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« Des Afriques » : gestion de crises et résolution des conflits en Afrique subsaharienne

jeu, 27/10/2016 - 14:33
La Revue Défense Nationale a publié cet été un numéro spécial sur le continent africain. J'ai eu la chance de diriger ce numéro. 
Vous trouverez ICI le sommaire et ci-dessous l'introduction au numéro.

Plus que n’importe quelle autre partie du globe, après la Guerre froide, le continent africain a été associé aux conflits et à l’insécurité. Au début des années 1990, Robert Kaplan invoquait, dans une formule restée célèbre, « the coming anarchy »[1]. Pour l’auteur américain, le continent était alors celui des haines ethniques et de la violence aveugle. Vingt ans plus tard, le gagnant du prix Pulitzer, Jeffrey Gettleman, peignait le même tableau, se désespérant que les guerres ne terminent jamais et s’étendent comme, pour reprendre ses termes, « une pandémie virale ». Aujourd’hui, l’insécurité et les conflits sur le continent occupent une place centrale dans les cercles politiques, les travaux des chercheurs et le travail des forces de sécurité. Bien que la situation se soit transformée et que les statistiques s’entendent sur une baisse tendancielle du nombre de conflits, d’anciennes grilles d’analyses continuent de guider certains commentaires et analyses. L’objectif de ce numéro de la Revue Défense Nationale répond à cette vision encore ancrée dans l’imaginaire collectif. Il vise à contester les approches populaires qui réduisent la complexité des situations conflictuelles sur le continent à des facteurs uniques et trop souvent essentialistes. Parmi ces facteurs les plus communs invoqués, on retrouve le colonialisme, la religion, l’ethnicité et les ressources naturelles. Or, la rigueur intellectuelle et une démarche méthodologique permettent d’éviter les biais de confirmation - au sens d’interpréter les faits pour leur faire dire ce que l’on souhaite, ou les biais de sélection, en ne choisissant que les faits qui appuient une thèse définie a priori. Avant d’expliquer pourquoi ces facteurs ne sont pas suffisants pour expliquer les conflits sur le continent, essayons tout d’abord de peindre à grands traits l’évolution de la conflictualité sur le continent depuis la fin de la Guerre froide.Pendant la Guerre froide, les politiques à l’égard du continent étaient guidées par des considérations politiques liées à l’opposition entre les deux blocs. L’Est et l’Ouest supportaient des régimes afin de s’assurer le maintien d’une sphère d’influence. Les États-Unis, l’Union soviétique et leurs alliés respectifs étaient des sources de financement à la fois de groupes insurrectionnels et d’États. Les armes, les entrainements militaires, les soutiens diplomatiques dépendaient de cette lutte pour dominer et influencer. Certains régimes autoritaires furent maintenu au pouvoir parce qu’ils avaient une fonction spécifique dans cette lutte globale, comme pare-feu face au communisme. Le plus connu fut Mobutu au Zaïre. D’autres sont tombés après des coups d’États soutenus ou encouragés par les puissances extérieures. Avec la fin de la Guerre froide, le continent a perdu de sa valeur stratégique. Samuel Decalo dira même : « les États africains passèrent de pions stratégiques pendant la Guerre froide à d’« irrelevant clutter » ».  Progressivement, dans les années 1990, les États-Unis, et ce qu’il reste de l’Union soviétique, se désengagent du continent. Les premiers réduisent ou interrompent totalement leur aide militaire aux alliés les plus anciens : Kenya, Somalie, Liberia, Tchad, Zaïre. Les missions humanitaires américaines et les postes de renseignement se ferment et les personnels sont redirigés vers de nouvelles zones prioritaires notamment en Europe de l’Est. Les États qui survivaient en partie grâce à ces soutiens extérieurs deviennent plus vulnérables aux insurrections populaires et aux guerres civiles. Les événements au Liberia avec Samuel Doe, au Zaïre avec Mobutu, en Somalie et en Éthiopie doivent être appréhendés dans ce contexte. Ils n’ont plus le statut de clients dans un monde bipolaire. Cette perte de la rente stratégique coïncide parfois, en plus, avec une crise économique et des pressions de plus en plus fortes pour démocratiser. Les donateurs redirigent leurs aides en fonction des efforts faits en termes de gouvernance. De plus, l’aide au développement chute de 21% entre 1990 et 1996[2]. Les réseaux de clientélisme s’effondrent, tout comme certaines coalitions au pouvoir qui se divisent. Dans ce contexte, le nombre de conflits et l’insécurité augmentent. En parallèle, les outils analytiques font aussi évoluer comme nous allons le voir. L’approche de la conflictualité sur le continent a souffert de trois grandes faiblesses : la « déconnexion », le culturalisme essentialiste et le réductionnisme économique auquel se rattache, en partie, le modèle « greed and grievance »[3]. Cette approche réduit les conflits à de l’opportunisme économique et à des décisions irrationnelles. Les conflits seraient donc une forme d’activité criminelle menée par cupidité par des seigneurs de guerre intéressés par la rente. Si cette approche a été très critiquée pour sa dépolitisation des conflits, elle était profondément réductionniste en expliquant les conflits uniquement en termes d’opportunité économique. Cette théorie a évolué ces dernières années et laisse moins place aux motivations économiques mais les conflits sont toujours expliqués en termes d’opportunité économiques plutôt que politiques. Les ressources naturelles ne sont, bien souvent, pas la cause du conflit bien qu’elles puissent l’alimenter. Ainsi, en Sierra Leone le conflit s’apparentait à une révolte contre les structures agricoles oppressives. Séverine Autesserre a montré qu’en République Démocratique du Congo  les ressources naturelles n’étaient pas au cœur des conflits[4]. Les mêmes arguments sur la dépolitisation des conflits sur le continent ont permis de critiquer la théorie des « nouvelles et anciennes guerres [5]». Cette thèse, largement controversée, postule que les guerres civiles de l’après-Guerre froide sont tendanciellement différentes de celles de la période bipolaire. Pour ce faire, l’auteur juge possible de tracer une distinction entre « nouvelles » et « anciennes » guerres. Au niveau global, la guerre interétatique semble révolue et l’anomie du système international aurait pour conséquence de favoriser la résurgence de phénomènes identitaires. Cet argumentaire recoupe celui sur l’ethnicité des conflits. L’idée répandue est que l’ethnie tue. Cette approche est partagée par certains commentateurs du génocide rwandais. Selon eux, les Tutsi et les Hutu seraient destinés à s’affronter et les massacres sont le résultat d’une opposition raciste atavique. Cette approche exclut toute analyse des évènements ayant conduit à l’exécution du génocide. Cette littérature décriée est, en partie, héritière des travaux sur l’anthropologie de la race élaborée à la fin du XIXème siècle. Elle refuse de penser le racisme en Afrique comme une idéologie construite politiquement et socialement. Les crises africaines, ici celles des Grands Lacs, ne seraient que le résultat de clivages ethniques ataviques : des tueries et des barbaries spontanées sans dimension politique ni instrumentalisation. Cette approche privilégie également une lecture de déresponsabilisation des acteurs africains qui seraient pris au cœur des stratégies de puissances étrangères dans la région. Enfin, l’analyse des conflits sur le continent souffre d’un autre écueil : la déconnexion. Certaines approches placent le continent dans un cadre cognitif distinct qui nécessiterait de recourir à des théories spécifiques. Or, l’Afrique sub-saharienne n’a pas de conflits qualitativement distincts.Il y a d’autres changements dans le panorama sécuritaire : la fréquence accrue des violences électorales et les « crises de citoyenneté »[6]. Ainsi, les travaux des chercheurs américains Zachariah Mampilly et Adam Branch[7]nous apprennent que le continent serait au milieu d’une troisième vague de contestations. La première regroupe les soulèvements nationalistes des années 1950 qui mènent aux indépendances. La seconde englobe les mouvements d’Afrique de l’Ouest, du milieu des années 1980 au début des années 1990, à la suite des mesures d’austérité imposées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Selon ces chercheurs, les révoltes arabes de 2011 constituent l’apogée d’un long « printemps africain » amorcé en 2005 - avec les mouvements de contestation liés à la crise alimentaire - mais qui n’aboutit pas nécessairement à des changements de régimes et n’ont pas suscité la même attention des médias, alors même que la contestation des régimes jugés autoritaires se poursuit.  Par ailleurs, la compétition politique peut accroître les tentations de mobilisation sur des bases ethniques. La plupart des élections africaines sont relativement calmes (Togo, Bénin, Comores), mais certains exemples comme l’élection kenyane de 2007 montrent le chaos qui peut régner (1000 morts, 350 000 déplacés). Dernièrement, les violences ont aussi accompagné les élections au Zimbabwe, en Côte d’Ivoire, au Burundi. Actuellement, les révisions constitutionnelles afin de modifier les mandats présidentiels est une cause de mobilisation des populations (Djibouti, RDC, Burkina, Ouganda, Congo, etc.). Si l’expression première des violences électorales est identitaire, elle se combine avec des considérations plus locales comme l’accès à la terre, des ressources, ce qui rend simpliste et invalides les interprétations uniquement ethniques (Côte d’Ivoire, Kenya, Burundi). L’augmentation des violences religieuses et du terrorisme sont également de nouveaux visages de la conflictualité sur le continent. On le voit avec le groupe Al-Shabaab en Somalie, Boko Haram au Nigeria, AQMI et tous les autres groupes évoluant dans le Sahel. Pourtant, la religion et la dimension globale de ces conflits mérite encore des études sérieuses. Historiquement, la religion a toujours joué un rôle mineur dans les conflits en Afrique. Stephen Ellis disait même qu’à proprement parler, il n’y a pas de guerre de religion en Afrique subsaharienne. Cela ne veut pas dire que les croyances religieuses ne sont pas cruciales dans la guerre. Tant en Sierra Leone qu’au Liberia, les fidèles croyaient en la puissance des esprits comme en République centrafricaine[8]ou en Ouganda avec l’Armée de libération du seigneur. Mais la religion n’était pas la cause de la guerre bien qu’elle puisse l’alimenter. De même, historiquement, ce qui apparaissait à première vue comme des combats entre religions était en fait totalement lié à des luttes entre élites pour la puissance politique ou matérielle. Enfin, la « guerre contre le terrorisme » participe à une restriction de l’espace politique sous couvert de lutte contre le terrorisme. En effet, l’autoritarisme s’est renforcé dans plusieurs États subsahariens au cours de la dernière décennie. Cette évolution est intimement liée aux efforts des donateurs pour « stabiliser » le continent dans un contexte de lutte contre les groupes jihadistes[9].L’un des objectifs de ce numéro est donc d’essayer de comprendre certains conflits du continent et d’examiner la réponse apportée par les acteurs continentaux et leurs partenaires avec un regard spécifique sur la politique française qui justifie les choix thématiques et régionaux effectués. Pour ce faire, nous avons réuni des praticiens, des militaires, des diplomates et des chercheurs. Leurs écrits sont des témoignages, des présentations politiques ou des études scientifiques. Rassemblés dans ce numéro, ils apportent une vision complémentaire et globale des enjeux sécuritaires de certaines régions du continent. Après un premier ensemble de textes portant sur la zone saharo-sahélienne, une deuxième partie propose une série d’articles sur la sécurité maritime dans le Golfe de Guinée ; un troisième groupe de contributions est consacré à l’engagement des organisations internationales dans la gestion de crises et la résolution des conflits ; et le numéro s’achève sur des problématiques en cours. Plusieurs thématiques reviennent dans chacune de ces contributions. D’abord un questionnement : « le déficit capacitaire » de nombreux États face aux défis sécuritaires. Ensuite les enjeux de la régionalisation des réponses sécuritaires tant face au terrorisme, qu’à la piraterie et aux conflits civils ; enfin la coopération avec des partenaires extra-continentaux et des organisations internationales. Une étude croisée peut permettre de comprendre les conflits sur le continent dans leur complexité et nous espérons que ce numéro en fait la démonstration en privilégiant une discussion entre praticiens, politiques et chercheurs.
Pour aller plus loin : Amselle Jean-Loup, M'Bokolo Elikia (dir.), Au cœur de l’ethnie, Paris, La Découverte, 2005, 225p.Bonnecase Vincent et Brachet Julien (dir.), Crises et chuchotements au Sahel, Politique africaine, N° 130, 2013/2.Collier Paul, Hoeffler Anke, Rohner Dominic, « Beyond Greed and Grievance : Feasibility and Civil War », Oxford Economic Papers, 2009, 61 (1), pp.1-27.Courtin Nicolas (dir.), Comprendre Boko Haram, Afrique Contemporaine, n° 255, 2015/3.Cramer Christopher, « Homo Economicus Goes to War : Methodological Individualism. Rational Choice and the Political Economy of War », World Development, 2002, 30 (11), pp.1845-1864.Gazibo Mamadou et Thiriot Céline (dir.), La politique en Afrique. Etat des débats et pistes de recherche, Karthala, 2009.Marchal Roland et Messiant Christine, « Les guerres civiles à l’ère de la globalisation. Nouvelles réalités et nouveaux paradigmes », Critique international, 2003/1, n°18.Marchal Roland (dir.), « Le Sahel dans la crise malienne », Dossiers du CERI, 07/2013  Prunier Gérard, Chrétien Jean-Pierre (dir.), Les ethnies ont une histoire, Paris, Karthala, 2003 (2ème ed.), 435p.Ramsbotham Olivier, Woodhouse Tom, Miall Hugh, Contemporary Conflict Resolution. The Prevention, Management and Transformation of deadly Conflicts, Polity, (Third Edition), 2015.Reno William, Warfare in Independent Africa, 2011, Cambridge, Cambridge University Press.Richards Paul, « New War. An Ethnographic Approach », in Paul Richards (dir.), No Peace, No War, Athens, OH and Oxford, Ohio University Press and James Currey.Straus Scott, « War do end ! Changing Patterns of Political Violence in Sub-Saharan Africa in African Affairs, 2012, 111 (443), pp.179-201.Williams Paul D., War & Conflict in Africa, Polity, 2016 (second Edition).
[1] Robert Kaplan, « The Coming Anarchy : How Scarcity, Crime, Overpopulation, and Disease is Rapidly Destroying the Social Fabric of Our Planet », in Atlantic Monthly, Février 1994, pp.44-76 et la critique : Harri Englund, « Culture, Environment and the Enemis of Complexity », in Review of African Political Economy, 1998, 76, pp.179-188. [2] Rita Abrahamsen, Conflict and Security in Africa, James Currey, 2013, 240 p. [3]  Paul Collier et Anke Hoeffler, Greed and Grievance in Civil War, 2002, Washington, DC : World Bank [4] “Dangerous Tales -Dominant Narratives on the Congo and their Unintended Consequences,” African Affairs, 111 (443),pp. 202-222, 2012. [5]Mary Kaldor, New and Old Wars: Organized Violence in a Global Era, 3 edition, Cambridge: Polity Press, 2012, 256p. On lira également les critiques suivantes : Stathis Kalyvas, « Les guerres civiles après la guerre froide », in Pierre Hassner et Roland Marchal (éd.), Guerres et sociétés (États et violences après la guerre-froide), Paris, Karthala, 2003, 615p ; Siniša Malesevic, « The sociology of new wars? Assessing the causes and objectives of contemporary violent conflicts », International Political Sociology, vol.2, n°2, juin 2008, pp.97-112. [6]Richard Banégas (dir.), « L’Afrique de l’Ouest: des crises de la citoyenneté », Les Dossiers du CERI, 2012-10. [7] Zachariah Mampilly et Adam Branch, Africa Uprising. Popular Protest and Political Change, Zed Books – African Arguments, 2015, 272p. [8] Marielle Debos, « Centrafrique : attention aux mots », Le Monde, 20 février 2014. [9]Jonathan Fisher et David M. Anderson, « Authoritarianism and the securitization of development in Africa », International Affairs, 91, 1, 2015, pp. 131–151. Nicolas Desgrais et Sonia Le Gouriellec, « Stratégies d’extraversion : les défis de la construction de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité », Note de Recherche Stratégique, IRSEM, Septembre 2016.
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«Oui, mon commandant»... version 2016

