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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 week 1 day ago

Demain la Chine : guerre ou paix ? 4 questions à Jean-Pierre Cabestan

Fri, 29/10/2021 - 18:59

Jean-Pierre Cabestan est directeur de recherche au CNRS rattaché à l’Institut de recherche sur l’Asie de l’Est de l’Inalco. Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Demain la Chine : guerre ou paix ? », aux éditions Gallimard.

Vous sentez monter une poussée nationaliste dangereuse chez les jeunes Chinois…

Oui, il n’y a aucun doute. La montée en puissance de la Chine, le matraquage idéologique de la propagande du Parti qui pratique l’amnésie historique à grande échelle, vante les succès du pays tout en présentant le reste du monde comme chaotique et pousse l’opinion à prendre sa revanche sur l’Occident et le Japon, la volonté de Xi Jinping d’accélérer coûte que coûte l’unification avec Taiwan, sans quoi la « renaissance de la nation chinoise » ne pourrait advenir, à quoi s’ajoute depuis 2020 la pandémie de la Covid qui contribue à isoler la société chinoise du reste du monde et à conforter le camp des durs, tous ces facteurs ont rendu le nationalisme chinois incandescent et aveugle. Il est en d’autres termes devenu un facteur de guerre.

Selon vous, le discours sur le caractère fondamentalement pacifiste de la Chine est un écran de fumée comparable aux discours sur la paix de l’URSS…

Oui, le discours sur la paix est une caractéristique des pays socialistes de type soviétique. Et plus ces États deviennent agressifs, plus ils brandissent ce discours. Rappelez-vous de Brejnev. En effet, comment réconcilier les propos pacifistes du pouvoir chinois avec les menaces de plus en plus ouvertes contre Taïwan, la prise de contrôle et la militarisation progressives de la mer de Chine méridionale par l’Armée populaire de libération (APL) et les incursions répétées des garde-côtes chinois dans les eaux environnantes des Senkaku, ces îlots japonais depuis 1895 que Pékin appelle les Diaoyu et revendique depuis les années 1970 ? Plus grave encore, comment réconcilier ce discours avec la course aux armements dans laquelle la République populaire est engagée avec les États-Unis, tant sur les plans naval, aérien et spatial qu’en matière de missiles hypersoniques ?

A propos de Taïwan, vous pensez que la Chine n’a pas le projet de détruire l’économie et de décimer la population d’une province qu’elle veut annexer…

La Chine veut annexer Taïwan d’une manière ou d’une autre. Le scénario idéal pour elle serait que Taïwan capitule sans combattre, accepte de devenir une région administrative spéciale de la République populaire, comme Hong Kong, après avoir réalisé que ses forces armées ne pourraient pas résister à une offensive de l’APL (Armée populaire de libération) et que les États-Unis les lâcheront afin d’éviter toute nucléarisation du conflit. Dans ce but, Pékin agit sur deux fronts : d’une part, les intimidations militaires, de plus en plus fréquentes et intrusives ; d’autre part, ce que l’on appelle le travail de « front uni » destiné à peu à peu gagner à sa cause les élites économiques, politiques et intellectuelles de l’île.

Le problème est que cette double stratégie n’a pour l’instant pas démontré son efficacité, d’où les risques croissants de guerre. Les Taiwanais se sentent de moins en moins chinois. Le Kuomintang, le parti d’opposition plus favorable à un accommodement avec Pékin, perd du terrain. Mme Tsai, la présidente de Taiwan, accélère la mise en place d’une capacité de défense destinée à rendre prohibitif le coût de toute attaque chinoise. Et Washington, sous Trump comme sous Biden, a renforcé son engagement en faveur de la défense de Taïwan. Certes, cet engagement reste ambigu : aucun traité de sécurité ne lie les États-Unis à Taïwan. Mais toute administration américaine sait pertinemment que si elle abandonnait Taiwan, non seulement ce serait la fin de la Pax America dans le Pacifique occidental, mais cela constituerait aussi un revers énorme pour le camp des démocraties face au camp des dictatures et autres régimes autoritaires. Comment les États-Unis pourraient-ils l’accepter ? En d’autres termes, dans un avenir prévisible, les risques d’une intervention américaine en cas d’attaque chinoise de Taïwan restent très élevés. Une réalité dont Xi est parfaitement conscient et à mon sens continue de l’inciter à agir dans ce que l’on appelle les « zones grises » entre la guerre et la paix, mais le dissuade de passer le Rubicon de l’offensive armée.

