Quand je lui demande pourquoi il emploie continuellement des mots anglais, même ceux qui ont un équivalent français, mon neveu me répond que « l'anglais, c'est plus style ». Et, lorsqu'un résultat lui donne satisfaction, il s'écrie « Yes ! », les poings serrés, plutôt que « Oui ! » ou « Je suis content ! ».
J'y repensais l'autre jour, en voiture, alors que passait un programme de Fun Radio. Sur un ton enjoué, l'animateur enjoignait à ses auditeurs adolescents de raconter leur life — concept visiblement plus style que celui de « vie ». Après chaque chanson, une publicité les invitait à découvrir un nouveau dance floor. Tous employaient l'anglais comme une langue sacrée dont, bizarrement, les Anglo-Américains ne peuvent comprendre le sens caché, puisque, pour eux, life ne signifie que « vie » et dance floor que « piste de danse ». Ainsi apparaissait une distinction entre ceux qui parlent anglais pour se faire comprendre et ceux qui le parlent pour signifier autre chose.
Mon neveu ne déteste pas l'idée de la France. Il croit à la singularité de son pays en certains domaines ; il adore même la gouaille de Michel Audiard dans Les Tontons flingueurs… ce qui ne l'empêche pas de parler un français plein de mots anglais et de connaître les moindres célébrités hollywoodiennes dont les noms tournent en boucle sur le Réseau. Plus précisément, comme j'ai fini par le comprendre, le mot style, dans sa bouche, signifie « branché », « dans le coup », « d'aujourd'hui ». L'anglais n'est pas une langue, mais un marqueur de mouvement, d'avenir, qui ajoute à n'importe quel concept un caractère de modernité. C'est pourquoi une life paraît plus fraîche et aventureuse qu'une vie banale.
Le 26 mars 2014, M. Barack Obama s'est rendu à Bruxelles pour donner ses recommandations. Avant de participer à une réunion de l'OTAN, il a rencontré les responsables de l'Union européenne et prêché une vigilance renforcée en Syrie, tout en appelant à une grande fermeté face à la Russie de M. Vladimir Poutine. Il est également revenu sur le traité de libre-échange transatlantique cher à Washington comme aux responsables de la Commission. Sur les photos de ce sommet en bras de chemise, les responsables européens, serrés autour du séduisant président américain, ressemblent à des chefs de service autour du patron, flattés qu'il leur parle d'égal à égal. Évidemment ils étaient d'accord sur tout, les buts, les méthodes. Naturellement la rencontre s'est déroulée en anglais. Contrairement à ses lointains prédécesseurs, comme John F. Kennedy, le président américain n'a plus même à envisager l'hypothèse d'un discours en allemand ou d'une conversation en français avec les administrateurs des provinces éloignées.
Rien, en tout cas, dans cet échange politique ne ressemblait à un sommet entre États souverains. Plutôt s'agissait-il d'une réunion de bureau entre partenaires unis par une même vision du monde et des objectifs communs. Bien qu'aucune alliance militaire n'associe l'Union européenne aux États-Unis, les chefs d'État du Vieux Continent semblaient prêts à confondre leurs intérêts avec ceux de l'OTAN. Cette unité de vues s'imposait par consensus. Après avoir importé d'Amérique leurs conceptions économiques, leurs règles d'hygiène et de sécurité, leurs objectifs de dérégulation et de privatisation, leur sigle monétaire barré de deux traits et désormais leur langue commune, ils se ralliaient sans hésiter à une même ligne diplomatique et militaire substituée au vaseux projet d'Europe de la défense.
En quelques années, un supposé pragmatisme a balayé le plurilinguisme de l'Union au profit de l'anglais obligatoire. Dans la société tout entière, cette mutation amorcée depuis le milieu du XXe siècle connaît une phénoménale accélération sous l'influence d'Internet. Google, Facebook, Yahoo, Twitter et tant d'autres moyens de communication nés aux États-Unis restent modelés par les schémas de leur pays d'origine. Non seulement le Net nous confronte à l'emploi quotidien d'un anglais minimal, mais il nous incite à penser américain. Un simple coup d'œil sur la page de Google News, dans son édition française, est édifiant. Au cours de l'été, je me suis amusé à noter, jour après jour, ces informations capitales en ouverture de la rubrique « culture ». 16 août : « Michelle Obama : sa playlist hip-hop pour être en meilleure santé ». 17 août : « Décès de l'actrice Lisa Robin Kelly ». 18 août : « Un duo posthume entre Justin Bieber et Michael Jackson… » Entre les starlettes des séries TV et le dernier biopic consacré à Steve Jobs, il fallait chercher loin dans les profondeurs du classement un écho des festivals de théâtre ou de musique, nombreux en France à cette saison. Les responsables de Google rétorqueront, à juste titre, que leurs actualités sont prélevées dans les médias français. Encore faut-il savoir pourquoi l'influence de Stars Actu ou de Gala conduit à braquer continuellement nos regards sur Beverly Hills. Ainsi se généralise une vision du monde à deux vitesses : une culture internationale principalement importée des États-Unis et une actualité locale qui réduit chaque pays au rang de province.
