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Diplomacy & Crisis News

En Australie, des gueules noires bling-bling

Le Monde Diplomatique - Sun, 22/01/2017 - 13:32

Son extension affole les urbanistes, et son enrichissement vertigineux enchante le gouvernement : grâce à l'activité minière, la ville de Perth, située sur la côte occidentale australienne, attire de nombreux ouvriers. Ces « gueules noires », dont le salaire dépasse celui de hauts cadres, réactivent un vieux complexe d'infériorité national et suscitent la gêne de leurs concitoyens.

Chaque pays a ses citoyens embarrassants et comiques malgré eux, objets d'incessantes railleries de la part des gens bien mis : white trash (« déchet blanc », la population blanche et pauvre) aux Etats-Unis, « beaufs » en France, chavs au Royaume-Uni (1), etc. En Australie, ce sont les bogans, des ouvriers qui amusent le pays en raison de leur mauvais goût supposé, de leur dégaine, de leurs idées. Tatouages nationalistes sur le bras et pinte de bière à la main, short et tongs de rigueur, casquette et gilet luminescent en option, ils instaurent à coup sûr une certaine ambiance dans les centres-villes où ils déferlent le samedi soir. Mais l'humour est aussi une affaire de domination et d'intérêts...

Les démonstrations de patriotisme lors de rencontres sportives ou, de façon plus dramatique, les émeutes raciales qui ont opposé en 2005 des Australiens à certains de leurs concitoyens d'origine libanaise à Cronulla, banlieue de Sydney, ont ajouté une connotation xénophobe à la définition du mot bogan (2). Il a été consacré en 2012 par son entrée dans l'Oxford English Dictionary, qui le définit comme un « terme dépréciatif désignant une personne peu sophistiquée, malapprise, démodée, en général d'un statut social peu élevé ». Ces indésirables horripilent la frange bien-pensante de la société australienne, que l'on retrouve le plus souvent dans les banlieues, en particulier dans le grand Ouest.

A Perth, dans l'extrême Ouest australien, les bogans ne sont pas seulement des « beaufs » : ils sont riches. Et ils affichent un style tape-à-l'œil, notamment à travers leurs voitures au prix exorbitant et aux couleurs criardes, les utes. Travailleurs de l'industrie minière pour la plupart, ces cashed-up bogans — « beaufs pleins aux as » — recueillent à leur modeste échelle les dividendes de la frénésie extractive.

Les eaux de la rivière Swan reflètent le dynamisme économique et l'opulence de Perth. Sur ses berges situées dans les beaux quartiers, comme Dalkeith ou Peppermint Grove, les maisons se vendent entre 5 et 30 millions de dollars australiens (entre 3,5 et 20,5 millions d'euros). Depuis 2013, la ville, dont les magazines vantent la « propreté helvétique », est la plus chère du pays (3). L'inflation immobilière progresse à mesure que le secteur minier assoit sa toute-puissance sur l'économie de l'Australie-Occidentale. L'agence de communication Meerkat a proposé, dans un texte canular, d'ériger une clôture métallique surveillée pour séparer le plus grand des Etats du reste du « continent rouge », et contenir ainsi la population tenue pour responsable de l'augmentation du niveau de vie à l'échelle nationale (4).

Blague à part, un rideau de fer symbolique isole effectivement ces cols bleus dont les salaires annuels dépassent les 100 000 dollars australiens (près de 70 000 euros). « Les classes moyennes se retrouvent à devoir cohabiter avec des gens qui, autrefois, ne vivaient pas dans leurs quartiers, qui donnent des fêtes bruyantes, partent en vacances aux mêmes endroits qu'elles et font des bombes à la piscine », résume avec humour Jon Stratton, professeur d'études culturelles à l'université Curtin de Perth. Ceux dont le salaire annuel moyen avoisine les 60 000 dollars (40 000 euros) supportent difficilement l'exubérance des cashed-up bogans, auxquels les bonnes manières comme le sens de la modération font défaut. « Clairement, ils aimeraient leur dire : “Retournez d'où vous venez ! Ne bousculez pas notre mode de vie !” »

Si les pays en développement sont généralement confrontés à ce genre de conflit dans les métropoles, où la consommation ostentatoire provoque de sérieuses frictions, l'Australie connaît là un phénomène inédit dans les pays occidentaux. Ici, les ouvriers de l'industrie minière comptent parmi les mieux payés du monde (500 dollars australiens par jour, soit 350 euros). Le Voreux (5) ne dévore pas les hommes pour une misère : il les couvre d'or. Cette belle machine économique ravit The Economist : l'hebdomadaire britannique dépeint l'Australie comme une « Californie des antipodes », sans les défauts de sa jumelle américaine, « accro aux référendums d'initiative populaire qui plongent la politique dans le chaos, avec de surcroît une économie qui n'a pas su éviter la récession depuis 1991 ». Il invite le pays à faire les bons choix en matière d'éducation, « des travailleurs instruits étant plus compétitifs, tant dans les services que dans les mines » (6).

Vibration glamour et cow-boys urbains

Sise entre l'océan Indien et le désert, proche des pays asiatiques très gourmands en énergie, Perth cumule fièrement les superlatifs : elle serait la grande ville la plus isolée du monde (après Honolulu), celle qui compte le plus de millionnaires « partis de rien » par rapport au nombre d'habitants, mais aussi la plus ensoleillée. Les pages « Luxe » du Telegraph ne résistent pas à cette « destination séduisante pour les plus riches », et évoquent la « vibration glamour du centre-ville, où les résidents affluent dans les bars et les restaurants branchés » (7).

Du haut de ses deux cent quarante-quatre mètres, Brookfield Place, siège du géant minier BHP Billiton érigé en 2012, complète le décor de carte postale vendu à travers le monde : une métropole globale et « tendance », où la fortune s'acquiert grâce aux mines, que l'on soit conducteur de camion, ouvrier ou ingénieur soudeur, alors que sur la côte est prédominent les secteurs des médias et de la finance, comme l'explique Jules Duncan, auteur d'un documentaire sur les cashed-up bogans. Depuis Sydney, où il vit, à quatre mille kilomètres de là, le producteur et scénariste Sam Egan estime que « Perth apparaît comme l'Ouest sauvage, une ville minière en plein essor avec des rues remplies de cow-boys ». Il tempère néanmoins cette vision : « Beaucoup prétendent que Perth est un désert culturel. En réalité, la ville et l'Australie-Occidentale dans son ensemble ont été le berceau de certains des meilleurs artistes, musiciens et auteurs australiens. »

Aussi étendues que Los Angeles et Tokyo combinées, Perth et ses banlieues tentaculaires s'étalent sur plus de cent trente kilomètres entre Yanchep, au nord, et Mandurah, au sud, sur une largeur de cinquante kilomètres, soit quelque cinq mille trois cents kilomètres carrés. Rien qu'entre 2011 et 2012, soixante-cinq mille quatre cents personnes s'y sont installées : un accroissement de 3,6 % qui devrait se poursuivre chaque année, selon les calculs de l'Australian Bureau of Statistics. Dans les interminables cités-dortoirs de Perth, le nombre de cashed-up bogans dépasserait de loin celui des autres métropoles australiennes. Un siècle après la ruée vers l'or du Klondike, au Canada, ou de Kalgoorlie, en Australie-Occidentale déjà, le même phénomène se reproduit au Pilbara et au Kimberley, à deux mille deux cents kilomètres au nord de la ville.

Aussi hostiles que les Rocheuses américaines à l'époque pour les mineurs, ces territoires arides recèlent du pétrole, du gaz naturel, du manganèse, du minerai de fer. Plus de la moitié des cent mille ouvriers des industries énergétiques d'Australie-Occidentale sont soumis à un régime de travail particulier (fly-in fly-out, d'où leur nom de FIFO workers) : envoyés pour plusieurs semaines sur un site d'extraction, loin de leurs familles, ces hommes (le secteurs ne compte que 15 % de femmes) sont logés dans des bungalows rudimentaires avant de retourner chez eux pour une durée variable.