lun, 24/10/2016 - 14:18
Cette interview a été publié sur le site Africa4 par Jean-Pierre Bat le 4 octobre 2016. 
L’IRSEM organise un colloque sur les nouveaux visages des armées africaines : comment les définir ?Les armées africaines sont trop souvent perçues comme le simple produit de la période coloniale. Pourtant, elles sont également le produit de transformations historiques successives, dont la colonisation n’est qu’un élément. Il n’y a pas un modèle unique d’armée africaines pendant la période coloniale et encore aujourd’hui. Le colloque vise donc à étudier les différents visages de ces armées et leurs évolutions. Ces armées et leurs missions évoluent avec les transformations du système international. La volonté d’africaniser la sécurité sur le continent, qui a accompagné la création de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA), les armées africaines se sont vues attribuées de nouvelles fonctions. Les acteurs africains étant appelés à prendre leurs responsabilités en fournissant des troupes dans le cadre des missions onusiennes se déployant sur le continent mais aussi, et surtout, en créant un système de défense collective crédible pouvant apporter une réponse rapide et, ainsi, alléger le « poids » considérable porté par le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) des Nations unies. Les acteurs extracontinentaux, quant à eux, sont poussés à jouer un rôle de soutien et d’appui vis-à-vis de ces nouveaux mécanismes. Nous étudierons notamment le rôle des États-Unis, de la Chine, de l’Union Européenne, de la France, du Brésil ou encore du Portugal. Derrière le discours « gagnant-gagnant » se cache aussi une autre réalité. Les nouvelles fonctions attribuées aux armées africaines permettent de renforcer l’autorité qu’exercent les pouvoirs politiques sur leurs subordonnés et leur puissance vis-à-vis de l’extérieur pour prévenir toute ingérence. Elle permet de bénéficier des différents mécanismes internationaux de soutien tels que le financement des organisations internationales, la donation de matériels militaires, l’accès à des formations militaires et le soutien logistique nécessaire. La participation à une OMP, par exemple, est un moyen de capter les rentes qu’offrent les différents mécanismes internationaux de soutien à l’APSA tout en augmentant leur « crédit international». En interne aussi l’image des armées évolue. Les forces armées n’ont pas toujours eu un bon comportement vis-à-vis des populations, elles étaient d’ailleurs parfois envoyées pour les réprimer. Certaines armées restent un problème structurel qui nécessite des réformes. Le rôle de ces armées dans la lutte contre le terrorisme par exemple affecte les civils et exacerbe les conflits, comme on a pu l’observer au Nigeria. Il persiste une véritable incapacité de certains gouvernements à faire en sorte que les armées obéissent au pouvoir civil. Ces rapports que les armées africaines entretiennent avec le pouvoir politique seront au cœur de plusieurs communications abordant les cas du Burkina Faso, de la République Démocratique du Congo et du Mali. 
A l’heure de Barkhane, quel rôle jour l’Ecole militaire de Paris dans la constitution des armées africaines ?L’École militaire regroupe un ensemble de centre de formation et de recherche. L’École de guerre est l’un de ces organismes. Il participe à la formation des officiers français et étrangers. Historiquement, ces formations d’officiers étrangers font partie de notre coopération militaire soutenue par les Affaires étrangères. Elles permettent de renforcer nos alliances. Cette politique de formation participe de notre politique d’influence dans certaines régions notamment en Afrique francophone mais elle s’intègre aussi dans notre diplomatie économique. Elle permet de créer une matrice intellectuelle commune et d’élever le niveau d’interopérabilité de troupes qui, à l’heure de Barkhane, sont amenées à opérer ensemble sur des théâtres d’opérations communs. La formation des officiers africains participe également de notre politique francophone. L’École de guerre accueille des officiers non francophones, comme des Ethiopiens, qui bénéficient d’une formation de six mois au français. De plus, cette coopération évolue puisqu’a été ouvert en 2005 au Cameroun une École supérieure internationale de guerre (ESIG). L’IRSEM contribue également à la formation d’officiers africains en accueillant cette année trois officiers élèves internationaux de l’École Spéciale Militaire de Saint Cyr qui doivent réaliser un mémoire de recherche. Pour avoir échangé avec eux, cette coopération et ces échanges sont enrichissants pour chacun d’entre nous. Ils apportent leur expérience de terrain aux chercheurs français qui, pour leur part, les soutiennent dans leur démarche de recherche, l’accès aux sources, etc. Les efforts entrepris sont donc réels mais certains observateurs trouvent qu’ils ne produisent pas encore pleinement leurs effets sur le terrain, voir ces articles par exemple. Le défi reste toujours celui de l’autonomisation de ces armées et l’appropriation des nouvelles capacités comme l’indiquait le colonel Susnjara dans le dernier numéro de la Revue Défense Nationale. Si l’appropriation des forces africaines met du temps, c’est également en vertu d’une crise de croissance. En effet, elles sont nombreuses à évoluer rapidement alors même qu’elles sont confrontées à l’ennemi. Les spécialistes des questions militaires le rappellent : la montée en puissance n’est pas une science exacte.
En marge des armées dites régulières, le fait militaire ne se joue-t-il pas aux marges, autour du phénomène milicien ?Bien sûr le fait militaire se joue également autour du phénomène milicien. Les acteurs (semi)privés ou informels ont été particulièrement étudiés en France. Je pense notamment aux travaux de Marielle Debos sur le Tchad et le « métier des armes » ou un numéro de Politique africaine en 2012 : « Politique des corps habillés. État, pouvoir et métiers de l’ordre en Afrique ». Mais nous avons constaté que les forces de sécurité étatiques et plus particulièrement les armées restent mal connues, c’est pourquoi nous avons voulu nous concentrer sur cette question lors du colloque. Le facteur milicien ne sera pas oublié mais étudié en relation avec les forces armées nationales. Nous étudierons les processus de Réforme du secteur de la sécurité (RSS) notamment au Burundi. Tant au Rwanda, qu’au Burundi des enseignements peuvent être tirés sur la façon dont une armée « mono-ethnique » est parvenue, ou essaie, de transformer sa base sociale. Le déploiement de contingents à l’extérieur du territoire a permis par exemple à l’armée burundaise d’intégrer dans la nouvelle armée les miliciens des groupes armés majoritairement hutu et les soldats de l’ancien régime, les ex-Forces Armées Burundaises (FAB) majoritairement tutsi. Cette intégration a longtemps été considérée comme une réussite de l’accord de paix d’Arusha signé en 2000 alors qu’elle était entre 1966 et 1993 le principal centre de pouvoir. L’armée semblait être parvenue à devenir une force apolitique. Mais la crise électorale a mis en lumière ces divisions et l’armée burundaise est au cœur de la crise politique. En Éthiopie, au Rwanda, en Érythrée et en Ouganda, les armées sont issues de mouvements de libération nationale. Les régimes en place ont reconstruit leurs États de façon très centralisée autour d’une figure ou d’un parti. Les structures militaires restent dominées par des vétérans de la guerre de libération issus du Front patriotique pour le Rwanda, du Mouvement de résistance nationale en Ouganda ou par des vétérans tigréens en Éthiopie. Jonathan Fisher qualifie ces officiers de « post-post-libération » « sécurocrates » et mène des études pour comprendre comment et pourquoi les OMP sont un bon moyen de les maintenir éloigné des politiques de sécurité nationale.
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Lectures d'intérêt

dim, 23/10/2016 - 15:01
Le SIPRI vient de publier une carte des Opérations de Paix dans le monde en 2016.
 « The geographical spillover of armed conflict in Sub -Saharan Africa », Economic System, 40:1, 2016, p. 109-119. Résumé : La diffusion transfrontalière des conflits serait-elle plus élevée en Afrique subsaharienne qu’ailleurs ? Pour répondre à cette question Fabrizio Carmignani et Parvinder Kler étudient l’évolution des guerres civiles en comparant l’Afrique subsaharienne avec le reste du monde. Il démontre qu’un Etat voisin en guerre augmente la probabilité d’une guerre civile d’au moins 1%. L’effet de difusion dans le reste du monde est trois fois moins élevé qu’en Afrique subsaharienne. L’article avance l’hypothèse d’un lien entre les flux de réfugiés entrants, la séparation artificielle des groupes ethniques et la diffusion des conflits.
Colin Robinson, « Revisiting the rise and fall of the Somali Armed Forces, 1960–2012 », Defense & Security Analysis, 32:3, 2016, pp.237-252.Résumé : Une partie des études sur la guerre en Somalie aborde l’histoire des forces armées nationales et plus spécifiquement son armée. Deux problématiques reviennent depuis l’indépendance du pays. D’une part, la poursuite d’une politique irrédentiste qui conduit à la chute du régime de Siad Barre et aux divisions claniques dans le pays ; d’autre part, la renaissance de l’armée somalienne au 21ème siècle. Cet article s’inscrit dans cette seconde démarche et analyse la renaissance incertaine de l’armée somalienne depuis 2008. L’aide internationale s’est concentrée sur Mogadiscio, mais les succès pour reconstruire une véritable armée nationale sont relatifs. Les perspectives d’avenir sont incertaines mais l’auteur souligne tout de même quelques signes d’espoir.
Josie Knowles, "Tanzanian scepticism of a militarised East African Federation and underlying military concerns", African Security Review, 25 : 3, 2016, pp.258-274. Résumé : "Attitudes towards a regional military force are of paramount importance when exploring public support for regional integration. Until now, however, scholarly research has not considered the influence of attitudes towards a regional military mechanism in the sub-Saharan African context. Using Afrobarometer data, we demonstrate that military concerns are vital when exploring Tanzanian attitudes towards the proposed political federation of the East African Community (EAC), the East African Federation (EAF). More specifically, opposition to military cooperation strongly influences Tanzanian scepticism of the EAF. This finding is highly relevant given that referendums in the participating member states must be passed to facilitate political integration. Heightened opposition towards military cooperation raises the possibility of the public rejecting a politically integrated EAC. This poses a potential obstacle to the implementation of joint security policies and crucial mechanisms to provide a more stable region at large. We account for alternative explanations of Tanzanian opinion formation and reflect on the strength of military-orientated concerns for investigating public support for the East African project specifically and regional integration in sub-Saharan Africa more widely".

