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Diplomacy & Defense Think Tank News

Élections au Sénégal : Bassirou Diomaye Faye, le président de la rupture ?

IRIS - Thu, 04/04/2024 - 17:25

Élu à plus de 54% des voix dès le premier tour le 24 mars dernier, Bassirou Diomaye Faye, candidat du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), est devenu, à 44 ans, le plus jeune président de l’histoire du pays. Présenté comme un opposant antisystème, celui qui était en prison il y a encore quelques semaines incarne un nouvel élan politique auprès de la jeunesse sénégalaise. Quelle analyse peut-on faire des résultats de l’élection ? Quelles sont les orientations politiques nationales et internationales du nouveau président sénégalais ? Éléments de réponse avec Caroline Roussy, directrice de recherche à l’IRIS, en charge du programme Afrique/s.

Après le report de l’élection présidentielle décrété par Macky Sall début février, l’élection sénégalaise a eu lieu le 24 mars dernier et a été marquée par la victoire de Bassirou Diomaye Faye. Quels enseignements peut-on tirer de ces résultats et de cette victoire de l’opposition ?

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette séquence. Macky Sall avait souhaité, pour des motifs peu avouables, reporter sine die l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février dernier. Sous la pression conjuguée de la rue, des pouvoirs religieux, de la diplomatie internationale, mais surtout du Conseil constitutionnel, le président Sall a été contraint à l’organisation du scrutin avant le 2 avril, date de la fin de son mandat. Si durant cette séquence d’incertitudes les Cassandres ont prédit la fin de la démocratie sénégalaise, un possible coup d’État militaire, le pays a su montrer que ces institutions étaient solides et que les Sénégalais étaient viscéralement attachés au scrutin présidentiel tout autant qu’à l’alternance politique.

La victoire du PASTEF, parti d’Ousmane Sonko, était prévisible. Déjà il y avait un ras-le-bol de la gouvernance Sall, de son virage autoritariste au cours des trois dernières années, pour rappel : des manifestations réprimées dans le sang en mars 2021, en juin 2023 et plus récemment en février 2024 ; des centaines d’opposants politiques croupissant dans les geôles, un harcèlement des journalistes et l’impression que la République était devenue la chose de Macky Sall et de sa clientèle. En face, Ousmane Sonko, un homme jeune, un discours réformiste, souverainiste, l’envie de renverser la table pour mieux réenchanter la politique et surtout une jeunesse en mal d’espoir. Ousmane Sonko a été empêché de se présenter à la présidentielle, mais l’engouement qu’il a suscité sur sa personne depuis plusieurs années, le narratif qu’il a su créer avec les jeunes, et les moins jeunes aussi, se sont reportés sur « son plan B » Bassirou Diomaye Faye. Sans aucun doute, le rejet de Macky Sall, dont a pâti son candidat Amadou Ba, et le désir en faveur du changement expliquent cette victoire dès le premier tour avec près de 55% des voix. Il est vrai que les analystes, les observateurs ne s’attendaient pas un tel tsunami, à un tel plébiscite du PASTEF. On envisageait plutôt un scrutin à deux tours. Force est de constater que la dynamique du changement l’a emporté tout autant que la volonté d’en finir avec la page Macky Sall.

Quoi qu’il en soit on a pu observer la très grande élégance républicaine du candidat Ba qui a félicité son adversaire et lui a présenté ses vœux de réussite avant même la proclamation officielle des résultats. Le Sénégal confirme-là que c’est un pays démocratique. Il montre que le changement peut arriver par la voie des urnes. Une bouffée d’oxygène en Afrique de l’Ouest quand certains gouvernants sont tentés par des coups d’État militaire ou constitutionnel.

Le 2 avril, lors de son discours d’investiture, Bassirou Diomaye Faye a promis un « changement systémique » au Sénégal. Quelles sont les orientations nationales annoncées par le président ? Quelles sont les attentes des Sénégalais ?

Ce qui est intéressant à ce stade c’est qu’il est encore difficile de faire le lien, la jonction entre le programme du candidat Faye, entièrement tourné vers l’affirmation de la souveraineté du Sénégal en matière économique, monétaire et agricole et partant systémique, et les attentes concrètes des Sénégalaises et des Sénégalais. Un des premiers changements attendu est l’allègement du coût de la vie. Il est nécessaire de prendre la mesure de la très grande précarité dans laquelle une large partie de la population se trouve. Le SMIC est à 65.000 francs CFA. Un riz au poisson (thiep) est à 1000-15000 francs CFA. Cet ordre de grandeur suffit déjà à démontrer la difficulté du quotidien des Sénégalais. Autre attente, l’employabilité des jeunes. Le marché n’est pas en capacité d’absorber les nouveaux entrants. On relève, par ailleurs, une inadéquation entre l’offre de formation proposée aux étudiants et les besoins du marché. Autre attente également, très forte, la renégociation des accords de pêche avec l’Union européenne, notamment. Les chalutiers vident les eaux territoriales de ses poissons. L’activité des pêcheurs est très fortement touchée par ces pratiques et leur revenu a été divisé au moins par trois sinon plus au cours des dernières années. Nombreux sont ceux parmi les pêcheurs à être candidats à l’exil, quitte à s’embarquer dans des canots de fortune. Il y a bien d’autres attentes, mais ce sont celles que l’on peut classer comme prioritaires. Il est intéressant d’observer que dans son adresse à la nation le 3 avril, veille de la fête de l’indépendance, les premiers mots du président ont montré qu’il avait entendu, écouté et qu’il souhaitait répondre à ces attentes. Quelles mesures va-t-il pouvoir adopter dans les semaines à venir pour y répondre concrètement, sans doute en saura-t-on davantage lorsque l’on connaîtra la constitution du nouveau gouvernement dirigé par Ousmane Sonko et que les orientations programmatiques et leurs échéances seront précisées.

