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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Mis à jour : il y a 2 mois 3 jours

« Israël, l’agonie d’une démocratie » – 3 questions à Charles Enderlin

ven, 06/10/2023 - 09:45

Journaliste franco-israélien, ancien correspondant pour France 2, et auteur de nombreux ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et la situation au Proche-Orient, Charles Enderlin répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage Israël, l’agonie d’une démocratie aux éditions du Seuil.

 

Vous citez un leader des colons qui déclare : « C’est sur l’axe juifs/Israéliens que se profile le prochain combat. » …

Il y a deux formes d’intégrisme juif en Israël. Le fondamentalisme des ultra-orthodoxes qui veulent maintenir à tout prix l’autonomie de leur communauté, empêcher l’intrusion du monde moderne, obtenir la dispense de service militaire pour tous leurs jeunes, et recevoir de l’État le financement de leur système d’éducation, sans que leurs écoles talmudiques ne soient obligées d’enseigner les matières fondamentales.

L’autre intégrisme, le sionisme religieux, est expansionniste et vise le contrôle de l’État et de ses institutions, au nom d’un message eschatologique. Pour ce mouvement, la terre d’Israël, – en l’occurrence la Cisjordanie- a été donnée par Dieu au peuple juif, et ce serait anathème d’en céder ne serait-ce qu’une partie à des non-Juifs. En 2005, après l’évacuation des colonies de Gaza – qu’ils n’ont pas réussi à empêcher- les idéologues du sionisme religieux ont analysé leur échec. L’opinion public leur était très défavorable. Selon un sondage, seuls 34% des personnes interrogées étaient t contre le retrait, 60% y étaient favorables et 73% pensaient que ce n’était que le début vers l’évacuation massive des colonies en Cisjordanie. Dans Nekouda, la revue du mouvement de colonisation, Moti Karpel, le rédacteur en chef, a écrit : « Se préparer à nouveau au combat entre la droite et la gauche, c’est se préparer à la guerre précédente. C’est sur l’axe Juifs-Israéliens que se profile le prochain combat. Ceux qui sont d’abord Juifs font face à ceux qui sont d’abord Israéliens. » Pour Moshé Koppel, brillant professeur de mathématiques et d’informatique, « L’État n’a pas l’autorité de parler au nom du peuple juif ou de s’immiscer dans les affaires concernant la halakha (la loi juive). Un des centres de pouvoir où les Juifs (religieux) souffrent de sous-représentation scandaleuse est le système judiciaire. Ici, tout peut être jugé selon les valeurs du « public éclairé », c’est-à-dire celles des Israéliens éloignés du Judaïsme. » Il ajoute qu’il faudrait également en finir avec le monopole séculier sur les médias électroniques. Douze ans plus tard, Koppel aura les moyens de créer Kohelet, la puissante ONG qui sera à l’origine du vote de la loi discriminatoire Israël-État-nation du peuple juif en 2018 … Puis œuvrera en coulisse pour lancer de la grande refonte du système judiciaire mis en place par Benjamin Netanyahou.

 

Les ONG sont désormais accusées d’être des taupes d’une Europe antisémite… 

Et l’Europe présente l’autre joue… Cela a toujours un peu existé, mais s’est renforcé à partir de 2009 avec le retour au pouvoir de Benjamin Netanyahou. D’abord par de véritables campagnes de haine sur les réseaux sociaux dirigées par l’organisation fasciste de droite Im Tirtzu, avec la bénédiction du pouvoir. Les dirigeants d’ONG anti-occupation sont nommément accusés d’être des taupes, d’encourager le terrorisme palestinien et de poignarder Israël dans le dos.  Dans cette liste on trouve également les principaux écrivains israéliens, Amos Oz, David Grossman, et A.B. Yehoshua, accusés d’être des taupes gauchistes. En 2011, Netanyahou a fait voter une loi contre le boycott des colonies, une autre sur la « transparence des ONG », les obligeant à signaler à tous leurs interlocuteurs officiels les subventions qu’elles recevraient de l’étranger.

Plus récemment, dans le gouvernement actuel, il faut citer le rabbin Avi Maoz, placé par Benjamin Netanyahou à la tête d’une toute nouvelle agence de l’identité nationale juive. Nommé vice-ministre, homophobe et misogyne, il s’est donné pour mission de mener le combat contre les « forces impures » venues notamment du christianisme, qui ont, selon lui, le soutien des médias et s’attaquent au judaïsme de l’État d’Israël. « Nous devons, dit-il, protéger notre peuple et notre État des infiltrations d’éléments qui viennent de pays, d’organisations et de fondations étrangers. ». L’actuel gouvernement envisage de taxer les budgets des ONG de gauche, pourtant toutes déclarées associations à but non lucratif.

 

Pour vous, la maladie incurable de l’État-nation d’Israël a un nom : occupation…

Et ce ne sont pas les avertissements qui ont manqué. Déjà, en 1976, Yitzhak Rabin, Premier ministre, mettait en garde : « En l’absence d’accord, Israël risquerait de devenir un État apartheid. » En 2007, les dirigeants de Meretz, Shoulamit Aloni et Yossi Sarid, accusaient : « Israël impose une forme d’apartheid à la population palestinienne [dans les territoires occupés]. » La même année, Ehoud Olmert, chef du gouvernement, annonçait que « si la solution à deux États devient impossible, Israël se retrouvera dans la même situation que l’Afrique du Sud, face à un combat [palestinien] pour l’égalité du droit de vote et ce sera la fin d’Israël. » En 2017, Ehoud Barak, ancien Premier ministre, déclarait qu’« Israël se trouve sur la pente glissante qui mène à l’apartheid. » Et en 2021, Yehudit Karp, ancienne adjointe au procureur général, ajoutait : « C’est le terme utilisé par la loi internationale pour qualifier le genre de régime mis en place par Israël dans les territoires occupés.»