Quelques semaines avant les dernières élections du Parlement européen, la chaîne Euronews (société française, comme ne l'indique pas son nom) organisait un débat entre les chefs de file des principaux groupes politiques de l'Union (28 avril 2014). Les quatre candidats étaient de nationalité belge (M. Guy Verhofstadt), luxembourgeoise (M. Jean-Claude Juncker) et allemande (M. Martin Schulz, Mme Ska Keller). Tous parlent impeccablement l'allemand et trois sur quatre le français — les deux premières langues maternelles de l'Europe (90 millions de germanophones, 70 millions de francophones), mais aussi celles des pays fondateurs du Marché commun, désignées depuis l'origine comme « langues de travail ». Pourtant, ce débat européen allait se dérouler entièrement en anglais sous la houlette d'un journaliste américain et d'une journaliste britannique, Chris Burns et Isabelle Kumar.
Aucune protestation, aucun étonnement ne s'exprima dans la presse ni dans la classe politique. Tout juste les téléspectateurs purent-ils remarquer que les deux intervieweurs jouaient un peu le rôle de maîtres d'école dominant le langage et ses nuances. Au contraire, les quatre participants à cet EU Debate faisaient figure d'élèves brillants et pleins de bonne volonté, sans pouvoir masquer complètement les imperfections de leur accent. Aucun d'entre eux, d'ailleurs, n'aura souligné, même pour en sourire, l'étrangeté de la situation : quand quatre locuteurs germanophones et francophones relèguent leurs langues au rang de patois et préfèrent aligner de longues phrases en anglais, avec la fière assurance de candidats à la gouvernance mondiale.
Tout, dans cette mise en scène du débat, semblait conçu pour imiter un show électoral sur CNN. Debout derrière leurs pupitres, les quatre candidats faisaient face au couple de journalistes comme pour signifier : l'Europe est une grande démocratie à l'image des États-Unis. Malgré leurs divergences politiques, les intervenants se sont également retrouvés pour dénoncer le principal danger : la « Russie de Poutine ». Et, quand la représentante des Verts a regretté que l'Europe ne s'oppose pas plus fermement à la Russie, « comme font les Américains », les autres l'ont approuvée d'un air grave. Pour le reste, tous auront proclamé la grandeur de l'Europe, la singularité de l'Europe, la puissance de l'Europe, l'influence de l'Europe, la voix de l'Europe. Mais cette parole n'était qu'une parole étrangère, dans la forme comme dans le fond, y compris pour ânonner que cette entité européenne serait seule « assez vaste pour se faire entendre à l'échelle de la planète ».
Imaginerait-on que la Chine, les États-Unis, la Russie, ces entités avec lesquelles l'Europe prétend rivaliser, s'expriment dans une autre langue que la leur ? La caractéristique de ces nations tient précisément dans ce bien commun ; si bien que la Chine s'administre en mandarin, que la Russie se gouverne en russe et les États-Unis en anglais… En ce sens, l'Union européenne, pressée de jouer son rôle au club des grandes puissances, ne saurait leur être comparée, puisqu'elle est la seule entité mondiale à s'exprimer dans une langue qui n'est pas la sienne, ou seulement très partiellement. Délaissant celles des fondateurs (le français, l'allemand, l'italien…), renonçant au principe du plurilinguisme qui a longtemps caractérisé ses institutions, elle s'en remet à la langue du plus lointain de ses partenaires : le Royaume-Uni, membre de l'Union sur la pointe des pieds et qui, bientôt, n'en sera peut-être plus, ôtant toute justification à cet extraordinaire privilège.
Lire aussi le courrier des lecteurs dans notre édition de juillet 2016.
Qu'est-ce qu'un bien-être écologiquement viable ? Comment distinguer entre le nécessaire et le futile ? L'écologie politique s'est bâtie autour de ces questions. En Espagne, les forces progressistes ont conquis des mairies et se frottent désormais à l'exercice du pouvoir. Une situation qui rappelle celle de certaines municipalités à la fin du franquisme. Pour gagner une élection en France, mieux vaut savoir s'entourer : MM. François Fillon et Pierre Bédier l'illustrent chez Les Républicains, mais la gauche de gouvernement n'est pas en reste. Sélection d'archives en rapport avec le numéro du mois.
Pendant plus de quinze ans, la Fondation Saint-Simon a favorisé en France le rapprochement d'intellectuels de la gauche modérée, de journalistes multicartes et d'industriels. La « pensée unique » fut largement son œuvre.
La fondation Saint-simon voit le jour en décembre 1982, dans l'un des salons de l'hôtel Lutétia, à Paris, sous l'impulsion de François Furet et de MM. Pierre Rosanvallon, Alain Minc, Emmanuel Le Roy-Ladurie, Pierre Nora, Simon Nora et Roger Fauroux. Alors président de Saint-Gobain, ce dernier raconte : « Nous avons pensé qu 'il fallait que le monde de l'entreprise et celui de l'Université se rencontrent. (…) Nous sommes rapidement arrivés à la conclusion que ces rencontres ne pouvaient être fécondes et durables que si nous avions des actions concrètes à mener, ce qui exigeait un cadre juridique et de l'argent. Alors, nous avons cherché des adhérents, d'où un aspect club. Chacun a rassemblé ses amis. François Furet et Pierre Rosanvallon dans l'Université, Alain Minc et moi dans le monde de l'entreprise (1). »
Soixante-douze membres fondateurs furent mobilisés, venant surtout de l'industrie, de la finance, de la haute fonction publique ou de l'univers académique (lire ci-dessous). Le nombre d'adhérents crût ensuite régulièrement, en s'ouvrant notamment à des journalistes, pour dépasser les cent vingt au milieu des années 1990. Ces échanges, présentés comme une fertilisation croisée visaient à faire entrer les sciences sociales dans les entreprises et à faire sortir les intellectuels de « leur tour d'ivoire, où n'arrivaient de l'économie que les échos des catastrophes sociales ».