A plus long terme, on doit s’inquiéter des moyens offensifs conventionnels comme nucléaires accumulés par l’APL : afin d’éviter un bain de sang et une destruction de l’économie taiwanaise, on ne peut exclure que Washington soit contraint de tordre le bras des Taïwanais et leur demande d’accepter un compromis : leur appartenance à une Chine non définie en échange de la préservation de leur démocratie et assortie d’une neutralisation militaire de l’île ? Il est trop tôt pour le dire. Mais le rapport des forces régionales risque à terme d’imposer des choix douloureux à Taipei et à Washington, sauf évidemment évolution, peu probable à ce jour, du régime chinois et affaiblissement, improbable également, de son économie.

Quel est le choix pour Pékin entre montrer ses muscles et cultiver, aux yeux notamment des pays asiatiques, l’image d’une grande puissance responsable ?

Plus que ses prédécesseurs, par son agressivité, Xi Jinping a placé son pays face à un dilemme : d’un côté, il veut effrayer les Taïwanais, faire peur aux États qui contrôlent aussi des îlots en mer de Chine méridionale et au Japon, mettre en garde les États-Unis et, de l’autre, amadouer ses voisins et l’ensemble des pays du Sud grâce à sa puissance économique, ses nouvelles routes de la soie, et accessoirement sa puissance douce, son soft power.

La Chine de Xi est parvenue à répandre l’idée qu’elle est désormais une très grande puissance, la seule à pouvoir défier et à terme ravir la place occupée encore aujourd’hui par les États-Unis. Mais une « grande puissance responsable », cette image est contestée à la fois par ses voisins et non des moindres – outre Taïwan, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud, le Vietnam, les Philippines, l’Indonésie, Singapour et même la Malaisie à présent – et par une grande majorité des pays du Nord qu’ils soient alliés des États-Unis (membres de l’OTAN, Australie) ou pas. La Chine est clairement devenue un facteur de tensions et donc d’instabilité internationales.

Aujourd’hui Pékin a nettement choisi de montrer ses muscles et de reléguer au second plan le renforcement de sa puissance douce. D’une certaine manière, Xi Jinping a fait sien le précepte de Machiavel selon lequel il est préférable d’être craint qu’aimé. Il l’applique avec assiduité, tant sur la scène mondiale que sur la scène intérieure, avec le succès et les limites que l’on sait. Cette stratégie pourrait-elle changer à l’avenir ? Sans doute pas, sauf si Xi Jinping perd le pouvoir, ce qui n’est pas impossible.

 

 

COP26 : le sommet de la dernière chance ?

Fri, 29/10/2021 - 16:52

Six ans après les Accords de Paris, la COP26 se tiendra à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre. Les enjeux sont de taille : entre retour des États-Unis dans les discussions et défection de la présence sur place du président chinois, que peut-on attendre de ces négociations alors que les rapports alarmistes se multiplient ? Le point avec Sofia Kabbej, chercheuse au sein du Programme Climat, énergie et sécurité de l’IRIS.

La COP26 se tiendra à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre. Quels en sont les enjeux ?

Ils sont déterminants pour pouvoir atteindre les objectifs fixés en 2015, lors de l’adoption de l’Accord de Paris. Il est demandé aux parties prenantes de réellement passer de la déclaration aux actes. Il s’agit en effet d’une demande pressante de la part des sociétés civiles, mais également des pays du Sud, pour qui les impacts des changements climatiques deviennent de plus en plus fréquents et intenses.

Le premier enjeu de cette COP26 concerne la mise à jour des feuilles de route des États. C’est ce qu’on appelle les Contributions déterminées au niveau national. Elles doivent être révisées à la hausse tous les 5 ans, tel que le prévoit le texte de l’Accord de Paris. La première échéance était en 2015, au moment de la COP21. La seconde devait avoir lieu l’année dernière, au moment de la COP26, finalement décalée à cette année en raison de la pandémie. La première demande faite aux États est donc de rehausser leurs ambitions en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le deuxième enjeu est celui du financement. Dans le cadre de l’Accord de Paris, les États développés se sont engagés à fournir aux pays en développement 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020, de manière à leur permettre de financer les mesures d’atténuation et d’adaptation nécessaires. Des demandes spécifiques sont également émises afin que soient augmentés ces financements sur l’adaptation et sur les pertes et préjudices déjà nombreuses sur les territoires des pays en développement, de manière à pouvoir se reconstruire après un cyclone ou une tempête par exemple.

Le troisième enjeu principal de cette COP26 est relatif à la négociation de l’article 6 de l’Accord de Paris qui concerne la mise en place d’un marché carbone international. Cet article fait l’objet d’oppositions par certains pays depuis la COP21, retardant sa mise en œuvre alors même qu’il constitue un des principaux outils pour que les États parviennent à atteindre leurs objectifs. C’est un système qui repose sur les échanges de quotas d’émissions, et les projets de compensation carbone notamment. Son adoption sera déterminante.

