Le programme de travail de Eulogos pour l’année qui vient est de présenter de façon plus juste, d’analyser de façon plus pertinente, les discours eurosceptiques, europhobes et populistes : entendre, comprendre et répondre ! C’est le mot d’ordre que lance Eulogos pour combattre ce type de discours. C’est parce qu’on ne dit rien que les autres se permettent tout. Il faut hausser le son ! démonter cette rhétorique.
Mais, avant toute chose, il faut présenter une vision de l’Europe mobilisatrice, comme vient de le faire de façon si talentueuse, pour son pays, Angela Merkel, le 14 décembre, devant le Congrès de son parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU). Il n’est pas nécessaire de la paraphraser, simplement rapporter ses propos : elle souhaite un pays « ouvert, curieux, tolérant, passionnant, possédant une forte identité (…) qui voie aussi le monde avec les yeux des autres, qui aide les personnes en situation de détresse qui, confiant en ses capacités, apporte sa contribution à la sécurité, à la paix et qui contribue à ce que la mondialisation puisse être gérée de façon juste ». Que l’Europe puisse montrer que, sous sa gouverne, elle est capable de relever ce défi comme elle a su le faire pour renaître des décombres de 1945.
La force des eurosceptiques et europhobes est d’adosser leurs propositions sur une conception du monde, fausse mais cohérente. La façon dont le débat sur l’Europe est mené contribue à donner l’impression que tous les Européens parlent comme les europhobes et les eurosceptiques : ces derniers ont d’abord imposé leur vocabulaire, leur thématique car les pro-européens ont cessé de se battre sur les mots et pour les mots.
À ce stade, nous n’avons pas d’autre ambition que d’engager le débat et d’y faire participer le plus grand nombre des personnes. L’analyse de la rhétorique antieuropéenne prend tout son sens et c’est à cela qu’appelle Eulogos. Les bons scores des eurosceptiques, europhobes et populistes marquent d’abord l’échec des stratégies de diabolisation et de dénigrement, qui restent sans effet : chômage, ras-le-bol fiscal, bouleversements géopolitiques aux portes de l’Europe et attentats islamistes n’expliquent pas tout. Plus grave, le doute s’est installé sur la capacité des forces politiques, sociales culturelles, religieuses… traditionnelles à entendre les citoyens. On inquiète sans réellement informer.
C’est à ce stade qu’intervient notre volonté de jouer sur cette rhétorique qui varie d’un pays à l’autre, d’un parti à un autre, d’un groupe à un autre. Il faut commencer par analyser ces rhétoriques pour pouvoir ensuite y faire face : « entendre, comprendre répondre », c’est le triptyque imaginé par une jeune universitaire, Amélie Ancelle, qui a étudié le phénomène pour la France et pour deux cas, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon. Son travail universitaire constitue le point de départ de notre réflexion et l’embryon d’une méthodologie à mettre en œuvre après son approfondissement .
« La rhétorique, nous dit-elle, est un élément majeur dans la vie politique d’aujourd’hui, malgré la connotation péjorative qu’elle revêt. C’est la parole qui crée le lien entre le politique et le citoyen, instaure la confiance et laisse parfois place à la manipulation. L’Union européenne n’échappe pas à la règle. Les résultats des élections de mai 2014 ont vu nombre de partis eurosceptiques tenir le haut du pavé, la France en tête. Les deux candidats français qui regroupent les qualificatifs d’eurosceptiques et de rhéteurs sont les deux extrêmes de l’échiquier politique : Marine Le Pen au Front National, Jean-Luc Mélenchon au Front de Gauche. Ils manient les mots avec précision, savent se mettre en scène et parviennent à retourner les valeurs européennes contre l’UE elle-même.
