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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Mis à jour : il y a 1 semaine 6 jours

« En matière de féminisme, l’Europe est un fer de lance mais peut mieux faire »

dim, 12/03/2023 - 10:12

Les démissions récentes de Jacinda Ardern et Nicola Sturgeon sont-elles comparables ? Faut-il s’inquiéter de voir ainsi deux dirigeantes féministes renoncer à leurs fonctions ?

Il faut toujours être très précautionneux, on ne peut pas faire de généralités à partir de deux cas seulement. Mais en l’occurrence, Nicola Sturgeon et Jacinda Ardern, qui sont d’ailleurs assez proches en âge (respectivement 53 et 43 ans, ndlr), nous rappellent à travers leurs démissions respectives qu’il n’y a pas qu’une seule manière de faire de la politique. Elles nous montrent que l’activité politique n’est pas censée être une carrière, mais un moment de la vie très précis dévoué à l’intérêt général. En cela, elles déjouent le stéréotype de l’homme politique fort, viril, qui dort peu la nuit et qui résiste à tout. Il en ressort une réalité que l’on avait sans doute un peu tendance à oublier : les fonctions politiques sont généralement très prenantes et très stressantes, au point qu’elles peuvent éreinter celles et ceux qui les exercent. Selon moi, leur attitude est donc plus rassurante qu’inquiétante, car elle représente un leadership politique plus moderne.

Ces dernières années, il est devenu évident pour beaucoup que le féminisme était un enjeu social, un enjeu économique, ou encore un enjeu écologique. En quoi le féminisme est-il aussi un enjeu géopolitique ?

Le féminisme est un enjeu géopolitique parce que tous les thèmes à l’agenda de la diplomatie et des relations internationales sont concernés par le féminisme et les questions de genre. On ne peut pas aborder les sujets d’éducation, de conflits ou encore de migrations en faisant l’économie d’une approche consciente des enjeux de genre. D’une part, les hommes et les femmes ne vivent pas de la même manière les crises, les guerres et les migrations, comme l’a montré la pandémie de Covid-19. D’autre part, les droits des femmes et des minorités  sexuelles sont au cœur des relations diplomatiques. Le langage même des relations internationales peut être très genré (généralement viriliste).

Par ailleurs, on a très longtemps sous-estimé le rôle que jouent les femmes à l’international, à la fois dans les guerres mais aussi  dans la diplomatie au sens routinier du terme. Entre autres mobilisations, le mouvement #MeToo nous a invités à ouvrir notre regard et à considérer qu’en matière de féminisme, il existe une circulation très grande des influences – que ce soit au niveau des revendications, des modes d’action ou encore des priorités en matière de politiques publiques. Depuis son émergence, on ne peut plus dire qu’il y aurait, d’un côté, un féminisme occidental et, de l’autre,d’autres formes de mobilisations plus aléatoires. #MeToo  nous a obligés à regarder ce qui se passe dans le monde, à nous décentrer. Avoir un regard aveugle aux questions de genre, c’est par ailleurs se priver d’une partie de la réalité et envisager des solutions inadaptées.

En octobre 2022, on apprenait que le nouveau gouvernement conservateur de la Suède décidait d’abandonner sa « diplomatie féministe ». Que signifie au juste mettre en œuvre une « diplomatie féministe » ?

Il n’y a pas de définition canonique de ce que serait une diplomatie féministe. Chaque pays ou organisation internationale a sa propre vision de ce que cela doit signifier. Jusqu’à aujourd’hui, on est beaucoup dans le registre du branding, du slogan et des bonnes intentions. Dans les faits, cela ne change pas grand chose. Or une diplomatie féministe doit s’inscrire dans le temps long. Il y a à la fois un enjeu de gouvernance (aller vers davantage de parité, lutter contre l’entre-soi dans les postes à responsabilité) et un enjeu de politiques publiques – prendre en compte le fait que 80 % des déplacés climatiques dans le monde sont des femmes, comme le dit l’ONU, par exemple.

Il s’agit également de s’intéresser au rôle des femmes sur le terrain : quels sont leurs besoins, leurs attentes en termes de diplomatie ? Il convient de s’appuyer sur les savoir-faire locaux afin de ne pas plaquer des modèles pré-établis. Dans une grande partie du monde, on ne se reconnaît d’ailleurs pas forcément dans l’étiquette « féministe », qui est vue comme un terme occidental. Mais cela ne veut pas dire que dans ces pays-là les femmes ne luttent pas pour leurs droits.

La guerre en Ukraine a redéfini les équilibres géopolitiques mondiaux. Quelle lecture féministe peut-on faire de l’invasion russe ?

Il faut éviter d’essentialiser les choses : cela n’a pas de sens de penser que les dirigeants masculins sont forcément « enclins à la guerre », à rebours de dirigeantes féminines qui seraient « par nature pacifistes ». En Europe, on voit d’ailleurs très bien comment les mouvements d’extrême droite cherchent à s’appuyer sur des figures féminines pour casser leur image « dure ».

Ceci étant dit, l’invasion de l’Ukraine est fondée depuis le départ sur une rhétorique d’écrasement et de domination de la part de Vladimir Poutine. Ce dernier voit dans le peuple ukrainien un pion perverti de l’Occident, sur fond de stéréotypes homophobes et sexistes. C’est l’idée selon laquelle l’Occident voudrait mettre en péril les valeurs russes ancestrales en imposant son « idéologie » LGBT et féministe. Poutine parle d’ailleurs de « prostituée de l’Europe » à propos de l’Ukraine. Cette manière de justifier le conflit est très marquée par une approche genrée des relations internationales.

Enfin, il faut noter qu’une partie du discours médiatique a présenté la résistance ukrainienne comme étant essentiellement masculine, en négligeant le rôle des femmes, surtout au début du conflit. Même si ce sont, de fait, surtout des femmes et des enfants qui fuient le pays, aujourd’hui, l’Ukraine dispose de l’une des armées les plus féminisées au monde avec environ un quart d’effectifs féminins, sans compter la résistance féminine très forte que l’on observe sur le terrain.

Dans le livre, vous pointez par ailleurs l’émergence d’un discours « fémonationaliste », y compris en France . De quoi s’agit-il ?

Le fémonationalisme consiste notamment à instrumentaliser le féminisme pour le renverser à des fins nationalistes. L’extrême droite a bien compris que le féminisme était dans l’air du temps, et donc qu’elle avait tout intérêt à l’utiliser à ses propres fins. D’où ces discours sur la crainte des migrations et du cosmopolitisme en lien avec l’idée du contrôle des naissances : dans la tête des leaders nationalistes, la natalité devient un moyen de lutter contre les migrations. On retrouve ce discours-là chez l’extrême-droite américaine, mais aussi française, polonaise, hongroise… Il est également fait allusion à cette rhétorique dans le camp de la droite plus traditionnelle, par exemple lorsqu’on entend dire que pour pallier le déficit des retraites ou les pénuries de main d’œuvre, il faudrait augmenter les naissances. La lutte contre l’avortement s’inscrit précisément dans cette dynamique.

