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2023-06-28T12:43:19+02:00 Olivier Kempf
Mis à jour : il y a 3 jours 14 heures

La Vigie 25 est sortie : De l'Allemagne, entre vertus et rigueurs | Fronts d'Asie

mer, 16/09/2015 - 22:57

La Vigie 25

De l’Allemagne, entre vertus et rigueurs

L’Allemagne est de retour. Certes, l’affirmation a de quoi surprendre tant on n’a jamais eu l’impression, ces dernières années, qu’elle ait été vraiment absente. Au contraire, chacun pouvait constater à quel point elle avait pris la direction de l’Europe, pour le meilleur comme pour le pire. Chacun s’accordait à penser que sa puissance économique lui conférait des privautés politiques, notamment pour diriger la barque européenne. Mais personne ne la jugeait pour autant aimable. Au contraire, on dénonçait son égoïsme et le traitement de paille de fer qu’elle imposait au reste de l’Europe.

Voici donc qu’à l’occasion de la crise des réfugiés, l’Allemagne se découvre aimable, (…)

Fronts d’Asie

L’Histoire a trois fonctions principales, l’académique (relater scientifiquement une réalité d’hier), la politique (donner du sens aux faits d’alors) et la nationale (convoquer une dynamique collective d’aujourd’hui). Ainsi en va-t-il de la réintégration du 9 mai et du 3 septembre 1945 dans la chronologie de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Marquée par d’importantes cérémonies politiques et des grandes parades militaires à Moscou et Pékin, elle est à lire dans le contexte stratégique actuel.

Au retour de Pékin après le 3 septembre, voici quelques réflexions à partager. (…)

O. Kempf

Catégories: Défense

Progrès et croissance

sam, 12/09/2015 - 15:51

Je me rends compte de la parenté de deux mots clefs de notre époque : ceux de progrès et de croissance. Ils ont de profonds liens et pourtant leur signification s'érode...

Source

Le "progrès" est le plus ancien. Apparu dès les Lumières, il prit toute sa signification à partir de la Révolution française puis de la révolution industrielle du XIX° siècle. Suivant Auguste Comte, le progrès devait devenir l'objet d'une nouvelle religion. Mais il ne s’agit pas simplement d'un progrès technique, il s'accompagnait également d'un progrès social, économique et surtout politique. La vie serait meilleure, les lendemains chanteraient, l'humanité marchait vers un horizon préférable à l'existence du moment. Au fond, point n'était plus besoin de religion et notamment d'une religion promettant résurrection et paradis puisque désormais on pouvait le bâtir sur terre.

Deux siècles plus tard, une telle promesse n'emporte plus l'adhésion. Auschwitz est passé par là, la pollution aussi. Personne ne remarque l'accroissement général du niveau de vie et la révolution cyber, ultime révolution industrielle et anthropologique, ne suscite guère de débats que chez quelques passionnés. La lassitude submerge tout.

Entre temps, un autre mot a remplacé ce progrès trop général pour convaincre encore. IL s'agit de la croissance. Cet ingrédient disparu, ce Moby Dick des économies essoufflées, ce carburant d'autant plus rêvé qu'il appartient désormais au passé, cette croissance a longtemps joué les offices du progrès. Grâce à la croissance, tout devait mieux aller, le niveau de vie augmenter, le chômage baisser. Oh! on est certes loin du mirage universel du progrès, la croissance est beaucoup plus petite bourgeoise et utilitaire, elle est le carburant magique après lequel on court, comme les naufragés post-Apocalypse de Mad Max 2. On a longtemps craint une pénurie de pétrole, nous voici en pénurie de croissance.

Mais toujours le même ressort, celui de cette marche dynamique et ascensionnelle. Au point qu'à écouter certains, on discerne des accents proto-religieux dans la façon qu'ils ont de prononcer "croissance", évoquant avec respect le nom d'une divinité mystérieuse et sacrée dont on espère l'incarnation.

Je force bien sûr le trait mais constate également que la "croissance" a remplacé le "progrès" dans le discours public, celui qui nous promet un mécanisme extérieur qui nous emporterait collectivement vers un futur meilleur, discours thaumaturge qui nous permet de supporter les maux du moment.

Incantatoire et éloigné du réel ?

O. Kempf

Catégories: Défense

La guerre et l'Etat

mer, 26/08/2015 - 20:03

Publié au début de l'année, le Dictionnaire encyclopédique de l'Etat est une Bible. De Diplomatie à Westphalie, d'Etat de droit à Paix, de Biens publics de l'Etat à Sécession ou Vatican, on y trouve énormément de chose pour le juriste (de droit public, en général), le poiltiste, l'internationaliste et donc le géopolitologue.

J'y signe l'article "Guerre" (sous l'angle du politique, sachant qu'un autre article le traite du point de vue du droit).

Chez Berger-Levrault, sous la direction du Pr Mbongo, de F Hervouet et de C. Santulli.

O. Kempf

Catégories: Défense

La sphère stratégique nucléaire

jeu, 20/08/2015 - 10:49

J'ai publié dans le numéro d'été consacré au "nucléaire militaire", un article un peu théorique sur la sphère stratégique nucléaire (ci-dessous, intro, plan détaillé, conclusion). Sachez que je travaille pas mal sur ces questions de dissuasion en ce moment. On verra ce que ça donnera. Mais je profite de ce court billet pour recommander chaudement le numéro de la RDN, qui est passionnant et extrêmement complet. Il vaut réellement le détour.

L’arme nucléaire apparue au milieu du siècle dernier a profondément structuré les stratégies militaires d’un grand nombre d’Etats, qu’ils en soient dotés ou non. Elle a donné naissance à une « sphère stratégique nucléaire » qui s’articule avec les grandes stratégies mais aussi avec les autres stratégies de milieu (terre, mer, air …). Cette sphère stratégique obéit à un certain nombre de principes, les uns portant sur la dialectique stratégique, les autres sur les capacités, ce qui a entraîné de profondes conséquences sur la mise en œuvre de l’arme.

I La sphère stratégique nucléaire

Je décris cette notion, évoquée dans "Introduction à la cyberstratégie".

II Principes de doctrine stratégique

Le système français repose sur une double série de principes, les uns portant sur la dialectique stratégique, les autres sur les capacités. Quatre principes portent sur la dialectique stratégique : ceux de volonté, d’omni-direction, de continuité et de flou. Trois principes portent sur la capacité stratégique : ceux de crédibilité, de permanence et de suprématie. Ces sept principes ont plusieurs conséquences stratégiques, propres à cette mécanique de la dissuasion.

Conclusion

L’arme nucléaire constitue donc une sphère stratégique autonome. Si elle ne saurait ordonner tous les conflits, elle demeure toutefois structurante au point de profondément affecter l’ensemble de calculs stratégiques. La sphère nucléaire, en tant que sphère stratégique, présente une caractéristique : elle est issue de la maîtrise scientifique de la matière et en cela, elle peut être perçue sous son seul aspect d’innovation technologique. Pourtant, l’essentiel n’est pas là : il est dans le caractère artificiel et anthropogène de cette arme et donc de cette sphère stratégique. Celle-ci, pour la première fois dans l’histoire, n’est pas simplement un milieu naturel qui est dominé par la technologie, elle est une création humaine, un « milieu » artificiel (même si, on l’a compris, le mot milieu est inadapté et justifie qu’on ait adopté celui de sphère stratégique).

Elle présente des caractéristiques propres (les sept principes énoncés) qui emportent de multiples conséquences que nous avons esquissées. Cependant, malgré sa totalité, la sphère nucléaire ne saurait réduire à néant toutes les rivalités de puissance qui trouvent d’autres lieux pour s’exprimer, que ce soit dans d’autres champs (guerre économique, cyber conflictualité) ou d’autres modalités (conflits irréguliers). Mais la sphère nucléaire organise les relations westphaliennes qui demeurent, aujourd’hui, centrales. C’est ce qui assure la pérennité de l’arme et milite pour poursuivre les efforts de mise à niveau afin notamment de maintenir les compétences (dans le domaine nucléaire –arme, vecteur, porteur) plus encore que dans d’autres, quand on abandonne une compétence, il faut trente ans d’efforts pour la récupérer.