Cette mobilité permanente fait économiser des millions de dollars aux compagnies, malgré les hauts salaires. Un rapport de 2013 a néanmoins pointé les risques pour la santé qui en découlent. « Travailler et vivre dans des mines éloignées des villes aggrave les risques de développer une pathologie mentale pour ceux n'ayant que rarement quitté l'environnement urbain. Par ailleurs, l'absence intermittente d'un parent est aussi une source de conflit avec les enfants. » Dans une étude du Centre australien pour la santé mentale réalisée dans les régions rurales et éloignées, les entretiens menés par la Dre Jennifer Bowers avec des mineurs ont démontré que « de longues périodes de séparation avec la famille et les amis provoquent souvent un sentiment d'isolement et une perte du sentiment d'appartenance (8) ».

Un rapport des autorités ne parvient pas à trancher : faut-il considérer le recours aux FIFO avant tout comme une aubaine pour l'économie ou comme un « cancer du bush (9) », compte tenu des dégâts sociaux entraînés par la présence de ces travailleurs migrants dans les régions rurales ? Comme les prospecteurs qui, après l'effort, dépensaient leur salaire de manière extravagante dans les lieux de plaisir de la ville, les cashed-up bogans ont trouvé en Australie-Occidentale « leur terre promise, qui couvre un tiers du territoire national et leur offre à peu près tout ce qu'ils peuvent désirer : du travail dans les mines, des autoroutes peu surveillées, des casinos et des night-clubs à Perth (10) ». Une vie nocturne troublée par des mineurs en état d'ébriété, frustrés, responsables de rixes dans le centre-ville que l'on dit déclenchées par le « manque de femmes ». Toujours selon l'Australian Bureau of Statistics, il y aurait trente-cinq mille hommes de plus que de femmes dans la région. « Le boom minier a biaisé l'équilibre démographique : dix-huit mille de ces hommes ont entre 20 et 30 ans. Un tel écart n'est pas rare dans les régions riches en ressources (11). »

La dernière édition du guide de voyage international Lonely Planet met en garde les voyageurs contre le glassing, l'utilisation de verres comme armes lors d'affrontements à Northbridge, le quartier des bars. Soucieuses d'apaiser les tensions, les autorités ont tenté de réagir. En 2008, M. Robert Doyle, maire de Melbourne, dans le sud du pays, déclarait qu'il ne voulait pas « voir le centre-ville devenir un aimant à bogans ». Partisan d'une politique de tolérance zéro pour tout comportement « antisocial » durant les festivités du Nouvel An après les débordements de 2007, il a heurté la sensibilité de ses administrés en adoptant des mesures sécuritaires draconiennes destinées à tenir les banlieusards à distance. A Stonnington — toujours à Melbourne —, un faux communiqué du conseil municipal, placardé dans les rues par une bande de farceurs, décrétait l'interdiction de porter des vêtements Ed Hardy, qui « contreviennent aux lois du goût et du style » : « Plutôt que de dépenser des sommes exorbitantes dans des débardeurs vulgaires, vous feriez mieux de consacrer votre argent à nourrir vos enfants illégitimes. » La très chic marque de bière Moo Brew, originaire de Tasmanie, indique sur ses bouteilles qu'elle « ne convient pas aux bogans ».

Mépris social sous couvert d'humour

En 2011, Paul Syvret, du Courier-Mail de Brisbane, déplorait sur un ton satirique que Noosa, ville balnéaire de la côte est, devienne un lieu de villégiature de plus en plus prisé des bogans. « La marée de la populace monte le long de Hasting Street : des cohortes en tongs et en shorts criards, le genre de racaille incapable de faire la différence entre un double latte et un Nescafé. » Ces gens « déambulent avec leurs tee-shirts K-Mart », et, comble du malheur, « semblent s'installer durablement dans la région » (12). Fin 2013, le député du Queensland Alex Douglas a dû présenter des excuses officielles après avoir qualifié la Tasmanie de « terre bogan ». Les « insulaires consanguins » du plus pauvre des Etats australiens profiteraient des largesses de Canberra en matière d'aides économiques, sans offrir de contreparties valables.

« Le bogan défie le salaire, la classe, la race, le genre et la logique », peut-on lire dans le préambule du catalogue sarcastique Things Bogans Like (« Choses que les bogans aiment »). Sous couvert d'humour s'exprime le snobisme de classe des hipsters, les branchés, situés à l'autre bout du spectre des styles de vie. Pour le documentariste Duncan, « parler de “cashed-up bogan” permet de traiter par le mépris quelqu'un qui gagne plus que vous. Vous lui faites comprendre que, même s'il s'enrichit, il reste un idiot ».

Quarante kilomètres au sud du Royal Yacht Club de Peppermint Grove à Perth, l'autoroute longe le Kwinana Strip, une zone industrielle aux innombrables cheminées fumantes, sites militaires et chantiers navals. Elle mène à Rockingham, l'une des banlieues bogans les plus typiques du pays, selon le classement du journal satirique The Punch. Cette ville de cent mille habitants « fournit du travail à la police d'Australie-Occidentale tous les soirs ». Très aimée de ses habitants, « Rocko » est une « banlieue côtière somnolente, cible de plaisanteries qui la dénigrent » en la stigmatisant pour « son taux de chômage, la façon de conduire de ses habitants et son nombre de parents célibataires » (13).

« Ce qu'il y a de pire
dans le pays »

Sur le site d'information Perth Now, les réactions des internautes à ce classement ne se sont pas fait attendre. John laisse exploser sa colère : « Il n'y a rien de cool à être élue “banlieue bogan”. Les bogans sont ce qu'il y a de pire en Australie. On devrait découper Rockingham pour en faire une jolie petite île, où les bogans pourraient se reproduire et se complimenter sur leurs voitures respectives. » Quant à Jim, il apprécie de porter des shorts et des tongs au pub, de pouvoir manger un repas décent pour 20 dollars et d'être « entouré de gens normaux, sans snobs à l'horizon ».

Effrayée à l'idée d'être épinglée par les médias, la municipalité a dépensé en 2012 près de 200 000 dollars pour transformer l'image de la ville, concevoir un nouveau logo et moderniser la communication. M. Mark Stoner est le propriétaire d'une marque atypique qu'il a lancée en 2009, après la parution du classement dans The Punch. « J'ai eu l'idée de créer des porte-bières avec le slogan : “Bogan and proud” [« Bogan et fier de l'être »]. Les cinquante premiers se sont vendus en un après-midi. Nous en avons refait, et des gens nous ont appelés pour nous remercier. » C'est que l'étiquette infamante renvoie aussi à la figure du travailleur ordinaire, et la zone industrielle du Kwinana Strip fournit de nombreux emplois aux habitants de Rockingham.

« Le maire ne m'aime pas beaucoup, poursuit M. Stoner. Mais cela fait trente ans que nous avons cette réputation, et ma marque n'existe que depuis quatre ans. » En dépit des efforts de la municipalité pour redorer l'image de la ville et de son front de mer, l'inventeur du porte-bières assume sereinement une philosophie éloignée de tout esprit de polémique : « Le bogan est un ouvrier, un Australien moyen. Ce que les jaloux ne comprennent pas, s'agissant des cashed-up bogans, c'est que les conditions de travail dans le Pilbara sont terribles. Il fait très chaud, ils vivent loin de leur famille pendant quatre semaines... Ils méritent leur argent : passer douze heures par jour dans la poussière, c'est extrêmement pénible. »

Figure locale, M. Stoner tient son stand de gadget siglés (vêtements, porte-clés, coussins, sacs) lors de foires municipales à Perth, et actualise la page Facebook de la marque. Il n'a jamais quitté Rockingham et n'en partirait pour rien au monde : « Mes parents ont grandi ici, mes enfants grandissent ici. C'est une banlieue comme une autre, avec ses problèmes. » Il admet que, si certains se revendiquent bogans, d'autres, non, et que beaucoup s'en moquent complètement. « Le 26 janvier, le jour de la fête nationale, nous irons à Canberra tenir notre stand au Summernats, un festival de voitures. Il y aura des burn-outs (14), des seins à l'air, des bogans, ça va être très drôle ! Quinze mille bogans vont débarquer dans cette ville où vivent tous ces politiciens qui nous dirigent ! »

Riche héritage de culture populaire

Le rejet des bogans peut s'expliquer par un état d'esprit particulier à l'Australie : le cultural cringe (« complexe d'infériorité culturel »). Le terme, qui existe depuis une cinquantaine d'années, se réfère à l'anxiété de l'Australien quant à sa propre culture, considérée comme inférieure par rapport à celle de l'Europe, à commencer par celle du colonisateur, le Royaume-Uni. « Dans les années 1960 et 1970, ce sentiment était prégnant. A l'époque, la société australienne était vraiment conservatrice, et le pays, coupé du reste du monde. Beaucoup d'intellectuels ont alors émigré », explique Stratton. Les bogans et les cashed-up bogans réactivent ce complexe.

