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Diplomacy & Crisis News

Le siècle de Perón. Essai sur les démocraties hégémoniques

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:16

Et si, loin de constituer un phénomène historique circonscrit, le péronisme — du nom du président argentin Juan Perón (1895-1974) — incarnait l'archétype d'un régime politique à dimension universelle ? C'est l'hypothèse développée par Alain Rouquié dans cet ouvrage qui instruira au-delà du cercle des latino-américanistes. L'expérience péroniste permettrait de saisir les traits distinctifs d'un type de « démocratie hégémonique » émergeant dans un contexte de « malaise social généralisé contre des gouvernements à la fois impopulaires et inefficaces » : accroissement des inégalités, domination oligarchique et incapacité des institutions à résoudre la crise. Ses caractéristiques : l'autorité charismatique d'un chef et le suffrage universel. La première engendre une pratique du pouvoir qui s'organise par-dessus (et contre) les institutions en place. Le second institue et renouvelle la légitimité populaire de ces pouvoirs « refondateurs » instaurés contre les intérêts dominants de l'étape antérieure. Argentine, Bolivie, Équateur, Russie, Thaïlande, Turquie et Venezuela sont ici étudiés et comparés.

Seuil, Paris, 2016, 416 pages, 25 euros.

Définir l'homme, un acte politique

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:12

La philosophie politique peut-elle se dispenser d'une réflexion sur la nature de l'être humain ? Vieille question, que reprennent trois ouvrages récents. Noam Chomsky, connu à la fois pour ses recherches sur le langage et pour son engagement politique, tente avec Quelle sorte de créature sommes-nous ? une approche systémique (1). À la base de sa réflexion, le langage, qui, selon lui, sert moins à communiquer qu'à penser. Dans ce livre bref en forme de manuel, il entreprend de montrer dans quelle mesure les créatures limitées que nous sommes du point de vue cognitif peuvent tout de même s'approcher d'une idée du bien commun.

Marc Crépon et Frédéric Worms adoptent une approche différente dans La Philosophie face à la violence (2). Disparue du programme de philosophie des classes de terminale, la notion de violence relève de plusieurs domaines, notamment du champ moral, mais également du champ politique. L'État, par exemple, a-t-il le droit d'en user ? Et à partir de quel moment a-t-on le droit d'y résister ? La réflexion dérive alors rapidement vers la liberté, en en cherchant le fondement dans la nature de l'être humain ; mais, afin de ne pas élargir par trop le cadre, les auteurs proposent d'examiner la question à l'intérieur de deux dates : 1943-1968. En 1943, Jean-Paul Sartre publie L'Être et le Néant (Gallimard), où il fonde, à partir d'une interrogation sur l'être et sur la conscience, les prémisses de son engagement à venir. Face à la violence, c'est désormais autour de cette philosophie, dans sa filiation ou de façon antagoniste, que sera pensé l'état du monde de l'après-guerre : la décolonisation, l'âge atomique, la révolution… Les philosophes modernes — Sartre, Albert Camus, Maurice Merleau-Ponty — dialoguent ici entre eux, comme le font ensuite les postmodernes — Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Michel Foucault, Emmanuel Levinas : c'est l'intérêt du livre. Il est fort intéressant de suivre chez chacun l'articulation entre point de vue sur l'être et positionnement politique, et de comprendre ainsi, par exemple, pourquoi Sartre, à l'opposé de Camus, refuse de mettre sur le même plan la torture et le terrorisme.

Martin Heidegger a inspiré à la fois l'existentialisme de Sartre et la philosophie de la différence de Derrida. Depuis longtemps, une controverse flambe sur l'antisémitisme du philosophe, ravivée par la publication en 2014 en Allemagne des premiers Cahiers noirs, qu'il a commencés au début des années 1930, quand il avait une quarantaine d'années, et tenus quasiment jusqu'à la fin de sa vie, en 1976. Dans ces Cahiers couvrant les années 1931-1946, il expose ouvertement son point de vue sur le rôle qu'il attribue aux Juifs dans l'histoire de l'être : censés avoir contribué à en occulter la question, ceux-ci ont posé les bases d'un totalitarisme technique dont, en dernière analyse, ils ont été les victimes. Autrement dit, les Juifs furent responsables de leur propre extermination.

L'antisémitisme de Heidegger et son engagement nazi ont suscité le déni ou la condamnation, les deux attitudes ayant en commun de séparer la vie de l'œuvre, passant ainsi à côté d'une interrogation proprement philosophique des faits et des écrits, que seul Levinas aura tentée dans Quelques réflexions sur la philosophie de l'hitlérisme (Payot & Rivages, 1997). Donatella Di Cesare (3) reprend ce travail de compréhension de l'antisémitisme politique et philosophique de Heidegger, qui s'enrichit des matériaux des Cahiers noirs. Dans un premier temps, en réinscrivant Heidegger dans l'histoire philosophique allemande, de Martin Luther à Friedrich Nietzsche en passant par Emmanuel Kant et Friedrich Hegel ; ensuite, en se mesurant avec les textes des Cahiers, dans une confrontation serrée où le commentaire est mené avec clarté et rigueur. Même ceux que la philosophie de l'auteur d'Être et Temps indiffère pourront trouver un intérêt au tour que Di Cesare (heideggerienne de longue date) joue à son maître, lorsqu'elle découvre dans cet antisémitisme le résidu métaphysique que le philosophe de Fribourg ne put éliminer de sa propre pensée.

(1) Noam Chomsky, Quelle sorte de créature sommes-nous ? Langage, connaissance et liberté, Lux, coll. « Instinct de liberté », Montréal, 2016, 200 pages, 14 euros.

(2) Frédéric Worms et Marc Crépon, La Philosophie face à la violence, Éditions des Équateurs, coll. « Parallèles », Paris, 2015, 208 pages, 13 euros.

(3) Donatella Di Cesare, Heidegger, les Juifs, la Shoah : les « Cahiers noirs », Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », Paris, 2016, 400 pages, 24 euros.

L'art de la dissonance

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:12

En octobre dernier, l'attribution du prix Nobel de littérature à Bob Dylan a suscité quelques remous amusants. Sans surprise, certains tenants de la « grande culture » s'en sont trouvés assombris. Alain Finkielkraut y a vu un « indice annonciateur de la fin des temps modernes européens (1)  ». Annie Ernaux, célèbre pour ses récits nourris d'autobiographie, considère également que ce choix est « le signe d'un tournant : ce qui est proprement littéraire se dissout (2)  » — sans, par ailleurs, porter de jugement sur l'œuvre. Irvine Welsh, l'auteur de Trainspotting, a semblé plus nettement meurtri : sur Twitter, il a traité les jurés de « vieux hippies baragouinant à la prostate rance » (13 octobre 2016).