Avant d’étudier les discours comme constructions politiques, c’est leur étude en tant que constructions et performances rhétoriques qui permet de mettre en exergue les caractéristiques du discours eurosceptique. Le travail de l’image, de la personnalité et de la construction d’un système de valeurs en creux par rapport à l’UE sont autant de moyens de créer du lien avec la foule, un sentiment de proximité face à l’austérité institutionnelle. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon dépassent le cadre politique pour se diriger vers la sphère émotionnelle. Dès lors, la réflexion purement politique et rationnelle n’est plus – elle devient hybride. Ce n’est plus à la logique qu’il est fait appel, mais à des sentiments : la peur et le ressentiment pour le Front National, l’indignation pour le Front de Gauche. Si la volonté de montrer l’UE comme porteuse de valeurs incompatibles avec les idéaux universels se retrouve chez les deux candidats, leurs effets produits sur l’auditoire sont radicalement différents : l’une fait régner la prostration, l’autre l’incitation à l’action. Au vu des résultats des élections et de la crise politique que traverse depuis lors l’Union, déceler les ressorts de l’Euroscepticisme pour lui opposer plus efficacement une réponse s’avère crucial.
Autant qu’il peut être une menace, le langage peut tout autant être une source de réconfort, d’espoir et de bataille face à une tendance qui prend de l’ampleur, en France comme ailleurs. C’est pourquoi se donner les armes pour l’étudier, c’est se donner la capacité de mieux comprendre un phénomène et de mieux y répondre. Comment cela peut-il prendre forme du point de vue de la réponse politique ?
Bien sûr, la réponse qui vient immédiatement à l’esprit, c’est la réponse éducative. La République forme ses citoyens à la culture commune ; aujourd’hui, celle-ci dépasse les frontières françaises. C’est la première mesure politique qui puisse être prise rapidement et impacter directement la population et les futurs citoyens. Sensibiliser la jeunesse à l’Europe, c’est lui montrer que l’UE, c’est certes Erasmus, mais plus encore ; c’est regarder vers le futur. Les interventions dans les écoles devraient se multiplier : professionnels, intellectuels, même fonctionnaires européens doivent venir incarner cette réalité, et pas seulement dans les écoles d’élites. Organiser si possible des visites des institutions, ou au moins dédier une partie du programme à l’Union européenne en tant que réalité, en tant que construction politique inédite et pleine de possibilités – voilà comment éveiller les consciences. Simplement mentionner des dates, privées de toute incarnation dans un contexte global, c’est conforter les esprits dans l’idée que l’UE n’est qu’une construction abstraite qui se résume à des signatures de traités et à la possibilité de passer un an à l’étranger.
Les politiques doivent donc travailler à une réponse complexe face aux attaques eurosceptiques, et cela implique leur attitude même. Aussi étrange que cela puisse paraître c’est peut-être d’abord une réponse humaine qu’il leur faut apporter. Les sentiments créés par les Eurosceptiques ne peuvent être ignorés, et font parfois une impression bien plus forte qu’un discours raisonné. Cette réponse humaine ne doit cependant pas être teintée d’arguments politiques. L’honnêteté intellectuelle oblige à mélanger le moins possible les registres : l’émotion reste l’émotion, l’argumentaire politique reste l’argumentaire politique. Au ressentiment, il faut opposer les grands moments de communion de l’Union européenne, qui passe malheureusement bien plus souvent dans les moments de drames et de deuils. Il faut opposer la force de l’union à l’isolement du prostré. La première réponse aux maux inquiétants et inquiets des eurosceptiques, ce sont les mots rassurants et motivés des porteurs de l’Europe.
