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Clément Beaune : «L’UE a montré qu’elle n’était pas prisonnière de ses dogmes»

dim, 08/11/2020 - 12:19

La crise du coronavirus montre qu’il est nécessaire de «réinventer un contrat européen», ses règles actuelles ayant montré leurs limites, estime Clément Beaune dans un entretien avec Libération. Pour le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, si l’Union a finalement réagi rapidement et efficacement aux défis économiques de la pandémie, il faut la renforcer pour préparer les prochaines crises. Etat des lieux.

La pandémie de coronavirus n’a-t-elle pas marqué le retour du national au détriment du projet européen ?

La pandémie a effectivement marqué un retour du national et même du local, car, par nature, les mesures qui ont été prises aboutissent à un repli, à une fermeture pour se protéger. Mais les reproches que l’on adresse à l’Union européenne sont injustes puisqu’elle n’avait pas de compétence pour agir ; s’il y a un an, on avait dit que l’Europe devait s’occuper de santé, tout le monde aurait haussé les épaules. Une crise sanitaire appelle une réponse régalienne, puisque les outils opérationnels de protection restent encore très largement nationaux ou locaux. Cela s’est vu dans les pays fédéraux : en Allemagne, les Länder ont pris des mesures de protection régionale et n’ont pas coopéré entre eux dans un premier temps.

Cela étant, dans les domaines où elle en avait le pouvoir, l’Europe a su réagir vite et fort, alors que dans le passé on a pu justement lui reprocher d’agir trop peu, trop tard : l’action de la Banque centrale européenne (BCE) a été déterminante et la Commission a immédiatement suspendu les règles limitant les aides d’Etat aux entreprises ainsi que le Pacte de stabilité budgétaire, ce qui a permis des réponses nationales fortes. De même, le plan de relance européen de 750 milliards d’euros, adopté fin juillet, a été élaboré et adopté en moins de deux mois alors qu’il marque une rupture avec le passé en créant un endettement commun : c’est un acte de solidarité destiné à préparer l’avenir sans précédent !

Maintenant, c’est avant tout aux Etats membres d’améliorer les choses en donnant à l’Union européenne les compétences qui lui font défaut dans le domaine de la santé. Il est, par exemple, étrange qu’on n’ait pas les mêmes règles pour comptabiliser les cas et les décès ou qu’on n’applique pas les mêmes mesures sanitaires.

La réponse des Etats n’a pas été de donner plus de compétences à l’Union, mais de défaire une partie des règles qui régissaient son fonctionnement : concurrence, pacte de stabilité, politique monétaire, Schengen, etc.

Le risque existe que l’on voie l’Europe comme une contrainte dont on a desserré le corset et que, finalement, le bienfait de l’Europe, c’est quand elle nous embête moins. Je crois que ce n’est pas la bonne optique pour décrypter ce qui s’est passé : l’Union européenne a simplement montré qu’elle n’était pas prisonnière de ses dogmes, contrairement à ce que l’on disait.

D’ailleurs, on ne s’est heureusement pas arrêté là : d’une part, la réponse monétaire de la BCE et, d’autre part, l’adoption du plan de relance ont été des réponses de solidarité commune. De même sur le plan sanitaire, ce qui est fait sur le vaccin est le contraire du chacun pour soi. On fait en sorte que ce soit l’Union qui négocie les contrats pour que 200 à 400 millions de doses soient disponibles avec chaque laboratoire et protéger ainsi tous les Européens.

En outre, même quand les choses n’ont pas été faites au niveau européen, il y a eu un modèle européen de réponse à la crise dont on peut être fier. Il n’y a aucun endroit au monde où l’on a concilié la solidarité et la protection sociale, en partie financée par l’Union, et malgré tout un débat démocratique ouvert. Les Américains ont eu le débat sans la solidarité alors qu’en Asie, on a eu le collectif sans la liberté individuelle.

Les Etats laissent de moins en moins d’autonomie à l’Union. Ainsi, le plan de relance n’est pas communautaire, puisque le rôle de la Commission se limitera à emprunter sur les marchés avant de signer des chèques aux Etats qui les dépenseront comme ils le voudront. De même, la nouvelle baisse programmée du budget aboutit à tailler dans le financement des politiques communautaires…

On ne peut pas dire que le plan de relance aboutisse à une renationalisation puisque au contraire on crée un endettement commun. Même s’il est vrai que les dépenses seront gérées par les Etats, il y a quand même des éléments «d’européanité» puisque 30% des sommes versées devront être consacrées au climat, ce qui fera de l’Union le plus grand émetteur d’obligations vertes au monde, et que 20% des dépenses devront bénéficier au numérique. Mais il est vrai qu’on aurait pu aller plus loin sur des projets communs européens. C’est pour cela que l’Allemagne et la France ont décidé ensemble de porter leurs efforts sur quatre grands projets européens qui seront financés par nos plans de relance nationaux : hydrogène, intelligence artificielle, batteries électriques et Internet des objets.

Sur le budget, la France aurait effectivement souhaité qu’il soit plus élevé afin de financer des politiques prioritaires : défense, espace, recherche, Erasmus ou encore santé. Le Parlement européen a politiquement raison de batailler pour obtenir un relèvement des plafonds. Mais il ne doit pas perdre de vue que le paquet budgétaire atteint en réalité plus de 1 800 milliards d’euros si l’on additionne le cadre financier pluriannuel 2021-2027 (1 074 milliards sur la période) et le plan de relance. Ce qui signifie que, sur les trois prochaines années, cela va doubler les versements aux Etats membres ! Et déjà, dans le budget proposé, les politiques prioritaires comme la recherche ou l’éducation vont connaître des hausses comprises entre 40% et 75%. Il y a peu de budgets nationaux qui sont à ce niveau d’ambition.

Plusieurs Etats membres ayant décidé d’un second confinement, le coût de la crise risque d’être plus élevé que prévu. Ne faudrait-il pas dès à présent lancer un second plan de relance ou pérenniser l’actuel qui n’est prévu que pour trois ans ?

Ce débat aura lieu, mais il est trop tôt pour l’ouvrir. On ne peut pas dire maintenant aux pays qui étaient déjà réticents à adopter ce plan de relance qu’il faut en lancer un second alors que le premier n’est pas encore en place. Faisons en sorte qu’il soit un succès et on pourra ouvrir la discussion sur un nouvel instrument. En attendant, il va falloir accélérer la mise en œuvre du plan de relance afin de répondre sans attendre aux développements de la pandémie comme l’a souhaité le président de la République lors du sommet de jeudi.

Qu’est-ce qui unit encore les pays européens en dehors des avantages économiques et financiers qu’ils retirent de l’Union ?

Il est clair qu’il faut réinventer un contrat européen. On le savait avant la crise, mais c’est désormais une nécessité criante : on ne pourra pas faire comme avant, les fragilités et les défaillances existantes s’étant transformées en gouffres. Nous avons toujours besoin de règles communes, mais il faut des règles repensées. Par exemple, si on veut un espace ouvert de libre circulation, on doit être beaucoup plus sérieux et ferme dans le contrôle des frontières extérieures, dans notre politique d’asile et d’immigration ou dans la lutte contre le terrorisme.

De même, dans le domaine économique, la politique de concurrence et le Pacte de stabilité devront être adaptés à la nouvelle situation. Il faudra aussi adopter de nouvelles règles afin de renforcer notre contrat commun : la solidarité budgétaire est normale, mais elle devient impossible à défendre si on tolère de nos partenaires un dumping social, fiscal et environnemental ou des violations de l’Etat de droit.

Il faut donc remettre les traités à plat ?

On peut changer Schengen, le Pacte de stabilité, les règles de concurrence ou imposer le respect de l’Etat de droit sans changer les traités. Si on veut en passer par là, ce ne sera pas le bon rythme pour répondre à la crise, puisqu’il faut se mettre d’accord à vingt-sept et en passer par des ratifications nationales. Le changement des traités n’est pas tabou, mais à court terme il faut des solutions pragmatiques.

La conférence sur l’avenir de l’Europe qui devait réfléchir à l’avenir semble avoir disparu…

Elle a été à court terme victime de la covid-19 : beaucoup se sont dit qu’on était dans l’urgence et donc qu’on n’avait pas besoin de penser l’avenir. Je pense qu’on a tort de dissocier les deux, sinon les citoyens nous reprocheront à juste titre de n’avoir rien fait pour qu’une crise, qu’elle soit sanitaire, environnementale ou sécuritaire, ne se reproduise plus dans les mêmes conditions. La France espère que cette Conférence sera lancée d’ici la fin de l’année afin que tout au long de 2021 elle réfléchisse à ce que doit être une politique sanitaire, climatique, commerciale, migratoire, économique après la covid-19. Et tout cela débouchera début 2022 au cours de la présidence française de l’Union européenne.

A quand une réflexion sur une politique étrangère commune ? Car la Turquie démontre que l’Union reste un nain géopolitique incapable de répondre à des agressions…

D’une part, il y a un problème de rapport à la puissance dans l’Union, le projet européen ayant été conçu contre l’idée même de puissance, les Etats en ayant fait un mauvais usage à la fois entre eux, les guerres, et à l’extérieur, la colonisation. C’est donc un projet interne de réconciliation qui rend très difficile de concevoir que l’Union puisse être en charge de questions de sécurité et de défense. Mais la situation internationale a changé la donne. Il n’y a désormais plus un Etat européen qui pense que l’on puisse simplement déléguer notre puissance aux Etats-Unis, comme c’était le cas jusqu’à présent. Il y a évidemment des nuances entre nous, mais le chemin parcouru ces trois dernières années, tant en matière commerciale que sécuritaire ou technologique, est immense.

D’autre part, il y a un sujet proprement turc : il y a eu une illusion européenne à l’égard de ce pays. On a vu en Recep Tayyip Erdogan, le président turc, la transposition au monde musulman de la démocratie-chrétienne. Or, ça n’est pas cela, l’AKP [le parti présidentiel, ndlr], on le voit aujourd’hui avec sa politique agressive en mer Egée, en Syrie, au Haut-Karabakh, en Libye, dans les Balkans et même dans nos sociétés, le président Erdogan cherchant à se positionner en protecteur des musulmans. Plus personne ne se fait d’illusions sur ce qu’est Erdogan et notre fermeté va se renforcer ces prochaines semaines. Avec la Russie et la Chine, c’est un test de souveraineté. L’Europe ne peut plus être le gentil de la bande, tous les Européens le savent désormais.

N.B.: article paru le 2 novembre

Photo Petros Karadjias. AP

Catégories: Union européenne

Les institutions européennes peinent à s'adapter au télétravail

mer, 04/11/2020 - 19:28

Le télétravail est devenu la norme dans les institutions européennes depuis mars : 80% des 43 000 fonctionnaires, agents temporaires et contractuels, qu’ils travaillent à Bruxelles, dans les pays de l’Union ou dans les pays tiers, sont tenus de rester chez eux. Or, les institutions n’étaient absolument pas prêtes à affronter cette révolution culturelle : «Jusque-là, pour travailler de chez soi, c’était une procédure complexe et tout à fait exceptionnelle», reconnaît une porte-parole du Parlement européen. «Ni la hiérarchie ni les fonctionnaires n’ont été préparés à affronter cette situation. C’est petit à petit qu’on a pris conscience que l’on n’était pas près de retrouver la routine du bureau», poursuit-elle.

Interprétation à distance

Or, le télétravail pose toute une série de problèmes : comment diriger des équipes à distance, s’assurer, sans harcèlement, que personne ne décroche, garder ses équipes motivées, le tout dans un environnement multiculturel qui implique parfois d’avoir recours à l’interprétation à distance ? Du côté des fonctionnaires, tout le monde n’a pas une pièce dédiée au bureau dans son domicile privé et cela implique des frais parfois élevés : équipement (table, chaise, ordinateur, imprimante et ses consommables), matériel de bureau, Internet, électricité, chauffage, etc.

Depuis le début de la pandémie, c’est le Parlement européen, il faut le reconnaître, qui a su s’adapter le plus rapidement. Depuis le 1er avril, il verse 40 euros pour financer la connexion internet de ses employés et leur fournit des ordinateurs portables sécurisés, des grands écrans ainsi que des fauteuils ergonomiques. Il a aussi immédiatement mis en place des formations pour ses cadres et des cellules d’assistance psychologiques pour les fonctionnaires qui en ont besoin. Ce n’est pas énorme, mais à côté de la Commission, c’est beaucoup.

Angle mort

L’exécutif européen, en dehors de la fourniture d’ordinateurs portables sécurisés, n’a en effet strictement rien prévu pour son personnel, confirmant ainsi que la gestion des ressources humaines reste l’un de ses angles morts… Comme le fait remarquer un syndicat, Safe Europe, elle en a pourtant les moyens : «Durant cette période de télétravail qui dure depuis plus de sept mois, la consommation d’énergie des bâtiments a fortement chuté, ce qui représente un bénéfice financier considérable qui se chiffre en plusieurs centaines de milliers d’euros.» Sans compter qu’à terme, les institutions vont sans doute pouvoir se débarrasser d’une partie des immeubles qu’elles occupent, ceux-ci n’étant plus nécessaires.

Autant d’économies qui devraient bénéficier aux employés qui, pour l’instant, en sont de leur poche : certes, les salaires sont élevés, mais c’est loin d’être le cas de ceux qui ont été embauchés après la réforme de 2004. Un porte-parole de l’exécutif européen affirme que des aides vont être débloquées : «Nous allons fournir du matériel, qui restera la propriété de la Commission, au personnel pour permettre de bonnes conditions de télétravail. Nous finalisons actuellement les détails pratiques.» Mieux vaut tard que jamais.

Photo: Yves Herman. Reuters

N.B.: article paru le 2 novembre

Catégories: Union européenne

Budget européen : «Les blocages viennent des Etats qui refusent de négocier avec le Parlement»

mer, 04/11/2020 - 19:16

Les négociations sur le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, c’est-à-dire le budget de l’Union, entre les Vingt-Sept et le Parlement européen sont bloquées. Réuni à Bruxelles les 15 et 16 octobre, le Conseil européen des chefs d’Etats et de gouvernement a refusé de l’augmenter comme le demande le seul organe de l’Union élu au suffrage universel. Entretien avec la députée européenne LREM Valérie Hayer (membre du groupe politique Renew), 34 ans, l’une des rapporteures sur les questions budgétaires, qui se montre très critique de l’attitude des Etats membres.