Pourtant, les possibilités stratégiques de contournement de la sphère nucléaire semblent se profiler. Au fond, elles reposent sur la négation du caractère absolu de la puissance nucléaire. L’apparition de nouvelles formes de puissance stratégique et technologique est envisageable, mais encore à un horizon encore lointain. D’ici là, l’arme nucléaire est incontournable et il serait inconséquent de renoncer à la maintenir.

Catégories: Défense

Hexagone (L. Deutsch)

lun, 17/08/2015 - 12:39

Voici un livre que les cuistres ne doivent pas apprécier. Pensez ! un amateur d'histoire qui se mêle d'écrire un livre d'histoire !

Or, sa lecture est non seulement agréable mais très instructive. Elle permet de parcourir les siècles, au prétexte de parcourir les routes de France. J'ai particulièrement apprécié qu'il commence "tôt", c'est-à-dire au VIe siècle avant JC, manière de montrer l'enracinement géographique de longue durée de ce qui deviendra, tardivement, l'hexagone.

Les routes choisies ne sont pas "évidentes" sauf certaines qui tombent sous le sens. Pour la plupart, il s’agit d'itinéraires qui permette à Lorànt Deutsch de parcourir le pays, de long en large. Prétexte à nous rafraîchir la mémoire historique, à visiter les régions de France, à rendre concret, chronologiquement et spatialement, notre histoire partagée.

Voici peut-être le principal reproche que les hautains feront au livre : il est accessible, selon un schéma chronologique classique, où la transversalité est celle du territoire, notion quasiment chauvine.

Moi, ça m'a plu, j'ai appris des tonnes de choses et ce la m'a soufflé quelques réflexions sur la géopolitique de la France (voir mon livre). En fait, une sorte de géohistoire appliquée et joyeuse, populaire et non élitiste. D'ailleurs, le livre a rencontré un succès réel. Mérité, à mon avis.

O. Kempf

Catégories: Défense

La puissance militaire (QI)

sam, 01/08/2015 - 10:19

Voici un excellent numéro de la revue Questions Internationales sur La puissance militaire. Numéro double d'été (mai-août 2015) et que je vous conseille vivement d'acquérir pour la plage... 12 euros, c'est donné vu la qualité des articles que j'ai lus. En effet...

...la plupart des auteurs ont fait l'effort d'une réflexion originale, à partir de leurs domaines d'expertise, cela va de soi.

L'introduction (8 pages quand même) de Serge Sur est copieuse est dresse un très bon tour du sujet. J'ai particulièrement apprécié le premier sous-dossier sur "la puissance militaire en mouvement" avec notamment (je note ceux qui m'ont particulièrement frappé) les textes de Christian Malis, Yves Boyer, Michel Goya et Corentin Brustlein. Le deuxième sous-dossier (Quelques acteurs militaires) s'intéresse plus aux déclinaisons de cette puissance militaire, qu'elle soit par milieu (puissance aérienne ou navale) ou géographique (puissance américaine, chinoise, russe). Enfin, la troisième partie évoque la puissance militaire dans l'histoire, heureuse façon de donner quelques aperçus historiques. J'ai notamment rertenu les articles sur Rome (B. Rossignol) et l'empire ottoman (Jean Marcou).

Bref, 200 pages de très bonne tenue qui valent le détour.

O. Kempf

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La Vigie 21-22 Quelques suites stratégiques à l’accord avec l’Iran | En finir avec les livres blancs

mer, 22/07/2015 - 22:27

La Vigie, lettre d'analyse stratégique publiée par Jean Dufourcq et Olivier Kempf et paraissant tous les deux mercredis, vous propose son numéro double 21 et 22.

Vous trouverez dans ce numéro daté du 23 juillet 2015 un texte intitulé Quelques suites géopolitiques de l'accord avec l'Iran, un autre sur En finir avec les Livres Blancs, une Lorgnette sur Réagir aux crises.Enfin, pour ce numéro double d'été (prochaine parution prévue pour le 19 août), nous vous présentons en Lectures d'été une sélection d'ouvrages qui nous ont marqués cette année et qui pourraient susciter votre attention pour creuser tel ou tel sujet. Si vous êtes déjà abonné à La Vigie, vous pouvez accéder directement au numéro 21-22 en vous rendant sur cette page. N'oubliez pas de vous connecter afin d'y accéder.

Enfin, pour ceux qui n'auraient pas reçu le courriel signalant le numéro 20 (Conséquences géopoitiques d'un Grexit | Place de l'universel en stratégie), en voici les liens :https://www.lettrevigie.com/?p=831

Vous pouvez également lire les billets publiés en livre accès sur le site :

Suites stratégiques de l'accord avec l'Iran

  • La signature, le 13 juillet dernier, de l’accord entre le P5+1 (les cinq membres du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) avec l’Iran revêt une autre qualité que celui obtenu le même jour entre l’UE et la Grèce. Dans un cas, 17 h de discussion pour un résultat qu’on sait déjà instable (voir billet de jeudi sur LV), dans l’autre 17 mois de négociations serrées, techniques, tendues, mais aboutissant à un résultat remarquable. L’un est fondé sur la peur et la coercition, l’autre parie sur une volonté d’aboutir et, qui sait ? de rétablir la confiance. Il a plusieurs significations stratégiques qu’il convient d’établir ... (...)

En finir avec les Livres Blancs

  • La pratique s’en est installée dans notre pays : à chaque législature, son Livre blanc sur la défense. Si le catalogue des experts consultés varie peu, chaque nouvel exécutif se croit obligé de refonder ce domaine régalien pour se l’approprier. Est-ce si utile et quoi faire d’autre en cette période de fluidité stratégique ? Les principales critiques à adresser à cet exercice désormais convenu sont bien connues . (...)

Pour avoir accès au numéro 21-22 en entier, rendez-vous sur le site de La Vigie et abonnez-vous : l'abonnement découverte pour 3 mois vaut 16 €, l'abonnement annuel pour les particuliers vaut 60 €, l'abonnement pour les entreprises et organisations (5 licences) vaut 250 €. Pour s'abonner, cliquer sur le lien “Vigie n° 21-22”, ajoutez au panier, cliquez sur “régler ma commande", payez, comme sur n'importe quel site de commande en ligne. Une fois que vous serez abonnés, vous recevrez un courriel avec un lien direct vers le numéro et à l'avenir, chaque numéro arrivera directement dans votre boite mail.

Vous pouvez aussi vous procurer le numéro à l'unité, de la même façon.

L'avenir de La Vigie et son développement (pour apprécier le projet, lire “à propos”) dépend de vos abonnements. Nous espérons que vous nous souviendrez dans cette aventure. Bien cordialement,

Jean Dufourcq et Olivier Kempf

Catégories: Défense

Quelques parutions d'été

jeu, 16/07/2015 - 21:50

Je profite de ce début d'été pour signaler quelques parutions qui méritent le détour : Vous avez le temps, sur les plages, de les feuilleter et qui sait? de les lire.

HS Sciences et avenir

Très bon numéro hors série. On y parle de cyber, de drones, de soldat du futur, de nucléaire, de robots, 'armes à effet dirigé. J'ai appris plein de trucs. Ils ont eu la gentillesse de me poser des questions et l'article reflète convenablement ce que j'ai pu raconter, mais là n'est pas le plus important : le reste (les autres sujets) est passionnant. D'habitude, je suis rarement conquis : là, c'est réussi.

Conflits n°6

Petit à petit, la revue conflit s'installe comme la revue de géopolitique de référence. Son mérite, réunir tout un tas de professeurs de classes prépa, qui apportent donc de la solidité. Très bon dossier sur l'Iran mais les autres articles sont bien faits.

Guerres et histoire n° 25

Le bimestriel continue sa course. Dernière livraison sur la grande armée, où je vérifie ce que j'avais appris autrefois : une charge se fait au trop, seuls les derniers mètres passant au galop...

Géoéconomie n° 75

Numéro assez divers (Al COustillère, B. Courmont...) dont un dossier sur l'Afrique.