En filigrane, toujours la même vieille question : qu'est-ce que la littérature ? Elle se double d'un vigoureux mépris pour la culture « populaire », si regrettablement vulgaire. Inversement, le long silence de Dylan après l'annonce officielle fut un parfait bonheur pour ceux qui saluent dans le rock (3) son pouvoir de désordre ; car, s'il accepte sa légitimation par les experts de la « grande » culture, qu'en est-il alors de sa force de perturbation du goût dominant ? Le lauréat a bien fini par envoyer un petit mot de remerciement, qu'il n'a pu lire en personne, « retenu » qu'il était « par d'autres engagements ». C'est précisément sur la question litigieuse qu'il se penche avec désinvolture pour mieux l'invalider, en rappelant que lui ne s'est jamais demandé si ses chansons étaient de la littérature. Ce qui lui importait, c'était de trouver le studio adéquat pour enregistrer (4).

Mettre l'accent sur la dimension littéraire du rock (ou, plus largement, de la chanson) afin de le sauver de son indignité d'art mineur, voilà une tentation très répandue, y compris chez certains de ses laudateurs. Les essais biographiques rêveurs que la romancière Christine Spianti consacre avec feu à Jim Morrison et Patti Smith (5) les présentent ainsi tous deux comme des chamans guerriers, sous le parrainage d'Arthur Rimbaud… Il est vrai que Morrison et Smith se sont voulus poètes. Mais c'est en tant que chanteurs rock qu'ils ont été saisissants. L'obstination de Patti Smith à affirmer son admiration pour Charles Baudelaire ou Jean Genet témoigne de l'émouvant désir de respectabilité qui a saisi une partie du rock, notamment aux États-Unis, depuis le tournant des années 1960-1970. Cette volonté d'anoblissement est ambiguë : d'une part, sont minorées la voix et la musique ; d'autre part, le rock avait longtemps eu pour rôle de subvertir les codes de la culture officielle, et non de s'y rattacher.

Pourtant, alors même que le rock de ces années-là fait aujourd'hui figure d'objet de musée, il n'est pas certain que ces multiples entreprises de neutralisation de son « mauvais genre » soient véritablement efficaces. Le Velvet Underground, qui, comme David Bowie ou le punk, a subi l'embaumement, reste méchant, sexy, peu assimilable. Formé en 1965 autour de Lou Reed et de John Cale, il chantait la rue, celle des paumés, des dealers, des travestis. Il chantait Heroin en un temps où s'épanouissaient le « peuple des fleurs » et sa quête du peace and love : à l'évidence, il était à contre-courant. D'ailleurs, même avec l'appui d'Andy Warhol, il n'a pu être durablement à la mode. Trop rétif, même aux injonctions implicites de l'avant-garde, autre fabrique de codes. C'est ce que saluent de façon ardente Philippe Azoury et Joseph Ghosn (6) en détaillant les enjeux de ses expérimentations musicales, appels à l'insurrection intime et à l'écoute de ce qui, d'ordinaire, est tu. Non, ce n'était pas de la littérature, mais… du rock. De l'émotion électrique.

(1) « Le Nobel à Dylan, déclin de la culture ? », Causeur.fr, 18 octobre 2016.

(2) « Annie Ernaux : “La littérature se dissout” », Le Monde, 15 octobre 2016.

(3) Il importera peu ici que Dylan ait chanté aussi de la folk, de la country, etc. Il représente un mouvement plus vaste : le rock.

(4) Discours à lire sur le site officiel www.nobelprize.org

(5) Christine Spianti, Jim Morrison. Indoors/Outdoors, Maurice Nadeau, Paris, 2016, 224 pages, 18 euros ; Patti Smith. La poétique du rock. New York, 1967-1975, Maurice Nadeau, 2016, 200 pages, 18 euros.

(6) Philippe Azoury et Joseph Ghosn, The Velvet Underground, Actes Sud, Arles, 2016, 180 pages, 16,90 euros.

Guatemala, trop de divisions pour une révolution

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:12

D'avril à septembre 2015, le Guatemala a traversé une grave crise politique. Après la révélation de faits de corruption impliquant des personnalités au sommet de l'État, le président Otto Pérez Molina a dû quitter le pouvoir. Pour beaucoup, sa décision était inévitable après les multiples manifestations qui avaient secoué le pays. Mais la rue était-elle seule à la manœuvre ?

Une riche compilation de témoignages, essais et articles contribue à répondre à la question (1). Certains y analysent les manifestations comme un « réveil citoyen » transcendant les classes sociales. Ainsi, M. Gabriel Wer, à l'origine avec quelques autres de la première manifestation via Facebook, n'ambitionnait pas d'obtenir davantage que la démission du président. À l'inverse, la militante étudiante Lucía Ixchíu raconte les efforts d'organisation au sein de l'université nationale San Carlos pour politiser cet « embryon de mouvement social, qui, pour pouvoir continuer à se former dans le ventre de la lutte, a besoin de renforcer l'organisation à tout niveau ». Selon elle, cette crise a repolitisé l'université publique et permis un « retour des étudiants au sein du peuple ».

Le sociologue Rodrigo Véliz s'interroge sur le lâchage de M. Pérez Molina par les élites économiques et par les États-Unis, ses soutiens d'antan. Les critiques de l'administration Obama envers l'ancien président depuis 2012 révéleraient ainsi la stratégie de Washington : « faire le ménage dans les institutions étatiques », dans le cadre d'une politique « d'investissements et de pressions économiques » visant à répondre à la présence accrue de la Chine et de la Russie dans la région. Raison pour laquelle la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (Cicig) bénéficierait des soutiens dont elle jouit actuellement. Ses travaux ont notamment permis de juger de nombreux anciens militaires proches du pouvoir, érigeant cette institution au rang de modèle régional que, selon l'auteur, les États-Unis aimeraient exporter dans les pays voisins.

Irma Velásquez Nimatuj, journaliste et anthropologue, analyse la relation d'abord distante des organisations indigènes et rurales à ce mouvement principalement urbain. Elle signale la division du pays, profondément travaillé par le racisme. Une division qui s'est traduite dans les manifestations : si beaucoup de citadins battaient le pavé pour la première fois, les populations rurales, elles, s'en sont souvent tenues à l'écart. La corruption, explique en effet Velásquez Nimatuj, « n'est pas le problème structurel qui les empêche d'accéder à une vie digne ». Elle estime plutôt que, en ce qui les concerne, « les problèmes substantiels n'ont pas été abordés » : ils recherchent le « démantèlement de l'État raciste, qui impliquerait une redistribution équitable de la richesse du pays ».

Dans un essai dense et succinct, au terme duquel il conclut à une « révolution qui n'a jamais eu lieu » (2), le sociologue Virgilio Álvarez Aragón consacre un chapitre à la tentative de réforme profonde de la loi électorale et des partis politiques (LEPP), une urgence démocratique majeure. Faute de stratégie de pression citoyenne et de vision structurée, le mouvement aurait échoué face à l'imbrication des élites économiques et politiques, n'obtenant qu'une réformette de plus.