Un autre exemple est celui de la récupération des idées écologistes, et notamment l’idée du « retour à la nature » contre la science et la technique. Il s’agit de glorifier la nature féminine, sur la base de ce vieux stéréotype « femme = nature, homme = culture ». In fine, cela sert surtout à justifier la fragilisation des droits reproductifs des femmes (contraception, avortement, etc.). Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il est remis au goût du jour par le prisme de l’actualité écologique.

Et qu’en est-il de ce que vous appelez les « résistances masculinistes » ? Qu’est-ce que ces différentes formes de résistance à travers le monde ont en commun ?

Depuis quelques années, on observe une plus grande visibilité des mouvements féministes, pas forcément parce qu’ils sont plus puissants mais surtout parce qu’ils sont plus visibles qu’avant. Les réseaux sociaux et la presse permettent de diffuser des images, des slogans, des mobilisations. Cela a été le cas en Iran, au Chili, en Argentine… À chaque fois, ces mouvements occasionnent des résistances très fortes de la part des opposants, soit parce que ceux-ci comprennent bien les privilèges qu’ils pourraient perdre, soit parce que d’une manière générale les États autoritaires ne tolèrent aucune contestation.

C’est particulièrement le cas lorsque ces revendications s’étendent aux sphères culturelle et médiatique, avec la sortie de documentaires et de livres notamment. Ces contenus culturels se confrontent au pouvoir que détiennent encore majoritairement les hommes. Mais outre l’hostilité, il faut parler de l’indifférence au sort des femmes : en France, on observe encore une relative négligence vis-à-vis des violences faites aux femmes, par exemple. Le phénomène est assez intéressant à observer précisément parce qu’il n’est pas spécifique aux régimes non-démocratiques. On le voit beaucoup aussi sous nos yeux. Ces deux forces s’opposent dans tous les pays du monde, avec un continuum d’oppression qui va de l’indifférence aux crimes en passant par la violence verbale. Même si le curseur est évidemment positionné différemment selon les pays et les cultures.

En ce moment, l’Union européenne mène une campagne de communication autour de certaines « valeurs » qui seraient attachées au Vieux Continent : les droits humains, l’indépendance énergétique, mais aussi l’égalité femmes-hommes. Comment l’UE peut-elle espérer peser sur la scène internationale en matière de féminisme ?

L’Union européenne fait beaucoup de choses, et parfois plus que les États qui la composent, en matière de lutte pour l’égalité femmes-hommes. Cette priorité est inscrite dans un nombre de domaines assez important : programmes de recherche, politiques sportives… Mais il y a encore des progrès à faire, ne serait-ce que parce que le droit à l’avortement n’est pas inscrit dans la charte des droits fondamentaux de l’UE. De même, on pourrait s’attendre à davantage de soutiens aux Afghanes ou aux Iraniennes qui souffrent de violence, par exemple en termes de sanctions et de fonds. Une décision prise récemment, ce mardi 7 mars, va d’ailleurs dans ce sens.

Ceci étant dit, on voit bien dans les discours de certains dirigeants à travers le monde à quel point la rhétorique anti-féministe peut s’appuyer sur la critique de l’Europe. Précisément pour cette raison-là : aux yeux de certains dirigeants d’Afrique et du Moyen-Orient, l’Union européenne est une puissance pervertie par le féminisme et les causes LGBT. Cela veut bien dire que dans une grande partie du monde, l’Europe est perçue comme défendant ces droits. Pour résumer, je dirais qu’en matière de féminisme, l’Europe est un fer de lance qui peut toujours mieux faire.

 

Propos recueillis par Pablo Maillé pour Usbek & Rica.

Accord irano-saoudien : quelles causes, quelles conséquences ?

sam, 11/03/2023 - 10:21
Comment interpréter l’annonce surprise du rétablissement des relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite?

Ce n’est pas totalement une surprise. Le rapprochement avait débuté en avril 2021 à Bagdad, en Irak, sous les auspices de l’ancien Premier ministre, Moustapha Al-Kazimi, à l’occasion d’une première réunion non-officielle entre le chef des services de renseignements saoudiens, le général Khaled ben Ali Al Humaidan, et des responsables iraniens mandatés par le chef du Conseil suprême de la sécurité nationale iranienne, l’amiral Ali Chamkhani. Une demi-douzaine de sessions s’étaient tenues par la suite jusqu’au milieu de l’année 2022. En juillet 2022, était même annoncée une réunion prochaine des ministres des Affaires étrangères respectifs des deux pays qui s’était fait attendre du fait des aléas géopolitiques régionaux et de la situation intérieure de l’Iran confrontée à une vague inédite de contestation à partir de septembre 2022. Au point de lancer un avertissement à Ryad en termes explicitement menaçants.

L’Iran, pourtant demandeuse, probablement du fait de son isolement accru, d’un rétablissement des relations rompues avec les pays du CCG en janvier 2016, avait averti les pays de la région, notamment l’Arabie Saoudite, qu’il riposterait aux actions de déstabilisation supposées, visant la République islamique :  » Je voudrais dire à l’Arabie Saoudite que notre destin et celui d’autres pays de la région sont liés les uns aux autres en raison de notre voisinage « , avait ainsi déclaré, le 9 novembre 2022, le ministre iranien des Renseignements, Esmaïl Khatib.  » Pour l’Iran, toute instabilité dans les pays de la région est contagieuse, et toute instabilité en Iran peut être contagieuse pour les pays de la région « , avait-il mis en garde. Et d’ajouter :  » si la République islamique décide de punir ces pays, leurs palais de verre s’effondreront et ils ne connaîtront plus la stabilité « .

Une rencontre entre le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhane et son homologue iranien, Hossein Amir-Abdollahian , allait tout de même avoir lieu, le 21 décembre 2022, en marge de ladite  » deuxième conférence de Bagdad  » tenue à Amman en Jordanie. Les deux parties se déclarant prêtes à poursuivre le dialogue. Hossein Amir-Abdollahian, avait même annoncé, le 12 janvier 2023, avoir conclu un accord avec l’Arabie saoudite, lors de la récente conférence dite Bagdad II, tenue le mois précédent en Jordanie, pour mener un dialogue bilatéral en vue de la normalisation des relations entre les deux pays. Le ministre iranien des Affaires étrangères avait déclaré, le 29 janvier, que l’Iran et l’Arabie saoudite allaient bientôt reprendre leurs pourparlers sur la normalisation de leurs relations. Des négociations qui ont débouché sur l’annonce spectaculaire du 10 mars 2023 qui referme le cycle de conflictualité ouverte en janvier 2016 même si le contentieux est loin d’être apuré.