O. Kempf

Catégories: Défense

Quelle est la valeur de l'information dans l'entreprise ?

mer, 15/07/2015 - 22:06

Ayant participé au sommet de l'intelligence économique, organisé début juin à Chamonix, j'y ai répondu à quelques questions sur la valeur de l'information dans l'entreprise : en deux minutes, les trois strates de la cyberstratégie d'entreprise.

visionner la vidéo

O. Kempf

Catégories: Défense

Marges et marginalités dans le cyberespace

lun, 13/07/2015 - 11:27

La revue en ligne Res Militaris, animée par B. Boëne, vient de publier un numéro spécial cybersécurité (Sommaire) avec tout plein d'auteurs (les habituels et plein de nouvelles plumes). J'y signe un article "Marges et marginalités dans le cyberespace" que je vous donne en lecture ci-dessous.

Résumé : Le cyberespace est entré dans toutes les dimensions de nos vies, privées ou publiques : sa centralité devrait donc a priori l'exclure des marges. À cause justement de ce mouvement de fond, la notion de marge se trouve bouleversée. De plus, le cyberespace suscite l'apparition de nouvelles marges et favorise la naissance de mouvements nouveaux et massifs permettant des expressions insoupçonnées, car longtemps restées marginales. En ce sens, le cyberespace serait un révélateur de marginalités destinées à devenir rapidement plus centrales.

Marges et marginalité dans le cyberespace

Le mot “marges” recèle de multiples sens : géographique, social, technique, politique, comportemental... Ces diverses acceptions constituent autant de clefs d’analyse pour comprendre la nature des pratiques sur le cyberespace. Lui qui était à l’origine marginal est devenu désormais un outil central du fonctionnement de nos sociétés. Il n’est plus désormais un aspect de nos vies qui ne soit confronté à cette nouvelle réalité. Le cyberespace est un espace social et comme tel, il pose la question de la permanence des marges anciennes et de leur renouvellement.

Ainsi, après avoir questionné cette notion de marges, le présent article montrera que le cyberespace a permis l’apparition de nouvelles marges – de comportements déviants qui lui sont intrinsèques – avant de permettre, grâce à sa diffusion générale, la naissance de mouvements nouveaux et massifs permettant des expressions insoupçonnées car restées longtemps marginales. En ce sens, le cyberespace serait un révélateur de marginalité.

Questionner les marges

Les marges peuvent être géographiques, sociales ou liées à la mobilité. L’apparition du cyberespace les modifie en profondeur.

Marge géographique

La marge peut d’abord être “géographique”. Elle se rattache à un autre terme, proche, celui de “marches”, qui revêt pourtant une signification politique immédiate. Sont particulièrement éclairants ici les travaux de Michel Foucher,1 qui distingue la frontière linéaire et le front marchant. Aujourd’hui, en effet, nous concevons “naturellement” la frontière comme une ligne séparant deux territoires. Cette perception est toutefois le résultat d’un processus historique né à l’occasion des traités de Westphalie, au 17e siècle. Peu à peu au cours de l’histoire moderne, la frontière s’est rapprochée de ce modèle linéaire au point de devenir, pour beaucoup, la seule façon de la concevoir. Ainsi, la fin du 19e siècle et le 20e siècle virent de nombreuses frontières tracées à travers le monde, selon un processus d’orogénèse dû notamment aux puissances coloniales. Toutefois, ce modèle oublie les marges d’autrefois, frontières larges qui permettait d’avoir des étendues non appropriées, des no man’s lands qui ménageaient des espaces poreux entre territoires.

  • 1 M. Foucher, Fronts et frontières : un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1991.

Ce début de 21e siècle voit la remise en cause de ces frontières linéaires, et l’admission de leur porosité. C’est évident dans le monde réel et le sujet a été abondamment discuté. Il apparaît également dans le cyberespace : tout un courant d’analyse questionne la notion de frontières dans le cyberespace et constate une apparente balkanisation qui passe par l’érection de ces limites.2 Toutefois, celles-ci sont floues et larges. Elles sont structurellement perméables et laissent “de la marge” pour que des acteurs déterminés puissent les franchir. Il s’agit plutôt de nouvelles “marges”, assez profondes pour permettre un certain niveau de sécurité à ceux qui les mettent en place.

Marge sociale

La marge peut aussi être sociale et désigner celui qui est “en marge” de la société. Cette marginalisation peut être choisie pour des motifs philosophiques (Diogène), religieux (moines et ermites) ou en réponse à des aspirations à la liberté (nombre d’“autonomes” motivent ainsi leur mode de vie). Elle peut surtout être subie, à la suite d’accidents de la vie ou pour des raisons économiques ou sociales (SDF et exclus, mais aussi populations migrantes). Force est de constater que ces marginaux n’ont pas une utilisation particulière du cyberespace. Cela ne signifie pas qu’ils en sont totalement absents (les monastères ont des sites Internet ; beaucoup de SDF ont des téléphones portables avec un accès minimal au réseau ; des mouvements politiques radicaux ont des façades sur Internet ; il existe de nombreux cybercafés qui permettent de se connecter au cyberespace), mais l’observateur ne remarque pas une interaction significative entre le cyberespace et ces marginaux “traditionnels”. Celui qui choisit d’être en marge de la vie sociale sera aussi en marge de ses évolutions, fussent-elles cybernétiques.

Marge et mobilité

La mobilité a souvent été un attribut de la marge. Les chemineaux d’autrefois qui parcouraient les campagnes étaient souvent perçus, par les populations enracinées dans la terre, comme des menaces. On y voyait l’étranger, la différence, le danger. Outre ces chemineaux civils, les guerriers de hasard et autres bandes armées ont longtemps été considérés comme des menaces encore plus directes, amenant le danger de la guerre et de la violence sur les biens et les personnes. Enfin, les Roms continuent de nos jours de faire face à l’hostilité de bien des populations, tant ils sont souvent perçus comme des voleurs et des menaces à la sécurité publique. Ainsi, la mobilité est traditionnellement perçue comme l’expression de la marginalité par rapport à un ordre social territorialisé. Avec la mondialisation et le cyberespace, cette perception évolue. Tout le monde devient de plus en plus mobile, et le cyberspace est pour chacun le facilitateur de cette mobilité accrue. Les ordinateurs “portables”, les téléphones “mobiles”, les tablettes et autres

  • 2 O. Kempf, “Cyberespace et dynamique des frontières”, Inflexions, printemps 2015.

ardoises électroniques, l’accès permanent à ses réseaux sociaux où que l’on soit, constituent autant de signes de l’inversion des perceptions. Là où la mobilité était considérée comme exceptionnelle et potentiellement dangereuse, elle devient une norme partagée par tous. La mobilité n’est plus une marge. Le cyberespace modifie donc la perception traditionnelle des marges. Par ailleurs, il révèle de nouveaux types de marges.

Le cyberespace, facteur d’émergence de nouvelles marges

Le cyberespace a en effet produit de nouveaux types de marginalité.

Technique cyber et marginalité : le hacker

Le cyberespace est un espace artificiel, construit par l’homme et sa technique. La maîtrise de cette technique entraîne des comportements marginaux. Le premier exemple qui vient à l’esprit est celui des hackers, dont le grand public a souvent une perception négative. Ils sont pourtant des spécialistes de la sécurité informatique et leurs intentions ne sont pas systématiquement malignes, loin de là. On les distingue ainsi selon leur “couleur” : les “blancs” sont juste des professionnels qui effectuent des tests d’intrusion au profit de leurs clients, les “gris” n’hésitent pas à entrer dans des systèmes sans y être autorisés, sans forcément avoir de mauvaises intentions (souvent à la recherche de l’exploit informatique qui assoira sa réputation), les “noirs” enfin créent des maliciels et autres dispositifs d’intrusion illicites, pour des motifs personnels (nuire, faire du profit, obtenir des informations sensibles). Ils sont des “pirates informatiques” qui agissent pour leur propre compte, en marge des lois existantes. Hackers gris et plus encore noirs sont donc des marginaux, qui profitent de leur connaissance pointue des systèmes informatiques pour franchir les bornes des entreprises ou organisations qu’ils ciblent. Évoluant en marge de la loi et des règles, ils sont à l’évidence des marginaux d’un nouveau type.