La journaliste et chercheuse Melissa Campbell s'est penchée sur cette question au prisme de la culture populaire. Selon elle, il s'agit de la « seule sous-culture australienne authentique (15) ». Le mot bogan trouve son origine au XIXe siècle, à l'époque des colons britanniques et de la fondation de la société australienne. « L'omniprésence des bogans provient d'un riche héritage de culture populaire, à commencer par l'un de nos héros les plus aimés et les plus controversés : le bushranger Ned Kelly », un ouvrier irlandais insurgé contre ses maîtres anglais et contre la police (16). « Pour la presse, détenue par la bourgeoisie urbaine, Kelly était un folk devil, un voyou voleur et assassin, un fauteur de troubles. Elle l'associait au caractère irlandais [ Irishness ], ce qui impliquait un risque de traîtrise, un esprit d'insurrection. » Campbell rappelle dans son étude que bogan est un mot irlandais. On retrouve la même association entre caractère irlandais et rébellion avec le terme larrikin, au XIXe siècle : issus du Lumpenproletariat, les larrikins semaient le désordre dans les grandes villes. Pour Stratton, « la panique morale contemporaine autour des bogans reproduit celle suscitée par les larrikins ».

Depuis un siècle, les groupes dont le comportement est jugé déviant, parfois à la limite de la légalité, se sont vu attribuer des noms où se mêlent les notions de menace et de trouble à l'ordre public. Dans les années 1950 et 1960, les bodgies et les widgies effrayaient les gens convenables en écoutant la musique afro-américaine des soldats américains stationnés en Australie ; ensuite vinrent les ockers, au début des années 1970, et aujourd'hui les bogans. « Pour les médias, “bogan” est une étiquette facile pour tous ceux qui se comportent d'une façon jugée déviante », confirme Stratton.

Par affinité de goûts et de morale, les classes moyennes australiennes se solidarisent face aux cashed-up bogans pour garantir leurs privilèges et la sécurité de leurs terres. Pour Campbell, la majorité des gens utilise le mot bogan pour pratiquer une « sanctuarisation de leur identité [ Australianness ] face à tout ce qui leur semble la menacer. Le mot permet d'ériger des frontières imaginaires entre “eux” et “nous” ». Objet de convoitise politique, les millions de bogans sont confondus à tort, depuis le gouvernement libéral de M. John Howard (1996-2007), avec les battlers, ces ouvriers frondeurs et méritants entrés dans la mythologie du Parti travailliste australien. En définitive, « le terme en dit davantage sur la personne qui l'utilise et sur son insécurité vis-à-vis de son identité que sur ceux qu'il désigne. Mais on assiste aujourd'hui à une réappropriation du terme, de la même manière que les gays ont repris “queer” et les afro-américains, “nigger” », assure Stratton.

Cela ne préfigure cependant pas un quelconque mouvement politique bogan, ni un réel mouvement culturel. Derrière cette image poussiéreuse d'Ouest sauvage, dans le monde des arts, une scène branchée bien installée coexiste avec celle, clinquante, des cashed-up bogans (lire « Une identité chahutée »). Mais la « vibration glamour » s'arrête aux portes des supermarchés K-Mart ou Target, temples de la consommation bogan, où l'Australie de Ned Kelly fait ses courses jusque très tard le soir.

(1) Lire Owen Jones, « L'ordre moral britannique contre la “racaille” », Le Monde diplomatique, septembre 2011.

(2) Une première version de cet article indiquait à tort que les émeutes de Cronulla avaient opposé, comme cela arrive parfois, des Australiens à des Indiens.

(3) Alistair Walsh, « Peppermint Grove, home set to shatter price record », Property Observer, 10 mars 2013, www.propertyobserver.com.au

(4) ABC,« Bogan proof fence », YouTube.com, 2 juillet 2010.

(5) Nom de la mine de Germinal, d'Emile Zola (1885).

(6) « Australia's promise : The next golden state », The Economist, Londres, 26 mai 2011.

(7) Lydia Bell, « In praise of Perth », The Telegraph, Londres, 19 octobre 2013.

(8) « FIFO/DIDO mental health research report 2013 » (PDF), The Sellenger Centre for Research in Law, Justice and Social Change, Perth, 2013.

(9) « Cancer of the bush or salvation for our cities ? », Parlement du Commonwealth d'Australie, Canberra, février 2013.

(10) Collectif, Things Bogans Like. Tribal Tatts to Reality TV, Hachette Australie, Sydney, 2011.

(11) Shane Wright et Kate Bastians, « Mining riches mean it's a man world », The West Australian, Perth, 20 décembre 2011.

(12) Paul Syvret, « Save our enclave and ban bogans », The Courier-Mail, Brisbane, 24 mai 2011.

(13) « Rockingham makes The Punch “Bogan top 10” », Perth Now, 4 août 2009.

(14) Lors de ces parades, les pilotes bloquent les freins de leur véhicule et accélèrent, faisant tourner les roues arrière et brûler les pneus.

(15) Melissa Campbell, « The order of Australia », The Age, Melbourne, 14 juillet 2002.

(16) Lire Catherine Dufour, « Les étincelles du galop », Le Monde diplomatique, janvier 2014.

The Women’s March Heard Round the World

Foreign Policy - Sat, 21/01/2017 - 23:49
A round-up of marches and reactions from Women’s March events around the world.

Trump Goes to CIA to Attack Media, Lie About Crowd Size, and Suggest Stealing Iraq’s Oil

Foreign Policy - Sat, 21/01/2017 - 23:27
The new president keeps his campaign stump speech handy for a visit to the intelligence officials he spent months denigrating.

Putin Signs Long-Term Basing Deal With Syria

Foreign Policy - Sat, 21/01/2017 - 21:48
Russia’s military foothold in Syria just got a lot firmer and will last for decades, boosting Moscow’s heft in the region.

Energy Could Keep U.S.-Russia Ties On Ice

Foreign Policy Blogs - Sat, 21/01/2017 - 17:32

Putin presents Tillerson with a Russian medal at an award ceremony in 2012 in St Petersburg. (AP)

As President Trump advocates frequently for a better national relationship with Russia—via his Twitter account, among other channels. Thus, it is worth taking a deeper dive into one area that could prove a sticking point: energy, which greatly affects Russia’s economy.

Part of the design of the economic sanctions imposed after the Russian annexation of Crimea was to weaken the country’s energy export market. However, the layer of unpredictability that Mr. Trump presents to policymaking, even after the intelligence briefing on Russia’s involvement in the election, leaves analysts alarmed.

Trump’s policies are currently more speculation than anything. His cabinet nominees during the Senate confirmation hearings have broken away from his campaign promises, and he has not yet ruled out reversing economic sanctions on Russia. Trump’s strange admiration of U.S.’ established foe, Russian President Putin, has many foreign policy experts—as well as Republican Congress members—scratching their heads.

Observed through the prism of geopolitics, the energy industry leads to rather interesting partnerships and conflicts. There is no doubt that the global nature of energy markets makes it necessary for leaders to be diplomatic with other nations. It is widely known that Rex Tillerson, the CEO of ExxonMobil and nominee for secretary of state, has deep ties in Russia (He was awarded Russia’s Order of Friendship in 2013). This begs the question if conflicts of interest will remain even after he sells his stakes in the company.

Tillerson’s relationship in Russia stretches decades. His first successful deal in Russia was negotiated with Putin for the $17 billion Sakhalin-1 project in 1997, during the Yeltsin regime, which consists of three oil and gas field on sub-Arctic Sakhalin Island. It is operated by Exxon Neftegas Limited, a subsidiary of ExxonMobil and produces about 200,000 barrels of oil per day.

Tillerson has also previously expressed his skepticism with regard to the sanctions imposed on Russia. Indeed, the sanctions just so happened to stall a massive investment framework that Tillerson had negotiated. The Wall Street Journal reported in 2011 that Tillerson worked on a $500 billion Arctic oil contract between ExxonMobil, the Kremlin, and the Russian state-owned Rosneft oil company.

