibles toujours plus grandes. Malgré leur discrétion, comme la régulation oblige (notamment en Europe) à déclarer ses incidents, notamment touchant les données personnelles, le sujet devient plus visible. Ce qui était autrefois un « secret de famille » devient de notoriété publique, accélérant (heureusement) la prise de conscience du problème. La question de la transformation digitale est aujourd’hui omniprésente dans notre société. Quid de la cybersécurité ? Pensez-vous qu’il y ait une réelle prise de conscience des failles informatiques existantes ?

En fait, la transformation digitale amène toutes les entreprises et organisations à prendre conscience du rôle de leurs données. Pas seulement les données personnelles, mais toutes les données de l’entreprise, ce qui provoque la modification des modèles d’affaire (c’est bien pour cela qu’on parle de transformation). Une des questions collatérales est celle de la maîtrise de la donnée, donc de la protection des données de l’entreprise. De ce point de vue, il y a encore un effort de pédagogie à faire pour que la sécurité des systèmes ne soit pas seulement un problème de spécialistes (le RSSI, la DSI) mais intéresse aussi les autres directions, notamment production, marketing ou finances, qui s’intéressent désormais à la transformation digitale. Bref, l’objectif consiste à conjuguer deux cultures, dans un contexte déstabilisant. Ce n’est à l’évidence pas simple.

Les organisations gouvernementales sont-elles en mesure de faire face aux menaces à la cybersécurité au même titre que les grandes entreprises ou existe-il une course à deux vitesses ?

La différence ne tient pas tellement au secteur (public ou privé) mais plutôt à la taille. J’observe que tous les grands comptes ont des approches très matures et professionnelles, que les organisations de taille intermédiaire se sont saisies du problème mais font évidemment face à une question de moyens, que les petites organisations (par exemple petites villes ou PME) sont souvent désarmées. Mais quelle que soit la taille, tout le monde fait face à une course aux armements, due à l’augmentation de la menace évoquée dans la première question. Des dispositifs existants aujourd’hui auraient été considérés idéaux il y a dix ans et doivent être pourtant améliorés encore et encore…

Vous intervenez en tant que consultant en France et à l’étranger. Selon vous, quelle est la position de la France en termes de compétences en cybersécurité par rapport au reste du monde ?

Sans forfanterie, très bonne. Si on fait la comparaison avec le football, la France fait partie de la première ligue, même si elle ne joue pas le titre, seulement une place européenne. Il y a une véritable prise de conscience et de vrais experts mais évidemment, une limite de ressources, tant financières qu’humaines. Cela étant, la mobilisation des compétences existantes est de bonne qualité et permet à la France de survaloriser ses atouts comparatifs. C’est évidemment en Europe où elle est située en deuxième position, voir première. À l’échelle du monde, on ne se compare évidemment pas aux États-Unis ou à la Chine.

Pouvez-vous nous en dire plus quant au déroulement du processus de transformation numérique de l’armée de Terre ? Quels ont-été les principaux défis auxquels vous avez dû faire face au cours de cette mutation ?

Je me dois de rester discret, ne serait-ce que parce que je ne suis plus aux affaires ! Paradoxalement, une grande facilité a été d’avoir une page blanche et surtout le soutien du numéro un de l’armée de Terre. Du coup, cela aide à vaincre les scepticismes. Car la transformation consiste d’abord à changer les esprits, avant d’être une question de moyens. Bref, il a fallu mener un grand travail de définition du sujet, de conviction, d’identification des premiers projets éclaireurs qui ont permis de répondre à des questions pendantes ; puis de commencer à trouver des relais pour que ce ne soit plus une affaire de petite équipe.

Aujourd’hui, deux projets notamment permettent de répondre aux besoins de l’usager (dans l’armée, c’est le militaire du rang et le cadre de contact) : milistore (une sorte de magasins d’appli dédiées et sécurisées accessibles à partir de mobiles civils) et une appli de gestion des livrets d’instruction, sur l’intranet protégé du Ministère, destiné aux chefs de section. Il demeure deux grands défis (mes successeurs y travaillent) : poursuivre l’articulation avec les besoins de cybersécurité (j’étais également responsable de la politique de cyberdéfense de l’armée de Terre, cela a aidé à conjuguer deux approches en apparence opposées) ; mais aussi « passer à l’échelle », ce qui pose des questions techniques et financières, mais aussi de changement de mentalité et, à terme, de modification de la façon de travailler.

La course à l’innovation s’intensifie et les nouvelles technologies se renouvellent sans cesse. La digitalisation est-il un processus sans fin ?

Oui. La révolution informatique que nous connaissons a débuté il y a une quarantaine d’années avec plusieurs vagues. La première fut celle de l’ordinateur individuel, le PC, au milieu des années 1980. Deuxième vague avec la connexion à Internet, à partir du milieu des années 1990. Puis il y a eu le phénomène 2.0, où l’individu est passé de la consommation de données à la production de données. Puis à la fin des années 2000, il y a eu la prise de conscience de la menace cyber et simultanément l’arrivée de l’IPhone (et la 3G). Ce que nous connaissons depuis cinq ans, la transformation numérique, n’est finalement que la dernière vague de cette révolution, avec l’infonuagique, le Big Data, l’IA, la robotique, la virtualisation…

Cette dernière vague n’est certainement pas la dernière. On ne sait pas quelle sera la prochaine : blockchain, informatique quantique, autre chose ??? Mais on n’a pas fini de bouger, de découvrir, de s’adapter, de changer… La stabilité est une illusion.

Quels sont les leaders qui vous inspirent et pourquoi ?

Je ne vais pas vous citer un héros de la tech, mais plutôt un héros militaire : Leclerc. Ce type-là entre dans la Seconde Guerre mondiale comme capitaine, il en sort général ! Un destin comme au cours des guerres napoléoniennes, un talent fou, et surtout une immense qualité, fondamentale à l’époque mais aussi aujourd’hui : l’initiative. De Gaulle disait de lui : « il a obéi à tous mes ordres, même ceux que je ne lui ai pas donnés ». Autrement dit, il comprenait l’intention de son chef et savait décider au vu des circonstances, dans l’incertitude, assumant donc le risque inhérent à tout destin humain.

C’est une qualité indispensable en temps de transformation ; malheureusement, elle est mal valorisée par les organisations complexes alors qu’elle devient de plus en plus indispensable.

Quelle est votre « citation » favorite ?

« Dux in altium » : avance au large !

Catégories: Défense

La dalle rouge

dim, 21/04/2019 - 19:27

Les BD politiques sont un genre difficile. Trop souvent en effet elles récitent une vision de l’histoire ou des événements qui est partiale, puisqu’au service d’une lecture et donc d’un parti-pris. Bref, on y voit rarement de nuances ou d’ambiguïté. Aussi sont-elles souvent décevantes. Tel n’est pas le cas de cet album – à ma surprise, confessons-le.

En effet, tout part de deux auteurs de BD (Thomas Kotlarek et Jef) qui constatent une perte généralisée de sens et du détricotage de structures sociales. Ecoutant Michel Onfray, ils le contactent et celui-ci répond favorablement à leur projet, qui est donc initié avant le début du mouvement des Gilets Jaunes.

C’est d’ailleurs ce qui rend l’album si intéressant. Voici en effet le premier tome d’une pentalogie qui nous emmènera jusqu’à notre environnement. Mais si l’action se passe au présent, les quatre premiers tomes sont organisés en flash-back, d’où le nom de la série « Une histoire de France ».

Le premier tome dont il est question s’organise autour de l’arrestation d’un vidéaste de 30 ans qui a filmé, par hasard et avec un drone, un attentat s’étant déroulé à Lyon. Comme il est anarchiste et que la vidéo a été diffusée sur les réseaux sociaux, on le soupçonne de complicité et il est arrêté, son nom étant soumis à la vindicte populaire. Le volume raconte les efforts de son avocat pour trouver des éléments le disculpant, en allant notamment voir ses grands-parents. Or, ceux-ci ont été des résistants pendant la Deuxième Guerre mondiale.