Il demeure que l’Arabie saoudite a considéré qu’il en allait malgré tout de son intérêt, notamment pour ne pas hypothéquer en interne la réalisation du fameux  » Plan Vision 2030  » lancé par le prince héritier Mohammed ben Salmane, laquelle est indissociable, pour attirer les investissements nécessaires, d’une forme d’apaisement de la conflictualité régionale.

Quel impact cette annonce peut avoir sur la région, notamment sur les dossiers libanais, yéménites et syriens ?

Ce sont notamment ces dossiers régionaux qui constituaient des points de blocage pour Ryad dans la perspective d’une éventuelle normalisation des relations avec Téhéran, régulièrement accusé de s’ingérer dans les affaires arabes via ses proxys: au Liban avec le poids du Hezbollah sur l’échiquier politique, en Syrie depuis l’engagement résolu dès 2013 auprès de Damas pour sauver le régime alaouite de Bachar al-Assad, menacé par les insurgés, et, au Yémen, avec leur soutien de plus en plus avéré à la milice zaydite houthie qui n’hésite pas à cibler le royaume saoudien depuis la frontière méridionale du royaume, au point d’être stigmatisée par Ryad comme un Hezbollah-bis.

L’objectif stratégique de l’Arabie saoudite consiste à s’efforcer de réduire l’empreinte iranienne dans la région. N’y étant pas parvenu par la confrontation, l’Arabie saoudite estime qu’une logique transactionnelle serait susceptible d’être plus efficiente avec la prise en compte d’un intérêt bien compris par les deux parties: réduire son isolement croissant pour Téhéran, assurer une forme de stabilité régionale pour Ryad, condition sine que non pour garantir le succès de la réalisation de son « Plan Vision 2030 ».

La Chine a-t-elle influé sur ce réchauffement des relations ?

Pékin, où a été faite l’annonce, a incontestablement joué un rôle important, même s’il n’est pas exclusif, dans la finalisation de ce rapprochement entre les deux rivaux géopolitiques régionaux. Et cela parce que la Chine, gourmande en produits énergétiques, se targue d’entretenir de bonnes relations avec chaque partie prenantes. Dans leur communiqué commun, l’Iran et l’Arabie saoudite ont, de fait, ostensiblement remercié « la République d’Irak et le sultanat d’Oman d’avoir accueilli des pourparlers entre les deux parties en 2021 et 2022, ainsi que les dirigeants et le gouvernement de la République populaire de Chine pour avoir accueilli et soutenu les pourparlers menés dans ce pays ».

Dans son exercice d’équilibrisme géopolitique pour des raisons géoéconomiques, la Chine, premier client pétrolier officieux (30 % des exportations iraniennes) et 2ème fournisseur officiel de l’Iran (25 % des importations iraniennes), entretient des relations étroites avec Téhéran, qui a d’ailleurs signé en mars 2021 un vaste accord de partenariat stratégique sur 25 ans, largement au profit de Pékin dans des domaines aussi variés que l’énergie, la sécurité, les infrastructures et les communications.

Cet accord est devenu à la faveur de la visite du président iranien Ebrahim Raïssi à Pékin, du 14 au 16 janvier 2023, un « partenariat stratégique global ». Dans le même temps, le voyage du président chinois Xi Jinping à Ryad le 8 décembre 2022 a montré à Téhéran que Pékin considérait le royaume saoudien comme un partenaire énergétique essentiel. Celui-ci est devenu le premier fournisseur pétrolier de Pékin qui a fait du royaume de l’or noir le premier récipiendaire des IDE chinois (20 % du montant total) dans la région. Cette visite avait d’ailleurs donné lieu à la signature de pas moins d’une vingtaine de  » Memorandum of Understanding  » (protocole d’accord). La Chine entend désormais tenir le rôle de  » honest broker  » (honnête courtier) et se substituer à la puissance américaine en se prévalant auprès de ses interlocuteurs régionaux de n’avoir aucun passé colonialiste. Elle semble pour l’instant y parvenir même si cela demande à être confirmé en cas de crise majeure, par exemple, un échec total des négociations sur le nucléaire iranien.

Le séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie a permis un nouveau rapprochement entre Damas et les pays du Golfe. Cela peut-il avoir joué sur le réchauffement entre Téhéran et Riyad ?

De manière peut être indirecte, dans le sens où Téhéran constate qu’il y a des velléités de normalisation avec le régime de Damas après une décennie de guerre. C’est le cas notamment de la part des Émirats arabes unis qui ont rouvert, fin décembre 2018, avec Bahreïn, leur ambassade à Damas. Ils pratiquent aujourd’hui, avec d’autres pays arabes comme l’Irak ou l’Égypte, voire la Jordanie, une forme de lobbying pour réintégrer la Syrie dans la grande « famille arabe » que constitue l’organisation de la Ligue arabe. Les conséquences humanitaires du séisme en Syrie ont justifié la réactualisation d’une certaine solidarité arabe avec le régime syrien. Une situation dont il joue d’ailleurs, avec une certaine limite néanmoins, car cela n’est pas censé se faire au détriment de l’Iran dont il est débiteur. Il demeure que cette réintégration, tant espérée par Damas, ne pourra se faire sans l’aval saoudien. Or, du point de vue arabe, cette normalisation est largement conditionnée par une prise de distance de Damas vis-à-vis de Téhéran. C’est là que l’on retrouve les attendus incertains de l’annonce du rétablissement des relations entre Ryad et Téhéran.

Propos recueillis par Rémi Amalvy pour Ici Beyrouth.

« La fonction sociale de l’artiste n’est pas toujours celle que l’on croit » : Marcel Amont dans la RIS

ven, 10/03/2023 - 11:12

Décédé le 8 mars 2023, Marcel Amont fut tout à la fois compositeur, acteur, animateur à la télévision et écrivain. Il avait notamment connu de grands succès avec ses titres « Le Mexicain » et « Bleu Blanc Blond ». En 2017, il répondait aux questions de Pascal Boniface, revenant pour le compte de La Revue internationale et stratégique sur son parcours, son rapport à la géopolitique et sa perception du rôle social de l’artiste.

 

« La fonction sociale de l’artiste n’est pas toujours celle que l’on croit », entretien avec Pascal Boniface, La Revue internationale et stratégique, n° 106, IRIS Éditions – Armand Colin, été 2017, p. 7 à 17 (en libre accès).