Dans le programme du PASTEF et ce qui a été confirmé par le président, il y a une volonté de changer les institutions pour éviter la trop forte présidentialisation du régime et prévenir des abus de la précédente mandature. Il y a une volonté de renégocier les contrats pétroliers et gaziers. La question de la faisabilité de cette renégociation, avec des multinationales bardées de juristes et avocats, interroge. Reste à savoir la teneur des renégociations envisagées. Enfin, sur le franc CFA, le président tout comme son Premier ministre semblent engagés pour mettre un terme à ce système monétaire, mais à quel rythme ? Dans quel espace : la CEDEAO, la zone franc, l’échelle nationale ? Souhaitent-ils aller plus loin que la proposition de l’économiste togolais Kako Nubukpo qui dans un premier temps suggère un changement de nom ? À ce stade, il y a encore beaucoup d’interrogations.

Alors que son prédécesseur Mack Sall avait maintenu de bonnes relations avec l’Occident et la France, quelle sera la ligne politique régionale et internationale envisagée par le nouveau président sénégalais ?

Le président Faye était, il y a quelques semaines encore, en prison. Avec Ousmane Sonko, c’est un nouveau tandem qui arrive au pouvoir. Peut-être doit-on leur laisser le temps de prendre possession de leur fonction respective. Pour l’heure rien n’indique qu’il y ait une volonté de rupture des relations avec l’Occident ou plus particulièrement la France, premier partenaire économique et financier du Sénégal. Le président Faye a du reste affirmé qu’il souhaitait « une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive ». Avouons qu’en 2024, cette requête en faveur de l’égalité et de la justice n’est pas franchement révolutionnaire, sinon pour ceux acquis à des relations de domination intégrée. Elle met juste en exergue un nécessaire recalibrage et rééquilibrage des relations. La France semble s’y résoudre. Le président Macron a affirmé qu’il se réjouissait de travailler avec les nouvelles autorités. Bien sûr, certains sont inquiets par rapport à des propos antérieurs plutôt durs tenus par Ousmane Sonko. Il y a deux ans encore, il déclarait sans ambages : « il est temps que la France lève son genou de notre cou », faisant référence au « let me breathe » de George Floyd et ajoutant « il est temps que la France nous foute la paix ». Il semble que depuis il ait sérieusement ripoliné son discours. Maire de Ziguinchor, il a soutenu et accueilli dans sa ville l’ouverture d’un magasin Auchan, pourtant considéré par certains comme un symbole de la tutelle économique française – rappelons que l’enseigne avait été saccagée et pillée durant les manifestations de mars 2021. Entre les discours dans l’opposition, parfois un brin démagogiques et populistes, et la réalité de l’exercice du pouvoir, il y a souvent un hiatus, ce qui du reste ne saurait être un tropisme africain… Est-ce qu’en cas de crise économique, un discours anti-français pourrait être investi par les gouvernants pour se défausser de tout bilan critique de leur propre politique ? C’est possible. Tout comme il est possible que la renégociation partenariale entre le Sénégal et la France permette de servir d’exemple à la réinvention des liens entre la France et les pays africains.

« Le système est souvent un fantasme collectif que la conquête du pouvoir cible et que son exercice réhabilite »

IRIS - Thu, 04/04/2024 - 15:45

La victoire de Bassirou Diomaye Faye à l’élection présidentielle a été présentée au Sénégal aussi bien qu’ailleurs comme une rupture avec l’ère inaugurée par Léopold Sédar Senghor. Partagez-vous ce point de vue ?

Cela me semble être une lecture paresseuse, facile et rapide. Elle est du reste un récit que font pro domo les dégagistes, en oubliant une donnée majeure : les ruptures sont incarnées par des pratiques sur le long-terme ; les annonces sont souvent des prophéties trahies et c’est bien là quelque chose de factuel. Un Etat, c’est d’abord une continuité institutionnelle. Toute alternance est porteuse de rupture, de nouveauté, de nouveaux horizons, certes l’illusion d’une pureté nouvelle est contraire à ce qui fait la force des administrations, leur capacité à survivre à toutes tempêtes. Attribuer un quelconque magistère presqu’éternel à Senghor, comme substance d’un système inchangé, c’est accréditer l’idée que tout était plus ou moins condamné d’avance et les dés pipés. Une nation, un pays, un Etat évoluent, souvent dans une lenteur institutionnelle imperceptible. Les marqueurs de l’ère Senghor, si jamais on devait arriver à les nommer – bicéphalisme avec Dia, centralité étatique, socialisme – ne sont pas restés structurants pendant les magistères suivants.   Et si on reste dans une telle optique, c’est déresponsabiliser les gouvernants. Ce qu’on appelle  système est souvent un fantasme collectif que la conquête du pouvoir cible et que son exercice réhabilite immanquablement d’où d’ailleurs le sentiment de statu quo.  Bassirou Diomaye Faye a été bien élu, comme le furent avant lui Wade et Sall. Il lui reste de poser les actes d’une rupture avec les pratiques malfaisantes. Ce sont elles plus que le système, le nid des problèmes qui s’endurcissent avec le temps. Cela me paraît résolument plus pertinent que de pourchasser l’héritage de Senghor, c’est s’acharner sur l’ombre et pas la proie, préférer le confort des symboles à l’inconfort des faits.

Certains de ses partisans en commentant son élection ont déclaré : le Sénégal prend enfin son indépendance. Y a-t-il une part de réalité ?