C’est ici que le livre est le plus convaincant. D’abord, parce que les personnages ne sont pas caricaturaux et que les fêlures, les hésitations, les paradoxes se font jour. On est donc loin de l’habituel tableau de la période où tout est en blanc et noir. Cela est vrai de l’époque, mais aussi des personnages du monde actuel, à l’image de l’avocat, habitué des codes parisiens contemporains, au-delà du germano-pratisme et du boboisme qui relativisent tout en assénant pourtant des hectolitres de moraline : peu à peu, on le sent évoluer. C’est enfin vrai de la résistance telle qu’elle est évoquée, une résistance lyonnaise qui n’est pas celle bien connue de Jean Moulin, mais de la galerie Folklore, autour de personnages comme René Leynaud, Jean Martin, Marcel Michaux et avec la présence d’un Albert Camus qu’on ne savait pas avoir été en ces lieux.

Le dessin est intéressant, travaillé avec pourtant une volonté de ligne claire. J’ai apprécié la composition des scènes. Le rendu des visages est assez déroutant mais convainc peu à peu, notamment dans le très bon travail de rendu des visages à 50 ans d’écart : reconnaître le visage de la fraiche jeune fille dans celui de la grand-mère ridée (idem pour le personnage masculin) constitue une prouesse de dessin rarement vue et ici très bien rendue.

Bref, je me méfiais un peu et en refermant le livre, je suis convaincu. Belle histoire, assez subtile, qui anime une vraie BD et non pas un pamphlet militant.

La dalle rouge, éditions du Lombard.

Catégories: Défense

Vers l'avis de décès de l'Alliance ?

mar, 16/04/2019 - 17:15

Le dernier numéro de la RDN vient de paraître, avec un beau dossier sur "Relancer la défense de l'Europe" (ici).

J'y signe un article sur "Vers un avis de décès de 'Alliance ?" (ici pour l'aperçu et l'achat). Ci-dessous, les premières lignes... L'Alliance tient sa légitimité et sa crédibilité du lien transatlantique fort entre les Etats-Unis et l'Europe, celle-ci ayant sous-traité sa sécurité à Washington. Or, cette situation stratégiquement confortable est remise en cause par Donald Trump, dont l'intérêt pour l'Europe reste limité et qui s'interroge sur l'utilité de l'Otan.

The legitimacy and credibility of NATO stems from the strong transatlantic link between the United States and Europe, the latter having sub-contracted its security to Washington. Yet this strategically comfortable situation has been called into question by Donald Trump, whose interest in Europe is somewhat limited and who questions the usefulness of NATO.

Les récentes déclarations de Donald Trump, début janvier, ont sonné le tocsin auprès de tous les atlantistes : ainsi, le Président américain continuerait d’envisager de se retirer de l’Alliance atlantique ? Il ne s’agit pas simplement d’une des nombreuses crises d’adaptation de l’Alliance : elles portaient sur l’efficacité. Désormais, la question est celle de la nécessité de l’Alliance – et cela change tout, car l’impensable est devenu une option sur la table.

En effet, les raisons traditionnelles de l’Alliance sont aujourd’hui moins assurées que par le passé. Or, un retrait américain signifierait la fin de l’Alliance. Le seul fait d’énoncer cette possibilité constitue une nouveauté stratégique unique dans l’histoire de l’Alliance.

Sans revenir sur les nombreuses anicroches de la dernière décennie, qu’il s’agisse de la remise en cause de l’ordre occidental du monde, la crise financière de 2008, les affaires ukrainienne ou syrienne, la question des attentats terroristes en Europe, la question des réfugiés, l’Alliance a dû faire face à deux questions politiques majeures : le Brexit et la question turque. Pourtant la déclaration américaine constitue une menace d’une autre nature.

Catégories: Défense

Monuments aux morts

lun, 15/04/2019 - 10:00

Aujourd'hui il y a des monuments aux morts. Avant, c'étaient des arcs de triomphe...

L'hommage a changé.

Je me faisais ma réflexion du changement de perspective. Rendu visible après la 1ère Guerre mondiale, mais décelable dès la guerre de 1870 avec les premiers monuments aux morts .

Au 19eme siècle, on marqué les batailles de Napoléon, notamment pendant la campagne de France de 1814, et surtout on bâtit l'arc de triomphe de l'étoile vers 1836, donc longtemps après sa mort. C'est le dernier arc de triomphe, alors que les Romains avaient lancé la vogue.

Depuis le 20eme siècle, on ne construit comme monuments commémoratifs que des monuments funéraires, peu importe l'issue de la bataille, victoire ou défaite.

D’ailleurs, un intéressant transfert a eu lieu lorsqu'on plaça le soldat inconnu sous la voûte de l'arc de triomphe de l'étoile.

Plus d'attention aux hommes, moins au succès politique. Effet de la République, d'ailleurs ? Mouvement du temps, plus porté vers l'individu ? Je ne sais....

NB : savez vous qu'il y a quatre arcs de triomphe à Paris : voir ici (source photo d'illustration).

O. Kempf

Catégories: Défense

Le cyber est il un objet des relations internationales ?

ven, 12/04/2019 - 10:24

Ja participerai samedi 13 avril à la Journée de la Diplomatie, organisée par l'association des politistes de la Sorbonne. J'y évoquerai (de 15h00 à 16h00) le sujet suivant : Le cyber est-il un objet des relations internationales ?

S'inscrire pour venir. Tous les détails ici

Programme ci-dessous

// JOURNÉE DE LA DIPLOMATIE - 3ÈME ÉDITION \\

Vous êtes curieux et intéressé par la diplomatie et les relations internationales ? Pour tous les étudiants désireux de mieux comprendre les enjeux de notre monde actuel, les Politistes Sorbonne, en partenariat avec le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, vous invitent à la Journée de la Diplomatie pour sa 3ème édition ! Celle-ci se déroulera le Samedi 13 Avril 2019 de 14h à 18h dans le cadre du programme Quai d’Orsay Hors les Murs. #JDLD

Le programme de l’après-midi :

14h-15h : Conférence Introductive : « Déclin des États, remise en cause de l’ONU, réchauffement climatique… Sommes-nous prêts à entrer dans le nouveau monde ? »

15h15-16h : Deux tables rondes simultanées : « Le cyber est-il un objet des relations internationales ? » « Les relations France-Venezuela dans un contexte de crise économique et politique »

16h15-17h : Deux tables rondes simultanées : « Trois ans après la COP21, une diplomatie verte comme facteur de rassemblement mondial? » « La présence française dans l'Indo-Pacifique et ses enjeux : l'exemple de l'Australie »

Vous pourrez alors échanger directement avec nos intervenants, soit des diplomates ou des chercheurs.

Catégories: Défense

Un no deal probable ?

sam, 30/03/2019 - 21:34

Allez, un petit billet sur le #Brexit. Pas tellement pour vous expliquer la scène politique anglaise, à laquelle comme vous je ne comprends pas grand chose. Juste pour dire qu'on va encore avoir une surprise et qu'on n'aura rien vu venir.

source

En clair, si on lit la presse française, on comprend que c'est le désordre et que du coup, on va avoir un deuxième référendum et que cette fois, ci, les Anglais vont être raisonnables et voter le remain.

Personne ne note l'intransigeance des Européens qui ont pris la position la plus raide possible, au motif que s'ils négociaient convenablement, cela pourrait inciter d'autres pays à sortir de l'UE. Or, cette raideur exaspère les Anglais, tous partis confondus.

Dès lors, l'imbroglio aux Communes où les solutions alternatives n'apparaissent pas, va conduire à un raidissement général qui va conduire à un no deal. Et là, on va voir tous les commentateurs (notamment européens) être tout surpris, n'ayant encore une fois rien vu venir.