 

Pourrions-nous revenir un instant sur votre parcours et sur ce qui vous pousse encore à monter sur scène à l’âge de 88 ans ?

Marcel Amont – J’ai renoncé à être professeur d’éducation physique il y a maintenant soixante-dix ans pour choisir, au grand dam de mes parents, le métier d’artiste. J’ai fait le Conservatoire d’art dramatique, joué les valets de Molière, été chanteur d’orchestre. En 1950, j’ai compris qu’il ne se passait pas grand-chose à Bordeaux. Alors, j’ai fait le grand saut vers la capitale où, évidemment, personne n’attendait le jeune Marcel Miramon. Puis, les choses ont commencé à fonctionner. Pourquoi aurais-je abandonné ?

Depuis, cela reste ma vocation, ma raison de vivre, et je ne vois pas à 88 ans ce qui pourrait me donner autant de plaisir. Et puis, je ne sais rien faire d’autre. Mais j’ai pris des risques à cette époque. Mon père disait toujours : « tu n’auras pas de retraite, tu te figures qu’on va te payer pour chanter des bêtises ? »

Quelles ont été vos influences et vos sources d’inspiration ?

Marcel Amont – L’arrivée du poste de TSF dans les foyers ouvriers – puisque de paysans, mes parents sont devenus ouvriers – a véritablement changé la vie. C’était très œcuménique. Du jour au lendemain, nous avions accès à tout, en vrac : Berthe Sylva, des chanteurs d’opéra, Ray Ventura, Jean Sablon, Charles Trenet. Tout cela cohabitait, c’était le Bombay de Salman Rushdie, il n’y avait pas de clivages, les influences étaient tous azimuts. Bien entendu, je préférais entendre Jean Sablon, Ray Ventura et ses Collégiens et, évidemment, Charles Trenet. Mais nous recevions toutes ces influences en même temps.

Quel était alors votre rapport à la géopolitique ?

Marcel Amont – Ma génération – j’avais dix ans au moment de la déclaration de guerre – a baigné dans une actualité terrible dès le plus jeune âge. Souvent, les gens qui ne connaissent pas l’histoire me disent : « à Bordeaux, vous étiez en zone libre ». Non seulement nous étions en zone occupée et nous avons connu la botte de l’occupant, mais en plus, il s’agissait d’une base sous-marine. Nous avons été bombardés pendant toute la guerre, qui plus est par nos amis, qui cherchaient à nous délivrer. Nous étions donc dans l’actualité la plus brûlante, la plus terrifiante à longueur de journée. On écoutait Londres et on voyait bien que ce qu’on lisait dans les journaux autorisés à la publication n’était pas cohérent. On suivait tout cela sur la carte en piquant des petits drapeaux. Je peux encore vous dire où sont Benghazi, El Alamein, Bir Hakeim, Smolensk, etc. On était plongé dans l’actualité des belligérants à longueur de journée. On vivait les privations, on n’avait pas à manger, on prenait des bombes et on écoutait les informations. Les gens de ma génération étaient au sein même de l’actualité : comment y échapper ?

Est-ce cette comparaison entre le discours officiel des journaux pétainistes et l’écoute de Radio Londres qui a forgé votre esprit critique ?

Marcel Amont – Bien sûr, totalement. Aujourd’hui encore, je continue à douter en permanence. Les gens assénaient à l’époque des vérités premières, même mes braves parents chacun de leur côté, avec beaucoup de bonne foi. Et puis, ils m’ont donné la chance de poursuivre mes études après l’école primaire. Cela est capital pour aider à se débarrasser éventuellement d’œillères familiales.

Deux vérités premières différentes donc, puisque votre père était communiste et votre mère catholique.

Marcel Amont – Différentes mais qui, tout compte fait, se rejoignaient. Mon père n’était pas inscrit au Parti – ce qui lui a sauvé la vie d’ailleurs pendant l’occupation.

Puis, grâce à l’école, on reste quinze jours sur Socrate, la maïeutique, le positivisme, Auguste Comte. Tout à coup, on a l’impression que l’on peut devenir critique sur tout un ensemble de sujets. J’ai donc développé mon esprit critique entre « papa coco » et « maman catho », plus le fait d’écouter Londres pendant que la presse et la radio pétainistes disaient autre chose, plus le fait que ce qu’on me disait à la maison et à l’école ne correspondait pas tout à fait.

C’est terrifiant d’ailleurs, je suis tellement hanté par le doute que je suis très désemparé par ce qui se passe autour de moi pratiquement depuis que je suis né, mais particulièrement en ce moment. Comme il serait merveilleux, comme ma mère et sa sœur, de pouvoir botter en touche. Botter en touche, pour moi, c’est croire en Dieu. J’aimerais bien, mais cela ne vient pas. Heureusement, il me reste quelques convictions solides sur des sujets que je juge essentiels.

En 1956, vous faites la première partie d’Édith Piaf. C’est aussi l’année du soulèvement de Budapest. Comment vivez-vous alors ces événements ?

Marcel Amont – Je n’étais déjà plus dans la mouvance de mon père. Je n’avais pas à me désintoxiquer d’une influence : c’était déjà fait. J’ai parfaitement compris, et mon père aussi je crois, même s’il n’en parlait pas – même plus tard après qu’il m’eut accompagné durant ma tournée en URSS.

L’insurrection de Budapest et la façon dont le pacte de Varsovie, enfin dont les Russes ont réagi était très violente. Je retrouvais ce que j’avais vécu : là où il y a toute forme d’occupation étrangère – y compris le colonialisme ! –, les vainqueurs tiennent la matraque. Il est évident que les peuples cherchent la liberté et se battent pour la gagner ; encore ne faut-il pas que les forces en présence soient disproportionnées.

Il y eut ensuite différentes crises dans les années 1960 : le mur de Berlin, les missiles de Cuba. Comment les avez-vous perçues, à la fois personnellement et en tant qu’artiste ?

Marcel Amont – Je ne suis pas un artiste engagé dans son répertoire. Je trouve que c’est la chose la plus difficile à faire au monde que de faire passer des messages, des idées dans des chansons. C’est un don qui n’est pas à la portée du premier venu ; les bonnes intentions ne tiennent pas lieu de talent ; ne s’appelle pas Georges Brassens – et quelques rares autres – qui veut. C’est très difficile de ne pas tomber dans la médiocrité du prêchi-prêcha.

Moi, je chante les fleurs et les petits oiseaux, ma vocation est d’amuser la galerie. Mais en tant que citoyen du monde, je me tiens informé. On savait très bien qu’à l’origine Fidel Castro n’était pas communiste, on connaissait le blocus que les Américains imposaient dans leur territoire de chasse et le fait que Cuba était le casino et le bordel des États-Unis.