L'échec stratégique, analyse l'auteur, tient aussi à l'imaginaire politique des classes moyennes, libérales et hostiles aux mesures redistributives : « L'aliénation imposée par la théologie de la prospérité, d'un côté, et le discours individualiste et consumériste, de l'autre, ont produit une idéologie suburbaine manquant de contenus politiques progressistes et d'encouragements à une organisation sociale revendicative. » L'idéologie libertarienne, puissante au sein des élites économiques guatémaltèques, a donc pu être légitimée par le discrédit de l'exécutif. Dans ces conditions, ce que beaucoup ont analysé comme une « révolution citoyenne » aurait en fait renforcé l'hégémonie culturelle de la droite qu'avait, un temps, incarnée M. Pérez Molina.

(1) Regina Solís Miranda (sous la dir. de), La Fuerza de las plazas. Bitácora de la indignación ciudadana en 2015, Friedrich-Ebert Stiftung, Guatemala, 2016, 324 pages.

(2) Virgilio Álvarez Aragón, La Revolución que nunca fue. Un ensayo de interpretación de las jornadas cívicas de 2015, Serviprensa, Guatemala, 2016, 80 quetzales, 180 pages.

Zone de turbulence

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:12
Giovanni Battista Podestà. — « Le Bien et le Mal »

C'est contre ce qu'il nommait « l'art culturel » que le plasticien Jean Dubuffet (1901-1985), « intellectuel féru de sauvagerie », est allé au bout de quelques intuitions fulgurantes surgies principalement dans l'entre-deux guerres. S'opposant aux conceptions esthétiques dominantes, il saluait la puissance de l'imaginaire chez les enfants, les médiums, les fous. En 1945, intrépidement, il invente l'art brut. Évidemment, les œuvres existaient déjà, mais elles n'étaient pas identifiées comme telles.

La réédition augmentée de la thèse de Lucienne Peiry (1), longtemps responsable de la Collection de l'art brut à Lausanne, précise la généalogie, la concrétisation et les paradoxes de cette notion. Dubuffet poursuit en particulier le travail de sape des surréalistes en affirmant que la création est par nature un « phénomène malsain et pathologique », et qu'il n'y a donc pas un art spécifique aux malades mentaux. En revanche, aliénés ou non, ceux qui peuvent être indemnes de toute culture artistique et témoigner par ailleurs d'une parfaite indifférence à la reconnaissance sociale de leur œuvre ont la liberté rare d'être au plus près de la vérité de leur fantaisie, car « il faut choisir entre faire de l'art et être tenu pour un artiste. L'un exclut l'autre ». Aloïse Corbaz, Adolf Wölfli, Gaston Chaissac, Louis Soutter imposent ici leurs mondes hantés, paradoxalement devenus des valeurs sûres du marché.

(1) Lucienne Peiry, L'Art brut, Flammarion, Paris, 2016, 400 pages, 30 euros.

Une étoile solitaire

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:12

Les auteurs d'Allemagne de l'Est qui ont publié sous cette « dictature commode », pour reprendre l'expression de Günter Grass, obligent à se poser la question du rapport à la censure. Comment pouvait-on critiquer le régime et être publié par ce même régime ? Avec Reinhard Jirgl, les choses sont simples : né en 1953 à Berlin-Est, il a toujours été interdit d'édition. Ce n'est qu'en 1990 qu'il a pu publier son premier livre, Mutter Vater Roman (pas encore traduit en français). Peu d'écrivains peuvent se targuer d'un tel brevet de radicalité et de fidélité à soi-même. Car, radical, Jirgl l'est sans conteste, dans son absence de compromission et dans son engagement littéraire — un ovni dans le cosmos des lettres.

Après Les Inachevés (2003) et Renégat, roman du temps nerveux (2005), voilà que paraît, sous le titre Le Silence, la traduction de Die Stille (2009), histoire entrecroisée de deux familles, l'une originaire de basse Lusace et l'autre de Prusse-Orientale. Le roman s'articule autour de cent photographies d'un vieil album que l'un des protagonistes, Georg Adam, né en 1935, doit apporter à son fils qui va partir aux États-Unis. Chaque chapitre correspond à l'une d'elles, qui n'est pas montrée mais succinctement décrite. Sauf que les personnages qui y figurent n'apparaissent que très rarement dans les chapitres ainsi introduits. L'absence de chronologie des images accentue encore ce décalage. C'est dire que, si Jirgl avait voulu brouiller les pistes, il ne s'y serait pas pris autrement, et le grand arbre généalogique reproduit en début d'ouvrage a des allures de savoureuse provocation, car il ne clarifie rien. D'autant plus que le fils à qui est destiné cet album est toujours cité entre guillemets, car il est né d'un inceste entre Georg Adam et sa sœur Felicitas. À cela s'ajoute une langue qui fait penser à celle d'Arno Schmidt (1914-1979), où se bousculent les signes de ponctuation, les majuscules et les minuscules, les néologismes et les calembours, les contractions et les ruptures. « Comme si les cieux explosaient, déchaînés&débridés des millions de mètres cubes d'eau é des fleuves de feu en ébullition se fracassèrent & s'emboutirent — des sifflements piaillements mugissements déversés du ciel — s'abattirent d'Unseulcoup avec une force brutale sur terres mers villes. » Si ce style excelle à rendre les états de crise et de catastrophe, il n'ajoute parfois rien : « Et les-hommes : ?Étaient-ils capables de ?!supporter Cesavoir. » L'auteur recourt à un procédé qu'il doit respecter quel que soit le sujet abordé sous peine de détruire le monde qu'il est en train de construire.

Jirgl, en dépit de ses faiblesses et de ses outrances, nous met en face d'un univers auquel il est difficile de se soustraire si l'on prend le temps de s'y plonger : sidérant, séduisant, addictif, même, où vibre comme un regret des formules mathématiques. Il y a fort à parier qu'il ne fera pas école, ne serait-ce que parce que son écriture autarcique, singulière et sophistiquée est allergique à la transmission, à la citation. Mais on ne peut s'empêcher d'admirer de telles prouesses, sans oublier celle de la traductrice, qui renvoie allègrement aux oubliettes toutes les théories de la traductologie pour suivre les coruscants jaillissements de l'empathie.

Le Silence, de Reinhard Jirg, traduit de l'allemand par Martine Rémon, Quidam éditeur, Meudon, 2016, 620 pages, 25 euros.