C’est encore là la manifestation des euphories compréhensibles mais ivres et illusionnées. C’est presque nihiliste de supposer que les tous les hommes des régimes successifs, les intellectuels, les universitaires, les religieux, les artistes, les citoyens, n’ont jamais rien fait et se complaisaient dans une position d’allégeance. L’indépendance ne se proclame pas, elle se vit. Dans l’état actuel de notre économie, des flux de capitaux qui soutiennent encore l’édifice économique, d’un informel émietté qui ne donne pas de ressources majeures à l’Etat, les ambitions de souveraineté doivent répondre à un travail méthodique de longue haleine et à une habileté pour créer les conditions locales de la prospérité. Étant entendu qu’aucune autarcie, aucun isolement, aucune rupture avec le monde, et le flux des échanges, n’a jamais créé nulle part au monde, les conditions d’un essor. L’histoire regorge d’exemples de ce genre, les cités-Etats médiévales les plus développées étaient celles ouvertes au commerce du monde. Tout enclavement réduit la portée des échanges.  La notion d’indépendance devrait du reste être étudiée dans sa symbolique au Sénégal, avec la notion de « surga », qui montre la prévalence d’une dépendance interne qui, inéluctablement, influe dans les consciences.  L’indépendance est un horizon, sans illusion d’enfermement. On ne l’acquiert pas par un vote seul, fût-il démocratique mais par une ingénierie politique.

Le nouveau président  s’est présenté dans Le Monde comme un “panafricaniste africain de gauche”. Ce qui fait un peu penser à Cheikh Anta Diop. Parmi les soutiens de M. Faye figure Dialo Diop,  membre fondateur du Rassemblement National Démocratique (RND), le dernier parti politique créé par Cheikh Anta Diop. L’élection de ce nouveau président est-elle une forme de revanche de Cheikh Anta Diop sur Senghor?

Il y a bien longtemps que Cheikh Anta Diop a pris sa revanche sur Senghor. Il bénéficie d’une aura bien plus grande et il est plus cité. Mais attention également à ne pas épouser des récits tout faits. Wade comme Macky Sall ont revendiqué un ancrage panafricain, et Senghor davantage avec le FESMAN, les NEAS et il a fait de la capitale Dakar, le refuge et le havre d’un dialogue avec les Haïtiens entre autres. Il ne faut pas toujours dans une dynamique conflictuelle de segmentation du panafricanisme. Senghor est déjà condamné par le tribunal de l’histoire, mais ensevelir tout son héritage serait contre productif et bien injuste. La notion de panafricanisme de gauche est une habile trouvaille, c’est un pléonasme, parce que  le panafricanisme est du côté de la justice, de la solidarité et de l’égalité. Mais très souvent, au pouvoir, il a trahi, l’exemple de Sékou Touré étant le plus emblématique des glissements où le pouvoir devient autoritaire, répressif, fermé à l’ouverture et ne gardant plus du panafricanisme comme identité vidée. La vigilance doit être de mise pour que les mots comme l’histoire ne soient pas tronqués.

“Senghor ne doit pas être l’obsession du nouveau régime, ce serait une terrible erreur. Il a reçu un plébiscite, avec une plateforme formidable pour construire, il serait mal inspiré de s’assombrir avec l’énergie sombre de la rancœur. La terre espérée de l’homme c’est l’avenir, pas farfouiller dans les tombes.”

Y a-t-il nécessité selon vous de réhabiliter Senghor et sa pensée ?

Il n’y a jamais besoin de réhabiliter un penseur. Très souvent le temps lui donne raison. J’ai écrit un long portrait de Senghor dans SenePlus qui dit ce que je pense de lui, sans admiration ni haine. Il faut toujours lire, critiquer pour éviter l’idolâtrie : carence pathologique de la pensée.

Senghor est présenté ou caricaturé comme le symbole de la soumission à la France ou jugé trop universel. La nouvelle ère qui s’ouvre sera-t-elle synonyme de repli identitaire comme certains le craignent ou plutôt de rééquilibrage ?

Je n’ai aucun catastrophisme avec le régime qui arrive. Je lui souhaite de réussir, tout en étant conscient que cela sera dur au vu des attentes. Je ne crains ni repli, ni racornissement de notre identité. Il serait bien vain de nier que Senghor avait des relations énamourées avec la France et que cela a influé dans sa gouvernance. Tout comme il faut se garder de condamnation définitive, il faut se garder de promettre l’échec au nouveau régime. Senghor ne doit pas être l’obsession du nouveau régime, ce serait une terrible erreur. Il a reçu un plébiscite, avec une plateforme formidable pour construire, il serait mal inspiré de s’assombrir avec l’énergie sombre de la rancœur. La terre espérée de l’homme c’est l’avenir, pas farfouiller dans les tombes.

Enfin, votre dernier essai s’intitulait  « Les Bons Ressentiments ». Ces bons ressentiments ont-ils été palpables dans la séquence politique que nous venons de vivre ?

Je ne parlerai pas de bons ressentiments. Tout est prématuré pour l’instant pour statuer. Je parlerai de révolutions conservatrices. C’est ce qui a cours partout sur le globe. La défiance contre des élites, et le retour souhaité à des valeurs anciennes. C’est un bouleversement tant le conservatisme a toujours été populaire avec un État qui osait l’impopularité d’aller à rebours. Ce qui change c’est que le conservatisme est porté par l’Etat qui devient une caisse de résonance et pas de régulation de la foule. Beaucoup s’en réjouissent. J’ai plein de doute, pour dire le moins.

Propos recueillis par Adama Ndiaye pour Seneweb.com

Guerre en Ukraine : questions de crédibilité

IRIS - Thu, 04/04/2024 - 11:06

Aucune éclaircie en vue sur le front ukrainien. Un relatif statu quo après l’échec russe de parvenir à Kiev et l’échec de la contre-offensive ukrainienne de reconquérir le Donbass, auquel s’ajoute les inquiétudes sur l’engagement à long terme de Washington, l’absence d’alternative à Vladimir Poutine à espérer à Moscou, et des Européens qui restent malgré tout assez soudés entre eux et solidaires de Kiev.