Sans comprendre que la raison de cette sortie brutale ne tient pas seulement à l'égoïsme ou au manque de vision de la classe politique britannique, mais aussi aux mêmes défauts du côté européen.

Enfin, tout le monde annonce une catastrophe, sans remarquer que la croissance britannique est au RDV depuis deux ans, que le taux de chômage est au plus bas, que la City demeure la place financière mondiale et qu'un no deal ne serait pas forcément si mauvais pour les Brits . Et qu'en revanche, une sortie brute du RU risque d'être une très mauvaise nouvelle pour les Européens, et notamment l'Allemagne qui a, cette année, une mauvaise performance. Bref, cette histoire ne va pas forcément aller dans le sens de ce qu'on nous raconte.

Bref, on a été surpris par le vote du Brexit (forcément la faute des Infox), on risque d'être surpris plus encore par le no deal (forcément la faute des autres).

O. Kempf

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Droits humains et armements (UCO angers)

jeu, 28/03/2019 - 14:21

Je participerai à une master class organisée par l'UCO d'Angers (facultés Théologie/Humanités) dans le cadre du groupe de recherches International network on Peace Studies (Réseau FIUC - Fédération internationale des universités catholiques) avec le soutien de la Chaire Pax Christi France.

Son titre : DROITS HUMAINS ET ARMEMENTS : VERS DE NOUVEAUX DÉFIS ÉTHIQUES (détails)

27-29 mars 2019 amphi Bedouelle | UCO 3 place André Leroy à Angers Inscription angers.uco.fr

Je suis à la troisième journée (demain vendredi) dont voici le programme :

3ème journée - "Nouvelles" armes : cyber et robotique militaire - Matinée | Amphi Bedouelle – Bât. Jeanneteau

9h - 10h | CONFÉRENCE D’OUVERTURE

  • • Brice Erbland (Cabinet du Chef d’état-major de l’Armée de Terre) et Jacques Bordé (Vice-président Pugwash France) : Science et technologie – Utilisations militaires ou pacifiques

10h - 11h | TABLE RONDE 1 : Nouvelles technologies et systèmes d’armes Présidence - François Mabille (Secrétaire général de la FIUC)

  • • Éric Pomes (Juriste, Institut catholique d’Études supérieures - ICES)
  • • Thierry Lorho et Valérie Fert (Mileva) - L’intelligence artificielle
  • • Stéphane Giron (CNAM) - Nouvelles armes et nouvelles technologies
  • • Général Olivier Kempf (G2S) - Les perspectives de cyber-guerre ; nouvel espace de guerre – attaques sur les systèmes d’information

11h – 12h | TABLE RONDE 2 : Discussion : Éthique des conflits et de l’usage des armes Présidence - Marc Finaud (GCSP)

  • • Nadia Elena Vacaru (Faculté de Théologie, Université de Laval)
  • • Hélène Tessier (École d’Études de conflit, Université Saint-Paul)
  • • Philippe Frin (Consultant en droit international, spécialiste des conflits armés)
  • • François Mabille (Secrétaire général de la FIUC)

12h-12h30 | CLÔTURE •* Monseigneur Marc Stenger (Président Pax Christi France) : Conclusions

  • • François Mabille et Dominique Coatanea : Remerciements et lecture du texte du Recteur
  • Vincenzo Buonomo, Université Pontificale Latran
  • • Marc Finaud et Pierre Gueydier : Synthèse
Catégories: Défense

Maïdan in love

mer, 27/03/2019 - 10:03

La BD peut-elle aborder le genre géopolitique ? On connaît des BD politiques, des BD historiques mais des BD géopolitiques sont plus rares. C'est bien pour cela que cet album attire l'attention et, à la lecture, mérite le détour : car en plus, c'est une bonne BD.

L'histoire évite surtout le manichéisme qu'on a trop entendu à l'époque dans les médias. C'est d'ailleurs la principale réussite du livre : montrer que tout le monde est un peu dépassé et que les certitudes craquèlent face à la réalité.

Le héros est un apprenti Berkout (CRS ukrainien) qui suit sa petite amie, fille d'ouvrier qui fait des études de sciences politiques et fréquente donc la jeunesse "éclairée" de Kiev. Les émeutes éclatent en 2014 et Bogdan perd la trace d'Oléna. Du coup, il fait tout pour la retrouver, allant jusqu'à la place Maïdan après une série d'aventures haletantes. Une histoire d'amour dans la grande histoire ce qui l'humanise. Bref, le scénario évite d'une part le didactisme, d'autre part la mièvrerie à contre-emploi.

Le rythme y est et l'histoire montre que rien n'est simple, qu'il n'y pas pas des bons contre des méchants (même s'il y a de vrais méchants). De nombreux personnages secondaires viennent enrichir ce portrait général, pour appuyer cette diversité. Le dessin m'a paru original, mélange de ligne claire et d'inspiration américaine (notamment dans le traitement des couleurs, sachant que l'essentiel de la BD se passe de nuit). ON sent qu'il s'est éclaté à rendre le désordre confus de la place Maïdan, qui donne lieu à des scènes épiques et bien rythmées.

Au final, une belle réussite : le deuxième et dernier tome est prévu pour 2020.

Lire aussi : Entretien avec Aurélien Ducoudray, le scénariste.

Aurélien Ducoudray et Christophe Alliel, Maïdan in love, Bamboo, Grand angle, 2019.

O. Kempf

Catégories: Défense

L'orthodoxie (N. Kazarian)

lun, 11/03/2019 - 21:50

Sans qu'il soit même besoin de revenir aux thèses de Huntington (que d'ailleurs l'auteur ne mentionne pas !), les récents différends entre le patriarcat de Moscou et celui de Constantinople à propos de la nouvelle église autocéphale de Kiev montrent que l'orthodoxie n'est pas un long fleuve tranquille et qu'elle nécessite de faire le point. C'est l'objet de ce petit livre qui vise à répondre aux questions des curieux de tout type : aussi bien le géopolitologue, comme votre serviteur, que le curieux des religions et des spiritualités.

L'ouvrage est divisé en trois parties : une sur le chemin historique de l'orthodoxie, la deuxième sur le cœur de l'orthodoxie, la troisième sur les rites et le culte. Confessons que cette dernière partie intéressera moins l'amateur de géopolitique, sauf à y trouver quelques repères culturels qui lui seront utiles lors des longues soirées d'hivers sur les bords de la Volga, quand il lui faudra tenir la conversation avec ses hôtes...

Bien évidemment, il lira surtout la première avec la plus grande attention : Évoquant l'église des origines (chap. 1), l'unité de l'empire byzantin (chap. 2), enfin "de la chute de Constantinople à nos jours" (chap. 3), ce parcours historique montrera aussi bien la division entre deux Europe (qui ne peut se résumer au seul schisme de 1054) que la diversité (restons polis) au sein du monde orthodoxe.

La deuxième partie suscitera son intérêt : certes, le chapitre sur la doctrine de l'orthodoxie ou celui sur les pères de l’Église seront éloignés de ses centres d'intérêt, mais le chap. 6 sur la "communion d’Églises" retiendra toute son attention, puisqu'il explique le rapport intime entre diversité et unité du monde orthodoxe, mais aussi les liens entre un certain nationalisme et l'émergence d'églises locales, selon un processus de "fusion ethnoreligieuse". De même, j'ai découvert le rôle des diasporas dans le monde orthodoxe et leur influence sur les Églises mères.

Voici donc un petit livre concis, agréable à lire, pas exclusivement dédié à la géopolitique mais présentant les bases du phénomène étudié. Alors que beaucoup s'attardent sur le retour du religieux dans la géopolitique (on peut toujours reprendre le classique "Géopolitique de l'orthodoxie", écrit par F. Thual en 1993, qui a précédé - et annoncé- le retour du refoulé en Russie, retour qui s'est depuis confirmé), il est tout sauf inutile de creuser un peu les fondements de chaque religion. Ce livre est parfait prou cela assez court pour ne pas se perdre dans des détails, assez précis pour qu'on aille plus loin que Wikipedia.

