Un jeune homme de 27 ans est mort après son interpellation pour la police dans la nuit du 6 au 7 juin. La société civile demande des comptes pour ce « George Floyd du Kosovo », rappelant que 1300 plaintes ont été déposées contre la police en 2024.
- Le fil de l'Info / Kosovo, Défense, police et justice, Courrier des BalkansAvec Wondrous Is the Silence of My Master (Otapanje vladara, 2025), Ivan Salatić fait le pari de démystifier le prince-évêque et poète monténégrin Petar II Petrović-Njegoš (1813-1851), une figure littéraire, politique et religieuse dont l'impact ne se mesure plus sur le territoire post-yougoslave... Entretien.
- Articles / Monténégro, Culture et éducation, Histoire, Courrier des Balkans« Ma routine olfactive a été bouleversée. Je ne reconnaissais plus mon quartier, d'un coup ça s'est mis à puer le fascisme. Je voulais voir de mes yeux 'le plus grand concert payant de l'histoire de l'humanité' »... Notre correspondant a survécu au concert du rockeur fasciste Marko Perković Thompson, samedi soir à Zagreb.
- Articles / Croatie droitisation, Culture et éducation, Croatie, PolitiqueLe deuxième tome du Sang des cerises est paru en novembre 2022, clotûrant le dernier épisode de la saga des Passagers du vents. J'en ressors avec un sentiment mitigé.
Nous parlons quand même de François Bourgeon, l'auteur des Passagers du vent. Pour les jeunes lecteurs, l'irruption de cette série dans les années 1980 (aux éditions Glénat, nouvel acteur de l'édition de BD à l'époque) avait donné sinon un coup de fouet, du moins un coup d'accélérateur à la BD de qualité, la sortant défintivement des rayons enfantins. Dargaud avait suivi en lançant la série XIII... Je collectionne des BD sérieusment depuis cette époque...
Revenons à Bourgeon : les Passagers du vent mêlaient un beau dessin, minutieux dans les détails, réaliste dans les attitudes, empreint de poésie grâce aux vieux gréments et à la mer, un scénario original, des personnages attachants et finalement à la mentalité très contemporaine. Autrement dit, une réinvention de la BD historique qui fit florès. Bourgeon poursuivit avec deux autres séries : Les compagnons du crépuscule, sensationnelle plongée dans le Moyen-âge, et le cycle de Cyann, à dominante de science-fiction fantasy (à laquelle j'ai moins accroché). Il reprit ensuite la série des passagers du vent avec "La petite fille bois Caïman" puis avec cette troisième et dernière saison, "Le sang des cerises", dont le tome 1 est paru en 2018 et dont voici le tome 2.
L'action se passe au temps de la Commune. On suit les lentes prérégrinations de Zabo la communarde qui raconte (à la fin des années 1880) à un jeune bretonne un peu perdue, Klervi, son expérience de la Commune, de la défaite, de l'emprisonnement à Versailes jusqu'au transfert à Rochefort, puis le voyage de déportation vers la Nouvelle Calédonie, le temps passé là-bas, le retour et l'ultime voyage en Bretagne.
Disons les choses simplement : malgré les artifices du scénario pour relancer la "conversation", le gigantesque flash-back de Zabo paraît artificiel, verbeux et pour tout dire, ennuyeux. Ce qui était léger dans les volumes précédents est ici lourd, discursif, pesant. Et du coup, on se perd. J'ai mis du temps à m'attacher aux personnages... quant à la chute, elle peine à convaincre...
Le trait reste toujours de très bonne qualité mais là encore, avec quelques pesanteurs disgracieuses, sans les illuminations ni les chocs visuels qu'on avait eus lors des premiers opus.
Bref, un album que l'on conserve par amitié mais sans être réellement convaincu.
O. Kempf
Plus d'un an que je n'avais publié sur ce blog. Il faut dire que l'Ukraine a pris bien de mon temps et que je consacre finalement mon analyse géopolitique à La Vigie. Dès lors, je vais réorienter ce blog vers d'autres aspects, notamment la BD.
Pour commencer, le dernier Blake et Mortimer, Huit heures à Berlin.
Désormais, il y a dans la série Blake et Mortimer plus d'albums publiés par les suiveurs (19) que par E.P. Jacobs (11). Dans l'ensemble, sauf de rares exceptions (Schuitten voire Ch. Caillaux), les auteurs restent fidèles au trait et à l'esprit du maître. Le comité éditorial est très vigilant à ces principes, ce qui évite les dérives que l'on peut apercevoir dans Spirou, ou de bonnes choses se perdent dans des délires peu intéressants. Chez Blake et Mortimer, la série est maîtrisée, avec un album par an, qui satisfait les Jacobsiens sans les désorienter.
Dans le cas présent, il faut admirer le travail exceptionnel du dessinateur, Antoine Aubin. Tout y est : le trait, les mouvements, les détails mais aussi les citations (telle cette voiture qui plonge dans le lac de Genève, référence à l'affaire Tournesol d'Hergé). C'est absolument bluffant et constitue une réussite exceptionnelle qu'il faut mettre en avant.
En face, le scénario est plaisant mais sans surprendre. Il y a des incohérences (imagine-t-on le chef du MI6 faire l'espion de terrain sans appui ? Comment fait Blake pour passer sans problème d'URSS à Berlin ?) mais cela fait après tout partie des licences d'un auteur. On a les ressorts classiques d'un roman d'espionage moderne, avec deux héros qui ont des aventures parallèles, trois pages à l'un, trois à l'autre, et qui se retrouvent à la fin. Mais précisément, c'est un peu banal.