Maintenant, les mots ne suffisent pas pour convaincre en politique ; des actions totalement incarnées dans la sphère de la chose publique peuvent tout à fait créer, implicitement, des sentiments positifs chez les citoyens. La première découle directement du besoin de réponse humaine : mêler sentiments et politique européenne ne fait pas bon ménage. Il faut, certes, rassurer les citoyens en s’octroyant des temps de communion sur un socle de valeurs et d’idéaux européens communs. Mais il faut surtout se dégager de la tendance à faire de l’Union européenne le parfait bouc émissaire ; les Eurosceptiques ne sont pas les seuls à blâmer dans ce cas. En effet, accuser l’Europe dès qu’un élément de la politique nationale ne fonctionne pas permet peut-être de se dédouaner et de retrouver un certain crédit auprès des électeurs, mais c’est surtout faire le jeu des détracteurs de l’Europe. En effet, comment comprendre que l’on souhaite s’investir de plus en plus dans une Europe qui semble pourtant être la cause des problèmes économiques, financiers, politiques et migratoires de l’État ? Les dirigeants politiques doivent commencer à penser ensemble, globalement, et pas uniquement à l’intérieur de leurs frontières. Il faut écarter l’image de menace que représente l’UE dans beaucoup trop d’esprits, y compris parfois même dans ceux des dirigeants. Sans quoi ces derniers fourniront sans cesse du grain à moudre aux Eurosceptiques, et continueront à se saborder.
À l’attitude des dirigeants s’ajoute le besoin de dépasser une certaine pudeur dans la représentation officielle de l’Europe au sein du gouvernement. Pour lors, le Secrétaire d’État aux Affaires européennes, Monsieur Harlem Désir, n’a qu’une moindre visibilité, autant auprès de ses collègues qu’auprès des citoyens. Dans l’ombre du ministre des Affaires étrangères, il est relégué au second rang. Comme si l’Union ne faisait certes pas partie de l’étranger, mais surtout comme si les relations qui unissaient le gouvernement à l’Europe étaient moindres, comparées à ce qu’offre le reste du monde. Pour preuve, le Secrétaire d’État n’est presque jamais cité dans les discours de Madame Le Pen ou de Monsieur Mélenchon, excepté pour souligner son absence et le manque de visibilité de résultats et d’activité. Encore une fois, c’est donner là des arguments aux Eurosceptiques qui n’ont même pas besoin de les fabriquer : « regardez, même au sein du gouvernement, l’Europe occupe une place mineure, effacée. Pourquoi nous embarrasser à y rester, l’État pourrait faire là des économies ». Or, c’est précisément en donnant un rôle plus important à la personne en charge des affaires européennes que non seulement le sens et l’intérêt du projet européen vont se faire plus grand, mais c’est aussi la crédibilité de cette implication et de ces investissements qui vont en ressortir. Et la crédibilité permet, entre autres, de combattre le doute et le ressentiment.
Le discours eurosceptique français n’a rien inventé. Les procédés rhétoriques sont vieux de plus de deux mille ans, leurs arguments sont presque tous des détournements d’attitudes de personnalités politiques impliquées dans l’Europe. Là où réside la difficulté, c’est dans la manière de combattre ce discours : le combat rhétorique nécessite une éternelle réinvention, appelle une dynamique créatrice. Sortir de sa zone de confort, c’est prendre par surprise les Eurosceptiques, et fragiliser leur argumentaire qui repose sur des idées et valeurs ancrées dans les esprits. Cela doit nécessairement passer par le changement de paradigme et la prise de décisions originales. Prendre à la légère les discours eurosceptiques et ne leur opposer que moquerie et dénigrement, ce n’est pas s’attaquer au fond du problème. C’est un combat permanent, qui nécessite prise de conscience et courage. Sans quoi la vague anti-Europe risque de faire chavirer plus d’un navire qui se croit insubmersible. ».
Voilà les premiers éléments que nous fournit Amélie Ancelle pour notre réflexion. Ils doivent être approfondis, complétés, diversifiés. Les exemples concrets doivent être multipliés. C’est ce à quoi nous vous invitons. Mais ce travail de recensement et d’analyse ne se suffit pas à lui-même ; il doit être suivi d’un travail de réplique, de contestation, de réfutation, et cela au jour le jour. C’est un travail de grande ampleur, permanent, exigeant. Personne n’a le monopole de l’entreprise et encore moins sa propriété, mais il faut bien que quelqu’un commence et donne le coup d’envoi.