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Que peuvent en pratique les armées africaines ?

sam, 22/10/2016 - 14:12
Nous avons été invité par Thierry Garcin (Les Enjeux Internationaux) le 4 octobre 2016. Voici le résumé de l'emission. Vous pouvez réécouter le programme ICI.

Au lendemain des indépendances, l’institution militaire et le parti unique constituaient souvent les deux piliers des systèmes politiques. Dans le meilleur des cas, les deux parvenaient à surmonter peu ou prou le facteur ethnique belligène, même si les coups d’État et tentatives de coups d’État (la plupart fomentés par des militaires), étaient légion. Parallèlement, et heureusement, il y a eu très peu de conflits armés interétatiques dans les récentes décennies (Haute-Volta-Mali, Érythrée-Éthiopie…). En revanche, depuis près de trente ans, on a constaté la multiplication de conflits internes et de guerres civiles (souvent très longues, comme en Sierra Leone, au Liberia, en Côte d’Ivoire…), accentuant l’anomie (guerres urbaines, milices armées…).Aujourd’hui, comment évaluer le rôle politique, l’expérience militaire et la valeur de la plupart de ces armées, dont la fonction reste souvent interne et qui composent de plus en plus les forces d’intervention sous mandat des Nations unies ?.

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Quel rôle pour les armées africaines ?

jeu, 20/10/2016 - 14:09
Nous publions ici l'interview réalisée avec Jean Guisnel (Le Point) dans le cadre du colloque sur les Nouveaux visages des armées africaines organisé par l'IRSEM. 
Le Point.fr : Vous coorganisez à l'École militaire de Paris, les 5 et 6 octobre, un colloque sur les armées de l'Afrique subsaharienne. Sont-elles actuellement à la hauteur des enjeux sécuritaires du continent ? Sonia Le Gouriellec : Elles font effectivement face à un défi véritable, en raison notamment de leurs moyens limités. Globalement, leurs budgets sont très faibles, leurs tailles sont réduites et les populations sont peu engagées dans les forces armées. J'ai noté que 0,2 % de la population africaine est engagée dans les forces armées, quand en France, par exemple, ce chiffre est près de 2,5 fois plus élevé (0,48 %). De plus, elles interviennent souvent sur des terrains très conflictuels, y compris dans les opérations de maintien de la paix qui ressemblent souvent à des guerres. Elles sont souvent sous-équipées, sous-entraînées. Voici quelques mois, Jeune Afrique avait écrit sur les armées africaines « mal équipées, mal entraînées, mal aimées et en piteux état ». Pour autant, leur plus important défi consiste aujourd'hui à s'adapter à de nouvelles formes de conflictualité, comme le djihadisme qui frappe toute la bande sahélienne. Elles sont soutenues dans cet effort par des partenaires comme l'Union européenne, la France, les États-Unis, la Chine, l'Inde et d'autres encore, comme le Brésil ou la Turquie.
Comment se fait-il que ces États faisant face à des adversaires de puissance limitée aient besoin d'armées étrangères pour se défendre ? Tout d'abord, notons que ces armées ne se sont pas adaptées à l'évolution des conflits. Prenons le cas typique du Nigeria, confronté au groupe Boko Haram. Après la guerre civile de 1967-1970 (guerre du Biafra), les structures militaires ont été remodelées, une culture stratégique nouvelle s'est mise en place. Elle se basait sur l'analyse selon laquelle la menace contre le pays venait de l'environnement régional francophone. C'est pourquoi, dans les années 1980-1990, l'armée nigériane s'est trouvée fortement impliquée dans les opérations de paix sur le plan régional. La conséquence, c'est qu'elle s'est progressivement trouvée incapable de répondre à des menaces infra-étatiques… Elle n'est pas en mesure de faire face aujourd'hui à Boko Haram. D'autres armées uniquement centrées sur la protection des frontières n'étaient pas prêtes à contrer des menaces de nature terroriste lorsqu'elles se sont présentées. Dans d'autres cas encore, on trouve davantage des gardes prétoriennes que des armées nationales. Je pense aux États d'Afrique centrale. Elles forment un groupe de protection autour du président sans être prêtes à affronter les menaces contemporaines.
Ces armées construites autour du clan du chef de l'État sont légion en Afrique. Est-il possible, voire nécessaire, qu'une telle situation évolue, et comment ?Premier point, ce n'est pas à nous, acteurs extérieurs, d'y remédier. De plus, notre vision très négative est souvent assez biaisée par notre connaissance souvent réduite aux États d'Afrique francophone. Nous les voyons négativement en raison de leur rôle dans les coups d'État, de leur ingérence dans le politique, de la corruption ou du népotisme dont elles sont souvent accusées. On oublie souvent qu'elles ont aussi joué des rôles positifs dans certaines transitions politiques, comme en Guinée en 2008. Le général Sékouba Konaté a mis en place la transition politique, se comportant en véritable modèle, à l'inverse de Moussa Dadis Camara. Au Niger, le coup d'État du commandant Salou Djibo en 2010, resté au pouvoir jusqu'en 2011, visait à restaurer les institutions démocratiques, ce qui a été fait avec succès. En 2014, au Burkina Faso, l'armée a tenté de mettre en place la transition démocratique, mais une de ses factions a appuyé Blaise Compaoré. C'était une armée à deux visages. Les rivalités entre factions sont réelles : bérets rouges et bérets verts au Mali ou encore le régiment de sécurité présidentielle et l'armée régulière au Burkina Faso. Il ne faut pas réduire la complexité des situations.
Les armées africaines sont souvent imbriquées dans les jeux de pouvoir. Est-ce acceptable ?85 % des pays africains ont été touchés par des coups d'État. Et seuls deux pays (l'Afrique du Sud et la Namibie) n'ont pas connu de régime militaire. L'enjeu réside, à mes yeux, dans la professionnalisation des armées, dont les enjeux sociaux, économiques, mais surtout politiques avec la subordination à l'autorité civile, sont essentiels. C'est particulièrement vrai dans ces pays où des milices ou des groupes de libération nationale sont arrivés au pouvoir par les armes, comme en Éthiopie, en Érythrée, au Soudan du Sud, au Tchad, au Burundi, au Rwanda, etc. On voit que les anciens rebelles mettent en place des régimes très autoritaires, participant davantage que les autres aux opérations de maintien de la paix. Du coup, en devenant indispensables à la résolution des conflits sur le continent, ces régimes forts ne soulèvent que peu de critiques de leurs partenaires internationaux et accroissent leur emprise sur la vie politique et économique de leur pays. C'est particulièrement vrai actuellement avec le Tchad, l'Ouganda, le Burundi et l'Éthiopie
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Des armées africaines de plus en plus engagées sur le continent

mar, 18/10/2016 - 14:06
En Somalie, au Mali, au Soudan ou encore en Centrafrique, les troupes africaines sont engagées dans des opérations de maintien de la paix. Cette situation est encouragée par les partenaires extérieurs. En effet, depuis le début des années 2000, l’africanisation de la sécurité sur le continent africain est devenue une priorité. Elle passe par un soutien à la construction de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité (APSA).Les chercheurs se sont aussi intéressés à ce phénomène. Néanmoins, la littérature qui porte sur les problématiques de maintien de la paix en Afrique, se penche principalement sur les pratiques internationales de soutien à l’APSA. Les recherches s’attardent essentiellement sur l’analyse des intérêts que les partenaires extérieurs (USA, UE, France, Chine, etc) ont de soutenir l’APSA et les moyens qu’ils mettent en œuvre. Or il est essentiel de se pencher également sur les raisons qui poussent les États africains à s’engager dans des missions de paix qui se distinguent de moins en moins de la guerre par leurs objectifs et leur mise en œuvre.
« L’épicentre du maintien de la paix » À l’été 2016, 22 missions de paix internationales ou régionales sont déployées en Afrique. 99 395 personnels civils et en uniforme de l’ONU sont ainsi engagées dans des pays africains et 42,8 % de ces Casques bleus étaient envoyés par les pays africains. L’Union africaine mène également des opérations qui engagent près de 36 550 personnels du continent. Ces données font bien du continent africain un « épicentre du maintien de la paix ».Premier constat qui s’impose, les principaux contributeurs de troupes se situent en Afrique de l’Est : Éthiopie, Ouganda, Burundi et Rwanda. Participation des troupes africaines aux missions de l’ONU et de l’UA. DR, Author provided Deuxième constat, la participation des troupes africaines aux opérations de paix est en augmentation. Un petit pays comme le Rwanda a une participation croissante depuis 2008, avec une forte implication au Soudan. En août 2016, l’Éthiopie se trouve être le premier contributeur de l’ONU, avec 8 326 personnels engagés, auxquels il convient d’ajouter les 4 400 personnels intégrés à la mission de l’Union africaine en Somalie (soit plus de 12 000 personnels déployés).Le Burkina Faso, le Sénégal et le Tchad connaissent également de fortes hausses avec leur participation à la Mission de l’ONU au Mali (Minusma). En revanche, les puissances continentales comme le Nigéria ou l’Afrique du Sud ont diminué leur contribution, souvent pour des raisons d’instabilité interne.Une quête d’autoritéLes opérations de paix sont un moyen de cultiver une image de « fournisseur de sécurité » et d’être reconnu comme tel par les puissances internationales et le système des Nations unies. En fournissant des troupes au sein des opérations de paix les États africains accèdent aux organes de commandement et de décision de ces organisations et accroissent, ainsi, leur influence en leur sein.Ainsi, lors d’une réunion de l’Assemblée générale des Nations unies, le 28 juin 2016, les États membres ont élu l’Éthiopie pour siéger au Conseil de sécurité de l’ONU pour une période de deux ans, à partir du 1er juin 2017. De même, le Rwanda ou encore le Tchad sont reconnus pour leur maîtrise des rouages des systèmes onusiens ou africains grâce à leur engagement militaire.La participation croissance aux opérations de paix s’inscrit également dans des contextes politiques particuliers de renforcement de l’autoritarisme. On constate ainsi que les quatre premiers contributeurs de troupes sont des régimes autoritaires dont les armées sont qualifiées d’« armées post-libération ». En Éthiopie, au Rwanda et en Ouganda, les armées sont en effet issues de mouvements de libération nationale. Leurs structures militaires restent dominées par des vétérans de la guerre de libération issus du Front patriotique pour le Rwanda, du Mouvement de résistance nationale en Ouganda ou par des vétérans tigréens en Éthiopie.Jonathan Fisher qualifie ces officiers issus de mouvements de libération nationale et ayant trouvé une nouvelle fonction dans leurs armées nationales respective, de « sécurocrates post-libération ». Ce chercheur britannique mène des études pour comprendre comment et pourquoi les OMP (Opérations de maintien de la paix) sont un bon moyen de les maintenir éloignés des politiques de sécurité nationale.Une quête de légitimitéDans le même temps, la participation à ces missions permet à ces pays de faire diminuer la pression de démocratisation de la part des États occidentaux et des institutions internationales. Ces opérations offrent aux États un moyen de recouvrer leur souveraineté et de poursuivre leur propre agenda. Elles sont également un moyen de légitimer leur pouvoir politique et de se rendre indispensable aux regards des acteurs extra-africains. Atelier de formation pour les troupes de l’Amisom, la force déployée en Somalie. Amisom/Flickr Cette forte implication militaire, à travers la participation aux opérations de maintien de la paix permet aux dirigeants d’accroître leur emprise sur la vie politique et économique de leur pays sans craindre de contestations de leurs partenaires internationaux. Le discours sur la sécurité, dans un contexte de lutte contre le terrorisme, a supplanté celui sur la démocratie des années 1990, et devient une rente économique supplémentaire.Au Tchad, le « métier des armes » a acquis, au gré d’une série de conflits internes, un poids historique, social et économique qui ne favorise pas la stabilité du pays. Son intervention au Mali a façonné son image de puissance militaire régionale et ses atouts tactiques en milieu sahélien, elle a contribué à valoriser l’identité militaire du pays et à « occuper les troupes » en dehors du territoire.La professionnalisation des forces arméesSi la littérature s’est longtemps concentrée sur le rôle négatif joué par les armées africaines dans les crises sécuritaires, en soulignant les clivages, le népotisme, la corruption, son rôle politique notamment dans les coups d’État, les répressions étatiques et les guerres civiles, rares sont les travaux qui cherchent à comprendre la manière dont les États organisent leurs moyens militaires pour faire la guerre. La professionnalisation des armées est le défi principal que doivent relever les États contributeurs de troupes dans les opérations de paix.Le déploiement de contingents dans le cadre d’opérations de paix permet d’acquérir un savoir-faire délivré par les partenaires extérieurs comme les États-Unis au travers de l’Africa Contingency Operations Training & Assistance (ACOTA). Ce programme offre des entraînements opérationnels avant projection. Il en va de même pour les détachements d’instruction opérationnelle (DIO) et technique (DIT) des Éléments français au Sénégal (EFS).Les déploiements dans les opérations de paix nécessitent également un appui logistique et des équipements répondant aux normes onusiennes. Le coût de ces matériels, par exemple, est pris en charge par les Nations unies via un mécanisme de compensation qui permet ainsi aux armées de renouveler leur matériel. Une partie de l’équipement peut aussi être cédée par des partenaires. Ainsi, l’équipement burundais en Somalie a été donné par les États-Unis avec charge de l’entretien aux Burundais. Les OMP peuvent donc permettre de renouveler le parc terrestre et acquérir ainsi des matériels neufs.La participation aux opérations de paix participe donc de la professionnalisation des armées et, dans certains cas, soutient la résolution des conflits civils dans le pays contributeur de troupes. Elle peut induire un effet d’entraînement pour la réforme du secteur de la sécurité offert par une perspective d’engagement opérationnel d’unité.Acheter la paix sociale dans les arméesTant au Rwanda qu’au Burundi des enseignements peuvent être tirés sur la façon dont une armée « mono-ethnique » est parvenue, ou essaie, de transformer sa base sociale. La participation aux opérations extérieures a favorisé ces transformations internes. un soldat de la force multinationale à Kismayo (Somalie) en 2012. Amisom/Flickr Ainsi, le déploiement de contingents à l’extérieur du territoire a permis à l’armée burundaise d’intégrer dans la nouvelle armée les miliciens des groupes armés majoritairement Hutu et les soldats de l’ancien régime, les ex-Forces Armées Burundaises (FAB) majoritairement tutsi. Cette intégration a longtemps été considérée comme une réussite de l’accord de paix d’Arusha (Tanzanie), signé en 2000, alors qu’elle était entre 1966 et 1993 le principal centre de pouvoir. La crise électorale a mis en lumière ces divisions et l’armée burundaise est au cœur de la crise politique.La participation aux opérations de paix permet également aux régimes politiques d’acheter la paix sociale au sein des armées. Néanmoins, la sociabilisation des troupes avec celles des autres contingents trouve aussi ses limites. En effet, pour Maggie Dwyer il existerait, depuis le début des années 1990, en Afrique de l’Ouest, une douzaine de cas de mutineries liés à la participation de troupes africaines à des opérations de maintien de la paix.Ces mutineries trouvent leurs racines dans des mécontentements liés au manque d’équipements et de formation, aux procédures régissant les déploiements et au sentiment d’injustice dans la répartition des paies en comparaison avec le traitement de soldats d’autres nationalités. Elles apparaissent alors que de plus en plus d’États africains envoient des troupes dans les opérations de l’ONU ou de l’UA.Un nombre croissant d’armées africaines deviennent des contributeurs significatifs aux missions de paix des Nations Unies ou d’autres organisations. De fait, elles sont devenues des acteurs internationaux essentiels dans la résolution des conflits. Un nouveau champ de recherche s’ouvre pour comprendre comment les politiques publiques nationales sont affectées par cette évolution sécuritaire. Il s’agit de mettre à jour les processus singuliers de réappropriation ou de contournement et comprendre comment les doctrines et les politiques de défense s’adaptent aux conflits qu’entendent réguler les opérations de paix. En somme, nous devons comprendre la manière dont les États organisent leurs moyens militaires pour faire la paix et la guerre.
Cette article a été publié sur le site The Conversation et LeMonde
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Élections présidentielles à Djibouti : enjeux et défis d’une réélection annoncée