Le message des gouvernements est clair : le CFP qu’ils ont négocié en juillet est à prendre ou à laisser !

L’Allemagne, qui exerce la présidence semestrielle tournante du Conseil des ministres de l’Union, ne nous avait pas laissé beaucoup d’espoir. Après sept séances de négociations, elle nous a seulement proposé une augmentation de 9 milliards d’euros du cadre financier pluriannuel sur une enveloppe totale de 1 074 milliards d’euros ! Or, le Parlement demande 39 milliards d’euros de plus sur la période afin de renforcer 15 programmes communautaires comme Erasmus, la recherche, la défense ou encore la santé, qui ont été sacrifiés par les Etats en comparaison de l’ambition initiale de la Commission. Mais les négociations ne sont pas terminées ! Nous allons adapter nos demandes : il y a des moyens de renforcer le budget, notamment en recourant aux flexibilités entre les catégories de dépenses ou en affectant le produit des amendes sanctionnant les pratiques anticoncurrentielles au budget alors qu’aujourd’hui elles servent à diminuer le montant des contributions nationales, ce qui est un non-sens.

Parmi les exigences du Parlement, il y a la création de nouvelles «ressources propres», c’est-à-dire d’impôts européens qui permettraient d’abonder le budget sans passer tous les sept ans par un accord unanime des Etats membres.

Effectivement, le Parlement a averti dès 2018 qu’il ne donnerait pas son accord à un nouveau CFP sans nouvelles ressources propres. C’est la mère de toutes les batailles puisque ces ressources appartiendront en propre à l’Union. Elles permettront aussi soit de poursuivre un objectif environnemental, comme la contribution sur les plastiques non recyclables que les Vingt-Sept ont décidé de créer lors de leur sommet de juillet ou le prélèvement carbone sur les entreprises non européennes qui ne respectent pas nos normes, soit de faire payer ceux qui ne paient pas leur juste part d’impôt, notamment en taxant les grands acteurs du numérique, les institutions financières, etc.

Ces nouveaux impôts européens sont d’autant plus nécessaires qu’il faudra rembourser les 390 milliards d’euros du fonds de relance qui vont être empruntés sur les marchés avant d’être redistribués aux Etats. Si on ne les crée pas, il faudra à terme soit augmenter les contributions nationales, c’est-à-dire les impôts des citoyens et des entreprises européens, soit couper dans le budget communautaire, deux options inacceptables… Certes, en juillet, il y a eu un accord politique entre les Vingt-Sept pour les créer à terme. Mais nous voulons un engagement juridiquement contraignant. On a bien avancé sur ce point avec la présidence allemande qui est d’accord pour que les Vingt-Sept s’engagent sur un calendrier précis.

En revanche, cela coince sur le lien que vous voulez établir entre le versement des fonds européens et le respect de l’Etat de droit.

L’Europe ne peut plus rester sans réagir aux atteintes à la liberté de la presse, à l’indépendance de la justice ou aux droits des LGTB+, sinon nous nous rendrons complices de ces régressions de l’Etat de droit. Déjà, sans les menaces du Parlement de tout bloquer, on n’aurait pas obtenu une proposition des Etats membres sur ce sujet clé, même si elle reste très insuffisante : son champ est restreint à la corruption et elle prévoit qu’il faut une majorité qualifiée en faveur d’une suspension des versements alors que la Commission proposait une majorité qualifiée inversée, c’est-à-dire une majorité qui s’opposerait à l’arrêt des versements. Nous voulons l’améliorer.

Les Etats accusent le Parlement de bloquer la mise en œuvre du plan de relance et du cadre financier pluriannuel en pleine crise du coronavirus…

Il est incroyable qu’on nous accuse du retard pris, alors que les blocages viennent des Etats qui refusent de négocier avec nous ! Nous avons le pouvoir de bloquer le CFP, c’est dans les traités européens, ce qui veut dire que le Parlement est dans son rôle en demandant des améliorations. Et il ne faudrait pas oublier que, pour l’instant, ce sont les Etats qui se menacent mutuellement d’un véto : la Hongrie et la Pologne menacent de bloquer le fonds de relance si le mécanisme sur l’Etat de droit est trop contraignant alors que les pays du nord de l’Europe menacent de le bloquer s’il est trop faible. Et d’autres refusent de ratifier le fonds de relance tant que la négociation sur le CFP avec le Parlement n’est pas terminée…

Le Parlement est-il un acteur crédible de la négociation budgétaire ? Car, tous les sept ans, il menace de tout bloquer avant de capituler…

Le Parlement, qui est moins tenu par les logiques nationales, est l’institution la plus ambitieuse pour l’Union : il est donc normal qu’il montre ses muscles. Son rôle est de créer une dynamique et de faire bouger les lignes. Je ne dirais pas qu’il se couche ou qu’il se discrédite en acceptant des compromis, car à chaque fois il obtient des améliorations, même si elles sont moins ambitieuses que celles qu’il souhaitait. Mais c’est la même chose pour les Etats membres. Regardez les Pays-Bas qui, au départ, ne voulaient pas du fonds de relance, puis l’ont accepté à condition que ce ne soit que des prêts accordés aux Etats avant de finalement concéder 390 milliards d’euros de subventions sur les 450 milliards que proposait initialement la Commission. Faire des concessions, c’est la nature même d’une négociation.

A partir du moment où les chefs d’Etat et de gouvernement se mettent difficilement d’accord à l’unanimité, la marge de manœuvre du Parlement est pour le moins étroite… Comme l’a dit Emmanuel Macron le 16 octobre, les Vingt-Sept ont besoin rapidement du fonds de relance et il faut conclure vite.

Je ne suis pas partisane de la crise pour la crise. Mais juridiquement, s’il n’y a pas d’accord sur le CFP, nous aurons un budget provisoire pour 2021 : simplement, il se fera sur la base du budget 2020, ce qui n’est pas une catastrophe puisque les plafonds seront supérieurs de 10 milliards d’euros à ceux qui ont été prévus par l’accord du mois de juillet. Et le fonds de relance, qui n’a pas besoin de l’accord du Parlement européen, peut aussi être lancé si les Etats membres le ratifient. Donc, je suis tout à fait sereine : le blocage ne sera pas de notre fait.

Est-il imaginable qu’un jour le Parlement européen soit à la table de négociation avec les Etats membres ?

Bien sûr ! La conférence sur l’avenir de l’Europe qui doit se réunir l’année prochaine doit remettre à plat les traités européens et sera l’occasion de rebattre les cartes.

N.B.: article publié le 22 octobre

Catégories: Union européenne

L'Union impuissante face aux ambitions impériales d'Erdogan

mer, 04/11/2020 - 19:08

Le président turc, Tayyip Erdogan, à droite, recevant le candidat chypriote Ersin Tatar, à Istanbul, le 5 août

Les appels à la raison des Européens n’y font rien. Le président Recep Erdogan démontre semaine après semaine qu’il n’est pas prêt à renoncer à ses ambitions impériales dans ce qu’il considère être l’hinterland naturel de la Turquie, celui de l’empire ottoman, comme le montre son implication croissante, de l’Azerbaïdjan à la Libye en passant par la Syrie ou Chypre. Le maître d’Ankara a su profiter du retrait diplomatique et militaire américain pour investir la Méditerranée, la transformant en une véritable poudrière.

De ce point de vue, l’élection, dimanche 18 octobre, de son protégé, le nationaliste Ersin Tatar, à la tête de la République turque autoproclamée de Chypre du Nord (RTCN, seulement reconnue par Ankara), à la suite d’une intervention massive des autorités d’Ankara dans la campagne électorale, n’est pas un évènement anodin.

Reprise en main de Chypre du Nord

Il s’inscrit, en effet, dans la volonté turque de faire main basse sur une partie des gisements gaziers récemment découverts dans les eaux que la Grèce et Chypre considèrent comme territoriales. La Turquie estime que tel n’est pas le cas, car elle revendique un statut particulier pour la mer Égée et elle estime que les eaux de la RTCN lui sont ouvertes, cette République n’ayant rien à lui refuser, alors que Nicosie juge qu’il s’agit de ses eaux puisque la RTCN n’a pas d’existence internationale… Depuis deux ans, Ankara envoie donc, en violation du droit international, des navires de prospection gazière accompagnés de bâtiments de guerre en mer Égée, tout comme elle n’hésite pas à traverser les eaux crétoises pour se rendre en Libye afin de fournir des armes au gouvernement de Tripoli au mépris de l’embargo international.

La reprise en main de la RTCN, créée à la suite du conflit de 1974 qui a vu l’armée turque envahir le tiers nord de Chypre afin de protéger la communauté turcophone de l’île jugée menacée par la tentative de rattachement de l’île à la Grèce concoctée par le régime dictatorial des colonels, est un pas de plus dans la stratégie de la tension mise en œuvre par Erdogan. Car le nouveau président, à la différence de son prédécesseur Mustafa Akinci, en froid avec Ankara, s’oppose à toute réunification de l’île, par exemple en créant un État fédéral avec les Chypriotes grecs : il exige, au contraire, la création de deux États, ce qui pourrait être le prélude à une annexion pure et simple de la RTCN par Ankara. Mais sans aller jusque-là, la victoire d’Ersin Tatar va permettre à Erdogan de disposer d’un levier supplémentaire pour faire reconnaître ses droits sur une partie des gisements gaziers de la mer Égée.

L’Union démunie

Face à la détermination d’Ankara, l’Union apparaît bien démunie, faute d’être une puissance militaire. Les deux seuls pays à avoir soutenu la Grèce et Chypre en envoyant bâtiments de guerre et avions de combat sont la France et l’Italie, dans une moindre mesure. Une majorité d’États membres, emmenés par l’Allemagne qui répugne à toute menace militaire, préfère jouer la carte de la négociation. Ainsi, lors du Conseil européen des 1er et 2 octobre, les Vingt-sept ont repoussé toute sanction contre la Turquie à décembre prochain et lui ont promis, si elle cessait ses forages illégaux, une amélioration de l’Union douanière qui la lie à l’UE ainsi que des moyens financiers supplémentaires pour gérer les camps de réfugiés (déjà 6 milliards d’euros versés depuis 2016).

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Erdogan a montré toute la considération qu’il accordait à l’Union en renvoyant ses navires au large de l’île grecque de Kastellorizo la semaine dernière. Vendredi, réunis pour un nouveau sommet, les dirigeants européens ont à nouveau dénoncé «les actions et les provocations unilatérales de la Turquie» et l’ont appelée à «œuvrer à la détente de manière cohérente et soutenue». Ils ont aussi condamné la décision de la RTCN de rouvrir la station balnéaire chypriote grecque de Varosha, une provocation pour Nicosie et Athènes. «Nous avons réaffirmé notre volonté de ne céder en rien à ces provocations et nous avons acté que nous reviendrons avec des décisions dans les prochains mois en fonction de l’évolution du comportement de la Turquie», a martelé le président français Emmanuel Macron. Il faudra sans doute bien plus que des menaces de sanctions économiques pour faire reculer Erdogan qui peut aussi jouer des millions de réfugiés qui se trouvent sur son sol pour maintenir à distance les Européens. Seule une implication des États-Unis pourrait changer la donne dans la région. Et elle dépendra du résultat de l’élection présidentielle du 3 novembre.

N.B.: article paru le 20 octobre

Catégories: Union européenne

Des sommets européens sous haute tension virale

mer, 04/11/2020 - 19:04

Le travail des institutions communautaires est de plus en plus perturbé par la pandémie de coronavirus. Le sommet de jeudi 15 et vendredi 16 octobre a ainsi vu, coup sur coup, le départ de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, puis de la Première ministre finlandaise, Sanna Marin, qui se sont placées en quarantaine, un membre de leur entourage immédiat ayant été testé positif au Covid-19. Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, n’a pu faire le voyage de Bruxelles, car il a été en contact avec une personne testée positive juste avant le conseil européen…

Quarantaine

Déjà, le sommet des 24 et 25 septembre avait dû être retardé d’une semaine, le président du Conseil, Charles Michel, ayant dû se placer en quarantaine. Il est d’ailleurs étonnant qu’il ait pris le risque de réunir deux fois à quinze jours d’intervalle un sommet physique des vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement alors que la pandémie connaît un rebond. Autant celui de fin juillet se justifiait, l’adoption du fonds de relance de 750 milliards d’euros et du budget européen pour la période 2021-2027 impliquant des négociations en tête-à-tête, autant les deux sommets d’automne auraient pu se tenir virtuellement, la minceur de leur agenda ne justifiant pas un déplacement des «chefs». Un problème d’ego de Charles Michel, selon de nombreux diplomates.

Ursula von der Leyen, elle, joue décidément de malchance, car c’est la seconde fois qu’elle doit se placer en isolement et sans doute pas la dernière, sa fonction, comme celle de tout le personnel politique d’ailleurs, impliquant un minimum de rencontres physiques.

Le Parlement européen, lui, après avoir repris ses sessions physiques en septembre après six mois d’interruption, a décidé, jeudi, non seulement de ne pas retourner à Strasbourg, mais de se réunir uniquement virtuellement. Pour le personnel des institutions, le télétravail reste aussi la règle comme c’est le cas depuis sept mois, ce qui a permis de limiter la diffusion du virus. Même les journalistes accrédités auprès des institutions voient leur travail bouleversé : la quasi-totalité des conférences de presse se déroule par téléconférence.

Des sommets virtuels

Autant dire qu’il est douteux qu’un sommet physique ait à nouveau lieu avant l’année prochaine. Les Vingt-sept ont d’ailleurs convenu, au cours de leur sommet de jeudi et de vendredi de se réunir chaque semaine, mais virtuellement. Ils ont enfin pris conscience qu’il était nécessaire de coordonner les mesures nationales de lutte contre la pandémie. En effet, on a l’impression que le virus se comporte différemment selon les pays tant les restrictions sont différentes d’un pays à l’autre : quarantaine de sept ou de quatorze jours, masque obligatoire en intérieur et/ou en extérieur, fermeture des bars et restaurants, interdiction de recevoir chez soi et/ou interdiction de sortir dans la rue la nuit, interdiction de voyager, de transporter des instruments de musique, d’aller sur les plages, et ainsi de suite. Cette extrême diversité des politiques sanitaires n’est pas rassurante puisque cela confirme que les gouvernements et les scientifiques n’ont pas la moindre idée de la façon dont le virus se diffuse et qu’ils multiplient des mesures bureaucratiques pour donner l’impression d’agir. Surtout, l’enjeu économique et social devient crucial, un effondrement des sociétés européennes (et donc des systèmes de santé) n’étant dans l’intérêt de personne.