Qu’est-ce qui est en jeu en Ukraine ? Dans le discours occidental, il s’agit avant tout de nos valeurs. Nos valeurs, bien sûr, puisqu’il y a une guerre d’agression, il faut la nommer telle qu’elle est : une conquête de territoires par la force dans laquelle de surcroit des crimes de guerre documentés ont été commis. Mais ce n’est pas uniquement pour défendre nos valeurs que nous sommes engagés aux côtés de l’Ukraine, il faut le reconnaître. Sur d’autres territoires, dans d’autres conflits, nos valeurs sont également mises en cause et nous ne disons rien, ou peu de choses, et surtout nous n’agissons pas. C’est tellement visible sur le conflit israélo-palestinien. La promptitude des chancelleries occidentales à condamner les crimes de guerre – inadmissibles – commis par l’armée russe en Ukraine, la régularité avec laquelle ils sont évoqués dans les médias, contrastent avec la timidité de la dénonciation des crimes de guerre sur Gaza, qui sont de surcroit commis sur une population civile soumise à un blocus et à une famine organisée. Combien de minutes d’images sur les chaines d’info permanente, combien de « unes » de journaux sur l’Ukraine ? Combien sur Gaza ?

Les États occidentaux n’ont pas le même investissement pour aider des pays autres que l’Ukraine, qui font pourtant également face à des conquêtes territoriales ou à des crimes de guerre. Cela s’explique parce le fait que ce conflit se déroule sur le continent européen. Mais aussi parce que la Russie est un rival géopolitique. Dans le conflit en Ukraine, les Occidentaux agissent également par intérêt. Car si les valeurs qu’ils défendent sont de principes universels – violation du droit international, violation des droits humains, de crimes de guerre, etc. – pourquoi autant d’émotions concernant l’Ukraine et autant d’indifférence sur le Nord Kivu, le Soudan, la Birmanie, etc. ? Il n’est pas honteux d’avoir des intérêts. D’ailleurs, si on ne les assume pas, il se crée un climat de soupçons autour des motivations de notre positionnement. Certes, les Occidentaux se mobilisent pour défendre leurs valeurs, mais également pour défendre leurs intérêts mis en cause en Ukraine. Et c’est avant tout pour cela qu’ils s’opposent à la Russie. C’était tout ce que je développais dans le premier chapitre de mon livre publié le 30 août 2023 Guerre en Ukraine, l’onde de choc géopolitique (Eyrolles, août 2023). Mais le débat sur ce point a été largement occulté dans l’espace médiatique, un peu moins sur les réseaux sociaux.

Les pays occidentaux ont fourni des efforts conséquents pour aider l’Ukraine afin de défendre leurs intérêts. Ils consacrent des sommes importantes tout en subissant le contrecoup économique de la guerre, comme le reste du monde. Ils ont abandonné des avoirs importants en Russie – qui ont fortement aidé Vladimir Poutine qui a pu redistribuer à des obligés, anciens ou nouveaux, 100 milliards d’avoirs abandonnés par les Occidentaux – ne voulant pas apparaître, notamment face aux accusations de Volodymyr Zelensky, comme complices de l’effort de guerre russe.

Cet engagement s’accompagne de multiples déclarations indiquant que la crédibilité occidentale est mise en jeu dans cette guerre. De ce fait, il leur est impossible de rester sans rien faire, et ils ne peuvent accepter un cessez-le-feu dans les conditions actuelles, comme le demandent les pays du Sud. Un cessez-le-feu, à l’heure actuelle, signifierait le maintien de conquêtes territoriales opérées par la Russie depuis le 24 février 2022 et même depuis 2014 puisque la souveraineté de la Russie sur la Crimée n’est pas reconnue.

À force de répéter à de multiples reprises que leur crédibilité stratégique était en jeu, les pays occidentaux ont transformé une déclaration de principe en réalité factuelle. Si la guerre s’arrêtait dans les conditions actuelles, l’Occident aurait perdu une grande partie de sa crédibilité stratégique à ses propres yeux, auprès de la Russie et à l’égard du reste du monde, y compris de la Chine. Ils veulent donc maintenir leur soutien à l’Ukraine pour ne pas entamer cette crédibilité et que l’Ukraine ne tombe pas dans l’escarcelle de la Russie.

Jusqu’où les Occidentaux sont-ils prêts à aller ? Le problème, c’est que si les choses continuent ainsi, la guerre risque de durer longtemps. L’idée selon laquelle il faudrait franchir un pas pour aider l’Ukraine se répand. Il s’agirait non pas de maintenir le statu quo actuel, mais de gagner la guerre et ainsi de récupérer les territoires que l’Ukraine a perdus en envoyant des troupes occidentales pour inverser le rapport de force, tant en termes d’équipements militaires que d’un point de vue démographique. L’idée de « préparer la guerre si l’on veut la paix » et de ne pas renoncer à cette option progresse donc. Mais, très souvent, à préparer la guerre, on n’obtient difficilement la paix.