ven, 06/05/2016 - 09:15
Nous publions une note dans le Bulletin du Centre FrancoPaix (vidéo de présentation ICI et site ICI)  créé par Bruno Charbonneau en janvier 2016 au sein de la Chaire Raoul Dandurand (UQAM). La note eut être lue dans son intégralité ICI 
 Les principaux points sont : 
  • Ismaël Omar Guelleh a été réélu le 8 avril 2016, dès le premier tour, pour un quatrième mandat avec 87,07% de voix exprimées et un taux de participation de 68,96%
  • L’existence de six candidats dans le jeu électoral apparaît comme une compétitivité de façade. Ce modèle d’élections, à parti dominant et non compétitif, est particulièrement répandu dans les pays en développement.
  • Pour le régime, de nombreux défis restent à relever : préparer la succession du président, et les élections législatives de 2018, offrir au pays une croissance et du développement.
  • Le discours sur l’ordre et la stabilité du président en place, dans une région conflictuelle, lui permet de faire diminuer la pression de démocratisation des États occidentaux et des institutions internationales.
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Djibouti, un petit pays au coeur de l'actualité

jeu, 28/04/2016 - 11:29

Après trois ans de crise entre le régime et l’opposition de l’Union pour le Salut National (USN) - coalition de huit partis née après les élections législatives de 2013 - Ismaël Omar Guelleh a été réélu le 8 avril 2016, dès le premier tour, pour un quatrième mandat avec 87,07% de voix exprimées et un taux de participation de 68,96%. Le Président réélu peut s’appuyer sur une réelle légitimité électorale pour entamer son nouveau quinquennat et la situation politique djiboutienne semble se normaliser. Cependant, plusieurs facteurs tempèrent cette vision optimiste, nous y revenons dans les interviews suivantes: - Émission Cap Océan sur RFI le dimanche 10 avril : ICI 
Le régime djiboutien revendique une certaine stabilité, une « ressource » qu'il vend aux nombreux États hébergés sur son territoire (France, États-Unis, Union européenne, Italie, Japon, et bientôt la Chine et l’Arabie Saoudite). Ce discours sur l’ordre et la stabilité dans une région conflictuelle lui permet de faire diminuer la pression démocratisation des États occidentaux et des institutions internationales. Les élites djiboutiennes présentent leur pays comme un rempart contre « l’anarchie à venir ». La stabilité du régime et sa force coercitive sont particulièrement appréciés au regard des voisins dits « faillis ». Nous revenons également sur cette analyse ci-dessous : 
- Émission Appels sur l'actualité sur RFI, le jeudi 21 avril. Nous répondons à deux questions : Quel est l'intérêt de la Chine de s'installer militairement dans cette région de l'Afrique ? et Comment l'apparition de la Chine à Djibouti est-elle perçue par la France ? Les Etats-Unis ? L'émission est à réécouter ICI   Sur la présence chinoise on lira également : "Djibouti, un amour de Chine ""China Retools Its Military With a First Overseas Outpost in Djibouti ""China Base in Djibouti Reflects Economic, Africa Strategy"
- Émission Les enjeux internationaux sur France Culture le 8 avril sur le rôle de Djibouti dans la Corne de l'Afrique : ICI  

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ISA : Learning from the South? The Horn of Africa as a Litmus Test for IR Theories and Frameworks

mar, 15/03/2016 - 22:09
L’International Studies Association (ISA) organise chaque année une convention réunissant plus de 5000 internationalistes. L'édition 2016 se déroule du 16 au 19 mars à Atlanta (Géorgie/Etats-Unis). Un panel est organisé samedi 19 sur la Corne de l'Afrique : "Learning from the South? The Horn of Africa as a Litmus Test for IR Theories and Frameworks". Vous trouverez la présentation de ce panel ci-dessous. Nous vous invitons à consulter le programme de cette convention dont la thématique cette année est : "Exploring Peace".
Chair: Chair : Terrence P. Lyons (George Mason University)Discussant: Rita Abrahamsen (University of Ottawa)Abstract :Some argue that International Relations (IR) are about the politics of powerful states and that, as a consequence, there is an African exceptionalism which explains IR’s inability to accurately address African experiences. Indeed, Africa has often been neglected by the different theoretical approaches to IR and more generally by the discipline. This is surprising. In contrast, this panel shows that Africa is a productive laboratory for researchers in IR and security studies. While recent events have shifted global attention toward the Sahara, we invite scholars and practitioners to turn their gaze to the Horn of Africa. This region gathers some of the most enduring interlinked political rivalries within the International System. Importantly, it challenges and sometimes clarifies powerful concepts developed by the field (e.g. hegemonic stability, regional security complex, security dilemma, failed states, small state, sovereignty, etc). Thus, the contributors to the panel seek to show that the Horn of Africa is pertinent not only for area specialists but also constitutes a remarkable ground for fieldwork and theory-testing of both old and new approaches. Overall, the panel aims to initiate a new research agenda, which combines deductive and inductive approaches.Papers:
The Lone State: Eritrea's Foreign Policy: Jean-Baptiste Jeangene Vilmer (Sciences Po Paris)Abstract : Eritrea is a totalitarian garrison state. As Hannah Arendt described it, totalitarianism is a quasi-scientific experiment that requires a controlled environment: the country is a laboratory. The first step is therefore to isolate the nation, hermetically sealing it off from the outside world. Controlling the environment allows the production of controllable subjects. Through this process, which prevents those outside the country form entering and those within the country from leaving, an important step to pursue a bellicose foreign policy, waging war to justify the closure of borders and curtailments of liberties. Based on a fieldwork and various primary sources, the purpose of this article is twofold: on the one hand to consolidate and update comprehension of Eritrea’s foreign policy, given the relative scarcity of existing secondary literature; and on the other hand, to present Eritrea’s foreign policy as a means to the totalitarian end of closing off the country. Djibouti as a Small State: Challenges and Limits of an Extraversion Strategy : Sonia Le Gouriellec (IRSEM Institute For Strategic research Ecole militaire Abstract :R. Patman describes the states in the Horn of Africa, and their building, as a "political metaphor". This is especially true for Djibouti. This small state – indeed a microstate even if there is no broad consensus on both definitions – survives in a region where the numbers of states and borders has largely increased. The demarcation of their borders is therefore a very sensitive issue. Since Djibouti’s independence in 1977, its sovereignty has been a subject of discussion. As a consequence, Djibouti has developed strategies to survive and exist in the region. Based on fieldwork (several research trips), this paper aims to explore the dimensions of this strategy and its evolution between independence and today. How does this small state make use of the resources offered by the international system to survive and become a regional actor? What are the threats that jeopardize this strategy?  How can Djibouti contribute to the small states studies? The Little Big Man of Eastern Africa: Explaining the Politics of Personalities in Uganda’s Relations with the Two Sudans: Øystein Rolandsen (Peace Research Institute Oslo)Abstract :Uganda relations with its neighbouring countries and its role in regional co-operation has under Museveni (1986- ) undergone a remarkable transformation. When the rebel movement NRM/A sized power Uganda was a weak country riven by civil war, but it soon changed into a regional bully and has now become a major power within the eastern Africa/Horn of Africa security complex. Friends and foes of the Government of Uganda attribute this change to the personality of the President and his foreign policy ambitions. This runs counter to theories emphasising structural factors when explaining the actions of states in IR. Using Uganda and its relations with the two Sudans as a case this paper argues that the personal power vested in leaders within informal neo-patrimonial nettworks give heads of state considerable room to manoeuvre when handling foreign affairs. But the checks and balances of patron-client relationships constrains the actions of the leader. Security Threats and Alliance Tradeoffs in the Horn of Africa: Ethiopia Vis a Vis Somaliland and Somalia: Andualem Belaineh (PhD student at Institute for Peace & Security Studies, Addis Ababa University, Ethiopia)Abstract : Some argue that International Relations (IR) are about the politics of powerful states and that, as a consequence, there is an African exceptionalism which explains IR’s inability to accurately address African experiences. Indeed, Africa has often been neglected by the different theoretical approaches to IR and more generally by the discipline. This is surprising. In contrast, this panel shows that Africa is a productive laboratory for researchers in IR and security studies. While recent events have shifted global attention toward the Sahara, we invite scholars and practitioners to turn their gaze to the Horn of Africa. This region gathers some of the most enduring interlinked political rivalries within the International System. Importantly, it challenges and sometimes clarifies powerful concepts developed by the field (e.g. hegemonic stability, regional security complex, security dilemma, failed states, small state, sovereignty, etc). Thus, the contributors to the panel seek to show that the Horn of Africa is pertinent not only for area specialists but also constitutes a remarkable ground for fieldwork and theory-testing of both old and new approaches. Overall, the panel aims to initiate a new research agenda, which combines deductive and inductive approaches.


 
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Appel à comunication : Les nouveaux visages des armées africaines

mar, 15/03/2016 - 21:40
L'IRSEM organise les 5 et 6 octobre prochain une conférence internationales sur les armées africaines dont les axes de recherches retenus ainsi que les modalités de participation sont décrites ci-dessous. 