Nostalgie du zinc parisien

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:11

Relire les sept cents chroniques écrites de 1961 à 1974 par Jacques Yonnet pour L'Auvergnat de Paris et en éditer une soixantaine, classées par quartiers : voilà une excellente initiative (1). L'auteur de Rue des Maléfices (2) y explore un monde quasi disparu, celui des bougnats, des bistrots où on se mêlait sans distinction de classe — « le Parlement du peuple », selon Balzac. Un univers sans lounge bars

L'ancien résistant, toujours aussi franc-tireur et farceur, convaincu que tout se passe au zinc, traverse la ville selon son humeur, mû par le goût de l'insolite, et conte l'histoire des cafés et des quartiers, qu'il se plaît à restituer, parfois à enjoliver, sinon à inventer. Également sculpteur et dessinateur, cet érudit intarissable, au fil de ses déambulations dans la nuit ou au petit matin, livre maints portraits de tenanciers, d'habitués, célèbres ou non, qui y sont passés ; il revient sur le rôle des tavernes et des cabarets dans la formation de Paris, sur leur poésie ésotérique et leur très riche langue, sans oublier d'accompagner chaque texte d'un dessin d'orfèvre… Ami de Robert Doisneau, Jacques Prévert ou André Hardellet, il aimait profondément ces lieux et ceux qui les fréquentaient, au point de leur sacrifier sa carrière littéraire. À l'aube de la transformation de Paris, alors que les Halles déménageaient et que les spéculateurs immobiliers allaient pouvoir agir quasiment en toute liberté, il n'hésitait pas à faire de sa chronique une tribune, appelant à la vigilance : ces mutations sauvages chassaient « les gens modestes, éjectés comme des malpropres », et représentaient aussi un danger pour le patrimoine de la capitale, et en premier lieu pour les troquets. Il y avait alors environ 200 000 débits de boissons en France, pour à peine 35 000 aujourd'hui.

Deux romans écrits par des membres de la « bande à Yonnet » retrouvent également le chemin des librairies. Faux polar et vraie chronique mélancolique, La Petite Gamberge (3), de Robert Giraud, dresse le portrait d'une fine équipe de monte-en-l'air de la montagne Sainte-Geneviève. Leur bureau, c'est le café du grand René, où, selon un rituel bien huilé, les copains viennent peaufiner leurs affaires — mais la dernière va tourner à la tragédie. Giraud décrit ces malfrats de « la Mouffe » (la rue Mouffetard) avant tout comme de doux rêveurs perdus, avec le comptoir pour seul précepteur et le désir de quitter un jour leur misérable condition — le cynisme d'une certaine modernité finira par les broyer. Après d'acides premiers romans, René Fallet acquiert la notoriété lorsque le cinéma s'empare de quelques-unes de ses œuvres. Moins connu que Paris au mois d'août ou Le Braconnier de Dieu, Au beau rivage (4) (1970) tire son nom du décor principal du récit, un café de la banlieue sud de Paris — celle de l'auteur — dont le petit bal du samedi soir, avec orchestre, est promis à la ringardise par l'essor de la télévision, de la pop et des discothèques. Le patron, 60 ans dont quarante d'accordéon, n'y croit plus et sombre dans une déprime que seule la découverte des pouvoirs du rêve pourra soigner.

La nostalgie atteint son comble avec le beau Paris-Métro-Photo (5), qui, loin de tout folklore, restitue un siècle de ce monde enfoui à travers les images des grands photographes ayant immortalisé le métropolitain et ses usagers, de ses origines à aujourd'hui. On y retrouve Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis… mais aussi des étrangers qui se sont immergés dans les souterrains ferrés de la capitale. Une somme de voyages vertigineuse.

(1) Jacques Yonnet, Troquets de Paris, L'Échappée, Paris, 2016, 368 pages, 22 euros.

(2) Ou Enchantements sur Paris, titre de sa première édition (Denoël, 1954). Rue des Maléfices est disponible aux éditions Phébus.

(3) Robert Giraud, La Petite Gamberge, Le Dilettante, Paris, 2016, 176 pages, 17 euros.

(4) René Fallet, Au beau rivage, Denoël, coll. « Empreinte », Paris, 2016, 208 pages, 13 euros.

(5) Julien Faure-Conorton (sous la dir. de), Paris-Métro-Photo. De 1900 à nos jours, préface d'Anne-Marie Garat, Actes Sud, Arles, 2016, 408 pages, 324 photographies, 49 euros.

Vies minuscules, grande humanité

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:11

« Ce jour-là n'était-il pas un jour comme les autres ? », s'interrogeait Yasuo, le directeur syndical des pêcheurs du village. 11 mars 2011 : dans quelques instants, un tremblement de terre de magnitude 9 provoquera un tsunami sur la côte Pacifique japonaise, puis la catastrophe nucléaire de Fukushima. Cependant, « jusqu'à ce qu'il se rende compte que la vague qui venait sur le rivage avec un grondement se retirait à une vitesse inhabituelle mais sans un bruit, Yasuo mena ses activités quotidiennes ». Yasuo le pêcheur, l'époux, l'homme le plus ordinaire du monde, sera nos yeux. Car, pour Kasumiko Murakami, il s'agit de ramener le drame à hauteur d'homme, puis d'éclairer, une fois l'océan retiré, ce qui reste de vie, d'humanité dans les décombres. Sans emphase, loin de tout sensationnel, elle examine la réaction d'individus plongés au cœur des ténèbres.

Courage et peur, d'abord, indissociables : « Lorsqu'il y avait un risque de tsunami, on sortait aussitôt le bateau et on gagnait le large. (…) Quand le tsunami était sur le point d'arriver il fallait avoir du courage pour se précipiter sans hésitation dans sa direction. » Car c'était alors comme « se jeter dans les bras d'un assassin pour l'affronter à mains nues ». Une fois au large, spectateurs impuissants, les pêcheurs ne peuvent qu'assister, sidérés, au déferlement de la vague gigantesque, à l'incendie du chantier naval.

Des phases d'hébétude, de lucidité, d'espoir et de découragement se succèdent alors. Lorsqu'ils reviennent, tout n'est que ruines. À l'instar du village, de son foyer, de son travail, la mère de Yasuo, placée dans une maison de retraite proche de l'océan, a disparu. De hautes vagues de culpabilité le submergent : « Il avait vraiment été élevé comme un enfant gâté. Pourtant, lui, qu'avait-il fait pour elle ? »

Fantôme parmi les fantômes, Yasuo erre désormais dans le gymnase aménagé en centre d'hébergement d'urgence. Rencontres et récits s'entrecroisent. Progressivement, le tsunami se fait ravir le premier rôle. Au bout du compte, il n'agit que comme un révélateur, permettant l'apparition d'une série de portraits intimes. Dans ce roman, comme dans la séquence du grand séisme de Kanto en 1923 dans le film d'animation de Hayao Miyazaki Le vent se lève (2013), la grande histoire cède le devant de la scène à des « vies minuscules ». Le destin de Yasuo rappelle celui de la fourmi transportant « la dépouille d'une argiope [un genre d'araignée] bien plus lourde qu'elle ».

« En tant que témoin de la confusion et de la lassitude qui suivirent la catastrophe, il fallait que je mette des mots sur tout cela », explique Kasumiko Murakami. De retour à Tokyo après vingt ans passés en France en tant que journaliste et traductrice, elle est partie aider les réfugiés, comme elle l'explique dans la postface : « J'allais distribuer des provisions à Minami-Sanriku et je n'ai pu oublier chacun des visages des sinistrés. » Ce sont ces visages qui surgissent ici. L'Ama Project, vente de bracelets tricotés par les sinistrés, verra le jour sous son impulsion. Et puis après ? Après, il y a ce livre. Cette respiration. Ce vif élan du cœur. Car « plus un homme était blessé cruellement et plus il désirait aimer quelqu'un fougueusement, avait dit celui qui se comparait à la vigne ».