Nicolas Kazarian, "L'orthodoxie, une introduction", Eyrolles, collection Eyrolles pratique, 175 p. 2019.

O. Kempf

Catégories: Défense

Des fins de l'alliance à la fin de l'alliance ?

sam, 09/03/2019 - 10:54

Viens de paraître, dans le dernier "Cahiers de l'IDRP", un de mes derniers articles sur l'Alliance atlantique, à la suite notamment des dernières sorties de Trump au début de l'année. Cela s'intitule :

Des fins de l'alliance à la fin de l'alliance ?

Je le reproduis ci-dessous (10 pages quand même).

O. kempf

Des fins de l’Alliance à la fin de l’Alliance ?

Fin de l’Alliance : deux questions se cachent sous cette expression. Celle de la finalité de l’Alliance atlantique, celle également de sa disparition. Or, il faut répondre à la première question pour pouvoir répondre à la seconde. La grande nouveauté tient à ce que plus que jamais, pour la première fois peut-être, il faille poser sérieusement ces questions. Souvent, les apprentis chercheurs intitulent un de leurs premiers articles en disant du sujet qu’il est « à la croisée des chemins ». Cela permet à la fois de problématiser leur texte mais aussi d’en manifester la supposée importance. Ce tic de langage fait sourire avec indulgence les auteurs plus chevronnés. Il est pourtant aujourd’hui pertinent pour décrire l’Alliance atlantique et les défis auxquels elle est confrontée.

En effet, les raisons traditionnelles de l’Alliance sont aujourd’hui moins assurées que par le passé. L’ordre occidental du monde est remis en cause et les voisinages européens, à l’est ou au sud, peinent à justifier pleinement l’Alliance. Les craquements s’accumulent (Brexit, question turque) ; surtout, Donald Trump semble tout sauf convaincu de la nécessité de l’Alliance. Or, un retrait américain signifierait la fin de celle-ci. Le seul fait d’énoncer cette possibilité constitue une nouveauté stratégique unique dans l’histoire de l’Alliance.

L’ordre occidental du monde

Celle-ci, nous l’avons suffisamment écrit par ailleurs , perpétuait un héritage. Ce fut sa fonction au cours de l’après-Guerre froide, décidée finalement très tôt, dès 1991-1992, sans d’ailleurs que la nouvelle finalité fût énoncée avec précision. On savait que pendant la Guerre froide, l’Alliance servait à « exclure les Soviétiques, inclure les Américains et soumettre les Allemands », selon le mot du premier secrétaire général, lord Ismay. Cette Guerre froide « gagnée », du moins dans l’esprit des vainqueurs, l’Alliance devenait le lieu d’un certain Occident, siège de la démocratie libérale triomphante, à l’époque perçue comme la « fin de l’histoire ». Le livre éponyme de Fukuyama paraît d’ailleurs en 1992 et constitue finalement le programme de l’Alliance rénovée qui traversera les 25 années suivantes avec de petits soubresauts mais aucun accident majeur qui remette en cause le programme.

Petits soubresauts ? Le lecteur nous trouvera bien négligent envers des événements qui ont agité la vie de l’Alliance au cours de ces presque trois décennies : guerre dans les Balkans, élargissement, affaire kosovare, attentats du 11 septembre, affaire d’Irak, intervention en Afghanistan, opération en Libye ont été incontestablement des moments importants dans la vie de l’Alliance d’après la Guerre froide. Rien cependant qui remette profondément en cause l’accord sur l’essentiel, à savoir la domination de cet « Occident » sur la marche du monde . L’Alliance restait le lieu principal où les puissances dominantes, assemblées autour (derrière ?) les États-Unis, perpétuaient un certain ordre du monde qui avait été initié par la deuxième vague de colonisation de la terre, au milieu du XIXe siècle . L’Europe l’avait lancée, l’Amérique l’avait poursuivie, les deux s’étaient unies à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et rien, vraiment rien ne devait mettre en cause cet « ordre du monde », même si les Européens suivaient de loin la puissance globale que demeuraient les États-Unis.

Aussi l’OTAN noua-t-elle de multiples partenariats hors d’Europe (par ordre d’apparition : Partenariat pour la Paix, Dialogue méditerranéen, Initiative de coopération d’Istamboul, Partenaires à travers le monde), du Maroc au Kazakhstan, des Émirats au Japon, de la Colombie à la Mongolie. Que ces structures soient le plus souvent des coquilles creuses importait peu : elles manifestaient la présence au monde des alliés et donc l’entretien d’un regard sur le monde, sous entendant une domination du monde.

Premiers craquements

De premiers craquements se firent entendre assez tôt, cependant : la crise boursière de 2008 n’eut pas d’effets directs même si elle révélait la fragilité du système tel qu’il avait évolué. Sous couvert de mondialisation, le système capitaliste avait muté et s’était éloigné des fameuses valeurs fondatrices de l’Alliance , énoncées dans le bref préambule du Traité de 1949. Mais on ne s’en était guère rendu compte, à l’époque. Les révoltes arabes en 2011 ou l’affaire ukrainienne à partir de 2014 apparurent comme de nouvelles crises, pouvant être gérées comme les précédentes (Balkans, Irak, Afghanistan). Bientôt pourtant, les attentats en Europe puis la crise des réfugiés montrèrent qu’une polycrise affectait l’Europe.

Simultanément, des puissances différentes remettaient en cause l’ordre du monde tel qu’il était, refusant l’ancienne domination d’autant plus vivement que la supériorité de l’Occident apparaissait moins évidente, dans tous les ordres : militaire (puisque l’Amérique en guerre n’avait pas réussi à produire des succès stratégiques probants malgré l’énormité des moyens mis en œuvre), économique (la croissance était le fait des puissances émergentes, quand l’Amérique se noyait sous ses déficits et l’Europe n’arrivait pas à rebondir), politique (l’Occident forçant régulièrement les délibérations du Conseil de sécurité voire s’en passant sans vergogne, sans même parler d’un goût prononcé et irréfléchi pour les changements de régime) et surtout morale (Abou Ghraib et Guantanamo demeurant des taches qu’on ne peut plus appeler des accidents). Aussi, Chine et Russie poussaient leurs pions, profitant plus des faiblesses de l’Occident que de leurs propres forces, habilement mobilisées cependant. Elles obtenaient des succès au point qu’on les désigna de « puissances révisionnistes », expression curieuse par ses sous-entendus mais finalement exacte : oui, ces puissances poussaient à la révision d’un certain ordre du monde.

Cela suffit-il à penser à la fin de l’Alliance ? Il faut rester prudent. Le Saint Empire, fondé par Charlemagne vers l’an 800, disparu officiellement en 1806 sur décision de Napoléon, même si son rôle politique en Europe avait cessé depuis plus de deux siècles. Une structure peut se perpétuer, cela ne signifie pas pour autant qu’elle conserve un rôle moteur dans l’histoire. En fait, l’Alliance pourrait survivre à ces défis. À ceci près que les évolutions de la Grande-Bretagne, de la Turquie et des États-Unis constituent des défis si profonds qu’ils remettent en cause le programme même de l’Alliance.

Faire comme d’habitude

Bien sûr, les activités se poursuivent et les sommets successifs de ces deux dernières années ont été l’occasion de décisions que, comme d’habitude, l’on nous a présentées comme exceptionnelles, réagissant à un monde nouveau, etc., reprenant tous les mauvais tics de langage de communicants passés par les mêmes écoles et ne voyant pas que ces mots ne convainquent plus.

Car il faut ici rappeler la distinction profonde (et d’abord française) entre l’Alliance et l’Organisation. En effet il ne s’agit pas de la même chose. L’Alliance est le cercle politique réunissant des puissances, s’associant ensemble dans un but déterminé. À l’origine, se défendre contre les Soviétiques puis, ceux-ci ayant chuté, réunir dans un club transatlantique les deux rives de l’océan « occidental ». L’OTAN, elle, n’est qu’une organisation, une « superstructure » pour reprendre un vieux concept marxiste.

