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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 week 1 day ago

Amérique latine : la discrimination des femmes n’y fait pas exception

Thu, 02/09/2021 - 16:55

Si l’on s’en tient aux médias « mainstream », la condition des femmes afghanes se trouverait au cœur des préoccupations occidentales et extrême-occidentales. L’Extrême-Occident, plus précisément l’Amérique latine, ferait figure de modèle opposé avantageusement aux réalités afghanes, au même titre que l’Amérique du Nord et l’Europe.

On n’abordera pas ici la nature de la part existant entre l’intervention armée occidentale à Kaboul et la situation de la femme afghane, afin de provoquer selon le jargon interventionniste un « regime change ». Pas plus qu’on ne traitera de la primauté accordée à cette question dans le désengagement militaire des Occidentaux. Quelques ajustements toutefois sont proposés ici, hors « regime change », concernant l’état des lieux latino-américains, contexte mieux connu par l’auteur de ce billet.

L’ex-présidente du Chili Michelle Bachelet, latino-américaine, aujourd’hui Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, a, cela dit, le 24 août 2021, posé en termes vigoureux le cadre éthique de ce qui pourrait légitimer une nouvelle intervention. La façon dont seront traitées les femmes et les filles, a-t-elle dit ce jour-là, constituera une ligne rouge. Faute de quoi, une action unie et sans équivoque des États membres signalera aux Talibans qu’un retour à ces pratiques ne sera pas accepté par la communauté internationale.

Ladite « Communauté internationale » s’accommode pourtant, sans particulière réticence, des errements discriminatoires dont sont victimes les femmes latino-américaines. Et en premier lieu de leur droit à la vie, contesté par la violence masculine.

L’Observatoire de l’égalité des genres de l’Amérique Latine et de la Caraïbe a signalé l’assassinat de 3529 femmes en 2018. Les taux les plus élevés sont enregistrés au Salvador (6,8/100 000 femmes) et au Honduras (5,1/100 000 femmes). En chiffres absolus, le Brésil et le Mexique sont en tête de ce classement avec respectivement 1206 et 898 féminicides. Le quotidien péruvien La Republica indiquait le 3 décembre 2019 qu’une femme était assassinée au Pérou toutes les 48 heures. En 2019, la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’ONU a tiré la sonnette d’alarme : 12 féminicides sont enregistrés chaque jour en Amérique latine, qui, selon la CEPAL, serait la région du monde avec les taux de violences à l’égard des femmes les plus élevés du monde. De fait, sur les 25 pays du monde aux taux les plus marquants, on en trouve 13 en Amérique latine et dans la Caraïbe.

La maîtrise de leur corps n’est toujours pas admise de façon universelle. L’IVG est condamnée par la loi au Honduras, au Nicaragua et au Salvador. Aux antipodes, Argentine, Uruguay et la ville de Mexico l’ont dépénalisée. Les autres pays ne l’autorisent quant à eux que pour des circonstances exceptionnelles : mise en danger de la vie de la mère, non-viabilité du fœtus, viol, inceste. Les codes de la famille selon une étude conjointe d’ONU femmes et du Secrétariat général ibéro-américain, signale que dans un certain nombre de pays, les femmes ne bénéficient pas de droits égaux à ceux reconnus aux hommes. L’âge requis pour se marier est par exemple beaucoup plus bas pour les jeunes filles à peu près partout, à l’exception de l’Argentine, du Chili, de l’Équateur, et du Salvador.

Dans d’autres secteurs, en particulier l’accès à la propriété et au crédit, le constat est celui d’une discrimination indirecte. Bien qu’inclusive, la loi s’applique en réalité difficilement. Seulement 30% des femmes détiennent des terres agricoles. Avec de gros écarts entre les pays : elles sont par exemple 8% au Guatemala et 30% au Panama. Les mêmes remarques peuvent être faites concernant la présence des femmes sur le marché du travail. 56% des femmes avaient, avant le coronavirus, une activité rémunérée, contre 85% des hommes.

Ce contexte d’inégalités a été amplifié par la pandémie de la Covid-19. Selon la CEPAL, la participation des femmes au marché du travail a chuté à 46% en 2020. Un pourcentage qui est le double de celui constaté pour les hommes. L’OIT (Organisation internationale du travail) a chiffré à 13,1 millions le nombre de femmes latino-américaines ayant perdu leur emploi en 2020. Ce repli est encore plus fort pour les femmes noires. D’après l’institut brésilien IBGE (Institut brésilien de géographie et de statistiques), le taux de femmes noires au chômage a atteint les 18,2% en 2020. Le phénomène a été si violent qu’une économiste argentine, Candelaria Botto, a pu le qualifier de « féminisation de la pauvreté »[1]. Qui plus est, à la pauvreté est venue s’ajouter la violence. L’ISP de Rio (Institut de sécurité publique) a enregistré 250 cas de violences à l’égard des femmes pendant le confinement entre les 13 mars et 31 décembre 2020[2]. Constat confirmé en Équateur dans la province d’Azuay par le SIS (Service intégral de sécurité)[3].

En conclusion, tout ne va pour le mieux dans le meilleur des mondes extrême-occidental. Même si en Amérique latine le quotidien des femmes n’est pas, en septembre 2021, aussi incertain qu’en Afghanistan. Des collectifs de femmes en Argentine, en Colombie, au Mexique parviennent en effet à forcer les gouvernants à respecter leurs revendications. En février 2020, l’ex-président équatorien Lenin Moreno a ainsi présenté ses excuses pour un propos déplacé sur le harcèlement où il affirmait que les femmes ne dénonceraient que si l’auteur est « un homme laid ». Près d’un an plus tard, AMLO, Andrès Manuel Lopez Obrador, président en exercice du Mexique, après avoir dénoncé la main de la droite agitant le féminisme, s’est vu contraint de préciser, le 8 mars 2021, « qu’il n’avait rien contre le féminisme (..), mais qu’il condamnait « la corruption et la manipulation ».

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[1] In « Ambito financiero », 7 mars 2021

[2] In Jornal do Brasil, 8 mars 2021.

[3] In El Mercurio de Cuenca, 8 mars 2021

Avortement : la Cour suprême refuse de suspendre une loi texane, une « gifle anti-#MeToo d’après une spécialiste des États-Unis

Thu, 02/09/2021 - 14:39

Êtes-vous surprise par cette décision ?

Il est important de préciser que la Cour suprême ne se prononce pas sur la constitutionnalité de la loi et ne se prononce pas sur le fond. Sans doute sera-t-elle amenée à le faire un jour, mais elle se prononce sur la procédure. Elle invoque des questions de procédure complexes et nouvelles qu’elle ne souhaite pas trancher. Néanmoins, évidemment, dans un contexte politique et de polarisation politique très fort aux États-Unis, et y compris au sein de la Cour suprême, il est difficile de séparer complètement les questions de fond, des questions de forme.

Le président John Roberts, qui est attentif à ne pas faire de la Cour suprême un instrument idéologique, a voté avec les juges progressistes. L’État texan, qui est sous l’influence de militants anti-avortement extrêmement puissants, extrêmement bien informés, extrêmement inventifs, a formulé la loi de manière à ce que ce ne soit pas aux autorités de faire respecter ce texte, mais exclusivement aux citoyens. Et c’est là-dessus que la Cour suprême refuse de se prononcer, non pas sur le fond.

Pensez-vous que d’autres États emboitent le pas du Texas ?

C’est très probable. Cela donne un appel d’air, ça donne une dynamique. C’est une loi très clairement d’intimidation, à la fois des femmes et des personnels médicaux, des associations. Ça signifie qu’aujourd’hui, les droits ne sont pas les mêmes pour les femmes dans l’ensemble des États-Unis. En d’autres termes, ils ne sont pas suffisamment protégés. La Cour suprême est aujourd’hui à très forte majorité conservatrice, avec trois juges ultraconservateurs nommés par Donald Trump. Mais cela s’inscrit dans une histoire plus longue depuis les années Reagan, avec une recrudescence de l’Amérique conservatrice après les années 1970, de progrès des droits des femmes. Après, il y a eu les années George W. Bush qui ont encore remis un coup contre la liberté des femmes à disposer de leur corps. On assiste dans une partie des États-Unis, comme dans d’autres démocraties comme la Pologne, ou la Hongrie, par exemple, à une gifle anti-#MeToo.