Réagissez, proposez. Coalisons nos efforts, mutualisons nos moyens. La patrie européenne est en danger !
N’hésitez pas à demander le travail de recherche de Amélie Ancelle (Amelie.Ancelle@gmail.com)
Le projet de loi constitutionnelle qui modifie la Constitution. de protection de la nation prévoit la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français pour les auteurs de crimes les plus graves. Cette mesure du projet de loi constitutionnelle suscite un vif débat. Il relance aussi le débat de l’apatride, qui est un véritable fléau au plan mondial : Nations Unies et plus particulièrement le HCR ont lancé une campagne pour éradiquer le phénomène. Eulogos a publié un article sur le phénomène (http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3337&nea=10&lang=fra&lst=0) « invisibles du berceau à la tombe : les apatrides »
Qu’en est-il du droit en vigueur concernant l’acquisition de la nationalité et sa déchéance? Il est utile de le rappeler pour clarifier le débat
Le droit de la nationalité actuellement en vigueur prévoit que l’acquisition de la nationalité française peut s’opérer selon deux modes principaux :
par attribution en vertu du droit du sang ou par l’effet du double droit du sol. Le droit du sang est établi par l’article 18 du code civil : « est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français ». Le double droit du sol est prévu par l’article 19-3 du code civil : « est français l’enfant né en France lorsque l’un de ses parents au moins y est lui-même né ». Dans des cas exceptionnels (enfant né de parents inconnus ou apatrides), un droit du sol pur permet d’attribuer la nationalité française sans autre condition que la naissance sur le sol français.
Jusqu’ici, l’article 25 du Code civil qui concerne la déchéance de nationalité est ainsi rédigé : « L’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’État, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :
s’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme,
Dans le droit actuel, la déchéance de nationalité ne peut concerner que les personnes qui ont acquis la nationalité française et qui ont une double nationalité (la déchéance étant exclue si elle a pour résultat de rendre apatride). Elle ne peut être prononcée que si les faits reprochés se sont produits avant l’acquisition de la nationalité française ou dans un délai de dix ou quinze ans à compter de la date de cette acquisition.
La double nationalité ou binationalité fait aussi régulièrement l’objet de débats et des personnalités politiques ont demandé son interdiction au motif que la double nationalité serait une double allégeance susceptible de miner « les fondements de l’action de l’État ».
Depuis 1973, l’acquisition de la nationalité française n’est plus subordonnée à la renonciation à la nationalité étrangère. En effet, certains États, comme le Maroc ou Israël par exemple, n’autorisent pas la renonciation à cette nationalité et mette une condition exclusive à l’acquisition de la nationalité française revient à se soumettre à la loi d’un État étranger. Considérant que la nationalité est d’abord une question de souveraineté, la France accepte traditionnellement la binationalité afin que sa décision d’accorder la nationalité à quelqu’un ne soit pas suspendue à la loi d’un autre pays.
Pour en savoir Plus :
-. «Invisibles du berceau à la tombe : les apatrides » http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3337&nea=10&lang=fra&lst=0
-. Projet de Loi de protection de la Nation : de quoi s’agit-il ? où en est-on ? http://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-discussion/projet-loi-constitutionnelle-protection-nation.html?xtor=EPR-56
Sans travail, marginalisés ou déprimés, les jeunes européens d’aujourd’hui risquent de finir dans le collimateur de recruteurs de Daesh. Quelles réponses de la part de l’Union ? Quel est l’avis des experts ?
« Les Etats membres se sont engagés à intensifier leurs efforts pour favoriser la participation et l’inclusion de tous les jeunes dans la société. […] Ces efforts complètent le travail entrepris par le réseau européen de sensibilisation à la radicalisation (RSR), […] qui insiste sur le rôle préventif de l’éducation à la pensée critique et de l’enseignements des valeurs démocratiques dans la lutte contre la radicalisation ».