Objectifs de la conférence :Alors que les armées africaines au sud du Sahara ont inspiré récemment des travaux de recherche dans plusieurs domaines des sciences humaines et sociales, elles se trouvent au centre de nouveaux enjeux, avec le développement du terrorisme djihadiste sur fond de renouveau de la concurrence entre puissances internationales et d’intensification des défis liés à la gouvernance. Si les acteurs (semi)privés ou informels sont privilégiés dans ces travaux, les forces de sécurité étatiques et plus particulièrement les armées restent mal connues (Debos et Glasman, 2012). Or, les différentes armées d’Afrique subsaharienne sont aujourd’hui dans une période de transition entre un modèle issu des indépendances et un modèle plus adapté à la conflictualité actuelle. Ces armées incarnent la souveraineté des Etats, bien qu’elles soient parfois négligées par le pouvoir politique et qu’elles servent occasionnellement d’outil de développement ou de maintien de l’ordre. Elles apparaissent depuis la fin de la Guerre froide de plus en plus sollicitées pour améliorer la prévention, contribuer à la résolution des crises sécuritaires sur le continent africain et protéger ou garantir l’évolution politique vers des formes plus démocratiques. Les rapports que les armées africaines entretiennent avec le pouvoir politique constituent une question centrale. Celle-ci a fait l’objet de travaux anciens mais qui restent encore pertinents (Huntington, 1965). Les armées peuvent assurer, à la demande des civils, la transition démocratique (Aka, 1999 ; Bat, 2015) ou s’insérer plus brutalement dans le jeu politique (Moshe 1973 ; McGowan, 2003 ; Decalo, 1989 ; Kandeh, 2004). Enfin, leur formation est devenue le théâtre d’une rivalité inédite entre les puissances internationales (France, Royaume-Uni, États-Unis, Russie, Chine). Cela ne manquera pas d’avoir des conséquences sur les choix économiques et politiques des États qui abritent de nouvelles bases occupées par des forces étrangères ou s’engagent dans des coopérations de défense. Pour les États qui ont un lien historique avec le continent africain, cette nouvelle situation suscite des défis majeurs, tant au niveau politique que stratégique. Organisée par l’IRSEM - dont la vocation vise à rapprocher monde scientifique et monde militaire, mais aussi à produire des réflexions innovantes à même de nourrir le débat stratégique - cette conférence internationale a pour objet d’examiner les transformations des armées d’Afrique subsaharienne au cours des six dernières décennies, à la fois dans une perspective comparatiste (entre pays, entre périodes chronologiques, …) mais aussi et surtout pour comprendre l’évolution des relations entre les armées africaines et les sociétés dont elles sont issues. Trois groupes de question peuvent être distingués. 
1) La naissance et la formation des armées africaines.Un premier groupe de questions abordera la naissance et la formation des armées africaines, c’est-à-dire comment les jeunes États africains souverains ont organisé leur armée nationale. Il s’agit d’étudier le lien entre la construction de ces armées et la formation de l’État, leur capacité à assumer leurs missions et leur contribution au développement intérieur depuis les indépendances. Plusieurs thèses s’affrontent sur les liens entretenus entre les armées africaines et le pouvoir politique. Ont-elles été des spectateurs passifs des processus d’indépendance et de construction des États (Martin, 1975), ou ont-elles joué un rôle moteur dans la modernisation des structures héritées de la période coloniale (Lefever, 1970) ? Les nouvelles armées nationales ont souvent été considérées comme le pur produit de la période coloniale. Peu de recherches sur la continuité entre les organisations militaires pré-coloniales et sur les systèmes militaires issus des indépendances ont été menées. Or Ogot (1972) a montré qu’il était difficile de comprendre la nature et le rôle des militaires dans l’Afrique post-coloniale sans étudier la nature et le rôle du pouvoir militaire dans l’Afrique pré-coloniale et coloniale, et notamment pourquoi même les régimes civils modernes en Afrique doivent compter sur les militaires pour survivre. De nouvelles monographies sur les armées africaines par exemple ivoirienne (Banga, 2014), mauritanienne (Evrard, 2015) permettent un nouveau regard sur la naissance de ces armées et viennent s’ajouter à d’autres plus anciennes – Robin Luckham sur l’armée nigérienne (1970) ou Emmanuel Ela Ela sur le Cameroun (2000) par exemple – pour former un corpus désormais conséquent. Dans le cadre de ce premier groupe de questions, des projets de communication peuvent être proposés sur la contribution des militaires aux indépendances, la création des armées africaines, le rôle des militaires dans les nouveaux États souverains. L’étude structuraliste des armées africaines – l’organisation, l’équipement, le commandement et le financement – sont également des aspects importants de la manière dont s’est opérée la transition sécuritaire en Afrique sub-saharienne. Nous porterons une attention particulière aux communications traitant des pratiques quotidiennes et de la formation notamment des soldats - une perspective souvent négligée dans les recherches sur les armées africaines (Hutchful et Bathily, 1998) – et aux travaux relatifs à la production de normes qu’elles soient issues de pratiques coloniales ou post-coloniales.  2) Les armées africaines face aux influences extérieures.De plus, comme ces armées ont principalement été formées grâce à l’aide fournie par les acteurs extérieurs, la conférence entend, dans un second temps, examiner les questions liées aux influences extérieures à la fois lors de leur formation et de leurs transformations. Nous souhaitons étudier les relations avec les anciennes puissances coloniales, ou avec les nouveaux acteurs extra continentaux (Chine, Inde, Turquie, Japon, États-Unis, Portugal, Union Européenne, Royaume-Uni, Russie, etc.), mais également les liens entre les puissances continentales (Afrique du Sud, Éthiopie, Nigeria, etc). Comment les différents programmes multinationaux et bilatéraux participent à la réforme des armées africaines ? Quelles normes produisent-ils ? Les armées ont été recomposées dans le cadre de la réforme des secteurs de la sécurité (RSS) qui nécessite des recherches renouvelées (Bryden and Scherrer, 2012; Sedra, 2010 ; Egnell and Haldén, 2009). Comment sont planifiés et mis en œuvre les efforts de RSS, le concept de « développement des institutions de défense » (Rand Corporation, 2016) s’y substitue-t-il ? La RSS serait-elle devenue un nouveau paradigme sécuritaire après celui des équilibres financiers (Châtaigner, 2006) ? Quels sont les résultats des politiques d’assistance et de soutien militaire ? Est-il efficace de renforcer plutôt les institutions civiles ou d’instruire les combattants ou encore de former le commandement, professionnaliser la logistique et le soutien afin de donner aux armées africaines la structure d’armées modernes (Doss, Herbst et Mills, 2013) ? La conférence s’intéressera aussi à la coopération entre armées africaines, à différents niveaux (entrainement, formation, opérations). Il s’agit de mieux comprendre comment les armées africaines tissent des réseaux de coopération, qui complètent ou concurrencent les schémas classiques de la coopération militaire dans cette région. Quels rôles y tiennent l’organisation continentale, les Communautés économiques régionales (CER) ou les organisations ad hoc ?  3) L’adaptation des armées africaines.Enfin, les armées africaines ont aussi mué sous la pression de demandes relatives aux conflits extérieurs et intérieurs. Elles se sont donc adaptées à l’évolution de la nature et de la forme de la conflictualité africaine (Straus, 2012 ; Abrahamsen, 2013). Moins d’une centaine d’opérations de maintien de la paix ont été déployées sur le continent depuis 1990 et la majorité des États africains ont fourni des troupes à ces opérations (Williams, 2014). Elles ont également dû composer avec l’apparition de nouveaux acteurs dans la gestion de crise et la résolution des conflits : APSA, CER, CARIC (Franke, 2006 ; Warner, 2015). Les armées africaines évoluent également sous le coup de facteurs politiques internes et externes (Martin, 1989). L’environnement social et l’évolution de la place du militaire dans la société, dans le système économique ou politique contribuent à façonner un nouveau visage aux armées africaines. Nous nous intéresserons donc dans cette dernière partie aux problématiques liées à l’intégration des armées africaines au sein des forces multinationales (Fisher, 2012 ; Wilén, Ambrosetti et Birantamije, 2015) ainsi qu’aux retours d’opérations qui soulèvent des enjeux sécuritaires inattendus pour certains États pourvoyeurs de contingents de maintien de la paix (Dwyer, 2015). Nous attendons également des propositions de communication sur le rôle des armées dans la résolution des conflits internes : par l’intégration des combattants au sein d’une nouvelle armée nationale, dans le cadre des programmes de désarmement, démobilisation et réintégration, une approche encore relativement peu traitée (Wilén, 2015). Ce colloque international sera donc consacré à l’évolution des armées d’Afrique subsaharienne depuis les indépendances. Il vise ainsi à une meilleure compréhension du fait militaire, des armées et de ceux qui les composent. Il est pensé dans une perspective pluridisciplinaire et diachronique. Nous attendons des propositions de communications en sciences politiques, relations internationales, histoire, économie, sociologie, anthropologie, géographie, etc. Nous accorderons une attention particulière aux approches comparatistes, et aux communications s’appuyant sur des études de terrain. Une publication des communications suivra la conférence.  
Proposition de communication :Les propositions de communication (500 mots maximum) peuvent porter soit sur une communication individuelle soit proposer un panel comprenant quatre communications sur un des thèmes retenus pour le colloque. Chaque proposition de communication doit être accompagnée d’une biographie. Elle peut être soumise en français ou en anglais. Elle doit également préciser si l’auteur sollicite une aide de l’IRSEM en ce qui concerne son voyage et/ou son séjour à Paris. Le tout doit être adressé à : Sonia Le Gouriellec (sonia.le-gouriellec@defense.gouv.fr) et Jérôme de Lespinois (jerome.de-lespinois@defense.gouv.fr).  
Calendrier : 10 avril 2016: date limite pour l’envoi des propositions de communication. 1er juin 2016: notification aux auteurs des propositions de communication retenues. 15 septembre 2016 : envoi des versions finales des articles retenus par les coordinateurs et le comité scientifique. 5 et 6 octobre 2016 : conférence internationale « Les nouveaux visages des armées africaines » à l’École militaire (Paris). Bibliographie : Abrahamsen R., 2013, Conflict and Security in Africa, James Currey, 240 p. Assensoh Akwasi B., Alex-Assensoh Y. M., 2001, African military history and politics: coups and ideological incursions, 1900-present, New York, Palgrave. Augé A., Klaousen P. (dir.), 2010, Réformer les armées africaines. En quête d’une nouvelle stratégie, Paris, Karthala. Augé A., Gnanguenon A. (dir.), octobre 2015, Les armées africaines et le pouvoir politique au sud du Sahara, Les Champs de Mars, n°28, 91 p. Baaz M. 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Djibouti, un amour de Chine

mer, 23/12/2015 - 09:19

« Des projets, encore des projets, toujours des projets. Telle est la nouvelle fièvre qui a saisi le pays. (…) Oui, ici même, dans ce coin d'Afrique aux allures de far-west miniature», scande l’écrivain djiboutien Abdourahman A. Waberi dans son livre « Passage des larmes ». À l’ombre des conflits qui touchent une partie du continent et accaparent l’attention des médias et de nos gouvernements, un autre visage émerge, encouragé par de nouveaux acteurs. L’un d’entre eux s’impose parmi tous : la Chine.

Déjà très présente chez le voisin éthiopien, celle-ci multiplie en effet depuis quelques années les projets d’infrastructures à Djibouti. La dernière décision en date de disposer d’installations militaires sur place a été largement relayée dans les médias et a mis en lumière cette attention portée par la Chine à la petite République djiboutienne.

Nul ne doute de la nécessité pour ce petit État de diversifier ses partenariats pour sortir du tête à tête qu’il a longtemps entretenu avec son ancienne puissance coloniale, la France, qui dispose sur place de sa principale base militaire sur le continent. Le pays y voit un moyen d’assurer sa souveraineté et son existence sur la scène internationale. Il est, toutefois, légitime de questionner la prééminence du partenaire chinois, le rapprochement avec l’Éthiopie et les réelles retombées pour Djibouti. Plus que les partenaires, le pays doit surtout diversifier son économie afin d’assurer son indépendance.

Première visite d'un chef de la diplomatie américaine

Dans sa quête de diversification, on constate d'abord que le bal des visites diplomatiques s’enchaîne à un rythme soutenu dans les allées du nouveau palais présidentiel construit par les Chinois à Djibouti. En 2015, John Kerry a été le premier secrétaire d'État américain à se rendre sur place. Il a succédé de quelques jours la première visite d’un président turc. Pas une semaine ne passe sans que le quotidien national La Nation n’énonce la visite d’un officiel et la conclusion d’un nouveau partenariat.

Au pouvoir depuis 1999, le président Ismaïl Omar Guelleh assurait récemment que « le principe de concessions de bases militaires à des puissances étrangères [devait être lu] non comme le procédé choisi pour faire gagner des devises au pays mais plutôt, comme le canal répertorié pour lui conférer une certaine visibilité sur le plan international ». Il est vrai que depuis longtemps la France n’est plus la seule puissance à jouir d’une présence militaire sur place. Elle y a été rejoint par les États-Unis, le Japon, l’Italie et, peut-être bientôt, l’Arabie Saoudite. On y croise également les troupes allemandes ou espagnoles déployées dans le cadre de la lutte contre la piraterie maritime.

Le petit État capitalise sur sa position géographique privilégiée à l’entrée du détroit de Bab el Mandeb entre la mer Rouge et l’océan Indien. La mise en compétition des acteurs extérieurs est une véritable fenêtre d’opportunité stratégique. Djibouti s’internationalise et ce qui s’y passe est particulièrement révélateur des évolutions du système international.