Quelle est la position de l’opinion publique ?

Elle est majoritairement favorable au libre choix. Plus de 50 % des Américains sont favorables au libre choix, notamment dans les jeunes générations, mais pas seulement. En revanche, on a des crispations identitaires et des crispations conservatrices extrêmement fortes dans une partie des États américains. Il est important de préciser que d’autres États, comme la Californie par exemple, ou d’autres encore, ont renforcé leurs lois locales pour protéger davantage l’accès à l’avortement des femmes.

Est-ce que l’avortement pourrait être interdit aux États-Unis ?

C’est tout à fait possible. On voit mal dans les mois qui viennent que l’arrêt de la Cour suprême 1973 soit complètement invalidé. En revanche, le fragiliser en donnant davantage de latitude aux États fédérés, du côté de la Cour suprême en particulier, pour faire ce qu’ils veulent, c’est un peu ce qui est en train de se passer au Texas. Il y a une décision de la Cour suprême qui est attendue aussi sur une loi au Mississippi restreignant considérablement l’avortement, dans les mois qui viennent. Mais il y a quand même une jurisprudence qui, notamment, interdit aux États fédérés de faire peser ce que l’on appelle un fardeau excessif sur les femmes dans leur accès à l’avortement. Donc, il y a des failles juridiques, il y a une interprétation de la loi et de la Constitution qui est évidemment partisane à la Cour suprême et dans les tribunaux, et on suivra ça avec beaucoup d’intérêt parce qu’effectivement les droits des femmes sont menacés aux États-Unis sur ce terrain-là.

 

Propos recueillis par France info.

L’Amérique post-Amérique

Wed, 01/09/2021 - 18:34

Traits marqués, le débit lent, Joe Biden commence à lire son prompteur devant un parterre composé des journalistes accrédités à la Maison-Blanche.

Le vieil homme qui, il y a quelques mois, confondait devant les caméras sa petite fille avec son fils Beau, disparu depuis plusieurs années, semble, en ce 26 août au soir, plus perdu, plus fébrile que jamais.

« Nous vous pourchasserons et nous vous ferons payer », dit-il. Une sémantique vengeresse en contradiction avec son langage corporel, mais surtout avec la séquence du moment, si humiliante pour l’Amérique. Dans son allocution, le 46e président des États-Unis tente de s’abriter à plusieurs reprises derrière l’avis des responsables militaires pour justifier l’abandon définitif de l’aéroport de Bagrâm, qui aurait pu servir de hub alternatif à Kaboul, ou pour expliquer le refus de renforts, au-delà des 6 000 soldats déployés pour l’évacuation. En cette triste soirée d’été, il s’accroche à sa décision de vouloir respecter la date du 31 août pour conclure le retrait américain. En vérité, il veut mettre derrière lui cette débâcle au plus vite, sans doute la plus médiatisée -donc la pire- de l’histoire de son pays.

« Nous vous pourchasserons et nous vous ferons payer » …

Oui, bien sûr, dès les jours suivants des drones américains tueront certains des commanditaires des doubles attentats qui ont eu lieu en ce 26 août à proximité de l’aéroport de Kaboul et qui ont couté la vie à 13 militaires américains, deux soldats britanniques et à des dizaines de civils afghans. Oui, bien sûr… mais la parole présidentielle ne porte plus.

Ce « nous vous pourchasserons et nous vous ferons payer » qui devait résonner dans le cœur des Américains comme le discours de George W. Bush au soir du 11 septembre 2001, tombe dans le vide.

Une certaine foi en l’Amérique est morte en ce mois d’août à Kaboul.

Biden n’est évidemment pas responsable du désastre afghan dans son ensemble, mais cette débâcle sans précédent pour la puissance américaine est son œuvre et porte sa signature. Anthony Blinken, secrétaire d’État, et Jack Sullivan, conseiller à la sécurité nationale, ont eux aussi leur part de responsabilités dans la catastrophe actuelle ; et elle n’est pas négligeable. Mais c’est bien Joe Biden qui a voulu ce retrait précipité d’Afghanistan. Retrait précipité qui n’était pas nécessaire et qui a conduit à la victoire éclair des Talibans.

Tétanisés devant leurs écrans, les Américains ont vécu les événements des dernières semaines comme une insulte, un outrage fait au drapeau à la veille des cérémonies du vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre. « Tout ça pour ça … », entend-on un peu partout.

L’Amérique, traumatisée par l’assaut contre le Capitole en janvier dernier, n’en revient pas de voir aujourd’hui sa puissance militaire, puissance qu’on lui disait sans pareille dans l’histoire humaine, mise en échec par « des paysans munis de kalachnikovs et roulants sur des mobylettes ».

Il ne s’agit peut-être pas ici de la chute de Constantinople, mais l’onde de choc de la chute de Kaboul va continuer à s’étendre pendant encore longtemps dans la société américaine et dans le monde. Et ceux qui disent que les États-Unis s’en remettront, comme ils se sont remis de la chute de Saigon en 1975, se trompent. Non seulement parce que la prise de la ville de Saïgon par l’armée populaire vietnamienne a eu lieu deux ans après le retrait américain du Viêt Nam, épargnant ainsi au public des scènes de débâcles comparables à celles d’aujourd’hui et donc un traumatisme insurmontable, mais aussi et surtout parce que le contexte général est fort différent.

Les Américains ont cru voir leur démocratie vaciller en début d’année : la croyant éternelle ils l’ont comprise fragile. Ils croyaient leur pays débarrassé de ces vieux démons que sont le racisme et le ségrégationnisme : les émeutes de l’année dernière et le climat de semi-guerre civile qui a suivi la mort de George Floyd et vu les grandes villes se barricader derrière des panneaux de bois leur ont donné tort.

Jamais dans l’histoire récente les États-Unis n’ont connu de telles divisions, qu’elles soient culturelles, ethniques, religieuses ou politiques. De telles volontés de séparatisme dans certains territoires, voire de sécession dans différents États…

Sans parler de la pandémie de COVID-19 qui n’en finit pas de faire des ravages -jusqu’à 200 000 nouveaux cas quotidiens au cours des dernières semaines et plus de 1200 morts par jour-, ni des répercussions économiques et sociales de celle-ci qui ne font qu’accélérer la paupérisation d’une partie de la population et la tiers-mondisation du pays.

Bien sûr, Joe Biden a pris des mesures importantes depuis son arrivée à la Maison-Blanche afin de tenter de sauver l’économie et de rénover les infrastructures. Elles ont été plus que bienvenues, mais n’ont été que de circonstance, exceptionnelles. Rien n’a été entrepris pour vraiment changer les choses. Prendre le mal à la racine.

Alors non, les États-Unis, plongés dans un climat de déliquescence générale, ne se remettront pas des images de la chute de Kaboul. Le pays de l’Oncle Sam restera bien évidemment, pendant encore longtemps, la première puissance mondiale. La machine hollywoodienne de son côté continuera pendant encore de nombreuses années à exporter les phantasmes recyclés du rêve américain, mais celui-ci, déjà moribond depuis un bon bout de temps, a bien disparu corps et âme dans les émeutes du Capitole de janvier dernier, et ce qu’il en restait a été emporté par la tempête afghane.

Le mot Amérique signifiait autrefois bien plus que le nom d’un pays. Il reflétait un idéal. Il était synonyme de liberté et d’émancipation. Il était porteur d’espoir pour les peuples opprimés.

Lorsque Joe Biden, pourtant président démocrate et donc héritier de la tradition wilsonienne, déclare, après avoir abandonné une population en péril, que son pays n’a plus vocation à verser le sang de ses enfants pour les droits de l’Homme et la démocratie, il faut se rendre à l’évidence : la partie est finie et nous sommes entrés dans l’ère de l’Amérique post-Amérique.

 

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son dernier essai, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » est paru en Ebook chez Max Milo en 2020.

COVID-19 vaccines: Is it worth continuing funding the COVAX flop ?