A cette ouverture des espaces sociaux s'ajoutait une volonté de désenclavement idéologique. La Fondation Saint-Simon aurait ainsi dépassé les oppositions droite-gauche rapprochant « certaines personnes à l'intérieur d'un espace idéologique allant de la droite intelligente à la gauche intelligente ». Alain Minc se souvient : « La Fondation est née en pleine guerre froide idéologique et sociologique. Aujourd'hui, on se parle, mais il faut se souvenir d'où on vient. Albert Costa de Beauregard, conseiller économique de Barre à Matignon, et Jean Peyrelevade, directeur adjoint du cabinet de Mauroy, n'échangeaient pas jusqu'au jour où Saint-Simon leur a permis de découvrir qu 'ils avaient 70 % de leurs idées en commun (2). »
Si le Club Jean-Moulin - qui, à l'époque du gaullisme, regroupa syndicalistes, hauts fonctionnaires et intellectuels - servit au départ de référence, la Fondation Saint-Simon se définit « entre le think tank à l'américaine et le club de réflexion à la française » désireuse de « produire des idées, d'élaborer des projets, de formuler des diagnostics ». Cette référence à l'exemple américain renvoie aussi à l'idée que les financements privés permettraient une plus grande latitude d'action. M. Roger Fauroux explique : « Notre fierté, c'est d'avoir réussi à faire fonctionner notre machine culturelle sans avoir jamais recours à des fonds publics. » Les cotisations individuelles ne suffisant pas, les membres occupant des positions de pouvoir dans des institutions ou des grandes entreprises les sollicitèrent à hauteur de 18 000 euros environ par an. Au nombre de ces contributeurs, on trouvait la Caisse des dépôts, Suez, Publicis, la Sema, le Crédit local de France, la banque Wormser, Saint-Gobain, BSN Gervais-Danone, MK2 Productions, Cap Gemini Sogeti, etc. La fondation pouvait de la sorte compter sur un budget avoisinant les 300 000 euros, qui permit de mener à bien ses activités.
C'est ainsi qu'elle organisa dans ses locaux, situés dans un immeuble cossu du sixième arrondissement parisien, un déjeuner-débat mensuel autour de l'exposé de l'un des membres ou d'un invité. MM. Helmut Schmidt et Raymond Barre, Mgr Lustiger, MM. Robert Badinter, Jacques Chirac, Edmond Maire, Michel Rocard, Laurent Fabius, Valéry Giscard d'Estaing, etc., se sont de la sorte succédé au siège de la Fondation. La quasi-totalité des premiers ministres français y ont commenté leur politique. Ces séances rassemblaient en général entre trente-cinq et cinquante personnes. Selon Jacques Julliard, on y venait« chercher du sens à la complexité, persuadé d'y découvrir le dessous des cartes, grâce au contact direct avec des personnalités influentes ».
Toutefois, l'activité principale de la Fondation consistait en la réunion de groupes de réflexion traitant des questions économiques, sociales ou internationales. Les travaux ont été édités sous forme d'ouvrages (une quarantaine) (3) ou de notes (cent dix). Ces dernières (les fameuses « notes vertes ») oscillaient entre une dizaine et une centaine de pages. Elles visaient à présenter une vision synthétique d'un sujet, répondant ainsi aux velléités pédagogiques de la fondation. Elles devinrent presque mensuelles à partir de 1991, sous l'impulsion d'une jeune équipe (Laurence Engel, Daniel Cohen, Nicolas Dufourcq, Antoine Garapon et Denis Olivennes), regroupée autour de Pierre Rosanvallon, qui non seulement en écrivait certaines, mais choisissait les thèmes et contactait les auteurs potentiels. Editées à mille exemplaires, elles s'adressaient surtout à des hommes politiques, chefs d'entreprise, cadres supérieurs, hauts fonctionnaires, ainsi qu'à quelques intellectuels, à des syndicalistes et à un nombre croissant de journalistes, économiques notamment. Le travail de ces groupes de réflexion a également donné lieu à cinquante séminaires entre 1984 et 1993, destinés au même public et portant sur de thèmes comme « Individualisme libéral et justice sociale » ; « L'avenir du syndicalisme en France » ; ou encore « L'avenir de l'Etat-providence ». L'ensemble de cette production intellectuelle et ses modalités de diffusion jouèrent un rôle important dans la propagation des thèses libérales dans leur version « de gauche » et dans la transformation des cadres de pensée des élites au pouvoir après 1981.
Pour comprendre ce succès, rétrospectivement saisissant, il faut revenir sur la genèse de la fondation et du « décloisonnement » social qu'elle revendique. Le recrutement s'opérant par cooptation, il repose à la fois sur l'importance des liens interpersonnels et sur certaines propriétés sociales particulières. La Fondation Saint-Simon peut de la sorte s'appréhender comme une série de cercles excentriques rassemblant, autour d'un noyau central très soudé, des individus issus d'univers différenciés et attirés par des personnages « ponts ».