At Exxon’s 2014 annual meeting, Mr. Tillerson said: “We do not support sanctions, generally, because we don’t find them to be effective unless they are very well implemented comprehensibly, and that’s a very hard thing to do.” That statement was made before the Obama administration leveled new sanctions against nine Russian entities, restricted access to two properties in the U.S. and removed Russian individuals.

How will the new secretary of state and President handle U.S.-Russia relations going forward?

Liquefied Natural Gas (LNG)

Despite Mr. Trump’s current efforts to rekindle a collegial relationship with Russia, natural gas could lead to conflicts during the potential reconciliation efforts. Natural gas exports provide a major stream of revenues for Russia’s economy and any further jolt will affect its already struggling finances.

Today, about 30% of the world’s consumed gas is traded internationally. Russia is a dominant supplier of natural gas to Europe, which is something many European nations have been working to move away from (it is important, however, to note that Germany has moved forward with the Nord-Stream 2 pipeline). Russia’s proven natural gas reserves, according to the U.S. Energy Information Administration (EIA) data, are the largest in the world with nearly 1,688 trillion cubic feet (tcf)—compared to Iran’s 1,201 tcf and Qatar’s 866 tcf.

However, as experienced in 2006 and 2009 in Eastern Europe, Russia can limit the amount it exports despite contracts, during times of turmoil and turn off the figurative spigot. This background threat further stimulated the desire for those nations to search for alternative sources in order to reduce their reliance on Russian gas.

The LNG market could provide a solution. Indeed, it eliminates the need for sprawling pipeline networks and reduces energy reliance on Russia.

LNG is natural gas that undergoes a liquefaction process at specially constructed plants, is loaded on special tankers and shipped to regasification terminals where the new energy feedstock can be distributed to consumers. The global market for LNG increased about 7% per year between 2000-2012, according to Ernst and Young. LNG export capacity is forecast to increase by 45% between 2015 and 2021, 90% of which would originate from the U.S. and Australia, according to the International Energy Agency (IEA).

The American LNG industry is in its infancy stages but, as noted by the IEA forecast, is predicted to grow and increase market competition. Advocates believe Trump will expedite the current permitting and approval process where about 30 applications are pending (there is 1 operating export terminal in Louisiana—Sabine Pass—and others in the Gulf Coast and Maryland under construction).

The EIA states that by 2020, the U.S. is set to become the world’s third-largest LNG producer, after Australia and Qatar. This is where the rub with Russia could start, granted it would take years to develop a large industry. Indeed,  the U.S. increased natural gas supply on the international market would cut into Russia’s market share.

In the past, it was thought that increasing consumption of natural gas in Europe would mean greater reliance on Russia. However, LNG loosens those constraints. And having the U.S. as a reliable trading partner could cement that expansion, as the new natural gas could also serve as a baseload power supply with the large amount of renewables being integrated across Europe to counter the currently accompanying intermittency. Thus far, the U.S. has exported to Spain and Portugal with companies capable of establishing floating LNG terminals in other European markets, as regasification terminals are costly and are long-term construction projects.

Russia does have LNG plans of its own, but its gas export business will continue to be pipeline dominant, limiting its flexibility. Today there are over 30 global markets for LNG, and possibly doubling by 2030. There is one large LNG project operating in Sakhalin, led by Gazprom, and construction is underway for a massive LNG facility, Yamal, potentially with a price tag of $27 billion, helped with funding from the Chinese. Even then, Russia still may need to discount their gas price to meet rising competition. 

Shipping

To be transported, as noted, LNG needs a specially designed ship. Thus, as demand has grown, LNG has added a new dimension to the maritime industry. Maritime shipping is vital for trade and the global economy. More than 50,000 ships are in operation around the world, trading across waterways and carrying 90% of all goods, commodities, and products, according to the International Maritime Organization. The new vessels enable LNG to be transported across large swaths of ocean to buyers. Of course, being able to transform the gas to a liquid eliminates the constraint of needing a pipeline for transit to specific points.

With LNG being shipped out from the Sabine Pass facility in Louisiana, the new expansion of the Panama Canal, completed in 2016 after many delays, can facilitate those vessels and offer competitive prices enabling efficient transit to Asian markets. Indeed the old Panama Canal locks were too small for these vessels.

The route provides the ability for a shipment from the Gulf Coast to Japan to be reduced from the current 34 days to 20. In fact, the Panama Canal Authority instituted separate tolls for LNG vessels in order to promote route attractiveness.

Avoiding any need for canals, Europe, and potentially the west coast of Africa in the future, is a natural fit for LNG shipments leaving the Gulf Coast and Maryland.

All and all, with the increased natural gas demand and new sources of production, U.S. industry could cut into Russia’s economic lifeline, potentially impeding bridging the sought after closer national ties.

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Trump’s Civil Religion Has an Angry God

Foreign Policy - Fri, 20/01/2017 - 23:55
America’s 45th president isn’t the first populist to be inaugurated — but he’s the loneliest.

When the Mob Rules, Everyone Is a Target

Foreign Policy - Fri, 20/01/2017 - 23:09
Trump’s ochlocracy brings dangers and threats that the Republic has not witnessed since Joe McCarthy. Do we even know how to fight back?

Nuclear Weapons Proliferation and Missile Defense

Foreign Policy Blogs - Fri, 20/01/2017 - 21:34

Over the next year, a new and serious threat against the United States’ west coast may emerge. North Korea has announced its intention to develop a nuclear capable intercontinental ballistic missile (ICBM) that would be able to hit the mainland of the United States. North Korea is known to have theatre-wide nuclear missiles capable of hitting targets in South Korea, Japan and China. The possibility of reaching mainland United States may become a reality as early as 2017.

Negotiations to push China into taking action against North Korea or taking direct diplomatic or military action against Pyongyang are possible options. Nevertheless, a solid line of defense against ICBMs must also be put in place in an era where nuclear weapons are being sought by smaller countries.

The United States and NATO often focused on air defenses that are very effective in small areas of conflict. They were designed against a hypothetical Soviet mass armor and air assault on a region or even a single battlefield. The Soviet and Russian doctrine differed in their development, as the trauma of being invaded during WII prompted a culture of missile defense that remains to this day.

Medium range weapons like the SA-3 and SA-8 gave rise to more modern systems like the SA-15 TOR medium range system. These systems could be used in smaller theaters of war, and currently focus on shooting down aircraft as well as medium range ballistic missiles and cruise missiles.

Longer range systems like the SA-2 and SA-4 were substituted by the S-300 and S-400 system, as well as the SA-11 and SA-17—also known as Buk. The Buk missile system gained notoriety after being used to shoot Malaysia airlines MH17 over eastern Ukraine. Finally, an Anti-Ballistic Missile shield (ABM) system is currently operational around Moscow to defend the city against ICBM strikes.

Russian A2/AD Range: August 2016. (Institute for the Study of War)

NATO and their allies have been lacking in the development of a proper ABM system. Only in recent years has there been a big push to develop an effective system against ICBM attacks.

More modern ICBM types like the Russian SS-27 Topol-M are capable of carrying multiple warheads and hitting several targets upon re-entry into the atmosphere. Systems used by the U.S. and NATO like the Patriot missile system were not very effective in the 1991 Gulf War, despite claims that it was able to stop SCUD missile attacks from Iraq on Israel and Allied bases in the Gulf. Israel’s Iron Dome has had success shooting down small artillery rockets on a limited scale and its Arrow system is designed to intercept theatre wide ballistic missiles, but has yet to be tested in battle.

The basis for U.S. defense against a North Korean missile attack could be developed from successful technology coming from its allies, but Washington has been slow to develop a system that could properly defend against a serious ICBM threat. While development may have to take place, a system like Moscow’s ABM ring or a return to the policy that motivated an innovative “Star Wars”-type program may be in the cards. With new techniques to shoot down satellites being successfully developed by countries like China, a new solution will have to be quickly devise to keep up with technological developments.

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Undocumented Immigrants Tense on Inauguration Day, But Ready to Resist

Foreign Policy - Fri, 20/01/2017 - 20:36
If Donald Trump tries to follow through on his campaign promises, activists vow resistance.