Pourtant, leur marginalisation n’est qu’apparente, car ils sont souvent “réintégrés” dans le monde “normal” au fur et à mesure de la diffusion généralisée du cyberespace, qui est désormais au cœur de nos organisations sociales. Nombre de cyberpirates sont ainsi recrutés par des compagnies tout à fait officielles, même si beaucoup d’autres se mettent en lien avec des réseaux criminels traditionnels. La nature marginale des hackers reste floue.

Assiduité cyber et marginalité sociale

Toutefois, sans aller jusqu’à ces extrémités, le cyberespace favorise l’émergence de nouveaux comportements qui font vite apparaître des catégories neuves de marginaux au sein de la société normale. Le geek est cette personne passionnée par un domaine (science fiction, jeu vidéo, fantastique). Une catégorie particulière de geek est celle du nolife : sa passion devient alors une dépendance qui va jusqu’à constituer un frein à ses relations humaines et sociales. Il sort peu à peu de la société, ne vivant que dans le monde virtuel de sa passion. Force est de constater que ces nolife sont apparus avec le cyberespace : la question n’est pas tellement celle des jeux vidéo mais de leur mise en réseau et donc de la participation à une communauté particulière, inaccessible au commun des mortels. Cet isolement est permis par le cyberespace qui produit donc des cas nouveaux de marginalité. Ces marginaux “habitent” au cœur du cybermonde qu’ils sont en train de construire.

Mais à l’opposé, la non-fréquentation du cyberespace ne devient-elle pas une nouvelle marginalité ? Un individu non connecté n’est-il pas marginal ? Constatons ainsi que cela constitue l’un des critères de recherche des services de renseignement. Ceux-ci observent l’activité numérique d’un individu et paradoxalement, celui qui n’en a pas attire l’attention et devient un suspect potentiel. Cela fait penser aux difficultés rencontrées par les sous-marins nucléaires : ceux-ci ont tellement réussi à réduire leur niveau de bruit que la poche de silence qu’ils créent constitue, dans le bruit de fond sous-marin ambiant, une signature de leur présence. Ainsi se pose la question de l’usage “normal” du cyberespace. Par rapport à sa pratique “moyenne”, les comportements extrêmes (pas d’usage, ou trop d’usage) constituent des marges. Cependant, le comportement “normal” sur le cyberespace évolue lui-même au cours du temps, à mesure du développement rapide du cyberespace. Les marges comporte-mentales évoluent en conséquence.

Marges scientifiques : à la pointe du progrès ?

Ces nouveaux comportements posent un certain nombre de questions entourant leur régulation sociale. Ainsi, le comportement marginal sur le cyberespace peut-il le rester longtemps ? Est-il lié à la notion d’isolement ? Le marginal n’est-il pas le moteur de nouveaux progrès ? C’est ce que clament par exemple nombre de hackers, qui affirment que leur recherche des failles de sécurité permet, au final, d’améliorer la robustesse générale des systèmes informatiques, donc le bien collectif.

Dans cette optique, on peut également s’interroger sur la notion de progrès informatique. L’innovation numérique et technologique peut-elle naître de comportements initialement marginaux ? Le statut de marge a-t-il un rapport avec la topologie de l’Internet (avec ses parties peu ou pas connectées3) ? Doit-on chercher la marge sur le Dark Web ? Dans le cyberespace, quel lien existe-t-il entre marge et audience ? Existe-t-il un hacking “mainstream” et un autre “de marge” ou marginal ? Enfin, la notion de marge a un sens pour le code lui-même : existe-t-il des codes marginaux dans l’ensemble des codes ? Comment en donner une définition ?

Le lecteur l’aura compris, la notion de marge scientifique est cruciale pour comprendre le développement du cyberespace.

  • 3 En théorie des graphes, on parle de composantes fortement connexes. Sur le graphe du Web, il existe des composantes disjointes et non connectées : abrite-t-elle les “marginaux” du réseau ?

Ainsi, la question des marges techniques du cyberespace suscite des questionnements à la fois en termes de régulation sociale et de progrès scientifique.

Apparition de mouvements de “révolte” permis par le cyber : révélation de nouvelles marges

Outre de nouveaux comportements techniques, le cyber permet l’apparition de comportements politiques révélant de nouvelles marges.

Militantisme citoyen en faveur de la régulation politique du Web

Le comportement “politique” vient en premier lieu de mouvements propres au Net (Quadrature du Net, Piratebox, …) et qui interrogent la structuration même du cyberespace. Ces débats posent la question de l’Internet ouvert et libre, de la neutralité du Net, du logiciel libre, de la protection des droits individuels et de la vie privée... Ils sont souvent regroupés sous la thématique de la gouvernance du Net. Celui-ci est alors perçu comme un espace commun de l’Humanité. Y accéder constitue un nouveau droit de l’Homme qui doit être préservé des appétits monopolistiques des grandes compagnies.

Face à ces militants qui défendent les droits individuels, on observe deux types d’acteurs : les États et organisations étatiques ou paraétatiques d’une part, les entreprises d’autre part. La controverse s’est articulée autour de quelques grands sujets : celui de la régulation d’Internet (sommet de l’Union Internationale des Télécommunications à Dubaï en 2012), celui du modèle dit “multi-parties prenantes”, celui de la tutelle de l’ICANN,4 celui enfin de la surveillance généralisée assurée par certains États (cas du scandale PRISM). Cette attitude est donc d’emblée politique et considère le cyberespace comme un espace politique. Toutefois, seuls certains militants promeuvent une telle prise de conscience, fort éloignée de la conscience politique de leurs contemporains. En ce sens, ils sont marginaux comme souvent les militants politiques les plus avancés d’une cause, selon l’idéal-type bien établi de l’avant-garde politique.

“Hacktivisme”

À côté de ces mouvements publics, d’autres militantismes apparaissent avec le cyberespace : il s’agit de ce qu’on a appelé les “hacktivistes” – spécialistes du cyberespace qui utilisent leurs connaissances pour promouvoir un message politique plus ou moins construit, mais portant sur l’organisation sociale du monde et pas simplement du cyberespace. Ils peuvent être plus ou moins organisés : qu’on pense aux exemples de Wikileaks,5 d’Anonymous

  • 4 L’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) est l’organisation (de droit privé, à but non lucratif) chargée d’allouer l’espace des adresses de protocole Internet (IP), d’attribuer les identificateurs de protocole, de gérer le système de noms de domaine de premier niveau, et de préserver la stabilité opérationnelle d’Internet.
  • 5 Pour Wikileaks, l’information qui était secrète, donc à la marge, doit être révélée.

ou d’Intercept,6 emblématiques de nouveaux comportements qui veulent établir un lien entre cybermonde et monde social, et servir de truchement révélateur de “scandales politiques”. Toutefois, ces nouveaux mouvements ne sont possibles qu’à partir d’une culture geek d’origine.

Un type particulier d’hacktivisme est apparu il y a quelques années : il s’agit du “hacker patriote”, qui décide de participer à une action de masse dans le cadre d’une conflictualité organisée. L’un des premiers exemples connus est celui de l’agression contre l’Estonie en 2007, à l’occasion de laquelle de nombreux internautes russes participèrent à la surcharge des sites estoniens. Le système s’est répété, de façon organisée et semble-t-il préméditée, lors de la guerre russo-géorgienne en 2008. Désormais, il n’est pas de conflit où les parties ne tentent de mobiliser leurs partisans afin d’influencer l’opinion mondiale (guerre entre Israël et Hezbollah de 2006 au Liban ; conflits successifs entre Israël et le Hamas ; guerre des tweets en Afghanistan, etc.). Le cyberespace permet donc l’apparition de nouveaux comportements politiques, initialement marginaux mais qui deviennent de plus en plus normaux.