Le passage reporté ci-dessus est tiré du projet de rapport conjoint de 2015 du Conseil et de la Commission sur la mise en oeuvre du cadre renouvelé pour la coopération européenne dans le domaine de la jeunesse (2010-2018). Lors de cette réunion du Conseil « jeunesse », les ministres compétents ont invité les gouvernements de la zone euro à implémenter des politiques aptes à favoriser l’inclusion des jeunes dans la société civile et le marché du travail. La crise économique débutée en 2007 a fort frappé les jeunes travailleurs et ses répercussions prolongées ont impacté les attitudes de tous ceux qui ont, d’une manière ou d’un autre, terminé leurs parcours de formation. Nonobstant le travail mené jusqu’ici par l’Union et les Etats membres pour sortir de l’impasse, la situation des jeunes européens entre 15 et 29 ans demeure toujours précaire.
Ainsi, les données récoltées pour la réunion du 23 novembre affichent une « génération de jeunes mieux formée que toutes les générations précédentes » confrontée à une augmentation du chômage et du taux de pauvreté. Les jeunes s’engagent plus souvent dans de différentes formes de participation à la vie politique en primant l’usage des médias sociaux. Cependant, ils ont tendance à moins voter que leurs ainées. Le nombre de jeunes NEET (Not in Education, Employment, or Training) atteint désormais le chiffre inquiétant de presque 14 millions et le chômage chez les jeunes d’origine immigrée nés dans le pays est normalement de 50 % supérieur à la moyenne européenne. Logiquement les jeunes les plus défavorisés sont ceux qui ont reçu moins d’éducation et qui, par conséquent, vont voter moins et participent rarement aux activités de volontariat ou à des activités culturelles.
De nos jours l’emploi est un volet d’inclusion social crucial mais il n’est pourtant pas le seul. La formation et l’éducation s’avèrent être fondamentales pour que les jeunes s’investissent davantage dans la vie sociétale et obtiennent les compétences nécessaires à améliorer leur condition. A ce propos, les ministres du conseil jeunesse ont décidé de promouvoir à grande échelle certains programmes de soutien économique, tels que Erasmus + et le Fond Social Européen, pour faciliter l’épanouissement des jeunes et pour leur intégration dans la vie active contre la menace de la radicalisation conduisant au terrorisme.
D’après les informations de la Commission, les jeunes sont toujours désireux de participer à la vie citoyenne pourvu que les moyens évoluent en phase avec leurs propensions. Erasmus +, dont le budget est augmenté de 80 % par rapport au programme précèdent, permettrait à quelques quatre millions d’européens de jouir d’un soutien financier pour la mobilité. Plus de jeunes peuvent maintenant entamer un projet individualisé dans le but d’étudier, de se former, d’acquérir une expérience professionnelle ou de travailler comme bénévole à l’étranger. Néanmoins, comme le met en exergue le rapport aussi, cet effort à lui seul ne serait pas suffire et les Etats membres sont appelés à mettre en place un ensemble de dispositifs adéquats visant à intégrer notamment ceux qui disposent de moins de ressources et d’une faible représentation dans les débats politiques. Outre un dialogue poussé avec les jeunes en question, les institutions devraient considérer le problème comme une instance multidimensionnelle, un problème à appréhender par toutes ses facettes.
La potentielle radicalisation des jeunes est un enjeu récent, mais non pas nouveau, auquel l’Union se trouve à faire face. Le 9 septembre 2011, la Commission Européenne a lancé le Réseau de sensibilisation à la radicalisation (RSR) pour mettre à profit les connaissances des praticiens, des chercheurs et des ONG. Un tel dispositif facilite la tâche de l’échange des bonnes pratiques et offre une assistance aux acteurs locaux impliqués dans la prévention de la radicalisation conduisant à l’extrémisme violent. En effet, le RSR a revêtu un rôle de premier plan dans la stratégie européenne révisée en matière de prévention de la radicalisation et le recrutement, une initiative fortement sollicitée pour gérer la problématique complexe des foreign fighters. Les recommandations du Réseau ont notamment porté sur la sensibilisation des administrations locales et l’appui aux familles des jeunes ciblés, ainsi que sur la réintégration des anciens combattants.