Photo: EPA-EFE/OLIVIER HOSLET / POOL

N.B.: article paru le 19 octobre

Catégories: Union européenne

Brexit: l'ultime combat

mer, 04/11/2020 - 18:58

Retenez-moi ou je fais un malheur ! L’Union européenne et le Royaume-Uni sont montés dans les aigus alors que les négociations d’un accord commercial entre les deux rives de la Manche patinent et que l’échéance du 31 décembre, date de la sortie de Londres du marché unique, approche dangereusement.

En prenant connaissance des conclusions du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement qui s’est achevé vendredi, Boris Johnson, le Premier ministre britannique, a estimé, de Londres, que les Européens avaient «abandonné l’idée d’un accord de libre-échange. Il ne semble y avoir aucun progrès de la part de Bruxelles. Donc ce que nous leur disons, c’est : venez nous voir en cas de changement fondamental d’approche, sinon, cela nous va très bien de parler des détails pratiques» d’une sortie sans accord. Un porte-parole du 10, Downing Street en a rajouté une couche quelques minutes plus tard : «Les négociations commerciales sont maintenant terminées. Les Européens y ont mis fin en disant qu’ils refusaient de modifier leur position de négociation.»

«Nous achoppons sur tout»

Côté européen, le ton n’est pas plus amène : «L’état de nos discussions n’est pas que nous achoppons seulement sur la pêche, nous achoppons sur tout», a sèchement résumé Emmanuel Macron. Et de marteler que «nous sommes prêts à un accord, mais pas à tout prix». «Les vingt-sept Etats qui ont choisi de rester dans l’Union n’ont pas vocation à rendre heureux le Premier ministre britannique», a-t-il averti. D’ailleurs, lundi, l’équipe de négociations de l’Union européenne retourne à Londres pour essayer de conclure les discussions d’ici à la mi-novembre, date limite pour qu’un accord puisse être ratifié et entré en vigueur au 1er janvier. Signe encourageant, si l’on peut dire : pour l’instant, «BoJo» ne lui a pas dit de rester à la maison…

En réalité, Boris Johnson devait surjouer la crise, puisque c’est lui-même qui a fixé au 15 octobre la date limite pour conclure la négociation, en espérant que cela amènerait les Européens, forcément terrorisés à l’idée d’être isolés de la Grande-Bretagne, à se montrer plus flexibles. C’est raté. Les Vingt-Sept sont restés impavides sur leurs lignes rouges, même s’il est vrai que beaucoup d’Etats aimeraient bien conclure un traité avec Londres pour limiter la casse supplémentaire que provoquerait une sortie sans accord commercial : car, dans ce cas, non seulement les marchandises ne circuleraient plus librement, mais elles seraient aussi frappées d’un droit de douane et des restrictions quantitatives s’appliqueraient. En clair, on ajouterait du sable au sable qui va déjà fortement ralentir la mécanique du commerce entre les deux rives de la Manche.

Pire ou encore pire

Le dossier sur lequel Londres espérait diviser les Européens est celui de la pêche qui n’intéresse qu’une partie des Etats, dont la France. Mais, comme l’a rappelé Emmanuel Macron, le problème des Britanniques n’est pas seulement avec les droits de pêche des Européens dans leurs eaux, mais avec toutes les autres exigences de l’Union qu’ils rejettent parce qu’elles portent atteinte à leur «souveraineté» retrouvée. «Ils veulent avoir un libre accès à notre marché unique, mais sans respecter nos règles», a résumé le chef de l’Etat français, ce qui est impensable car ce serait accepter un «dumping» environnemental, social, sanitaire, etc.

Emmanuel Macron a ironisé sur la demande britannique de négocier chaque année l’accès à leurs eaux territoriales : «Va-t-on aussi négocier chaque année les conditions d’accès de leurs entreprises au marché intérieur ?» Et de rappeler que «les Britanniques ont plus besoin de nous que nous n’avons besoin d’eux». Il a pris pour exemple le marché de l’énergie qui représente entre 700 millions et 2,5 milliards d’euros pour les Britanniques alors que la pêche ne représente que 600 millions net pour l’Union européenne… Bref, si le Royaume-Uni joue la politique du pire, il va le sentir passer, l’Union n’ayant aucune intention de lui faciliter la tâche. Londres n’a en fait qu’un choix : pire ou encore pire…

N.B.: article paru le 16 octobre

Catégories: Union européenne

Brexit: the never-ending story

mer, 21/10/2020 - 21:13

L’histoire sans fin qu’est le Brexit s’invite à nouveau au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement de ces jeudi 15 octobre et vendredi 16 octobre. Car la négociation d’un accord commercial avec le Royaume-Uni est totalement bloquée. Les Vingt-sept qui ont autre chose en tête entre la pandémie de coronavirus, le casse-tête de leur fonds de relance à 750 milliards d’euros bloqué par la Pologne et la Hongrie qui ne veulent pas que le versement des fonds soit conditionné au respect de l’Etat de droit et les exigences du Parlement européen qui exige une augmentation du budget européen, vont donc une nouvelle fois devoir consacrer du temps au patient anglais…

La bonne nouvelle est que les Vingt-sept, en dépit des efforts de Boris Johnson, le Premier ministre britannique, demeurent unis : il est hors de question d’accorder au Royaume-Uni un accès préférentiel au marché unique s’il persiste à refuser de respecter les règles européennes en matière de concurrence et de normes. Les Européens estiment qu’il reste encore quelques semaines pour parvenir à un accord même si BoJo avait fixé au 15 octobre la date limite pour un accord, « mais c’est lui tout seul qui l’a annoncé », s’amuse un négociateur européen. En tous les cas, « ce n’est pas l’Union qui va tirer la prise : on va répéter nos exigences minimales », explique un ambassadeur. En clair, ce sera à Londres d’assumer l’échec. En attendant, les Européens vont se préparer au pire, au cas où. Décryptage.

• • Va-t-on vers un accord ?

« Les négociations n’avancent pas du tout même si les Britanniques expliquent qu’il y a urgence », regrette un ambassadeur européen. « Ils disent qu’ils espèrent entrer bientôt dans un « tunnel », c’est-à-dire une négociation au finish au cours de laquelle on s’échangerait des concessions, style plus de poissons contre moins de normes sanitaires, poursuit un négociateur européen. Mais ça n’est pas comme ça que ça marche, il n’y aura pas de grand marchandage final, car ce n’est pas comme cela que fonctionne cette négociation ». De fait, il faut revenir au point de départ pour comprendre ce qui se joue : l’Union a offert au Royaume-Uni, qui restera géographiquement, c’est une évidence, et économiquement proche d’elle, un accord commercial sans précédent dit « zéro droit de douane, zéro quota », c’est-à-dire un large accès au marché intérieur. Mais en échange, elle veut que les conditions de concurrence (level-playing field) soient les mêmes de part et d’autre de la Manche, en clair que Londres s’engage à respecter les règles de l’Union matière d’aides d’État aux entreprises et applique ses normes environnementales, sanitaires, sociales, etc.

Or, pour les idéologues brexiteurs, c’est tout simplement impossible : « ils nous disent que le Royaume-Uni a récupéré sa « souveraineté » et qu’il doit pouvoir décider ce qu’il veut », explique un diplomate européen. « Ils ne veulent même pas prendre d’engagement à ne pas diverger de nos normes sur le long terme. Dans ce cas, on doit pouvoir leur appliquer des droits de douane ou limiter leurs importations s’ils pratiquent un dumping normatif ou budgétaire », poursuit ce même diplomate. Pour la pêche, autre sujet explosif, c’est exactement la même chose : Londres s’estime souveraine et ne veut donc prendre aucun engagement. « En réalité, on n’est pas dans une négociation rationnelle », regrette un ambassadeur européen. « On est face à une virulence émotionnelle contre l’Union », poursuit un eurocrate : « alors que les Britanniques acceptent des contraintes lorsqu’ils négocient avec des pays tiers, ce qui est la base du droit international, ils les refusent dès qu’ils nous parlent » !

Alors, accord ou pas accord ? « Rationnellement, Boris Johnson en a besoin : il est contesté en interne, il a mal géré la crise du coronavirus, il est confronté à une crise économique majeure, Donald Trump qui le soutient, et encore, risque de perdre les élections, il n’a donc aucun intérêt à ajouter la crise à la crise », analyse-t-on à Bruxelles. « Mais franchement je ne parierai pas un euro sur la rationalité de Johnson », soupire un eurocrate.

• • Qu’est-ce qui coince ?

Les points les plus contentieux sont au nombre de trois. Il y a d’abord bien sûr la question du “level-playing field”. Des progrès techniques ont été réalisés récemment, mais Londres refuse tout engagement contraignant comme vient encore une fois de le montrer le refus des députés britanniques d’inscrire dans la loi un engagement à appliquer les plus hauts standards sanitaires sur les produits alimentaires. Londres veut se ménager la possibilité de conclure des accords commerciaux avec des pays moins regardants que l’Union comme les États-Unis qui pourraient ainsi exporter vers le Royaume-Uni leurs poulets désinfectés à la chlorine, une pratique interdite dans l’Union. Le second point de blocage concerne la question de la gouvernance de l’accord en cas de viol des engagements ou de désaccords sur son application. S’il y a eu des avancées techniques, là aussi, le récent projet de loi sur le marché intérieur britannique qui autorise le Royaume-Uni à violer la partie de l’accord de retrait conclu avec l’Union concernant l’Irlande du nord a tout bloqué : comment faire confiance à un futur partenaire commercial, s’il menace, avant même de signer un accord, de rompre ses engagements ? « Ils ont sans doute voulu nous impressionner », analyse un négociateur européen, « mais l’effet a été inverse : on se méfie encore plus d’eux et on a mis davantage l’accent sur la gouvernance pour exiger le maximum de garantis ». Et le Parlement européen a prévenu : pour ratifier un accord, il exigera que cette loi britannique qui institutionnalise la violation du droit international soit abrogée. Un nouvel élément dans l’équation…

Dernier point qui coince, la pêche. Le Royaume-Uni souhaite reprendre le contrôle de ses eaux très poissonneuses et négocier tous les ans un accès limité des chalutiers européens. L’Union, elle, souhaite conserver le large accès tel qu’il existe aujourd’hui. C’est une question très délicate pour les États côtiers, la Belgique, les Pays-Bas, l’Irlande, le Danemark et la France évidemment, qui est particulièrement intraitable sur le sujet. La question n’est pas qu’économique, pour le Royaume-Uni, le secteur de la pêche ne représentant que 0,1 % de son PIB. Elle est avant tout politique : s’y mêlent la question de la souveraineté retrouvée, mais aussi le souci de soutenir de petites industries, réservoirs de voix pour les élections. Sur le sujet, l’Union comme le Royaume-Uni disposent chacun d’un fort levier. Si les eaux britanniques sont très poissonneuses, plus des deux tiers des poissons pêchés par les chalutiers britanniques (plus de 70 %) sont revendus en Europe. Les Britanniques mangent moins de poissons, et moins de variétés de poissons, que les Européens : « qu’ils le vendent au Pérou, on verra s’ils y parviennent », se marre un diplomate européen. En outre, les Britanniques pêchent aussi dans les eaux européennes. Les deux côtés auraient donc en principe tout intérêt à trouver une solution. En principe.

· Qu’en est-il de l’Irlande du Nord ?

Le traité international de retrait de l’Union, conclu le 17 octobre 2019 est accompagné d’un Protocole nord-irlandais, supposé résoudre la question épineuse de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Cette ligne invisible de 499 kilomètres est la seule frontière terrestre entre l’Union et le pays tiers que devient le Royaume-Uni. L’idée est d’éviter l’instauration d’une frontière “en dur”, inconcevable politiquement pour des raisons historiques (les catholiques nord-irlandais, bientôt majoritaires, souhaitent leur rattachement à la mère patrie et ce désir a entraîné une guerre civile de 30 ans - les Troubles - dont la fin a été signée par un traité de paix en 1997). L’accord prévoyait que l’Irlande du Nord reste, de facto, à l’intérieur du marché intérieur européen, et que les contrôles sanitaires, sur la conformité ou le paiement de la TVA, soient réalisés entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, soit dans les ports d’entrée d’Irlande du Nord soit à bord des bateaux sur la mer d’Irlande. Mais avec sa loi sur le marché intérieur britannique, Boris Johnson s’est ménagé le droit de ne plus respecter le droit européen sur les aides d’État et de suspendre les contrôles en mer d’Irlande : « ça nous contraindrait à imposer des droits de douane aux produits nord-irlandais entrant en République d’Irlande », explique un eurocrate, autrement dit à rétablir une frontière… C’est pour cette raison aussi que le retrait de cette loi britannique est désormais un préalable à tout accord.

• • Que se passera-t-il le 31 décembre 2020 ?

« Le risque d’un no deal sur l’accord commercial n’a absolument pas la même importance qu’un no deal sur le Brexit », explique un diplomate européen. « Avec l’accord de retrait, on a organisé une sortie ordonnée du Royaume-Uni qui a débuté le 31 janvier avec son départ des institutions. Et quoi qu’il arrive, il sortira du marché intérieur le 31 décembre à minuit ». C’est à ce moment-là que 80 % du choc aura lieu et un accord sur un traité de libre-échange n’y changera strictement rien : à la fin de l’année, on va jeter une poignée de sable dans un moteur jusque-là parfaitement huilé, ce qui va ralentir les échanges. En clair, les douanes vont se mettre en place de part et d’autre de la Manche, les marchandises vont être contrôlées, notamment les produits agroalimentaires qui devront répondre aux normes phytosanitaires européennes, il n’y aura plus de reconnaissance mutuelle automatique, des tonnes de papiers devront être remplies, la TVA du pays de destination devra être payée à la frontière… Il faut imaginer les scènes de chaos que cela va entrainer, les Britanniques exportant essentiellement vers l’Union et étant largement dépendants d’elle pour ses importations.