Et puis surtout,q uelque chose me gêne beaucoup : jusqu'à présent, les B&M se passaient dans une période d'après-guerre indéterminée : datée mais sans référence à la vraie actualité. La situation politique était le plus souvent absente, malgré quelques citations ici ou là : par exemple, les savants atomiques. Mais finalement, on évitait les personnages historiques et en tout cas, ils ne formaient pas le coeur de l'intrigue. Là au contraire, tout le contexte est désigné : l'URSS et la guerre froide, avec en plus un personnage historique (pas n'importe lequel) qui tien tun rôle important, à savoir JF Kennedy lors de son passage à Berlin pour son discours "Ich bin ein Berliner". Et du coup, nous perdons toute la magie distanciée de B&M qui savait créer un univers en soi, plaqué sur une réalité datable et avec en même temps une dimension fictionnelle fondamentale. Elle a disparu dans cet album ce qui est très dommage. J'ose espérer que ce n'est qu'un ocup de doigt et que les scénaristes ne reprendront pas cette mauvaise méthode.
Pour conclure : un bon album avec un dessin sensationnel et un scénario un peu décevant.
O. Kempf
En 2021, la France s’est intéressée au Pacifique pour deux raisons : d’une part à cause du revirement australien sur le contrat de sous-marins, d’autre part à cause du troisième référendum d’indépendance en Nouvelle-Calédonie. Gageons que 2022 connaîtra moins d’intérêt pour la zone car usuellement, la métropole ne porte guère attention à ces régions éloignées.
La Nouvelle Calédonie est éloignée de 16.000 km de la métropole, quasiment à son opposé géographique du globe (aux antipodes). Cette île de 18.000 km² se situe au nord-est de la grande île australienne. Elle appartient donc de fait au continent océanien, tout comme la Polynésie d’ailleurs. C’est d’ailleurs tout le problème…
En effet, l’Océanie est un continent mal perçu. Si l’on retrace l’histoire des continents, on s’aperçoit que leur nombre a évolué : ils sont passés de deux (cf. la Revue des deux-mondes : l’île Afro-asiatique, l’île Amérique) à trois (conception traditionnelle des Grecs avec l’Asie, l’Europe et l’Afrique) puis à quatre (jonction des deux approches précédentes : Afrique, Amérique, Asie et Europe) puis à cinq (adjonction de l’Océanie) et aujourd’hui à six (car on a découvert que l’Antarctique était un continent). Des six, l’Océanie est le plus problématique car elle est composée d’une agglomération d’îles où la dimension terrestre cède le pas à la dimension maritime. De plus, elle est disposée dans le Pacifique sud, océan lui-même très vaste et peu favorable à la navigation, à cause justement des étendues.
Ainsi, la Nouvelle-Calédonie est éloignée de 1.400 km de l’Australie, de 1.480 km de la Nouvelle-Zélande. L’île la plus proche, Vanuatu, est à 540 km. A titre de comparaison, la Corse est éloignée de 180 km de Menton, quand il faut parcourir 780 km pour aller de Marseille à Alger. En élevant la perspective, le géographe constate que la Nouvelles Calédonie se situe à 4.500 km de la Chine, soit en gros la distance entre Paris et Abidjan ou près de deux fois Paris-Moscou.
La conclusion est assez limpide : la Nouvelle-Calédonie est d’abord assez isolée dans un continent lui-même isolé. Elle ne fait pas vraiment partie de l’espace indopacifique dont on nous parle tant ces derniers mois. Pourtant, certains n’ont cessé de la citer comme pierre angulaire de nos intérêts dans la zone. Cela pouvait avoir du sens quand elle s’insérait dans un réseau plus vaste. En ce sens, le grand contrat de sous-marins signé en 2016 avec l’Australie contribuait à cet objectif, tout comme les négociations toujours en cours avec l’Indonésie. Depuis l’accord AUKUS de l’été 2021 qui a vu la rupture de l’alliance australienne, cette stratégie est à plat et la Nouvelle-Calédonie est redevenue un isolat stratégique, trop loin de la métropole pour réellement appuyer une stratégie régionale.
La Nouvelle-Calédonie a toujours été négligée par la France. Tardivement colonisée, elle paraissait trop loin (même du temps de l’Indochine) pour susciter l’intérêt. Le dispositif militaire actuel est lui-même très juste : les Forces armées de Nouvelle Calédonie (les FANC) sont maigres : le régiment de service militaire adapté a plus un rôle social que militaire. Ne reste donc côté terrestre que le RIMa du Pacifique-Nlle Calédonie (RIMaP-NC), petit bataillon au matériel vieillissant et accueillant surtout des compagnies tournantes venant de métropole. La base aérienne 186 dispose de quelques appareils eux aussi hors d’âge. Quant à la Marine, elle compte une frégate de surveillance et deux patrouilleurs pour assurer le contrôle d’une zone qui fait la moitié de la Méditerranée. Ces bâtiments sont également obsolètes. Ce dispositif malingre ne démontre pas une grande stratégie, même si les enjeux régionaux ne semblent pas d’abord militaires.
Ils pourraient être économiques au travers du nickel, dont le Caillou est le troisième producteur au monde. Toutefois, le manque d’investissement à mis à mal les sociétés locales alors que le métal est de plus en plus recherché. Cependant, cette production minière permet à la Nouvelle Calédonie d’avoir la plus grande richesse des DOM COM avec un PIB / h de plus de 20.000 €/h. A noter que cette richesse est très inégalement répartie avec des disparités territoriales, ethniques et sociales criantes.
Alors, si la France n’a pas d’intérêt positif à la Nouvelle Calédonie, celle-ci demeure un enjeu. En effet, le débat ne porte pas tellement sur l’Asie orientale (le vrai sujet de ce qu’on appelle Indo-Pacifique) mais sur une partie du Pacifique, celui de la mer de Corail et alentours. Un petit détour par l’histoire s’impose : pendant la Deuxième guerre mondiale, la guerre du Pacifique se déroule à proximité. Guadalcanal est à moins de 1.500 km et les Américains s’installent sur le caillou à partir de 1942, allant jusqu’à déployer 20.000 hommes (deuxième garnison du Pacifique après San Francisco). Ainsi, la Nouvelle-Calédonie est une base arrière de la lutte d’influence qui se déroule dans l’ouest du Pacifique, entre Micronésie et Mélanésie.