Le 7 septembre dernier, Tamir Pardo, qui fut le patron du Mossad de 2011 à 2015, a déclaré : « Les mécanismes israéliens de contrôle des Palestiniens, depuis les restrictions de mouvement jusqu’à leur placement sous la loi martiale, alors que les colons juifs dans les territoires occupés sont gouvernés par des tribunaux civils, sont à la hauteur de l’ancienne Afrique du Sud. ». Je suppose qu’en France il risque d’être accusé d’antisémitisme… À ce propos, je cite Wladimir Rabinovitch, écrivain, magistrat, militant sioniste jusqu’en 1967, qui décrivait en 1979, un phénomène de « schizophrénie morale » selon lequel : « La relation avec Israël imposerait à tout Juif une échelle de valeurs différentes selon qu’il s’agit d’Israël ou d’un autre État dans le monde. Il ne peut y avoir une vérité dans l’ordre juif, et une autre dans l’ordre universel. »

 

 

Recompositions géopolitiques au Caucase

jeu, 05/10/2023 - 17:35

 

Un des conflits gelés, du nom des conflits non résolus qui se sont cristallisés à la suite de l’implosion de l’ex-URSS et de l’ancien bloc soviétique, vient de connaitre un dénouement d’une rapidité spectaculaire. L’autodissolution du Haut-Karabakh, qui sera effective le 1er janvier 2024, a en effet surpris plus d’un observateur. Des recompositions géopolitiques sont à l’œuvre au Caucase et contribuent à modifier les rapports de force entre les États de la région.

 

Une récente accélération de l’histoire

Historiquement, il faut remonter aux décisions de Joseph Staline, alors commissaire du peuple aux nationalités, pour comprendre la situation qui prévaut. Tout à son principe de diviser pour régner, il rattache en effet, en 1921, le Haut-Karabakh, peuplé majoritairement d’Arméniens, à l’Azerbaïdjan.

Plusieurs décennies plus tard, en 1988, au moment où l’URSS commence à être soumise à des forces centrifuges, qui aboutissent finalement à son implosion, les députés arméniens du Haut-Karabakh demandent le rattachement de leur territoire à l’Arménie. De l’automne 1988 à juin 1994, s’ensuit une guerre qui fait environ 30 000 morts, entraine le déplacement de 400 000 Arméniens, ainsi que celui de près d’un million d’Azerbaïdjanais et l’occupation par l’Arménie d’environ 20 % du territoire de l’Azerbaïdjan (Haut-Karabakh, corridor de Latchine et rive gauche du fleuve Araxe). Depuis lors, en dépit de plusieurs résurgences de tensions armées, la situation s’est retrouvée bloquée dans son statu quo, d’où l’expression de « conflit gelé » souvent utilisée pour la qualifier. Entretemps, le Haut-Karabakh proclame son indépendance en 1991 qui ne sera jamais reconnue par quiconque.

Le groupe de Minsk créé en 1992 dans le but de favoriser une solution négociée ne parviendra jamais à faire évoluer la situation, tant les vainqueurs semblaient hostiles à toute forme de compromis. L’enjeu est d’autant plus complexe que chacun des protagonistes se réclame de principes du droit international antinomiques. Droit à l’autodétermination des peuples pour les Arméniens, intangibilité des frontières et respect de la souveraineté pour les Azerbaïdjanais.

C’est l’aiguisement des contradictions et l’impossibilité pour la partie azerbaïdjanaise d’accepter le maintien du statu quo qui permet de comprendre la guerre des 44 jours au cours de l’automne 2020. Renversement complet de situation, puisque l’Arménie et la république autoproclamée du Haut-Karabakh subissent une défaite cuisante. Pour aller à l’essentiel, c’est tout d’abord la reconnaissance de la reconquête par Bakou de ses territoires illégalement occupés par l’Arménie depuis 1994 ainsi qu’une large partie du Haut-Karabakh. Pour ce qui concerne ce dernier, environ 80 % de sa superficie revient à l’Azerbaïdjan, sans que pour autant le statut à venir ne soit précisément défini pour les 20 % restants. Deux corridors doivent être créés et placés sous contrôle russe : le premier, reliant une parcelle du Haut-Karabakh à l’Arménie pour remplacer celui déjà existant de Latchine passé sous contrôle azerbaïdjanais – clause jamais appliquée – ; le second, totalement nouveau, reliant le Nakhitchevan et l’Azerbaïdjan. La mise en œuvre du cessez-le-feu est garantie par une force de paix russe de près de 2 000 soldats. Enfin, la mise en place d’un centre russo-turc de vérification de l’application des termes de l’accord est prévue sur le territoire azerbaïdjanais. Pour autant, son mandat précis n’a jamais été totalement défini, et il semble que Moscou et Ankara n’en aient jamais eu la même interprétation.

Dernière séquence, celle qui vient de se dérouler sous nos yeux au cours du mois de septembre 2023. À la suite d’une opération éclair de 24 heures menée par l’armée azerbaïdjanaise le 19 septembre, les dirigeants du Haut-Karabakh capitulent rapidement et annoncent, le 28 septembre, qu’ils procèdent à la dissolution de leur république autoproclamée avec effet officiel le 1er janvier 2024. Depuis lors, c’est un exode massif des habitants du Haut-Karabakh en direction de l’Arménie qui se produit. La tragédie humaine ne doit pas pour autant faire perdre la rigueur de l’analyse et le vocable de génocide utilisé par certains commentateurs ne semble guère efficient. A contrario se pose l’utilisation du terme de « nettoyage ethnique » pour décrire la situation actuelle même si ce dernier ne relève pas d’une définition reconnue par le droit international.

Des recompositions géopolitiques à l’œuvre

Une redistribution des cartes géopolitiques est donc clairement à l’œuvre avec des perdants et des gagnants.