Wed, 01/09/2021 - 15:32

Accountability has been a well-rounded discourse in liberal democracies, extensively used to impose norms in lower-income countries in the name of transparency and good governance. Yet, one can only wonder why the use of such a concept often seems to be only one-sided. For example, in the past six months, how is it that no single attempt has been made to hold the COVAX mechanism accountable for results, despite the fact that it has mainly been funded by public subsidies?

COVAX : Good intentions destroyed by global protectionism

But let’s start by being fair. COVAX was based on pretty good intentions. In the Summer of 2020, the World Health Organization (WHO) took the lead in promoting equal access to COVID-19 vaccine doses in a sincere try to avoid a two-tier world. The idea behind was to use a collective mechanism to negotiate with vaccines manufacturing labs to avoid escalating prices in a context of a demand-driven crisis. To put it rather bluntly: on the one hand, several billion doses were/are needed, on the other hand, existing supply lines were/are insufficient, the assumption therefore was that a strong multilateral mechanism could effectively regulate the demand side while respecting WHO’s strategy in terms of vaccination prioritization. At the onset of the pandemics, all countries were initially concerned by COVAX, regardless of their income.

It would be a euphemism to state that such an equal approach did not survive worldwide protectionism. As early as February 2021, the large majority of the rare available vaccine doses had been pre-purchased by the very few countries who could afford it, on a bilateral basis. Despite the high expectations placed upon COVAX, the use of the facility largely lagged behind in terms of number of pre-orders done through this channel. Upper-income countries moved out rather quickly, preferring direct arrangements with labs, and a tangible effect was to shape COVAX into an(other) aid instrument solely targeting the poor. In this race to vaccinate, COVAX has lacked both a clear governance impulse and an independent financial capacity to be able to play fairly in a geopolitical context clearly dominated by the countries where vaccines’ manufacturers are located.

Fragile COVAX supply system exposed

Notwithstanding the poor start, the first COVAX deliveries eventually occurred at the end of February 2021 in two West-African middle-income countries. Côte d’Ivoire and Ghana were the lucky recipients. The system was quickly put to a halt though. In view of the deteriorating situation in India, the Indian government requested the Serum Institute of India, the biotechnology and biopharmaceutical company most involved in COVAX,, to stop all vaccines deliveries abroad. Since 90% of COVAX supply-line were based on Indian suppliers – rather foolishly – the fragility of the system was fully exposed in March, with no clear prospect on how to address the growing discrepancies in vaccination coverage between the rich and the poor countries.

In view of severe supply shortage, several measures were taken not to let the mechanism die. In April, France was first to announce in-kind vaccine donation to the COVAX facility. Similar announcements were done later by the US, the UK, Germany, and it was also included into the EU strategy. An interesting turn was to authorize Chinese vaccines to be channeled through COVAX. Why they had been authorized by the WHO for months while not being tapped into by the COVAX purchase teams will probably remain a mystery, but at the end of July, the signature of supply agreements with the Chinese manufacturers SINOVAC and SINOPHARM were more than welcome, and the CoronaVac and BIBP vaccines started being dispatched using the COVAX channel.

As of mid-August, COVAX had shipped 205 million vaccines to 140 countries out of the 2 billion doses initially planned. As a comparison, 4.7 billion doses had been administered worldwide. Less than 5% of the vaccine doses had thus been channeled through this mechanism, leaving a general impression of failure, despite the energy and the communication deployed in promoting ‘social’ multilateralism.

Vaccine supply: a telling example from Togo

But how ‘social’ has it truly been? The question is not so ingenuous since ‘social’ is not synonymous to ‘free’. In mainstream views, COVAX has been surrounded with the halo of international solidarity and one easily forgets that countries who make use of the COVAX system also enter into contractual arrangements upon which they have little room to maneuver. Adopting the perspective of a recipient country helps to understand the financial stakes.

Let’s take Togo for instance, which is a country that has been praised for its vaccination strategy. What have been its options to get access to vaccines? To date, the country has received a batch of Johnson & Johnson doses purchased through the African Union (118,000, which also happens to be the first COVID-19 vaccines produced on African soil), a batch of AstraZeneca also channeled through the African Union (120,000), Sinovac doses from China (200,000), a batch of AstraZeneca channeled through the COVAX facility (296,000) and Pfizer doses, also using COVAX (100,620).

In view of the law of the jungle that prevailed in the beginning with such an unbalanced grabbing of the doses, it is likely that Togo also entered into direct agreements with pharmaceutical labs to pre-order vaccines. Four types were then acquired, using at least two different multilateral mechanisms, plus what was negotiated on a bilateral basis with sometimes uncomfortable clauses. The dose of AstraZeneca dealt directly cost differently than the dose of AstraZeneca bought by the African Union, which cost differently than the dose of AstraZeneca bought through COVAX, which also cost differently than the dose of AstraZeneca bought in the EU. And because this was not yet complicated enough, COVAX has come up with two internal processes of negotiation, depending on who pays.

The COVAX Facility targets self-financing economies while the COVAX Advance Market Commitment (AMC) was created to promote access to vaccines to lower-income economies. UNICEF has been in charge of all negotiations and purchases for the COVAX-AMC.

Local actors to support

In this context, perhaps then equal access to vaccines must foremost be framed in terms of trade. A few relevant questions then would be: what is the added value of COVAX compared to other mechanisms? Have the vaccines bought through this mechanism been less expensive than the ones bought from other channels? Who has been the best negotiator between UNICEF and the African Union? In economies under severe structural strains, these are key questions that should not be downplayed, and if one mechanism is less efficient than another in its attempt to put vaccines’ prices down, there is surely the need to reconsider funding it. After all, social multilateralism still falls under market law. Sadly. In July 2021, the WHO was still estimating a gap of USD 16 billion for financing the ACT-A partnership, on which COVAX depends. But in a context where financial envelopes are not expandable endlessly, it is probably time to acknowledge the presence and efficiency of the other actors, especially the African Union Vaccine Acquisition Task Team (AVATT), which is perhaps the best trader to support these days.

J’ai lu… « Le dessous des cartes – Le monde mis à nu » de Émilie Aubry et Frank Tétart

Tue, 31/08/2021 - 17:39

Dans cette vidéo, Pascal Boniface expose son point de vue sur l’atlas proposée par l’équipe de l’émission d’Arte Le dessous des cartes « Le dessous des cartes – Le monde mis à nu » (d’Émilie Aubry et Frank Tétart) qui parait le 2 septembre aux éditions Tallandier et Arte éditions, à l’occasion de la rentrée littéraire stratégique.

Gaz : « Il y a un risque de pénurie mais pour l’instant, l’effet visible, ce sont les prix »

Tue, 31/08/2021 - 14:29

Une nouvelle hausse des prix du gaz en ce début septembre. Ce mercredi marque une augmentation de 8,7 % du tarif réglementé de vente (TRV) d’Engie pour le gaz naturel. Cette hausse est de 2,7 % pour les clients utilisant le gaz pour la cuisson, de 5,5 % pour ceux qui ont un double usage, cuisson et eau chaude, et de 9 % pour les foyers se chauffant avec, a précisé la Commission de régulation de l’énergie (CRE) dans un communiqué.

Mais à quoi est due cette hausse, qui n’est pas un cas isolé – les tarifs réglementés ont crû de 15,8 % depuis le 1er janvier 2019 – ? Est-elle spécifique à l’Hexagone ? Pour le comprendre, 20 Minutes a interrogé Francis Perrin, directeur de recherche à l’Iris spécialisé en stratégies et politiques énergétiques.

Cette hausse des prix du gaz n’est-elle liée qu’à la France ?

La France est l’illustration d’une tendance plus générale à l’augmentation des tarifs. Sa principale cause, c’est la forte reprise économique en 2021. Et ça dépasse évidemment de loin notre pays. On a bien sûr eu une année 2020 extrêmement difficile, avec une récession mondiale. Et cette année, on s’attend à une croissance de 5 à 6 % en moyenne, ce qui est très élevé. Dans ce contexte, les prix de nombreuses matières premières augmentent : le gaz naturel, les produits agricoles, les ressources minières…

Quelle est la situation en l’Europe ?