Tuvalu, Nauru, Fidji, Vanuatu, Tonga, Samoa : autant d’ex-colonies devenues indépendantes et qu sont désormais ciblées par le pouvoir chinois. En effet, Pékin ne cherche plus seulement à prendre le contrôle de la mer intérieure, celle qui sépare son rivage de la première chaîne d’îles partant du Japon jusqu’à Taïwan (mer de Chine Orientale) puis vers les Philippines et l’Indonésie (mer de Chine méridionale) : via la poldérisation des Spratleys et Paracels, l’objectif est quasiment atteint. Pékin veut aller plus loin et prendre pied sur la deuxième chaîne d’îles, comprenant notamment celles que je viens de citer. En vassalisant un certain nombre d’entre elles, la Chine desserrerait l’étau américain sur l’océan.
Observons ce qui s’est passé à Vanuatu : il s’agit du nom des anciennes Nouvelles Hébrides, ce condominium franco-britannique devenu indépendant en 1980. L’île de 12.000 km² compte 300.000 habitants et est surtout connue pour le risque qu’elle court de submersion, avec l’élévation des eaux des continents à la suite du réchauffement climatique. Si au début de son indépendance, Port-Vila (la capitale) noua de nombreux accords avec la France, elle se tourna ensuite vers l’Australie et désormais vers la Chine. Celle-ci prend une place de plus en plus importante, investit dans le secteur économique et construit des bâtiments symboliques et très visibles, en échange d’une dette colossale. On parle d’un port en eau profonde et d’un réseau de télécommunication et d’une base militaire , même si Vanuatu dément et rappelle être non-aligné. « De la Papouasie aux Tonga, cette diplomatie de la dette forme une "ceinture" très fermée. Qu’on en juge. D’ouest en est, la République populaire de Chine a installé son pouvoir financier en Papouasie, aux Etats fédérés de Micronésie, au Vanuatu, aux Fidji, aux Samoa, à Tonga, à Niue. Et plus récemment, en 2019, les îles Salomon et Kiribati sont entrées, à leur tour, dans le giron de Pékin » .
Dans cette perspective, la Nouvelle-Calédonie constitue un pion dans la ceinture entourant l’Australie et joignant Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Indonésie. Le soutien probable de la Chine aux indépendantistes kanaks doit être compris à cette aune. Il s’agit bien d’une partie de jeu de go et les îles du Pacifique se prêtent particulièrement à ce calcul.
Ainsi, la Nouvelle Calédonie constitue-t-elle pour la France d’abord un atout passif « je l’ai moins pour ce qu’il me rapporte que par ce que tu obtiendrais si tu l’avais ».
C’est ce qu’on bien compris les indépendantistes. Pour eux, agiter sans cesse le spectre de l’indépendance, trouver les moyens de contester l’incontestable (en l’occurrence la légalité et la légitimité de la série des trois référendums tenus à la suite des accords de Nouméa), permet d’être toujours en position de négocier de nouveaux subsides avec Paris, dans un marchandage délétère qui ne porte aucun projet d’avenir. Et Paris, agacé mais n’en pouvant mais, de mettre la main au portefeuille.
O. Kempf
J'ai eu le plaisir de répondre aux questions de Guy-Philippe Goldstein sur la question de la cybersécurité des territoires. IL a publié cet entretien sur son blog de l'usine nouvelle (https://www.usinenouvelle.com/blogs/blogs/cybermenace-sur-le-robinet-d-eau-episode-1.N1060324). Mille mercis à lui. OK
Au cours des douze derniers mois, le nombre, mais aussi le montant des rançongiciels a augmenté [1]. Cette chasse à l’entreprise qui peut payer le plus aurait-elle épargné les entités plus petites et plus désargentées, ou celles du public ? Non. Les collectivités territoriales sont également devenues des proies de choix. En France, la mairie de Toulouse et celle de Marseille et sa métropole ont été victimes de rançongiciels en mars et avril 2020. Après de nombreuses autres victimes, au mois de mars 2021, c’est au tour de la communauté de communes de l’Est lyonnais d’être frappée, avec une demande de rançon de 200 000 euros [2].
Parfois les conséquences dépassent les simples aspects monétaires. Nous avions évoqué sur ce blog la cyberattaque contre l’usine de retraitement d’eaux de la petite ville d’Oldsmar [3], dans la grande banlieue de Tampa, en Floride, gérée par la commune du même nom, et dont le niveau de soude caustique dans l’eau avait été manipulé à distance. Julien Mousqueton, le directeur technique de Computacenter, une entreprise britannique de services du numérique, évoque le cas emblématique de la petite ville d’Aulnoyes-Aymeries (Nord), 9 000 habitants, rançonnée pour 150 000 euros [4]. Entre autres effets, le système informatique du centre administratif de la mairie et de ses satellites (Ehpad, résidence de services, centre aquatique, école maternelle…) se sont retrouvés sans accès téléphonique, le système dédié permettant le lien téléphone étant géré par la mairie [5]. Avec des conséquences sérieuses : le système servait à relayer les appels des malades de l’Ehpad vers les téléphones mobiles des soignants. Comme le remarque Julien Mousqueton, « on ne prend pas toujours en compte tous les risques possibles. Or même une mairie peut gérer les alertes médicales d’un Ehpad. » Et c’est bien un risque tangible, « même s’il s’agissait probablement là d’un dommage collatéral, qui n’avait peut-être même pas été imaginé par l’assaillant ».
L'Institut national pour la cybersécurité et la résilience des territoires (IN.CRT) [6] a été créé en 2020 pour essayer de répondre à cette nouvelle menace. Son vice-président et fondateur, le général de brigade Olivier Kempf, également auteur d’une étude de la Fondation pour la recherche stratégique sur ce sujet (FRS) [7], a répondu à quelques-unes des questions de ce blog sur cette menace grandissante.
Quel est l’état de la menace ?