L’histoire fournit de nombreux exemples de situations dans lesquelles, au nom de ce principe si vis pacem, para bellum, la guerre a été précipitée. L’engrenage devient parfois incontrôlable. Il est certain qu’il faut garder une position de fermeté à l’égard de la Russie, encore faut-il savoir où l’on fixe le curseur. Doit-on se limiter à l’envoi de matériel ou aller jusqu’à l’éventuel envoi de troupes ? Je m’étais déjà exprimé à ce propos : la deuxième option, c’est prendre le risque d’une guerre directe contre la Russie, guerre directe que les Occidentaux ont toujours soigneusement évitée pendant la guerre froide entre blocs soviétique et américain, entre OTAN et Pacte de Varsovie. Il semble difficilement envisageable de rétablir la conscription, ou d’envoyer toute la jeunesse française combattre en Ukraine. Cependant, envoyer ne serait-ce que quelques milliers de soldats en Ukraine revient à prendre le risque d’un affrontement direct avec la Russie et ainsi d’ouvrir la boîte de Pandore. Le président de la République française, au nom de l’ « ambiguïté stratégique », n’a pas voulu exclure cette possibilité. Il a tenté – en vain – de faire bouger le président des États-Unis et le chancelier allemand sur ce point, ce qui aurait constitué un tournant stratégique. La plupart des commentateurs français ont applaudi cette tentative, et considéré que ceux qui s’y opposaient étaient – a minima – des lâches. L’opinion française s’est alarmée et y est hostile à 74%[1].

Les intérêts vitaux des Occidentaux sont-ils en jeu en Ukraine ? Non, si leur crédibilité l’est bel et bien, cela n’implique pas nécessairement les intérêts vitaux occidentaux. Est-ce que la Russie risque, comme le disent beaucoup, d’attaquer les pays de l’OTAN une fois qu’elle aura digéré l’Ukraine ? Et dans ce cas-là, ne faut-il pas déjà préparer la guerre, voire prendre les devants ou avoir une base avancée de militaires de l’OTAN en Ukraine ? Une agression russe contre un pays de l’OTAN semble peu probable. Joe Biden, qui exclut l’envoi de troupes en Ukraine, a maintes fois répété que si le moindre centimètre carré d’un pays de l’OTAN était attaqué, les États-Unis et leurs alliés réagiraient militairement. Certains pourront rappeler que l’ensemble des spécialistes de la Russie, et Volodymyr Zelensky lui-même, ne pensaient pas que la Russie entrerait en guerre en Ukraine. Cependant, entrer en guerre contre l’OTAN, c’est autre chose. Soit l’OTAN est effectivement « l’alliance la plus formidable de tous les temps » et l’écart de puissance et de moyens avec la Russie dissuade Moscou d’attaquer l’OTAN, soit l’organisation de défense est plus faible que ne le disent ses plus fervents partisans. Par ailleurs, rappelons que la France dispose de l’arme nucléaire. On ne peut pas à la fois dire que l’arme nucléaire sanctuarise la France et craindre d’être attaqués par la Russie. La France n’a pas craint d’être attaquée par l’Union soviétique au cours de la guerre froide. Elle devrait être dans le même état d’esprit à l’égard de la Russie aujourd’hui, par ailleurs beaucoup plus faible qu’à l’époque. La Russie est une puissance agressive, mais c’est aussi une puissance pauvre face aux membres l’OTAN.

À force d’affirmer que leur crédibilité stratégique était en jeu, face à l’échec de la contre-offensive ukrainienne, les Occidentaux sont confrontés à un choix entre des options dont aucune n’est agréable. Quelles sont les alternatives ? Attendre ? Poursuivre la guerre pour ne pas céder ? Chercher à inverser le cours de la guerre au risque d’une guerre générale contre la Russie ?  Il s’agit d’un risque à considérer et l’opinion française et plus largement occidentale ainsi que les dirigeants occidentaux ne soutiennent pas l’idée lancée par Emmanuel Macron. Le problème est d’avoir engagé la crédibilité occidentale sans avoir défini les buts de guerre. Peut-on gagner la guerre telle qu’elle est menée actuellement ? Cela semble aujourd’hui très improbable. Un effondrement de la Russie pourrait intervenir, mais ce n’est pas le scénario principal qui se dessine. À moins de prendre le risque d’un affrontement direct, le conflit risque de prendre la tournure d’une guerre de maintien des positions. Au mieux, l’armée ukrainienne pourra empêcher la Russie d’avancer, ou légèrement empiéter sur les positions russes. Avec du temps et beaucoup d’investissement, on pourrait travailler à combler le déficit de matériel militaire de l’armée ukrainienne face à l’armée russe. Mais il est peu probable que le Donbass soit reconquis, et encore moins la Crimée. Doit-on accepter une prolongation presque sans fin de ce conflit ? Est-ce que ce n’est pas un jour les Ukrainiens eux-mêmes qui vont demander à l’arrêter ? Les États-Unis ont reproché à l’armée ukrainienne de ne pas avoir prévu de consolider le front de manière défensive comme l’armée russe l’a fait à partir de l’automne 2022. L’Ukraine affirme ne pas l’avoir fait, car cela aurait été admettre de ne pas vouloir reconquérir les territoires tenus par la Russie. Elle le fait désormais et a entrepris de se doter d’un rideau défensif pour empêcher une nouvelle avancée russe.

Les Occidentaux ont fait beaucoup pression pour que la Russie mette en œuvre les accords de Minsk. Mais les pays occidentaux n’en ont jamais fait de même pour que l’Ukraine les mette en œuvre. L’ancien président ukrainien Petro Porochenko a refusé de les appliquer alors qu’il les avait signés au nom de l’Ukraine, au motif qu’il l’avait fait en position de faiblesse. Volodymyr Zelensky, qui avait fait campagne en 2019 en utilisant la langue russe, dans la perspective d’une paix avec la Russie, n’a pas été très allant sur ce point une fois parvenu au pouvoir. En décembre 2021, réunis à Paris, Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine tombent d’accord, sous l’égide d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel. Mais le président ukrainien change d’avis, sous la pression des plus radicaux de son camp à son retour à Kiev. Après le déclenchement de l’invasion russe, en mars 2022, Volodymyr Zelensky était prêt à faire un compromis avec Vladimir Poutine qui aurait remis les questions territoriales à plus tard au profit d’un cessez-le-feu immédiat.