Trump Promises ‘America First’ in Defiant and Divisive Inaugural Speech

Foreign Policy - Fri, 20/01/2017 - 20:32
Anxious allies and a polarized country may find little solace in the new president’s isolationist speech.

In Washington, Protests and Riots on Inauguration Day

Foreign Policy - Fri, 20/01/2017 - 19:18
Mr. Trump comes to Washington. Protesters and rioters do, too.

What’s up on the White House website: Trumpish promises on the U.S. military

Foreign Policy - Fri, 20/01/2017 - 19:07
I see that the Donald Trump White House has posted foreign policy and military messages on whitehouse.gov.

UN-backed disaster risk reduction guidelines to help tackle hunger in Latin America

UN News Centre - Fri, 20/01/2017 - 18:21
The United Nations and the countries in Latin America and the Caribbean have together crafted a blueprint for making the agriculture, food and nutritional security sectors more disaster-proof so the region can tackle hunger in a sustainable manner.

The Puzzle of Non-Western Democracy

Politique étrangère (IFRI) - Fri, 20/01/2017 - 08:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Pierre Baudry propose une analyse de l’ouvrage de Richard Youngs, The Puzzle of Non-Western Democracy  (Carnegie Endowment for International Peace, 2015, 240 pages).

La démocratie libérale telle que la conçoit l’Occident est-elle la seule forme viable de démocratie ? N’est-elle pas victime d’un individualisme qui en détruit le principe ? Ne doit-on pas admettre, au nom du respect des identités culturelles, qu’il existe des modèles alternatifs et « illibéraux » à la vision occidentale de la démocratie ? Ces questions qui sous-tendent la politique d’un Poutine, d’un Orban, et toute une partie du discours politique de la Chine ou de l’Iran sont au cœur de cet ouvrage. Les critiques de la démocratie libérale ne sont pas nouvelles : le xxe siècle a connu des critiques du libéralisme au nom des idéologies nationale-socialiste ou prolétarienne. Mais le livre de Youngs se distingue en ce qu’il propose une approche globale de la critique du modèle occidental, associant analyse géopolitique et réflexion théorique : « Bien souvent, les appels à une conception non occidentale de la démocratie renvoient au défi d’un renouvellement (reimagining) de la démocratie en général. »

L’auteur plaide essentiellement pour un « libéralisme renforcé » (liberalism plus). On peut admettre fondamentalement le principe d’une variation démocratique selon les régions du monde ; mais variations et expérimentations doivent se faire autour d’un corps de principes intangibles – participation aux décisions politiques, tolérance, capacité à rendre compte de son action (accountability) –, et de propositions concrètes : soutien aux droits des communautés et pas uniquement aux individus afin de les rendre plus efficaces en termes de contrôle démocratique ; critique du néolibéralisme et défense du libéralisme comme justice économique ; mise en place de formes alternatives de représentations et d’action politique au moyen des nouvelles technologies ou de budgets participatifs ; recours aux traditions juridiques locales dans la mesure où elles fournissent des modalités de participation démocratique.

L’auteur tente ainsi de satisfaire deux exigences. D’une part le refus d’une conception uniforme de la démocratie comme le montre son intérêt pour le projet d’étude « The Varieties of Democracy », qui évalue la situation démocratique en fonction des conditions locales. D’autre part sa méfiance envers toute critique du libéralisme camouflant des pratiques autoritaires. Les propositions de Youngs sont toujours avancées avec discernement et accompagnées d’un tableau du rapport à la démocratie dans le monde, ainsi que d’une analyse des conséquences sur le plan géopolitique du concept de « variations démocratiques ». On regrette presque que le livre ne soit pas plus étendu, tant les questions abordées campent au cœur de certains des débats actuels les plus brûlants.

L’ouvrage aurait sans doute gagné à prendre en compte les variations démocratiques présentes au sein même du monde occidental. Déjà Tocqueville dans L’Ancien Régime et la Révolution  (1856) proposait des analyses classiques sur la passion des Français pour l’égalité qu’il opposait à l’attachement des Anglo-américains pour la liberté. Ce type de distinctions développées au niveau des institutions ou de la culture politique aurait permis de voir qu’il existe déjà des « variations démocratiques » entre la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne, et comment elles permettent des formes diverses de libéralisme selon les traditions politiques nationales. Cette remarque ne retire rien à cet ouvrage dense, passionnant, et qui mériterait d’être traduit au moins en extraits en français.

Pierre Baudry

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Political uncertainty forces tens of thousands people to flee The Gambia for Senegal: UN

UN News Centre - Fri, 20/01/2017 - 06:00
At least 45,000 people &#8211 mostly women and children &#8211 have arrived in Senegal from The Gambia after former President Yahya Jammeh&#39s decided to not step down, United Nations agencies today said warning that more people may leave if the political situation is not resolved peacefully.

UN agency revises funding requirements to tackle Africa's worst displacement crisis

UN News Centre - Fri, 20/01/2017 - 06:00
With conflict in South Sudan now entering its fourth year and its people facing dire humanitarian challenges, the United Nations refugee agency has revised upwards its funding requirements for 2017 to address new needs of those who have been displaced due to renewed fighting, increased violence and resulting food insecurity since July last year.

UN rights expert welcomes US decision to lift most unilateral sanctions on Sudan

UN News Centre - Thu, 19/01/2017 - 23:25
A United Nations human rights expert today welcomed the decision of President Barack Obama to lift most sanctions unilaterally imposed by the United States on Sudan.

At Davos forum, UN chief Guterres calls businesses ‘best allies’ to curb climate change, poverty

UN News Centre - Thu, 19/01/2017 - 22:23
Addressing the World Economic Forum in Davos, Switzerland, United Nations Secretary-General António Guterres today called for a new generation of partnerships with the business community to limit the impact of climate change and to reduce poverty.

Amma, l'empire du câlin

Le Monde Diplomatique - Thu, 19/01/2017 - 21:59

Honorée par les Nations unies, invitée par le pape François, célébrée par les médias du monde entier, la gourou indienne Amma attire les foules, inspire les artistes et côtoie les plus grands dirigeants de la planète grâce à ses câlins prodigués à la chaîne lors d'événements de masse. Elle fait escale en France ce mois-ci.

Keith Haring. — Sans titre, 1985 © The Keith Haring Foundation

De l'encens se dissipe dans l'atmosphère. Des musiciens entonnent des chants spirituels indiens hypnotiques. Et, au-dessus des têtes, tel un slogan, s'impose une immense inscription en lettres majuscules : « Étreindre le monde » — la traduction du nom de l'organisation internationale Embracing the World (ETW), personnifiée par sa cheffe religieuse, Mme Mata Amritanandamayi, plus connue sous le nom d'Amma (« maman » en hindi). Sous l'œil vigilant de ses gardes du corps patibulaires, Amma, vêtue d'un sari immaculé, est assise en tailleur sur un petit trône autour duquel se serrent, extasiés, ses dévots. Au cœur du Zénith Oméga de Toulon, plusieurs milliers de personnes patientent afin de se traîner, à genoux sur les derniers mètres, contre la poitrine de cette gourou indienne originaire de l'État du Kerala. Toutes sont venues recevoir le darshan, l'étreinte d'Amma devenue le symbole de son organisation. Celle-ci revendique plus de trente-six millions de personnes enlacées dans le monde.

La scène se passe en novembre 2015, en France, où la « mère divine » se rend tous les ans (1) depuis 1987 dans le cadre de sa tournée mondiale. Mais les foules sont tout aussi denses en Espagne, en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas, en Finlande, en Italie, au Royaume-Uni, en Israël ou en Amérique du Nord. De juin à juillet 2016, l'« Amma Tour » a fait étape à Seattle, San Ramon, Los Angeles, Santa Fe, Dallas, Chicago, New York, Boston et Washington, avant Toronto et Tokyo.

Multinationale du câlin, ETW impressionne par sa rigueur logistique. Partout où passe la caravane d'Amma, de gigantesques cuisines industrielles mobiles, dignes d'une intendance militaire, entrent en action. Des centaines de bénévoles travaillent aux fourneaux ; d'autres servent et vendent des repas indiens végétariens par milliers, tandis qu'Amma, sur son trône, reproduit inlassablement le même geste : elle enlace tous ceux qui détiennent un bon, délivré gratuitement, permettant de recevoir le darshan après plusieurs heures d'attente. Des volontaires de l'organisation sont chargés de gérer la foule considérable, aux origines sociales hétéroclites, venue se faire câliner. Passant leur main au niveau de la nuque de celle ou celui dont c'est le tour, les bénévoles fluidifient la chaîne continue de câlins et interviennent immédiatement si une erreur vient enrayer le flux tendu de tendresse.