Une hausse s’est amorcée en 2019, a explosé en 2020 et se poursuit en 2021. Les cibles sont les collectivités territoriales [communes, communautés de communes, communautés d’agglomération, etc., ndla], mais aussi tous les autres acteurs des territoires, des professionnels et artisans aux PME. Ce sont bien les territoires au sens large qui sont attaqués.
Les rançongiciels semblent se focaliser de plus en plus sur les proies qui peuvent payer le plus. Pourquoi alors ces attaques sur de petites cibles ?
Dans les territoires, nous sommes confrontés à une massification, une « fordisation », du rançonnage. Cette industrialisation est d’autant plus rendue possible que la revente de l’information est facile : on la revend directement au propriétaire initial [plutôt que sur des marchés noirs de l’exploitation de la donnée pour d’autres opérations, ndla] ! À côté de l’industrialisation, il y a également une adaptation de la grille tarifaire. Si je m’attaque à une fromagerie de l’Aubrac, je ne demande « que » 2 000 euros. C’est peu, mais multiplié par 10 000 grâce à l’industrialisation, cela permet au groupe criminel d’atteindre des chiffres intéressants.
Cela traduit-il l’existence de groupes cybercriminels qui se spécialiseraient dans ces cibles faciles, avec gain unitaire minime mais hauts volumes ?
Il y a en gros deux types de groupes qui pratiquent cette activité. Les premiers sont les groupes cybercriminels qui, à côté des opérations contre des cibles « riches », vont s’occuper de manière opportune des cibles dans les territoires – parce qu’après tout, si c’est facile, pourquoi ne pas en profiter ? Et puis il y a un deuxième phénomène, celui d’une grande criminalité classique qui se dit que là, il y a un marché pas compliqué, accessible techniquement et avec très peu de risques. Donc autant s’y mettre. Si on considère les attaquants comme des commerciaux qui cherchent de nouvelles cibles, on a d’un côté des spécialistes de niches qui veulent, sous la pression de la concurrence, étendre leur marché, de l’élitisme au « mass market ». Et on a de « grands distributeurs » traditionnels qui veulent faire « un peu de technologie » et élargissent leur gamme de prestations.
Avez-vous également observé une exploitation politique ?
Il existe de rares exemples d’effacement de site, de rumeurs sur les maires [avec quelques campagnes d’infox locales – par exemple à Crozon (Finistère), Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) et Metz (Moselle). À ce sujet, lire l’étude FRS [8], ndla]. Mais il s’agit là de manœuvres de subversion au niveau local, par des acteurs locaux. Nous n’avons pas encore vu d’actions organisées comparables, par exemple, à l’ingérence de la Russie dans l’élection présidentielle américaine. Les quelques cas identifiés concernent des initiatives très locales. D’ailleurs, on n’a pas, à ma connaissance, documenté d’actions significatives lors des élections municipales de 2020.
Une récente étude du Club de la sécurité de l’information français (Clusif) [9] note que 35 % seulement des collectivités utilisent le chiffrement des données. Comment expliquer ces efforts encore faibles ?
Élargissons à toutes les cibles dans les territoires. Bien souvent, elles pensent qu’elles sont trop petites pour intéresser les groupes cybercriminels. Donc elles ne font rien, elles se font agresser et elles paient. L’explosion est d’autant plus forte que le phénomène a été renforcé par le choc pandémique, qui a forcé ces acteurs à une transformation numérique brutale. Il faut bien comprendre que pour nombre de ces acteurs, penser cybersécurité s’arrête souvent avec l’achat d’un antivirus. La prise de conscience est encore très très faible, y compris auprès de nombre d’édiles, même dans les villes moyennes, voire assez grandes. La prise de conscience du sujet et des actions à mener n’est pas encore réalisée chez la plupart des responsables des territoires.
Quels sont les risques pour les administrés ?
À force de taper de manière massifiée sur toutes ces cibles, on risque de toucher à des données sensibles. Les données du cadastre, l’état civil, les registres de la cantine (y compris qui mange quoi), les données de l’expert-comptable, celles du médecin : tout ceci constitue un ensemble de données sensibles. Par exemple, imaginez un cadastre ou les registres d’un notaire sans redondance : cela serait extrêmement problématique !
Les réponses actuelles sont-elles adaptées ?
Le terrain n’a pas encore effectué sa prise de conscience. D’un autre côté, certaines organisations centrales pourraient avoir une approche trop jacobine. Des actions pourraient avoir lieu au niveau des régions, par exemple, au niveau des 13 régions métropolitaines françaises. Mais cela risque d’être encore trop élevé par rapport à des situations très locales. Les grands groupes industriels risquent quant à eux d’avoir des réponses technologiques trop sophistiquées. D’autant que le budget cyber d’une agglomération de taille significative, voire d’une métropole régionale, ne dépasse parfois pas les 10 centimes par habitant et par an (quand il y a un budget !). Dans tous les cas, nous n’avons pas de réponse efficace sur le premier enjeu, qui n’est pas une histoire de moyens ou de technologies, mais de prise de conscience. Et pour cela, il faudrait une réponse au plus près du terrain.
Quel(s) type(s) de réponses développer ?
On peut saluer les ambitions de sensibilisation contenues dans le nouveau plan cyber du gouvernement français [10]. Ce qui est important pour la suite, c’est de construire des initiatives locales pour combler certains trous et de les élargir par contagion. Par exemple, l’IN.CRT va mettre en place, avec un partenaire local qui partage ses valeurs, un bachelor de cybersécurité des territoires, avec une première promotion à la rentrée 2021. Les Britanniques offrent d’autres exemples intéressants, avec des initiatives très décentralisés établies sur la base de vrais partenariats public-privé locaux. De manière générale, il faudrait compléter la décision d’en haut en encourageant une diffusion locale par une stratégie en peau de léopard.
[1] https://www.usinenouvelle.com/blogs/guy-philippe-goldstein/cybersecurite-2021-pire-que-2020.N1056369
[3] https://www.usinenouvelle.com/blogs/blogs/cybermenace-sur-le-robinet-d-eau-episode-1.N1060324
[5] https://www.canalfm.fr/news/aulnoye-aymeries-un-mois-apres-la-cyberattaque-33559
[6] https://www.cyberterritoires.fr/
[8] Id.