Et puis après, de Kasumiko Murakami, traduit du japonais par Isabelle Sakaï, Actes Sud, Arles, 2016, 112 pages, 13,80 euros.

Sean Spicer on the South China Sea

Foreign Policy Blogs - Mon, 06/02/2017 - 18:05

White House Press Secretary Sean Spicer speaks during the daily briefing. (AP Photo/Susan Walsh, File)

Recent comments at a press briefing from White House spokesman Sean Spicer on the South China Sea seem to have riled the Chinese and confused others who follow developments in the region.

When asked to remark on Rex Tillerson, Trump’s nominee for secretary of state, and Tillerson’s earlier threats to deny China access to man-made, militarized and disputed islands it occupies in the Spratly island chain, Spicer assured, “The U.S. is going to make sure that we protect our interests there.” He added, “It’s a question of if those islands are in fact in international waters and not part of China proper, then yeah, we’re going to make sure that we defend international territories from being taken over by one country.”

Beijing quickly responded to Spicer’s comments, with Chinese Foreign Ministry spokeswoman Hua Chunying telling a regular press briefing the following day, “the United States is not a party to the South China Sea dispute” and reiterating China had “irrefutable” sovereignty over disputed islands. She added, “We urge the United States to respect the facts” and defended Beijing’s actions in the South China Sea as “reasonable and fair”.

Bonnie Glaser, an expert on the South China Sea at the Center for Strategic and International Studies, called Spicer’s remarks “worrisome,” adding the Trump administration was “sending confusing and conflicting messages.”

Other littoral countries of the South China Sea, including Brunei, Indonesia, Malaysia, the Philippines, Taiwan and Vietnam have often argued China’s actions are anything but reasonable and fair, and Chinese Foreign Ministry spokeswoman Hua Chunying’s pleas for the U.S. to “respect the facts,” is confusing in this era of “alternate facts”, a term put forth by Kellyanne Conway, as Counselor to the President. And Spicer, in defending his claims of the size of Trump’s inauguration during Monday’s press briefing, said “I think sometimes we can disagree with the facts.”

But a fact is actual occurrence, not an opinion on a fact, and actions under the new administration will speak louder than heated rhetoric. The fact remains on both sides that China has occupied and militarized these disputed islands, and blocking China’s access to those islands could spark a serious confrontation.

In his vague comments, Spicer may have realized he was sailing into dangerous waters. When pressed over how the United States could enforce such a move against China, he responded: “I think, as we develop further, we’ll have more information on it.” Hopefully, we can take some comfort in this last sentence, and that more information will lead to true facts prevailing over alternative facts, when a new and untested Trump administration determines what actions, if any, to take over the disputed South China Sea.

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Delegitimizing America?

Foreign Policy Blogs - Mon, 06/02/2017 - 17:34

Thousands gathered at JFK airport in New York City in protest of people detained under Trump’s executive order. (Stephanie Keith/Getty)

Despite the frenzy over the recent controversial immigration policies, delegitimizing America and its institutions—the presidency, the media, and the political process—has been going on for decades, and is worsening.

In recent days, both the left and right have accused their opponents’ supporters in the media as being increasingly illegitimate.

Conservative radio talk shows attacked television and newspapers in the “mainstream media” as being deceitful and partisan. The left responded with identical counterclaims against conservative radio. A cable vs cable debate followed, where Fox News took on the role of defender of conservative values against CNN and MSNBC. The left responded that their critics were the irrational ones. As blogs and other forms of social media developed, people increasingly drew their news from sources that reflected their own political opinions, and their Twitter and Facebook feeds became siloed echo chambers.

During the 2016 presidential campaign, “fake news” became the allegation du jour. Some fake news was clickbait allegedly generated from the Balkans merely for profit-making. But other partisan sites, and sometimes mainstream sites, were assailed as fake news also. Candidate Trump was frequently seen to be careless, hyperbolic, or deliberately deceitful, with a professed disdain for the media. In the first days of the new Trump administration, White House spokesperson Sean Spicer and key counselor Kellyanne Conway seemed to elevate the use of “alternative facts” in their official roles.

Attacks on the legitimacy of other American institutions continue as well. Debating the legitimacy of education goes back at least to 1955’s Why Johnny Can’t Read, through de-segregation and bussing, Lean On Me‘s urban decay, charter schools, blind hostility to or embrace of teachers unions, and universities as lounges for left-wing radicals and their young acolytes.

Despite the “thank you for your service” gestures today, the military has been criticized (sometimes rightly) for its military-industrial complex and overpriced contracting, abuses in Vietnam and Abu Ghraib, as well as the drones strategy. The intelligence community has been delegitimized for missing 9/11 but seeing Iraqi WMD, massive domestic surveillance programs, and recent criticisms by candidate Trump. American industries—agriculture, pharmaceutical, finance, energy, to name a few—have also come under a long train of attacks.

This weekend’s immigration fiasco, based on the President’s executive order, “Protecting the Nation from Foreign Terrorist Entry into the United States,” was the next stage of delegitimizing the American political process itself.

Previous presidents have made significant achievements with an opposition Congress. President Reagan signed laws on tax cuts and immigration reform (including amnesty for three million) with a Democratic House. President George H.W. Bush signed the Americans with 1990 Disabilities Act with a Democratic House and Senate. President Clinton managed tax cuts, immigration reform, and the creation of the Children’s Health Insurance Program (CHIP) as part of the Balanced Budget Act, all with a Republican House and Senate. President George W. Bush signed a major education reform bill with a Democratic Senate.

For a variety of reasons—depending on one’s perspectives, an absolutely obstinate Republican Congress or a lack of skill or will to build bipartisan consensus—some of President Obama’s largest achievements came without Republican support. Not a single Republican Senator voted in favor of the Affordable Care Act, for example.

Obama came to rely on the executive prerogative to implement major policies. Obama created the Deferred Action for Childhood Arrivals (DACA) when he could not get the DREAM Act and comprehensive immigration reform through Congress. He signed the Paris climate accord and the Iran nuclear deal without submitting them to the Senate for treaty ratification.

In rapid succession, Trump has followed Obama’s example, even though his Republican party is in the majority in the House and Senate. On the Affordable Care Act, international trade, federal hiring, and other issues, he has not waited for the deliberative process of working with the Congress, executive branch departments, or outside experts.

The weekend’s so-called “Muslim ban,” the executive order on “Protecting the Nation from Foreign Terrorist Entry into the United States,” was controversial, misunderstood (and occasionally mischaracterized) in the mainstream and partisan media. But the policy was made worse by the seeming haste and carelessness with which it was promulgated: without the deliberation of the Congress, without careful input from terrorism or immigration experts, without consultation with allies, and without detailed instructions for the front-line personnel who were supposed to implement it in airports in the United States and abroad.