L’Ukraine ne serait-elle pas en meilleure position aujourd’hui si elle avait accepté ces compromis jugés honteux à l’époque ?  Peut-être qu’un jour l’Ukraine acceptera cela. Et pour quels résultats la guerre aura-t-elle été prolongée ? Pour des morts supplémentaires tant du côté ukrainien que du côté russe. Le terme de négociation ne doit pas être un terme tabou, à l’instar du terme de cessez-le-feu. La question qui doit vraiment se poser et qu’on ne pose que trop peu est la suivante : y-a-t-il une chance minimale de pouvoir reconquérir les territoires perdus et que les buts de guerre de Volodymyr Zelensky puissent être atteints ? Ou ne va-t-on pas être réduit à accepter un cessez-le-feu, bien plus tard avec beaucoup plus de morts de part et d’autre ? De moins en moins d’Ukrainiens sont prêts à mourir pour le Donbass, n’en déplaise aux commentateurs français. L’enthousiasme initial pour sauver Kiev et garantir l’indépendance de l’Ukraine est moindre après 26 mois de combat, et face à l’objectif désormais de reconquérir le Donbass. J’ai mis en avant depuis longtemps que l’inégalité démographique était un facteur décisif dans ce conflit. C’est bien d’envoyer des armes à l’Ukraine, mais, à terme, elle va manquer d’hommes et de femmes pour les utiliser.

La crédibilité occidentale serait encore davantage atteinte si un cessez-le-feu devait intervenir dans les conditions actuelles, mais plus tard. Il faut parfois savoir limiter les pertes. Le scénario d’une victoire sans déclencher une guerre générale contre la Russie pour laquelle il faudrait faire preuve d’un peu de patience est certes intéressant, mais les responsables militaires ne semblent pas trop y croire. Si l’on pense que la victoire n’est pas certaine, alors il n’est pas interdit de réfléchir à des sorties prématurées du conflit. Il faut savoir ne pas s’enfoncer dans l’erreur en maintenant la même ligne. Il s’agit de questions importantes qui sont difficiles à poser. Jusqu’à quand faut-il accepter de maintenir le statu quo ? Est-ce que les Occidentaux doivent nécessairement calquer leurs buts de guerre sur ceux de l’Ukraine ? Les intérêts sont-ils alignés ? Dans quelle mesure dispose-t-on d’une vision claire sur la gestion de l’Ukraine et sur le débat interne qui s’y joue sur la conduite de la guerre ? Qu’en est-il du poids des oligarques, du degré de corruption, et de l’efficacité de la lutte contre cette dernière ?

Pourquoi les Occidentaux n’auraient-ils pas leur mot à dire sur les buts de guerre, au regard de leur participation et des coûts qu’ils subissent ? C’est de la taxation sans représentation. Les pays occidentaux soutiennent l’Ukraine, mais ne semblent pas avoir leur mot à dire. Il nous faut défendre nos intérêts et cela peut impliquer de ne pas suivre inconditionnellement le gouvernement ukrainien.

[1] Sondage Odoxa pour Le Figaro et Backbone consulting du 29 février 2024.

Cet article est également disponible sur le blog de Pascal Boniface ou Mediapart.

Haïti : quand la France, sous le regard bienveillant des États-Unis, obligeait les esclaves haïtiens à dédommager leurs anciens propriétaires

IRIS - Wed, 03/04/2024 - 15:33

Haïti a payé sa liberté au prix fort. Au XIXe  siècle, la France a imposé une dette colossale à son ancienne colonie. Et le pays en subit encore les conséquences aujourd’hui.

Tout au long du XIXe siècle puis du XXe siècle, les esclaves haïtiens libérés par eux-mêmes à la suite de plusieurs révoltes et leurs descendants ont été contraints de payer une dette à leurs anciens maîtres français et à leurs familles, afin de les dédommager de la perte occasionnée. Un paiement exorbitant qui a condamné dès les origines la première république noire à la pauvreté et à un sous-développement chronique.

Dans un article publié en août 2022, France culture nous propose une excellente chronologie des événements dont je reprends brièvement ici les grandes lignes :

En 1791, les esclaves de Saint-Domingue, colonie française des Antilles, se révoltent dans l’île et abolissent l’esclavage.

En 1804, les esclaves – Bonaparte venait de restaurer l’odieuse institution – repoussent les Français et proclament l’indépendance de l’île qui devient Haïti.

Le 17 avril 1825, une flotte de navires français arrive au large de Port-au-Prince. L’escadre menace l’ancienne colonie d’un blocus et d’une intervention militaire. Après de longues négociations, un accord est finalement trouvé : Haïti devra payer une somme à la France pour qu’elle tienne ses navires éloignés et ne pénètre pas dans l’île afin d’en reprendre possession et d’y rétablir l’esclavage.

Le montant fixé par la France de Charles X est astronomique : 150 millions de francs-or, soit 10 fois le budget annuel du petit État.

La jeune république n’ayant pas les moyens de payer une telle somme, est donc contrainte d’emprunter à des taux d’intérêt très élevés… et à des banques françaises. Non seulement Haïti doit s’acquitter de cette somme, mais également de taux d’intérêt prohibitifs qu’implique l’emprunt qui va avec. C’est une mise sous sujétion économique sans précédant d’une ancienne colonie qui a osé se révolter.