S’il n’y a pas d’accord commercial, cela va juste un peu plus compliquer les échanges. En clair, les Européens et les Britanniques vont, en plus des contrôles douaniers qui se mettront en place quoiqu’il arrive, appliquer droits de douane et quotas quantitatifs exactement comme ils le font avec les pays avec lesquels ils n’ont pas conclu d’accord de libre-échange. Mais le choc sera terrible pour le Royaume-Uni et dans une moindre mesure pour l’Union, puisqu’il est bien plus intégré économiquement à l’Union que l’Australie ou le Canada.

Pour éviter une rupture totale, quelques accords sectoriels seront signés avec Londres, notamment dans le secteur aérien pour permettre aux avions des compagnies britanniques d’atterrir en Europe, mais sans droit de cabotage (plus de Londres, Paris, Rome par exemple). Mais pas question d’aller au-delà, sur le modèle suisse par exemple, le Royaume-Uni étant un concurrent potentiel d’une autre dimension…

N.B.: version longue de l’article consigné avec Sonia Delesalle Stolper et publié sur le site de Libé le 15 octobre

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Frontières ouvertes ou fermées, le coeur de l'Union balance

mar, 20/10/2020 - 20:03

La libre circulation au sein de l’Union européenne est l’une des victimes collatérales de la lutte contre la pandémie de coronavirus. Aujourd’hui, voyager dans l’Union est un exercice à haut risque, des pays entiers pouvant être d’une minute à l’autre classés «rouges» ou «orange» par un Etat ou un autre, sans que les zones ou les mesures sanitaires (test, quarantaine) imposées au voyageur impénitent soient les mêmes d’un pays à l’autre… Pour essayer de mettre un peu d’ordre dans l’immense foutoir qu’est devenue l’Union, les vingt-sept Etats membres ont adopté ce mardi 13 octobre une «recommandation» proposée par la Commission le 4 septembre dernier. Un premier pas timide, puisque ce texte n’est pas obligatoire et laisse une large marge de manœuvre aux Etats.

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Après la fermeture désordonnée des frontières intérieures au début du mois de mars, lorsque la pandémie a atteint l’Europe, l’Union, sous l’impulsion de la France qui s’est la première inquiétée de cette fragmentation accélérée du marché intérieur qui menaçait d’embolie les économies européennes, a multiplié les efforts pour convaincre ses Etats membres de revenir au statu quo ante, un virus n’ayant jamais été arrêté par une frontière. Il s’agissait aussi de sauver le secteur touristique vital pour les pays du Sud ainsi que les transports aériens et ferroviaires. Début juillet, non sans mal, la situation était à peu près revenue à la normale.

Politique de gribouille

Mais c’était compter sans la Belgique qui s’est mise, début août, sous l’influence de son puissant comité scientifique, à exiger de tous les voyageurs un «formulaire de localisation» avant de déclarer unilatéralement et sans aucun préavis «zones rouges» des régions, voire des pays entiers, ce qui impliquait une interdiction de voyage, et pour ceux qui revenaient de ces zones, une quatorzaine obligatoire. Ainsi, Paris a découvert le jeudi 27 août à 18 heures que la France avait basculé en zone rouge, ce qui a stoppé net le trafic du Thalys…

Le résultat de cet unilatéralisme belge ne s’est pas fait attendre : plusieurs pays ont pris des mesures de rétorsion, surtout lorsqu’ils ont découvert que la situation épidémiologique du royaume n’était pas exactement un modèle. Pire : chacun s’est mis à imiter la Belgique en interdisant des voyages dans tel ou tel pays ou région, sans aucun souci de cohérence, et/ou à exiger tests et/ou quatorzaines. Comme le note la recommandation adoptée aujourd’hui par les Vingt-Sept, «les mesures prises unilatéralement […] mettent les entreprises et les citoyens face à un large éventail de mesures divergentes qui évoluent rapidement». En septembre, seuls trois pays avaient maintenu leurs frontières intérieures totalement ouvertes : la France, le Portugal et la Suède. L’effet sur le tourisme et les transports de cette politique de gribouille a été immédiat, puisqu’il est quasiment impossible de savoir si l’on pourra ou non voyager et à quelles conditions : la saison touristique a été logiquement catastrophique et le secteur aérien, déjà sinistré, n’a pu se refaire une santé.

Commission inerte

La Commission, elle, est restée totalement inerte, se contentant le 8 août de demander des «explications» à la Belgique, alors même que la libre circulation, l’un des piliers de l’Union, était réduite en lambeau. Encore une fois, elle s’est retranchée derrière son absence de compétence, la protection de la santé publique relevant des seuls Etats. Il a fallu que fin août, Paris annonce une initiative commune avec Berlin, qui exerce la présidence semestrielle tournante de l’Union, pour que la Commission se réveille et propose une «recommandation», celle-là même qui a été adoptée en un temps record par les Vingt-Sept.

Le but de ce texte est d’harmoniser les critères sanitaires afin de définir une carte unique des zones à risques. Chaque Etat devra donc transmettre toutes les semaines au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC en anglais) les taux cumulés de cas de Covid-19 sur quatorze jours, les taux de positivité aux tests et le nombre de tests de dépistage effectués. Sur cette base, l’ECDC publiera une carte comprenant trois couleurs : vert (taux cumulé de cas de coronavirus avérés inférieur à 25 pour 100 000 habitants et taux de positivité inférieur ou égal à 4%), orange (respectivement 50 et supérieur à 4% ou inférieur à 150, mais taux de positivité inférieur à 4%), rouge (respectivement supérieur à 50 et taux supérieur ou égal à 4%, ou simplement taux cumulé de cas de Covid-19 supérieur à 150). Les Etats pourront ajouter d’autres critères : hospitalisations, réanimations et décès.

Vert, orange, rouge

A partir de là, les pays pourront décider, après en avoir averti la Commission et les autres Etats membres au moins quarante-huit heures à l’avance, que les voyageurs provenant de zone orange ou rouge devront se soumettre à une quarantaine, un confinement et/ou à un test de dépistage (la carte de l’ECDC est ici). Seules exceptions : ceux qui exercent des «fonctions essentielles», des étudiants aux journalistes en passant par les frontaliers, les diplomates, les salariés du secteur des transports, etc. Enfin, les Etats devront informer le public des nouvelles mesures au moins vingt-quatre heures à l’avance alors que la Commission avait proposé cinq jours pour permettre de se retourner.

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Clément Beaune, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, estime que «cet accord permet d’éviter les fermetures de frontières et privilégie les mesures de contrôle sanitaire les moins pénalisantes, comme les tests». Ce n’est pas l’avis des transporteurs aériens (Airlines for Europe et Iata) et des aéroports (ACI Europe) qui, dans un communiqué, accusent l’Union de mettre en danger des millions d’emplois puisque en pratique, les voyages resteront toujours aussi risqués : d’une part, la quarantaine, qui pourra être imposée en lieu et place d’un test négatif, revient, de fait, à maintenir fermées les frontières (qui prendra le risque de passer quatorze jours enfermé à l’aller et éventuellement quatorze jours au retour pour un séjour de deux jours ?). D’autre part, l’incertitude juridique demeure trop forte puisqu’un pays pourra décider d’une quarantaine seulement vingt-quatre heures avant un voyage…

N.B.: article publié sur le site de Libé le 13 octobre

Catégories: Union européenne

Le coronavirus aura-t-il la peau de Strasbourg?

mar, 20/10/2020 - 19:43

Le Parlement européen n’est donc pas retourné siéger à Strasbourg lors de sa seconde session plénière d’octobre (du 19 au 22) après sept mois d’absence, en dépit des pressions françaises. Mais continuer à boycotter la capitale alsacienne à cause de la situation épidémique sur place devient difficile à justifier dès lors que les indicateurs s’améliorent alors que Bruxelles est en zone d’alerte maximale. Un porte-parole du social-démocrate italien David Sassoli, président du Parlement, l’a reconnu la semaine dernière : «Nous sommes prêts à aller à Strasbourg», car «la situation [sanitaire] est bonne». Les anti-Strasbourg ont donc dû mettre les formes: la session sera en grande partie «virtuelle», seuls quelques eurodéputés étant autorisés à siéger dans l’hémicycle. Le politiquement sanitaire est sauf.

Bruxelles, zone rouge

Certes, le Parlement européen a été la première institution à prendre au sérieux la pandémie de coronavirus en décidant, dès février, de généraliser le travail à distance et de ne plus se rendre à Strasbourg, son siège officiel, alors que les traités européens prévoient que douze sessions par an doivent s’y tenir (le reste du temps, le Parlement est à Bruxelles). L’argument sanitaire était fondé, puisque déplacer près de 2 500 personnes une fois par mois est dangereux en soi. Mais il a rencontré la volonté maintes fois affirmée par les quatre cinquièmes des eurodéputés de disposer d’un siège unique à Bruxelles. Sauf que depuis février, le virus s’est largement propagé dans l’Union, ce qui a affaibli l’argument sanitaire d’autant que, depuis septembre, les sessions physiques ont repris...à Bruxelles, les anti-Strasbourg invoquant la situation sanitaire en Alsace.

Les pro-Bruxelles ont aussi pu compter sur le soutien (involontaire ?) des autorités belges. Durant l’été, elles ont en effet placé petit à petit toute la France en zone rouge, ce qui impliquait pour ceux qui s’y rendaient de respecter à leur retour une quatorzaine en isolement… Un argument en or pour maintenir les sessions plénières à Bruxelles. Mais, il y a trois semaines , la Belgique a réduit la quarantaine à sept jours et elle est devenue seulement «recommandée». Surtout, la dégradation de la situation sanitaire dans le royaume s’est considérablement dégradée.

Prétextes politiques

Emmanuel Macron a donc décidé de sortir du bois le 23 septembre dans une lettre particulièrement ferme envoyée à David Sassoli et dont le contenu a été révélé par les Dernières nouvelles d’Alsace : «La situation [sanitaire] est certes difficile, mais elle l’est tout autant à Bruxelles qu’à Strasbourg», souligne-t-il. Le locataire de l’Elysée affirme sa détermination à ne pas laisser «des prétextes politiques récupérer la crainte que soulève la pandémie pour mettre en cause ce symbole de l’unité retrouvée» qu’est Strasbourg. Le chef de l’Etat estime même nécessaire de «définir des mécanismes de compensation, qui pourraient par exemple prendre la forme d‘un rallongement des sessions dans les prochains mois», celle-ci ayant été raccourcie d’un jour il y a plusieurs années et remplacées par des «mini-sessions» de deux jours à Bruxelles. Les travaux de la future conférence sur l’avenir de l’Europe pourraient aussi s’y tenir.

Si retour il y a un jour, le virus n’étant pas près de disparaitre, ce sera sous une forme allégée : les députés ne seront accompagnés que par un seul assistant parlementaire et la grande majorité des fonctionnaires continueront à télétravailler de chez eux comme ils le font depuis sept mois. Les pro-Strasbourg notent, eux, que le Parlement a fait la démonstration qu’il pouvait travailler à distance avec les autres institutions et que le siège de Bruxelles n’était au fond pas nécessaire: pourquoi ne pas transférer l’ensemble du Parlement dans la capitale alsacienne?

Photo Sébastien Bozon. AFP

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Coronavirus: la machine européenne tourne au ralenti

lun, 19/10/2020 - 15:55

Le vice-président de la Commission, Valdis Dombrovskis, lors d’une vidéoconférence, jeudi. Photo François Lenoir. AFP

Pour l’Union européenne, le déconfinement du mois de mai ne s’est pas traduit par un retour à la normale, loin de là : au sein des institutions, le télétravail reste la norme. «Or, négocier un texte par téléconférence, chacun seul dans une pièce accompagné par on ne sait qui, c’est impossible, explique un diplomate français. Dans une salle de réunion, on sait qui est là, il y a un langage corporel qui permet de deviner les intentions, des pauses pendant lesquelles on discute en bilatérale ou à quelques-uns et c’est comme ça qu’on bâtit un compromis. C’est pour cela qu’il a fallu réunir physiquement les chefs d’Etat et de gouvernement en juillet dernier pour adopter le fonds de relance de 750 milliards d’euros et le budget européen.»

«Pompiers de Tchernobyl»

Certes, l’activité est plus intense que lors du confinement. A l’époque, la Commission et le Parlement européen se sont littéralement arrêtés tout comme les groupes de travail réunissant les experts nationaux et les réunions des ministres et des chefs d’Etat et de gouvernement ont eu lieu par visioconférence seulement. Seuls les représentants permanents (RP, ambassadeurs) ont continué à se réunir physiquement après une longue discussion. «On avait l’impression d’être les pompiers de Tchernobyl. Mais si on ne l’avait pas fait, l’Union aurait été paralysée : il fallait une instance qui continue à mouliner les textes», raconte un diplomate européen. Le système de filtrage de l’air a été modifié (l’air provient de l’extérieur désormais), les portes restent ouvertes, le nombre de personnes a été limité aux 27 RP séparés par une distance de 1,5 m. Et personne n’a contracté le Covid-19.

Depuis le déconfinement, les ambassadeurs peuvent être à nouveau accompagnés d’un expert et les Conseils européens et les Conseils des ministres se réunissent physiquement au cas par cas, si le sujet implique une négociation délicate. «On arbitre entre nécessité et précaution», explique un diplomate, «car il n’y a pas que la réunion, mais aussi le déplacement pas toujours simple à organiser».

«La machine s’épuise»

A la Commission, le collège des commissaires se réunit aussi à nouveau et au Parlement, les députés européens sont de plus en plus nombreux à revenir au travail. Ainsi, lors de la session plénière de septembre, 430 députés sur 705 étaient là. «Tous les rapporteurs et les présidents de commission sont là depuis l’été et les commissions les plus importantes se réunissent physiquement», explique une fonctionnaire. «Le Parlement, c’est une agora, il faut que les gens se rencontrent physiquement, qu’ils discutent à la cafétéria ou au restaurant. C’est d’autant plus nécessaire que 60% des députés sont nouveaux et que les équilibres politiques ont été bouleversés», analyse un diplomate. «Mais ça marche en dépit des difficultés comme le montre notre travail», se félicite un porte-parole du Parlement.

Au niveau des fonctionnaires, la norme reste le télétravail à 80% et «on sent que la machine s’épuise : le télétravail, c’est bien pour des équipes qui se connaissent et qui bossent sur un sujet qu’elles maîtrisent. Dès lors que ces deux conditions ne sont pas remplies, la mécanique grippe», reconnaît un fonctionnaire. «Plus le temps va passer, plus ça va devenir difficile», pronostique un diplomate.