Du point de vue géopolitique, le cyberespace peut être instrumentalisé par les terroristes et djihadistes, structurellement marginaux.7 Le cyberespace permet par ailleurs une certaine égalisation des puissances, au moins temporaire. La Syrian Electronic Army peut ainsi faire chuter le cours du Dow Jones,8 un groupuscule iranien casser le système interne de la compagnie pétrolière Aramco pendant six semaines. En fait, le marginal géopolitique obtient une visibilité certaine qu’il n’aurait pas eue auparavant.

Nouveaux mouvements sociopolitiques

Enfin, il y a désormais de nombreux exemples de mouvements politiques “marginaux” qui réussissent à percer grâce au cyber. Outre les grands cas habituellement décrits (révoltes arabes), on observe pléthore de mobilisations réussies et entretenues grâce au cyber, forçant élites et instruments habituels de médiation (médias, partis politiques, syndicats) à répondre à ces nouvelles demandes : Indignados espagnols, “révolte des tentes” israélienne, “printemps érable” québécois, “manif pour tous”, “bonnets rouges” et autres “pigeons”... Il ne s’agit pas simplement de la “guerre de l’information”, mais de nouvelles mobilisations rendues possibles par le cyberespace. Au fond, on voit apparaître des “cyber-révoltes” où le cyber permet de nouvelles formes de mouvements collectifs.

  • 6 Nouveau média en ligne créé par Glen Greenwald, le journaliste qui a rendu public et diffusé le scandale Snowden.
  • 7 O. Kempf, “Tours et détours du cyberjihadisme”, Revue Défense Nationale, décembre 2014 ; et “Le cyberterrorisme : un discours plus qu’une réalité”, Hérodote, mai 2014.
  • 8 T. Berthier & O. Kempf, “L’Armée électronique syrienne : entre cyberagression et guerre de l’information”, Revue Défense Nationale, mai 2014.

Le cyberespace permet non seulement l’expression d’opinions marginales mais aussi leur diffusion et leur partage, donc leur agrégation, prémisse à de nouvelles mobilisations. Alors que les intermédiations traditionnelles étaient hiérarchisées à partir d’un noyau qui diffusait la ligne politique, le cyberespace favorise des modèles horizontaux où la ligne s’établit par partages successifs. Les marges d’autrefois qui n’avaient pas, ou avaient peu, accès aux moyens d’expression publics réussissent désormais à trouver une audience générale.

Conclusion

Les marges étaient ces anciennes marches, frontières étendues aux confins des empires et permettant de séparer par une bande de terre des territoires souverains. Peu à peu pourtant, la frontière était devenue linéaire. Cette linéarité s’efface depuis peu, grâce notamment au cyberespace qui favorise porosité et flou. Les lignes redeviennent des marges et, expression de la modernité du moment, le cyberespace redonne vie à des pratiques pré-modernes. Les marges qui étaient établies aux limites des comportements sociaux médians sont elles-mêmes modifiées. La mobilité est désormais un attribut partagé par tous, tandis que la pratique du cyberespace devient universelle. Paradoxalement, celui qui s’en abstrait devient marginal tandis que des marges propres au cyberespace surgissent : hackers de tout type ou chercheurs informatiques en sont des exemples.

Le cyberespace est un espace structurellement social. Il permet l’émergence de mouvements politiques marginaux, mais dont la place grandit de plus en plus : aux avant-gardes habituelles s’ajoutent les “hacktivistes”, les hackers patriotes ou de nouvelles cyber-révoltes. La marge d’autrefois trouve une nouvelle centralité. Le cyberespace renouvelle ainsi en profondeur la notion de marges, selon ses multiples acceptions. Non qu’il n’existe plus de marges : simplement, elles s’expriment différemment et surtout évoluent à grande vitesse. Or, la marge d’antan supposait une certaine stabilité, une déviance continue par rapport à une position établie. La marge nouvelle apparaît dès lors non plus comme une séparation ou un extrême, mais comme le front marchant de l’évolution sociale, selon le sens américain du mot frontier, bien mis en évidence par M. Foucher. La frontier marque le point d’où l’on peut avancer et progresser. La cybermarge y ressemble fortement : la marge n’est-elle pas ce qui donne précisément au système “de la marge” (d'ajustement, d'innovation, d'adaptation), en favorisant objectivement sa survie ?

O. Kempf est docteur en science politique, chercheur associé à l’IRIS (Paris), et directeur de publication de la lettre d’analyse stratégique La Vigie (https://www.lettrevigie.com). Il dirige la collection "Cyberstratégie" chez Economica. Derniers ouvrages : Alliances et mésalliances dans le cyberespace (Economica, 2014) et Introduction à la cyberstratégie (Economica, 2015, 2e édition).

Catégories: Défense

La Vigie n° 19 : Question russe | Afrique et conflictualité

sam, 27/06/2015 - 11:17

Le numéro 19 de La Vigie est paru, avec notamment deux articles dont vous pouvez lire les entames ci-dessous.

La question russe, plus sérieuse qu’il n’y paraît

À Paris, les responsables regardent ce qui se passe à l’Est d’un œil distrait. L’attention se concentre sur les Sud ou sur le théâtre intérieur. Terrorisme, jihadisme, BSS (bande sahélo-saharienne, dans le jargon) et « revoyure » de la LPM sont à l’ordre du jour. Quand il reste un peu de temps, on s’attache aux contrats d’armement et si on se projette, ce n’est que pour envisager la COP 21 (Conférence des Nations-Unies sur le changement climatique) qui se tiendra à Paris en décembre.

La Russie ? Certes, il y a l’Ukraine mais nous sommes partie au « groupe de Normandie » et nous soutenons donc les accords de Minsk 2 ; certes il y a la question des Mistral, épine dont on essaye de contenir les purulences ; pour le reste, si les Européens de l’Est s’affolent un peu, il n’y en fait pas péril en la demeure car si Vladimir Poutine est un interlocuteur qui peut être abrupt, il demeure accessible à la raison. Pas de quoi s’inquiéter, donc.

(…)

Afrique et conflictualité

Au moment où pour contrer un aventurisme russe postulé, l’Otan rétablit des lignes de front stratégique et reconstitue des bases militaires au cœur de l’Europe, où la progression militaire incontrôlée de Daech fait basculer le Levant dans un chaos armé qui a gagné aussi la Libye, où le Sahel se constitue en terrain de chasse libre, il est grand temps de penser à la propagation de ces désordres ailleurs. C’est donc le temps de se demander où en est l’Afrique au triple plan de sa sécurité, de sa stabilité et de sa viabilité stratégique. Pour la France qui y entretient un réseau de bases et y conduit des opérations militaires, souvent à son corps défendant, faire en permanence la pesée des risques africains et agir sans relâche pour le développement sécurisé et durable de l’Afrique sont deux obligations de sécurité nationale.

(…)

O. Kempf

Catégories: Défense

Quel avenir pour la dissuasion nucléaire française ? (dir. P. Pascallon)

jeu, 25/06/2015 - 22:36

Le débat nucléaire existe en France, malgré les jérémiades des anti-nucléaires qui ne cessent ce crier à la censure. Or, de nombreux colloques leur donnent la parole, ainsi qu'aux partisans de la dissuasion A preuve, le colloque organisé par Participation et Progrès, le club de réflexion stratégique animé par Pierre Pascallon, qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale le 8 décembre dernier.

Les actes de ce colloque viennent de paraître chez L'Harmattan. Les anti (M. Rocard, B. Norlain, G. Le Guelte, P. Bouveret, J-M Colin, B. Pelopidas, Cl. Le Borgne) y on droit à une partie sur quatre, les pros (Th. d'Arbonneau, F. Dupont, Y. Queau, Ph. Wodka-Gallien, A. Vaitravers, B. Sitt, Ph. Cottier) aussi.

A cet échange d'argument succèdent deux autres parties qui portent sur les adaptations à envisager, avec les signatures, entre autres, de M Forget, F Géré,B Tertrais, V Desportes, E Copel, E. Valensi, A. Dumoulin, C. Grand, etc.... C'est probablement la plus stimulante car elle questionne la dynamique. Là encore, il y a des contradictions, plus intéressantes que ce qu'on a l'habitude de lire sur le sujet.