Les pays qui exportent du gaz et du GNL, du gaz naturel liquéfié, peuvent, dans certains cas, faire un choix entre différents marchés pour le vendre. Et quand ils font ce type d’arbitrage, ils regardent de près une donnée clé : le prix. Or dans la période récente, les prix du GNL sur les marchés asiatiques sont supérieurs à ceux sur le marché européen. Ce qui fait que certains vendeurs ont arbitré en faveur du marché asiatique.

Quelle est la situation des stocks de gaz européens ?

En Europe, nous avons des stockages de gaz naturel à un niveau très bas. Nous sommes en été, donc on peut se dire ce n’est pas très gênant. Mais les réservoirs doivent être remplis pour la saison hivernale, c’est donc maintenant qu’il faut se précipiter sur le marché pour acheter du gaz. Non pas pour le consommer, mais pour le stocker. Et quand vous avez un certain nombre d’acteurs qui se précipitent pour remplir les stocks, ça a évidemment un impact sur les prix.

A quel point la France est-elle dépendante des importations ?

Nous importons 99 % du gaz naturel que nous consommons. Pour l’Union européenne, on approche des deux tiers. On sait très bien que l’UE, de façon générale, n’est pas une zone massivement productrice de gaz naturel. De pétrole non plus.

Peut-il y avoir un risque de pénurie cet hiver ?

Dans la mesure où les stockages européens sont à des niveaux très bas, c’est un sujet d’inquiétude, mais pas de panique. C’est pour cela que certains opérateurs gaziers se précipitent pour essayer de reconstituer leurs stocks, pour éviter justement un risque de pénurie dans les mois qui viennent.

On peut résoudre cette situation mais entre l’été et l’hiver, les choses se passent très vite et le gaz ne s’achète pas du jour au lendemain. Tout se prépare. Donc oui, il y a un risque de pénurie mais pour l’instant, l’effet visible, c’est que les prix augmentent.

Et cela impacte le budget des Français…

Carburant, gaz, électricité… Ce sont des prix très sensibles, souvent très politiques. On peut difficilement s’en passer, donc ça veut dire qu’on a un peu moins d’argent pour faire autre chose. Cela peut contribuer à accroître des mécontentements politiques et sociaux. Et il est clair que le gouvernement français ne considère pas que c’est un petit sujet.

 

Propos recueillis par Maureen Songne pour 20 minutes

Dures réalités en Afghanistan

Wed, 25/08/2021 - 10:00


Depuis l’entrée sans combat des talibans à Kaboul le 15 août, suite leur spectaculaire avancée dans la quasi-totalité du pays et leur prise méthodique des capitales provinciales à un rythme que rien ne semblait pouvoir arrêter, nous assistons à un déferlement médiatique centré sur la situation de l’aéroport de la capitale afghane. Les scènes diffusées sont en effet terribles, mais l’émotion que l’on peut ressentir ne doit pas nous exempter de décrypter les causes du moment présent. Il serait vain de prétendre ici à un bilan exhaustif, mais plus modestement de rappeler quelques éléments saillants d’une situation prévisible.

En effet, une fois de plus, les raisonnements binaires opposant les forces obscurantistes, en l’occurrence incarnées par les talibans, à celles qui étaient porteuses de modernité ne rendent pas compte de la situation. Que les talibans veuillent instaurer un ordre répressif qui fera fi des principes démocratiques tels que les puissances occidentales prétendent les incarner est une certitude, pour autant leurs prédécesseurs ne constituaient pas pour leur part un modèle de vertu démocratique. Les doctes affirmations sur l’Afghanistan « cimetière des empires » ne sont guère plus satisfaisantes et tiennent la plupart du temps plutôt des commentaires du café du commerce que de l’analyse raisonnée de l’accumulation des erreurs politiques commises à propos de ce pays.

Il est d’abord utile de se pencher sur la situation sociale de ce pays après 20 ans de présence occidentale, tout particulièrement états-unienne. Les aides extérieures, qui représentent environ 75% des dépenses publiques du pays, ont été déversées sans aucun discernement et n’ont pas profité, c’est le moins que l’on puisse dire, à la masse de la population, mais ont par contre alimenté une corruption généralisée alimentant les réseaux clientélistes de toute sorte. Le taux de pauvreté qui était de 34% en 2007-2008 est ainsi passé à 55% en 2016-2017, un tiers des enfants en âge d’être scolarisé ne l’est pas. Fiasco complet quand on se souvient que les puissances étrangères impliquées prétendaient participer à la construction du pays, au nom du fumeux concept de state building. À ce propos une remarque s’impose. Comme le souligne Gilles Darronsoro, un des meilleurs connaisseurs français de l’Afghanistan, ce n’est pas le rejet de l’État qui est un des marqueurs de la situation afghane, mais au contraire une demande d’État, un État qui serait organisateur et structurant.

On ne peut de ce point de vue qu’être confondu par la débandade accélérée des 180.000 soldats de l’armée nationale afghane financée à hauteur de 83 milliards de dollars par les États-Unis, organisée, équipée, entraînée durant de nombreuses années par l’OTAN et donc en réalité principalement par Washington. Quand une armée connaît une telle situation plusieurs explications se conjuguent : abandon brutal de ses mentors, c’est une certitude, infinie faiblesse et corruption de son encadrement prompt à pactiser avec les talibans pour sauver ce qui peut l’être et, surtout, absence de projet mobilisateur à défendre pour lequel un soldat est prêt à se sacrifier. Une armée n’est efficace que lorsqu’elle est cimentée par des principes et des objectifs communs, jamais elle ne combat pour défendre ce qui n’existe pas… En ce sens, l’obsession anti-talibane entretenue ne pouvait suffire, d’autant que, dans le même temps, des négociations se déroulaient avec les représentants politiques de ces derniers à Doha. Ce n’est en réalité pas l’affaissement de l’armée afghane qui est surprenant, mais la rapidité du phénomène.

A contrario, la force des talibans, outre leur visible discipline, c’est la conviction de défendre une cause et un pays. L’existence d’une forme de sentiment national, évidemment non réductible à celui qui a été façonné par l’histoire dans d’autres États et d’autres parties du monde, est une donnée que les dirigeants des puissances occidentales n’ont pas saisie. À force de réduire l’Afghanistan à une mosaïque d’ethnies et de tribus, il est non seulement impossible de mesurer le sentiment d’appartenance qui y existe, mais surtout on fait l’impasse sur le rejet que suscite, toujours et en tout lieu, la pérennisation de la présence de troupes étrangères légitimement perçues comme des troupes d’occupation. C’est très certainement pourquoi une partie de la population respectera ceux qui combattent ces dernières et en débarrassent le sol national.

Les talibans sont sans nul doute rétrogrades et liberticides, mais ils sont dotés d’une stratégie politique. Ainsi, si les capitales provinciales afghanes sont tombées en leurs mains les unes après les autres, c’est que le terrain avait été préparé et que loin de se contenter de consolider leurs forces dans les régions pachtounes dont ils sont majoritairement issus, ils ont aussi pris la peine de recruter au sein des autres ethnies et d’y passer des alliances et des compromis. L’Afghanistan n’est pas un pays d’anarchie, mais un lieu où des systèmes d’alliances existent selon des règles qui n’ont rien d’idéologiques, mais sont parfaitement fonctionnelles. Si des exécutions sont d’ores et déjà attestées, il y a aussi des garanties de sortie honorables pour les responsables qui se battaient il y a quelques mois seulement contre les talibans, mais qui acceptent désormais la nouvelle donne, avec son lot d’amnistie et de cooptation.

Le constat est terrible de l’incapacité de l’OTAN à comprendre les réalités d’un pays après presque vingt ans de présence, plus de 2250 milliards de dollars investis et dépensés, sans oublier les 3000 soldats tués. C’est une nouvelle preuve cinglante qu’il s’avère impossible d’imposer un ordre politique à un pays de l’extérieur. En vingt ans, les cas afghans et irakiens sont lourds d’enseignement auxquels ils seraient judicieux de réfléchir. Une des raisons du fiasco afghan réside d’ailleurs certainement dans la précipitation de l’administration Bush à envahir l’Irak en 2003 alors que la situation afghane n’était pas stabilisée. La prétention des néoconservateurs états-uniens à vouloir apporter la démocratie dans les soutes de leurs bombardiers est une faute absolue qui a modifié les équations stratégiques régionales au détriment des puissances occidentales.