Un outil, à l’origine simple secrétariat, élargi ensuite à une série d’états-majors (la structure de commandement) voire de forces placées sous son contrôle (la structure de forces). Les puissances se réunissent dans le cadre du Conseil de l’Atlantique nord par leurs ambassadeurs permanents, ou par leurs ministres (5 réunions ministérielles par an) voire par leurs chefs d’État et de gouvernement (les fameux sommets de l’Alliance, tous les deux ans). Ces grandes réunions permettent de « prendre des décisions », manifestées dans des communiqués. Or, force est de constater que les « décisions » ne paraissent pas répondre à la situation stratégique. En témoigne la profonde hésitation entre le danger à l’est et le danger au sud.

Face à l’est ?

À l’est, l’Alliance ferait face à la résurgence russe, manifestée par le conflit ukrainien, l’annexion de la Crimée, le conflit dans le Donbass ou de prétendues manifestations de force, ici des manœuvres, là des vols d’avions qui seraient « trop près » des espaces aériens nationaux. Les communiqués dénombrent ainsi le nombre d’interceptions aériennes de chasseurs russes. Il faut ici rappeler qu’une interception n’est pas un acte de combat mais juste une prise en compte visuelle d’un aéronef (civil ou militaire) par un autre aéronef (militaire) ; que la Russie a régulièrement organisée de grandes manœuvres avec des chiffres impressionnants mais gonflés de troupes mobilisées ; que cette activité arrange les deux parties : l’Alliance car cela permet de grossir la menace ; la Russie car cela lui permet de prouver à sa population qu’elle est de retour parmi les grands, favorisant ainsi le soutien populaire au président Poutine.

Les spécialistes remarquent quant à eux que les pratiques russes restent conformes aux pratiques historiques, perpétuant les codes stratégiques établis lors de la Guerre froide (ce qui n’est pas le cas de bien des alliés, dont le nombre est entretemps passé de 16 à 28). Ainsi, quand l’OTAN organise une grande manœuvre alliée dans les pays baltes, les avions russes volent dans l’espace aérien international à proximité, à l’instar de ce qui fut fait pendant 45 ans de Guerre froide. Accessoirement, Moscou peut se poser des questions quand elle observe des avions à capacité duale (c’est-à-dire pouvant porter des bombes nucléaires) décoller des bases de l’OTAN pour aller faire des entraînement à proximité de ses frontières : il s’agit probablement pour les planificateurs alliés d’une coïncidence (la disponibilité technique étant ce qu’elle est, on prend aujourd’hui les avions disponibles là où ils sont), mais elle est au moins une maladresse qui peut être interprétée comme un message hostile par la partie d’en face.

Il ne s’agit pas ici de défendre les Russes. Notons que ceux-ci sont encore très fragiles, économiquement comme socialement, dépendant principalement de la vente d’hydrocarbures et d’un peu de matériel de guerre. Ils détiennent l’arme nucléaire et en maîtrisent la grammaire stratégique (ce qui n’est pas le cas de nombreux Alliés, même si l’Alliance conserve cette utilité essentielle de donner un peu d’éducation nucléaire à de nombreuses nations européennes). Mais ils n’ont absolument pas la capacité d’envahir l’Europe, contrairement à ce que certains font semblant de craindre. Rappelons que la Russie à un budget de défense qui est au dixième du budget des Alliés et que les autres ratios de force (effectif, armement conventionnel, etc.) varient du tiers au quart. Pourtant, ils bénéficient d’un avantage comparatif extrêmement important : l’unité de volonté et un dispositif de décision politico-militaire assez resserré pour produire une véritable efficacité stratégique : ils l’ont prouvé avec talent en Crimée ou en Syrie, réussissant à obtenir des gains stratégiques conséquents avec des moyens somme toute limités. Il n’est point besoin d’inventer des concepts baroques de « guerre hybride » pour expliquer ces succès : juste de noter l’application rigoureuse de quelques principes stratégiques (unité de manœuvre, concentration des efforts, etc.). Autrement dit, la Russie pourrait être un adversaire sérieux mais elle ne justifie pas le discours fourni par certains qui font d’elle un véritable ennemi. Les Russes sont plus forts que l’analyse du rapport de force l’indique, moins forts que beaucoup le fantasment.

Constatons pourtant l’instrumentalisation de cette menace orientale par beaucoup, avec des motifs légitimes d’inquiétude pour certains alliés, plus de duplicité d’autres. Ainsi, les États baltes ou la Pologne sont fort inquiets du voisinage de l’ours russe. L’histoire ne plaide pas pour ce dernier et si Moscou ne tient pas un discours menaçant, son discours de la force peut être interprété comme suffisamment ambigu pour que cela inquiète. D’autres en rajoutent, pour des motifs bien différents : Les Néerlandais (à cause de l’avion de ligne abattu au-dessus du Donbass) ou les Britanniques (ayant besoin de diversion européenne à l’heure du Brexit) sont des exemples qui viennent à l’esprit. Mais il ne s’agit pas seulement de positions structurées de certaines capitales : au fond, tout un écosystème atlantiste, présent dans toutes les capitales et encore très influent, agite la menace russe car cela permet de justifier l’OTAN, mais aussi l’effort de défense, mais aussi la permanence du club transatlantique.

Dès lors, la rhétorique de la menace poursuit un autre objectif : non seulement mobiliser les esprits dans le cadre d’un effort de défense, mais aussi désigner l’ennemi afin de maintenir une cohérence autrement fragilisée. Alors qu’en apparence l’objectif est militaire (maintenir un rapport de forces suffisant face à un adversaire aux moyens sérieux), le dessein est en fait politique : pérenniser l’unité du club qui autrement se déferait, compte tenu d’objectifs contradictoires. Il y aurait alors inversion de la fin et des moyens : l’outil (l’OTAN) était un moyen pour assurer une fin (la défense collective). Désormais, la sauvegarde de l’outil (l’Alliance) devient la fin pour lequel on invoque un nouveau moyen (la défense).

Ou face au sud ?

Mais au cours de la dernière décennie, la question du sud est venue également : il ne s’agissait plus des grosses interventions comme en Afghanistan, mais de la réaction à une mutation du djihadisme. Celui-ci avait attaqué (11 septembre), on s’était défendu et pour l’Alliance, ce fut en servant la FIAS puis la mission Soutien déterminé (Resolute Support Mission, RSM). Mais les révoltes arabes en 2011 suscitèrent deux réactions : d’une part une opération alliée en Libye qui mena au renversement de Kadhafi, laissant place à un chaos local et régional où les djihadistes gagnèrent de l’influence ; mais surtout, la guerre civile en Syrie marquée par l’apparition de l’État Islamique (EI) en Irak et en Syrie. L’EI força les Américains à mettre sur pied une coalition internationale hors OTAN, à la demande du gouvernement de Bagdad, afin de chasser les djihadistes d’Irak. Certains alliés en firent partie, tandis que l’OTAN appuyait mais n’intervenait pas directement dans la zone (l’Alliance a un partenariat avec l’Irak).

Mais ce qui était cantonné dans des zones porches (Maghreb, Proche- et Moyen-Orient) devint uen question beaucoup plus centrale à partir de 2015 avec la question des réfugiés, qui suscita de profondes différences intra européennes, et le retour d’attentats en Europe (France, Belgique, Allemagne et Turquie).