Alors que le débat sur le nucléaire resurgira certainement à l'occasion de la prochaine présidentielle, alors qu'il y a eu un discours récent de l'actuel président sur la question, cet ouvrage permet de faire le point de la question.

O. Kempf

Catégories: Défense

L'islam radical (A-J Assaf)

sam, 20/06/2015 - 22:19

Voici un court livre (164 pages écrites gros, ça se lit en une semaine de transport en commun) publié par Antoine Joseph Assaf, politiste libanais. Il constitue une assez bonne introduction à la question de l'islam politique et pas simplement "radical".

La plume est alerte et l'auteur dresse en fait un vaste panorama historique qui permet de comprendre certaines des clefs de la question islamiste contemporaine. Le premier chapitre rappelle le surgissement de l'islam et la façon dont en quelques années il a soumis un vaste empire : ce rêve de la conquête foudroyante demeure bien présent aujourd'hui. Toutefois, l'islam radical prend naissance à l'ère moderne avec deux sources, d'une part, la conjonction du rêve de Lawrence et du wahhabisme rétrograde saoudien; d'autre part, là encore après la Première guerre mondiale, la naissance des Frères musulmans en Égypte (originellement un mouvement de décolonisation, ce que l'on a oublié).

L'auteur insiste ensuite que le cas du Mufti de Jérusalem et son alliance avec Hitler, qui serait à la source du malentendu qui allait suivre avec la création d’Israël en Palestine. Les guerres israélo-arabes qui s'ensuivent aboutissent à une première paix avec l’Égypte tandis que le conflit rebondit au Liban. Les deux guerres du golfe (80-88 puis 90-91) viennent sur ces entrefaites.

La 2ème partie s'ouvre sur le 11 septembre, se poursuit avec la revanche américaine et l'invasion de l'Irak. Un chapitre sur les événements au Liban en 2005 2006 détonne un peu mais reprend l'expérience personnelle de l'auteur, qui y a été intimement associé.

Le livre se poursuit avec l'éclosion des révoltes arabes pour évoquer successivement la guerre civile syrienne, la question iranienne, enfin le problème de Jérusalem.

Pour dire les choses simplement : l’ensemble se lit agréablement et constitue une bonne introduction au sujet. Je reste personnellement plus convaincu par la première partie, la seconde me semblant moins homogène et plus personnelle.

O. Kempf

Catégories: Défense

Velázquez (au grand-palais)

mer, 17/06/2015 - 22:16

Cela fait longtemps que je n'ai pas publié de billet culturel. Non que je lise moins (si vous saviez!) ou que je visite/visionne/écoute moins mais le temps manque. Toutefois, une exception pour la dernière exposition Velázquez, au Grand-Palais. J'y suis allé samedi dernier, en début d'après-midi : zéro file d'attente ! Bref, vous pouvez vous y risquer (avant le 13 juillet, il ne faut tout de même pas traîner). Voici quelques raisons qui pourraient vous inciter à sortir...

Velázquez est surtout connu pour deux choses : tous ses tableaux de cour (Philippe IV, sa face allongée, ses lippes, ses yeux tombants, à tous les âges) et surtout, les Ménines, un des sommets de la peinture mondiale puisqu'il a inventé les jeux de regard/miroir entre le spectateur, le peintre et son sujet. La mise en abîme est infinie et d'une incroyable modernité. Malheureusement, le tableau ne sort jamais du Prado. Dès lors, pourquoi cette exposition vaut-elle le détour ?

Tout d'abord, parce qu'elle montre tous les à-côtés, ceux qu'on ne voit jamais. Ainsi, j'ai trouvé passionnant les débuts, notamment les premières influences caravagesques et le réalisme des visages et des situations inventés un peu plus tôt en Italie. Toutefois, cette manière ne sera pas oubliée mais utilisée pour les portraits de cour et leur réalisme psychologique.

Pour s'en rendre compte, l'exposition place Velázquez au milieu de peintres contemporains : immédiatement, l'originalité et la supériorité sautent aux yeux. Voici une exposition comparative qui permet de comprendre pourquoi il eut du succès.

De même, on voit tous les autres thèmes que le simple portrait de cour : scènes picaresques, paysages, scènes de genre, tableaux religieux (curieusement, pas de natures mortes).

On constate de plus que Velázquez ne fit pas école : trop original pour que d'autres empruntent sa voie. Il reste les tableaux de son atelier qui là encore, permettent de faire d'utiles comparaisons.

Il reste enfin de nombreux tableaux. Celui du pape Innocent X est éblouissant (trop vrai, dira le pape en le voyant pour la première fois!). source.

Celui de la Vénus au miroir est surprenant

Le dernier tableau est celui d'un cheval d'apparat. Ce qui n'est habituellement qu'un élément de décor prend ici une dimension et une authenticité remarquable. Encore une fois, Velázquez détourne le regard, montre autre chose que ce qu’on voit d'habitude... (source)

Mais le plus étonnant demeure ce petit tableau de cour, représentant un prince héritier à côté d'un nain, qui a sa taille. Mais alors que le prince enfant est habillé en costume royal, avec tous les attributs de la puissance et de la domination, le nain adulte est quant à lui déguisé en enfant. Jeu de renvoi, inversions, dialogue intérieur qui n'est pas sans rappeler la complexité des Ménines. Décidément, Velázquez n'est pas l'homme d'un seul chef d’œuvre... (source)

A voir, vous l'avez compris.

O. Kempf

Catégories: Défense

Le cyber en opérations

mar, 16/06/2015 - 22:52

L’École de Guerre vient de publier, dans un Cahier de la RDN, une belle collection d'articles sur le thème "Penser autrement : pour une approche critique et créative des affaires militaires". On y trouvera beaucoup d'articles de ces officiers confirmés, ainsi que quelques plumes plus connues : David Petreaus, Michel Goya, Christian Harbulot, Eric Fillol, Didier Bolleli. J'y signe un "cyber en opérations". Téléchargeable en lecture libre. Détails ci-dessous, ainsi que l'introduction et la conclusion de l'article

Né de la volonté de pousser la réflexion sur la pratique de la guerre en dehors des sentiers battus, le comité Penser Autrement de l’Ecole de Guerre est mû par le désir de remettre en question certitudes et préjugés. Pour cela, il a suivi une démarche constructive visant à aborder les grandes problématiques de l’art de la guerre de façon originale et parfois décalée. L’activité du comité s’est structurée autour de trois grands piliers : comprendre, créer et décider. Afin de répondre à cette ambitieuse feuille de route, plusieurs séances d’échanges avec des intervenants aussi passionnants que divers ont été organisées ainsi que des temps de réflexion en groupe. Ce Cahier de la Revue de la Défense Nationale est avant tout un recueil de l’ensemble de nos échanges et réflexions menés au cours de cette année. Etant le reflet de ces réflexions très diverses, cette publication ne cherche pas à répondre à une question précise mais tente plutôt une approche critique et créative des affaires militaires. Il a pour modeste ambition de susciter le questionnement et, nous l’espérons, le débat. Vous pouvez le lire et le télécharger gratuitement ici

Le cyber en opérations

Les armées françaises ont conduit, au cours du mois de mars 2015, la deuxième édition de l’exercice DefNet. « Il s’agit d’entraîner l’ensemble de la chaîne de cyberdéfense » explique le lieutenant-colonel Stéphane Dossé, le directeur de l’exercice, qui précise : « Il ne faut pas voir la cyberdéfense comme un grand show hollywoodien. C’est un travail opérationnel du quotidien où il faut maintenir et renforcer une ligne de défense, comme dans l’Armée de terre ».

Désormais, le cyber appartient donc aux opérations. Car si l’on peut discuter de la possibilité d’une « guerre dans le cyberespace » ou de « cyberguerre », malgré l’utilisation abusive de l’expression par de nombreux journalistes, il y a, à coup sûr, du cyber dans la guerre (Kempf, 2014). Succinctement, le cyberespace peut être défini comme de l’informatique en réseau, selon la définition donnée par le Livre blanc de 2008. Cela pose la question du rôle de l’information dans les opérations, mais aussi des conséquences de leur traitement automatisé et en réseau dans les conflits contemporains. Il convient d’examiner comment les armées s’organisent pour manipuler l’information avant d’essayer d’esquisser les fonctions cyberopérationnelles.