Opposition to the policy “went viral.” Protests and immigrant assistance efforts were broadcast globally by activists using social media, including the relatively new Facebook Live. Kathleen M. Vannucci, a prominent immigration attorney from Chicago, broadcast via Facebook Live to draw attention, activists, and media to O’Hare International Airport. Behind the scenes, people like Erin Kilroy Simpson, inspired by an expat friend, used social media to spread the call for Arabic, Kurdish, and Farsi translators to hustle to local airports to assist detained passengers.

This immigration restriction seemed to bring together the delegitimizing of American institutions—the presidency, the political process, and the media response. It built on decades of U.S. failure in the Middle East, withdrawal of global leadership, allegations of Russian influence in the election campaign, and a loss of faith in what news to believe. For America and President Trump to regain balance, progress, and legitimacy, they will have to undo not just what has happened since January 20th, but what the two parties have done to society and each other for more than 20 years. People like Vannucci and Simpson may provide some hope for the rest of us.

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Backing Into World War III

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 16:57
America must check the assertive, rising powers of Russia and China before it's too late. Accepting spheres of influence is a recipe for disaster.

The Women Who Could Save Mosul

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 16:26
A group of female parliamentarians have developed a plan to mend the post-ISIS fabric of Iraq's second-largest city.

Operation Provide Comfort: A forgotten mission with possible lessons for Syria

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 16:19
In retrospect, OPC was one of the great American military operations of the 20th century, though it rarely garners the degree of attention and recognition that it rightly deserves.

Le protocole du renoncement

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 16:18

Ministres et parlementaires ne sont jamais avares de ferventes proclamations en faveur de la langue française. En revanche, dès que se présentent des enjeux économiques et financiers, les grands principes passent sous la table. On en a vu une illustration édifiante lors du vote sur le protocole de Londres adopté le 26 septembre 2007 par l'Assemblée nationale, et le 10 octobre suivant par le Sénat. Il s'agissait de ratifier le nouveau régime linguistique des dépôts de brevets d'invention, tel qu'il figurait dans un accord signé à Londres en octobre 2000 et qui modifiait le traité international de 1973 fondant l'Office européen des brevets (OEB) dont sont membres trente-deux pays.

Jusqu'alors, un dépôt de brevet devait être formulé dans une des trois langues officielles de l'OEB : l'allemand, l'anglais et le français. Ensuite (quatre ou cinq ans après), le déposant devait procéder, à ses frais, à la traduction de son brevet dans chacune des langues nationales des pays dans lesquels il entendait protéger son invention. Désormais, il sera dispensé de cette dernière obligation : un brevet déposé en allemand (27 % du total), en anglais (66 %) ou en français (7 %) sera opposable à toute entreprise d'un Etat signataire du protocole. En d'autres termes, les entreprises françaises n'auront accès, dans leur langue, qu'à 7 % de l'ensemble des brevets. Elles devront assumer le coût de la traduction des 93 % restants si elles veulent se maintenir à jour de l'« état de l'art » international dans leur domaine.

On ne sera pas surpris que dix-sept Etats européens (notamment l'Espagne, la Finlande et l'Italie) aient refusé de signer le protocole. Quant aux Etats-Unis, ils ne reconnaissent évidemment que les brevets déposés en anglais...

Les bénéficiaires de ce renoncement sont d'abord les multinationales américaines, chinoises, indiennes, japonaises qui déposent leurs brevets en anglais, et qui seront dispensées de frais de traduction. Ce qui incitera les ingénieurs et chercheurs français à en faire autant, précipitant ainsi le déclin de leur langue dans les domaines scientifiques et techniques. On comprend qu'un gouvernement comptant M. Bernard Kouchner parmi ses membres ait fait voter la ratification du protocole de Londres : l'homme au sac de riz n'écrivait-il pas récemment que « la langue française n'est pas indispensable (...). Si elle devait céder la place, ce serait précisément à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux qui la délaisseraient (1) » ?

(1) Deux ou trois choses que je sais de nous, Robert Laffont, Paris, 2006.

Immigration Ban Blocked for Now, Romanian Protesters Aren’t Done Yet: The Weekend Behind, the Week Ahead

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 15:43
It's Monday again. Time to catch up on the top stories from the weekend.

This guy needs to make up his mind

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 15:40
From an exercise in Eastern Europe.

Mais que fait la police ?

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 15:12
Mathieu Colloghan. – « Policier conquérant un territoire perdu de la République », 2016 http://colloblog.blogspot.fr

Le soir est tombé sur l'avenue des Champs-Élysées, à Paris. Bravant l'état d'urgence, plusieurs centaines d'individus bloquent la circulation. Certains sont encagoulés ; armés, peut-être, à en juger par les bosses sous leurs blousons. Ils marchent vers le « périmètre interdit », celui de la résidence du président de la République et du ministère de l'intérieur, place Beauvau, cœur de l'État où, d'ordinaire, nul ne doit manifester. D'un instant à l'autre, la police déchaînera sur eux grenades lacrymogènes, matraques et tirs de Flash Ball. Pas cette fois. Cette fois, ils sont la police.

Depuis le 17 octobre 2016, manifestations et rassemblements se succèdent : des policiers « exaspérés », se qualifiant d'« éboueurs de la société », font part de leur « ras-le-bol » et de leur « colère » après l'attaque au cocktail Molotov de quatre de leurs collègues, le 8 octobre à Viry-Châtillon, dans l'Essonne. Deux ont été gravement blessés.

Partie de la base, cette mobilisation qui se veut apolitique et asyndicale a créé sa propre association, le Mouvement des policiers en colère, signe d'une volonté de s'inscrire dans la durée. Les premiers mots d'ordre dénotent des revendications matérielles : « locaux vétustes », « véhicules et protections pas adaptés », « millions d'heures supplémentaires accumulées ». Mais, à l'instigation des syndicats, qui sautent dans le train en marche, ils prennent une tournure plus politique : « révision des cadres juridiques d'emploi des armes » pour permettre l'application de la légitime défense en cas de fuite du suspect ou de forçage d'un barrage, « alignement du régime juridique de l'outrage sur celui de l'outrage à magistrat » — soit un doublement de la sanction —, « mise en place de peines planchers pour les agressions des forces de l'ordre et de secours » — alors que cette mesure a été abrogée le 1er octobre 2014 car elle contrevient à l'individualisation des peines, un principe à valeur constitutionnelle.

Recevant les syndicats, où sont encartés 49 % des effectifs, contre 11 % pour l'ensemble des professions de la fonction publique, le ministère de l'intérieur a dit « entendre et comprendre » le mouvement (26 octobre). Un projet de loi qui calque le régime des policiers sur celui des gendarmes en matière d'usage des armes a été examiné en conseil des ministres le 21 décembre. Les pouvoirs publics ont également débloqué 250 millions d'euros destinés à répondre aux demandes formulées dans la rue : amélioration des conditions de travail, équipement, mesures d'anonymisation des enquêteurs, simplification des procédures administrative et pénale. Enfin, les policiers seront mieux informés des suites pénales données aux affaires traitées ; un droit de suite que l'on peut interpréter comme une tentative d'intimidation de l'institution judiciaire.