La décision de départ de Washington et les conditions dans lesquelles il s’opère témoignent d’une confondante improvisation parce qu’il n’y avait plus de solution adéquate. Pour autant, plusieurs questions immédiates se posent. Quid de la relation à venir du gouvernement taliban avec Al-Qaïda, dont il faut se souvenir qu’elle fut à l’origine de l’intervention de 2001 ? Si dans un premier temps on peut supposer que les talibans, ayant parfaitement en mémoire les conséquences que leur a coûté le soutien accordé à Al-Qaïda à l’époque, demanderont aux successeurs de Ben Laden de faire profil bas, cela pourrait poser problème à plus long terme, si cette posture permet au groupe djihadiste de se renforcer. Même question à propos de Daech. Mais dans ce cas, ce sera certainement une opposition, y compris armée, entre les deux acteurs. Les agendas et les objectifs étant concurrentiels, le gouvernement taliban ne fera pas de concession à Daech. Comment aussi parvenir à insérer l’Afghanistan dans une stratégie de projets économiques régionaux et internationaux lui permettant de sortir, enfin, d’une situation de guerre et de misère qui perdure depuis plus de quarante ans ?

Mais la question principale réside bien sûr dans le type de relations qu’il est envisageable d’établir avec le gouvernement taliban ? Il est à ce stade bien trop tôt pour fournir une réponse précise. On peut en tout cas souhaiter que l’erreur commise en Syrie de fermer notre ambassade ne se reproduira pas. La France a besoin d’établir et de maintenir des contacts avec toutes les parties à la situation politique afghane telle qu’elle existe aujourd’hui dans un contexte où le gouvernement taliban affirme vouloir être reconnu comme légitime. La Chine, la Russie, le Pakistan bien sûr et des États arabes du Golfe sont d’ores et déjà à la manœuvre. Il n’y a aucune raison de les laisser seuls se déployer. Force est néanmoins d’admettre que nous ne sommes pas les mieux placés pour peser positivement sur la situation.

Comprenons que l’ensemble des interrogations qui se posent dès maintenant aux États-Unis, et par extension aux membres de l’OTAN, le sont dans les plus mauvaises conditions parce que leur intervention, quels que soient les degrés de responsabilités, se solde par une défaite cinglante. La France très engagée au Sahel, dans un contexte certes différent, serait fondée à tirer méthodiquement les leçons des dernières évolutions en Afghanistan.

L’échec du « nation building » en Afghanistan

Tue, 24/08/2021 - 10:10

Si les talibans ont pu l’emporter aussi aisément, c’est en grande partie parce que les efforts de la communauté internationale visant à créer quasiment de toutes pièces puis à consolider l’État afghan n’ont pas été couronnés de succès. Il y a des raisons objectives à cela. Retour sur vingt ans d’erreurs. Tentons de tirer quelques leçons pour l’avenir, en particulier pour le Sahel…

Les néoconservateurs américains étaient farouchement hostiles au « nation building »

Contrairement à ce qu’on lit couramment, les Américains, qui furent de très loin les plus importants pourvoyeurs d’aide en Afghanistan, ne se sont jamais sérieusement intéressés au « nation building ». Les néoconservateurs y étaient même farouchement opposés, comme Donald Rumsfeld l’a exprimé à de multiples reprises. Barack Obama n’y croyait guère non plus ; mais à sa prise de pouvoir en 2008, il était de toute façon déjà bien tard pour se lancer dans une telle entreprise, du fait des erreurs accumulées depuis 2002 par l’équipe Bush/Cheney/Rumsfeld, qui était focalisée sur l’Irak.

La première erreur fut bien sûr cette guerre d’Irak qui conduisit à une dispersion des efforts militaires et financiers américains. La deuxième erreur, liée à la première, fut le refus obstiné des Américains de construire une armée afghane à la hauteur des défis sécuritaires pendant les années cruciales de démarrage de l’insurrection, entre 2003 et 2008. Ils l’ont en effet alors délibérément limitée à 30 000 hommes car ni le Pentagone ni l’USAID ne voulaient prendre à leur charge les coûts de fonctionnement correspondants, et les calculs de leurs analystes leur laissaient penser que cet effectif correspondait à ce que le budget afghan pourrait à terme supporter.

Il a fallu les premières grandes offensives d’été des talibans qui ont failli occuper Kandahar en 2008, mais surtout l’arrivée à la même époque du général David Petraeus pour que Washington révise sa position. Constatant la dramatique dégradation de la sécurité, Petraeus, qui venait de rédiger le manuel de contre-insurrection de l’armée américaine, chiffra alors les besoins en police et armée de l’Afghanistan à 600 000 hommes.

Ce chiffre de 600 000 hommes correspondait aux effectifs de l’armée algérienne au plus fort de la guerre civile, en 1997/1998 – sachant que les populations de l’Afghanistan et de l’Algérie étaient à peu près équivalentes. Le coût lié à la formation, l’équipement et l’entretien d’une telle armée afghane fit hurler quelques sénateurs américains et, après de difficiles négociations, l’objectif fut ramené à 350 000. Or en 2009, les effectifs atteignaient péniblement 60 000 hommes – dont à peu près la moitié étaient réellement disponibles compte tenu des absences, des désertions et des besoins de formation. Les Pachtounes, dont les familles étaient menacées par les talibans, n’osaient déjà plus s’engager. L’armée a ainsi été construite sur une base tadjike et non multiethnique, ce qui l’a considérablement fragilisée.

Le temps que les budgets soient négociés et approuvés à Washington, puis les recrutements engagés, vers 2011, soit dix ans après le début de l’intervention américaine, les effectifs des forces de sécurité afghanes s’élevaient à environ 130 000 hommes, dont les meilleurs officiers avaient été formés par les Soviétiques. Il faut en effet noter qu’au cours de leur occupation et avant de se retirer en 1989, ces derniers avaient construit une armée afghane qui s’est révélée capable en 1990/1991 de tailler en pièces les moudjahidines soutenus par le Pakistan et financés par la CIA. Le régime de Najibullah installé par Moscou a ainsi survécu pendant les deux ans où les financements du Kremlin étaient encore disponibles. Il serait sans doute encore en place et l’Afghanistan peut-être en paix si Ronald Reagan avait eu l’intelligence, lorsque Mikhaïl Gorbachev a décidé de jeter l’éponge, de se substituer aux Russes pour financer ce régime laïque qui n’avait rien de communiste.

Les Américains ont enfin laissé les Nations unies désarmer les chefs de guerre dès 2004, ce qui excluait l’option la plus simple en matière de construction étatique, à savoir une confédération des seigneurs de guerre soucieux de défendre leurs territoires respectifs. Un tel fonctionnement aurait au moins permis, sans grand effort occidental, la formation d’un État de type féodal, laissant au Pakistan le soin de régler l’avenir du pays… option peu glorieuse, mais peu coûteuse.

Ne confondons pas « nation building » et « state building »

La construction d’une nation afghane dont tout le monde semble aujourd’hui parler n’était donc pas à l’agenda américain. Mais en tout état de cause, construire une nation en Afghanistan, qui est un pays exceptionnellement fragmenté au plan ethnique, où les différentes tribus se sont continuellement combattues et qui sortait de plus de vingt ans de guerre civile ne pouvait être qu’un processus politique qui ne pouvait être sous-traité à des partenaires extérieurs. Ni les États-Unis ni l’URSS ne pouvaient construire une nation afghane. Une telle opération ne pouvait être réalisée que par des dirigeants afghans prêts à dépasser les clivages ethniques et à construire des consensus. Il leur fallait quand même aussi, pour cela, disposer de la force armée pour « convaincre » les dissidents. Or leurs capacités militaires étaient non seulement réduites mais entre les mains des États-Unis.