Amma, qui ne parle que le malayalam (langue dravidienne parlée notamment dans le Kerala), susurre néanmoins à chaque individu enlacé un « Mon chéri », mot doux dont les traductions se déclinent en fonction des espaces linguistiques qu'elle visite. Sur toute la Terre, Amma usine son câlin standard avec une rigueur dans l'exécution des tâches que n'aurait pas reniée Frederick W. Taylor : ouverture des bras ; enveloppement de l'inconnu ; bercement de dix secondes ; remise à chaque être câliné d'un pétale de rose, d'une pomme ou d'un bonbon. Ces séances d'étreintes de masse se prolongent plusieurs heures durant.

Au sein de l'immense espace de spectacle consacré au rituel, où chacun déambule pieds nus après l'étreinte, il est aisé d'observer que certains sont soudainement pris d'une forte émotion, sanglotent et parfois s'effondrent en larmes. « Ce que je ressens est indescriptible. Amma, c'est l'amour pur », témoigne une jeune secrétaire célibataire au chômage dont les joues luisent. « Amma m'a donné plus d'amour que mes propres parents », ajoute un ingénieur informatique. « Dans ce monde de fous, cela fait du bien de couper, de se retrouver avec Amma et de se recentrer sur soi », commente encore une mère, auxiliaire puéricultrice, venue avec sa fille. Toutes deux ont attendu trois heures et demie afin de pouvoir venir s'agenouiller contre Amma.

« Beaucoup d'individus de nos sociétés modernes, profondément narcissiques, sont en quête permanente d'eux-mêmes. À l'approche d'Amma, un véritable processus d'idéalisation se met en place, observe, à quelques mètres de la gourou, la psychologue Élodie Bonetto. Amma, le “leader”, peut alors incarner l'idéal de l'individu, dont la dévotion s'explique le plus souvent par son désir d'être reconnu comme exceptionnel. Trois profils types se dégagent : l'adepte socioaffectif, en quête de réconfort et de sociabilité ; l'adepte utilitariste, en quête de réalisation de soi ; et l'adepte flexible, qui se situe entre les deux. »

Si ETW fait office de fédération des filiales qui se consacrent aux tournées d'Amma, la maison mère s'appelle Mata Amritanandamayi Math (M. A. Math). Cette entité a reçu en juillet 2005 le statut d'organisation non gouvernementale (ONG) consultative auprès du Conseil économique et social de l'Organisation des Nations unies (ONU). Trois ans auparavant, l'ONU avait décerné à Amma son prix Gandhi-King pour la paix et la non-violence, qu'elle avait auparavant attribué à M. Kofi Annan, son ancien secrétaire général, ou à Nelson Mandela. Depuis, Amma s'est régulièrement exprimée à la tribune des Nations unies. En décembre 2014, assise à la gauche du pape François, elle signait à la cité du Vatican une Déclaration universelle des chefs religieux contre l'esclavage.

En 2015, dans le cadre de la préparation de la 21e conférence des Nations unies sur le climat (COP 21), l'écologiste Nicolas Hulot, envoyé spécial du président de la République, fut chargé de réunir cinquante autorités morales et spirituelles ; Amma fut solennellement invitée à participer aux échanges à l'Élysée. La « mère divine » a envoyé un message vidéo et dépêché son bras droit, le swami (religieux) Amritaswarupananda, vice-président de l'organisation, qui a ainsi pu poser pour une photographie-souvenir en compagnie de M. François Hollande. Amma est allée jusqu'au Congrès des États-Unis pour y câliner des figures du Parti démocrate.

Les vedettes Marion Cotillard, Sharon Stone, Jim Carrey ou Russell Brand ont déjà reçu le darshan. « Elle m'a pris dans ses bras et on est restés comme ça. On régresse, il y a quelque de chose de fœtal. La dernière fois qu'on a eu ça, c'est dans les bras de sa mère. C'est comme un très joli bain chaud », témoigne l'acteur Jean Dujardin (2), qui a joué aux côtés d'Amma dans une récente fiction cinématographique intitulée Un plus une. La gourou, dans son propre rôle de « déesse », y accomplit des miracles. « Mes cinquante premiers films ont simplement servi à préparer [celui-ci] (3)  », considère le réalisateur, Claude Lelouch. « Amma est peut-être la personne qui m'a le plus épaté dans ma vie et qui m'a donné encore plus de plaisir que mes oscars et ma Palme d'or (4).  »

Reconnaissance internationale, invitations prestigieuses, florilège de personnalités enlacées en quête d'exotisme ou de réconfort… Amma peut compter sur un très fort capital symbolique doublé d'un vaste réseau diplomatique. Elle apparaît ainsi au-dessus de tout soupçon aux yeux des médias, qui la qualifient fréquemment de « grande figure humanitaire » ou de « sainte indienne ». Selon la prolixe littérature d'ETW, Mme Amritanandamayi aurait eu la peau bleue à sa naissance, comme celle du dieu Krishna. Lors de sa mise au monde, Amma n'aurait ni pleuré ni crié, et se serait contentée d'un sourire. Capable de parler à l'âge de 6 mois, elle aurait également accompli plusieurs miracles, notamment en embrassant un cobra qui terrorisait son village natal. Face à des incrédules rationalistes, Amma aurait transformé de l'eau en lait. En léchant les plaies d'un lépreux, elle l'aurait guéri. Ces miracles, qui la mettent en concurrence avec d'autres figures des principales religions pratiquées à la surface du globe, sont tous consignés au sein d'ouvrages édités au Kerala par ETW. La liste des actes extraordinaires accomplis par Amma fluctue en fonction des années d'impression, des langues de traduction ou des initiatives de réécriture par les cadres de l'organisation.

Sachets de basilic ou de poudre de santal « sacrés » bénits par Amma, tee-shirts d'ETW, posters de la gourou, livres pour enfants, guides de médecine ayurvédique proposant de soigner le cancer, disques de chants, DVD de prière, guirlandes, arbustes, grigris, cristaux « générant l'abondance », cailloux « énergétiques », colliers en laiton, huiles essentielles, cierges… Dans la salle du darshan où la foule se presse, d'innombrables produits dérivés sont proposés à la vente. Les tiroirs-caisses s'y remplissent à rythme soutenu. La poupée à l'effigie d'Amma coûte 90 euros. « Si vous souhaitez recevoir un darshan, mais que vous êtes loin d'Amma, vous pouvez câliner la poupée », explique très sérieusement une vendeuse. Ce poupon est notamment utilisé par les dévots les plus fidèles, ceux qui travaillent bénévolement aux tournées d'Amma et pour qui la réception du darshan est limitée par des quotas, afin qu'ils n'abusent pas des câlins gratuits. Sur Internet, le « Amma Shop » propose également des cosmétiques biologiques,des compléments alimentaires de « désintoxication purifiante », les œuvres complètes d'Amma, des statues ou étoffes de décoration d'intérieur, des autocollants, des porte-clés, des Thermos… autant de marchandises qui seraient des fétiches parés de l'amour d'Amma. Et ce parce qu'ils permettraient, selon les attachés de presse d'ETW, le financement d'« œuvres humanitaires ». En plus de ses activités de restauration et de négoce, l'organisation recueille des dons grâce aux nombreux troncs disséminés lors des événements internationaux. « L'amour d'Amma est gratuit, inconditionnel. C'est donc à chacun de décider de ce qu'il veut donner en fonction de ce qu'il a reçu d'Amma », précise une de ses représentantes.