En l’espèce, la difficulté était ailleurs. D’une part, la nature de l’ennemi différait radicalement de ce à quoi l’Alliance était préparée : en effet, celle-ci a construit un outil, l’OTAN, impeccable pour des guerres symétriques et classiques, jusqu’à l’emploi d’armes nucléaires. Autrement dit, un paradigme guerrier qui s’est retrouvé très mal à l’aise avec les nouvelles conditions de la guerre au XXIe siècle. Il y eut avalanche de concepts (guerre contre le terrorisme, Opérations de contre-insurrection - COIN, guerre hybride) mais avec malgré tout un gros éléphant dans la pièce : la puissance militaire traditionnelle avait du mal à gagner ces conflits-là. Et même si personne ne le disait tout haut, les résultats en Irak, en Afghanistan ou en Libye avaient été décevants. On avait certes remporté la première bataille, celle où justement les conditions étaient remplies pour une bataille , mais nous fûmes très mauvais pour gérer la suite et transformer le succès en victoire politique. Si l’Alliance se décidait à désigner l’ennemi djihadiste comme l’ennemi principal, cela posait d’énormes problèmes : non pas seulement le fait d’organiser deux dispositifs dans des directions différentes, mais surtout de devoir trouver un nouveau paradigme adapté aux nouvelles conditions conflictuelles. L’expérience montrait qu’on ne savait pas trop comment faire et qu’en tout cas, cela induirait une très profonde remise en cause de la superstructure habituelle, héritée du XXe siècle. Elle était peut-être inadaptée mais si confortable, comparée au coût de l’effort à fournir pour une véritable transformation en profondeur.

À cela s’ajoutèrent d’autres considérations plus nationales. Tout d’abord, les tenants de la menace à l’est voyaient d’un très mauvais œil la concurrence de cette menace alternative, d’autant plus qu’elle faisait beaucoup plus de morts en Europe (plusieurs centaines en 2015), à la différence de l’ennemi russe. Surtout, les pays du front méridional avaient des intérêts divergents : Turcs, Grecs, Italiens ou Français n’avaient pas le même point de vue, sans même parler de certains cercles américains interventionnistes qui se chamaillaient avec d’autres cercles de l’établissement washingtonien. Certains préféraient au fond garder cette question du sud sous leur propre contrôle pour éviter d’avoir à partager trop de choses avec les Alliés. En Irak, la coalition suffisait tandis qu’en Libye, Paris et Rome se faisaient concurrence. Quant aux attentats en Europe, ils mobilisaient plus des responsabilités policières que de défense et donc tenaient à des responsabilités nationales non couvertes par le traité .

Aussi, malgré la pression des événements et le rapprochement de la ligne de conflit (on était passé de l’Afghanistan à la Libye et désormais au sol européen), les communiqués de l’Alliance trouvèrent les mots adéquats pour parler du sud sans prendre de véritables mesures. Mais du coup, comme l’âne de Buridan hésitant entre ses deux seaux et mourant finalement de soif, l’Alliance hésitait entre deux directions stratégiques et ne s’accordait pas sur ses buts réels. Un désaccord latent sur les fins de l’Alliance préexistait aux défis de la seconde moitié de la décennie.

Le grand défi du Brexit

Le Royaume-Uni a décidé, lors d’un référendum de juin 2016, de quitter l’Union Européenne. La procédure a été pleine de péripéties et à l’heure où cet article est écrit, on ne sait toujours pas quel tour prendra finalement l’affaire, entre un retour et un Brexit dur. L’observateur inattentif pourrait penser que cela n’a que peu à voir avec l’Alliance. Les choses sont pourtant plus compliquées car deux questions sous-jacentes sont posées : d’une part, celle de l’avenir du Royaume-Uni (qui pourrait profondément muter voire disparaître stricto sensu), d’autre part la question de l’évolution européenne, notamment sous l’angle de la défense.

Du point de vue intérieur, cela a incité Londres à forcer son enracinement européen alternatif : or, pour beaucoup d’Européen mais surtout d’Américains, l’Alliance est une organisation européenne. Quitter l’UE implique de renforcer sa présence dans l’OTAN, selon une formule également recherchée par Ankara. Ceci explique également le durcissement de Londres envers la Russie : si l’ennemi est menaçant, la nécessité ‘une défense collective est évidente et renforce par là le rôle principal que le Royaume a toujours tenu dans l’Alliance, En effet, Londres a toujours conçu l’OTAN comme un multiplicateur de puissance : elle a peu ou prou réalisé le fantasme que les Français ont eu envers l’UE.

Un Brexit risque de poser d’autres problèmes au Royaume. En effet, en cas de Brexit dur (c’est-à-dire sans accord avec l’UE), il est très probable que cela aurait des conséquences sur la structure même du Royaume : L’Irlande du nord pourrait décider de s’unir à la république d’Irlande tandis que l’Écosse pourrait réclamer un référendum sur l’indépendance qui aurait toutes les chances de réunir une majorité de oui. Cela poserait d’évidents problèmes à ce qui serait alors la moyenne Bretagne puisque ses sous-marins nucléaires sont basés à Faslane, en Écosse, ce qui ne plaît guère aux Écossais . Un Royaume Uni croupion conserverait-il alors (même dans le cas d’un accord sur le nucléaire avec Edimbourg) la place qu’il détient actuellement dans la structure de commandement ? Rien n’est moins sûr.

Du côté européen, beaucoup se sont réjoui in petto du départ britannique. Londres était en effet accusé par beaucoup de bloquer les développements de la défense européenne (ce qu’en France on appelle bizarrement « Europe de la défense », expression ne signifiant rien et qu’il est surtout impossible de traduire). Aussi a-t-on vu certains annoncer les plus importants développements de l’Europe de la défense jamais réalisés. L’emphase a pour limite le ridicule, ce qui a dû échapper à certains commentateurs. Il reste que le départ britannique va paradoxalement renforcer le face-à-face franco-allemand, le moteur étant devenu aujourd’hui un blocage (autre éléphant dans la pièce qu’on ne dit pas trop). Par ailleurs, d’autres Européens ne sont pas du tout partisans d’un renforcement de ce chantier européen, qu’il s’agisse des Polonais ou des Danois, sans même parler des Suédois ou des Finlandais qui discutent ouvertement de rejoindre l’Alliance. Paradoxalement, le départ britannique risque de rendre encore plus visible l’impéritie stratégique européenne.

La question turque.

Si le Brexit a lieu, les Britanniques joueront probablement une stratégie « à la turque ». En effet, depuis une grosse décennie, la Turquie a compris qu’elle ne rejoindrait jamais l’Union Européenne. Par conséquent, elle se raccroche à l’Alliance (plus probablement qu’à l’OTAN) qui demeure une institution « européenne » faisant d’elle un pays européen, et cela quelles que soient ses prises de position politiques ou stratégiques par ailleurs. Ceci explique la contradiction apparente entre des pas de deux avec des adversaires des Occidentaux et le maintien d’Ankara dans le club des alliés atlantiques, même si cela pose évidemment de grosses difficultés à Evère, au siège de l’OTAN. Ainsi, la Turquie a des relations très dégradées avec les États-Unis. Rappelons qu’elle ne leur permit pas de partir d’Anatolie dans la campagne de 2003 contre l’Irak de Saddam Hussein. Mais les différends ont pris un nouveau tour à la suite de deux éléments. Le premier est l’affaire syrienne. La Turquie a joué un jeu compliqué, soutenant tout d’abord un certain nombre de rebelles (plutôt alignés sur les Frères Musulmans) en accord avec les puissances du Golfe, jusqu’à provoquer la Russie, alliée de B. el Hassad. Ils demandèrent alors un soutien allié qui passa par la fourniture de batteries Patriot, à la frontière sud du pays. Cependant, les Américains, constatant que la résistance « indépendante » ne résistait ni aux loyalistes, ni aux djihadistes, firent alliance avec les Kurdes en leur donnant pour mission de les débarrasser de l’État Islamique en Syrie, notamment sur la rive gauche de l’Euphrate (pendant que la coalition s’occupait de l’EI en Irak). Or, les Kurdes syriens (le YPG) sont alliés au PKK turc. Du coup, l’affaire extérieure devenait une affaire intérieure. Pour empêcher la constitution d’une bande kurde tout le long de la frontière avec la Turquie (qui aurait pu servir de base arrière au PKK), la Turquie opéra un changement d’alliance et rejoint la Russie, mais aussi l’Iran : pas tant pour appuyer le gouvernement de Damas que pour entraver les progrès kurdes : ainsi dans la poche d’Afrin, ou sur la rive droite de l’Euphrate.