N.B.: article paru le 28 septembre

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Le parquet européen parlera only english, so it is

lun, 12/10/2020 - 16:54

C’est une décision étonnante pour la première institution communautaire créée après le Brexit : le Parquet européen, qui va entrer en fonction en novembre, vient de décider de travailler uniquement en anglais. Ou plutôt en globish, cette version abâtardie de l’anglais, d’autant plus que le seul pays anglophone de l’Union, l’Irlande, ne participe pas à cette «coopération renforcée» entre 22 Etats membres (le Danemark, la Pologne, la Hongrie et la Suède restent aussi en dehors, ce dernier pays venant d’annoncer qu’elle allait y participer). «C’est vraiment un coup dur, d’autant que la procureure européenne, l’ancienne procureure générale de Roumanie Laura Codruta Kövesi, a été nommée en octobre 2019 avec l’appui de la France (1)», commente amer un diplomate français.

«Lunaire»

Cette décision a été votée par une très large majorité du collège des 22 procureurs européens, un par Etat participant, qui assistent la procureure en chef. «A vrai dire, il était clair, sauf dans l’esprit des Français, qu’il fallait une langue unique pour travailler efficacement, explique un eurocrate. Et l’anglais est toujours l’une des langues de l’Union selon le règlement 1-58.» «Cela paraît lunaire alors qu’il n’y a aucun parquetier qui soit un «native english speaker», mais il faut comprendre que ce sont des gens de terrain et non des diplomates. Il est donc rare qu’ils parlent autre chose comme langue étrangère que l’anglais», souligne un diplomate européen.

Déjà, la Commission, dans son projet de règlement sur le parquet européen (qui a été adopté le 12 octobre 2017), a tenté d’imposer l’anglais comme langue de travail : mais la France a réussi à faire supprimer cette précision en invoquant l’indépendance du parquet européen en matière de régime linguistique. «Ça se retourne contre le français, et on n’a aucun moyen d’attaquer cette décision devant la Cour de justice», regrette un diplomate français.

Langue de travail

Mais attention : il s’agit seulement de la langue de travail interne à l’institution. Dans les rapports entretenus avec la Cour de justice de l’Union, dont la langue de travail est le français, la langue de Molière retrouve toute sa place au côté de l’anglais. De même, entre le Parquet européen et les «procureurs européens délégués» siégeant dans les 22 Etats participants (et désignés par eux) qui sont ceux qui mèneront sur le terrain les enquêtes ouvertes par Luxembourg – siège du Parquet européen – et procéderont aux poursuites pénales, les rapports se feront dans la langue nationale. Les pièces de procédure devront être traduites, ce qui est bien la moindre des choses.

Reste qu’une langue n’est pas seulement un instrument de communication. Elle véhicule des concepts juridiques que l’on ne retrouve pas dans l’ensemble des droits nationaux : c’est particulièrement vrai de l’anglais, les droits continentaux étant très différents du droit anglo-saxon. Or, avec le Parquet européen, on entre dans le domaine pénal qui affecte les libertés individuelles, même si ses compétences sont pour l’instant limitées à quelques infractions spécifiques liées à la lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l’Union.

Mais la volonté de la Commission et du Parlement européen est d’étendre à terme ses compétences à l’ensemble de la criminalité transfrontalière : va-t-on décalquer le droit britannique pour obtenir la précision nécessaire dès lors que tout se fera en anglais ? L’influence britannique par-delà le Brexit, un délice pour les Brexiters.

(1) Pour un mandat de sept ans non renouvelable.

Photo : LCV/Shutterstock.com

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Coronavirus : l’agonie du débat démocratique

sam, 10/10/2020 - 15:06

Est-il possible de débattre, en France, de la gestion de la crise du coronavirus ? Une question a priori incongrue dans une démocratie qui se définit non seulement par des élections régulières, mais par un débat permanent entre citoyens et partis sur les politiques publiques et les choix politiques qui les sous-tendent.

Elle est pourtant légitime puisque, depuis le confinement décidé en mars dernier, toute interrogation sur la politique gouvernementale et ses effets en matière de libertés publiques, économique et sociale suscite des réactions extrêmement violentes : questionner la politique sanitaire gouvernementale serait la marque, au mieux, d’un esprit eugéniste souhaitant la mort des vieux et des faibles, au pire d’un esprit malade et/ou complotiste. Il n’y a plus de place pour la nuance : soit on soutient totalement le gouvernement et les scientifiques qui le conseillent, soit on est bon à enfermer. J’avais déjà noté cette inquiétante dérive en avril dernier à propos de l’État d’urgence sanitaire et du confinement à la chinoise décidé par toute une série de gouvernements démocratique à travers le monde. Six mois plus tard, rien n’a changé, la peur semblant avoir submergé l’espace de débat démocratique qui est pourtant la condition de toute démocratie libérale.

Peur primale

Le débat sur la gestion de la pandémie est rendu d’autant plus difficile qu’il fait intervenir la peur primale de mourir ou de voir ses proches mourir à cause d’un virus dont on ignore encore beaucoup et que certains ont annoncé presqu’aussi mortel que la grippe espagnole. Si chacun se sent légitime de débattre de la politique économique, de la politique pénale, de la réforme des institutions, de la construction communautaire, de la réforme du droit des contrats, du changement climatique, de l’agriculture, même sans aucune formation, l’enjeu à court terme n’est pas le même : une mauvaise politique économique peut conduire à un chômage de masse, mais le risque est lointain. En clair, une maladie transmissible dont le taux de mortalité n’est pas connu, c’est un danger immédiat, l’effondrement économique et social, le chômage, la misère, la faim, les maladies induites, c’est un risque jugé lointain et évitable. Dès lors, la tendance est forte d’opposer la santé à l’économie alors que l’une ne va pas sans l’autre : il est rare que les habitants d’un pays pauvres bénéficient d’un système de santé performant… Mais introduire de la rationalité en pleine peur primale est une tâche impossible.

C’est là qu’intervient la médecine, le saint Graal qui va nous sauver du virus. Le problème est qu’il ne s’agit pas d’une science exacte, même si les médecins qui squattent les médias cherchent à donner l’impression inverse. Les arguments d’autorité pleuvent : ils savent, eux, et tous ceux qui ne sont pas médecins devraient se taire. Si d’aventure certains scientifiques ne pensent pas comme eux, ce sont des fous, des incompétents ou des criminels voire les trois à la fois. Le docteur Gilles Pialoux en clamant le 17 août que « nier la reprise de l’épidémie, c’est du négationnisme » met ainsi sur le même plan la négation du génocide des juifs par des fanatiques néo-nazis, un fait historique prouvé, et l’analyse que l’on peut faire de l’évolution à venir de la pandémie, un débat scientifique sur lequel il n’y a pas consensus. Il vise ainsi à interdire brutalement tout débat, en le frappant d’illégitimité. Et peu importe que ces médecins se soient souvent trompés depuis l’apparition du virus : rappelons qu’au départ beaucoup jugeaient qu’il s’agissait d’une simple grippe alors que d’autres annonçaient l’apocalypse, qu’une majorité d’entre eux affirmaient que le masque ne servait à rien sans même parler des désaccords profonds et persistants sur les modes de transmission ou les raisons pour lesquelles la maladie est plus dangereuse pour telle ou telle catégorie de la population. Qu’un médecin tâtonne et se trompe, c’est normal, l’histoire médicale est pleine de consensus qui ont depuis volé en éclat (rappelons-nous Ignace Semmelweiss mort pauvre, fous, chassé de l’université qui ne croyait pas à sa découverte, la prophylaxie), mais un minimum de modestie et de prudence devrait présider à leurs prises de paroles.

L’expertise n’est pas le politique

On oublie que, souvent, ceux qui s’expriment ne sont ni épidémiologistes ni virologues, que certains ont des conflits d’intérêts, car rémunérés par des laboratoires pharmaceutiques, que d’autres ont un agenda politique, que les querelles de chapelles sont aussi féroces que leur égo est démesuré, bref que ce sont des hommes (et quelques rares femmes) faillibles. Mais quand on panique face à l’inconnu ou à l’inattendu, la tendance humaine est de s’en remettre à ceux qui sont censés savoir et donc nous protéger : prêtres, militaires, médecins. Et c’est bien ce qu’a fait le pouvoir politique qui s’en est remis à un « Conseil scientifique », paniqué à l’idée de devoir répondre pénalement de ses fautes, le principe de précaution étant inscrit dans la Constitution.

Entendons-nous bien : je ne remets pas en cause la nécessité d’avoir recours à l’expertise. Mais ce n’est pas aux experts de dicter la politique à mener, c’est au pouvoir légitime. C’est à lui de peser les coûts et les inconvénients d’une décision. Toute activité humaine présente des dangers, des transports au tabac, en passant par le nucléaire, les industries, etc., et, surtout, l’État de droit impose des limites à l’action gouvernementale, celle-ci devant être proportionnelle au but recherché. Lorsque Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, se répand dans la presse le 9 septembre en affirmant que le gouvernement « va être obligé de prendre un certain nombre de décisions difficiles dans les huit à dix jours maximum », il sort de son rôle d’expert. Tout comme le docteur Gilles Pialoux qui réclame, dans le Parisien du 6 octobre, que la police puisse perquisitionner les domiciles privés sans mandat pour vérifier que l’on ne reçoit personne (ce qui n’est pas (encore) interdit en France) : quelle est sa compétence pour juger que les libertés publiques ne sont pas un sujet ? Le docteur Axel Kahn, le 6 octobre sur France Culture, a même été jusqu’à se montrer admiratif de l’efficacité du modèle chinois. Pour lui, « face à une pandémie, c’est un inconvénient d’être dans une démocratie et encore plus dans une démocratie contestataire ». Imaginons un instant un militaire tenir ces propos en temps de guerre…

Cancel culture

Une partie des médias, et c’est sans doute le plus terrible, ne joue pas son rôle démocratique, bien au contraire. Certains se comportent comme les chiens de garde du pouvoir délégitimant tous ceux qui n’épousent pas le discours officiel. Ainsi, Le Monde a publié, le 25 août, un article consacré aux « antimasques » qui est un modèle de la « cancel culture » à l’américaine : pour le journal, ceux qui critiquent le port du masque en toute circonstance et ceux qui critiquent uniquement son port en extérieur sont mis dans le même sac - les antivaccins sont ajoutés pour faire bonne mesure - et assimilés à des « complotistes » et des « conspirationnistes ». Le fait que le gouvernement français et de nombreux scientifiques ont nié durant plusieurs mois que le masque était utile même en intérieur pour des personnes bien portantes n’est même pas cité tout comme le fait qu’aucune étude scientifique ne montre qu’il y a un risque de contamination en extérieur en dehors de quelques endroits très spécifiques (comme les marchés). Au moment où l’article est paru, il n’était même pas obligatoire en entreprise…

Depuis, le vocabulaire médiatique s’est encore affiné : on parle désormais de « rassuristes » par opposition aux « alarmistes ». Mais attention, l’alarmisme, comme dans cet article du site de France Info, c’est la vérité, c’est la normalité, celle que l’on n’interroge pas. Le sujet, c’est cette étrange secte de « rassuristes » dans laquelle on mélange joyeusement des complotistes allumés, des antivaccins, des gilets jaunes et de dignes professeurs qui ne partagent pas le consensus ou des personnalités qui critiquent la politique de gribouille du gouvernement.

Mentalement dérangé

Pour France Info, mais elle n’est pas la seule, ceux qui ne communient pas dans l’unité nationale forment un bloc animé par une « défiance » compulsive à l’égard de l’autorité : en clair, ce n’est pas la raison qui préside aux critiques de l’action gouvernementale, raison réservée par principe aux « alarmistes », c’est une pulsion qui, comme toute pulsion, relève du champ psychiatrique. Comme dans « 1984 » d’Orwell, ceux qui ne croient pas à la vérité du jour, qui était le mensonge d’hier, sont des déviants mentalement dérangés que l’on doit écarter de la vie publique.

Qu’il faille des mesures sanitaires, notamment les gestes barrières, est une évidence: il n’est pas question de laisser mourir quiconque de façon délibérée. Et lorsque le gouvernement décide d’une mesure, chacun doit s’y plier. Mais cela ne doit en aucun cas empêcher de questionner ces décisions et leur pertinence. Par exemple, fallait-il confiner un pays entier alors que la première vague n’a touché que le grand Est et la région parisienne ? Le confinement général, qui visait à éviter un engorgement des hôpitaux, ne risquait-il pas de faire croire à la population qu’il s’agissait de faire disparaitre le virus (citons encore le docteur Kahn : « L’arme absolue contre le virus, le confinement, le confinement complet, total, prolongé ») ? Le coût d’un confinement brutal ne risquait-il pas de faire des dégâts bien plus grands qu’une lutte fine contre le virus (gestes barrières, tests, traçages, confinements ciblés) ? Ces dégâts économiques et sociaux qui auront un effet sur la santé des Français à moyen et long terme, la bonne santé économique allant de pair avec la bonne santé tout court, ont-ils été justement pesés ? Pourquoi ne pas protéger les groupes à risques qui sont parfaitement identifiés depuis mars et laisser le reste de la population vivre normalement en respectant les gestes barrières, exactement comme en Suède ? Fallait-il suspendre l’ensemble des libertés publiques au risque de ne jamais les recouvrer comme le montre l’interdiction prolongée des manifestations ? Fallait-il reconduire l’État d’urgence sanitaire jusqu’à bientôt l’inscrire dans le droit commun ? Pourquoi avoir fermé les petits commerces qui pouvaient limiter le nombre de clients et pas les supermarchés ? Pourquoi l’administration a-t-elle souvent rajouté une couche d’interdits absurdes aux recommandations déjà contestables des scientifiques comme l’interdiction de transporter des instruments de musique dans le Morbihan ?

Lire par ailleurs l’interview de l’économiste Rober Boyer sur les conséquences économique du confinement

La fin des démocraties libérales?