Floraison d'infrastructures

Djibouti souhaite dépasser sa fonction de ville « garnison » sur la mer Rouge, et cherche à jouer un rôle de plateforme régionale majeure. Cordon ombilical du géant éthiopien enclavé, elle représente une pièce maîtresse dans le projet d’intégration économique régionale, soutenu par Pékin. À partir de Djibouti, la puissance chinoise se verrait bien atteindre l’Afrique centrale et pourquoi pas l’Atlantique…

Depuis quelques années, les projets d’infrastructures fleurissent comme jamais. La construction de deux nouveaux est ainsi prévue. La Chine soutient aussi la mise en chantier de deux lignes de chemin de fer, l’une entre Addis Abeba (la capitale éthiopienne) et Djibouti, l’autre afin d’exporter la potasse de Mékélé dans le nord de l’Éthiopie via le nouveau port de Tadjourah (sur la pointe nord de Djibouti).

Ex-colonie française, Djibouti est située à la confluence de l'Afrique et de la péninsule arabique. Charles Roffey : Flickr, CC BY-NC

Dans la capitale, plusieurs centres commerciaux sont en cours de construction ou planifiés. Le port de Doraleh et une zone franche de 3500 hectares seront bientôt opérationnels. Un pipeline est pratiquement achevé pour l’adduction de l’eau potable en provenance d’Éthiopie et un autre projet devrait relier le port de Djibouti et le dépôt de carburants d’Awash en Éthiopie. Un port minéralier dédié à l’exploitation industrielle des ressources naturelles du lac Assal devrait aussi voir le jour au Ghoubet.

Hub maritime et logistique régional

Près d’une dizaine de ces projets sont réalisés par des sociétés chinoises. Si les Éthiopiens ont une longue expérience des rapports avec la Chine, ce rapprochement est nouveau pour Djibouti. La Chine permet à la cité-Etat de réaliser son ambition de devenir un hub maritime et logistique régional alors que les « partenaires traditionnels » - France, Etats-Unis - privilégient le pays pour son positionnement géostratégique dans la lutte contre le terrorisme et la piraterie.

Pourtant, la fonction de plateforme n’est pas nouvelle. Historiquement, le colonisateur français avait fait de Djibouti un port de transit pour les marchandises exportées ou importées par l’empire abyssin. La « réémergence » de l’Éthiopie au XXIème siècle accroît le dynamisme de Djibouti et pour certains acteurs de la vie économique locale les rôles sont clairs : « l’Éthiopie a accepté que Djibouti devienne un hub » …

Néanmoins, Djibouti pourrait se trouver dépasser par cette stratégie économique. Car ces investissements n’élargissent pas les champs des répertoires possibles pour le pays, au contraire ils le contraignent à une destinée commune avec l’Éthiopie. Avant l'indépendance de Djibouti en 1977, celle-ci ne cachait pas ses velléités de rattacher un territoire constituant à ses yeux son prolongement naturel. Cette vision semble encore bien ancrée puisqu’en février 2015, le Premier ministre éthiopien, Haile Mariam Dessalegn, proposait d’aller au-delà de l’intégration économique et invitait les représentants djiboutiens de l’Assemblée nationale à une intégration politique (closer political integration). Des critiques ont émergé dénonçant un agenda caché ou un « mariage forcé », qui font échos aux menaces d’annexion du territoire djiboutien au moment de l’indépendance, devenue mythe fondateur de la souveraineté djiboutienne.

Le risque de vassalité

Ces relations avec la puissance régionale éthiopienne sont à la fois une part du dynamisme de Djibouti et un facteur de risque à l’avenir. Le dilemme qui se pose à Djibouti reflète une contradiction intrinsèque à sa stratégie. En souhaitant, à juste titre, diversifier ces partenaires et ce faisant en dynamisant son économie, Djibouti s’est rapproché de la Chine, elle-même favorable à l’intégration économique régionale. Cette intégration crée une interdépendance encore plus forte avec l’Éthiopie qui pourrait avoir des visées plus ambitieuses. Djibouti risque de se retrouver dans une posture inconfortable de vassalité et de perte de souveraineté.

Plus encore, la question de la soutenabilité économique de la stratégie djiboutienne se pose. Le petit pays de la Corne de l’Afrique adopte une stratégie de développement éloignée du consensus de Washington et parie sur la bienveillance du partenaire chinois. Or le rapprochement avec la Chine ne résout en rien les handicaps structurels de son économie, dont la persistance de la pauvreté - 80% de la population en « extrême pauvreté » - et des taux de chômage élevés restent des symptômes prégnants. Or le développement doit être pensé en termes d’emplois pour ne pas engendrer des troubles sociaux. Cette « croissance sans développement » a de quoi inquiéter.

Grâce à la Chine, Djibouti veut devenir le hub maritime et logistique de la Corne de l'Afrique. Charles Roffey / Flickr, CC BY-NC

Si le « miracle éthiopien » fait rêver son petit voisin, il repose sur un socle minimum d’industrialisation qui n’est pas présent à Djibouti. Dernièrement, le Fonds monétaire international (FMI) s’est inquiété d’une croissance certes élevée dans le petit État - 6% en 2014 et 7% prévu entre 2015 et 2019 - mais financée par les fortes dépenses publiques. L’endettement externe atteint des records : 50% du PIB en 2014, 60 % en 2015 et 80% en 2017.

Ainsi, Djibouti se trouvera à court terme face au défi de la soutenabilité de cette dette alors même que le pays n’a pas débuté le remboursement du capital des principales dettes contractées auprès de l’Exim Bank China, et ce à des taux que d’autres pays africains n’acceptent plus…

Alors que la campagne en vue de l'élection présidentielle d'avril 2016 va bientôt démarrer, Djibouti fait face à un enjeu existentiel majeur qui nécessite une vision à long terme. La réélection annoncée à un quatrième mandat du président Guelleh n'est pas forcément à même de garantir la sérénité nécessaire pour la définition d’une telle stratégie.

Sonia Le Gouriellec, Chercheur à l'Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM), Sciences Po

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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L’Union européenne et l’approche globale : le cas des crises en Afrique

jeu, 02/07/2015 - 11:49
EGMONT Institute et l'IHEDN organisent le 9 juillet un séminaire sur l'apporche globale de l'Union européenne en Afrique. Vous trouverez ci dessous la présentation du séminaire et ICI le programme.
"Le Continent africain est de plus en plus contrasté : à côté de pays à fort taux de croissance, demeurent des régions déchirées par les crises pour lesquelles l’Union africaine et les organisations sous régionales tentent de jouer un rôle de médiation et de stabilisation de plus en plus affirmé, en renforçant leurs dispositifs politiques et militaires.Les causes complexes de ces crises, leur caractère souvent hybride et le lien entre la sécurité et le développement rendent nécessaire une approche impliquant tous les intervenants, prenant en compte toutes les facettes des crises et des conflits armés.L’Union européenne, par ses différentes composantes et instruments, peut mobiliser toutes ses capacités de réponse aux crises de manière cohérente et complémentaire. L’approche globale a été consacrée comme un principe directeur de la politique extérieure de l’Union européenne lors du conseil européen de décembre 2013; la conception de l’UE se rapproche ainsi de l’approche intégrée de l’ONU qui recouvre tous les domaines liés à la sécurité, à la stabilisation, à la reconstruction, à la gouvernance et au développement. L’Union européenne a ainsi principalement mis en oeuvre de manière combinée, ses instruments économiques, politiques et parfois militaires dans la Corne l’Afrique et au Sahel.Cependant, l’approche globale proposée par l’Union Européenne en Afrique constitue-t-elle un mode d’action véritablement opératoire, sa mise en oeuvre se révélant complexe en raison de la multiplicité des enjeux, des acteurs et des intérêts ? Ses instruments sont-ils les mieux adaptés ?Ce séminaire a pour objet d’analyser en trois tables rondes, à la lumière des actions menées dans la Corne de l’Afrique (1ère table ronde) et au Sahel (2ème table ronde), le bilan de l’approche globale par l’Union Européenne et d’engager une réflexion prospective sur son devenir (3ème table ronde).Participation sur invitation – Langues de travail français/anglais avec interprétation simultanée."
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Érythrée: le naufrage du régime et le sort de la population

mer, 01/07/2015 - 11:49
"Les enjeux internationaux" de Thierry Garcin ont consacré une émission à l’Érythrée. Vous pouvez la réécouter ICI.

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Colloque : l'Afrique émergente

mer, 17/06/2015 - 16:33
L’Université Paris Descartes (Paris 5) organise demain un colloque qui a pour thème : l'Afrique émergente.Vous trouverez ci dessous le programme


I – QUELLE EMERGENCE POUR L’AFRIQUE ? (9h30-12h30)
Présidence  de Pierre Pascallon, Président de Participation et Progrès,9h 30 : Pascal Chaigneau, Professeur à l’Université Paris Descartes Sorbonne Paris Cité, Centre Maurice Hauriou.« XXX »9h50 : Thierry Garcin,  Maître de conférences à HEC, directeur de programmes à Radio France, Centre Maurice Hauriou.« La notion d’émergence »10h10 : Derek El Zein, Maître de conférences à l’Université Paris Descartes Sorbonne Paris Cité, Centre Maurice Hauriou, Avocat à la Cour.« Investissements internationaux et émergence en Afrique»10h30 : Michael Strauss, Journaliste, Expert en Géopolitique. « La primo-spécialisation : un frein à l'émergence africaine ? » 10h50 : débat11h10 : pause11h25 : Fouad Nohra, Maître de conférences à l’Université Paris Descartes Sorbonne Paris Cité, Centre Maurice Hauriou.« Politiques éducatives et émergence en Afrique »11h45 : Mustapha Benchenane, Politologue de l’Université Paris Descartes, Conférencier au Collège de l’OTAN « Stabilité politique et développement économique dans l’Afrique sahélienne»12h05  Débat 12h25 fin de la première partie II- ETATS EMERGENTS ET ETATS PIVOTS EN AFRIQUE (14h00- 16h30) Présidence de Pascal Chaigneau, Professeur à l’Université Paris Descartes, Centre Maurice Hauriou, EA 151514h00 : Delphine Lecoutre, Maître de conférences à l’EDHEC.« L’Union africaine dans une Afrique émergente »14h20 :Michel Raimbaud , Ambassadeur de France, Directeur Honoraire de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides «Nigéria, Afrique du sud : la compétition pour le leadership africain»14h40 débat14h50 pause15h05 : Sonia Legouriellec, Chargé d’études à l’IRSEM« Le cas de l’Ethiopie comme puissance émergente » 15h25 : Reda Mezoui, Professeur à l’Université d’Alger, Directeur du Laboratoire des Politiques Publiques à Alger « Quelle place pour l’Algérie dans l’environnement économique africain ?»15h45 : débat 16h00 : Conclusion : Pierre Pascallon, Président du Club Participation et Progrès 16h20 : clôture
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Erythréens : pourquoi fuient-ils leur pays, au risque de leur vie ?

ven, 12/06/2015 - 08:20
Hier, nous étions avec Franck Gouéry et Leonard Vincent sur le plateau de l'émission 28minutes sur Arte pour évoquer la situation en Erythrée. Vous retrouver ICI le replay de l'emission et le synopsis ci dessous : "Après un an d’enquête, trois experts mandatés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU ont publié le 8 juin dernier un rapport de 500 pages qui décrit l’Erythrée comme un système répressif où les violations des droits de l’homme par le gouvernement sont « systématiques et à grande échelle ». Selon le rapport, certains abus commis en Erythrée « pourraient constituer des crimes contre l’humanité », conduisant près de 5 000 personnes à fuir leur pays chaque mois pour migrer en partie vers l’Europe."
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Séminaire : Les violences extrêmes

jeu, 11/06/2015 - 10:51
L'Institut Universitaire Varenne organise demain, en partenariat avec l'IHEJ et l'AFJT, un séminaire consacré aux violences commises par Boko Aram et Daech, ainsi qu'en Centrafique et au Mexique. J'aurais l'honneur d'y participer aux côtés de spécialistes de plusieurs disciplines afin de les présenter et analyser dans une perspective pluridisciplinaire, ainsi qu'à engager - dans une démarche prospective - la réflexion quant aux solutions stratégiques et juridiques permettant d'y faire face. Vous trouverez ci-dessous le programme. Programme:9h00 - 9h10 - Mot de bienvenue
Daniel POUZADOUX, Président de la Fondation Varenne
9h10 - 9h40 - Allocution d’ouverture
Jean-Pierre MASSIAS, IUV9h40 - 12h40 - Table ronde 1 : ANALYSER
Modérateur : Antoine GARAPON, IHEJ
- Marc-Antoine PÉROUSE DE MONTCLOS, IRD
- Nicolas HENIN, Journaliste
- Enoch TOMPTE-TOM, Université de Bangui
- Jean RIVELOIS, IRD13h45 - 16h15 - Table ronde 2 : COMPRENDRE
Modérateur : Emmanuel LAURENTIN, France Culture
- Marcel HENAFF, Université de Californie (San Diego)
- Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, EHESS
- Danièle COHN, Université Paris 1
- Olivier MONGIN, Revue Esprit
- Bassma KODMANI, Arab Reform Initiative
- Georges MALBRUNOT, Journaliste au Figaro16h30 - 18h - Table ronde 3 : FAIRE FACE
Modérateur : Jean-Pierre MASSIAS, IUV
- Michel TERESTCHENKO, IEP Aix-en-Provence
- Xavier PHILIPPE, Université Aix-Marseille
- Sonia LE GOURIELLEC, IRSEM
18h - 18h30 - Synthèse
Antoine GARAPON, IHEJ
Infos pratiques
En raison d’un nombre limité de places, les organisateurs
vous prient de bien vouloir vous inscrire pour assister au séminaire.
Pour tout renseignement et inscription
magalie.besseATneuf.fr
tél : 06 87 13 33 00
Lieu du séminaire
Fondation Varenne – 79 avenue Raymond Poincaré – Paris 16èmeMétro Victor Hugo (ligne 2) ou Métro Trocadéro ou Boissière (ligne 6)
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Recension : « Peacekeeping in Africa. The evolving security architecture »