Je n’ai pas réagi publiquement. En quoi étais-je pertinent aux yeux et aux oreilles des gens pour manifester mon opinion ?

Vous avez évoqué le mur et le blocus de Berlin, les couloirs aériens selon un itinéraire bien précis, etc. Il n’y avait en réalité pas d’après-guerre, la guerre continuait à travers le monde sous d’autres formes. Tout cela a tellement d’importance, mais il faudrait être spécialiste. On a des vues globales, on essaie de s’informer ; même si cela se passe à l’autre bout du monde, cela peut nous concerner directement demain matin. C’est là qu’il faut se référer aux spécialistes si le sujet nous intéresse. D’ailleurs, je ne peux pas réussir à comprendre que cela n’intéresse pas du tout certaines personnes. Un copain m’a dit un jour – je ne dirai pas son nom, un compositeur de talent : « toi qui t’intéresses à tous ces trucs, qu’est-ce que c’est cette histoire de Biafra ? » Il y avait déjà 1 million de morts.

Évidemment, en tant que citoyen de la République française, il va de soi que je m’informe également et, globalement, je sais généralement où je mets les pieds.

Au moment de la crise de Cuba, craignez-vous une guerre nucléaire ?

Marcel Amont – Nucléaire, je ne sais pas, mais nous étions inquiets de voir des fusées en face de la Floride, bien sûr. Mon ami Pierre Tchernia était aux États-Unis pour une émission et il craignait que la guerre éclate et de ne pas pouvoir rentrer. Tout le monde avait peur.

Plus généralement, comment percevez-vous les grandes évolutions actuelles ? Avez-vous le sentiment d’un progrès général ou que les situations se dégradent ?

Marcel Amont – Il semblerait, d’après ce que je lis à droite et à gauche – tiens, je n’avais pas pensé que cela pouvait être un lapsus –, qu’on tendrait globalement vers un progrès, mais en passant par des péripéties dramatiques, des combats d’arrière-garde de toutes sortes à travers le monde. Je regarde évidemment consterné ce qui se passe au Moyen-Orient, en Corée du Nord, et même aux États-Unis et en Russie.

Il est vrai que les progrès technologiques sont impressionnants. Je vois encore ma grand-mère allant à la fontaine portant une cruche sur sa tête. Et maintenant, je vois des choses tellement incroyables. Un jour, j’étais avec mes enfants et nous regardions une retransmission d’une émission à laquelle je participais : eux trouvent naturel de voir leur père à côté d’eux et sur l’écran en même temps.

Je vois bien qu’il y a des progrès. On me dit toujours : « dans les Pyrénées, au grand air, les gens vivaient sainement ». Mes deux grands-pères étaient bergers et sont morts dans la quarantaine d’un chaud et froid. Là, les progrès sont évidents. On opère des gens à distance, on envoie une fusée se poser sur un satellite, etc.

Mais au-delà de cet indéniable progrès technique, les gens vous semblent-ils plus heureux ou mieux traités qu’auparavant ?

Marcel Amont – Tout est relatif. Ma mère, qui avait six ans quand son père est décédé, me dépeignait sa vie d’orpheline : « tant que l’on n’a pas connu autre chose, on pense que c’est comme cela, la vie ». Depuis les milliards d’années où les cellules ont commencé à s’agglomérer et se combiner pour devenir l’Homo erectus, puis l’Homo Sapiens, à quel point en est-on, en 2017, de l’évolution ? Chi lo sa[1] ? Je ne suis pas assez pertinent pour vous dire si l’on est en progrès ou non. C’est une interrogation que je me pose beaucoup, comme tout le monde, je suppose et j’espère.

Revenons à l’artiste, à propos duquel vous avez précédemment évoqué la notion d’engagement. Lui accordez-vous une fonction sociale particulière ?

Marcel Amont – Oui, et elle n’est pas toujours celle que l’on croit. J’ai eu personnellement la chance, je le répète, que mes parents m’envoient faire « mes humanités », comme on disait.

Est-ce que s’engager signifie prendre parti professionnellement sur des sujets de société ou non ? Je n’en suis pas sûr. J’ai personnellement toujours voulu être dans la mesure. Je le redis, si l’on juge que l’on n’a pas le talent pour changer la société, pour donner à penser aux gens, ce n’est déjà pas si mal de les faire sourire. C’est là où cette fonction existe. Modestement.

Par exemple, je me suis intéressé sur le tard à la peinture, que je ne connaissais pas, parce qu’à l’école et même au lycée on n’en parlait pas du tout. Quand on pense que Sandro Botticelli a dû brûler toutes ses toiles pour ne plus peindre que des descentes de croix, parce que l’inquisition lui avait dit qu’il irait en enfer… J’aime mieux voir sa Vénus, mais il est vrai qu’à l’époque, il ne fallait gagner son paradis qu’en parlant de choses sérieuses, en n’évoquant que les choses de la religion. Guernica est un chef-d’œuvre « engagé » ; cela ne condamne pas Antoine Watteau, Raoul Dufy ou Paul Cézanne à l’oubli éternel ou au mépris.

On peut ne voir en cela qu’un plaidoyer pro domo, mais moi, je suis un amuseur et je me revendique comme tel. Mais je sais le prix de mon bulletin de vote, j’ai connu l’occupation, et j’essaie d’être un citoyen. Je pense que la fonction de l’artiste – c’est là un des sujets qui me préoccupe le plus – est d’apporter, à sa façon, quelque chose aux autres. Personnellement, je répète que je prétends leur apporter un peu de gaieté, de bonne humeur, avec des textes pas trop mal fichus, dont certains sont de gens comme Georges Brassens, Claude Nougaro et d’autres qui sont de mon cru. Et je pense que ce n’est déjà pas si mal.

Vous considérez qu’une chanson doit être mise en scène pour être valorisée. Pensez-vous qu’il en va de même pour le discours politique ?

Marcel Amont – Il est des textes qui, se suffisant à eux-mêmes, se dispensent de toute mise en scène ou de toute intervention gestuelle. Moi, c’est mon fonds de commerce de me mettre en scène et de jouer des personnages. Peut-on faire un parallèle avec le discours politique ? Il me semble que non. Cela peut fonctionner quand l’on est un tribun : autrefois, j’imagine qu’il en était ainsi, que Léon Gambetta ou Georges Danton devaient être des voix du tonnerre. J’ai vu des documents où l’on voit Lénine monter sur une charrette et parler : là, c’est le tonus qui passe dans la voix. Mais mettre en scène un discours, c’est quoi ? Je ne sais pas. Cela a son importance, tout de même. Est-ce qu’il est nécessaire qu’il en soit ainsi ? Là non plus, je ne suis sûr de rien. En tant que Béarnais, j’aime bien François Bayrou comme individu. Mais ses traces de bégaiement le desservent un peu, qu’on le veuille ou non, alors que le timbre généreux de Jean-Luc Mélenchon valorise son discours.