Dans le même ordre d’idée, quel était le sens de l’autorisation de sortir que l’on s’accordait à soi-même ? Pourquoi imposer le port du masque en extérieur alors qu’aucun médecin ne le demande tout en maintenant ouverts les restaurants et les bars, le port du masque ne redevenant obligatoire que si l’on se lève ? Pourquoi imposer le masque aux enfants à partir de 11 ans ? Pourquoi pas 10 ou 12 ans ? Un enfant en retard d’une classe sera-t-il le seul à être masqué dans sa classe ? Pourquoi avoir maintenu ouvertes les cantines scolaires ? Pourquoi imposer le port du masque en voiture dès lors qu’on est seul comme à Nice ? Ou à moto sous un casque intégral comme à Paris avant que le préfet ne change d’avis ? Pourquoi avoir fermé les salles de sports où presqu’aucun cas de contamination n’a été signalé ? Pourquoi limiter l’ampleur des rassemblements sans tenir compte de la capacité des salles ? Pourquoi fermer les restaurants à Marseille et pas à Paris (avant de les rouvrir à Marseille) ? Pourquoi une politique de dépistage aussi incohérente au lieu de concentrer les tests sur les foyers identifiés ? Pourquoi avoir changé au moins cinq fois d’indicateurs pour juger des risques épidémiques sans jamais l’expliquer ? Peut-on vivre durablement dans une société où la sécurité juridique n’existe plus, le gouvernement ou les préfets pouvant interdire toute activité ou fermer et ouvrir à leur guise tout type d’établissement ? Pourquoi nos voisins nordiques n’ont-ils pas adopté toutes ces mesures ? Le virus se comporte-t-il différemment selon les pays ? Etc., etc.

Il est proprement sidérant qu’aucune de ces questions n’aient été traitées dans l’espace public. Finalement, il a fallu que certaines régions, lassées de se voir imposé par Paris des mesures jugées injustifiées, se révoltent pour que le débat commence à naitre. Mais il reste prudent tellement la peur est grande de se faire accuser de vouloir la mort de ses compatriotes... À ma connaissance, l’exercice de ses droits démocratiques, en particulier celui de demander au gouvernement et aux experts sur lesquels il s’appuie de justifier et d’expliquer leurs décisions, n’a jamais tué personne. On peut vraiment s’interroger sur la fatigue démocratique des citoyens qui semblent se résigner à la disparition des démocraties libérales que les États jugent désormais inadaptées à la gestion des crises.

Dessin de Nicolas Vadot

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Belgique: deux ans de négociations pour accoucher d'un fragile gouvernement

lun, 05/10/2020 - 19:11

Seize mois après les élections législatives de mai 2019, la Belgique a enfin un gouvernement fédéral ! Il sera dirigé par le libéral flamand Alexander De Croo, 44 ans, fils de Herman De Croo, un crocodile de la politique belge. Il a été investi par une confortable majorité par le Parlement belge jeudi 1er octobre.

C’est la fin d’une très longue crise puisqu’elle a, en réalité, débuté en décembre 2018 lorsque le gouvernement du libéral francophone Charles Michel est tombé, les indépendantistes flamands de la N-VA, premier parti de Flandre (la région compte 6,6 millions habitants sur les 11,5 millions du royaume) et principale formation de la coalition au pouvoir, ayant claqué la porte. La Belgique a donc battu cette année son propre record sans gouvernement, l’intérim de 2010-2011 ayant duré «seulement» 589 jours… Ce qui ne veut pas dire que le pays n’a pas été géré durant cette période, puisqu’une grande partie des compétences est dévolue au niveau régional (Flandre, Wallonie, Bruxelles), communautaire (francophone et germanophone, d’une part, néerlandophone, d’autre part) et communal. Les Belges, un rien blasés après l’expérience de 2010, ne se sont guère montrés intéressés par cette interminable saga…

Deux démocraties quasi autonomes

Ce long intérim s’explique par la structure politique et linguistique du Royaume : le nord néerlandophone vote de plus en plus pour des partis indépendantistes de droite (N-VA) et d’extrême droite (Vlaams Belang), alors que le sud porte de plus en plus ses suffrages vers la gauche, l’extrême gauche et les écologistes tous attachés à l’unité de la Belgique… Il faut savoir que les partis sont scindés par groupe linguistique, en clair qu’un Wallon ne peut voter pour un parti flamand et qu’un Flamand ne peut voter pour un parti wallon (sauf à Bruxelles, ville bilingue). En clair, le paysage politique est éclaté entre deux démocraties fonctionnant de façon quasi autonome depuis une trentaine d’années. Former une majorité revient donc à essayer de concilier l’eau et le feu et l’exercice est à chaque fois plus complexe.

L’attelage fédéral qui se met en place ne pouvait donc qu’être baroque. Il est composé de sept partis, un record dans l’histoire du pays, que tout sépare : PS (francophone) et SPA (néerlandophone), libéraux du MR (francophone) et de l’Open VLD (néerlandophone), chrétien-démocrate flamand (CD&V), verts d’Ecolo (francophone) et de Groen (néerlandophone). Tous ensemble, ils disposent d’une confortable majorité parlementaire avec 88 sièges sur 150, mais beaucoup doutent que cela suffise à tenir jusqu’en 2024, date des prochaines élections générales.

Cette coalition inédite est baptisée du doux nom de «Vivaldi», car elle est formée de quatre familles politiques comme les Quatre Saisons. On l’appelle aussi «Quattro stagioni» comme la pizza… C’est une marque de fabrique belge que de trouver des appellations originales pour leur majorité : «coalition suédoise», pour l’alliance des libéraux dont la couleur est le bleu, de la N-VA dont la couleur est le jaune et du CD&V dont l’emblème est la croix, soit le drapeau scandinave ; «diables rouges» lorsqu’un accord entre socialistes, N-VA, MR et CD&V a été envisagé ; «bourguignonne» pour une éventuelle association de la N-VA, des socialistes et des libéraux, soit les trois couleurs de l’ancien duché de Bourgogne, etc.

Surenchère nationaliste

Dans l’opposition, vont siéger la NV-A, le Vlaams Belang (second parti de Flandre qui est désormais donné en tête dans les sondages), les centristes francophones du CDH et de Défi ainsi que les staliniens du PTB (francophone) et du PvDA (néerlandophone)… En clair, une majorité de députés flamands (46 sur un collège néerlandophone de 87 sièges) ne sont pas associés au gouvernement, ce qui est aussi une première. Certes, le gouvernement Michel (2014-2018) était minoritaire chez les francophones, mais ceux-ci sont en infériorité numérique en Belgique. C’est donc une grave fragilité constitutionnelle pour le gouvernement De Croo, d’autant que la N-VA s’est lancée dans une surenchère nationaliste talonnée qu’il est par l’extrême droite de Vlaams Belang.

Pour donner une idée de l’ambiance qui règne dans le pays, l’ancien secrétaire d’Etat N-VA chargé de l’Immigration, le très dur Theo Francken, a twitté une photo de lui, poing serré, prise devant le drapeau ultranationaliste flamand (un lion noir sur fond jaune sans la langue rouge de l’emblème officiel de la région) clamant : «Flandre libre.» Et de promettre de combattre ce gouvernement «sur terre, en mer et dans les airs». Autant dire qu’un long calvaire attend le gouvernement De Croo qui, de plus, devra gérer la grave crise économique héritée de la pandémie de coronavirus.

Photo François Walschaerts. AFP

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L'UE, dur avec les faibles, faible avec les durs

lun, 05/10/2020 - 19:02

«Dur avec les faibles, faible avec les forts», tel pourrait être la devise de l’Union. Dans la nuit de jeudi 1er octobre à vendredi 2 octobre, elle n’a pas hésité à sanctionner un régime biélorusse dépourvu de moyens de pression sur elle, mais elle a épargné la Turquie qui, elle, dispose des armes de dissuasion nécessaires : des moyens militaires solides et surtout des millions de réfugiés qu’elle menace d’envoyer en Europe… Bref, les Etats européens ne sortent pas grandis de ce sommet pourtant censé affirmer la puissance géopolitique de l’Union.

L’essentiel de ce Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement a porté sur l’attitude belliqueuse d’Ankara qui multiplie depuis plus d’un an les provocations en Méditerranée orientale en procédant à des explorations gazières sous protection militaire dans la zone économique exclusive (ZEE) chypriote. Une agression directe et sans précédent contre un Etat membre de l’Union qui aurait dû susciter une forte solidarité européenne.

Nouvelle vague

Mais, en dehors de la Grèce, de la France et, dans une moindre mesure de l’Italie, qui ont dépêché des moyens militaires dans la région, cette solidarité n’est que verbale, alors même que l’attitude de la Turquie dans la région est de plus en plus belliqueuse (Syrie, Libye, etc.). Berlin, en particulier, tout à la fois parce qu’elle répugne à l’emploi de la force et parce qu’elle craint plus que tout une nouvelle vague de migrants équivalente à celle de 2015, refuse d’entrer dans une logique de sanctions contre le régime de Recep Tayyip Erdogan, le président turc. «L’Union a beaucoup d’intérêts à développer une relation réellement constructive avec la Turquie, malgré toutes les difficultés», a ainsi fait valoir la chancelière allemande à son arrivée à Bruxelles.

C’est cette attitude d’une bonne partie des Etats membres qui a conduit Athènes et Nicosie à bloquer les sanctions contre le régime biélorusse, un dossier cher au cœur de la chancelière allemande, mais aussi à celui des pays d’Europe de l’Est. «La discussion a été longue et difficile», a reconnu Angela Merkel à l’issue du sommet, puisqu’il a fallu sept heures de débat «passionné» pour parvenir à rassurer la Grèce et Chypre. «Certains Etats sont très réticents quand il s’agit de tracer des lignes rouges pour la Turquie, c’est pourquoi les discussions ont pris aussi longtemps», a raconté le chancelier autrichien Sebastian Kurz, en précisant qu’il «ne pensait pas seulement à l’Allemagne».

Carotte et bâton

Au final, si les Européens affirment leur solidarité avec Chypre et la Grèce, Erdogan échappe aux sanctions qui étaient pourtant déjà prêtes. Ils préfèrent jouer de la carotte que du bâton en promettant à la Turquie une amélioration de l’Union douanière qui la lie à l’UE ainsi que des moyens financiers supplémentaires pour gérer les camps de réfugiés (déjà 6 milliards d’euros versés depuis 2016) en échange de l’arrêt des forages illégaux. C’est seulement si elle n’obtempère pas que des sanctions seraient éventuellement décidées en décembre prochain.

A LIRE Les conclusions du Conseil européen

«Nous voulons maintenant susciter un agenda constructif avec la Turquie», vu «l’importance [de nos] relations stratégiques», a expliqué Angela Merkel, à l’issue du sommet, mais «à condition que les efforts progressent pour réduire les tensions comme en témoignent certains actes accomplis ces dernières semaines».

Chaud et froid

Elle faisait notamment référence à l’accord trouvé jeudi à l’Otan entre la Grèce et la Turquie sur un mécanisme pour éviter les conflits et au fait qu’Erdogan se soit dit déterminé «à maintenir les voies du dialogue ouvertes». La Turquie est habituée à souffler le chaud et le froid afin d’obtenir le maximum de ses voisins européens. La faiblesse de la réaction de l’Union montre qu’elle a encore bien joué…

Foin de ces subtilités avec Minsk. «Nous avons décidé la mise en œuvre de sanctions contre les responsables de la répression en Biélorussie», a proclamé martialement le président du Conseil européen, Charles Michel. Effectives dès ce matin, elles visent une quarantaine de personnes impliquées dans la répression qui sont interdites de voyage dans l’Union, ce qui en période de pandémie est de toute façon compromis, et qui voient leurs avoirs gelés. Alexandre Loukachenko, le président biélorusse, n’est pas dans la liste afin de laisser la voie du dialogue ouverte. Mais «si ça se durcit, on ne s’interdit pas de mettre Loukachenko sous sanctions», a prévenu Emmanuel Macron.

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L'impossible politique étrangère européenne

ven, 02/10/2020 - 17:20

Turquie, Chine, Russie, Biélorussie : autant de pays, autant de désaccords entre les Vingt-sept. À tel point que le Belge Charles Michel, président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, a jugé nécessaire de convoquer cet été un sommet, qui a eu lieu jeudi et vendredi, centré, pour l’essentiel, sur une « politique étrangère européenne » qui, plus de vingt ans après sa création, reste un oxymore : l’Union n’est toujours pas un acteur politique sur la scène internationale.

Ainsi, alors qu’il voulait se joindre aux sanctions européennes contre Minsk - qui réprime violemment les manifestations contre le régime d’Alexandre Loukachenko-, le Royaume-Uni, fraichement sorti de l’Union, lassé des tergiversations des Vingt-sept, a décidé, hier, en coordination avec le Canada, d’agir de son côté et de punir le président bélarusse et neuf membres de son entourage… Londres aurait voulu souligner l’impuissance congénitale d’une Union pourtant dotée d’un « Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité », en la personne de l’Espagnol Josep Borell, qu’elle ne s’y serait pas prise autrement.

Impotence

Une impotence qui se vérifie dans tous les dossiers internationaux, sauf à de rares exceptions comme l’emblématique accord nucléaire iranien assassiné par Donald Trump. Néanmoins, il serait faux d’affirmer que rien n’a changé en vingt ans : l’épisode dramatique de la seconde guerre d’Irak, en 2003, qui avait vu la grande majorité des pays européens s’aligner derrière George W. Bush alors que l’Allemagne, la France, la Belgique et le Luxembourg refusaient de se joindre à l’aventure, ou encore le refus allemand en 2011 de voter à l’ONU en faveur d’une intervention en Libye voulue par la France paraissent appartenir à la préhistoire.