[9] https://clusif.fr/publications/restitution-de-letude-mips-2020-collectivites/
Voic le lien vidéo (cliquez ici) d'une conférence que j'ai donnée à l'automne dernier sur la puissance de la France.
Texte du résumé ci-dessous grâce à Diploweb (https://www.diploweb.com/Video-O-Kempf-Quelle-puissance-relative-de-la-France.html) . Enfin, on peut aller plus loin en lisant mon ouvrage Géopolitique de la France (ici)
O. Kempf débute cette intervention en définissant la géopolitique comme une question de représentations. La première représentation est cartographique. La seconde est celle qu’un peuple se fait de lui-même et celle que les autres peuples se font de lui, ce peuple pouvant être incarné ou non dans un État. Selon lui, il existe trois angles majeurs à la puissance relative française.
La caractérisation de la puissance françaiseEn effet, la France est une grande puissance géographique, économique, militaire, politique et d’influence. A tort définie comme une puissance moyenne, elle n’est pas pour autant une « hyper » [1] puissance de nos jours.
Dans un premier temps, la France est une puissance géographique mais n’est pas une géographie. La France s’est construite malgré sa géographie. Elle a su tirer profit de sa géographie à partir d’un petit noyau, l’Ile-de-France, anciennement le Vexin. Ce noyau s’est progressivement étendu vers le sud. Il faut prendre en compte la grande verticale entre la Picardie et le Languedoc et rappeler également les nombreuses volontés historiques françaises de repousser les frontières. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas forcément naturelles. La notion de frontière naturelle fut inventée durant la Révolution et fut réaffirmée suite à la mort du Roi, ce n’est pas un hasard. En effet, tout au long de l’Ancien régime, il était question de repousser l’Anglais à l’Ouest, l’Espagnol au Nord (les Pays-Bas espagnol) comme au Sud et d’agrandir le territoire à l’Est. La frontière originale était celle suivant le Rhône et la Saône, puis le territoire français s’est étendu d’environ 200 à 300 kilomètres à l’Est. La France est encore le plus grand pays d’Europe - si l’on écarte la Russie et l’Ukraine - de par sa taille et sa population projetée à 67 millions d’ici 2050. Elle est aussi un unique espace au carrefour du continent européen grâce à ces deux isthmes. Le premier est entre la Méditerranée et l’Atlantique et le second, rarement souligné, est entre la Méditerranée et la Mer du Nord. Enfin, la France est dotée de nombreux et divers écotypes. Une complexité naît de la double diversité des écotypes et du peuple français. Le fil rouge de l’histoire de la France est selon lui, le désir de construire un peuple commun comprenant ces diversités.
Dans un second temps, la France est une grande puissance économique, classée au 6 ou 7ème rang mondial, selon les critères mondiaux retenus. Pourtant, depuis cinquante ans, il nous est répété que la France est en déclin. Finalement, ce n’est pas tant le cas, selon O. Kempf, et ce malgré, l’émergence. Cette puissance est agricole, notamment en raison de son industrie agroalimentaire. Certes, celle-ci est devenue plus faible mais elle reste une grande richesse. Elle est également industrielle, elle compte de très beaux champions, à l’instar d’Airbus et Total. Ces derniers sont une force mais également une faiblesse car ce besoin de champions diminue l’intérêt accordé aux entreprises de taille moyenne. Cette puissance est enfin représentée par le secteur du luxe. LVMH, Kering et l’Oréal sont de grands groupes français mais sont également dans le top 10 mondial.
Dans un troisième temps, elle est une puissance militaire affirmée. La France est incontestablement la première armée de l’UE, une armée d’emploi, n’hésitant pas à aller en opération. Elle bluffe parfois les Américains, notamment lors de la réussite de l’opération Serval, qu’ils n’ont jamais comprise. Enfin, la France possède la bombe atomique et une industrie de défense imposante et respectée à l’échelle du monde. Ces atouts sont majeurs dans le critère de la puissance.
Dans un quatrième temps, la France se caractérise par sa puissance politique aux multiples noms, la « France terre d’asile », la « France des droits de l’Homme », la « France universaliste ». Elle est également l’un des cinq membres permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations-Unies ; un des seuls pays à pouvoir encore dialoguer avec le Liban et partie intégrante du groupe de Minsk dans le cadre de la résolution du conflit en Ukraine. Au sein des institutions internationales, nul ne considère la France comme une puissance moyenne. O. Kempf insiste sur le fait que la France n’est pas la puissance dont le peuple rêverait mais elle reste une grande puissance.
Dans un dernier temps, l’influence française joue un rôle crucial dans le rayonnement de la puissance de l’Hexagone. Elle s’exprime au travers de quatre éléments. D’abord ses outre-mer, résultat de l’histoire française mais aussi de son influence dans le monde, relativement représentée au Proche-Orient même si celle-ci s’étiole mais largement établie au Maghreb et finalement en Afrique. Ensuite, sa langue qui est souvent brocardée, sera pourtant la langue la plus parlée au monde d’ici trente à cinquante ans en raison de la croissance démographique de l’Afrique. Puis il est question de son influence maritime, la France possède la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde. Enfin, la culture française est un élément central qui participe à son image, son rayonnement, ses succès économiques et son attrait.