 

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[1] NDLR : Qui sait ?

Retour sur la Conférence de haut niveau sur le Yémen : quelle aide prévue pour 2023 ?

jeu, 09/03/2023 - 17:59

Depuis 2014, le Yémen est le théâtre d’un conflit brutal qui oppose les forces pro-gouvernementales appuyées par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite et les rebelles houthis soutenus par l’Iran qui contrôlent une partie du pays, entraînant une des pires crises humanitaires de ce début du XXIe siècle. Pour tenter d’y répondre et mettre en lumière ce conflit oublié, les Nations unies ont organisé à Genève une Conférence de haut niveau dédiée au Yémen, le 27 février dernier. Quels en étaient les objectifs et avec quels résultats ? Au vu de l’ampleur de la crise humanitaire, quels sont les besoins du Yémen à court et moyen terme ? Le point avec Fatou Élise Ba, chercheuse à l’IRIS, en charge du Programme Humanitaire et Développement.

Quels étaient les objectifs de cette conférence ?

Les Nations unies ont organisé la Conférence internationale des donateurs pour venir en aide au Yémen après huit ans de guerre. Le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a mis en évidence, en amont de cet évènement, des besoins humanitaires sans précédent et des populations extrêmement vulnérabilisées. Cette conférence arrive à point nommé afin d’identifier les besoins et mettre en place un plan stratégique qui permette d’offrir des réponses efficientes à une situation d’urgence et à des années de conflit. Cette conférence de haut niveau avait donc comme premier objectif de capter des fonds et d’assurer l’engagement des donateurs. Et c’est donc 1,2 milliard de dollars qui ont été captés, malgré les besoins estimés par le Plan de réponse humanitaire pour le Yémen (HPR) à 4,3 milliards de dollars pour aider 17,3 millions de personnes. Cette conférence s’inscrit dans une continuité d’actions engagées en 2022.

De la même manière, l’année passée, alors que la situation du Yémen était tout aussi  inquiétante et qu’il y avait une escalade du conflit, l’ONU avait fait un appel et organisé une conférence des donateurs pour le Yémen. Seule la moitié de la somme demandée avait été récoltée, source de questionnement pour les ONG et les organisations humanitaires dans la mesure où quasiment au même moment, la guerre en Ukraine a mobilisé et démontré une possibilité de débloquer plusieurs milliards de dollars dans des délais très courts pour répondre à des besoins urgents.

De manière plus stratégique, cette conférence avait pour objectif de sensibiliser les bailleurs de fonds, les acteurs internationaux et plus largement l’opinion publique, sur la grave crise humanitaire au Yémen et bien sûr, d’appeler à la fin du conflit. Ce qu’il se passe dans ce pays est une crise non visible, qu’on peut qualifier de « crise oubliée », dans la mesure où elle dure depuis trop longtemps, que les fonds engagés dans sa riposte ne correspondent pas totalement aux besoins réels des populations vulnérables, et que les médias internationaux ne s’emparent pas massivement de la question.

Au vu de l’ampleur de la crise humanitaire, économique et climatique, quels sont les besoins du Yémen à court et moyen terme ?

L’OCHA estime à ce jour que deux tiers de la population ont des besoins humanitaires et de services de protection. Le HPR a pour ambition de toucher en 2023 les 17,3 millions de personnes impactées par le désastre humanitaire. On estime que 80 % de la population a des difficultés d’accès à de la nourriture de base, à l’eau potable et à des services de santé. Le Yémen, c’est également plus de 4 millions de déplacés internes selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cette crise est, à l’heure actuelle, une des plus grandes crises humanitaires au monde et l’escalade de la violence entre 2021 et 2022 a accentué la vulnérabilité des populations. Par ailleurs, la situation humanitaire se détériore malgré la négociation d’une trêve entre avril et octobre 2022. Femmes et enfants souffrent de manière plus accrue et les violences basées sur le genre sont exacerbées selon le Fonds des Nations unies pour les populations (UNFPA). De surcroît , le pays est fortement menacé par les catastrophes naturelles. La sécheresse s’intensifie de plus en plus, tout comme l’insécurité alimentaire, ce qui rend la zone plus sujette aux situations de conflits et de crises. Le Yémen est l’un des pays les plus pauvres au monde, avec un fort niveau d’endettement et une économie très dépendante de l’aide internationale. Cette crise est multifactorielle et doit être abordée de manière pluridimensionnelle.

À court terme, il y a un véritable  enjeu en matière de résolution de conflit, les civils  étant les premières victimes. Il est nécessaire pour les instances internationales d’apporter une réponse cohérente avec un plan de financement associé qui ne soit pas minimisé. L’organisation Care a notamment pointé du doigt l’incohérence de la part de certains États occidentaux, notamment la France, qui ont vendu des armes aux belligérants, mais contestent la perpétuation du conflit. En outre, les fonds récoltés pour financer le HPR pour le Yémen restent insuffisants si l’on veut pouvoir riposter de manière efficiente aux causalités structurelles de la crise et aux réelles causes de la pauvreté chronique. Sur le long terme, il y a des besoins concernant plus largement le développement économique du pays,  la consolidation de la paix, la mise en place d’un processus de justice transitionnelle, la gestion des risques liés aux catastrophes naturelles, etc. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a également souligné que le manque de fonds risque d’aggraver la crise humanitaire. On peut donc craindre de faire face à un constat similaire lors de la prochaine Conférence de haut niveau en 2024…

En avril 2022, l’ONU avait réussi à obtenir une trêve, renouvelée à plusieurs reprises, entre les rebelles houthis et le gouvernement. Celle-ci n’est plus en vigueur depuis le mois d’octobre dernier. Quel est l’impact d’une reprise des combats sur l’aide humanitaire ? Que peut mettre en place l’ONU avec les différents acteurs locaux et régionaux pour parvenir à une nouvelle trêve ?

Effectivement, dès novembre 2022, l’ONU s’est inquiétée de la non-prolongation de l’accord de trêve. Durant la période de trêve, les acteurs humanitaires avaient pourtant noté une forte baisse des pertes civiles. La fin 2022 a notamment été le moment, pour les instances internationales et les ONG, de renouveler leur appel de fin de conflit. On estime qu’il n’y aurait pas de véritable reprise du conflit, en tout cas, tel que le Yémen l’a connu les huit années précédentes. Cependant, plusieurs incidents impliquant les forces gouvernementales et les Houthis, notamment des bombardements, ont été notifiés par le Bureau des droits de l’homme des Nations unies. Mais ce n’est pas parce qu’il y a une baisse du conflit que la situation du Yémen s’arrange dans la mesure où la pauvreté devient d’autant plus chronique, les besoins humanitaires sont toujours alarmants et les réponses restent trop faibles pour entrevoir une accalmie réelle. La crise économique continue aussi de s’accentuer et la situation sécuritaire des civils n’est toujours pas garantie.