La construction d’une nation aurait exigé un charisme particulier de la part du chef de l’État, qui aurait dû être porteur d’une vision permettant d’envisager, à terme, la fusion des innombrables fragments d’une société profondément divisée par des années de conflits. Un exemple historique de construction d’une nation dans un pays multiethnique est celui de Julius Nyerere en Tanzanie, qui détruisit sans doute largement l’économie de son pays en le soumettant à un système de type soviétique, mais en fit une nation. Les qualités de Nyerere manquaient manifestement à Hamid Karzaï, qui fut largement un choix opportuniste américain.

La communauté des donateurs pouvait, au mieux, s’engager dans un processus d’appui à la construction d’un État afghan viable : le « state building ». Mais dans un contexte où le leader américain du camp occidental avait l’œil rivé sur l’horizon irakien et cumulait les erreurs, il était impossible pour les autres donateurs de se lancer sérieusement dans une stratégie cohérente de ce type, pour au moins trois raisons :

(1) Une telle approche demandait de la part des donateurs une capacité de dialogue et de pressions politiques à haut niveau que seuls les Américains étaient capables de conduire ;

(2) Le chef de l’État se révélait, dans son mode de gouvernance, un chef tribal essentiellement soucieux d’acheter des loyautés et de jouer du népotisme ambiant ; il restait ainsi parfaitement rétif aux réformes qui s’imposaient pour construire un appareil d’État sur une base méritocratique ; cet achat de loyautés exigeait comme toujours en ce cas la mise en place de réseaux de corruption. Ces réseaux de corruption ont progressivement conduit à un véritable déchaînement de la corruption qui a décrédibilisé toute la classe politique.

Enfin (3) la pagaille entre les donateurs interdisait toute approche coordonnée de leur part sur un tel sujet qui ne figurait pas sur leur écran radar.

À la même époque, on constate d’ailleurs que, en Irak, les erreurs de Washington furent bien pires, car les Américains ont alors délibérément détruit un appareil d’État structuré. Paul Bremer, le proconsul américain de l’Irak en 2003/2004, a systématiquement démoli l’appareil d’État irakien, en licenciant sous prétexte de débaasification, l’armée, la police et l’administration irakiennes, ceci à la grande colère de Colin Powell qui mesura immédiatement le désastre mais ne put s’y opposer. C’est cette destruction de l’appareil baasiste qui a conduit au chaos, à la guerre civile irakienne, à la prise de pouvoir des chiites entraînant l’alignement de l’Irak sur l’Iran et, à terme, à la création de Daech. Il est difficile d’imaginer une politique américaine en Irak susceptible de conduire à un pire fiasco !

Les Américains ont en revanche tenté de construire en Afghanistan une démocratie largement inspirée de leur propre système – ce qui, dans ce pays extrêmement divisé, a ajouté des affrontements électoraux aux clivages ethniques traditionnels. Ce système a en particulier conduit à partir de 2014 – alors que les jeux étaient déjà faits et qu’une victoire sur les talibans était devenue impossible – à une paralysie provoquée par la rivalité entre le Pachtoune Ashraf Ghani et le Tadjik Abdullah Abdullah, chacun titulaire d’environ la moitié des voix correspondant largement à la division ethnique du pays.

Ashraf Ghani – qui lors de mes premiers entretiens avec lui, alors qu’il était ministre des Finances puis recteur de l’université de Kaboul, avait précisément l’ambition et la lucidité nécessaires pour construire un État fonctionnel – parvint au pouvoir en 2014, trop tard pour pouvoir mettre en œuvre sa vision. Il fut absorbé par son conflit avec Abdullah Abdullah, la grave dégradation sécuritaire, les tensions avec les Américains, la crise financière de l’État, la perpétuelle recherche de financements, les conflits incessants entre tribus, les désaccords avec les bailleurs de fonds et, enfin, les élections. La construction de la démocratie à l’américaine a finalement accentué les divisions internes au lieu de les résorber comme espéré. Situation très classique dans un pays multiethnique.

La construction d’un État afghan exigeait la construction d’un ensemble d’institutions « modernes »

Les néoconservateurs américains ignoraient que la construction d’un État passait par la mise en place d’un ensemble d’institutions dégagées du népotisme ambiant : une armée multiethnique disposant d’une logistique qui fonctionne et d’une aviation autonome la moins sophistiquée possible pour pouvoir être entretenue par des mécaniciens rapidement formés, une police et une justice non corrompues, une administration centrale et locale reconstruites sur la base du mérite. C’était certes particulièrement difficile à instaurer dans un pays tribal, dans un contexte où le président Karzai refusait le principe méritocratique pour garder le contrôle de la nomination des responsables en fonction de sa stratégie d’alliances mouvantes.

La mise en place d’institutions « modernes » était néanmoins possible, comme l’ont prouvé la création entre 2002 et 2005 de quatre institutions fonctionnant correctement : le ministère des Finances ; la Banque centrale, le ministère de la Reconstruction et du Développement Rural (MRRD) et, enfin, les Renseignements militaires. Le MRRD fut même pendant une décennie une institution modèle conçue ex nihilo par une équipe afghane qui a géré avec une remarquable efficacité un programme national de petits travaux ruraux financés par la Banque mondiale et divers donateurs, le « National Solidarity Program » (NSP). Ce programme fut jusque vers 2014 et la réduction des financements extérieurs un modèle du genre, qui a permis de réaliser pour environ 2 milliards de dollars de petits travaux à haute intensité de main-d’œuvre avec un minimum de corruption et de détournements. Une prouesse dans ce pays !

Techniquement et financièrement, rien n’empêchait en 2003/2004, avant la montée en puissance des talibans en 2007/2008, de construire ou reconstruire les institutions régaliennes constituant le cœur d’un appareil d’État moderne, en particulier les ministères de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice, de l’Énergie. Mais ces ministères furent octroyés selon la stratégie d’alliances de Karzaï et gérés comme des butins octroyés à des brigands qui y mirent en place leurs réseaux de prédation.

La remise en ordre de cette douzaine d’institutions aurait été envisageable dans l’ambiance d’enthousiasme qui régnait en 2003/2004. Une telle remise en ordre doit en effet commencer par une comparaison entre compétences et profils des titulaires des postes, ce qui permet déjà de découvrir des situations surprenantes et d’effectuer un premier tri… En outre, nombre d’Afghans de la diaspora hautement qualifiés abandonnaient alors leur emploi aux États-Unis ou en Europe pour offrir leurs services à l’équipe en place à Kaboul.

Je travaillais à cette époque comme consultant pour la Banque mondiale et j’en ai alors auditionné une bonne centaine qui, financés par cette institution, furent placés dans ces principaux ministères dans des positions parfois de management. Au bout de quelques mois, la grande majorité revint me voir pour se plaindre du népotisme généralisé et des foyers de prédation qu’étaient malheureusement ces institutions non réformées. Tous pratiquement ont renoncé, découragés. Soit ils étaient de la mauvaise ethnie et ostracisés. Soit leur présence gênait les détournements et le pillage organisé.

L’Afghanistan n’ayant pas de pétrole et ne pouvant budgétairement soutenir seul même une guerre de basse intensité, il aurait aussi fallu que l’aide internationale et, en premier lieu, l’aide américaine accepte de financer à environ 80 % le fonctionnement de cette douzaine d’institutions clés une fois remises à niveau ainsi que toutes les dépenses budgétaires afférentes. Le coût n’aurait pas été négligeable. Mais tant d’argent fut plus tard déversé en vain sur ce pauvre pays que les montants correspondants auraient certainement pu être mobilisés.

De plus, outre les fortes réticences politiques locales, il fallait affronter le fonctionnement très particulier de l’aide internationale. Car les donateurs détestent financer les fonctions publiques et, pour certains d’entre eux, comme la Banque mondiale, cela leur est même interdit. Financer l’armée et la police aurait aussi posé des problèmes spécifiques. Mais enfin, avec un peu de volonté on trouve des solutions ! Finalement, toutes ces institutions qui constituaient le cœur d’un État moderne sont restées des foyers de blocage et de corruption.