A l'origine de la fondation, on retrouve des gens entretenant des relations personnelles fortes, qui vont consolider l'échange social. Certaines de ces relations sont familiales : François Furet épousa en premières noces la sœur de Simon et de Pierre Nora, alors que Roger Fauroux se mariait avec la sœur d'Emmanuel Le Roy-Ladurie. D'autres renvoient à des trajectoires communes, qui ont généré des solidarités solides. Le passage au Parti communiste français entre 1949 et 1956 constitua par exemple un premier creuset d'affiliation. Emmanuel Le Roy-Ladurie et François Furet notamment y préparèrent ensemble l'agrégation d'histoire. Cet engagement, qui obligea le fils d'un ministre et un fils de banquier à transgresser leur univers social ordinaire, souda les deux hommes. Leur rupture avec le PCF après 1956 et l'anticommunisme viscéral qu'il nourrirent les rapprocha de la mouvance plus ou moins structurée autour de Raymond Aron et des revues Preuves, Contrepoint puis Commentaire auxquelles ils collaborèrent. Ils y rejoignirent des syndicalistes chrétiens qui contribueraient au lancement et à l'essor de la CFDT.
Si la lutte contre le « totalitarisme » ne constitue qu'une dimension des trajectoires des membres fondateurs de Saint-Simon, en revanche ils passent presque tous par la nébuleuse modernisatrice. Ces gens « qui voulaient à tout prix faire décoller la France » pour paraphraser Françoise Giroud, étaient avant tout des grands commis de l'Etat, des universitaires, des patrons et des syndicalistes. Ils définirent, après la seconde guerre mondiale, la formule de « l'économie concertée », comme système de collaboration permanente entre l'administration, le patronat et le mouvement syndical, à même selon eux d'en finir avec une dimension conflictuelle des rapports sociaux, vue comme « archaïque (4) ». Autour de figures comme celles de François Bloch-Lainé et de Simon Nora s'élabora une pensée « modemisatrice », assise sur une méfiance tenace à l'égard du « peuple » : « Nous étions explique Simon Nora, le petit nombre qui savions mieux que les autres ce qui était bon pour le pays, et ce qui n 'était pas complètement faux. Nous étions les plus beaux, les plus intelligents, les plus honnêtes, et les détenteurs de la légitimité (5). »
La naissance de Saint-Simon est directement liée à l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Si certains futurs membres reçoivent des postes stratégiques dans l'appareil d'Etat (MM. Jean Peyrelevade, Robert Lion), les modernisateurs sont les perdants de l'alternance. L'équilibre des forces au sein du Parti socialiste est alors très largement en leur défaveur. L'échec de Michel Rocard, devenu l'homme des modernisateurs, à faire valoir ses vues au sein du gouvernement généra un ressentiment profond. Serge July, directeur de Libération rejoindra la Fondation Saint-Simon. Il exprime cette déception dès 1981 :
« Si les intellectuels sont pour quelque chose dans l'effondrement du PC, ils ont été battus par ailleurs. Les dirigeants actuels du PS présentent la particularité d'avoir échappé aux quatre grands mouvements de ces vingt-cinq dernières années : l'indépendance de l'Algérie et la décolonisation ; le mouvement réformiste des années 1960 ; 1968 et le mouvement que j'appelle des nouveaux rapports sociaux ; le mouvement antitotalitariste. Il se trouve que les hommes qui sont aux commandes, qui sont de fait à la tête de la gauche, ne sont pas ces gens-là. Et même si Rocard a raison, il a fini par avoir tort puisqu 'il a été battu (6). »
La fondation va alors mener un large combat pour « dépasser certaines pesanteurs du passé et (…) en finir avec la diabolisation antérieure de toute culture de gouvernement, pour ouvrir intellectuellement un nouvel espace à la pensée réformatrice (7) ». C'est-à-dire en clair pour purger la gauche au pouvoir de toute sa culture marxiste, avec ce qu'elle comprend d'utopies, de conflits et de conquêtes sociales. Dans leurs analyses, les rapports de domination vont disparaître, au profit de ceux d'inclusion/exclusion, de même qu'on va passer de l'égalité à l'équité comme fondement philosophique de l'Etat-providence.
La fondation Saint-Simon conserve - voire exacerbe - l'élitisme qui caractérisait la sphère modernisatrice. Parlant de François Furet et de ses camarades, Jean Daniel a expliqué : « Je ne trouvais pas du talent à ces hommes et à ces femmes parce qu'ils étaient mes amis. J'étais devenu leur ami parce que je leur trouvais du talent. Il y avait un côté club chez nous, auquel on accédait par la cooptation, mais seulement en faisant preuve de talent (8). » Le profil-type des élus correspond peu ou prou à une « noblesse culturelle » qui serait dotée d'une essence supérieure, caractérisée par « une largeur de vues, une vision en survol, une culture générale, des capacités de synthèse, bref une somme de vertus que les dominants s'attribuent à eux-mêmes et s'accordent à exiger des impétrants qu 'ils vont coopter en leur sein (9) ». Et chacun des membres, persuadé de représenter la fraction éclairée de l'élite, d'être au contact de gens aussi « intelligents » que lui-même, reprend, diffuse et alimente assez naturellement les interventions de ses pairs. Ce profond ethnocentrisme de classe façonne des visions partagées de la société qui finissent par permettre l'économie d'un certain nombre de questions (tant les réponses paraissent implicites) et des conclusions qui - sans jamais avoir été vérifiées scientifiquement ou même dans la pratique - deviennent des « évidences » au point de ne plus devoir être discutées. S'il existe des différences entre les saint-simoniens, ils sont néanmoins d'accord sur les sujets importants, ceux qui méritent « débat », et sur la manière de les trancher.