Pour payer cette dette, le gouvernement haïtien lève de lourds impôts. Mais l’obligation assèche rapidement les finances de l’île qui investit ce qui lui reste dans des forts militaires, pour faire face à la menace d’une potentielle invasion française en cas de non-respect des échéances… De l’argent que le gouvernement aurait pu utiliser dans des infrastructures vitales pour le développement du pays.

En 1838, Louis-Philippe, « plus généreux » que son prédécesseur Charles X, accepte de réduire la dette de 150 à 90 millions de francs-or dans un accord nommé « Traité de l’amitié ».

L’argent haïtien sert donc à dédommager les grands propriétaires français de l’ex-colonie qui ont perdu leurs esclaves, mais une partie va également dans les caisses de l’État français. Le reste est capté par des banques via des emprunts toxiques.

Haïti ne terminera de payer la dette elle-même qu’en 1888 mais les intérêts, eux, ne seront complètement remboursés que dans les années 1950 !

C’est une amie, Michaëlle Jean, ancienne gouverneure-générale du Canada et ancienne patronne de la Francophonie, elle-même d’origine haïtienne, et à qui j’ai consacré un livre axé sur son mandat à la tête de l’OIF[1], qui m’a aidé à mieux comprendre ce scandale historique, aujourd’hui en grande partie oublié des Français.

Jean qui se souvient des exécutions publiques à Port-au-Prince du temps de la dictature de François Duvalier et du visage horriblement tuméfié de son père torturé par les Tontons Macoutes, se rappelle aussi très bien les discussions de ses parents à propos de cette créance que leur génération avait eu à acquitter.

En 2001, le président Aristide évoquait un manque à gagner total de 21,6 milliards de dollars pour Haïti, soit quasiment deux fois le PIB annuel de l’île au début des années 2020.

Les États-Unis, malgré leur soutien déclaré à l’indépendance d’Haïti et en dépit de la doctrine Monroe, ne sont jamais intervenus dans cette affaire, même une fois leur puissance devenue hégémonique sur le continent américain. Le maintien d’Haïti dans une situation économique précaire, correspondant à leurs intérêts économiques et géopolitiques dans la région des Caraïbes.

Il y a quelques années, une annonce a laissé croire que le Quai d’Orsay allait restituer aux Haïtiens l’indemnité que la France leur avait recelée. Il s’agissait bien sûr d’un canular, les Français n’ayant même pas encore à ce moment-là honoré leur engagement quant au fonds mis sur pied pour la reconstruction d’Haïti par les Nations unies à la suite du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Néanmoins, ce canular a eu le mérite de relancer un minimum le débat sur une affaire qu’il faut bien qualifier d’escroquerie historique et dont la réparation demeure, aujourd’hui encore, une revendication légitime.

Bien évidemment, la crise sans précédent que connait aujourd’hui Haïti ne trouve pas uniquement sa source dans le racket imposé par la France pendant plus d’un siècle. La plupart des gouvernements qui se sont succédé ces dernières décennies à Port-au-Prince ont une lourde part de responsabilité. Leur gestion inefficace et la corruption généralisée au sein des institutions haïtiennes ont contribué de manière significative à la perpétuation de la pauvreté endémique dans le pays. Cependant, il est crucial de ne pas négliger le rôle de la France, pays des droits de l’homme, qui a persisté à tirer profit, au détriment des Haïtiens, de la compensation pour la perte de ses esclaves jusqu’à la IVe République.

Il est curieux de constater que les médias américains semblent aujourd’hui non seulement plus préoccupés par l’effondrement d’Haïti que leurs homologues français, mais également plus conscients des responsabilités occidentales dans cette situation, comme l’a récemment démontré CNN en abordant justement ce scandale des esclaves haïtiens contraints de dédommager leurs anciens maîtres.

Il est également à regretter que la plupart des intellectuels français, occupés qu’ils sont par les différentes crises internationales que nous connaissons actuellement, ne puissent trouver le temps de tourner leur regard vers les Caraïbes. Tout cela n’est sans doute pour eux que menu fretin.

Certains d’entre eux évoquent la « solitude d’Israël ». Pour ma part, j’aimerais que l’on parle un peu plus de la solitude d’Haïti.

 

[1] Romuald Sciora, Femme vaillante – Michaëlle Jean en Francophonie, (Montréal : Éditions du CIDIHCA, 2021).

 

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Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.

Élections américaines : Donald Trump et la guerre des « deepfakes »

IRIS - Wed, 03/04/2024 - 15:27

Il y a quelques semaines, on a vu se multiplier des images de campagne de Donald Trump posant avec des groupes souriants de supportrices et supporters noirs, un électorat dans lequel il espère progresser en novembre prochain dans les Etats clés, surtout chez les hommes et chez les jeunes. Or ces photos laissaient une impression étrange. En y regardant de plus près, comme l’a fait la BBC, on s’est aperçu qu’elles étaient fausses : les collages étaient grossiers, les doigts d’un protagoniste manquaient, un autre avait trois bras. Il n’empêche : ces visuels ont été largement partagés par de (vrais) partisans de Trump et des médias ultraconservateurs acquis à l’ancien président. Avec son aval, voire à son initiative ? Nul ne le sait.

En revanche, le candidat républicain a, lui, bel et bien diffusé, fin mars, une vidéo parodique mettant en scène Joe Biden pieds et poings liés à l’arrière d’un pick-up. Et son compte Instagram publie régulièrement des montages montrant par exemple un camion-benne estampillé « Biden-Harris » en feu ou encore le président démocrate déroulant le tapis rouge à une foule de migrants en pleine course pour franchir la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Et en matière de deepfakes, il n’y a pas que les images. En janvier, des électeurs et électrices du New Hampshire ont reçu un appel téléphonique dans lequel la voix trafiquée du président en exercice leur déconseillait de voter aux primaires démocrates de l’Etat (la chaîne NBC a révélé depuis qu’un consultant politique, embauché par la campagne d’un rival de Joe Biden à l’investiture démocrate, en était à l’origine).