Ne se sont vraiment intéressés au problème du « state building » que les Britanniques, la Banque mondiale et quelques donateurs bilatéraux qui n’ont jamais eu de liberté de manœuvre sur ce sujet à cause du poids américain et de l’impossibilité d’un dialogue sérieux sur ce sujet avec le président Karzaï. C’est toutefois dans ce contexte qu’ont été quand même renforcées progressivement un certain nombre d’institutions étatiques bénéficiant de très importants financements externes. Ce fut le cas du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de la Santé, deux domaines où des résultats significatifs ont été enregistrés en partant de situations qui étaient catastrophiques en 2002.

L’aide internationale a contribué à l’affaiblissement de l’appareil d’État résiduel

Bien involontairement, le mode de fonctionnement de l’aide internationale a le plus souvent provoqué un affaiblissement et non un renforcement des institutions étatiques afghanes, déjà bien faibles. Et cela, non pas parce que les équipes techniques des donateurs étaient incompétentes, mais à cause des contraintes qui leur sont imposées par leurs mandants politiques. Les instructions sont en effet de toujours faire au plus vite, d’obtenir rapidement les résultats les plus visibles possibles, et surtout de n’avoir dans ces pays, où la corruption est endémique, aucune perte en ligne dans les circuits financiers, aucun détournement de fonds, aucun cas de corruption.

De telles instructions ne permettent pas de procéder au lent travail peu visible de reconstruction institutionnelle qui est nécessaire à l’obtention de résultats durables. Le refus de toute corruption oblige à recourir au système des projets autonomes très contrôlés. Cela aboutit certes à des résultats rapidement visibles, mais ceux-ci ne sont pas pérennes car conduisant à un désastre institutionnel. Ainsi, des écoles seront construites et inaugurées en fanfare, mais les maîtres ne seront pas là car la programmation des constructions n’a pas été prise en compte par un ministère de l’Éducation dysfonctionnel. Et quand les maîtres arriveront sur le terrain, un tiers d’entre eux seront illettrés, car nommés sur intervention de notables locaux. Et enfin quand arriveront les fins de mois, la paye ne sera pas là…

Dans un tel contexte, l’aide internationale, qui dans ce type de pays craint toujours de voir ses fonds disparaître dans des structures opaques, évite l’administration locale et finance directement « ses » projets. En Afghanistan, on estime que 80 % des financements extérieurs échappaient à tout contrôle des responsables afghans et court-circuitaient délibérément le budget et les institutions afghanes. Cette façon de procéder, qui a exaspéré Ashraf Ghani lorsqu’il était ministre des Finances, limitait certes corruption et détournements de fonds, mais en contournant le problème au lieu de le traiter.

Le traiter aurait impliqué des changements dans les équipes dirigeantes d’une douzaine d’institutions clés et le démantèlement des réseaux de corruption alimentant autant de réseaux politico-ethniques. Pour Karzaï, une telle mesure était impensable. Seuls les Américains auraient pu soulever la question. Mais ils avaient d’autres préoccupations. Dans certains cas, comme celui, pourtant crucial, de l’énergie, où le ministre Ismaïl Khan était un grand chef de guerre de la région de Hérat, placé là car Karzai voulait reprendre le contrôle des douanes à Hérat… les donateurs ont préféré ne pas s’occuper de ce secteur et Kaboul est restée pour cette raison pendant près de dix ans dans le noir. Tous ces mécanismes ont été parfaitement analysés et documentés par Sarah Chayes dans un livre remarquable.

Entre syndrome hollandais et concurrence entre bailleurs, les salaires dérapent

L’injection par la présence militaire et l’aide internationale de montants financiers considérables dans la petite économie afghane a provoqué ce que l’on appelle un « syndrome hollandais », mécanisme bien connu des pays pétroliers.

Ce phénomène a entraîné une forte inflation et une appréciation de la monnaie qui a entravé l’activité manufacturière locale. La concurrence entre donateurs pour trouver du personnel afghan de qualité a également fait monter les salaires du personnel d’une certaine technicité, parlant anglais et maîtrisant un ordinateur. L’écart entre les salaires versés par les donateurs (dont les ONG) et la fonction publique afghane se situait dès 2004/2005 dans un rapport de 1 à 5, voire de 1 à 10. Cette situation a provoqué un exode de tout le personnel de l’administration ayant un minimum de compétences techniques ou managériales vers les projets financés par les donateurs. J’ai eu un temps comme chauffeur un directeur de l’administration à qui son salaire de fonctionnaire ne permettait plus de payer son loyer.

Au lieu d’être ainsi renforcées par l’aide internationale, les principales institutions étatiques ont été vidées de leurs rares compétences techniques pour être remplacées par des projets d’une durée limitée financés par les bailleurs. Une fois le projet exécuté, l’équipe projet était dispersée. Les programmes de formation, qui furent très nombreux, permettaient au personnel des administrations qui avait bénéficié de cette formation de fuir vers les projets. Cette mécanique infernale interdisait toute efficacité institutionnelle à la formation. En 2013, lors de ma dernière mission sur ces questions de renforcement de capacités, il y avait infiniment plus de personnel « professionnel » afghan dans des structures de projets que dans les institutions nationales. Dans ce contexte, rares furent les renforcements de capacité au niveau institutionnel.

Ces renforcements institutionnels tentés par des donateurs désespérés portaient en général sur l’injection de cadres qualifiés provenant souvent de la diaspora dans des fonctions spécifiques comme les directions administratives et financières ceci pour tenter de sortir de l’opacité généralisée. Les cadres recrutés à cet effet exigeaient compte tenu de leurs charges familiales à l’étranger le paiement de sursalaires qui représentaient évidemment un multiple des salaires de leurs collègues de la fonction publique. Or la durée limitée des projets correspondants laissait rapidement à la charge de l’État afghan des coûts salariaux qu’il ne pouvait supporter, alors que les différences salariales provoquaient des tensions ingérables au sein des institutions concernées. En général le personnel de la diaspora restait peu de temps, découragé par l’ambiance de corruption, l’absence de systèmes d’informations fiables, les dénonciations calomnieuses, etc.

Ces sursalaires exigeaient pour être octroyés une revue des compétences des cadres et du personnel destiné à en profiter, en particulier des cadres provenant de ces administrations dont les compétences étaient très variables. Le président Karzaï, irrité par les réclamations des cadres non sélectionnés, a décidé un jour de généraliser ces sursalaires à l’ensemble de la fonction publique, ce qui était budgétairement délirant et, en outre, détruisait l’approche des donateurs fondée sur le principe du mérite. Ce problème salarial a dangereusement accru la dépendance du pays vis-à-vis de l’aide internationale et contribué à créer infiniment plus de pagaille que de capacités institutionnelles.

Finalement, les donateurs ont fini par intégrer dans des projets spécifiques de nombreux « morceaux d’institutions », y compris certains ministres et leur cabinet politique. Cette formule permettait surtout au personnel ainsi intégré dans des projets de bénéficier des sursalaires correspondants… Ce système, qui était au total d’une extrême fragilité, ne pouvait fonctionner que tant que l’aide internationale pouvait financer. Dès la réduction de cette aide, très sensible à partir de 2013/2014, cette mécanique s’est grippée.

Le caractère dysfonctionnel de l’ensemble de cet appareil d’État afghan et non seulement de l’armée a ainsi beaucoup joué dans l’effondrement final de ce régime. Le « système Karzaï », qui impliquait ainsi des « achats » de loyauté, reposait in fine sur une corruption qui a pris une dimension exceptionnelle, favorisée par le trafic de l’opium.

Cette corruption, qui a affecté tout le fonctionnement de l’appareil d’État, a joué un rôle non négligeable dans la désaffection générale de la population vis-à-vis du régime. Elle a considérablement fragilisé l’État afghan tel qu’il s’est construit plutôt mal que bien depuis 2002, crédibilisant la propagande des talibans et facilitant leur enracinement dans la population rurale. Il est à cet égard remarquable de noter le parallèle avec la fin du régime sud-vietnamien, lui aussi décrédibilisé et rongé par la corruption.

Quelles leçons pour les bailleurs internationaux ?

Ayant assisté comme le monde entier à l’effondrement du château de cartes que constituait l’appareil d’État afghan, je suis bien sûr effondré, mais non surpris.