Dans la première catégorie se trouvent évidemment la République d’Arménie et le territoire du Haut-Karabakh. L’hubris qui a prévalu après leur victoire de 1994, leur refus d’accepter négociations et compromis négociés au mépris du droit international et leur propension à ne pas constater le processus de réarmement de l’Azerbaïdjan au fil des ans, ont un coût politique important. La Russie pour sa part, évidemment concentrée sur le théâtre d’opérations militaires en Ukraine n’a pas su prévenir le dénouement auquel nous avons assisté ces derniers jours. C’est certainement un coup rude pour Moscou, tant les dirigeants russes ont depuis des lustres tenu le Caucase comme leur pré carré. Les instances de régulation internationale, tout particulièrement en l’occurrence l’ONU et le groupe de Minsk, ont-elles aussi malheureusement prouvé leur impuissance. L’Union européenne (UE) enfin a montré sa pusillanimité en se contentant de jugements souvent moraux, mais peu opérationnels. Outre les divisions qui existent en son sein, l’accord de coopération stratégique dans le domaine de l’énergie, contresigné entre Ursula von der Leyen et le président Ilham Aliyev en juillet 2022, n’est peut-être pas étranger à l’aspect inaudible réservée de la politique de l’UE dans la région.

Parmi les gagnants, nous avons en premier lieu, c’est une évidence, l’Azerbaïdjan qui a retrouvé la souveraineté sur l’ensemble de son territoire national et qui apparaît comme la puissance ascendante au Caucase. La Turquie, dont nous savons qu’elle a toujours soutenu Bakou dans ses revendications au nom du principe d’« une nation, deux États » et a largement contribué à la modernisation des forces militaires azerbaïdjanaises au cours des dernières années. Israël enfin qui, tout à son obsession de contenir la puissance iranienne, n’a pas non plus ménagé son soutien à l’Azerbaïdjan.

Une des questions qui se posent désormais concerne la perspective de la création du corridor de Zanguezour qui permettrait de relier le Nakhitchevan au reste de l’Azerbaïdjan en passant par la province méridionale de l’Arménie, le Syunik. Ce corridor est d’une importance capitale, car il constituerait un lien direct entre la Turquie et l’Azerbaïdjan via le Nakhitchevan et donc entre mer Noire et mer Caspienne. Chacun peut aisément en comprendre les enjeux en matière d’hydrocarbures. Sans verser dans les fantasmes consistant à mettre en exergue de soi-disant projets panturquistes, il apparaît, de manière plus réaliste, que la concrétisation de ce corridor renforcerait considérablement l’influence de la Turquie dans la région. La question est de savoir si Ilham Aliyev saura résister à l’hubris de la victoire et acceptera le principe d’une solution négociée avec l’Arménie. Dans le cas contraire, le risque serait fort de rentrer dans une nouvelle logique d’affrontements militaires, l’Arménie défendant dans cette hypothèse son intégrité territoriale.

Enfin, il faut mentionner la République islamique d’Iran, très préoccupée par les dernières évolutions. Non seulement parce qu’elle perçoit le renforcement de l’influence turque comme une concurrence avérée dans une région où la sienne propre reste forte et qu’il lui faut préserver. Mais aussi parce que la construction du corridor de Zanguezour, non loin d’une partie de sa frontière septentrionale, lui rendrait plus difficiles les relations traditionnellement bonnes avec l’Arménie et l’ouverture qu’elle lui permet conséquemment vers l’Europe. Last but not least, les dirigeants iraniens restent aussi attentifs aux évolutions de l’Azerbaïdjan parce qu’environ 20 % de sa population est azérie et que Téhéran craint d’hypothétiques velléités irrédentistes.

L’imbroglio caucasien n’a donc pas fini de produire tensions et contradictions. À suivre dans les prochaines semaines et prochains mois.

Coupe du Monde 2030 : le triomphe du Maroc

jeu, 05/10/2023 - 17:00

Grand succès pour le Maroc : après cinq candidatures infructueuses, il a été élu mercredi 4 octobre pour accueillir l’édition 2030 de la Coupe du monde de football, aux côtés de l’Espagne et du Portugal. Il s’agit d’une alliance entre trois États pour maximiser leurs chances d’être choisis, qui témoigne aussi, au-delà du football, du rapprochement entre l’Espagne et le Maroc – comme l’atteste la reconnaissance par Madrid de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Mais on pourrait également y voir une stratégie de la FIFA de jouer sur le principe de la rotation continentale pour permettre à l’Arabie saoudite, pôle émergent du football mondial, d’organiser la Coupe du monde 2034 pour la première fois de son histoire. L’analyse de Pascal Boniface.

Qui doit défendre l’Europe ?

jeu, 05/10/2023 - 12:17

Le 22 février 2022, l’Europe a compris que sa sécurité pouvait être menacée. Les populations réfugiées ukrainiennes ont afflué dans les pays baltes limitrophes d’Europe centrale, dans les pays baltes et en Allemagne. Et si l’Europe, c’est à dire un des pays de l’Union européenne, était attaquée ? Qui doit être le garant de la défense européenne ? Alors que l’OTAN se retrouve renforcée depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Union européenne peut-elle encore construire son autonomie stratégique ? Comment l’Union européenne peut-elle parvenir à concilier une stratégie de défense européenne long terme et les divergences politiques court-termistes de ses États membres ?

Autant d’enjeux sur lesquels revient le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale et chef de bureau des sessions régionales de l’Institut des hautes études de défense nationale, dans le cadre de sa participation aux Géopolitiques de Nantes 2023 organisés par l’IRIS et le Lieu Unique, avec le soutien de Nantes métropole.

 

Lampedusa : quels enjeux de l’aide en Europe ?

mar, 03/10/2023 - 16:57

Entre les 11 et 13 septembre 2023, plus de 6 000 migrants ont débarqué sur l’île italienne de Lampedusa, située à 150 km des côtes tunisiennes, remettant la question migratoire au centre du débat. Dans quel contexte s’inscrit ce drame humanitaire ? Quelles causes conjoncturelles et structurelles peuvent expliquer cette crise ? Quelle a été la réaction de la communauté européenne, et en particulier des États européens ? Le point avec Fatou Élise Ba, chercheuse à l’IRIS, en charge du Programme Humanitaire et Développement.

Dans quel contexte s’inscrit le drame humanitaire de Lampedusa ?