Pour les Alliés, ce retournement fut dur à avaler d’autant que ni Européens ni Américains ne jouent un quelconque rôle dans le processus d’Astana, mis en place par la Russie pour organiser une solution politique en Syrie. Certains alliés notent par ailleurs que la Turquie est « partenaire de discussion » avec l’Organisation de Coopération de Shangaï depuis 2012, qu’elle envisagea d’acheter du matériel chinois et qu’elle acquiert aussi des S400 russes. Cependant, la décision en décembre 2018 de D. Trump de retirer les troupes américaines de Syrie fut vue par Ankara comme un geste fait en sa faveur.

Le deuxième facteur de crispation, hors du champ opérationnel, fut le coup d’État organisé contre R. Erdogan en 2016. Ankara accusa F. Gülen, à la tête d’une confrérie islamique, d’en être l’instigateur. Or, il demeure aux États-Unis et R. Erdogan accusa à demi-mot les Américains d’avoir sinon soutenu, du moins toléré l’organisation de ce coup d’État. Mais un certain nombre d’officiers turcs, en poste dans l’organisation, demandèrent l’asile politique pour échapper à la répression organisée par le président Erdogan, ce qui suscita un grand malaise dans les pays d’accueil, extrêmement gênés devant la brutalité de la réaction d’Ankara. On le voit, les relations entre Turcs et Américains sont très compliquées et irritantes. Cela rejaillit logiquement sur l’OTAN. Pourtant, malgré toutes ces ambiguïtés, la Turquie demeure dans l’Alliance pour affirmer son caractère occidental.

L’hostilité de Trump

Pourtant, la grande difficulté reste l’arrivée de Trump au pouvoir. Il n’a jamais caché son hostilité à l’Alliance et les hiérarques atlantistes ont donc été horrifiés par ce qu’ils entendaient. Car au fond, D. Trump dit que le roi est nu et que l’ordre du monde habituel ne peut plus continuer comme cela. D’où son mot pendant la campagne : « L’OTAN est obsolète ». Ce n’est pas seulement une question d’argent (même si c’est d’abord une question d’argent) et il ne faut pas se focaliser sur la question des 2 % de PIB à consacrer par chaque allié au budget de défense, conformément aux engagements du sommet de Galles.

Au début, D. Trump était conscient qu’il n’y connaissait pas grand-chose aux affaires stratégiques. Il nomma donc des militaires et des gens de confiance, comme le général Mattis ou Rex Tillerson. Ceux-ci prodiguèrent les paroles apaisantes qui rassurèrent un peu les Européens. Le secrétaire général de l’Alliance fit un déplacement à Washington et Trump déclara que l’OTAN n’était plus obsolète. Au sommet de Bruxelles de juillet 2018, il y eut bien quelques ruptures des convenances diplomatiques de la part du président américain mais finalement, ce fut le soulagement, Trump déclarant même à la fin du sommet que l’OTAN était « bien plus forte » et présentant l’OTAN comme « probablement la plus grande alliance de tous les temps, mais que ce n’était pas juste d’attendre des États-Unis qu’ils paient une telle part des coûts ».

Cependant, D. Trump décida de renouveler son équipe. Ainsi, le général Mattis démissionna en décembre 2018 à la suite de l’annonce par le président du retrait des troupes américaines de Syrie. Il s’attendait à partir effectivement fin février, après une ultime réunion des ministres de la défense mais le président en décida autrement et le poussa vers la sortie au 31 décembre pour le remplacer par Patrick Shanahan, son adjoint au pentagone. Quant à Rex Tillerson, il avait cédé sa place de secrétaire d’État depuis longtemps à Mike Pompeo tandis que le faucon Bolton avait pris la tête du Conseil de sécurité nationale (NSC). M. Pompeo rappelait certes en décembre 2018, lors d’un passage à Paris , son soutien à des « organisations internationales dynamiques, qui respectent la souveraineté nationale, qui accomplissent leurs missions déclarées et qui créent de la valeur pour l’ordre libéral et pour le monde ». « Les Alliés de l’OTAN doivent donc tous œuvrer à la consolidation de ce qui est déjà la plus grande alliance militaire de l’histoire (…) et nos liens historiques doivent perdurer ». Cette dernière remarque signifiait-elle qu’ils pouvaient ne pas durer ? On peut se le demander rétrospectivement.

En effet, dès sa première conférence de presse en 2019, le président américain déclarait : « Je me fiche de l’Europe. (…) Beaucoup de pays ont profité de notre armée. Nous accordons une protection militaire aux pays très riches et ils ne font rien pour nous. Vous pouvez les appeler alliés si vous le souhaitez, , mais nombre de nos alliés profitent de nos contribuables et de notre pays. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire. (…) Je veux que l’Europe paye. L’Allemagne paie 1%. Ils devraient payer plus que cela. Ils devraient payer 4% ». Aussi le New-York Times du 15 janvier 2018 titrait que le retrait de l’OTAN était à l’ordre du jour à la Maison Blanche. Selon le journal, il semble que tout au long de 2018, le président en ait eu le désir et l’ait confié à des proches, d’autant qu’il ne voyait pas les alliés (notamment l’Allemagne) augmenter drastiquement leurs budgets de défense.

Il faut prendre D. Trump au sérieux, il fait souvent ce qu’il dit : il s’est retiré de nombre d’accords (accord de libre-échange Asie Pacifique, accord sur le nucléaire iranien, accord de Paris sur le climat, bientôt le traité INF) car il se méfie instinctivement des engagements internationaux des États-Unis. Il n’a aucune affection envers les Européens et une profonde défiance envers l’Allemagne (pour lui, pays leader en Europe) qui profite trop, à ses yeux, de la mondialisation qu’il veut remettre en cause. Comme nombre d’Américains, il assimile l’OTAN à l’Europe et un retrait de l’organisation constitue pour lui le moyen de manifester cette défiance, d’autant qu’il n’est pas du tout sensible à la menace russe (peu importent les raisons) ni à la menace djihadiste (plus exactement, il ne voit pas bien ce que les Américains ont à faire au Moyen-Orient, ce qui explique sa décision de retirer ses troupes de Syrie). On peut d’ailleurs s’attendre à ce qu’une décision prochaine sera le retrait des troupes d’Afghanistan et donc la fin de la Mission RSM, qui est quasiment la dernière mission opérationnelle de l’OTAN.

Il va de soi que les atlantistes historiques et les alliés voient cette possibilité comme absolument horrible tant elle remettrait en cause les cadres mentaux prévalant depuis 70 ans.

Vers la fin de l’alliance ?

Il faut alors revenir à la question d’origine : serions-nous à l’aube d’une fin prévisible de l’Alliance atlantique ? Poser la question est douloureux pour tous les atlantistes. Le simple fait de la poser les gêne car l’intangible devient possible, l’inimaginable devient une hypothèse réaliste. La fin de l’Alliance est désormais une option sur la table, ce qui était impensable et n’avait jamais été expérimenté depuis l’origine.

L’Alliance a bien sûr toujours connu des crises. D’ailleurs, l’Alliance constitue en fait une instance de résolution des crises entre des partenaires : découplage, partage du fardeau, euromissiles, crise yougoslave, attaques du 11 septembre : toutes furent des crises très dures, toutes furent présentées comme « existentielles », « à la croisée des chemins ». Pourtant, toutes portaient sur des questions d’efficacité de l’Alliance : comment faire de l’Alliance l’outil efficace dans la rivalité avec l’ennemi soviétique ? Il s’agissait donc de questions très sérieuses, indubitablement, mais finalement pas « existentielles » au sens où l’existence de l’institution en elle-même aurait été menacée. L’efficacité est moins essentielle que la nécessité.