L’une des leçons qu’il est possible de tirer de ces multiples expériences est tout d’abord qu’il faut, comme le fit le MRRD dont j’ai suivi attentivement la mise en place, engager les processus de restructuration institutionnelle en s’attaquant à la totalité d’une institution et en commençant par sa direction. Cette démarche implique la sélection de dirigeants ayant à la fois un certain charisme et des capacités managériales. On pouvait parfaitement en trouver une douzaine en Afghanistan en 2002.

Une telle restructuration doit être conduite indépendamment par chaque équipe de direction à son rythme. Elle implique que l’on trouve des solutions pour le personnel « irrécupérable » : mises à la retraite, packages de départ, voire postes d’ambassadeurs pour dirigeants qu’il faut écarter… Elle suppose évidemment que l’on sorte radicalement du système dans lequel on affectait chaque ministère ou chaque institution publique comme la société d’énergie ou la police à un chef de guerre ou à un allié politique qui allait conduire une politique de recrutement sur base ethnique et mettre en place un réseau de corruption pour son profit ou celui de sa tribu d’origine.

Cela dit, malgré ses multiples défauts, ce système dénoncé par Ashraf Ghani lui-même lorsqu’il était professeur dans un ouvrage bien connu des spécialistes pouvait se corriger progressivement. En tout cas, cette fin chaotique pouvait certainement être évitée. Mais le « deal » de Donald Trump, négocié directement avec les talibans, était absolument inepte. Comment négocier son départ en commençant par fixer sa date de départ ? ? C’est entamer une négociation en mettant toutes ses cartes sur la table. On peut tout au plus négocier sa reddition, c’est-à-dire rien du tout.

La méthode de Joe Biden, consistant à décider d’abandonner un jour un peuple parce qu’on a changé de politique, est également inacceptable. D’autres sorties moins lamentables étaient possibles pour les Américains. Même les Soviétiques, qui ont quitté l’Afghanistan en bon ordre, en furent capables.

Au total, la responsabilité des néoconservateurs et, en particulier, du trio Bush/Cheney/Rumsfeld dans ce désastre est immense. Ils ont cru que le problème afghan était simplement militaire et pouvait se régler rapidement. C’était une double erreur rendue plus inadmissible par leur refus d’écouter les multiples experts américains, parfois d’origine afghane, qui connaissaient parfaitement le pays et sa complexité.

Si la responsabilité de Trump dans cette déroute complète est considérable, celle de Biden l’est aussi. Mais celle de la communauté des donateurs, à laquelle j’ai consacré l’essentiel de ma vie professionnelle, n’est pas non plus négligeable.

Il devrait être établi une bonne fois pour toutes qu’on ne peut manifestement pas remettre sur pied un pays en crise grave avec des dizaines de bailleurs de fonds refusant toute coordination significative, initiant des centaines de projets éphémères, sans compter 2000 ONG et leur milliers de petits projets ! Les donateurs doivent impérativement accepter, dans ces pays en crise ou en conflit, au minimum deux révisions radicales de leurs méthodes d’intervention :

En premier, reconnaître comme une priorité l’appui à la construction d’un appareil d’État moderne en portant leurs efforts tout particulièrement sur les questions régaliennes, y compris la réforme de la justice et des services de sécurité. Ils ont encore pour principe de ne pas s’intéresser à ces secteurs dits de « souveraineté ». C’est une grave erreur encore répétée au Mali actuellement.

En second, l’exemple afghan, mais il s’est malheureusement répété au Mali, montre que la coordination des donateurs, qui devrait être centralisée à un niveau très élevé (premier ministre de préférence), n’est pas ou est mal assurée par le gouvernement bénéficiaire. Des dizaines de bailleurs traitent dans le plus grand désordre avec une bonne douzaine d’institutions locales. Il est ainsi caractéristique que le FMI traite avec le ministère des Finances, la Banque mondiale avec le ministère du Plan et nombre de bailleurs avec les ministères où ils ont trouvé des correspondants… La coordination, qui est alors déléguée aux donateurs, repose sur des consultations entre ces derniers. Mais cela ne fonctionne pas et ne permet pas de mettre de l’ordre dans la pagaille des projets tous azimuts qui fréquemment oublient l’essentiel.

En Afghanistan, le montant des ressources affectées de 2002 à 2007 au développement rural ne dépassait par 4 % du montant total de l’aide affectée au pays. Il est par ailleurs notable de remarquer que la table ronde de 2015 consacrée au Mali affectait également moins de 4 % à ce secteur alors que dans chacun de ces deux pays l’activité rurale est fondamentale. La mauvaise coordination entre donateurs justifierait la mise en commun de l’essentiel de leurs ressources dans un ou plusieurs fonds fiduciaires qui devraient être gérés de manière rationnelle, comme des budgets d’investissement cohérents. C’est, à mon expérience, la seule façon efficace permettant de coordonner leur action dans ce type de situation.

Pauvre Afghanistan coincé entre les talibans et la « communauté internationale » !

Espérons, sans trop y croire, que ces erreurs ne se reproduisent plus au Sahel…

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Serge Michailof est chercheur associé à l’IRIS, Senior Fellow à la fondation FERDI, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Sat, 21/08/2021 - 18:00

Quelle est la responsabilité du président américain qui est très critiqué sur la situation en Afghanistan ?

C’est une responsabilité partagée entre Joe Biden et le Pentagone. Je pense que la décision d’évacuer l’Afghanistan est assez soutenue aux États-Unis, il y avait d’ailleurs un accord bipartisan entre lui et Trump pour mettre fin aux guerres, mais il n’y a pas eu d’anticipation sur les conditions de cette sortie. On aurait pu planifier bien plus en avance l’évacuation des ressortissants américains et de tous ceux qui ont travaillé pour les États-Unis. Ça n’a pas été fait, de même que la victoire rapide des talibans n’a pas été anticipée, d’où ces images de chaos. Je crois donc qu’il faut distinguer la décision stratégique de mettre fin à la guerre en Afghanistan, parce qu’il n’y avait pas tellement d’autre issue et qu’elle aurait pu continuer sans fin, de ces conditions d’exécution qui sont chaotiques. Finalement, c’est le Pentagone qui n’a jamais réellement accepté de devoir quitter l’Afghanistan. Obama voulait déjà partir lorsque Biden était vice-président et le Pentagone s’y était opposé.

Que peut-on attendre du gouvernement dit « inclusif » qui doit être établi par les talibans ?

Les faits parlent d’eux-mêmes. Il y a des Hazaras qui ont été tués, des femmes qui sont empêchées de se déplacer, il y a une volonté de ne pas permettre à ceux qui veulent partir de pouvoir le faire librement. On voit bien que derrière un discours modéré et policé, les talibans sont restés les mêmes. Le système répressif se met en place petit à petit. Ce qui a changé, c’est qu’il y a quand même beaucoup plus de femmes qui sont allées à l’université, qui veulent se faire entendre et que la société a bien changé depuis 20 ans. On peut dire que les difficultés vont commencer désormais pour les talibans, qui doivent assumer le pouvoir.

Les talibans ne pourront donc pas se maintenir éternellement au pouvoir, mais ils peuvent quand même durer quelques temps et c’est bien sûr la population afghane et surtout les femmes qui vont en faire les frais.

Quelle sera l’influence de la France alors qu’Emmanuel Macron veut peser diplomatiquement et faire en sorte que nous soyons à la hauteur des enjeux vis-à-vis des réfugiés ?

Oui, effectivement, nous ne devons pas perdre la face, pas perdre l’honneur et permettre à tous ceux qui ont travaillé pour la France d’y trouver refuge. Sauf que pour le moment, il n’y a eu que quatre avions. On s’en félicite, mais il est difficile de parler d’un pont aérien entre Kaboul, les Emirats, et la France. Il ne faut pas se faire trop d’illusions sur notre poids par rapport à cela. Nous avions quitté l’Afghanistan en 2014, ce qui était d’ailleurs une décision qui apparaît encore plus pertinente aujourd’hui. Certes, la France est un membre important de l’Otan et a des capacités militaires, mais honnêtement, ce sont l’ensemble des pays occidentaux qui sont impuissants par rapport à ce qui se passe aujourd’hui en Afghanistan.

 

Propos recueillis par France info.

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