(...)

Le cyber appartient désormais à la gamme des opérations. Ce domaine émergent connaîtra à coup sûr des développements nombreux. Pour l’instant, un certain nombre de débats apparaissent : les cyberopérations doivent-elles être conduites seulement au niveau stratégique ou peut-on – et comment ? – les décentraliser au niveau opératif voire tactique ? La question de la lutte informatique offensive pose elle-même des difficultés particulières, notamment celle de l’ouverture du « feu » : celle-ci peut-elle être déléguée ? Et si aujourd’hui on assiste à des mises en oeuvre très prudentes, qu’en sera-t-il demain ? Les cyberopérations doivent-elles constituer une ligne d’opération autonome ou faut-il les intégrer aux autres lignes d’opération, et comment ? On le voit, l’enracinement du cyber dans la conduite des opérations constitue certes une réalité, mais qui devra dans l’avenir être précisée et développée. Incontestablement, il y a encore beaucoup d’objectifs d’entraînement pour les exercices Defnet des prochaines années !

O. Kempf

Catégories: Défense

VIdéo avec M6 à propos de l'OTAN

sam, 13/06/2015 - 23:08

Voici une vidéo d'un long interview (30 minutes) consacrée à l'OTAN et enregistré par M6.

https://screen.yahoo.com/m6/rencontre-avec-o-kempf-auteur-150407798.html

De la Libye à l'Afghanistan, en passant par la Bosnie et l'Iraq… L'Otan a pour objectif de contribuer à la paix et à la sécurité. Sauf que depuis sa création en 1949, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord a dû évoluer et s'adapter au monde qui l'entoure : fini la guerre froide, les conflits entre armées, place aux guérillas et au terrorisme. Olivier Kempf, chercheur associé à l'IRIS, est l'auteur du livre "L'Otan au XXIe siècle"

O. Kpf

Catégories: Défense

Quelques livres sur l'opération au Mali

mer, 10/06/2015 - 22:13

Ce printemps, trois livres sont parus sur l'opération au Mali : trois témoignages d'acteurs de premier plan : le général Barrera, qui commanda la brigade ; le colonel Goût, qui commanda le bataillon hélico; le colonel Verborg, qui commanda le détachement hélico en Libye mais aussi un Groupe aéromobile à Serval. On l'aura compris, les lire à la suite permet ce que les œnologues appellent une dégustation verticale.

Opération Serval, notes de guerre (général Barrera)

Le général commandait la 3ème Brigade mécanisée, à Clermont-Ferrand. Fantassin depuis toujours, il dirigeait cette grande unité jusqu'à être engagé, dans l'urgence, au Mali. Le livre raconte brièvement ces moments d'avant, ce qui permet de bien faire comprendre le décalage entre l'entraînement quotidien et le brusque engagement en opération. L'essentiel n'est bien sûr pas là, mais dans le récit de cette opération et de son incroyable montage, mélange d'engagement politique, d'improvisation, d'adaptation, de ténacité, de volonté de vaincre et de poursuivre l'ennemi jusqu'à la victoire. On devine à quel point cela fut confus : pas simplement le brouillard de la guerre mais surtout la conséquence de la vitesse, qui au fond constitue la marque principale de Serval.

A côté des événements, j'ai surtout apprécié trois choses : comment le dialogue s'organise avec "Paris", toujours pressant, avec lequel il faut discuter ("dialogue de commandement") et auquel il faut parfois opposer des refus fermes, parce que le terrain l'exige. Oh! bien sûr, cela reste discret mais la communication entre le tactique et l'opératif et le stratégique intéresse le lecteur.

Ensuite, la façon dont le général explique sa prise de décision, motivée à la fois par des expériences historiques mais aussi par la mise en œuvre de principes stratégiques, étudiés depuis qu'il est entré dans la carrière, muris à Saint-Cyr ou à l'école de guerre, peaufinés par l’expérience. Il ne s’agit pas simplement de raconter la campagne, mais aussi les principes stratégiques qui l'animèrent.

Enfin, on devine l'auteur amateur d'histoire non seulement dans les livres, mais voulant la relier à une histoire plus intime, plus militaire, raccrochant le combat du jour à des combats passés et à des soldats tombés, autrefois, pour la France, qu'ils viennent d'une expérience familiale ou de celle des unités qu'il commanda. Inscrire Serval non pas dans la durée, mais en héritage d'une tradition militaire, afin de lui donner un sens qui dépasse la seule région sahélienne.

Libérez Tombouctou

J'ai eu beaucoup d’attachement pour ce livre. Tout d’abord parce que Frédéric est un excellent ami, mais aussi parce que j'ai reconnu les difficultés que peut rencontrer un chef de corps, au quartier comme en opération. Certes, l'aventure qu'il a vécu est hors normes et dépasse de loin ma très modeste expérience mais je n'ai pu m'empêcher, tout au long de la lecture, de penser "bien sûr" ou "j'aurais réagi pareil".

Pour le reste, comme je connaissais l'histoire (je l'ai lu après celui de Barrera), j'ai surtout été attentif à la manœuvre aéromobile : la chose est passionnante, réunissant aussi bien hélico d'appui qu’hélico d'attaque (j'espère qu'on dit encore comme ça), mais aussi des dispositifs extrêmement éclatés qui m'ont rappelé la cavalerie légère d'antan. Enfin, je lui suis très reconnaissant d'avoir insisté sur le rôle crucial de la logistique, trop souvent négligée et ici bien mise en valeur.

Notons enfin les conditions de vie extrêmement éprouvantes : non seulement les siennes mais aussi celles des paras et des marsouins qui nettoyèrent l'Adrar des Ifoghas.

Envoyez les hélicos

Ce troisième livre est plus composite. EN effet, une grosse moitié traite de l'engagement des hélicos lors de l'opération au Mali, à partir du BPC Tonnerre. Là encore, des conditions d'engagement exceptionnelles, très rarement préparées et jamais utilisées avec une telle ampleur, au combat. La coopération interarmées est ici bien mise en valeur.

L’auteur fait alors une pause pour évoquer la "splendeur et misère du métier ds armes" : il s'agit là de réflexions sur le commandement, avec des exemples très concrets tirés de situations opérationnelles. J'ai apprécié cette volonté de revenir sur l’essence du métier, se dégager de l'expérience pour en tirer des enseignements. Le jeune chef y trouvera quelques ficelles qu'il pourra adapter à sa situation propre de commandement.

La dernière partie évoque le Mali, sous les ordres du bataillon hélico : il y a là moins de surprise si on a lu les deux premiers, bien sûr.

Voici donc trois livres très différents, même s'ils racontent un peu la même histoire. Mais justement, les comparer est quelque chose qui mérite le détour.

Au-delà, on peut s'interroger sur cette profusion de témoignages : ce qui vient à l'esprit est assez évident. En effet, voici une opération que la France a menée seule, pariant sur la vista et les qualités d'adaptation de ses soldats, remportant enfin une victoire très nette contre un ennemi "asymétrique" qui avait posé, sur d'autres théâtre, bien des difficultés.

On se reportera à d'autres livres comme celui de Notin (La guerre de la France au Mali) ou le collectif Mali, une paix à gagner (auquel j'ai contribué) pour terminer l'enquête sur cette belle page d'histoire militaire.

O. Kempf

Catégories: Défense

« Il y a un avant et un après Snowden »

dim, 07/06/2015 - 21:30

Petit interview donné à l'Huma sur l'affaire Snowden, deux ans après.

Deux années au compteur. Le 6 juin 2013, les premières révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden concernant la surveillance de masse conduite par l’Agence nationale de sécurité (NSA) des États-Unis, étaient publiées. Aujourd’hui, quel bilan des avancées et reculs peut-on dresser ? Entretien avec Olivier Kempf, chercheur à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS) et co-auteur de « L’affaire Snowden, une rupture stratégique », publié le 4 décembre dernier.