mar, 02/06/2015 - 17:34


Les articles et ouvrages sur le maintien de la paix ne sont pas légion. Depuis le début des années 1990, le nombre d’articles ou d’ouvrages académiques sur le sujet se multiplie, rejoints ces dernières années par des travaux sur l’architecture de paix et de sécurité en Afrique (APSA). L’ouvrage de Thierry Tardy et Marco Wyss s’inscrit dans cette ligne. Les dernières interventions militaires en Afrique, suivies d’opérations de maintien de la paix, ont démontré à quel point le sujet était en constante évolution. Selon Megan Gleason-Roberts et Alischa Kugel, nous traversons « a pivotal time ». Le continent africain apparaît comme un laboratoire pour tester les différentes dimensions du maintien de la paix. Il serait l’ « epicentre of peacekeeping », selon les auteurs de l’ouvrage. D’une part, parce qu’il accueille le plus grand nombre d’opérations et de personnels civils et militaires de l’Organisation des Nations Unies (ONU), d’autre part, du fait que le nombre d’acteurs non onusien est en constante progression (UA, EU, CER, non gouvernementaux, États). Les expériences du Mali et de la République centrafricaine montrent qu’une réponse hybride se dessine. En effet, différents acteurs interviennent, et pas nécessairement successivement, mais plutôt conjointement. Ces évolutions sont autant de défis pour les acteurs africains du maintien de la paix qui sont devenus, selon les auteurs : « real stakeholder ». Elles ont des conséquences normatives et pratiques indéniables. Au début des années 2000, un nouveau principe a émergé : « Try Africa first , « les solutions africaines avant tout ». La nécessité de solutions endogènes aux crises et conflits africains est collectivement assumée. Le rôle dévolu à la régulation par la région est essentiel et devient une pièce maîtresse du système. En effet, l’architecture de sécurité continentale prend appui sur les sous-régions afin de gérer la conflictualité. L’ONU a également favorisé ce régionalisme en donnant la possibilité aux organismes régionaux d’assurer le maintien de la paix, encadré par le chapitre VIII de la Charte des Nations unies, une « nouvelle division international du travail [1]», en quelque sorte. Cette construction d’une architecture de paix et de sécurité est donc un projet qui s’inscrit dans le temps long des grands projets historiques. Le sujet intéresse particulièrement  les universitaires, au-delà des aspects techniques du processus. C’est l’ambition de l’ouvrage présenté ici. Ce travail réunit dix-sept chercheurs et offre une analyse riche des évolutions et des défis du maintien de la paix en Afrique, dans le contexte de la construction d’une architecture de paix et de sécurité. L’ouvrage est divisé en trois parties, qui présentent  les évolutions institutionnelles, l’implication de nouveaux acteurs et quelques cas d’étude. Dans un premier temps, les auteurs analysent l’évolution des opérations de maintien de la paix sur le continent africain, puis celle des opérations menées par des Africains, au Burundi, au Soudan et en Somalie. Le panorama dressé par les premiers chapitres met en parallèle l’évolution des conflits sur le continent, des opérations de maintien de la paix de l’ONU et l’africanisation des opérations. Leurs conclusions sont connues. La cohérence et la coordination doivent être renforcées dans une période de contraintes budgétaires et où les initiatives ad hoc se multiplient. Sont également traitées dans cette partie : l’approche européenne du maintien de la paix et la question centrale du financement des opérations. Ce dernier point pose le problème de l’appropriation des opérations après l’africanisation, et donc celui de l’autonomie. Le schéma actuellement retenu – financement des opérations par les bailleurs extérieurs - n’est pas tenable sur la durée. La recherche de solutions alternatives est essentielle et régulièrement à l’ordre du jour des sommets et forums internationaux. Dans le chapitre consacré à cette problématique, David Ambrosetti et Romain Esmenjaud étudient quatre modes de financement et s’interrogent sur la volonté des Africains à être autonomes dans le domaine de la gestion des conflits. Ils ouvrent un agenda de la recherche, pour des travaux en économie politique des opérations de paix, et ce que cela nous révèle des politiques des États africains.Dans la deuxième partie de l’ouvrage, consacrée aux politiques de la Chine, de l’Inde et de la France, l’implication de la Chine dans le maintien de la paix est étudiée comme une tentative d’influer un système onusien dont elle se sent exclue. Une position en partie partagée par l’Inde, qui ne veut pas que les opérations de l’ONU soient un « cheval de Troie » des puissances occidentales. En revanche, la France a une approche parfois ambigüe, comme la crise ivoirienne l’a montrée. Son intervention a été rendue nécessaire par le manque de moyens des instances continentales et de l’impasse politique. La dernière partie rassemble un ensemble de cas d’étude. Elle aborde à la fois le rôle des voisins régionaux dans la persistance d’une crise, et dans le même temps, leur engagement dans la résolution de celle-ci, notamment en RDC et en Somalie. Dans le cas du Mali, on comprend le caractère hybride de la réponse qui se dessine, avec les difficultés des interactions entre une organisation régionale comme la CEDEAO, l’UA et l’ONU... L’importance de la compréhension des acteurs et du contexte local nous est rappelée par l’exemple congolais. Le chapitre suivant analyse les difficultés à établir un cadre normatif, notamment avec la Responsabilité de protéger, au Darfour. L’ensemble de l’ouvrage apporte une réflexion stimulante sur la pratique des interventions de paix en Afrique. L’originalité de cette étude est de ne pas se focaliser uniquement sur l’ONU et de proposer une analyse globale incluant aussi bien les acteurs africains que les nouveaux acteurs étatiques parmi les plus traditionnels. La conclusion est classique. L’enjeu de moyens est politique, tant pour les Africains que pour les acteurs exogènes ; qu’ils soient étatiques ou institutionnels. La légitimité de chaque acteur est questionnée, directement ou implicitement, dans toutes les contributions. Il est question d’une part d’interroger ce que cette extraversion du maintien de la paix en Afrique nous révèle des acteurs extérieurs au continent, ainsi que de leurs intérêts, et d’autre part, ce qu’elle nous révèle des États africains et des élites au pouvoir.
[1] Mélanie CATHELIN, Le rôle international d’un État: construction, institutionnalisation et changement. Le cas de la politique canadienne de maintien de la paix en Afrique, thèse de doctorat (sous la direction de Daniel COMPAGNON), Université Montesquieu Bordeaux IV - IEP Bordeaux, Décembre 2008.
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La menace stratégique des États faibles : quand les faits relativisent la théorie

mar, 26/05/2015 - 12:26
Nous venons de publier une note de recherche stratégique pour l'IRSEM. Vous trouverez ici son résumé et le lien vers la note. Les recherches qui se concentrent sur l’échec de l’État à remplir ses fonctions régaliennes rencontrent un franc succès depuis la fin de la guerre froide et après le 11 septembre 2001. L’une des principales hypothèses est que les États dits faibles ou pire faillis seraient générateurs de conflits : « Most of the security problems of Africa largely hang on the failure of the postcolonial state ».
Vous pouvez télécharger gratuitement la note n°18  ICI
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L’armée dans tous ses états. Armées, États, économies et sociétés en Afrique