Lampedusa, île italienne de 20km peuplée d’environ 6 300 habitants, est impliquée dans les enjeux migratoires en Europe, dans la mesure où elle se situe à proximité de la Tunisie et de la Libye, premiers ports de passages des populations migrantes venant d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et du Moyen-Orient. Lampedusa est un « hotspot », c’est-à-dire un premier port d’accueil des migrants au large de l’Europe. Avant septembre 2023, l’afflux des migrants à Lampedusa avait été relativement ralenti courant 2022. Lors de la crise libyenne, l’île a accueilli 31 000 migrants sans papiers ayant traversé la Méditerranée. En 2011 spécifiquement, 11 000 personnes venaient de la Tunisie. Selon les Nations unies, le premier trimestre de 2023 a été l’un des plus meurtriers depuis 2017, avec 441 décès en mer Méditerranée, notamment pendant le week-end de Pâques où 3 000 migrants ont atteint l’Italie. Chaque année, pendant l’été, des dizaines de milliers de personnes tentent cette traversée. On compte ainsi près de 126 000 migrants arrivés sur les côtes italiennes depuis le début de l’année 2023 contre environ 65 000 à la même période l’année précédente. Selon le directeur de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Antonio Vitorino, « la crise humanitaire qui persiste en Méditerranée centrale est intolérable, avec plus de 20 000 décès enregistrés sur ces routes depuis 2014. Je crains qu’il y ait une normalisation de ces décès. ».

Concernant les circonstances du drame humanitaire de Lampedusa, 6 000 migrants sont arrivés sur l’île italienne dans des embarcations de fortune entre le lundi 11 septembre et le mercredi 13 septembre 2023, 10 000 personnes environ en fin de semaine dernière. La réponse des autorités italiennes et des ONG est très insuffisante, le nombre d’habitants sur l’île étant inférieur au nombre de migrants et le centre d’accueil géré par la Croix rouge à Lampedusa était organisé à la base pour accueillir 400 personnes. Le Haut-Commissariat des Nations unies (HCR) pour les réfugiés s’est exprimé, déclarant qu’il s’agissait « du plus grand nombre de personnes arrivées sur un seul et même bateau depuis 2021, de tels chiffres pour une seule arrivée n’avaient pas été enregistrés depuis le moins d’août 2016 ». Les migrants, parmi lesquels on compte de nombreux mineurs, venaient principalement d’Égypte, du Tchad, du Maroc, de Syrie, du Bangladesh, du Soudan, du Nigéria, d’Éthiopie et du Sénégal. Pour la majorité, leur lieu de passage était Zouara, en Libye. Faute de place, la majorité des migrants et notamment des enfants en bas âge ont été obligés de dormir dehors, même si certains ont pu bénéficier de la générosité des habitants et que les autorités italiennes ont mobilisé d’importants moyens pour transférer des personnes vers d’autres ports de contingence en Sicile.

Quelles sont les causes pouvant expliquer le drame de Lampedusa ?

La bonne condition météorologique en mer est la première cause conjoncturelle. La situation a également été accentuée en raison de l’inondation et de l’instabilité en Libye, qui facilite la prolifération des réseaux de passeurs criminels. Enfin, si on s’intéresse aux causes structurelles, on peut identifier les crises et conflits émergents en Afrique subsaharienne et les graves conséquences des changements climatiques. À noter que pour le HCR, 70% des personnes déracinées dans le monde proviennent des pays les plus vulnérables au changement climatique. De tels mouvements de populations ne sont donc pas anodins et répondent également à des causes environnementales. L’extrême majorité de ces populations en migration sont en situation d’exil pour des raisons économiques et viennent en Europe dans une stratégie de survie.

Les ONG d’intervention et de défense des droits humains, dépassées face à un afflux grandissant de migrants, appellent officiellement, pour la plupart, à la responsabilité de l’Union européenne. Selon ces ONG, la pression migratoire accrue sur ces routes pourrait persister dans les mois à venir. En effet, les passeurs baissent les prix pour les migrants partant de Libye et de Tunisie dans un contexte de concurrence féroce entre les réseaux criminels. Cela a notamment été réaffirmé par Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes.

Amnesty International a souligné les difficultés des médecins et des médiateurs à prendre en charge l’ensemble des personnes. De nombreux migrants ont ainsi attendu plusieurs heures sous le soleil avant d’avoir une prise en charge médicale. En termes d’intervention, les ONG ont subi depuis 2015-2016 de fortes restrictions, notamment de la part des autorités italiennes. Amnesty International ainsi que d’autres ONG de défense des droits humains comme Médecins sans Frontières affirment que le gouvernement italien attaque les ONG qui mènent des opérations de recherche et de sauvetage, notamment par deux procédés : des inspections de longue durée des flottes de sauvetage civil et la restriction opérationnelle dans la prise en charge des migrants.

Quelle a été la réaction des États européens ?

Le Règlement de Dublin prévoit que le pays d’arrivée du migrant prenne en charge le traitement de sa demande d’asile, en vertu de l’article 51 de la Convention de Genève. Cependant, ce règlement est controversé, l’appropriation de ce texte de loi ne faisant pas consensus parmi les États membres de l’Union européenne. L’Europe peine à afficher un front commun face à la question migratoire. Le constat global est celui d’une inefficacité des mécanismes institutionnels et opérationnels en matière de prise en charge et des gestions des flux. Pour Amnesty International, les accords qui ont été élaborés en 2017 avec la Libye, puis avec la Tunisie, sont selon eux « cruels, coûteux et inefficaces face à la prolifération des réseaux criminels et de traite humaine ». En effet, le problème majeur est que l’on a toujours des difficultés à accueillir les populations en situation de migration dans la dignité.