Il n’en reste pas moins que, depuis la campagne de 2015-2016, Donald Trump n’a cessé de propager et promouvoir de fausses images violentes ciblant ses adversaires ou celles et ceux qu’il définit comme tels : balles de golf lancées à pleine vitesse pour percuter et faire chuter Hillary Clinton ou Joe Biden, Donald Trump maniant une batte de baseball à côté de l’image du procureur de Manhattan Alvin Bragg ou encore match de catch dans lequel il frappait et mettait à terre une personne travaillant pour la chaîne CNN.

L’intelligence artificielle (IA) va-t-elle donc trop loin ? En réalité, la problématique, toujours la même, est plutôt celle-ci, quelle que soit la technologie : éviter de confondre l’outil et les usages que l’on en fait. On pourrait penser que le but, avec les deepfakes, demeure celui de la parodie. Cela relèverait alors du registre de l’humour, liberté inaliénable en démocratie. Le degré de mensonge auquel le trumpisme, aidé par le modèle économique des algorithmes, a mené depuis bientôt huit ans contraint néanmoins à parler de propagande antidémocratique et à poser la question des relais de cette dernière.

Du mythe de l’élection volée de 2020 en passant par les insultes et les appels à la haine (contre les journalistes, les migrants, les juges et leur famille, les opposants politiques, les femmes qui l’accusent de violences sexuelles, etc.), Trump est passé maître dans la stratégie de brouiller tous les repères et d’induire l’électorat et les leaders d’opinion en erreur, en promouvant une fausse histoire et non des moindres : il serait au-dessus des lois et de la Constitution.

Ce qui pose la question, comme pour les campagnes de 2016 et 2020, de la régulation des logiciels et réseaux sociaux, qui ont toujours un temps d’avance dans l’usage des technologies. Les plateformes ne sont pas non plus en dehors de l’Etat de droit. Des accusations d’interférence dans le processus électoral peuvent, leurs dirigeants le savent, leur valoir de graves ennuis judiciaires.Le 13 mars, le générateur d’images Midjourney – par lequel de fausses photos du pape François en doudoune blanche, du président français Emmanuel Macron ramassant des poubelles ou de Donald Trump arrêté par des policiers sont devenues célèbres – a décidé de bloquer la fabrication de visuels de Trump et de Biden générés par l’IA dans le cadre de la campagne 2024. De leur côté, Facebook et Microsoft (pour OpenAI) viennent de déclarer qu’ils ajouteraient la mention « fabriqué avec l’IA » aux posts et aux images en lien avec la campagne. Et cependant, on apprend que Meta va supprimer, en août, le logiciel CrowdTangle qui aide les journalistes à débusquer la désinformation sur Facebook et Instagram…

Donald Trump a, pour sa part, déjà riposté : il affirme que le Lincoln Project, un groupe de républicains qui lui est opposé, publie des messages utilisant l’IA pour le mettre en défaut et le « faire passer pour aussi mauvais et pathétique que Joe Biden l’escroc ». Mais si les spots en question alignent gaffes, hésitations et confusions de l’ancien président dans ses meetings et ses interviews, toutes ont réellement eu lieu. Ce n’est pas du fake. Retourner, contre celles et ceux qui les formulent, les accusations et critiques dont il fait l’objet est une stratégie systématique de Trump. Histoire d’alimenter un peu plus le récit de sa persécution.

Par Marie-Cécile Naves pour Le Nouvel Obs.

The global gateway in the Southern neighbourhood: the dilemma of investing in authoritarian MENA countries

This policy brief discusses the Global Gateway investment programme launched by the EU to foster infrastructure projects connecting Europe with other parts of the world, particularly the Southern Neighbourhood. With an initial focus on generating €300 billion for investments by 2027, the programme aims to leverage the EU’s economic size and normative attractiveness to become a global power. However, it faces a dilemma when cooperating with authoritarian regimes in the MENA region, where autocrats have tightened control despite past hopes for democratic change. Although the Global Gateway isn’t designed as a democracy promotion tool, the EU hopes its investments will indirectly promote democratic standards. Partnering with authoritarian governments nevertheless poses long-term geostrategic risks. This brief highlights the challenges of balancing investment opportunities with the EU’s democratic values, especially in regions where autocracy prevails.

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Improving gender-responsive innovation: adoption among smallholder farmers in Africa

The development and adoption of innovations are important for economic growth, enhancing well-being and for a more sustainable management of land and natural resources. Globally, improvements in agricultural development have been achieved through the adoption of innovations targeting productivity, sustainability, resilience or product quality of farmers and other food system actors such as processors and consumers. The need to drive innovations among African smallholder farmers has never been more urgent. Africa has a  rapidly growing population, insufficient food production, high rural poverty and land degradation, which is exacerbated by climate and environmental changes and extreme weather events. Fostering new farming practices and innovation adoption among female and male  smallholder farmers, including marginalised groups requires addressing the economic, environmental and socio-cultural dimensions of development and contribute to social justice and gender equity. This is not a self-evident process as some innovations have contributed to adverse environmental or social effects, resulting in low adoption rates and unsuccessful scaling of innovations.

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Transnational cooperation – an explorative collection

The present collection of short papers is an experimental, explorative and introspective German Institute of Development and Sustainability (IDOS) project on international and transnational cooperation for development and sustainability. It is the product of internal brainstorming discussions at IDOS in mid-2022 that aspired to conduct a preliminary, exemplary mapping of the use of “transnational lenses” and their understandings across various work strands at the institute. This might lead to new questions in our work, or it might simply be an attempt to look at our topics of interest with a different perspective. 

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