La COP21 en est aujourd’hui à son dernier jour officiel, délai qui sera repoussé à samedi midi, a annoncé Laurent Fabius ce matin. Le ministre des Affaires étrangères et président de la conférence a renoncé à tenir son pari et à présenter un texte dès vendredi pour adoption à 18h. Les négociations ont avancé, le texte s’est réduit, il compte désormais 27 pages mais contient encore suffisamment d’options (une cinquantaine qui selon les choix, pourrait conduire à un résultat relativement différent) en raison des blocages maintenus sur les principales dimensions de l’accord : la différentiation, les financements et l’ambition.
La différentiation est le point central, la colonne vertébrale de la convention signée en 1992 à Rio. Elle souligne la responsabilité historique des pays développés dans l’apparition du réchauffement climatique. La grande difficulté est aujourd’hui de la mettre à jour, pour la faire correspondre aux réalités actuelles. En effet, comment ne pas demander à la Chine, premier émetteur depuis 2007, de prendre des engagements contraignants pour limiter la croissance de ses émissions et inverser la tendance au plus vite, tout en reconnaissant que les émissions des pays développés se sont faites au détriment des pays du Sud qui ne voient en la modification de ce principe qu’une injustice de plus et un outil sanctionnant leur développement ?
Les débats sur les financements constituent l’autre face de cette pièce. Les pays en développement attendent des engagements concrets en matière de financement, de transferts de technologies, qui tardent à se concrétiser. Le rapport de l’OCDE publié début octobre 2015, qui faisait état de 61,8 milliards de dollars de financements a irrité nombre de délégations, Brésil en tête, qui, sans contester radicalement les chiffres, ont pointé du doigt une méthodologie peu orthodoxe (le rapport regroupant prêts et dons, privés, publics, programmes de soutiens de différentes banques de développement). L’absence de visibilité post-2020 sur ces différentes enveloppes reste l’un des principaux arguments des grands émergents, surtout quand les puissances occidentales comme les Etats-Unis, qui n’ont jamais ratifié le protocole de Kyoto, souhaiteraient voir Brésil, Inde et Chine participer à l’effort de financement des mesures d’atténuation et d’adaptation.
Enfin, l’ambition reste le nœud gordien, le point de l’accord qui guidera pour certains, la qualification d’échec ou de succès de la conférence de Paris. Certes, la limitation du réchauffement à 1,5°C a fait son apparition dans le texte (qui évoque l’objectif de « maintenir la température mondiale bien au-dessous de 2°C par rapport au niveau préindustriels et de poursuivre les efforts pour limiter cette hausse à 1,5°C ») mais sans suivi, notification et vérification, comment s’assurer des efforts effectués par chacun, notamment vis-à-vis de leurs engagements ? Pour l’heure, les pays n’appartenant pas à l’Annexe I ne sont pas dans l’obligation de fournir des évaluations de leurs émissions, et les plus émetteurs d’entre eux comme l’Inde ou la Chine exigent de pouvoir continuer à présenter, au nom de la justice et de l’équité, des objectifs ne portant pas sur des réductions absolues de celles-ci, mais concernant l’intensité carbone du PIB par exemple. Le principe de révision quinquennale des engagements – si elle s’avérait nécessaire pour l’atteinte des objectifs – est intégré à l’accord mais l’UE souhaiterait y joindre des discussions intermédiaires plus régulières sur le sujet, afin de ne pas recommencer tous les cinq ans une discussion complexe sur de tels objectifs. L’idée est également de réviser cela avant l’entrée en vigueur de l’accord de Paris, donc avant 2020 et non en 2024, option pour l’instant retenue. Rendre cet exercice de discussions intermédiaires (et ante-2020) obligatoire pourrait constituer une ligne rouge pour les émergents.
Dans ces dernières heures de négociations, la présidence française, avec l’aide de facilitateurs, doit s’enquérir des lignes rouges de l’ensemble des Etats en échangeant avec leurs négociateurs et faire la synthèse, tout en conservant un niveau d’ambitions élevé. Les membres de l’Alliance des petits Etats insulaires avaient annoncés qu’ils ne signeraient qu’un texte mentionnant l’objectif de 1,5°C. Les Etats africains souhaitent pour leur part des engagements concrets sur l’adaptation. Les puissances occidentales, tout en reconnaissant leur rôle historique dans l’apparition du changement climatique, demandent aussi aux grands émergents, Chine, Inde, Brésil en tête, de participer à la mobilisation financière quand ces derniers ne veulent pas de modification significative du principe de différentiation. On touche ici la complexité d’une négociation internationale chargée d’arriver à un compromis, à l’unanimité, rassemblant 195 pays dont les profils, intérêts et stades de développement demeurent radicalement différents. Le risque principal est de voir un texte conserver la mention d’un objectif de 1,5°C tout en affichant des objectifs et des moyens plaçant le monde sur une trajectoire 3°C. Les caractères contraignant et ambitieux ne sont-ils pas sur le point d’être sacrifiés sur l’autel de l’unanimité ? La mobilisation sans précédent des acteurs non gouvernementaux et des collectivités aux entreprises permettra-t-elle de pallier cet écueil ? Réponse dans quelques heures.