Un plan stratégique d’urgence a été mis en place par l’Europe. Cependant, alors que l’Italie endosse le rôle de « tri de migrants » et de gestion des flux, l’Allemagne a suspendu depuis fin août l’accueil volontaire des demandeurs d’asile. Il s’agit clairement d’une remise en question de la solidarité européenne face au Règlement de Dublin. La réaction de la France est révélatrice, Gérard Darmanin ayant déclaré que « la France n’accueillera pas des migrants qui viennent de Lampedusa, sauf les réfugiés politiques ». En général, les personnes qui peuvent postuler au statut de réfugié, et donc rester sur le territoire européen, représentent entre 3% à 7% des migrants en fonction des flux. La crise de Lampedusa s’inscrit aussi dans le contexte de la préparation d’un nouveau texte de loi sur l’immigration en France, qui prévoit 4 points : proposer de créer un titre de séjour spécifique pour les métiers en tension ; mais tout de même prévoir un privilège pour les Français sur ces métiers en tension – ce qui a été réaffirmé pendant l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron le 24 septembre dernier ; améliorer l’intégration des personnes ayant demandé un droit d’asile et ayant obtenu ce statut ; et un durcissement des délivrances des titres de séjour pluriannuels. Par ailleurs, toujours aux vues de l’intervention d’Emmanuel Macron, la position de la France face aux flux migratoires reste fortement rigide et orientée politiquement notamment lorsqu’il a exprimé que « l’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». À l’heure où personne n’envisage une potentielle amélioration des dispositifs d’accueil des populations, on aurait plutôt tendance à vouloir améliorer la gestion des flux en Europe, ce qui est une posture totalement différente. Maintenant au niveau des instances internationales, la réaction de la France ne contribue pas à l’amélioration de son image, qui était déjà fortement dégradée et notamment devant les Nations unies. La France a été épinglée à plusieurs reprises, notamment en mai 2023 après l’affaire Nahel sur les discriminations faites envers les populations immigrées, issues d’immigration et personnes racisées ; ou en septembre 2023 suite à l’interdiction de l’abaya et du qamis à l’école, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, ayant défendu la liberté des femmes à choisir leurs vêtements lors d’un discours en français devant l’Assemblée des Nations unies. Par ailleurs, la venue du pape François à Marseille n’a pas arrangé l’image de la France à l’international sur la question migratoire avec la visite du pape qui avait pour objectif, à travers son discours, d’attirer l’attention du monde sur la situation des migrants et de demander aux pays européens de faire preuve de plus d’humanité et de fratrie.

La France souhaite cependant collaborer avec la Tunisie et l’Italie, les mécanismes opérationnels de ces gouvernements d’extrême droite ne permettant pas un accueil adapté des vagues de flux aux portes de l’Europe. En revanche, on n’a pas retenu les leçons de l’aide apportée à la Libye dans la gestion des migrants. On se rend pourtant bien compte aujourd’hui que cette « aide » reste relativement inefficace et que la Libye est l’un des pays qui a le plus commis de violences envers les populations voulant s’exiler en Europe. Mais Emmanuel Macron, lors de son intervention, n’a pas non plus évoqué la nécessité de collaborer avec les pays de provenance de ces populations et notamment les États africains. Au contraire, aujourd’hui, la situation tend de plus en plus vers la mise en place d’une aide au développement française conditionnée à la gestion des départs des migrants.

La question migratoire reste une crise humanitaire dans la mesure où face à des populations démunies, l’accueil digne et la prise en compte des besoins de ces populations ne sont pas adaptés ou pas assez pris en compte par les autorités européennes. De plus, l’instrumentalisation de cette catastrophe humanitaire, qui donne lieu a de nombreuses pertes de vie humaines chaque année dans la Méditerranée, à des fins politiques et en faveur d’un discours ouvertement xénophobe, déshumanise les populations en situation de migration. Lorsque l’on aborde la « crise migratoire » dans les débats politiques, on occulte volontairement le fait qu’on estime à plus de 2000 hommes, femmes et enfants morts ou disparus en Méditerranée depuis le début de l’année. Et pour les candidats à l’exil ayant réussi à atteindre les côtes européennes, la majorité est renvoyée dans leur pays.

Retrait des troupes françaises au Niger : et maintenant ?

jeu, 28/09/2023 - 16:45

 

Le 24 septembre 2023, deux mois après le coup d’État militaire ayant renversé le président nigérien Mohamed Bazoum, Emmanuel Macron a annoncé le retrait des troupes françaises et le retour à Paris de l’ambassadeur de France à Niamey. Après plusieurs semaines de tensions avec la junte, pourquoi Emmanuel Macron a-t-il finalement décidé du retour de son ambassadeur Sylvain Itté et des 1500 hommes stationnés dans le pays ? Que signifie l’annonce du retrait des troupes françaises du Niger pour le pays et pour la France ? Alors que les troupes françaises viennent de se retirer de plusieurs pays d’Afrique, comment se redessine la stratégie militaire sur ce continent ? Le point de vue de Caroline Roussy, directrice de recherche à l’IRIS, en charge du programme Afrique/s.

Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il finalement décidé du retour de son ambassadeur Sylvain Itté et des 1500 hommes stationnés dans le pays ?

La France était acculée aussi bien à Niamey que sur la scène internationale. À Niamey, si certains commentateurs ont affirmé que les manifestants étaient selon payés, selon des personnes au chômage, en déshérence, en mal d’espoir, on a au contraire assisté à des manifestations d’envergure. Des milliers de jeunes et moins jeunes se sont massés devant la base militaire française à Niamey, bravant la pluie des heures durant. Réduire ces manifestations a du seul populisme, ce n’est peut-être pas très bien comprendre les dynamiques locales de ce pays et plus largement du Sahel.

Du reste, ces manifestations anti-françaises sont clairement imputables à la politique d’Emmanuel Macron qui avait décidé de porter le fer contre la junte au pouvoir. En se montrant favorable à une intervention militaire pour restaurer le président déchu, Mohamed Bazoum, en refusant par la voix de son ambassadeur tout échange avec le nouveau pouvoir, la France a cristallisé les tensions contre elle. Depuis le 26 juillet, les opérations avec les Nigériens étaient suspendues. Donc, rester pour quoi faire ? Pour quels objectifs ?

Il convient également de noter que dans cette séquence, la France a été lâchée par ses alliés américains. Pourtant associés jusque-là dans le dispositif de lutte contre le djihadisme, ces derniers ont souhaité se démarquer de la France afin de préserver leur base d’Agadez. Dès le 8 août, la secrétaire d’État par intérim Victoria Nuland se rendait à Niamey pour rencontrer le général Barmou, formé aux États-Unis. Puis, ils ont nommé une nouvelle ambassadrice, Kathleen FitzGibbon. Les États-Unis restent au Niger en jouant sur cette argutie juridique : le président Bazoum n’a pas démissionné donc le coup d’État n’est pas consommé. Ainsi, on observe que les deux pays ont adopté vis-à-vis de la junte des positions différentes. Résultat les États-Unis restent, la France isolée est contrainte au repli tandis que la CEDEAO, après des accents belliqueux, ne semble pas près de lancer une opération au Niger… Bref, comme l’écrit le chercheur Michael Shurkin « Time’s up for France in Africa ».