Car le contexte géostratégique a totalement changé en quelques années : isolationnisme américain, hostilité de Donald Trump à l’égard de l’Union, mais aussi de l’OTAN, guerre commerciale ouverte entre Washington et Pékin, Brexit, agressivité ouverte des « empires » autocratiques que sont la Russie, la Turquie ou la Chine, guerres civiles et interventions étrangères en Syrie et Libye, déstabilisation de l’Iran, etc. Le monde est devenu d’une fluidité extrême et les dangers se rapprochent du vieux continent. « Il y a désormais une compréhension par les Vingt-sept d’un contexte stratégique qui se dégrade plus vite que prévu comme en témoigne la volonté d’Ursula von der Leyen de faire de sa commission un organe « géopolitique » », analyse Thierry Gomart, patron de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Cocon confortable

Pour autant, les vieux réflexes ont la vie dure : prendre conscience des dangers n’implique pas que l’on soit d’accord sur l’urgence de la réaction à y apporter et sur les moyens à mettre en œuvre pour y parer. Ainsi, la plupart des États membres ne parviennent pas à faire leur deuil de l’OTAN, ce cocon confortable et déresponsabilisant. Seul Emmanuel Macron, le chef de l’État français, a osé affirmer, sous les huées de ses partenaires européens, que cette alliance était en état de « mort cérébrale » puisque les États-Unis s’en désengagent de facto. Il est pourtant clair que, sans avoir disparu, le parapluie américain s’est considérablement affaibli : « les Allemands ne veulent ainsi pas voir qu’il n’y a quasiment plus de VIe flotte américaine en Méditerranée et que les marines russe, chinoise, turque et iranienne y sont de plus en plus actives », avertit Thierry Gomart. En pratique, cela se traduit par « un fort décalage entre l’activisme de la France, seul pays de l’Union qui a encore une ambition globale, une marine et une armée qu’il peut projeter, et la prudence des autres États membres », poursuit Thierry Gomart. La réaction de l’Union face aux ambitions turques en Méditerranée le souligne jusqu’à la nausée : seules la France et l’Italie ont envoyé navires et avions de combat pour soutenir Chypre et la Grèce, Berlin préférant dialoguer avec Ankara, pendant que les pays de l’Est n’ont d’yeux que pour la Biélorussie et la Russie.

Dans un tel contexte, les appels d’Emmanuel Macron en faveur d’une politique étrangère commune et d’une armée européenne relèvent du vœu pieux. Sur ce dernier point, rappelons que le Fonds de défense destiné à encourager la recherche militaire qui devait être doté de 13 milliards d’euros pour la période 2021-2027 a subi des coupes sévères lors du sommet européen de juillet dernier : seuls 7 milliards d’euros lui seront finalement affectés. Rien de surprenant, en réalité : comment imaginer une armée de l’Union dotée de matériels communs alors que les Vingt-sept ne sont pas d’accord sur les menaces et la doctrine d’emploi des forces et qu’une grande majorité d’entre eux préfèrent acheter du matériel américain afin de s’attirer les bonnes grâces de Washington ?

Agir à quelques uns

Pour sortir de ces blocages persistants, certains plaident pour passer du vote à l’unanimité au vote à la majorité qualifiée (55 % des États représentant 65 % de la population). Une illusion dès lors que l’Union n’est pas un État fédéral à l’américaine : imagine-t-on un instant que la France aurait accepté d’envoyer son armée en Irak en 2003 parce qu’une majorité l’aurait décidé ? Ou qu’elle accepterait de renoncer à l’arme nucléaire parce qu’une majorité d’États membres y est favorable ?

« Si on veut forcer les choses avec la méthode communautaire, cela va échouer », prévient le pourtant très fédéraliste Jean-Dominique Giuliani, le patron de la fondation Robert Schuman. Pour lui, « ce que l’on fait aujourd’hui est déjà de la politique étrangère européenne : un ou plusieurs pays agissent de leur côté et généralement l’Union s’en satisfait puisque cela évite de s’attirer les foudres d’États tiers plus puissants. Ainsi, l’accord nucléaire iranien a été obtenu grâce à l’Allemagne et la France. De même, l’Allemagne est la plus à même pour parler commerce avec la Chine. Ou encore, la France la plus crédible pour organiser des opérations militaires au Sahel, en Méditerranée orientale ou dans le golfe persique. On progressera par l’exemple. À terme, on pourrait imaginer que l’Union charge expressément un pays ou un groupe de pays d’agir en son nom ». Bref, plutôt que de se désespérer de l’absence de l’Union en tant que telle à la moindre crise internationale, mieux vaut accepter le fait que la politique étrangère et de la défense resteront pour longtemps nationales.

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UE-Chine : Pékin tombe le masque

mer, 30/09/2020 - 19:40

Le sommet UE-Chine a eu lieu le 14 septembre dernier. Et j’ai oublié de poster ici mon analyse des rapports avec Pékin. Voici donc.

La «diplomatie du masque» restera dans les annales diplomatiques comme un fiasco retentissant de la Chine de Xi Jinping. Conçue pour reprendre pied sur un continent européen qui lui était de plus en plus hostile, sa mise en œuvre agressive a eu l’effet inverse à celui qui était recherché. Jamais la méfiance à l’égard de la Chine n’a été aussi forte. Si la «fin de la naïveté européenne» à l’égard de Pékin a été décrétée en juin 2019 par Emmanuel Macron, la crise du coronavirus l’aura cristallisée.

Discrédit

Pourtant, l’année 2020 avait plutôt bien commencé entre la Chine et l’Europe. Dès que Pékin a reconnu être confrontée à un nouveau virus, en janvier 2020, l’Europe, une puissance qui affectionne le «soft power», n’a pas mégoté son aide médicale tant bilatérale que multilatérale : plusieurs dizaines de millions de tonnes de masques, de gants, de produits désinfectants ou de vêtements de protection ont été livrées à Pékin en février. Mais cela a été fait en toute discrétion, l’UE n’ayant jamais su communiquer. En mars, le virus a atteint le Vieux Continent et la Chine lui est venue en aide à son tour. Mais celle-ci n’a pas hésité à mettre en scène cette aide pour mieux souligner l’incapacité des Etats européens à s’aider les uns les autres, l’Italie s’étant d’abord retrouvée seule pour faire face à la pandémie avant que ses partenaires ne s’organisent pour la secourir. Résultat : les opinions publiques italienne, hongroise ou serbe placent la Chine en tête des amis de leur pays, alors que Berlin se retrouve en tête des ennemis… Incroyable retournement historique.

Mais Pékin, fort de son succès d’image, ne s’est pas arrêté là , lâchant ses «loups combattants», ses diplomates en poste dans les capitales européennes. Dans les médias et sur les réseaux sociaux, ces derniers ont tenté de discréditer la lutte des Etats contre la pandémie (la France a été accusée d’avoir abandonné ses vieux dans les Ehpad, ce qui a valu à l’ambassadeur de Chine une convocation au quai d’Orsay) et d’imposer leur récit sur les origines du virus (américain, bien sûr). Une agressivité qui est d’autant plus mal passée qu’une partie du matériel chinois livré se montre défectueux.

Réveil

Début septembre, Pékin a pu constater l’ampleur des dégâts causés par son nationalisme agressif : le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, et le responsable des relations internationales du Parti communiste chinois, Yang Jiechi, ont reçu un accueil glacial dans les pays supposés «amis» lors de leur tournée destinée à préparer le sommet UE-Chine de ce lundi. Surtout, dans le même temps, une délégation tchèque emmenée par le président du Sénat, Milos Vystrcil, s’est rendue en visite officielle à Taïwan, quasiment une déclaration de guerre pour Pékin. Ce dernier coup est d’autant plus rude que la Tchéquie est un membre historique du 17+1, un format créé en 2012 par la Chine qui réunit les pays d’Europe centrale et orientale (dont 12 Etats membres de l’Union), et surtout, jusque-là, une solide tête de pont des intérêts chinois. Bref, la Chine est vite passée du statut de puissance bienveillante, celle d’un soft power à l’européenne, à celui d’une hyperpuissance nationaliste qui n’a que ses intérêts en vue. La répression du mouvement démocratique à Hongkong et le génocide contre les Ouïghours ont achevé de dégrader son image, même chez ses plus fidèles alliés.

Cela étant, l’agressivité chinoise existe depuis longtemps, au moins sur le plan commercial et technologique. Sans Donald Trump, l’UE se montrerait sans doute toujours aussi timorée. De fait, le président américain a sonné le réveil de l’Occident en se lançant dans une guerre commerciale contre une Chine accusée à juste titre de ne pas respecter les règles du jeu international, ce qui a donné des ailes aux Européens. Depuis 2017, l’Union ne cesse de renforcer son arsenal antidumping et antisubvention contre la Chine, surveille de plus en plus étroitement ses investissements sur le continent, exige une réciprocité totale dans l’ouverture des marchés, surveille les transferts de technologies, etc. En mars 2019, la Commission estimait enfin que la Chine était un «rival systémique» et non plus un ami un tantinet affamé. Ce réveil européen face à une Chine soupçonnée d’avoir caché la vérité sur la gravité de la pandémie, empêchant ainsi ses rivaux de se préparer, est durable : la récession causée par le coronavirus, la plus grave depuis trois siècles en temps de paix, va affaiblir l’Union qui va devoir se défendre férocement face aux appétits d’une Chine beaucoup moins touchée par la crise dont elle est à l’origine.

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Asile : la Commission rate son "pacte"

lun, 28/09/2020 - 19:58

C’est une belle victoire pour Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, et ses partenaires d’Europe centrale et orientale aussi peu enclins que lui à accueillir des étrangers sur son sol. La Commission renonce définitivement à leur imposer d’accueillir des demandeurs d’asile en cas d’afflux dans un pays de la « ligne de front » (Grèce, Italie, Malte, Espagne). Certes, le volumineux paquet de textes qu’elle propose ce mercredi (10 projets de règlements et trois recommandations, soit plusieurs centaines de pages…), pompeusement baptisé « Pacte sur l’immigration et l’asile », prévoit qu’ils devront, par « solidarité », assurer les refoulements vers les pays d’origine des déboutés du droit d’asile, mais cela ne devrait pas les gêner outre mesure. Car, sur le fond, la Commission prend acte de la volonté des Vingt-sept de transformer l’Europe en forteresse.

Traumatisme

La crise de 2015 les a durablement traumatisés. À l’époque, la Turquie, par lassitude d’accueillir sur son sol plusieurs millions de réfugiés syriens et centaines de milliers de migrants économiques dans l’indifférence de la communauté internationale, ouvre ses frontières. La Grèce, Etat failli, est rapidement submergée et plusieurs centaines de milliers de personnes traversent les Balkans afin de trouver refuge notamment en Allemagne et en Suède, les pays les plus généreux en matière d’asile. Passé les premiers moments de panique, les Européens réagissent de plusieurs manières. La Hongrie fait le sale boulot en fermant brutalement sa frontière. L’Allemagne, elle, accepte d’accueillir un million de demandeurs d’asile, mais négocie avec Ankara un accord pour qu’elle referme ses frontières, accord ensuite endossé par l’Union qui lui verse en échange 6 milliards d’euros destinés aux camps de réfugiés. Enfin, l’Union adopte un règlement destiné à relocaliser sur une base obligatoire une partie des migrants dans les autres pays européens afin qu’ils instruisent les demandes d’asile dans le but de soulager la Grèce et l’Italie, pays de premier accueil. Depuis, si la Turquie a à peu près respecté ses engagements, cela n’a pas été le cas des pays européens : non seulement les États d’Europe de l’Est, qui ont voté contre ce règlement, ont refusé d’accueillir le moindre réfugié, mais leurs partenaires de l’Ouest n’ont pas vraiment fait mieux. Sur 160 000 personnes qui auraient dû être relocalisées, un objectif rapidement revu à 98 000, moins de 35 000 l’ont été à la mi-2018, date de la fin de ce dispositif (la France n’en a accueilli que 5000)…

Usine à gaz

Depuis, l’Union a considérablement durci les contrôles, notamment en créant un corps de 10000 garde-frontières européens et en renforçant les moyens de Frontex, l’agence chargée de gérer ses frontières extérieures. En février-mars, la tentative d’Ankara de faire pression sur les Européens dans le conflit syrien en rouvrant partiellement ses frontières a fait long feu : la Grèce a employé les grands moyens, y compris violents, pour stopper ce flux sous les applaudissements de ses partenaires… Autant dire que l’ambiance n’est pas à l’ouverture des frontières et à l’accueil des persécutés.

Mais la crise migratoire de 2015 a laissé des « divisions nombreuses et profondes entre les États membres – certaines des cicatrices qu’elle a laissées sont toujours visibles aujourd’hui », comme l’a reconnu Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission dans son discours sur l’État de l’Union du 16 septembre. Afin de tourner la page, la Commission propose de laisser tomber la réforme de 2016 (Dublin IV) prévoyant de pérenniser la relocalisation autoritaire des migrants, désormais jugée par une haute fonctionnaire de l’exécutif « totalement irréaliste ». Mais la réforme qu’elle propose, une véritable « usine à gaz », n’est qu’un « rapiéçage » de l’existant, comme l’explique Yves Pascouau, spécialiste de l’immigration et responsable des programmes européens de l’association Res Publica.

Dublin maintenu

Ainsi, alors que von der Leyen avait annoncé, le 16 septembre, sa volonté « d’abolir » le règlement de Dublin III, il n’en est rien : le pays responsable du traitement d’une demande d’asile reste, comme c’est le cas depuis 1990, le pays de première entrée. Seules exceptions à ce principe dont la plupart existe déjà : les mineurs (le pays sera choisi en fonction de son intérêt), la réunification familiale (la Commission propose de l’étendre aux frères et sœurs du réfugié statutaire), les étrangers qui ont obtenu dans les 3 ans précédents un visa d’un État membre et, enfin, et c’est nouveau, ceux qui peuvent se prévaloir d’un diplôme ou d’une qualification acquise dans un autre pays… Bref, on ne tient toujours aucun compte de la volonté du migrant.

S’il y a une crise, la Commission pourra déclencher un « mécanisme de solidarité » afin de soulage un pays de la ligne de front : dans ce cas, les Vingt-sept devront accueillir un certain nombre de migrants (en fonction de leur richesse et population) sauf s’ils préfèrent « parrainer un retour », en clair prendre en charge le refoulement des déboutés de l’asile (avec l’aide financière et logistique de l’Union) en sachant que ces personnes resteront à leur charge jusqu’à ce qu’ils y parviennent… Ça, c’est pour faire simple, car il y a plusieurs niveaux de crise, des exceptions, des sanctions, des délais et l’on en passe… Autre nouveauté : les demandes d’asile devront être traitées par principe à la frontière, dans des camps de rétention, pour les nationalités dont le taux de reconnaissance di statut de réfugiest inférieur à 20 % dans l’Union, et ce, en moins de 3 mois avec refoulement à la clef en cas de refus. « Cette réforme pose un principe clair, explique un eurocrate : personne ne sera obligé d’accueillir un étranger dont il ne veut pas ».

Bonne nouvelle

Dans cet ensemble très répressif, une vraie bonne nouvelle : les sauvetages en mer ne devraient plus être criminalisés. On peut craindre qu’une fois passés à la moulinette des Etats, qui doivent adopter ce paquet à la majorité qualifiée (55 % des Etats représentant 65% de la population), il ne reste que les aspects les plus répressifs. On ne se refait pas.