Avec le soutien du Front national, qui recueillerait plus de 50 % des suffrages parmi les policiers et militaires (1), les gardiens de la paix cherchent désormais à élargir leur mouvement aux autres corps relevant de la sécurité — gendarmes, pompiers, personnels soignants — et demandent aux « civils » de s'y associer. Faut-il y voir un risque de sédition ?

À cette contestation de rue inédite au XXIe siècle, on connaît deux précédents historiques, à la connotation politique plus marquée, le 13 mars 1958 et le 3 juin 1983. Le premier a fait l'objet d'un récit détaillé par le politiste Emmanuel Blanchard (2). Au crépuscule de la IVe République, le gouvernement du radical-socialiste Félix Gaillard tarde à financer les primes exceptionnelles réclamées par la police au nom des répercussions en France métropolitaine de la guerre d'indépendance en Algérie. Cinq à six mille policiers se retrouvent dans la cour d'honneur de la préfecture de police pour un rassemblement autorisé et silencieux à l'instigation du Syndicat général de la police (SGP), majoritaire dans la profession et marqué à gauche. Sous la pression des ultras, le rassemblement se mue en manifestation sur le boulevard du Palais. S'accompagnant de leur sifflet, les gardiens de la paix scandent : « Nos primes ! Nos primes ! », mais une minorité d'ultras déborde bientôt les responsables du SGP en criant « À la Chambre ! À la Chambre ! ». Entre mille cinq cents et deux mille policiers se retrouvent devant l'Assemblée nationale. Alors que fusent des « Vendus ! », « Salauds ! », « Les députés au poteau ! », les gendarmes mobiles chargés de protéger l'enceinte refusent de disperser la manifestation, pourtant non autorisée. Jeune député poujadiste, M. Jean-Marie Le Pen aurait incité les contestataires à entrer. Une délégation sera finalement reçue, qui présentera des revendications, et la manifestation s'achèvera sans autres incidents en début de soirée. Le préfet André Lahillonne démissionne et est remplacé par un certain Maurice Papon… Deux mois plus tard, la IVe République expire, et le général Charles de Gaulle revient au pouvoir.

Vingt-cinq ans plus tard, sous la présidence de François Mitterrand, c'est le ministre de la justice, M. Robert Badinter, que prennent pour cible des policiers venus scander sous ses fenêtres, le 3 juin 1983, « Badinter assassin ! », « Badinter gangster ! », « Badinter démission ! ». Le cortège sauvage a quitté peu avant la cour de la préfecture où se déroulaient les obsèques de deux fonctionnaires tués au cours d'une fusillade avenue Trudaine, le jour même de l'abrogation définitive de la loi Sécurité et liberté. Quand le cortège parvient place Vendôme, les gardiens de la paix du cordon de sécurité mettent képi bas. Le garde des sceaux est vilipendé pour son « laxisme » — « On arrête, les juges relâchent » — et pour l'abolition de la peine de mort, votée en septembre 1981. Plus tard dans la journée, une nouvelle manifestation emmenée par un syndicat policier d'extrême droite parvient jusqu'aux abords du ministère de l'intérieur et de l'Élysée. Le préfet de police, Jean Périer, démissionne, et le directeur général de la police nationale, Paul Cousseran, qui s'y refuse, est relevé de ses fonctions. Le terme de « sédition » circule.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Si certains policiers entreprennent des « manifs sauvages » ressemblant fort à celles qu'ils réprimaient au printemps 2016 lors du mouvement contre la loi travail, c'est peut-être que l'institution paie deux fois le prix du basculement de l'État social à l'État pénal. Elle enregistre ses effets dans la société, sous la forme d'un accroissement des tensions, mais aussi en son propre sein, par la modification de ses missions. La police de proximité favorisait le contact, privilégiait la prévention et le renseignement. Supprimée par M. Nicolas Sarkozy à partir de 2003, elle a cédé la place à une police principalement répressive. « La défiance des policiers envers la population est supérieure à celle ressentie par cette dernière, explique le chercheur Sébastien Roché. Il n'y a pas d'exigence des policiers de se rapprocher des citoyens (3).  » On est dans une logique d'affrontement : le policier se perçoit comme assiégé dans une citadelle. Tout citoyen est vu comme un délinquant potentiel ; en poussant la logique à l'extrême, il convient de le neutraliser avant qu'il ne passe à l'acte.

Certes, au départ, les gardiens de la paix dénoncent la politique du chiffre ; ils pointent du doigt la séparation de plus en plus forte entre un corps de commissaires en situation de « retrait » dans ses bureaux et des agents de terrain dont les plus inexpérimentés sont souvent envoyés dans les zones les plus sensibles. Si, dans ces quartiers, la police fait l'objet d'un rejet très important, c'est qu'elle y est perçue comme injuste : elle applique aux populations des traitements différents en fonction de leurs origines ethniques et sociales, pratique des contrôles d'identité à répétition visant essentiellement des jeunes hommes issus de l'immigration, etc. Certains meurent entre ses mains. Ici aussi, le pouvoir politique a capitulé en renonçant à la mise en place d'un récépissé de contrôle d'identité, qui figurait pourtant dans le programme électoral du candidat François Hollande.

Les policiers veulent avoir les coudées franches dans le combat qu'ils estiment devoir mener au nom de la défense de la société. Mais de quelle société ? Certes, « la garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique » (article 12 de la déclaration de 1789). Mais, plutôt que de se focaliser sur les illégalismes de voie publique, il conviendrait de s'attaquer aux formes de délinquance plus graves. Celles qui, selon le magistrat et universitaire Vincent Sizaire, « portent directement atteinte à la forme démocratique de la société : la criminalité organisée et la délinquance financière, qui ne sont que les deux faces d'une même pièce ». C'est en effet « sur la superstructure de la grande criminalité économique et financière et sa formidable machine à blanchir que se greffent ces formes de délinquance plus visibles que sont les différents trafics associés à l'économie dite “souterraine” dans ces quartiers populaires, mais également les violences qui en résultent (4) ». Un motif de mobilisation qui rapprocherait à coup sûr policiers et populations.

(1) Luc Rouban, « Les fonctionnaires et le Front national » (PDF), « L'enquête électorale française : comprendre 2017 », Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), Paris, décembre 2015.

(2) Emmanuel Blanchard, « Quand les forces de l'ordre défient le palais Bourbon (13 mars 1958) », Genèses, no 83, Paris, 2011.

(3) Cité par L'Obs, Paris, 27 octobre 2016.

(4) Vincent Sizaire, Sortir de l'imposture sécuritaire, La Dispute, Paris, 2016.

Lire aussi le courrier des lecteurs dans notre édition de février 2017.