Que signifie l’annonce du retrait des troupes françaises du Niger pour le pays et pour la France ?

Il y a évidemment plusieurs niveaux d’analyse. Les putschistes ont clairement remporté une victoire. Ils ont gagné le bras de fer contre la France ce qui a pour effet de les galvaniser. Dans la lutte contre le terrorisme, ils se privent sans aucun doute d’un partenaire opérationnel, d’hommes qui combattaient à leurs côtés. Mais peut-être est-ce là aussi une perception depuis Paris. Les militaires nigériens souhaitent combattre sans la France. Une initiative intéressante a été prise. Avec le Burkina Faso et le Mali, ils ont créé une alliance des États du Sahel afin de mutualiser leurs moyens dans la lutte contre le terrorisme. Cela semble plutôt judicieux dans la mesure où l’on observe une coagulation des violences dans la zone dite des trois frontières. Reste à voir comment cela peut se traduire sur le plan opérationnel. Il leur faudra peut-être aussi prendre des mesures socio-économiques pour réduire les inégalités, et développer cette zone encore appelée Liptako-Gourma.

Pour la France, le retrait du Niger est un camouflet, un échec cinglant de sa politique. Après avoir dû quitter le Mali et le Burkina Faso, le nouveau dispositif reposait sur le Niger. Cela devait être un laboratoire des nouvelles interventions françaises sous commandement nigérien. Changement de méthode, changement de paradigme. Les militaires devaient être invisibilisés. Résultat : leurs conditions de vie dégradée se sont imposées comme sujet dans le débat médiatique français…

Alors que les troupes françaises viennent de se retirer de plusieurs pays d’Afrique, comment se redessine la stratégie militaire sur ce continent ?

La France a, en effet, été rejetée des pays où elle est intervenue : Mali, Burkina Faso et aujourd’hui Niger. Au Sahel (soit ce que l’on désignait comme pays du G5 Sahel Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) il ne lui reste plus que la base de N’Djamena. Que va dorénavant faire la France ? Assez vraisemblablement, elle peut réarticuler une nouvelle fois son dispositif en direction des pays du Golfe de Guinée dont certains sont gagnés par la menace terroriste (nord Bénin, nord Togo et nord Côte-d’Ivoire). Les bases au Sénégal et en Côte d’Ivoire pourraient suivant cette nouvelle architecture être opérationnelle dans la lutte contre djihadisme. Le Bénin qui n’a pourtant pas de base pourrait également être amené à jouer un rôle. Plusieurs questions toutefois se posent. Le Sénégal est dans une séquence présidentielle, les citoyens sont appelés aux urnes le 24 février prochain. Le nouveau dirigeant sera-t-il favorable à la France, demandera-t-il un soutien de la France ? Rappelons qu’en mars 2021, il y avait eu de violentes manifestations anti-françaises dans tout le pays. Du jamais vu.  Des enseignes comme Auchan, Eiffage ou Orange avaient été mises à sac. Plus récemment, tandis que le verdict pour viol d’Ousmane Sonko sur une jeune femme masseuse était attendu, l’institut français de Ziguinchor a été incendié. S’il n’y a pas de corrélation entre la France et les affaires judiciaires de l’opposant politique de Macky Sall, on observe des débordements anti-français. Les rancœurs cumulées sont là. Depuis longtemps, Macky Sall est portraituré comme bras armé de la France. La tutelle économique, les bénéfices sur les autoroutes sont perçus comme un privilège trop visible octroyé aux Français au détriment des populations sénégalaises. La Côte-d’Ivoire est actuellement gouvernée par Alassane Ouattara. Il lui reste deux ans avant la fin de son troisième mandat. Certains observateurs avisés affirment qu’en fin limier de la politique, Macky Sall et Alassane Ouattara, feront en sorte qu’un de leur dauphin leur succède. Peut-être. Mais est-il possible de construire un nouveau plan d’action sur des bases aussi fragiles ? Du reste, les chefs d’État de ces deux pays feront-ils appel à la France ? Rien n’est moins sûr.

Enfin, sur le plan opérationnel, on peut tout à fait comprendre la logique du dispositif tel que décrit : isoler le Mali, le Burkina Faso et le Niger et tenter d’endiguer la progression de la menace terroriste vers les pays du golfe de Guinée. Là aussi de nombreuses interrogations demeurent : comment lutter contre une menace transterritoriale sans droit de poursuite ? La stratégie sera-t-elle de donner des armes et d’aider à la conception des opérations sans que les militaires français soient impliqués sur le terrain ? Dans l’équation, il y a encore beaucoup trop d’inconnus à ce stade. Scénario ultime, le chef de l’État décidera-t-il de fermer les bases et de collaborer autrement ? Cela peut être une opportunité de réinventer les relations entre l’Afrique et la France. Seul Emmanuel Macron est en capacité de décider. Il est seul face à l’Histoire.

« Chronique des territoires » – 4 questions à David Chanteranne

jeu, 28/09/2023 - 12:25

Historien et historien de l’art, diplômé de l’université de Paris-Sorbonne, journaliste et écrivain, David Chanteranne répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage Chroniques des territoires. Comment les régions ont construit la nation qui paraît aux éditions Passés Composés.

 

Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

L’Histoire, on le sait, n’est pas seulement centralisée, Paris n’ayant pas toujours été le centre du pouvoir. Bien avant les épisodes contemporains, plusieurs événements ont ainsi forgé le destin du pays. L’idée d’imaginer ce livre m’est donc venue au gré des visites et des découvertes patrimoniales à travers la France. Les événements historiques me sont d’abord apparus passionnants et, à travers eux, j’ai souhaité relater quelques-unes des étapes – de la fondation de Marseille par les Phocéens à la rencontre de Colombey-les-Deux-Églises – qui ont conduit la nation à réaliser son unité.