Voici ce qui change radicalement avec le discours de D. Trump : l’existence de l’institution est en jeu. Car qui imagine que l’Alliance puisse perdurer sans les États-Unis ? Car en dépit de ceux qui en France dénoncent la mainmise américaine sur l’institution, celle-ci n’a été créée que pour encadrer justement, autant que faire se peut, l’engagement des Américains en Europe. Mieux, pour le forcer, après les déceptions de la Première Guerre mondiale (arrivée tardive en 1917, non ratification du traité de Versailles) puis de la Seconde (arrivée là encore tardive, fin 1941). Les Européens l’ont longtemps reproché (discrètement) aux Américains et c’est pourquoi la plupart des Européens (sauf certains Français) sont tout à fait satisfaits de l’existence de l’Alliance et de sa direction par les Américains.

Car l’OTAN n’est puissante que grâce aux capacités américaines (conventionnelles et, rappelons-le, nucléaires, ce qui explique la dénucléarisation de l’Europe hors Royaume-Uni et France) : pour les Européens, il est donc normal que les Américains conduisent le camion qu’ils ont quasiment fabriqué et qui tire le fardeau de la défense de l’Europe. Cela leur permet même de faire des économies, réduisant leurs propres budgets de défense puisque les Américains assurent cette externalité positive. C’est d’ailleurs le principal reproche émis par D. Trump : les Européens et particulièrement les Allemands ne payent pas assez pour leur défense. Notons qu’il ne fait que répéter, en des termes plus crus, ce que déjà Georges Bush Jr et B. Obama avaient dit aux Européens, qui ne l’avaient entendu que d’une oreille discrète. Avec D. Trump, le volume sonore a monté tellement que Européens comme Américains de l’établissement l’entendent. Ils s’en désolent mais surtout, à l’instar d’un fil de tweets de l’ambassadeur Shapiro , ils évaluent les conséquences de l’impensable : ce serait, à coup sûr, un paysage stratégique européen ravagé. Sans aller jusqu’à l’invasion de portions de territoire européens par les Russes (cauchemar immanquablement cité), ils observent l’inéluctable montée des tensions entre pays européens, sans compter l’augmentation très forte des dépenses de défense. On s’intéresse subitement à l’article 13 de l’OTAN (celui qui prévoit les modalités de sortie du traité). Quasiment personne n’imagine réellement qu’un départ des Américains déclenche par magie la construction d’une organisation européenne intégrée de défense, dans le cadre de l’UE. Les tensions actuelles sont aujourd’hui telles entre États-membres, les positions si éloignées que seul le parrain américain a permis à l’ensemble de coexister dans l’Alliance. Il serait d’ailleurs plus que probable que de nombreux États européens chercheront des alliances bilatérales avec Washington, quitte à recréer une mini Alliance (sans l’Allemagne ?).

Conclusion : les fins ou la fin ?

Nous n’en sommes pas encore là. Donald Trump ne pratique pas seulement une « stratégie du fou ». Il ne s’agit pas juste pour lui de « monter les enchères », en homme de poker qu’il est. La grande nouveauté, c’est que chacun de ses partenaires reste persuadé qu’il ne bluffe pas. Il reste qu’implicitement, le président américain pose une question stratégique majeure, que l’on a soigneusement écartée depuis quelques années : à quoi sert l’OTAN ? S’il s’agit de défense commune, qui est défendu ? contre qui ? D. Trump n’est pas persuadé que les États-Unis soient défendus . Il n’est pas non plus persuadé de la menace et donc de l’existence d’un ennemi (sans même évoquer l’hypothèse d’une proximité personnelle avec le système russe). Il constate enfin que les Européens pratiquent allègrement la méthode du passager clandestin, payant peu pour leur défense, envoyant des troupes de façon mesurée sur les différents théâtres d’opération, prenant sur place bien peu de risques opérationnels. Pour lui, « le compte n’y est pas ». C’est un homme d’affaire, habitué aux négociations commerciales et doué par ailleurs d’une intuition vive : non un idéologue, mais un homme qui obéit à ses impulsions, à ce qu’il perçoit comme le sens commun qu’il est intimement persuadé partager avec l’Amérique profonde.

L’OTAN a perdu depuis longtemps sa bonne image outre-Atlantique, ne nous y trompons pas. Si elle ne sert plus, à quoi bon la maintenir ? Voici au fond une logique de destruction créatrice : débarrassons-nous du vieil homme, construisons autre chose. L’Alliance est une vieille dame qui fête cette année ses 70 ans : est-elle trop vieille pour le nouveau siècle ? Le vieux programme de Lord Ismay est bien évidemment inadapté. Il faut certes inclure les Américains, mais il ne s’agit plus de soumettre les Allemands. Quant à exclure les Russes, la question reste ouverte tant une autre approche pourrait être envisageable. À défaut de définir de nouvelles fins, l’Alliance pourrait sinon trouver sa fin.

OK

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Lundis de la cybersécurité : alliances et cyberespace (18 mars)

jeu, 07/03/2019 - 10:24

Je participerai lundi soir prochain 18 mars (18h30-20h30) aux lundis de la cybersécurité, organisés par l'ami Gérard Peliks et le cercle d'intelligence économique du MEDEF.

Dans le cadre des "Lundi de la cybersécurité" organisés par le Cercle d'Intelligence économique du Medef Hauts-de-Seine, avec ParisTech Entrepreneurs à Télécom ParisTech

Venez assister à l'événement autour du thème : Les alliances dans le cyberespace

Lundi 18 mars 2019 de 18h30 à 20h30, accueil à partir de 18h00

Dans le cyberespace, les États ne comptent pas de vrais amis, seulement des alliés très souvent provisoires, et plus souvent d'autres États dont les intérêts stratégiques ou commerciaux peuvent entrer en concurrence directe. L'espionnage, par des moyens numériques, jusqu'au plus haut niveau, est une pratique courante. Mais tout est feutré jusqu'à ce qu'un média bien informé révèle ces actions inamicales. Parfois même un Etat envoie de fausses informations sur son rival, souvent au moment d'élections, voire essaie de saboter ses infrastructures vitales.

Comment peut-on risquer de toucher une confiance qui est jugée dispensable pour le fonctionnement normal d'une alliance, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale ? Comment une telle alliance peut-elle survivre à de tels événements ? Y a-t-il des alliances spécifiques au cyberespace, ou des modalités particulières à ce milieu ?

Nous essaierons de répondre à ces questions le 18 mars 18h30 avec le général (2S) Olivier Kempf.

Lieu : Télécom ParisTech, amphi B310 46, rue Barrault - 75013 M° Corvisart ou Glacière, ligne 6 Participation gratuite

Inscription obligatoire par mail, voir en : http://www.medef92.fr/fr/evenement/lundi-de-lintelligence-economique-ie-4

Nous vous signalons également un autre évènement sur la cybersécurité : les GS Days, le mardi 2 avril, espace St Martin Paris 3e. Voir en https://www.gsdays.fr/

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France et Italie

mer, 06/03/2019 - 10:20

Je participerai au festival de géopolitique organisé par la revue italienne Limes, ce weekend à Gênes.

Quelques éléments pour comprendre :

J'y évoquerai les difficiles relations entre la France et l'Italie. Sujet d'actualité, direz-vous ? Oui, mais nous avions décidé de ce sujet, avec Lucio Caracciolo, l'été dernier lors de son passage à Paris, alors que nos constations déjà qu'il y avait de la friture sur la ligne. Les récents événements n'ont fait que rendre visible ce qui était déjà patent pour qui savait observer.

Mon intervention aura trois thèmes successifs :

  • des histoires de politique intérieure (des deux côtés des Alpes)
  • une histoire paradoxalement européenne
  • des réalités géopolitiques bien plus profondes et finalement inquiétantes

O. Kempf

Catégories: Défense

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