La distance apparente entre ces individus ainsi que les effets de brouillage nés de l'opacité de leurs liens renforcent l'impact de ces diagnostics concordants. Quels rapports semblent en effet entretenir a priori un historien de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, le PDG d'une grande entreprise nationale, un haut fonctionnaire et un journaliste en vue ? Leurs avis convergents sur un sujet - comme le soutien au plan Juppé de « réforme » de la Sécurité sociale par exemple - ont une efficacité sociale remarquable, car ils paraissent peu suspects de refléter la défense d'un groupe, d'une faction, ou d'intérêts particuliers. Cette légitimité s'effrite pourtant lorsque, après avoir mis au jour les liens qui les unissent, on découvre que la plupart de ces individus ne sont pas hauts fonctionnaires, PDG, journalistes ou intellectuels, mais occupent successivement ou simultanément l'ensemble de ces positions sociales. Roger Fauroux, par exemple, est PDG, puis président d'honneur de Saint-Gobain, mais aussi énarque et inspecteur des finances. Il peut de surcroît arguer de sa proximité avec les intellectuels, puisqu'il est également normalien et agrégé d'allemand. Enfin, actionnaire du Monde (journal dont Alain Minc, trésorier de la Fondation, préside la Société des lecteurs depuis 1985), il a des relations dans la presse. De nombreux autres membres de Saint-Simon partagaient avec lui cette ubiquité qui leur permit d'exister dans des lieux différents, sous des titres différents. Elle favorisa la circulation des langages, des manières, des thèmes, et des questions, concourant à la production de problématiques communes et générant des sentiments de familiarité et de solidarité qui ne s'arrêtent pas aux divisions consacrées du jeu politique.
Nombre des membres de la fondation ont collaboré à des gouvernements au titre de conseillers techniques ou de chargés de mission. Du rapport Minc de 1994 à la commission Fauroux sur l'enseignement, leur mobilisation a été importante. Mais, explique-t-on alors, parce que les projets de société seraient de moins en moins politiques, de plus en plus techniques. Ils échoient donc à des « experts », choisis pour leur « compétence » sur un sujet donné et qu'on suppose « neutres ». L'appui que ces experts reçoivent simultanément d'intellectuels, de hauts fonctionnaires, de syndicalistes de la CFDT, d'industriels, de journalistes, etc., renforce leur position. Il permet également de disqualifier des adversaires en fustigeant leur « angélisme » (pour les intellectuels critiques), « corporatisme » (pour les autres syndicats), « démagogie » (pour les hommes politiques) ou « frilosité » (pour les gens qui se mobilisent contre les « réformes »).
Cette vision d'ensemble de la politique, moderniste et technicienne, n'est ainsi qu'une idéologie qui tait son nom. Mais, en brouillant la relation entre positions sociales et prises de position idéologiques, la fondation a accompli un travail idéologique de dissimulation de son travail politique. Si, au niveau individuel, elle a fonctionné comme un multiplicateur de capital social, elle a constitué, collectivement, un des lieux de ces multiples retournements conservateurs qui fabriquent l'atmosphère de contre-révolution dans laquelle nous vivons. L'un des résultats de ce mouvement est d'avoir réussi à faire passer les progressistes pour des conservateurs, les luttes sociales pour de l'« immobilisme » et le marché pour une valeur de « gauche ». Quand la Fondation Saint-Simon met fin à ses activités, le 31 décembre 1999, cette offensive intellectuelle et idéologique se solde par un succès : le libéralisme apparaît comme l'horizon indépassable de nos sociétés, y compris à gauche, et les lignes de partage privilégiées sont sociétales (ou « morales ») - et plus sociales.
C'est oublier que les sociétés contemporaines se sont construites de manière conflictuelle et que les progrès sociaux n'ont pas été généreusement octroyés par des élites éclairées, mais conquis de haute lutte par l'action collective. Les contre-feux allumés ici et là contre l'utopie capitaliste et ses avocats empressés viennent chaque jour nous rappeler que la « fin de l'Histoire » n'est pas écrite.