Travailleurs bénévoles et gros profits

Les bénéfices cumulés sont réalisés grâce à une main-d'œuvre gratuite de plusieurs centaines de travailleurs. Un passage d'Amma dans une localité entraîne la réservation complète de son parc hôtelier, parfois plusieurs semaines avant l'arrivée de la gourou. Chaque déplacement de la « mère divine » engendre celui des « enfants d'Amma ». Ces centaines de dévots de toutes nationalités suivent, à leurs frais, celle qu'ils nomment « la déesse » afin de pouvoir travailler bénévolement aux multiples tâches qu'implique une tournée internationale digne des plus grandes vedettes de l'industrie culturelle. Parmi eux, une surreprésentation de femmes célibataires sans emploi, prêtes à dormir à même le sol si leurs économies ou leurs minima sociaux ne leur permettent pas de s'offrir un hébergement. C'est le cas à Toulon, où, au mépris des règlements de sécurité incendie, de très nombreux adeptes couchent chaque année dans des couloirs ou des coins dérobés du Zénith Oméga.

Rejoindre la tournée européenne coûte près de 1 500 euros aux volontaires qui souhaitent emprunter les autocars de l'organisation ; certains s'endettent pour pouvoir les payer. Ils sont alors vêtus intégralement de blanc, identifiés par un badge et considérés comme des membres à part entière d'ETW. Les repas végétariens et l'hébergement restent à leur charge. Les bénévoles les plus pauvres mangent avec parcimonie. « Beaucoup s'épuisent et s'appauvrissent, témoigne Mme Amah Ozou-Mathis, ancienne adepte qui a participé aux tournées européennes durant cinq ans. Les journées débutent très tôt par des mantras et la récitation des cent huit noms d'Amma. Elles continuent par un travail considérable et s'achèvent par des cérémonies rituelles où beaucoup entrent en transe, qui finissent très tard. Le plus souvent, on ne dort que trois ou quatre heures par nuit. »

Des outils de communication d'excellente facture graphique, parmi lesquels d'immenses cubes en carton où figurent des photographies d'hôpitaux, d'écoles ou d'enfants des rues, ne cessent d'asséner aux badauds que tous les bénéfices réalisés permettent le financement d'actions caritatives en Inde. Le luxueux kit de presse remis aux journalistes soigne une image de paisible ONG bienfaitrice de l'humanité. Ces éléments de langage sont ensuite relayés sans discernement par des centaines de supports d'information du monde entier, dont les reportages évoquent, depuis plus de trente ans, l'ambiance des tournées d'Amma ainsi que les « émotions » ressenties par le journaliste ayant reçu le darshan — un classique du genre.

En France, où Amma et son organisation font l'objet d'une vénération de la part des médias, le coup d'envoi a été donné en 1994 par Libération, avec un article intitulé « Amma, Mère divine aux 500 câlins quotidiens ». Après quoi les recensions se sont multipliées de manière exponentielle. « D'une simple étreinte, Amma console des milliers d'adeptes » (Le Figaro, 5 novembre 2014) ; « Amma, la mère de tous les câlins » (Le Nouvel Obs, 2 novembre 2013) ; « Amma, la gourou indienne qui répand l'amour par ses étreintes » (20 minutes, 1er novembre 2012) ; « Les miracles d'Amma » (Figaro TV, 6 novembre 2013) ; « J'ai reçu l'étreinte d'Amma, prêtresse de l'amour » (Femme actuelle, 5 novembre 2014) ; « J'ai reçu le “darshan” » (Le Figaro Madame, 24 octobre 2012) ; « Amma : la prêtresse de l'amour » (M6, 6 novembre 2006) ; « Cinq raisons d'aller se faire câliner par Amma » (Var Matin, 3 novembre 2015). Les évocations louangeuses, qu'elles proviennent de médias en ligne, du Parisien, de Direct Matin, de Psychologies, du Monde des religions, de chaînes telles que LCI ou France 2, des ondes de Radio France ou de stations privées, pourraient toutes être résumées par ce propos de la journaliste Elisabeth Assayag sur Europe 1 : « Amma, c'est une sorte de grande sage, une grande âme comme on dit en Inde, qui passe sa vie à réconforter et inonde de compassion ceux qu'elle approche » (22 octobre 2015).

Hervé Di Rosa. — « Besame mucho » (Embrasse-moi fort), 1990 © ADAGP, Paris, 2016 - Cliché : Pierre Schwartz / Banque d'images de l'ADAGP

Ce n'est toutefois que l'un des innombrables mantras médiatiques qui s'élèvent sur tous les continents afin de chanter la gourou. Du Liban à la Jamaïque, du Japon au Canada, de la télévision italienne aux centaines d'articles de presse en Amérique du Nord, les préceptes singuliers d'Amma sont présentés avec bienveillance, et ce d'autant plus qu'ils émaneraient d'une « figure religieuse hindoue ». Amma conteste dans ses ouvrages la prétention de l'individu à comprendre le monde et à le changer : « Jusqu'à ce que vous compreniez que vous êtes impuissant, que votre ego ne peut pas vous sauver et que toutes vos acquisitions ne sont que néant, Dieu ou le gourou créera les circonstances nécessaires pour vous faire comprendre cette vérité (5).  » Elle prône le retrait intérieur, somme toute classique, estimant que « si Dieu fait partie de notre vie, le monde suivra. Mais si nous faisons passer le monde en premier, Dieu ne suivra pas. Si nous embrassons le monde, Dieu ne nous embrassera pas ». Il importe de ne pas s'encombrer l'esprit d'un entendement trop remuant : « Efforçons-nous de vider l'intellect des pensées inutiles et de remplir notre cœur d'amour. » Et ce afin de soutenir Amma dans l'accomplissement de sa tâche de dirigeante d'ONG : « La mission d'Amma en cette vie est d'éveiller l'énergie divine infinie, innée, présente en chacun de nous, et de guider l'humanité sur le juste chemin du service et de l'amour désintéressés. » Cette vision messianique sature l'espace médiatique international depuis près de trois décennies. Darshan. L'étreinte, film « documentaire » hagiographique consacré à Amma, réalisé par Jan Kounen, présenté hors compétition au Festival de Cannes en 2005, fut diffusé la même année en première partie de soirée sur Arte.

Des milliers d'articles et de reportages assènent sans relâche qu'ETW serait une « ONG caritative ». Et ses sites Internet proposent bien des photographies de « réalisations humanitaires », ainsi que des clichés où l'on aperçoit l'ancien président américain William Clinton tenant un chèque de 1 million de dollars signé Amma afin de venir en aide aux victimes de l'ouragan Katrina, qui avait frappé la Louisiane en 2005. Mais l'organisation n'a jamais jugé pertinent de publier son budget global détaillé, et ce qu'il s'agisse de ses recettes, de ses dépenses ou de ses frais de fonctionnement. Une fois amortie la location des gigantesques salles, les bénéfices des journées d'exploitation de la tournée mondiale se chiffrent quotidiennement en dizaines de milliers d'euros — la prodigalité des individus ayant reçu le darshan étant d'autant plus grande qu'ils ont une confiance aveugle dans les œuvres d'Amma.

Liens avec le nationalisme hindou

« Non, l'empire d'Amma n'a rien d'une ONG caritative, affirme M. Sanal Edamaruku, qui vit en exil en Finlande, où il préside l'Association des rationalistes indiens. Amma, c'est une entreprise, un “business” sale. On peut ajouter Amma à la longue liste des charlatans qui sévissent en Inde. La plus parfaite opacité règne quant à la destination exacte des fonds collectés lors de ses tournées. » Nous avons pu consulter des documents officiels émanant du ministère de l'intérieur indien, ainsi que des déclarations fiscales d'une branche américaine de l'organisation d'Amma. Le recoupement des déclarations officielles des deux entités juridiques, rassemblées sur plusieurs années, montre qu'elles ne coïncident absolument pas : les sommes que la maison mère déclare avoir reçues s'avèrent très largement inférieures aux sommes que la filiale américaine déclare lui avoir versées. Où est passée la différence ? Plus surprenant encore : pour l'année 2012-2013, M. A. Math aurait touché 219 millions de roupies d'intérêts bancaires, soit près de 2,9 millions d'euros. Une « organisation humanitaire » remplissant des cassettes afin de faire travailler son argent ? Les attachés de presse d'ETW se refusent à tout commentaire.