Les efforts de la part des acteurs de l’aide, ONG et instances internationales, doivent être concentrés dans l’appui aux acteurs locaux et aux organisations de la société civile. Au Yémen, dans ce cadre de déstructuration des institutions étatiques et d’instabilité, ces acteurs  ont un rôle de soutien d’urgence de la population et pallient le rôle de l’État à travers la distribution de kits alimentaires, l’accès à des services de santé de base, etc. Par ailleurs, la sécurité des personnels humanitaire mériterait d’être améliorée sur le terrain, je fais notamment référence à la disparition et la détention de plusieurs membres du personnel humanitaire. Les femmes travailleuses humanitaires yéménites subissent par ailleurs des contraintes d’actions, étant dans l’obligation de rester sous la tutelle d’un homme, ce qui, de fait, freine la bonne mise en place des programmes et les empêche de mener à bien leurs missions, selon Amnesty International. Et ceci particulièrement dans les programmes de santé générale, de santé reproductive et plus largement pour l’aide apportée aux femmes et aux filles sur place. Cette règle du marham dans les zones contrôlées par les Houthis aurait entrainé, selon OCHA, plusieurs annulations de déplacement et de livraisons d’aide humanitaire. Face à la ségrégation entre les sexes, la situation des femmes et des filles semble très inquiétante. Les prochaines grandes discussions de médiation devront aborder la résolution de la crise et spécifiquement la condition des femmes et filles qui ne démontre pas, pour l’instant, une amélioration.

Ukraine : le Brésil se mobilise

mer, 08/03/2023 - 18:07

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Amérique latine/Caraïbe, vous donne régulièrement rendez-vous pour ses “Chroniques de l’Amérique latine”. En direct de Brasilia, et suite à sa rencontre avec le conseiller spécial du président Lula pour les questions internationales, Celso Amorim, il nous partage les propositions du gouvernement brésilien en faveur de la paix en Ukraine.

➡️ Retrouvez tous les épisodes des « Chroniques de l’Amérique latine » sur la chaîne YouTube de l’IRIS : https://youtube.com/playlist?list=PL3c38cSa3wcDZJsQpzOJLqZzxFCWqJTPj
📽️ « L’Europe et le Brésil : un nouveau départ ? » : https://www.youtube.com/watch?v=fCdNevML38A
📽️ « Discours d’investiture de Lula : des engagements et des défis » : https://youtu.be/od9SpixUkUo
📽️ Podcast Comprendre le monde – « Le Brésil et l’Amérique latine face à la guerre en Ukraine », Christophe Ventura invité de Pascal Boniface : https://youtu.be/NGyoxFmmyac
📄 Les notes du programme « Amérique latine/Caraïbe » de l’IRIS : https://www.iris-france.org/programmes/amerique-latine-caraibe/
📕 Pour se procurer son ouvrage « Géopolitique de l’Amérique latine », Eyrolles (2022) : https://www.iris-france-boutique.org/collection-geopolitique-eyrollesiris/252-geopolitique-de-l-amerique-latine.html

« Le mirage sahélien » – 4 questions à Remi Carayol

jeu, 23/02/2023 - 12:27

Journaliste indépendant, couvrant l’actualité du Sahel depuis dix ans, Rémi Carayol coordonne le comité éditorial du site d’information Afrique XXI et écrit régulièrement dans Mediapart, Le Monde diplomatique et Orient XXI. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Le mirage sahélien » aux éditions La Découverte.

 

On a trop souvent réduit les groupes djihadistes à des motivations religieuses alors qu’elles sont très diverses… 

On peut même affirmer que les motivations religieuses sont secondaires, du moins en ce qui concerne la plupart des femmes et des hommes (des adolescents aussi) qui rejoignent ces groupes. Certes, le JNIM et l’EIGS, les deux principaux groupes djihadistes sahéliens, sont liés respectivement à Al Qaïda et à l’État islamique. Mais leurs combattants n’épousent pas forcément leur idéologie, et ce n’est d’ailleurs pas sur cet aspect que ces groupes recrutent. Plusieurs études de chercheurs, de think tanks mais aussi d’agences internationales telles que le PNUD l’ont démontré. Pour certains, c’est un moyen de renverser l’ordre établi – celui fixé par les autorités étatiques ou celui qui règne au sein de leur communauté, avec des strates et des hiérarchies quasiment indépassables. Pour d’autres, c’est un moyen de gagner sa vie : ce sont des personnes qui n’ont pas forcément de travail et à qui on promet un peu d’argent. Cela peut être aussi un enjeu de survie dans un contexte de très forte insécurité : pour protéger sa famille, on rejoint un groupe qui pourra nous défendre. Il y a également des trajectoires relevant de la vengeance : certains combattants ont rejoint les rangs djihadistes parce qu’un membre de leur famille avait été tué par l’armée nationale de leur pays ou par une milice.  Et il y a tous ceux, nombreux, qui se sont retrouvés là après un choix irréfléchi ou une mauvaise rencontre. Certains de ceux avec qui j’ai discuté – qui avaient rejoint le JNIM à l’âge de 15-16 ans – l’ont fait parce qu’ils pensaient avoir une opportunité, l’un pour poursuivre des études dans un pays arabe, l’autre pour avoir une chance de rejoindre l’Europe…

Vous évoquez le déclin du Quai d’Orsay et la militarisation de notre politique au Sahel…

J’emploie le terme de « marginalisation ». Celle-ci a été manifeste quelques semaines seulement après le déclenchement de l’opération Serval en janvier 2013. Très vite, le ministère de la Défense a pris le « lead » sur les questions sahéliennes, au détriment des diplomates, et a imposé son propre agenda : sur le plan militaire bien sûr (en scellant des alliances avec des groupes contre l’avis des diplomates), mais aussi sur le plan politique et diplomatique. Le Quai d’Orsay, puis l’Agence française de développement (AFD), qui centralise l’aide au développement de la France, ont été priés de s’adapter aux priorités de l’armée, et de collaborer avec elle.