Saint-Simon : 72 membres fondateursMichel Albert (pdt AGF), Elisabeth Badinter, Aristide Patrice Blank (PDG Liaisons sociales), François Bloch-Lainé (Pdt Opéra-Bastille), Jean Boissonat (vice-pdt Expansion), Pierre Bonelli (PDG Sema-Metra), Jean-Denis Bredin, Jean-Claude Casanova, Jean-Etienne Cohen-Séat (PDG éditions Calmann-Lévy), Albert Costa de Beauregard (dir. gai. adj. BNP), Jean Daniel, David Dautresme (PDG Crédit du Nord), Claude Durand (éditeur), Roger Fauroux (PDG Saint-Gobain), Luc Ferry, François Furet, Marcel Gauchet, Jean-Louis Gergorin (conseiller du président de Matra), Franz-Olivier Giesbert, Jean-Claude Guillebaud, Pierre Hassner, François Henrot (DGT), Henry Hermand (PDG Gerec), Albert Otto Hirschman, Yves-André Istel (The First Boston Corporation), François Jacob (pdt Institut Pasteur), Jérôme Jaffré (Sofres), Jean-Noël Jeanneney, Jacques Julliard, Serge July, Serge Kampf (PDG Cap Gemini Sogety) Marin Karmitz (MK Productions), Georges Kiejman (avocat), Leslek Kolakowski (philosophe), Milosz Kundera, G. Lasfargues (Banque Vernes), Peter Laslett (sociologue), Emmanuel Le Roy-Ladurie, Maurice Levy (Publicis Conseil), Yves Lichtenberger (resp. mission emploi-nouvelles technologies), Robert Lion (Caisse des dépôts et consignations), Francis Lorentz (Bull), Henri Madelin, Pierre Manent, Bernard Manin, Gilles Margerie (Jacquin de) (inspecteur des finances), Gilles Martinet, Philippe Meyer, Jean-Claude Milleron (dir. de la prévision), Alain Mine, André Miquel (admin. de la BNF), Jérôme Monod (Lyonnaise des Eaux), Edgar Morin, Pierre Nora, Simon Nora (dir. de l'ENA), Mona Ozouf, Jean Peyrelevade (Suez), Evelyne Pisier (prof. de droit), Krzystof Pomian (historien), Jacques Revel (historien), Antoine Riboud (BSN-Gervais Danone), Jacques Rigaud (RTL), Pierre Rosanvallon, Yves Sabouret (Hachette), Rudolf Thadden (von) (historien), René Thomas (BNP), Gilbert Trigano (Club Méditerranée), Marc Ull-mann (RTL), Philippe Viannay (pdt CFPJ), Serge Weinberg (Havas), Gérard Worms (Suez), André Wormser (banquier).
Source : Plaquette de présentation du programme des séminaires publics 1985-1986 (professions à l'époque).
(1) Le Débat, Paris, n° 40, mai-septembre 1986.
(2) Les Echos, 4-5 avril 1997.
(3) Dans la collection « la Liberté de l'esprit » chez Calmann-Lévy.
(4) Voir Richard Kuisel, Le Capitalisme et l'Etat en France, Gallimard, Paris 1984.
(5) Simon Nora, Le Débat, mai-septembre 1986.
(6) « Surpris, soufflés, hors du coup... », entretien avec Serge July et Michel Marian, Esprit, octobre-novembre 1981.
(7) Pierre Rosanvallon, Le Monde, 23 juin 1999.
(8) Cité par Rieffel R., Les Intellectuels sous la Cinquième République, Calmann-Lévy, Paris, 1995, p. 479.
(9) Pierre Bourdieu. La Noblesse d'Etat ; grandes écoles et esprit de corps, Ed. de Minuit, Paris, 1989, p. 210.
In the past two decades, both the West and the Islamic world have been living through destabilizing traumatic experiences. The former’s trauma resulted from random acts of terrorism often carried by violent extremists or deranged Muslims.
These atrocious acts routinely trigger excessive and jingoistic media coverages that paint them as an existential threat; hence the continuous flow of funding for the booming global fear industry that only creates more problems than solutions. This state of psychological tyranny creates helpless dependency and compels the public and policy-makers to submissively outsource their political and intellectual will to scrutinize results and respond accordingly—a phenomenon known as “overblown”.
The latter is a synchrony of manipulation, death, and destruction. It is executed by domestic and foreign actors ranching from corrupt tyrants who are determined to never let go their seats of power, to extremely violent militants whose rhetoric and actions are at odds with the faith they claim to promote, and more sophisticated foreign predators who mastered the art of camouflage.
Against this backdrop, we are compelled to ask one of the most urgent questions facing humanity today: are Islamic values compatible with Western values?
Though the two value systems seem dichotomous, I believe they are more compatible than many believe. And since the Western values are universally known, I will focus mainly on arguments used by Islamophobes to alienate Muslims and highlight Islamic values that support my answer.
The Smearing ProcessIn the ultra-conservative and extreme evangelical propaganda apparatus, anti-Muslim rant sessions are not just daily occurrences, they are program and gathering rituals. Listening to their hate-seething hosts and so-called terrorism experts leaves credulous minds with a paranoiac impression that Muslims have infiltrated all U.S. institutions, and that sword-wielding Muslim armies are about to take over the U.S. and replace the constitution with “Sharia law.”
In that paranoid tradition, recently, Sen. Ted Cruz introduced a bill to declare the Muslim Brotherhood a terrorist organization. Apparently the Senator is in agreement with el-Sisi, Egypt’s dictator, who overthrew a democratically-elected President and handed him a life-sentence, and massacred thousands of unarmed protesters in a broad daylight, Cruz alleges that the organization espouses “a violent Islamist ideology with a mission of destroying the West.” With a name like that, the brotherhood perfectly fits the stereotype, though evidence and historical facts indicate the opposite.