Après les attentats du 13 novembre, et face à l’engagement croissant de la France dans la lutte contre Daech, de nombreuses voix se sont élevées pour demander la remise en cause de nos relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite et le Qatar. Ces deux pays étant accusés de financer Daech, il serait contradictoire de vouloir lutter contre ce dernier, tout en ayant de bonnes relations avec les premiers.
Que penser de cette proposition ? Si réellement l’Arabie Saoudite et le Qatar financent actuellement – directement ou indirectement – Daech, ce n’est pas une remise en question de nos relations avec eux dont il devrait s’agir, mais de déférer François Hollande, une bonne partie de son gouvernement et Nicolas Sarkozy devant la Haute cour de justice, pour haute trahison, dans la mesure où ces différents responsables nient que ces pays financent l’État islamique.
Au-delà du cas particulier du Qatar et de l’Arabie Saoudite, il faut observer que très régulièrement il est demandé à la France de cesser d’avoir des relations avec tel ou tel pays, parce qu’il ne partage pas nos valeurs. Avant un revirement spectaculaire à l’égard de Moscou, après les attentats du 13 novembre, de nombreuses voix, dans les médias ou dans le paysage politique, s’élevaient pour demander de mettre au frigidaire nos relations avec la Russie, du fait du caractère autoritaire et répressif du régime de Poutine. C’est également un grand classique que de déplorer que l’on puisse avoir des relations nourries avec la Chine, sur fond du reproche récurrent de sacrifier nos principes à nos intérêts commerciaux. Plus récemment, la visite de François Hollande à Cuba a été condamnée par certains comme étant une récompense prématurée, alors que le régime n’est toujours pas libéralisé. Il y a également régulièrement des protestations à l’égard des échanges avec l’Iran. Le fait de conserver des relations étroites avec des régimes africains, dont certains dirigeants se maintiennent par des moyens contestables au pouvoir, est également critiqué. On pourrait multiplier les exemples en ce sens. Mais après tout, malgré le caractère catastrophique de la guerre d’Irak en 2003, nous avons conservé des bonnes relations avec les États-Unis et on a même été après 2005 à s’excuser d’avoir eu raison en dénonçant les dangers de cette guerre.
Tout ceci peut s’entendre mais pose un problème de fond : ne faut-il avoir des relations qu’avec les seuls pays qui partagent notre système politique ? Dans ce cas, il faudrait se contenter d’avoir des relations avec les vingt-sept membres de l’Union européenne, auxquels on pourrait éventuellement ajouter la Suisse, la Norvège, les États-Unis, le Canada l’Australie, la Nouvelle-Zélande et éventuellement le Japon. Nous ne pouvons pas avoir des relations avec nos seuls semblables. Dans un monde globalisé, avoir des relations avec un pays ne signifie pas approuver son régime. C’est juste tenir compte des réalités internationales. Finalement, que ce soit consciemment ou inconsciemment, ce qui met en cause la nature de nos relations avec des pays non occidentaux voudraient en fait limiter les marges de manœuvre de la diplomatie française en l’enfermant dans un cadre strictement occidental. Les mêmes d’ailleurs ne reprochent pas aux États-Unis d’avoir eux-mêmes des relations très développées avec l’ensemble des autres pays. Le choix pour la France serait donc de limiter son champ d’action et du coup de se contenter de s’aligner sur les États-Unis, auxquels on ne reproche pas d’avoir une diplomatie tous azimuts. Or la France, si elle est un pays occidental, ne peut être résumée à cette seule définition. Elle est un partenaire potentiel naturel des autres pays, qui lui donne un poids spécifique sur la scène internationale.
Nous pouvons, et nous devons, avoir des relations avec des pays qui ne nous ressemblent pas. Il s‘agit de comprendre quels peuvent être nos intérêts communs, et à quel moment nos intérêts divergent.
Lorsqu’en 1964, le général de Gaulle prend la décision de reconnaître la Chine, il fâche les États-Unis, à un moment où le régime chinois est totalitaire. Mais il pensait que c’était l’intérêt de la France d’avoir plus de marges de manœuvre pour mener une politique indépendante et, finalement, utile au plus grand nombre.
Ce n’est pas en rompant avec les pays qui n’ont pas notre système politique, qu’on fera évoluer le leur. Ce n’est pas non plus en les morigénant en public qu’on les fera bouger. Si on veut être efficace pour faire progresser les droits humains, il ne faut pas se contenter de posture à usage médiatique interne. Et si on veut que la voix de la France soit entendue dans le monde, elle ne peut pas se contenter de parler à ses semblables. Si on veut changer le monde, il faut partir des réalités.