La thématique du déclin a au moins une vertu, celle d’aiguillon, qui incite la France à persister, résister, de réformer et s’adapter
Le déclin françaisPourquoi alors entendons-nous un discours aussi négatif au sujet d’un déclin français ? se questionne O. Kempf. Déjà en 1845, existait ce discours annonciateur de déclin et cela est en quelque sorte rassurant. Cette pensée pessimiste est le reflet de la représentation collective de ce que le peuple français se pense être, une puissance perdue. Pourtant, il semble bon de rappeler certaines figures françaises, telles que Saint Louis qui arbitrait tous les conflits en Europe, Louis XIV ou encore Napoléon même si cela fut bref. Plus récemment, lors du défilé de la victoire de 1919, la France est encore la super puissance qui régit le monde. Ce temps-là est abrogé car depuis est né un sentiment de régression, résultat des deux grandes catastrophes que sont les deux Guerres mondiales. Ce sentiment est particulièrement net à partir de 1940. Le traumatisme est extrêmement fort, il retentit dans toute la France et créé le sentiment que plus rien n’est comme avant. Ce même sentiment se renforce lors des guerres de décolonisation, la puissance garantie par son empire colonial dans les années 1930 n’est plus, ce projet géopolitique s’écroule. Elle subit alors deux grandes avanies, la première à Diên Biên Phu en 1954, annonciateur de la fin de ce projet géopolitique puis la seconde lors de l’expédition de Suez en 1956 où elle s’imagine pouvoir agir et est finalement remise à sa place par les deux nouvelles grandes puissances que sont les États-Unis et l’URSS.
Le général Charles De Gaulle a su, en se basant sur la Vème République redonner espoir aux français. Son discours de la puissance et du rang agit comme une grande thérapie de l’inconscient géopolitique français. Homme d’intuition, il a fait le pari européen, celui des années 1960. Il a parié sur l’Europe communautaire comme nouveau multiplicateur de puissance. Cependant l’Europe communautaire qui est construite ne ressemble pas à celle dont la France rêvait et ne possède pas l’influence voulue.
Enfin apparaît, à la fin de la Guerre froide, la mondialisation, qui a elle aussi bouleversée le modèle français. La peur de la domination de la langue anglaise, de la perte de la culture et de bien d’autres choses sont venus renforcer les doutes. Cette suite d’événements explique pourquoi le thème du déclin est si inlassablement repris. Toutefois, il est important de lui reconnaître une vertu, celle d’aiguillon, qui incite la France à persister, résister, de réformer et s’adapter afin de rester une grande puissance.
Comment exprimer ce rêve de puissance ? Quelle stratégie ?En septembre 2020, nous vivons un nouveau bouleversement, qu’Olivier Kempf interprète comme celui de l’après après-Guerre froide. L’élection américaine de novembre 2020 est inquiétante non pas à cause d’une possible réélection de Donald Trump mais parce qu’elle va rendre plus visible la division américaine qui est pleine de danger. Le Brexit traduit ’une profonde entaille à la construction européenne. La République populaire de Chine devenue la nouvelle super puissance est au centre de la stratégie américaine. Selon O. Kempf, nous vivons finalement la fin de l’Occident, entendu comme cette alliance euro-atlantique.
Ainsi la France a quatre axes d’intérêts dans lesquels rêver, orienter et définir sa puissance.
Le premier est l’axe de l’UE qui lui confère un confort stratégique et une opportunité. Le vrai sujet n’est pas le pari de l’Europe selon lui, mais la façon dont parier sur l’UE. Est-ce que les structures actuelles sont satisfaisantes ? Faut-il en réinventer de nouvelles ? Si oui, lesquelles ?
Le deuxième est l’axe maritime :puisque la France possède aujourd’hui des bordures terrestres stabilisées, elle a peut-être l’occasion désormais de parier sur la mer. Certes, elle l’a toujours fait mais ce n’était que sa seconde priorité. Différents atouts sont à mettre en lumière, ses façades maritimes en premier lieu, ses territoires d’outre-mer, ses ZEE, en second lieu et surtout en troisième lieu la maritimisation résultante de la mondialisation. Quelle est alors la stratégie maritime à adopter ?
Le troisième est l’axe méditerranéen et africain : la France s’illustre comme pivot européen vers la Méditerranée et l’Afrique. Ce continent connaît une explosion démographique et tend à atteindre la masse critique nécessaire pour faire le poids face aux autres masses critiques que sont les Amériques d’un côté et les Asies de l’autre. Que faire vers ce sud ? Que réinventer ?
Enfin l’axe Asie redevient un pôle de puissance. Reléguée pendant deux siècles, l’Asie est désormais à nouveau incontournable. L’Asie est l’autre extrémité du continent : comment faire articuler ces deux pôles, l’Asie à l’Est et l’Europe à l’Ouest ? quel rôle la France doit-elle tenir dans cette articulation ?
Copyright pour le résumé Mars 2020-Monti/Diploweb.com
J'interviendrai demain aux Tech Talks de Bordeaux,
dans le cadre d'une table-ronde sur le sujet : Quelle coopération internationale pour faire face aux cybermenaces ?
Programme et inscritpion sur le site : https://www.frenchtechbordeaux.com/event/tech-talks-2021-maitriser-le-cyberespace-entre-menaces-solutions-et-innovations/
Olivier Kempf
La guerre est morte, du moins la guerre classique, l’outil dont on se servait autrefois pour résoudre les différends. Cela ne signifie pas que les différends n’existent plus. Ils peuvent être profonds : Tel État ne reconnait pas la souveraineté de cet État, ce qui pose de vraies difficultés à des État nouveaux (le Kosovo) mais aussi anciens (Taïwan). Au-delà, on peut reconnaître la souveraineté de l’État tout en ayant des différends, notamment sur les frontières et donc l’intégrité territoriale.
Ce qui nous amène à réfléchir sur la notion de "conflit gelé".
L’intégrité territoriale peut être considérée comme un des attributs de la souveraineté, car le territoire est une des conditions de l’État. Elle accompagne la souveraineté. Souvent, du moins. Car il arrive, plus fréquemment qu’on ne le pense, que des litiges opposent des États voisins au sujet de leurs frontières communes. C’est par exemple le cas entre Japon et Russie, entre Japon et Chine, entre Chine et voisins des mers du sud, entre.... Les exemples abondent. En fait, et il est probable que la majorité des États ont des litiges territoriaux avec un ou plusieurs voisins. En fait, il est probable qu’une intégrité territoriale entièrement reconnue de ses voisins est l’exception.