Among the most vociferous advocates pushing this de-Islamization campaign are David Horowitz of Front Page Magazine, Frank Gaffney of the Center for Security Policy, and Robert Spencer of Jihad Watch. These fear merchants who receive tons of monies are part of myth-making groups who use the ill-famed unindicted co-conspirator list concocted to smear almost all Islamic organizations and active leaders on one big political paintbrush. This same group insists that Huma Abedin, one of Hillary Clinton’s senior staff, was a Muslim Brotherhood Trojan Horse positioned to infiltrate the White House. A decade ago, this author was one of their targets. Today, ironically, these hate-mongers have access to the White House and the National Security Agency in Steve Bannon and Gen. Michael Flynn. In that context it is hardly shocking to learn that Donald Trump is overhauling the current counter-terrorism program to exclude militant white supremacists and zoom solely on Muslims.
The ‘Othering’ Process“(The) West perpetrates two kinds of sins about the Muslim world and Muslim history- sins of omission and sins of commission,” wrote the late intellectual giant, Ali Mazrui. After the demise of the Ottoman empire, some historians—mainly Western—have deliberately left out historical facts underscoring Muslim contributions in various disciplines….while misrepresenting Islamic teachings and adding commentaries that distort the historical application of the Islamic teaching.
When the Ottoman era came to an end, almost the entire Muslim population around the world was living under the subjugation of Western colonial powers. During that period, Muslims have experienced a profound spiritual and intellectual stagnation.
It wasn’t until the 50s and 60s when liberated Muslim nations started to emerge. Alas, with mostly kleptocratic dictators eager to imitate their exclusively privileged colonial masters.
The Divine BlueprintThe Qur’an and the Sunnah (Prophet Muhammad’s deeds, attitudes and illustrations) teach that the ideal society is one that gravitates toward the Divine Will and establishes social, political and economic justice for all. Both underscore the importance of order, systematic process, and negotiating consensus based on mutual interest, even with people of other faiths or no faith. And both Islam identifies the best qualities expected of the leader. It emphasizes the importance of trustworthiness, sense of justice, and the wisdom to serve. These three leadership qualities are considered the most crucial in establishing human relationships beyond trivialities and political facades.
Islam emphasizes the importance of cultivating ethical and spiritually centered citizenry that could become the solid foundation necessary for establishing a good and sustainable society. However, neither the Qur’an nor the Sunnah provides specific details on building a modern state with its internal institutions and membership to multilateral institutions with global mandates. This matter falls in the realm of ‘mu’amalat’ or human relations. Unlike matters pertaining on how best to worship God, matters related to human or state to state relationships are left widely open for negotiation, collaboration, and adaptation. In the heyday of the Islamic civilization, Muslims advanced by trial and error, by adopting from other cultures, and by rewarding research, development, and ingenuity.
Facts Trump StereotypesThe average contemporary Muslim thinker inclines to the conviction that Islam is compatible with building a modern state. Muslims do not have to sacrifice the core values of their faith in order to participate or be part of that process. Many thinkers and activists believe this very fact is one of the reasons that Islamophobes and white supremacists rely on stereotypes and on the ‘we’re under siege’ fear campaign to sideline Muslims.
Let us forget for a moment all those Muslims who were elected to the U.S. Congress and various state, county and city positions, or as UK Members of Parliament and the Mayor of London, or as Canada MPs or appointed as a Minister. Let’s see what young Muslim scholars and community organizers are doing to make America a better place for all.
Here are two examples: Linda Sarsour who was one of the organizers of the Million Women March. As a tireless advocate for inclusive justice, she is now leading a class action lawsuit challenging Donald Trump’s anti-Islamic policies. Sheikh Omar Suleiman who has been an inspirational model of Prophet Muhammad’s message and an active participant in building bridges of understanding between faith communities. Ironically, both of these Muslim leaders are routinely accused of being the torch-bearers of the Muslim Brotherhood by the same Islamophobes.
Contrary to the common misconception, the Islamic faith is anchored on the principle of inclusiveness and collectiveness. Muslims are not commanded to worship God of the Muslims, but God of the Worlds or the physical and spiritual creations—something that practicing Muslims repeat in their prayers at least 17 times a day. Now you may wonder why is it that these facts about Islam are not part of the public discourse. Well, on the one hand, Muslims by and large, have been poor representatives of their own faith. On the other hand, there is a clearly coordinated effort in the West, especially the current White House, to keep Muslims outside the political apparatus by any means necessary.
Throughout the Middle East and beyond, wherever Muslims organized under an Islamic banner and participated in a democratic process, they have won. Though this has routinely outraged many of the losers and their Western backers, democracy does not need political desperadoes, or violent demagogues, or paranoid religious interest groups to reverse outcomes through unlawful and unethical means, it must be done peacefully and through the ballot box.
Stakes are too higher for these kinds of suicidal politicking.
The post Smearing Lenses and Distorting Islam appeared first on Foreign Policy Blogs.
Last month’s visit by Vietnamese Party chief Nguyen Phu Trong to Beijing appeared to smooth over differences between the two countries who have competing claims to the Paracel and Spratly island chains in the South China Sea. Both sides pledged to settle disputes peacefully and to work toward a code of conduct for maritime operations. The pledge for peace followed “war-like rhetoric” on trade relations with Beijing and confrontational comments on Taiwan expressed by U.S. President Donald Trump and some of his nominated cabinet members.