ven, 22/05/2015 - 11:16
La revue Afrique contemporaine publie un appel à communication sur les armées en Afrique. Vous trouverez ci-dessous l'annonce :"L’objet de ce dossier est d’analyser les liens entre armées, États, économies et sociétés en Afrique aujourd’hui. Sur ces différents points, les armées jouent fréquemment un rôle de premier plan dans le parcours historique des pays africains depuis leur indépendance et dans la construction des États. La question alors posée est de savoir pourquoi et comment elles ont acquis une place aussi déterminante. Tel est l’objectif de ce dossier de la revue Afrique contemporaine.Instruments du pouvoir, centre de/du pouvoir, mais aussi et souvent acteurs économiques et sociaux, les armées en Afrique sont des objets d’analyse incontournables pour comprendre la réalité africaine contemporaine. Il importe évidemment de prendre en compte la très grande hétérogénéité des armées selon les pays. Dans de nombreux pays, la centralité de l’armée est incontestablement un legs de la période coloniale, elle-même fortement différenciée selon les « modèles » de colonisation, en ce qui concerne la continuité des acteurs, des structures administratives et institutionnelles, des registres d’action, des méthodes de gestion, mais, plus d’un demi-siècle après les indépendances, leur rôle et leur place dans les États, les sociétés et les économies ont évolué.   Les armées en Afrique au cœur du politiqueDans le champ du politique et dans bien des pays africains, les forces armées sont souvent présentes sur le devant de la scène : soit pour s’emparer du pouvoir par les armes, et ce aux dépens des urnes (coups d’État, régimes militaires) ; soit pour apporter une réponse à des blocages politiques (Guinée, Mauritanie, Niger, Guinée Bissau) ou à des crises post-électorales ; soit pour jouer un rôle dans la neutralisation des affrontements entre des mouvements populaires et citoyens et les pouvoirs autoritaires en place (cas de la Tunisie ou de l’Égypte lors des « printemps arabes »). Et ce sans compter des régimes militaires ou des régimes politiques dominés, officiellement ou non, par des militaires, d’anciens militaires, des gardes présidentielles.Il importe donc de contextualiser les différentes places des armées dans les pays africains. Certaines sont « faillies », « fragiles » ou « fragilisées », alors que d’autres dominent les champs social, politique et économique. En outre, elles sont de plus en plus concurrencées dans leurs fonctions régaliennes de détention du monopole de l’usage de la violence par des groupes armés de tous types (milices et groupes d’auto-défense villageoise, mouvements djihadistes, gangs, etc).Dans les situations post-conflit, la réintégration des « rebelles » dans les forces armées et la construction d’une armée nationale (cas de la Côte d’Ivoire, du Mali) sont des enjeux centraux pour la construction de la stabilité des pays concernés. De plus, les armées nationales ont souvent des moyens limités, si bien que des forces étrangères, africaines ou non, régionales ou multilatérales, sont engagées pour pallier ces défaillances. Les conflits armés ont aujourd’hui changé de nature. Les guerres entre États, opposant des armées nationales, sont très rares et les affrontements armés relèvent actuellement d’enchevêtrement d’acteurs, si bien que les armées tendent à n’être que l’un d’entre eux.Les armées : nouveaux acteurs économiques?Beaucoup moins appréhendés par les sciences humaines et sociales, le rôle économique des armées ainsi que leur place souvent importante dans les économies de certains pays, en Afrique mais pas seulement, mérite de faire l’objet d’études scientifiques. Sur le continent africain en effet, les armées sont impliquées dans l’économie de rente ou de prédation, voire dans des activités illégales ou criminelles (la Guinée Bissau et le trafic de la cocaïne originaire d’Amérique Andine, etc.). De telles trajectoires résultent, dans certains cas, du fait que les forces armées sont soumises à de fortes contraintes budgétaires qui impactent notamment le paiement des salaires (RDC, RCA, etc.).Mais, toujours dans le champ de l’économie, les armées sont aussi un régulateur d’activité et donc indirectement de l’emploi par le biais des entreprises qu’elles contrôlent. Cette implication dans l’économie peut aller jusqu’à la création de complexes militaro-industriels (il en est ainsi des oligarchies pétrolières en Angola ou en Algérie). Les armées : catalyseur social?Les armées jouent enfin un rôle social non négligeable comme lieu de formation, de socialisation et d’intégration des jeunes, de brassage de populations d’origines diverses, d’accès des femmes à des postes de responsabilité, voire de constitution d’une citoyenneté. Plusieurs pays ont par ailleurs institué des services civiques ou militaires à des fins de développement (Madagascar, etc.). Il en est plus ou moins de même par leur implication dans des programmes de désarmement, démobilisation et réintégration des combattants en fin de conflit, comme au Liberia, en Sierra Leone, en RDC ou en Côte d’Ivoire.Souvent, seules institutions publiques structurées dans les pays au lendemain des indépendances, les armées ont développé des services publics. Elles ont souvent leurs propres dispositifs de protection sociale, conduisent des politiques familiales, gèrent des complexes hospitaliers (Égypte), font de la recherche. Plus largement, l’armée participe à la construction de représentations autour de la masculinité, de l’organisation familiale, de la division du travail et de la répartition des rôles sociaux, mais donne chair au monopole légitime de la violence (cf. les missions régaliennes de l’Etat selon Max Weber) versus la constitution de groupes d’autodéfense et la liberté (de jure ou de facto) de port d’armes.Argumentaire Diverses disciplines relevant des sciences humaines ont abordé, chacune avec leur approche et leur méthodologie, la question des armées en Afrique. Mais, elles l’ont généralement fait par le biais de chemins de traverse¬. Les relations internationales et la science politique, tout comme les War & Peace Studies anglo-saxonnes, privilégient traditionnellement dans l’étude des affaires militaires une approche que l’on pourrait qualifier de schizophrène. Dans le même ordre d’idée, le caractère belliqueux et violent des armées ou leur rôle dans les renversements de régimes politiques et les coups d’État sont mis en exergue. Inversement, telles un Janus bifrons, les armées peuvent être des acteurs clés de stabilisation, voire de « pacification » pour reprendre une nomenclature coloniale, du fait de leur implication dans les processus de construction de la paix (programmes de DDR mentionnés ci-dessus). Cette schizophrénie abolit la distinction entre temps de guerre et temps de paix et révèle de nouveau que les armées sont des acteurs incontournables de l’évolution politique des Etats. L’abondante littérature sur les Réformes du Secteur de la Sécurité (RSS) et de la Défense ne s’est pas ou peu penchée sur ce qu’était véritablement l’armée dans les pays africains. Elle s’est davantage focalisée sur les échecs et les succès de cet outil, sous l’angle des composantes sécuritaires de l’aide au développement, sur les dysfonctionnements des forces armées et les moyens à mettre en œuvre pour les réformer. Ces RSS ont légitimé ainsi la communauté internationale pour intervenir dans un domaine qui relève de la souveraineté des États, ce qui, d’une certaine façon, renvoie aux programmes d’ajustement structurel, fort intrusifs, des années 1980 – 1990. Les approches « Sécurité et Développement » sont quant à elles devenues dans les années 1990 – 2000, tout comme la RSS, le parangon dans les pays du Sud d’une problématisation qui fait un large appel à la thématique de l’insécurité, et ce tant par la communauté internationale que par les agences de développement, qu’elles soient bi ou multilatérales.  Sans nier l’apport de ces approches à la compréhension du fait militaire en Afrique et à la connaissance des armées, le grand absent est, paradoxalement, l’armée en tant que telle et ceux qui la composent, donc les militaires.  Dans une optique pluridisciplinaire, à un carrefour entre sciences politiques, économie politique, sociologie, histoire sociale et anthropologie, ce dossier a pour ambition de repenser les armées en Afrique, leurs élites militaires tout comme les hommes de troupe.  Ce numéro de la revue Afrique contemporaine sera donc centré sur le rôle social, politique et économique des armées en Afrique. Il visera à inscrire dans leurs parcours historiques et leurs contextes la place, dans différents domaines, des forces armées des pays africains et à analyser leur rôle spécifique dans l’histoire et les évolutions de ces pays . Il abordera également la différenciation au sein des armées et les possibles rivalités internes qui en découleraient : entre régiments, armes et corps, entre garde présidentielle et armée de terre, entre troupes d’élite (comme les régiments de parachutistes et l’infanterie). Et ce sans oublier la forte spécificité de la gendarmerie en Afrique. Il visera également à comprendre la place qu’occupent les forces armées nationales à côté des armées régionales ou multilatérales et des forces armées privées (mercenariats, sociétés privées de sécurité et de défense, milices, services de renseignement, etc.). Il accordera une attention particulière aux études de terrain (enquêtes, observations participantes, entretiens), mais également aux analyses comparatives et aux archives. Le travail quotidien, les relations de ces acteurs avec leur institution ou d’autres organismes de l’État, ainsi qu’avec les pouvoirs politiques et économiques, seront traités par les articles de ce dossier. Les trajectoires socioprofessionnelles pourront être mises en perspective afin de répondre aux questions : Que fait l’armée ? Qui sont ces hommes et ces femmes qui la composent ? Pourquoi ont-ils choisi d’embrasser les carrières militaires ou policières ? En quoi ont-ils le monopole de la violence légitime ? Comment se situent les gardes prétoriennes ou systèmes de sécurité présidentielle, proches des pouvoirs politiques, par rapport aux armées ? De quelle logistique disposent les forces armées en Afrique ? Quelle sont les sources de financements, les rémunérations et les équipements ? Comment les autorités nationales exercent-elles des arbitrages entre des dépenses militaires assurant la sécurité et les autres dépenses du budget de l’Etat, notamment sociales ? L’objectif final étant de replacer ces réflexions dans le temps long de ce qu’est aujourd’hui l’armée en Afrique, mais également, par rapport aux ruptures liées à la nature des nouveaux conflits qui dominent en Afrique depuis la fin de la guerre froide (guerres asymétriques, emboîtements d’échelles, diversité des acteurs, etc.).L’approche comparative s’attachera, ainsi de manière complémentaire, à décrypter les évolutions des armées, de leur organisation et de leur positionnement à la lumière des transformations de la conflictualité et l’émergence exponentielle de nouveaux acteurs, privés et publics, de la sécurité, qu’ils soient nationaux, régionaux ou internationaux et des rapports de pouvoir qui en découlent.Il importera également d’expliquer pourquoi les armées ne sont plus exclusivement, ni souvent prioritairement, des institutions purement militaires et pourquoi elles investissent les champs social, politique et économique plus que ceux du sécuritaire et de la défense.Conditions de soumissionFaire acte de candidature en envoyant une courte note d’une page (problématique du texte, exposé du déroulé de l’argumentaire, exposé des données, des sources et terrains mobilisés).  Les articles devront avoir un format de 35 000 signes espaces compris (notes de bas de page et bibliographie comprises) dans leur version destinée à la publication, ainsi qu’un court résumé de 800 signes (espaces compris), des mots clés et la biographie de l’auteur (150 signes). Les auteurs pourront intégrer à leur article des iconographies (cartes, graphiques, photos, dessins, etc.)Ils suivront la procédure d’évaluation scientifique auprès de deux référés anonymes et du comité de lecture d’Afrique contemporaine. La soumission des appels à propositions et des articles se fait sur la plateforme Editorial Manager à l’adresse suivante : http://www.editorialmanager.com/afriquecontemporaine/Vous pouvez nous contacter pour toutes précisions aux adresses suivantes : ncnicolascourtin@gmail.com et fortuiti@afd.frCalendrierEnvoi de la proposition d’article : le 1er juillet 2015. Réponse de la rédaction d’Afrique contemporaine aux auteurs : le 10 juillet 2015 au plus tard.Envoi d’une première version des articles présélectionnés : le 1er septembre 2015.Publication du numéro : mars 2016.BIBLIOGRAPHIE  Ouvrages:
  • Augé A., Kloursen, P. (dir.), Réformer les armées africaines. En quête d’une nouvelle stratégie, Paris, Karthala, 2010. Bangoura, D., Les armées africaines, 1960-1990, », CHEAM, Paris, 1992.
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  • Eboe Hutchful, Abdoulaye Bathily (dir.), The Military and Militarism in Africa, eds. Dakar : CODESRIA, 1998. – xiii-617 p. (CODESRIA Book Series).
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  • Zartmann, W., Elites on the Middle East, 1966.
Dossier de revues :
  • « L’Etat militaire à l’épreuve des transitions », Revue internationale de politique comparée, vol 15, pp. 151-162, 2008.
  • « Military Marxist Regimes in Africa », Journal of Communist Studies, Volume 1, Issue 3-4, 1985.
  • « Militaires et pouvoirs au Moyen-Orient », Vingtième Siècle, Presse de Sciences Po, n° 124, 2014/4, 256 pages.
  • « Amérique latine : l’état militaire à l’épreuve des transitions », Revue internationale de politique comparée, vol. 15, n° 1, 2008, p. 153.
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Recension : Le Ben Laden du Sahara. Sur les traces du jihadiste Mokhtar Belmokhtar

mar, 19/05/2015 - 13:06
L’ouvrage« Le Ben Laden du Sahara » ne se présente pas comme étant la biographie du chef jihadiste, Mokhtar Belmokhtar, mais plutôt sous la forme d’une chronique partant sur les traces de celui qu’on surnomme « l’insaisissable ». L’auteur, mauritanien, est correspondant et collaborateur de plusieurs médias européens. Il a séjourné dans le Nord du Mali en 2012. A la fin de l’ouvrage, il présente le récit de faits qui ont été repris dans le film Timbuktu : l’instauration de la Charia à Timbuktu, et notamment la condamnation de Moussa Ag Mohamed, un éleveur touareg coupable de l’assassinat d’un pêcheur noir, après un incident provoqué par ses vaches. L’auteur, Lemine Ould M. Salem, a été mis en relation avec le porte-parole de Belmoktar au moment où il apportait son aide à la préparation du documentaire du cinéaste Abderrahmane Sissako qui par la suite est devenu un long métrage.

L’ouvrage s’ouvre sur le procès de l’exécution, le 24 décembre 2007, de trois membres de la famille Tollet et d’un ami de la famille, que l’auteur qualifie de « premier attentat jihadiste antifrançais commis dans le Sahel ». Cet assassinat entraînera la délocalisation du rallye Paris-Dakar, et son onde de choc résonne encore aujourd’hui. Le récit concernant le « Borgne » croise l’histoire contemporaine de la zone sahélo-saharienne. Lemine Ould M.Salem relate en effet le parcours de ce jihadiste et, parallèlement, l’émergence du jihadisme dans la région. En suivant la route de Mokhtar Belmokhtar, ce sont  les différents acteurs de la crise actuelle que nous rencontrons. L’auteur revient tout d’abord sur les influences exercées sur le jihadiste et tente de retracer son itinéraire, en commençant par l’Afghanistan, puis l’Algérie et le Mali. Il serait, depuis l’opération Serval, en Libye. Il y aurait pris épouse dans une famille puissante de la même manière qu’il il l’avait fait, dix ans auparavant, car Mokhtar Belmokhtar prépare et sait construire et entretenir des réseaux qui le protègent. Il avait ainsi tiré bénéfice de son mariage avec une adolescente issue d’un clan appartenant à une influente confédération tribale des Brabiches, située entre le Maroc, la Mauritanie, le Mali et l’Algérie. L’auteur évoque ainsi le premier groupe constitué par Mokhtar Belmokhtar - la Brigade du martyre - mais également ses relations avec le GIA puis le GSPC, le rapprochement entre le GSPC et Al-Qaïda, la naissance des groupes AQMI, Ansar Dine et du MNLA. Lemine Ould M.Salem relate aussi les coulisses des négociations des prises d’otages de Robert Fowler, envoyé spécial du secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU), Louis Guay et leur chauffeur, Soumana, en décembre 2008, ainsi que l’assassinat de Vincent Delory et d’Antoine de Léocour, en janvier 2011, et la prise d'otages d'In Amenas en janvier 2013.
Mokhtar Belmokhtar n’est pas un jihadiste opportuniste attiré par l’appât du gain. Il tient à réaliser, précise-t-il, un objectif : « étendre la « guerre sainte » dans le Sud algérien, et au-delà, dans l’ensemble du Sahara ». Ainsi, l’auteur relativise les rumeurs décrivant l’émir comme un contrebandier de cigarettes qui lui vaut le surnom de « Mister Marlboro ». Il n’existerait en effet aucune preuve du financement du terrorisme par ces trafics. Certes, il était en contact avec des contrebandiers et  aurait effectivement fait du trafic de carburant ou de produits subventionnés en Algérie, mais aucune preuve n’attesterait d’un quelconque trafic de drogue ou de cigarettes : « cette réputation de trafiquant de cigarettes ou de drogue a en fait été inventée par les services algériens, puis reprise par leurs homologues des pays du Sahel » d’après un haut responsable cité par l’auteur. Un point de vue dont se défend le protagoniste lui-même, dans une interview citée à plusieurs reprises pour la revue en ligne de l’ex-GSPC : Majallat al-JamaaLemine Ould M.Salem connaît indéniablement cette région et nous invite à le suivre dans cette quête impossible du plus célèbre émir du Sahara. Il a pu toutefois rencontrer des proches de Mokhtar Belmokhtar ainsi que des jihadistes condamnés. Ses sources sont très souvent – et pour cause - anonymes : un « haut responsable », un « fin connaisseur des affaires algériennes », une « source sécuritaire sahélienne ». Pour réaliser cette enquête, riche d’informations, il a eu accès à ce qu’on appelle des « sources grises » (procès-verbaux d’auditions, comptes-rendus d’enquêtes). La restitution dans le livre de ces éléments fait du travail de Lemine Ould M.Salem un ouvrage précieux pour une meilleure connaissance de la bande sahélo-saharienne.
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