Ces constats semblent trouver un écho dans la Déclaration sur la promotion de l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs communes de liberté, de tolérance et de non-discrimination des ministres européens de l’éducation, réunis à Paris le 17 mars 2015. Soucieux de garantir le respect de la liberté d’expression au lendemain des attentats de Paris et Copenhague, de protéger le pluralisme et de sauvegarder l’esprit de tolérance européen, ils se sont engagés à intensifier leurs actions dans le domaine de l’éducation en vue d’encourager, entre autres, la coopération entre les acteurs, d’un côté, et les familles et les structures associatives, de l’autre. Les jeunes marginalisés sont plus susceptibles de devenir victimes de la rhétorique guerrière et sanguinaire des recruteurs puisqu’ils sont à la recherche d’un sens à donner à leur exclusion de la société.
La marginalisation, ainsi que l’inégalité, l’exclusion sociale et la difficulté d’accès à un enseignement de qualité, figure parmi les facteurs qui contribuent le plus à la radicalisation et au recrutement des jeunes selon la Commission de la Culture et de l’éducation du Parlement européen. Les suggestions de cette commission, formulées vis-à-vis du projet de rapport sur la prévention de la radicalisation et du recrutement de citoyens terroristes par des organisations terroristes, mieux connu comme Rapport Dati, sont assez critiques. L’Europe resterait en effet incapable de réagir aux défis posé par la radicalisation car elle ne s’attaque pas efficacement aux causes culturelles, économiques, sociales et politiques qui font de certains milieux un terrain idéal pour la propagande djihadiste. Encore une fois l’accent est mis sur la vulnérabilité des sujets isolés et des jeunes sans emploi exposés aux risques du prosélytisme salafiste. La réintégration des jeunes radicalisé est une priorité tandis que internet est pointé du doigt comme un moyen puissant de diffusion du matériel de propagande .
Or certaines études montrent que internet ne représente pas forcément le moyen de contact privilégié avec la doctrine de Daech. Le rapport de RAND Corporation Radicalisation in the digital area, axé sur l’emploi d’internet dans plusieurs cas de terrorisme et extrémisme, présente des résultats intéressants d’un point de vue sociologique. Certes, l’outil internet crée des opportunités pour les gens de devenir radicalisés et amplifie l’« écho » des croyances véhiculées par les extrémistes, mais les données ne confirment pas les hypothèses sur sa capacité d’intensifier le processus de radicalisation ou d’induire les gens à se radicaliser sans aucun contact direct avec les recruteurs.
Ces conclusions semblent donc redéfinir la place de la toile dans le mécanisme de radicalisation où les contacts directs s’avèrent être l’élément déclencheur. En d’autres mots, pour que le sujet commence son parcours d’initiation aux préceptes du djihad une rencontre apparaît nécessaire. D’ailleurs, comme l’explique le politologue Benjamin Ducol « malgré le raffinement extrêmement abouti dans la maîtrise des réseaux sociaux et des contenus médias de la part de l’Etat islamique (EI), il est peu réaliste de croire qu’un individu lambda peut être embrigadé par le biais d’Internet ».
Si les chercheurs recommandent à maintes reprises de donner aux familles et aux institutions chargées de l’éducation les moyens d’aider les sujets à risque, c’est parce que le phénomène de la radicalisation se superpose à d’autres problèmes structurels. Plusieurs psychiatres commencent à traiter la radicalisation conduisant à l’extrémisme violent comme un problème de santé publique pour lequel un travail de prévention et détection des victimes possibles est requis ; souvent la parution de comportements déviants précède la radicalisation. La religion joue un rôle clé, tout de même une attention excessive et obstinée pourrait s’avérer contreproductive. Dans de nombreux de pays les citoyens musulmans sont la cible d’attentats et ailleurs ils s’investissent considérablement dans la lutte contre une violence susceptible d’entraîner dans la spirale leurs enfants aussi.