Cependant, la plupart du temps, la souveraineté d’un État sur un territoire est un fait. Les Russes occupent les Kouriles, n’en déplaisent aux Japonais. Ceux-ci considèrent que leur intégrité territoriale est mutilée. Cela ne dégénère pas nécessairement en conflit armé. Mais, parfois, ça arrive. Ou encore, une minorité mène une lutte de libération nationale, processus classique qui réussit – ou pas. Bref, souveraineté et intégrité ne coïncident pas – ou rarement.
Ces différends persistent et ne peuvent donc être réglés, ni par la guerre, ni par la négociation. Ils peuvent rester dans le domaine diplomatique pacifié. Ils peuvent avoir été l’occasion de conflits et deviennent alors des conflits gelés. En effet, de même qu’il n’y a plus de déclaration de guerre, il n’y a (presque) plus de traité de paix qui vienne sanctionner la fortune des armes et créer un nouvel état du droit (même si cela arrive, que l’on pense au traité entre le Pérou et l’Equateur, qui a mis fin à un contentieux vieux de plus d’un siècle). Le plus souvent, les parties signent des cessez-le-feu, comme celui qui régit les relations entre les deux Corées depuis 1953. Israël occupe la Cisjordanie et le Golan, sans que cela soit reconnu internationalement. L’ONUST (organisme des nations-Unies pour la surveillance de la trêve) a été mise en place en 1948 à la suite de la première guerre israélo-arabe et demeure toujours en place.
Comment caractériser ces conflits gelés ? Ils ont été l’occasion d’affrontements réels et violents qui prennent fin à un moment. Ils peuvent être suivi d’un accord ou rester dans une terra incognita juridique. Le Cachemire demeure l’objet d’un contentieux entre l’Inde, la Chine et le Pakistan depuis 1947. La plupart du temps la zone est calme même si on assite à de récurrents accès de tension, comme les affrontements qui éclatent en septembre 2020, à la suite d’une fusillade dont les causes restent opaques. Ainsi, un conflit gelé reste souvent meurtrier, même si la létalité demeure basse, « sous le seuil » (nous reviendrons sur cette notion) d’attention de la communauté internationale. Ainsi, l’espace ex-soviétique est rempli de conflits gelés : Moldavie et Transnistrie, Ukraine et Donbass, Géorgie et Abkhazie pour prendre des exemples récents. La plupart du temps, la situation revient au statu quo préalable mais un conflit longtemps gelé peut soudainement s’enflammer et donner une nouvelle situation : le haut Karabakh fut la cause d’une guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 1994, situation qui reste longtemps gelée jusqu’à ce que les Azéris relancent une offensive en 2020 et récupèrent une grande partie du territoire qu’ils revendiquaient.
Des disputes frontalières peuvent s’envenimer peu à peu, comme ce qui se passe en mer de Chine, où la Chine militarise son action, que ce soit sur les Spratleys et les Paracels au sud (archipels revendiqués par les États riverains) ou dans les eaux des Senkaku (sous souveraineté japonaise) à l’est. D’autres au contraire s’apaiser progressivement, même si les problèmes ne sont pas résolus au fond : que l’on pense aux Balkans et à la situation peu satisfaisante de la Bosnie-Herzégovine ou du Kossovo. Enfin, des conflits peuvent rester actifs mais ne pas susciter l’attention, étant apparemment gelés, au moins aux yeux de l’opinion publique internationale : que l’on pense à l’Afghanistan ou à la République Centrafricaine.
La notion de conflit gelé recouvre donc des situations très diverses, souvent des différents territoriaux, parfois aussi des guerres civiles dues à la disparition de l’Etat.
Olivier Kempf
Du point de vue cyber, que penser de 2020 ? Je traite la question un peu tard (février) mais cela a l'avantage d'avoir laissé la poussière retomber et de mieux distinguer les éléments structurants.
1/ Evidemment, l'élément principal est la pandémie qui a entraîné deux choses : D'une part, une prise de conscience de l'intrication des chaînes d'approvisionnement. Nous y reviendrons quand nous évoquerons ci-après la "supply chain"; D'autre part, avec les confinements et restrictions de mouvements, la généralisation du télétravail, mise en place en urgence, sans préparation et avec donc d'énormes failles : au niveau des matériels, des processus, sans même parler de la protection des échanges. Ainsi, la pandémie a été l'élément déclencheur de la transformation numérique de la plupart des organisations, ce que l'ancien CDO que je suis a observé avec gourmandise. Aussi ne faut-il pas être surpris de voir que les grandes sociétés informatiques ont tiré d'énormes profits de cette nouvelle situation.
2/ Il s'en est suivi une augmentation massive des cyberagressions. Le premier facteur tient bien sûr à ce que le nombre de cibles faciles s'est considérablement accru. Parallèlement, la technique des rançonnages (ransomware) s'est démocratisée et industrialisée (pour mémoire, il s'agit de chiffrer toutes les données et de demander une rançon à l'organisation piratée pour obtenir la clef de déchiffrement). Les outils sont facilement accessibles à des pirates qui n'ont pas besoin de grandes compétences techniques. Et le rançonnage a une grande utilité : à la différence d'autres techniques de vol de données, il s'agit ici simplement de les chiffrer sans avoir besoin de les revendre : ou plus exactement, l'agresseur ne les revend pas à un acheteur tiers mais au possesseur originel qui veut récupérer ses données. Bref, nul besoin d'organiser un circuit de revente... Dès lors, nulle cible n'est trop petite, toutes suscitent l'intérêt. L'argument "je suis trop petit pour être attaqué" ne tient plus.
3/ Ainsi a-t-on vu la massification des agressions contre des "petits" acteurs : nous pensons aux hôpitaux (d'autant plus aisés à attaquer qu'ils étaient déjà sous le stress de la gestion de la pandémie) mais aussi aux collectivités territoriales (tendance entamée dès 2018 mais qui a explosé en 2020). La tendance se poursuivra forcément vers l'agression de cibles encore plus petites : TPE, indépendants, notamment les professionnels ayant des données de confiance (médecins, notaires, avocats, experts-comptables, ...). La nécessité de sensibiliser tous ces échelons devient de plus en plus brûlante.