Les symboles peuvent être instrumentalisés et déformés, à l’image de Charles Martel à Poitiers…

Lorsqu’ils ne sont pas resitués dans leur contexte historique, ces événements donnent en effet lieu, très souvent, à des lectures tronquées voire faussées. Tout l’intérêt de ces vingt-neuf épisodes présentés ici est justement de ne pas tomber dans la légende, qu’elle soit dorée ou à charge. Il convient de vérifier à chaque fois, à travers les archives, ce qui relève de l’authenticité (par la confrontation des témoignages et le croisement des sources), et ce qui, au contraire, a été transformé au fil du temps par une certaine mythologie.

L’Histoire, c’est donc aussi la rencontre d’un personnage hors du commun et d’un lieu particulier…

La plupart des sociologues ou historiens des sociétés s’intéressent au temps long, à partir d’études comparatives spécifiques. Mais il est aussi nécessaire de mettre l’accent sur ces instants qui ont changé le cours de la politique ou de la diplomatie, de relater ces réunions, ces conflits, ces opérations individuelles qui ont bouleversé le quotidien de leurs contemporains. Très souvent, l’action d’un personnage dans le cadre d’un site particulier – champ de bataille, palais, église, modeste demeure ou tout autre lieu – a transformé le destin national. Ce sont ces « rencontres » qui ont permis à la France d’être ce qu’elle est aujourd’hui.

Les lieux concernés soignent-ils suffisamment à vos yeux cet héritage culturel ?

Ils le font suffisamment pour être restés jusqu’à nous avec tant de force. Par leur diversité tout autant que par leur évocation, ils transmettent à travers les âges et donc les générations une part de cette histoire dont nous sommes à la fois les dépositaires et les héritiers. De Lyon à Strasbourg, en passant par Bordeaux, Versailles, Grenoble, mais aussi Amboise, Belfort ou Ajaccio, ces sites racontent à leur manière les soubresauts de notre passé tout en perpétuant une part éternelle de cette épopée pluriséculaire.

 

Crise migratoire : où en est le gouvernement italien ?

jeu, 28/09/2023 - 00:45

 

Les arrivées sur les côtes italiennes continuent, avec Lampedusa comme symbole des difficultés que rencontre l’Italie. Les afflux de migrants sur la petite île ont relancé un débat vieux de dix ans qui ne semble pas trouver de solution. Cependant, la médiatisation massive actuelle impose une réflexion sur cette situation et pour tous les acteurs de cette crise.

Une nouvelle crise qui n’en est pas une

Les images des navires de fortune entrant dans le port de Lampedusa ont fait la une de toute la presse, montrant un exode vers l’Europe disproportionné par rapport à ce que peut accueillir l’Italie. Il est vrai que la situation géographique de Lampedusa est atypique. L’île ne fait qu’un peu plus de 20 km2 pour près de 6000 habitants. Les arrivées des dernières semaines doublent voire triplent la population de l’île. Il faut également prendre en compte que le centre d’accueil de Lampedusa n’a que 400 places, un chiffre dérisoire par rapport aux flux migratoires sur ce territoire, et ce depuis des années.

Mais ces images ‒ très médiatiques ‒ ne sont pas pour autant totalement représentatives de la situation. Bien que le nombre d’arrivées soit supérieur à celui de l’année dernière, il est dans la lignée de nombreuses années précédentes, comme 2016 ou 2017, soit environ 150 000 migrants enregistrés dans les centres d’accueil en Italie. Si le nombre d’arrivants reste stable, la route que ceux-ci empruntent a changé. En février dernier, une mauvaise coordination entre l’État italien et l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (dite Frontex) faisait 94 morts en Calabre, à Cutrò. Devant un tel danger, un passage vers Lampedusa (qui dure moins de 10 heures par beau temps depuis Sfax) est privilégié. Il faut également prendre en compte la situation de la Tunisie elle-même : la crise économique et l’instabilité du pays incitent certains de ses ressortissants à chercher fortune ailleurs, à quelques milles plus à l’Est, en Europe.

Les traversées depuis la Tunisie sont bien plus fréquentes à présent tandis que les départs depuis la Libye ou la Turquie s’amenuisent. Résultat : Lampedusa représentait moins de 10% de l’arrivée de migrants durant les années précédentes. Aujourd’hui c’est le contraire : 90%. Une situation difficile pour la petite île et pour la région, Lampedusa faisant partie de la région de la Sicile, qui doit gérer ce contingent de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Il faut tout de moins saluer les Lampedusanis pour leur disponibilité, leur accueil et leur gentillesse : malgré les années qui passent et un sentiment d’être les oubliés de la crise migratoire, ils continuent chaque jour d’accueillir et de nourrir les nouveaux arrivants, souvent à leurs frais.

Cette crise n’est donc pas nouvelle, juste plus visible actuellement, car focalisée sur un seul point géographique et mise en exergue par le gouvernement italien qui espère une réaction de ses partenaires européens.

L’excuse « Pool Factor » ne tient plus

L’actuel gouvernement italien a accusé pendant des années les Organisations non gouvernementales de la mer Méditerranée d’être les “taxis de la mer”, insinuant que celles-ci collaboraient avec les passeurs pour faciliter la venue des migrants en Europe, ou que leur présence encourageait les migrants à partir : l’effet dit Pool Factor. La Première ministre italienne Giorgia Meloni a d’ailleurs écrit cette semaine au Chancelier allemand Olaf Scholz pour lui faire savoir le mécontentement de l’État italien, opposé aux financements allemands des ONG de sauvetage en Méditerranée. Les ONG seraient le catalyseur des arrivées en Italie, mais ce scénario n’est toujours pas démontré. Il est surtout une excellente manière de remettre les responsabilités de l’arrivée massive des migrants sur une entité externe, car, aujourd’hui, ces organisations ont un rôle presque nul : environ 10% des personnes arrivant en Europe proviennent de bateaux appartenant à ces organisations.