Comment jugez-vous l’état du débat mondial, que ça soit au niveau étatique ou des citoyens, à propos de la surveillance de masse, à deux ans des révélations ?

Il y a un avant et un après Snowden. Une prise de conscience est apparue dans le débat public avec de multiples réactions. Un processus de « balkanisation du cyberespace » s’est amorcé. On considérait auparavant le cyberespace simplement comme un grand espace transparent et ouvert, indépendant des Etats. Dorénavant, le cyberespace est au cœur des souverainetés : les citoyens et les Etats veulent avoir le contrôle de leur espace numérique.

Les effets de cette démarche sont visibles en Allemagne. La chancelière Angela Merkel a de grosses difficultés à gérer la colère des citoyens concernant le Service fédéral de renseignement (BND), accusé d’avoir collaboré avec l’Agence nationale de sécurité (NSA). Outre-Atlantique, le Sénat états-unien a récemment adopté le USA Freedom Act, qui restreint la collecte des données téléphoniques des États-uniens. De plus, un débat s’est engagé sur la place publique mondiale. Des associations françaises, telles la « Quadrature du Net », qui alertaient depuis longtemps du danger d’une surveillance de masse, ont fait beaucoup de bruit à ce sujet et ont mené des batailles citoyennes.

Précisément, la Quadrature du Net, association de défense des libertés sur Internet, s’est aussi battue contre le projet de loi Renseignement en France, voté mardi prochain au Sénat. N’est-ce pas un recul pour la vie privée et une défaite pour Edward Snowden ?

C’est en fait un débat qui oppose la liberté et la protection des citoyens. D’un côté, on demande aux Etats de protéger le bien commun, de l’autre il y a leur vie privée. C’est un dilemme qui traverse toutes les sociétés.

Le USA Freedom Act, qui succède au Patriot Act adopté sous George Bush, est-il aussi protecteur des citoyens qu’on a pu l’entendre ?

C’est une première étape très importante. On a restreint le USA Patriot Act, adopté en 2001 à la suite des attentats du 11 septembre, et qui a autorisé la NSA à surveiller les États-uniens. En revanche, le Freedom Act ne tient compte que des données téléphoniques. Or, de nos jours, il y a convergence de tous les types de données. En d’autres termes, les données téléphoniques peuvent être numérisées et conservées.

Il serait donc toujours possible de traquer les données téléphoniques numérisées ?

Tout à fait.

L'Affaire Edward Snowden, de Quentin Michaud et Olivier Kempf (Edition Economia, 19 euros)

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Rencontres IHEDN - La défense comme vous ne l'avez jamais abordée - 6 Juin

ven, 29/05/2015 - 21:43

Samedi prochain, l'IHEDN organise une série de rencontres à l'école militaire autour des questions de défense. Samedi 6 juin 2015, de 10h00 à 16h30, dans les Amphithéâtres Terminator, Minotaure, Valmy 2.0, Gladiator et Foch. Entrée libre, Inscription à rencontresihedn@ihedn.fr. J'y interviendrai en "Terminator" de 10h00-11h00 – autour du thème "Like, hashtag et poke : les réseaux sociaux transforment-ils la guerre ?".

Programme

La défense est un enjeu trop vital pour être le domaine réservé d’experts et de professionnels. La défense engage la survie de la Nation. Ses institutions, son territoire, ses intérêts vitaux, tout autant que ses valeurs et sa capacité à résister à l’adversité. La défense est bien sûr une politique. C’est un engagement pour les hommes et les femmes qui ont choisi le métier des armes. Mais c’est aussi l’expression de la volonté d’un peuple de rester maître de son destin.

Penser la défense, c’est l’objet de ces « Rencontres IHEDN » organisées par l’Institut des hautes études de défense nationale, le samedi 6 juin 2015, sur le site de l’École militaire.

Douze tables rondes permettront, ainsi de faire dialoguer penseurs, praticiens et représentants de la société civile autour de thématiques « citoyennes » destinées à poser sur la place publique une réflexion qui engage notre avenir.

Venez nombreux.

O. Kempf

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L'honneur du soldat (A. Guinier)

dim, 24/05/2015 - 21:48

Voici un livre précis et érudit, mais dont la la signification dépasse celle d'une "simple" (!) thèse. Le texte a en effet obtenu le prix d'histoire militaire 2013, ce qui signale sa valeur scientifique. Pourtant, il intéressera le public féru des choses militaires, au-delà des simples spécialistes d'histoire militaire. Car au-delà de la période choisie (celle des Lumières jusqu'à la Révolution), il soulève bien des enjeux, toujours pertinents aujourd'hui : ceux de l'autonomie du soldat. Précisons : de l'homme du rang. Trop souvent en effet on réduit la question de la liberté d'appréciation du militaire à celle de l'officier, considérant implicitement le soldat comme "à disposition" de ce dernier. Rares sont les réflexions sur l'homme du rang. C'est d'abord l'objet de ce livre.

L'honneur du soldat , Éthique martiale et discipline guerrière dans la France des Lumières, Arnaud Guinier (préface d'Hervé Drévillon) Champ Vallon, 2014, 414 p., 28 euros

L'ouvrage s'interroge d'abord sur un double problème : à la fois un problème d'efficacité militaire, pour répondre aux succès des armées du roi de Prusse ; et celui de la discipline, soulevé par Michel Foucault.

Derrière le débat autour de l'ordre mince contre l'ordre profond se noue une autre discussion : le soldat doit-il être un automate (comme on avait coutume de le voir chez le Prussien) ou est-il nécessaire de lui accorder une certaine autonomie ? cette dernière apparaît comme nécessaire pour répondre aux difficultés tactiques : à la fois l'adaptation aux irrégularités du terrain, la prise en compte du chaos du combat, enfin la nécessité de préserver un élan qui ajoute à la masse (au fond, l'opposition entre le choc et la manœuvre).

Il s'ensuit, dès les années 1740, un grand débat nourri par de nombreux officiers. Ce débat s'articule autour de deux tendances : d'une part, celle des Lumières, mouvement philosophique prégnant à l'époque et qui déborde aussi sur l'armée (à l'époque, à la fois milice et armée de métier); d'autre part, celle de l'honneur. La notion est composite mais on peut y voir deux sources : aussi bien celle des origines aristocratiques de nombreux officiers, toujours attentifs à leur tradition chevaleresque ; d'autre part, déjà, un tropisme français qui fait partie de la culture nationale (voir Philippe d'Irribarne qui identifie l'honneur comme prégnant dans la culture française).

Ainsi se constitue peu à peu la figure du soldat citoyen, conjointement à la solution tactique adoptée, celle de l'ordre mixte.

Aussi, la Révolution n'apparaît pas comme une rupture aussi flagrante qu'il y paraît. Certes, initialement, le choc produit une politisation de nombre de soldats (le débat n'est plus alors le fait des seuls officiers, désormais les soldats y participent). La vertu remplace l'honneur, la conscience politique celle de la réputation sociale qui était auparavant recherchée. On passe alors au citoyen-soldat. Mais rapidement, le retour aux conceptions prévalant avant la Révolution s'effectue, au travers de la loi Jourdan et de la conscription. Alors, le soldat est moins volontaire et la question de la discipline revient : toujours, il faut lier l'efficacité au combat (à la fois esprit de corps et esprit d’initiative) tout en laissant place au statut politique du soldat, désormais non plus professionnel, mais citoyen.

Le lecteur l'aura compris : il ne s'agit pas de grande tactique (d'aucuns parleraient de stratégie) même si on retrouve bien des continuités qui vont de Guibert à Bonaparte : disons qu'au niveau subordonné, celui de la micro tactique, de la discipline et du soldat, les enjeux politiques et militaires s'articulent également avec complexité, selon des difficultés qui existent toujours aujourd’hui.

Autant de raisons qui font de ce livre un ouvrage bien plus accessible qu'une simple thèse destinée aux spécialistes d'histoire militaire.

O. Kempf

Catégories: Défense

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