Plusieurs facteurs expliquent cette évolution. Il y a tout d’abord une forme de logique : quand 5 000 soldats français se battent dans un pays, l’état-major a forcément son mot à dire sur les choix politiques. En l’espace de quelques années, avec l’opération Barkhane qui a succédé à Serval en août 2014, le nombre de bases militaires et de soldats français a quintuplé au Sahel. Dans un tel contexte, où la force prime sur le dialogue, le poids des diplomates ne peut que s’étioler. Il y a aussi le désintérêt du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Laurent Fabius, pour l’Afrique ; et a contrario le très fort intérêt du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, pour ce continent. Enfin, comme l’explique l’ancien diplomate Laurent Bigot, « les militaires ne font qu’occuper la place laissée vacante par les diplomates ». Il était évident que les coupes budgétaires qui ont affecté le ministère des Affaires étrangères (et tout particulièrement en Afrique) ces dernières années allaient aboutir à une perte de qualité en compétences, et à un assèchement de la prospective. A contrario, les militaires, du fait de leur présence sur le terrain, ont été source d’analyses et de propositions. Des analyses biaisées parfois, voire à côté de la plaque. Mais des analyses qui avaient l’avantage d’offrir des solutions clés en mains aux dirigeants politiques.

Jean-Yves Le Drian et son entourage étaient selon vous persuadés de livrer une guerre de civilisation…

Pour eux, la guerre que mène la France au Sahel est celle du « Bien » contre le « Mal ». C’est donc non seulement une guerre juste, mais en plus une guerre vitale contre un ennemi à « détruire » (c’est le mot d’ordre que François Hollande lance aux militaires en 2013). Si les dirigeants français prennent soin de ne jamais employer l’expression, il s’agit pour eux d’une véritable « guerre de civilisation ». Cette vision néoconservatrice d’inspiration « bushienne » prédomine pendant plusieurs années dans les cabinets de Jean-Yves Le Drian et de Florence Parly. Le problème, quand on voit le monde en noir et en blanc, c’est que les subtilités locales vous échappent. L’exécutif français n’a pas vu – ou n’a pas voulu voir – que les groupes armés qui se battent au Mali, au Burkina et au Niger ne sont pas seulement des appendices du djihad global, qu’ils portent en eux les germes d’une insurrection, et qu’il faudra donc un jour en passer par des discussions d’ordre politique. Cette vision binaire a conduit la France à torpiller toutes les tentatives locales d’ouvrir un dialogue avec les djihadistes.

Le succès des djihadistes est-il surtout dû à l’effondrement des États ?

C’est ce qui leur permet en tout cas de gagner non seulement des combattants, mais aussi des sympathisants, en dépit de la terreur qu’ils inspirent et de leur  gouvernance particulièrement violente, basée sur la menace et la contrainte. Jamais ces groupes n’auraient pu gagner autant de territoires – et ensuite en garder le contrôle -, sans un appui d’une partie des populations. Jamais ils n’auraient pu en chasser les représentants de l’État (militaires, préfets, magistrats…) si ces derniers n’avaient été perçus par nombre de citoyens comme des acteurs de la prédation en cours depuis des décennies. Les succès des djihadistes sont donc essentiellement le fruit des échecs des politiques publiques menées depuis plusieurs décennies, marquées par l’injustice et la corruption. Mais ils sont aussi le résultat de la faillite de la lutte antiterroriste menée par la France et la « communauté internationale » depuis plusieurs années. En voulant à tout prix réduire les djihadistes à de simples « terroristes », on a ignoré la nature politique de leur combat. On ne répond pas à des insurrections par des stratégies antiterroristes.

Guerre en Ukraine, 1 an après : quel bilan géopolitique ?

mer, 22/02/2023 - 14:50

Un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, quel bilan peut-on dresser de cette guerre ? L’IRIS vous propose une série d’analyses en vidéo pour évaluer les conséquences du conflit dans différents secteurs d’activité et aires régionales. Pour ce premier épisode, Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, vous présente cette série de vidéos et revient sur le bilan géopolitique du conflit russo-ukrainien.

 

➡️ CONSULTER LA PLAYLIST « GUERRE RUSSIE-UKRAINE »

 

 

Guerre en Ukraine, 1 an après : les Occidentaux sont-ils devenus la base arrière de Kiev ?

mer, 22/02/2023 - 14:49

Un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, quel bilan peut-on dresser de cette guerre ? L’IRIS vous propose une série d’analyses en vidéo pour évaluer les conséquences du conflit dans différents secteurs d’activité et aires régionales.

Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS, analyse le soutien militaire occidental à l’Ukraine.

 

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Guerre en Ukraine, 1 an après : quelles conséquences économiques ?

mer, 22/02/2023 - 14:49

Un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, quel bilan peut-on dresser de cette guerre ? L’IRIS vous propose une série d’analyses en vidéo pour évaluer les conséquences du conflit dans différents secteurs d’activité et aires régionales. Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS, revient sur les conséquences économique de la guerre en Ukraine.

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Guerre en Ukraine, 1 an après : quelles implications sur les budgets de défense européens et les acquisitions ?

mer, 22/02/2023 - 14:48

Un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, quel bilan peut-on dresser de cette guerre ? L’IRIS vous propose une série d’analyses en vidéo pour évaluer les conséquences du conflit dans différents secteurs d’activité et aires régionales.

Gaspard Schnitzler, chercheur à l’IRIS, revient sur conséquences du conflit ukrainien sur les budgets de défense européens et leur acquisitions.

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Guerre en Ukraine, 1 an après : quels enjeux stratégiques et de communication derrière les transferts d’armes ?

mer, 22/02/2023 - 14:47

Un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, quel bilan peut-on dresser de cette guerre ? L’IRIS vous propose une série d’analyses en vidéo pour évaluer les conséquences du conflit dans différents secteurs d’activité et aires régionales.

Federico Santopinto, directeur de recherche à l’IRIS, revient sur les enjeux stratégiques et de communication en Europe derrière les transferts d’armes.

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Guerre en Ukraine, 1 an après : quelles conséquences sur le secteur énergétique européen ?

mer, 22/02/2023 - 14:46

Un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, quel bilan peut-on dresser de cette guerre ? L’IRIS vous propose une série d’analyses en vidéo pour évaluer les conséquences du conflit dans différents secteurs d’activité et aires régionales.

Sami Ramdani, chercheur à l’IRIS, analyse les conséquences du conflit sur le secteur énergétique européen.

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Guerre en Ukraine, 1 an après : le blé comme arme géopolitique

mer, 22/02/2023 - 14:45

Un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, quel bilan peut-on dresser de cette guerre ? L’IRIS vous propose une série d’analyses en vidéo pour évaluer les conséquences du conflit dans différents secteurs d’activité et aires régionales.

Sébastien Abis, chercheur associé à l’IRIS, revient sur l’utilisation du blé et des céréales comme arme géopolitique dans le cadre de ce conflit.

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