Difficile pour Giorgia Meloni de jeter la faute sur un élément externe : cette situation renvoie le gouvernement italien à ses responsabilités en matière de gestion des arrivées. C’est ici le point central de cette crise migratoire : l’identification et la gestion des demandes d’asile.

Une nouvelle réforme européenne pour aider l’Italie

La gestion des nouveaux arrivants est régie par le traité de Dublin, qui prévoit que la demande d’asile soit évaluée par le pays d’arrivée. L’Italie est donc fortement impactée par cette norme, qui l’oblige à gérer plus de 100 000 dossiers chaque année. Il est bon de rappeler que ce traité ‒ tant décrié par l’actuel gouvernement italien ‒ a été voté par les élus de la Lega.

Une nouvelle réforme européenne est à l’étude. Elle prévoirait une plus grande solidarité et une répartition plus rapide des migrants arrivant dans l’Union européenne. Des changements qui pourront très certainement aider l’Italie dans ses tâches, mais à deux conditions.

La première est l’identification plus rapide des migrants. Les nouvelles normes italiennes ne semblent pas aller dans ce sens, car une nouvelle loi votée permet aux centres d’accueil (et d’expulsion) de garder enfermés dans leur structure les migrants pendant une durée prolongée allant jusqu’à 18 mois. Cette prolongation montre toutes les difficultés logistiques auxquelles l’Italie doit faire face, surtout en interne. Les dernières mesures du gouvernement italien prévoient la construction d’un centre par région. Une initiative qui a été immédiatement critiquée (pour ne pas dire refusée) par plusieurs présidents de régions, dont le très apprécié et médiatique Luca Zaia (Vénétie), pourtant inscrit à la Ligue.

Le second point est la collaboration des autres pays membres. Les autres pays de l’Union européenne parlent de solidarité en ce qui concerne la gestion des arrivées, mais rien n’est encore clair. Pour l’instant, les pays voisins, la France et l’Autriche, renforcent leurs effectifs aux frontières. Il ne serait pas surprenant de voir des pays souverainistes comme la Hongrie refuser de prendre de nouveaux migrants, malgré une amitié consolidée entre Giorgia Meloni et Viktor Orbán. En toute logique, les partis d’extrême-droite ne seront pas enclins à accepter cette répartition. Marine Le Pen, par exemple, n’est pas allée à Lampedusa lors des dernières semaines, mais elle est allée en Italie, avec Matteo Salvini, au meeting annuel de la Ligue, près de Milan.

La fin de la lune de miel pour Giorgia Meloni ?

Les excuses s’amenuisent pour l’actuel gouvernement italien, qui promettait des solutions miracles afin de limiter définitivement l’entrée de migrants, notamment par un utopique blocage naval de toute la mer Méditerranée. Pour l’instant, les résultats sont à l’opposé. La venue de Giorgia Meloni et d’Ursula Von der Leyen à Lampedusa a été targuée par la foule présente de passerella (de défilé) avec l’ennemi des électeurs des Fratelli d’Italia : l’Union européenne. Meloni n’a pourtant pas le choix : sans Bruxelles, l’Italie est dans l’impasse, aussi bien d’un point pour la gestion migratoire que du plan de relance économique.

La présidente du Conseil tente un grand écart, une fois de plus, pour contenter Bruxelles et la droite italienne. En un an, les rôles se sont inversés avec Matteo Salvini. Lorsque le leader de la Ligue était au pouvoir (avec Mario Draghi), Giorgia Meloni n’hésitait pas à critiquer le gouvernement pour sa politique jugée trop centriste. Aujourd’hui, c’est le contraire : alors que Giorgia Meloni sourit à Ursula Von der Leyen, Matteo Salvini était en Lombardie pour le rassemblement annuel de la Lega, où les discours sont toujours très durs, surtout en ce qui concerne l’immigration. Deux leaders, deux partis au pouvoir, mais une vraie compétition qui pourrait user la coalition à moyen terme, bien que les deux protagonistes de droite continuent d’insister sur leur bonne entente et leur cohésion.

L’opposition du Parti démocrate est pour l’instant timide : la néo-secrétaire du parti Elly Schlein ne fait pas l’unanimité et ses rapports ambigus avec le Mouvement cinq étoiles n’aident pas les électeurs à avoir une vision claire des objectifs de la gauche modérée. Le PD stagne à 20% depuis des mois. Mais, paradoxalement, ce silence de l’opposition fait plus mal à Giorgia Meloni : elle ne trouve aucun adversaire à qui répondre, ce qui l’oblige à affronter certaines réalités du pays, comme une inflation galopante et un coût de l’énergie qui ne descend pas. Le litre d’essence est à 2€ au Bel Paese. Et chaque Italien se remémore la vidéo de l’actuelle présidente du Conseil qui promettait, en cas de victoire, de diminuer de 50% le prix du carburant. Pour l’instant, Meloni reste en haut des sondages, avec un électorat fidèle ou qui n’a pas encore trouvé d’alternative politique crédible à ses yeux.

Géostrategix 2

mar, 26/09/2023 - 18:34

Après le premier tome l’an dernier, « Géostratégix II » vient de paraître ! Cette fois-ci, avec le dessinateur Tommy, nous nous penchons sur les grands enjeux du monde contemporain. Quels sont les enjeux des changements climatiques ? La démocratie est-elle universelle ? Quels sont le poids, l’influence et le rôle respectifs de l’Europe, des États-Unis, de la Chine, de la Russie, de l’Afrique, de l’Amérique latine et de l’Asie ? Autant de questions auxquelles nous tentons de répondre dans cette nouvelle bande dessinée.

Union européenne : retour à la case départ ?

mar, 26/09/2023 - 17:02

 

La guerre en Ukraine a accentué la dépendance de Bruxelles à l’égard de Washington. Alors que celle-ci tendait à s’émanciper de Washington et à établir une autonomie stratégique européenne, l’Union européenne (UE) n’effectue-t-elle pas un retour à la case départ ? Quel rôle reste-il à jouer à l’UE dans ce panorama stratégique ?

Federico Santopinto, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du programme Europe, stratégie et sécurité de l’IRIS, répond à nos questions dans le cadre de son chapitre publié dans « L’Année stratégique 2024 ».

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