« Certains adolescents perçoivent le terrorisme comme un remède aux problèmes qu’il gardent secrets », a confié au Monde le psychiatre Kamaldeep Bhui suite à l’analyse d’une population vivant dans l’est de Londres et à Bradford. Il a ainsi exhorté les dirigeants politiques à s’occuper de tous les jeunes vulnérables et à fournir les moyens aux services de prévention. Serge Hefez, psychiatre et collaborateur du Centre de prévention contre les dérives sectaires, a, quant à lui, remarqué une similitude substantielle entre ses jeunes patients et les adolescents déprimés ayant entrepris un parcours de radicalisation. Il se peut que les apprentis djihadistes rêvent du martyre comme un moyen de donner un sens à leur existence à cause des incitations de recruteurs professionnels. Cet aspect complexifie le cadre car la radicalisation peut s’apparenter à une revendication identitaire séduisante pour les jeunes adolescents à la recherche d’une réponse à caractère ontologique/eschatologique à leurs questions existentielles.
Nous assistons peut-être à la fameuse « islamisation de la radicalité » dont parle le politologue Olivier Roy. « Rejoindre Daech c’est la certitude de terroriser », la seule chose qui intéresse les extrémistes de familles musulmanes intégrées étant une espèce de violence narcissique. Un constat appuyé par plusieurs spécialistes en la matière mais peut-être quelque peu prématuré pour comprendre un phénomène à l’origine toute récente. Quoi qu’il en soit, les jeunes d’aujourd’hui ont parfois du mal à trouver leur place dans l’univers et les dérives sectaires ont l’avantage de fournir une réponse facile à toute question. Les institutions européennes semblent avoir compris la portée de la « guerre » en place mais les « batailles » ont lieu au niveau local et la victoire passe nécessairement par un fort soutien stratégique.
Samuele Masucci
Pour en savoir Plus :
-. Projet de rapport conjoint 2015 du Conseil et de la Commission sur la mise en oeuvre du Cadre renouvelé pour la coopération européenne dans le domaine de la jeunesse (2010-2018) (FR) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52015DC0429&from=EN
(EN) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52015DC0429&from=EN
-. Page internet de la Commission Européenne sur les possibilités offertes dans le cadre de Erasmus + http://ec.europa.eu/youth/programme/index_fr.htm
-. Déclaration sur la promotion de l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs communes de liberté, de tolérance et de non-discrimination http://cache.media.education.gouv.fr/file/03_-_mars/66/9/2015_mobilisation_declaration_FR_401669.pdf
-. Avis de la Commission de la culture et de l’éducation sur le projet de rapport sur la prévention de la radicalisation et du recrutement de citoyens terroristes par des organisations terroristes
(FR) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=COMPARL&reference=PE-557.258&format=PDF&language=FR&secondRef=02(EN) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fNONSGML%2bCOMPARL%2bPE-557.258%2b02%2bDOC%2bPDF%2bV0%2f%2fEN
-. RAND Corporation Report : Radicalisation in the digital aera
(EN) tp://www.rand.org/content/dam/rand/pubs/research_reports/RR400/RR453/RAND_RR453.pdf
-. Sur l’Islamisation de la radicalité http://www.franceculture.fr/emission-le-journal-des-idees-l-islamisation-de-la-radicalite-2015-11-25
-. Article de Euronews sur les jeunes et la radicalisation http://fr.euronews.com/2015/10/19/prevenir-la-radicalisation-des-jeunes-europeens/
-. Article du Monde sur internet et les trajectoires de radicalisation http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/12/01/internet-est-loin-d-avoir-le-role-qu-on-lui-attribue-dans-les-trajectoires-de-radicalisation-violente_4821634_4408996.html