4/ A l'inverse, la fin de 2020 a été aussi l'année de Solarwinds, en décembre. Alors que nous avions des agressions indsutrialisées, nous voici en présence d'une attaque extrêmement sophistiquée, de l'artisanat de haute couture.... Solarwinds est en effet une société américaine qui développe des logiciels professionnels permettant la gestion centralisée des réseaux, des systèmes et de l'infrastructure informatique. Un de ses produits, Orion, utilisé par des diaines de milliers de clients, a en effet été infiltré de façon particulièrement habile, ce qui a permis d'entrer "par rebond" chez "beaucoup" (nombre encore indéfini) de ses clients. Ainsi, les agresseurs ont pu observer de l'intérieur leurs réseaux dans une vaste opération d'espionnage. La qualité de l'intrusion fait penser à une instance étatique et les regards se sont tournés vers la Russie.
5/ Beaucoup de débats ont eu lieu sur cette "supply chain informatique" qui rend compte de la complexité actuelle des dispositifs. En effet, les grandes organisations externalisent beaucoup de leurs sytèmes avec des produits fournis par des partenaires. A défaut d'attaquer directement ces grands comptes, il est plus futé de passer par leurs fournisseurs qui sont parfois moins bien défendus que les cibles principales : d'où la notion d'attaque par rebond. Cela a plusieurs conséquences : D'une part, comment maîtriser la sécurité des partenaires informatiques ? D'autre part, comme souvent, cette attaque sophistiquée s'est diffusée et des pirates essaieront de la réutiliser contre d'autres cibles, dans d'autres circonstances, avec un phénomène de contagion.
6/ La tendance est alors complémentaire de celle que nous observions avec les rançonnages : celle d'une professionnalisaiton et donc d'une montée en gamme technique des agresseurs. Ceux-ci ne sont pas seulement plus nombreux, ils n'ont pas seulement plus de cibles, ils montent également en compétence ce qui entraîne de devoir augmenter le niveau des défenses. La dialectique du glaive et du bouclier appliquée au cyberspace, dans une course aux armements sans fin, est d'actualité.
7/ Mentionnons enfin la généralisation du cloud. Le dernier baromètre du CESIN, récemment paru (ici), montre que les entreprises ont massivemnt adopté des systèmes d'infonuagiques. Du coup, la question de la maîtrise des sous-traitants et le développement du concept "zéro trust" se pose durablement.
8/ Il faudra suivre enfin les mises en place de technologies qui arrivent à maturité et semblent pouvoir entrer dans des phase d'industrialsiation : IA bien sûr, mais aussi fabrication additive et blockchain.
Olivier Kempf
Source image : : https://nl.freepik.com/premium-vector/viering-van-2020-met-futuristische-technologische-achtergrond-van-cyber_6331677.htm
J'interviendrai demain à l'occasion de la Conférence annuelle "Voisinages" organisée par nos amis de l'institut d'études européennes de l'Université Saint-Louis de Bruxelles. Elle portera sur le thème suivant : Quid de l’après Covid 19 pour la relation entre l’UE et ses voisinages : compagnonnage renouvelé ou proximité distanciée face aux défis commun ? (détails ici)
J'interviendrai dans la troisième session qui traitera : La numérisation et la modernisation économique : quelle approche partagée ?
Vous lirez ci-dessous les éléments clef de mon intervention.
1/ La pandémie et la crise économique qui s'ensuit ont suscité deux types de démarches :
Il s'ensuit deux phénomènes :
2/ La cybersécurité, facteur d’attractivité économique
Or, l'accélération en 2020 de la transformation numérique s'est accompagnée d'une accélération de la cybercriminalité qui a touché encore plus d'organisations, de toute taille et en profitant justement de leur impréparation. Beaucoup plus de cibles, une automatisation et une industrialisation des attaques en sont la cause. On a vu ainsi de nombreuses collectivités territoriales ou d'hôpitaux se faire agresser.
Ainsi, la multiplication des rançonnage (ransomware) amplifie une vague qui avait commencé en 2018 et qui devient un tsunami. On ne peut plus dire "je suis trop petit pour passer entre les gouttes". Autrement dit, la cybersécurité n'est pas réservé aux gros, elle est un impératif pour tous.
Or, on ne peut pas imaginer développer l'attractivité économique au niveau national, régional ou local sans comprendre qu'une des demandes des entreprises ou des professionnels venant s'installer sera, au même type que l'infrastructure numérique, la qualité de la cybersécurité fournie.
3/ L'UE a pris enfin en compte ces sujets bien qu'ils soient inégalement compris par les Membres ou par les partenaires
Après des débuts hésitants, l'UE a enfin pris en compte l’impératif de la cybersécurité. Elle admet désormais le thème de la souveraineté numérique face aux prédateurs extérieurs. Cela passe bien sûr par la loi. De ce point de vue, les initiatives récentes sont excellentes : Rénovation de la directive sécurité des réseaux informatiques, mise en place du RGPD, adoption avr. 2019 d’un règlement sur la cybersécurité par le Conseil (instauration d'un système de certification de cybersécurité à l'échelle de l’UE, –la mise en place d'une agence de l'UE pour la cybersécurité dotée de compétences plus étendues à Bucarest), projets de Digital Service Act (loi sur les services numériques et les contenus) et Digital Market act (loi sur les marchés numériques pour faire respecter la libre-concurrence par les mastodontes étrangers du secteur)...
Il reste que la prise de conscience au sein de l'UE est inégale car tout ne peut pas se faire au niveau communautaire. La cybersécurité appartient au cœur de souveraineté et c'est à chaque État de la favoriser chez lui.
De même, il faut insister auprès de nos partenaires pour qu'ils la prennent en compte,s 'ils veulent accéder à un marché européen qui se durcit. Là aussi, la prise de conscience est inégale.
O. Kempf