Les fils de princes : une génération au pouvoir en Chine

Politique étrangère (IFRI) - Mon, 06/02/2017 - 15:01

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Émilie Frenkiel propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Luc Domenach, Les fils de princes: une génération au pouvoir en Chine (Paris, Fayard, 2016, 272 pages).

Après Mao, sa cour, ses complots. Derrière les Murs rouges, (Fayard, 2012), Jean-Luc Domenach reprend son travail minutieux d’exploitation des mémoires et biographies de dirigeants communistes et de leur entourage pour donner cette fois « une place centrale aux enfants de la caste ».

Les premiers chapitres divisent ces fils de prince en trois générations. « Les enfants de la révolution », nés dans les années 1920-1930 et considérablement marqués par les circonstances difficiles de leur enfance avant la victoire des communistes, sont globalement peu parvenus à grimper les échelons du pouvoir. « Les enfants de la caste », nés dans les années 1940 et élevés dans des conditions nettement plus privilégiées, ont joué un rôle dans « l’acclimatation à une forme de capitalisme ». La troisième génération, pourtant profondément marquée par la Révolution culturelle, est celle qui est parvenue à s’imposer au sommet du pouvoir.

Les chapitres suivants sont consacrés aux épreuves formidables qu’ils ont dû traverser : le Grand Bond en avant, le retour forcé d’URSS, les envois à la campagne et la découverte de la misère rurale, et surtout la Révolution culturelle. Le chapitre 6 présente les privilèges, les parachutages et la réinstallation de la caste au sortir de la Révolution culturelle. Les dénonciations des injustices et violences se multiplient alors sans que les fils de prince y prennent part cette fois, hormis Wei Jingsheng et la journaliste et militante démocratique Dai Qing, connue pour sa demande d’une « cinquième modernisation » : la démocratie.

L’ouvrage décrit bien l’accumulation d’atouts dont bénéficient les fils de prince, au point de devenir parmi les plus compétents pour gouverner un pays aussi complexe que la Chine : outre une connaissance hors pair des arcanes du pouvoir de par leurs relations familiales, ils ont beaucoup appris en tant que secrétaires (d’un haut dirigeant militaire, dans le cas de Xi Jinping), ou de parachutages plus ou moins réussis à des fonctions politiques, ou d’un accès privilégié aux études en Chine mais également à l’étranger, où ils sont les premiers à partir (et à apprendre les méthodes capitalistes et le commerce international), sans compter leurs précieux réseaux, parfois dédoublés par un beau mariage.

Sur le plan économique, ils sont merveilleusement bien placés pour s’imposer. Les familles se partagent entre activités publiques et privées, ce qui facilite la corruption à laquelle assiste au Fujian le futur président chinois et qui lui inspire sa campagne de rectification. « Cette mécanique transgressive va transformer partiellement la caste issue de l’histoire maoïste en une couche sociale composée de candidats potentiels à la richesse et au pouvoir politique car capables de manœuvrer la combinaison centrale entre un pouvoir qui se dit communiste et des entreprises qui se disent capitalistes. » De plus, une fois écartées, avec la répression de 1989, tentation et possibilité d’un virage démocratique, Pékin gagne la confiance nécessaire pour développer son propre capitalisme « à la fois acceptable pour le pouvoir et crédible pour le peuple ». Forts de leur unité dans leur diversité, qui leur confère souplesse et capacité d’adaptation, les fils de prince profitent de la modernisation et de la mondialisation pour s’enrichir tout en sauvant le régime.

Cet ouvrage, outre son intérêt historique et documentaire, offre ainsi toutes les clés pour comprendre l’ascension implacable des fils de prince, dotés d’une « double aptitude à s’adapter au monde d’aujourd’hui tout en restant fidèles à leur pays et à leur parti ».

Émilie Frenkiel

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Manifeste Dada

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 14:19

Tristan Tzara (1896-1963), né en Roumanie, quitte son pays en 1915 pour Zurich, où, aux côtés de Hugo Ball, il fonde le Cabaret Voltaire, haut lieu de l'avant-garde. Le mot « dada » sera choisi parce qu'il ne signifie rien.

Je proclame l'opposition de toutes les facultés cosmiques à cette blennorragie d'un soleil putride sorti des usines de la pensée philosophique, la lutte acharnée, avec tous les moyens du dégoût dadaïste

Tout produit du dégoût susceptible de devenir une négation de la famille, est dada ; proteste aux poings de tout son être en action destructive : DADA ; connaissance de tous les moyens rejetés jusqu'à présent par le sexe pudique du compromis commode et de la politesse : DADA ; abolition de la logique, danse des impuissants de la création : dada ; de toute hiérarchie et équation sociale installée pour les valeurs par nos valets : DADA ; chaque objet, tous les objets, les sentiments et les obscurités, les apparitions et le choc précis des lignes parallèles, sont des moyens pour le combat : DADA ; abolition de la mémoire : DADA, abolition de l'archéologie : DADA ; abolition des prophètes : DADA ; abolition du futur : DADA ; croyance absolue indiscutable dans chaque dieu produit immédiat de la spontanéité : DADA ; saut élégant et sans préjudice, d'une harmonie à l'autre sphère ; trajectoire d'une parole jetée comme un disque sonore crie ; respecter toutes les individualités dans leur folie du moment : sérieuse, craintive, timide, ardente, vigoureuse, décidée, enthousiaste ; peler son église de tout accessoire inutile et lourd ; cracher comme une cascade lumineuse la pensée désobligeante, ou amoureuse, ou la choyer — avec la vive satisfaction que c'est tout à fait égal — avec la même intensité dans le buisson, pur d'insectes pour le sang bien né, et doré de corps d'archanges, de son âme. Liberté : DADA DADA DADA, hurlement des couleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences :

LA VIE.

« Manifeste Dada 1918 », revue Dada3, Zurich, décembre 1918.

Ascending and Descending Powers

German Foreign Policy (DE/FR/EN) - Mon, 06/02/2017 - 00:00
(Own report) - While Sigmar Gabriel was making his first official visit as Germany's Foreign Minister to Washington last week, the dispute over Washington's likely ambassador to the European Union was escalating. The candidate for that post in Brussels, Ted Malloch, does not rule out the collapse of the euro in the 18 months to come. He also conceives of a possible dismantling - or even collapse - of the European Union and has announced that Washington will negotiate more with individual countries, than with Brussels. This could lead to a further accentuation of the existing rifts in the EU. Thus, Berlin is trying hard to prevent Malloch's nomination. The leaders of several European Parliamentary groups are demanding that his accreditation be blocked - until recently, an unimaginable affront. At the same time, Berlin seeks to position itself as the corrective counterpart to Trump's Washington in the escalating transatlantic power struggle. Last week in Washington, Foreign Minister Gabriel staged an unprecedented appearance as headmaster on the subject of democracy and human rights. Some members of the German establishment are expecting the EU's ascent parallel to the United States' descent on the world stage.

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