Le personnage d'Amma clive la société indienne depuis 1998, année où M. T. K. Hamza, dirigeant communiste de l'État du Kerala, a tenu publiquement des propos critiques à l'égard de la gourou. Ceux-ci ont déclenché les foudres du Bharatiya Janata Party (BJP), la grande formation nationaliste hindoue, qui a répliqué par des protestations de masse. L'Australienne Gail Tredwell, ancienne disciple et secrétaire particulière d'Amma pendant plus de vingt ans, a quant à elle publié un livre (6) en octobre 2013. Elle y raconte comment Amma est passée, en trente ans, du statut de gourou locale au rang de vedette internationale. Dénonçant des « malversations » et des violences, parmi lesquelles des viols, au sein de l'organisation, elle souligne les liens étroits existant entre Amma et le pouvoir politique nationaliste hindou. La multinationale du câlin est parvenue à obtenir l'interdiction pour « blasphème » de ce livre dans l'État du Kerala. Dès 1985, l'ouvrage de l'ex-policier Sreeni Pattathanam, qui évoquait des morts suspectes survenues dans l'ashram d'Amma, avait été lui aussi censuré pour « blasphème » — son auteur est aujourd'hui le secrétaire régional pour le Kerala de l'Association des rationalistes indiens. Plus récemment, une librairie indienne ayant édité un livre d'entretiens avec Mme Tredwell a été vandalisée par des disciples d'Amma, qui ont laissé sur place une banderole appelant à l'arrêt des critiques contre leur gourou.

Cela n'empêche pas l'essor de l'influence d'Amma en Inde, où l'anniversaire de la « mère divine » est devenu un événement de la vie politique. Tous les 27 septembre, cette célébration peut rassembler jusqu'à plusieurs dizaines de milliers de personnes. Elle s'accompagne d'une cérémonie évoquant l'ouverture des Jeux olympiques : les dévots de tous les pays sont conviés à venir parader vêtus de costumes traditionnels de leurs pays respectifs ; les délégations arborent les drapeaux de toutes les nations du monde. En 2003, lors du cinquantième anniversaire d'Amma, célébré au stade Nehru de Kochi (Kerala), la multinationale a mobilisé plus de 2 500 autocars et réservé la totalité des chambres d'hôtel dans un rayon de quinze kilomètres autour du stade, décoré pour l'occasion en ashram, et ce afin d'accueillir plus d'une centaine de milliers de personnes. Le 27 septembre 2015, ce fut à l'ambassadeur de France en Inde, M. François Richier, d'être convié aux festivités : « C'est un grand honneur d'être parmi vous aujourd'hui à l'occasion de l'anniversaire de notre Amma bien-aimée, a-t-il déclaré en présence du premier ministre indien Narendra Modi et du président du BJP Amit Shah. Les pensées et la sagesse d'Amma nous éclairent sur des problèmes-clés d'aujourd'hui, par exemple sur le moyen de construire la paix entre les pays ou les peuples, mais aussi sur des questions qui nous concernent tous, telles que l'éducation ou le changement climatique. »

« Attention ! Si Amma construit bel et bien en Inde des infrastructures — hôpitaux, écoles, universités — dont on retrouve des photographies dans sa propagande, il ne faut pas se leurrer, avertit M. Edamaruku. Le plus souvent, ce sont des établissements privés, destinés à générer du profit, qui permettent à son organisation de s'institutionnaliser et d'asseoir un peu plus son pouvoir. » Vantée lors des tournées comme l'initiatrice de grandes réalisations caritatives, ETW est aujourd'hui à la tête d'un réseau d'universités et d'un hôpital universitaire, regroupés sous le label « Amrita », qui comptent plus de 18 000 élèves. Le clip de présentation de ce réseau s'enorgueillit de ses 23 centres de recherche scientifique, à l'origine de 51 brevets. L'institution présidée par Amma figure en tête de multiples classements internationaux et noue de nombreuses collaborations avec des universités européennes et nord-américaines. Formation en aérospatiale, chimie, génie civil, informatique, électronique, mécanique, médecine, biotechnologies : les bras d'Amma enlacent toutes les disciplines où la concurrence globalisée fait rage.

Financée grâce aux oboles des dévots du monde entier, l'université s'avère très prisée de la bourgeoisie indienne. Le cursus permettant de devenir médecin coûte 144 000 dollars. Certes, les étudiants les plus pauvres peuvent y avoir accès, mais à condition de souscrire un emprunt. Servant de supports publicitaires lors des tournées d'Amma, ces multiples réalisations permettraient également, selon Mme Tredwell, d'offrir des soins médicaux et des formations universitaires gratuites aux familles de dirigeants politiques nationalistes hindous.

En juillet 2014, au Parlement européen, la branche jeunesse de l'organisation, Amrita Yuva Dharma Dhara (Ayudh), a réuni autour d'elle les députés Frank Engel (Luxembourg), Deirdre Clune (Irlande), Miltiadis Kyrkos (Grèce) et Jani Toivola (Finlande). À la pointe de la défense des intérêts d'Amma en Europe, Ayudh participe à la campagne de la jeunesse du Conseil de l'Europe « contre le discours de haine en ligne » par « l'éducation pour les droits de l'homme » et a déjà reçu des financements du Fonds européen pour la jeunesse. La Commission européenne, quant à elle, soutient financièrement les événements religieux d'Ayudh, dont les programmes se divisent en temps de prière et d'initiation à l'art-thérapie ou à la permaculture, tous placés sous l'égide de la gourou du Kerala.

La ferveur d'une commissaire européenne

Amma peut d'ailleurs compter sur un relais politique majeur en la personne de Mme Martine Reicherts, l'actuelle directrice générale pour l'éducation et la culture de la Commission européenne, professeure de yoga au Luxembourg, qui n'a cessé ces dernières années de la louer publiquement. Sur le site Internet d'Ayudh, elle pose, joviale, parmi de jeunes dévots, et elle figure sur les brochures de l'organisation de jeunesse que la Commission subventionne.

Le 21 octobre 2014, alors qu'elle était commissaire européenne à la justice, elle est même venue à la rencontre d'Amma à Pontoise (Val-d'Oise) durant le rassemblement de masse annuel. Sur la vidéo de l'événement, on voit la gourou indienne lancer des pétales à la tête de la commissaire. Celle-ci s'approche alors du trône où elle siège et, lui passant un collier de fleurs autour du cou, l'enlace, très émue, puis s'agenouille devant elle. Elle joint ensuite ses mains en signe de révérence et incline totalement sa tête afin que son front touche les genoux d'Amma. Quand elle se lève enfin, c'est pour prendre la parole à la tribune et s'adresser solennellement aux milliers de personnes présentes : « J'exerce les fonctions de commissaire, c'est-à-dire l'équivalent de la fonction de ministre européenne de la justice, et je tenais, dans ce monde désacralisé, à venir témoigner de mon attachement, pas en tant que disciple, pas en tant qu'élève (…). Nous vivons dans un monde où nous avons besoin de spirituel, où nous avons besoin de valeurs, et nous avons aussi besoin d'oser. Grâce à Amma, je me suis rendu compte que le concret, le quotidien, le politique, pouvait mener au spirituel. Nous l'avons trop souvent oublié dans notre société, et notamment en Europe. »

Dans le cadre du programme « Jeunesse en action », plus de 243 000 euros de subventions ont déjà été versés par la Commission européenne à des organisations de jeunesse d'Amma. Un soutien financier auquel s'ajoutent de profonds sentiments d'affection, comme l'atteste la conclusion de la représentante des citoyens de l'Union européenne ce soir-là : « Amma, je vous aime. »

(1) Après un passage par Pontoise (Val-d'Oise) du 26 au 28 octobre 2016, Amma est annoncée à Toulon du 7 au 9 novembre 2016.

(2) « Jean Dujardin rencontre Amma : “Une Gandhi au féminin” », Europe 1, 4 décembre 2015.

(3) Ammafrance.org, 19 janvier 2014.

(4) « “Amma est la personne qui m'a le plus épaté dans ma vie” », Paris, 18-20 octobre 2015, www.etw-france.org

(5) www.amma-europe.org

(6) Gail Tredwell, Holy Hell : A Memoir of Faith, Devotion, and Pure Madness, Wattle Tree Press, Londres, 2013.

Lire aussi le courrier des lecteurs dans le numéro de janvier 2017.

Processed foods drive surge in obesity rates in Latin America and Caribbean – UN-backed report

UN News Centre - Thu, 19/01/2017 - 20:50
Obesity and overweight are on the rise throughout Latin America and the Caribbean, and are prevalent particularly among women and children, according to a new United Nations-backed report.

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