Photo: AFP

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 23 septembre

Catégories: Union européenne

Un sommet européen tout en égo

lun, 28/09/2020 - 17:20

Tout heureux du succès du conseil européen des 17-21 juillet, l’un des plus longs de l’histoire communautaire, Charles Michel a décidé de remettre le couvert sans attendre le traditionnel sommet d’automne prévu les 15 et 16 octobre : fin août, le président du Conseil a convoqué une nouvelle réunion physique des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement les 24 et 25 septembre pour discuter politique étrangère et économie numérique. Mais dimanche 20 septembre, bardaf c’est l’embardé comme l’on dit en Belgique : Michel a annoncé que son garde du corps avait été contaminé par la covid-19 et que, cas contact, il devait s’isoler pour une semaine. Dans la foulée, il a décalé le sommet aux 1er et 2 octobre.

Visioconférence

Une décision curieuse. Car Michel aurait pu décider de basculer en visioconférence. Avant même sa quarantaine, plusieurs pays s’étaient demandé pourquoi il fallait se revoir physiquement alors que la pandémie de coronavirus n’est toujours pas terminée et que les visioconférences organisées entre mars en juillet ont montré qu’il était possible de progresser dès lors que les sujets à l’ordre du jour avaient été bien préparés par les Représentants permanents des États membres.

Ce n’est évidemment pas l’avis de l’entourage de Charles Michel qui estime qu’un sujet comme la Turquie nécessite une rencontre physique, d’autant que Chypre a pris en otage la semaine dernière le dossier biélorusse afin d’obtenir des sanctions contre Ankara qui multiplie les provocations en Méditerranée orientale. « C’est vrai, mais le dossier est quasiment résolu », nous confie un diplomate peu convaincu par l’explication.

Ego

Surtout, Michel aurait pu demander à la chancelière allemande Angela Merkel, dont le pays assure la présidence tournante du Conseil des ministres, de le remplacer aux pieds levés. Dans l’entourage de Charles Michel, on estime qu’il n’était pas « inapte » à présider, mais seulement en quarantaine et donc qu’il ne pouvait pas confier la présidence à quelqu’un d’autre. Là, on a vraiment du mal à voir la différence. « Il ne faut pas chercher très loin : en réalité, il ne voulait pas laisser la place à la chancelière qui aurait pu se prévaloir d’un succès sur la Biélorussie et la Turquie », confie, agacé, un diplomate européen. En clair, ce sommet et son déplacement d’une semaine doit tout à l’égo de Charles Michel et rien à la nécessité. D’autant qu’un nouveau Conseil est prévu dans quinze jours…

Plusieurs capitales n’ont guère apprécié ce report, car modifier les agendas de vingt-sept chefs d’État et de gouvernement avec une semaine de préavis n’est pas des plus simples. D’autant que le sommet s’étale sur deux jours, ce qui reste surprenant en ces temps de pandémie : « si ça ne tenait qu’à nous, réplique-t-on dans l’entourage de Charles Michel, on aurait pu tout faire tenir sur une journée en commençant tôt jeudi matin. Mais le Néerlandais Mark Rutte et Angela Merkel doivent aller devant leur Parlement le matin du Conseil pour expliquer ce qu’ils vont faire. Donc on n’a pas le choix : on ne peut se réunir qu’en milieu d’après-midi et tout le monde doit dormir à Bruxelles ». Afin de limiter les risques, les délégations nationales seront limitées, comme en juillet, à 7 personnes et le conseil se déroulera dans une salle qui peut contenir 335 personnes en présence des seuls chefs accompagnés d’un conseiller afin de maintenir les distances physiques.

Catégories: Union européenne

Ursula von der Leyen ou le triomphe de l'anglais

lun, 28/09/2020 - 09:24

La lettre du général de Gaulle du 19 juillet 1962, exhumée de ses archives, fait depuis quelques jours les délices des réseaux sociaux à l’heure de la « start up nation ». Sans doute adressée au ministre des Armées, Pierre Messmer, elle est ainsi rédigée : « Mon cher Ministre, j’ai constaté, notamment dans le domaine militaire, un emploi excessif de la terminologie anglo-saxonne. Je vous serais obligé de donner des instructions pour que les termes étrangers soient proscrits chaque fois qu’un vocable français peut être employé, c’est-à-dire dans tous les cas », ces derniers mots manuscrits… Nul doute que le vieux général se serait étranglé en écoutant le discours sur « l’État de l’Union » prononcé le 16 septembre par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, devant le Parlement européen. L’ancienne ministre allemande de la défense, pourtant « vendue » comme francophone par Emmanuel Macron, a parlé durant 1h20 presque uniquement en anglais (ou plutôt en globish, sa version abâtardie). Pire : plusieurs chefs de groupe politique lui ont répondu dans la langue de Shakespeare, y compris l’Allemand Manfred Weber, le patron du Parti populaire européen (PPE, conservateur) dont l’anglais est tout sauf courant.

81% en anglais

Le site germano-américain, Politico Europe, a calculé que 81 % du discours de von der Leyen était en anglais, 12% en allemand, 7% en français. Tous les compteurs anglophones se sont affolés : « elle a parlé en français pendant 80 secondes au début de son discours et pendant 2 minutes 30 à la fin ; elle a parlé en allemand pendant 9 minutes 30 au milieu ; et elle a parlé en anglais pendant 63 minutes - deux morceaux d’une demi-heure de chaque côté de la section allemande. En tenant compte du temps perdu en applaudissements, l’anglais a pris encore plus de place dans son discours - près de 85 % - car elle parle l’allemand plus couramment que l’anglais », poursuit le site.

Une vraie rupture avec tous les usages : tous ses prédécesseurs ont toujours veillé à respecter un certain équilibre linguistique entre les trois langues de travail de l’Union que sont l’anglais, l’allemand et le français, Jean-Claude Juncker (2014-2019) étant sans aucun doute l’un des orfèvres en la matière. Si la présidente de la Commission avait parlé quasi uniquement en allemand, personne n’aurait été choqué : il y a une armée d’interprètes et de traducteurs au service des institutions et il est normal que l’on parle sa propre langue dans l’enceinte où siègent les représentants des peuples européens qui sont très loin de parler tous anglais.

Entourage

Comment expliquer une telle dérive ? La raison en est simple: von der Leyen se repose sur deux hommes de confiance et deux seulement: Björn Seibert, son chef de cabinet, et Jens Flosdorff, son conseiller « communication ». Or ces deux Allemands ne parlent pas un mot de français et exigent que tout leur remonte en anglais, rares étant les fonctionnaires européens maitrisant suffisamment la langue de Goethe... Ce qui prive la présidente d’un canal d’information essentiel, la France n’étant pas un pays que l’on peut ignorer. D’ailleurs, est-ce un hasard si elle n’a pas prononcé un mot sur la défense européenne, l’un des sujets majeurs du débat en France ?

Reste que ses deux conseilleurs auraient au moins pu lui préparer son discours en allemand, ce qu’ils n’ont pas fait, sans doute parce qu’il y a un tabou persistant sur cette langue. Rappelons qu’en 1958, les premiers mots du premier président de la Commission, l’Allemand Walter Hallstein furent : « et naturellement, messieurs, nous parlerons français ». Ce basculement vers l’anglais langue unique est d’autant plus sidérant alors que le Royaume-Uni a quitté l’Union le 31 janvier et qu’il y a moins de 20 députés sur 705 dont la langue natale est l’anglais… Heureusement que le ridicule n’a jamais tué personne.

N.B.: article paru le 21 septembre dans Libération

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Etat de l'Union: Ursula von der Leyen évite les sujets qui fâchent

ven, 18/09/2020 - 21:57

L’Union européenne, en réanimation depuis mars dernier, est encore loin d’être sortie d’affaire : face à la pandémie de coronavirus, les Vingt-sept ont fait prévaloir leurs intérêts nationaux, chacun décidant de mesures sanitaires dans son coin, ce qui a bloqué le marché intérieur, enterré la libre circulation des personnes, créé une forte méfiance entre eux et, au final, plongé l’Union dans une récession sans précédent en temps de paix. Une crise systémique que les institutions communautaires ont tellement sous-estimée, en dehors de la Banque centrale européenne, qu’il a fallu que la France et l’Allemagne prennent les commandes pour sauver ce qui pouvait l’être, ce qui a souligné les graves faiblesses institutionnelles de l’Union. On attendait donc à tout le moins que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dresse, pour son premier discours sur « l’État de l’Union », prononcé le 16 septembre devant le Parlement européen, un état des lieux sans concession et donne des pistes pour que cela ne se reproduise plus à l’avenir. Or, elle a soigneusement évité les sujets qui fâchent, se contentant d’égrainer les succès passés qui ne lui doivent pas souvent grand-chose et de lister un catalogue désordonné de projetsf qu’elle va mettre sur la table.

Ce n’est pas un hasard si les mesures phares annoncées par l’ancienne ministre de la défense allemande portent essentiellement sur l’environnement et son « green new deal » sur lequel elle s’est fait élire en juillet 2019 : c’est là où s’est arrêtée la « vie d’avant » de l’Union, lorsqu’elle s’était mise d’accord, en décembre 2019, sur la neutralité carbone d’ici à 2050 (seule la Pologne n’y souscrivant pas). Comme le demandait le Parlement européen, elle propose désormais une réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre (par rapport au niveau de 1990) d’ici à 2030 au lieu de 40 % comme cela était prévu précédemment, ce qui rend l’objectif de 2050 davantage crédible. Afin de ne pas désavantager les produits européens, elle a aussi annoncé qu’elle allait proposer début 2021, comme le demandait notamment la France, une taxe carbone aux frontières qui visera les produits ne respectant pas l’accord de Paris. Mieux : 30 % de l’ensemble des fonds européens pour la période 2021-2027 seront consacrés à la lutte contre le changement climatique.

Annus horibilis

Pour le reste, Ursula von der Leyen a comme un blanc sur la période qui débute en mars, lorsque la Commission passe totalement à côté de la pandémie de coronavirus : pour son discours des 100 jours, début mars, la présidente n’en dit d’ailleurs pas un mot. Pourtant, l’Italie, totalement dépassée, appelle à l’aide sans que personne ne lui réponde, l’Allemagne et la France décrétant même un embargo sur le matériel médical, et les pays ferment leurs frontières les uns après les autres. Certes, sans compétence directe en matière de santé, la Commission ne pouvait pas faire grand-chose de contraignant dans ce domaine, mais elle aurait pu s’inquiéter de la fragmentation en cours du marché intérieur. Surtout, elle aurait pu tenter d’agir politiquement : Ursula von der Leyen n’a-t-elle pas proclamer qu’elle voulait une commission « géopolitique » ? Il a fallu que la France exige la convocation d’un conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, à la mi-mars, pour que les Européens recommencent à jouer collectif. Ensuite, toutes les initiatives prises l’ont été sur demande des gouvernements, la Commission les mettant en musique : suspension du Pacte de stabilité budgétaire, assouplissement des règles sur les aides d’État (3000 milliards approuvées), validation des plans de relance nationaux, mobilisation du budget européen et de la Banque européenne d’investissement, fonds SURE d’aide au financement du chômage partiel (16 pas vont recevoir 90 milliards d’euros a annoncé von der Leyen), fonds de relance de 750 milliards d’euros qui seront empruntés sur les marchés par la Commission, réouverture progressive des frontières, etc.

La Commission a-t-elle tiré les leçons de cette annus horribilis ? Même pas : depuis la fin du mois de juillet, les Etats, terrifiés par une possible reprise de la pandémie, ont recommencé à fermer leurs frontières au point qu’aujourd’hui la libre circulation n’est plus qu’un souvenir, le marché unique se cloisonne doucement, des secteurs entiers (tourisme, transports) sont totalement sinistrés. Là aussi, il a fallu que l’Allemagne et la France tapent du poing sur la table pour que la Commission propose enfin la semaine dernière une harmonisation des critères sanitaires et un système d’information préalable. Un minimum minimorum. On attendait donc qu’Ursula von der Leyen livre sa lecture des deux mois écoulés : on restera sur sa faim, puisqu’elle se contente de réclamer des compétences en matière de santé dans la prochaine réforme des traités, ce qui est un sujet, mais pas le seul loin de là. Aucune autocritique, aucune critique des États.

Secrétaire générale

Même sur son terrain, elle se comporte davantage comme une secrétaire générale du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement qu’en présidente de l’exécutif européen. Ainsi, elle n’analyse pas ce qui s’est passé lors du conseil européen de juillet qui a adopté le fonds de relance de 750 milliards d’euros et taillé à la serpe dans le budget communautaire 2021-2027 : en effet, l’argent des programmes communautaires géré directement par Bruxelles via le budget est réduit à la portion congrue, alors que celui du fonds de relance sera remis aux États qui le dépenseront largement comme ils l’entendent, ce qui n’est pas un progrès de l’intégration communautaire. La présidente de la Commission n’évoque même pas le futur de cette première dans l’histoire européenne, la mutualisation partielle des dettes. En effet, ce fonds est prévu pour une durée de 3 ans seulement. Est-elle favorable à sa pérennisation ? Mystère. Elle ne dit pas un mot non plus sur le remboursement des 750 milliards d’emprunts : des contributions nationales des États, ce qui risque de se traduire par une nouvelle diminution du budget européen, ou de nouveaux impôts européens (taxe sur les activités du numérique, taxe sur les transactions financières, une partie de l’impôt sur les sociétés ou du système d’échange d’émission carbone, etc.) ?

Alors que les États ont déjà commencé à réfléchir à l’avenir de l’Union, une conférence devant se réunir en 2021, Ursula von der Leyen semble s’en désintéresser totalement, alors que la séquence de la pandémie a montré à quel point une Union gérée à l’unanimité par des États aura le plus grand mal à survivre dans le monde extrêmement fluide du XXIe siècle : on ne peut attendre six mois pour réagir aux évènements en Biélorussie ou aux agressions de la Turquie ou de la Chine. Ce n’est sans doute pas un hasard si elle n’a pas dit un mot sur la défense européenne, pourtant un sujet majeur pour l’avenir de l’Europe. Bref, un discours sur « l’État de l’Union » qui doit se lire en creux, ce qu’il ne dit pas étant plus intéressant que ce qu’il dit.

N.B.: article paru le 16 septembre

Photo: Francisco Seco AP

Catégories: Union européenne

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