The first test of this renewed friendship between Hanoi and Beijing came quickly after their meeting, as several Vietnamese assembled for protest in Hanoi on January 19. This time around, Vietnamese authorities were well-prepared for this annual protest, scheduled to commemorate the lives of Vietnamese soldiers who lost their life trying to protect the Vietnamese-controlled Paracel islands, which were seized by China on January 19, 1974.
According to Reuters, some 20 protesters were dragged onto a bus after they ignored a warning to disperse. Reports said the protesters had been marching with banners and chanting “Demolish China’s Invasion” along with other nationalistic slogans.
The swift crackdown on protesters signals an improvement in Vietnam’s relations with Beijing, which sank to a low after China moved an offshore oil rig into disputed waters in May 2014. At that time, protests around Vietnam broke out, resulting in the deaths of some Chinese workers and the evacuation of thousands of Chinese out of the country.
Despite improved relations, the Vietnamese have long distrusted their biggest neighbor, and have been quietly building up their military defenses with the assistance of India, Israel, Japan and the U.S. During a visit to Vietnam last month, Japan’s Prime Minister Shinzo Abe offered Hanoi a concessional loan to help pay for six new coastguard patrol boats, worth some $338 million.
Just days before Abe’s visit, former U.S. Secretary of State John Kerry spoke with Prime Minister Nguyen Xuan Phuc in Hanoi, where both expressed satisfaction over the development of Vietnam-U.S. ties after the 2013 establishment of comprehensive partnership. How the new U.S. Secretary of State, Rex Tillerson, will approach the South China Sea disputes has drawn some criticism, although in Tillerson’s recent letter (PDF) to Senator Ben Cardin, Tillerson seemed to back off this week from his threat of force to prevent China from accessing islands it occupies, stressing: “the United States seeks peaceful resolution of disputes.”
However Chinese President Xi Jinping or the new Trump administration decide to handle disputes in the South China Sea, Hanoi appears to be hedging its bets by making friends – a diversifying foreign policy which has served it well in the past. Yet Hanoi will need to maintain a careful balance between mollifying a nationalist Chinese leadership up north and Vietnam’s own nationalistic population.
The post Hanoi Halts Protest Over Disputed Islands appeared first on Foreign Policy Blogs.
Dans « Pastorale américaine » (1997), le romancier Philip Roth met en scène une famille confite de bonheur, incarnation de la réussite sociale, qui soudain se lézarde quand la fille adorée, Merry, se rebelle et, un jour de 1968, fait sauter un bureau de poste.
Elle était désormais jaïn. Son père ignorait ce que cela signifiait jusqu'à ce qu'elle lui expliquât patiemment, de son débit fluide et psalmodiant, de cette voix sans aspérité qu'elle aurait eue à la maison si elle avait pu surmonter son bégaiement sous la tutelle parentale. Les jaïns étaient une secte indienne relativement restreinte, soit, c'était un fait. Quant à savoir si les pratiques de Merry étaient typiques ou relevaient de l'initiative personnelle, il n'en était pas certain, même si elle lui soutenait que le moindre de ses actes était une expression de ses convictions religieuses.
Elle portait le voile pour ne pas nuire aux organismes microscopiques qui habitent l'air qu'on respire. Elle ne se baignait pas parce qu'elle révérait toute forme de vie, y compris la vermine. Elle ne se lavait pas pour ne pas blesser l'eau. Elle ne marchait plus après la tombée du jour, même dans sa chambre, de peur d'écraser sous ses pieds un être vivant. Il y a des âmes emprisonnées dans toute forme de matière, lui expliqua-t-elle. Plus humble est la forme de vie, plus grande la douleur de l'âme qui y est emprisonnée. La seule façon de se libérer de la matière et de parvenir à « une forme de béatitude autonome pour l'éternité », c'était de devenir ce qu'elle nommait avec vénération une « âme parachevée ». On atteint cette perfection uniquement par les rigueurs de l'ascétisme, l'abnégation et la doctrine de l'ahimsa, la non-violence.
Les cinq vœux qu'elle avait faits, dactylographiés sur des fiches cartonnées, étaient scotchés au mur, au-dessus d'un étroit matelas de caoutchouc mousse crasseux à même le plancher qu'elle ne balayait pas. C'était là qu'elle dormait et, dans la mesure où il n'y avait rien d'autre dans la chambre que ce matelas dans un coin et un tas de loques, ses vêtements, dans l'autre, c'était sans doute là qu'elle s'asseyait pour manger ce qui lui tenait lieu de nourriture, et qui devait être bien symbolique à en juger par sa mine.
À la regarder, on n'aurait guère imaginé qu'elle vivait à cinquante minutes d'Old Rimrock, mais bien plutôt à cinquante minutes de Delhi ou Calcutta, famélique non comme le brahmane purifié par ses pratiques ascétiques, mais comme le paria des castes inférieures qui traîne sa misère sur ses jambes émaciées d'intouchable.
Pastorale américaine, traduit de l'anglais (États-Unis) par Josée Kamoun, © Éditions Gallimard, Paris, 1999.