Quel état des lieux pouvons-nous dresser ? Comment cela impactera-t-il les négociations ?

Malgré les nouvelles feuilles de route soumises par les États en amont de la COP26, l’état des lieux est malheureusement extrêmement négatif.

Une centaine de pays ont, ces derniers mois, soumis des feuilles de route qui sont soit nouvelles, soit mises à jour. Une majorité d’entre elles fait état d’objectifs de neutralité carbone ou climatique pour 2050-2060, soit dans la deuxième moitié du XXIe siècle. Or, le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques a publié en début de semaine une synthèse très alarmante de toutes ces contributions. Il en ressort en effet que les engagements pris par les États sont nettement insuffisants puisqu’on se dirige vers une augmentation de +16% des émissions de GES d’ici à 2030 comparé à 2010, alors même que le GIEC estime qu’il faudrait réduire ces émissions de 45% d’ici à 2030 pour rester sous les 1,5°C d’augmentation. Sur la base des nouvelles contributions, on se dirigerait vers une augmentation de 2,7°C de la température moyenne globale. On est donc très loin de l’objectif fixé en 2015.Ce bilan est donc très inquiétant, car plus la température augmente, plus les impacts des changements climatiques sont, et seront, importants.

L’autre point négatif concerne les 100 milliards de dollars qui devaient être collectés en 2020 pour financer les mesures d’atténuation et d’adaptation. Un rapport paru ce début de semaine nous informe qu’ils ne seraient atteints qu’en 2023, soit trois ans après la date initiale, les sommes collectées s’élevant aujourd’hui à environ 80 milliards de dollars. Cette situation inquiète beaucoup les pays du Sud qui ont besoin de cet argent pour pouvoir mettre en œuvre les politiques publiques nécessaires.

À noter que ces rapports sont publiés en amont de la COP, dans le but d’influer sur les ambitions de cette conférence de Glasgow : les feuilles de route peuvent en effet toujours être révisées avant et pendant la COP.

Un autre point potentiellement négatif est l’absence physique du président chinois à la COP26, alors que son pays est l’un des principaux contributeurs d’émissions de gaz à effet de serre. Si cette absence pourrait témoigner d’un désintérêt du pays pour ces questions, il faut néanmoins la mettre en perspective avec le fait que Xi Jiping n’est pas sorti de la Chine depuis le début de la crise de Covid-19 d’une part, et que des restrictions sont imposées par la situation sanitaire tant du côté britannique que chinois. En effet, les délégués chinois se rendant au Royaume-Uni devraient être soumis à une quarantaine à leur retour, modifiant quelque peu la taille de la délégation chinoise. Il faut espérer que la Chine restera néanmoins proactive pendant cette COP. Le président a d’ailleurs annoncé ce jour qu’il serait présent en vidéo à la COP, et le pays vient de rendre public sa nouvelle contribution, avec des modifications mineures à ce qui avait été précédemment annoncé.

Le 19 février dernier, Joe Biden replaçait les États-Unis dans les Accords de Paris. Mais aujourd’hui, le président américain semble devoir revoir son programme environnemental à la baisse. Dans quelle dynamique se trouvent les États-Unis ? Quel impact sur la COP26 ?

Alors que Donald Trump avait quitté les Accords de Paris, le président Biden a décidé de les réintégrer une fois arrivé au pouvoir. Ce fut une des premières actions de son mandat, suivies par de nouveaux engagements soumis en amont de la COP26. Ceux-ci font état d’une réduction de 50% à 52% des émissions d’ici à 2030 comparés à 2010. Il s’agit d’un engagement assez conséquent pour l’un des émetteurs les plus importants au monde, mais toujours non-aligné avec l’objectif de température de l’Accord de Paris. Les États-Unis ont aussi montré une plus grande ambition sous l’administration Biden en augmentant les financements au Fond vert pour le climat. Cette augmentation se traduit par le doublement de sa contribution avec un total de 5,7 milliards de dollars. L’ambition de la nouvelle administration s’est également traduite par l’organisation en avril 2021 d’un Sommet pour le climat. Réunissant les leaders du monde entier autour de ces questions, les États-Unis ont montré qu’ils étaient de retour dans la gouvernance climatique et souhaitait se poser en leader sur la question, réunissant tous les pays autour de la table, y compris la Chine.

Au niveau national, le président Biden négocie actuellement un énorme plan d’investissements de 2 000 milliards de dollars touchant aux infrastructures, transports, et à l’énergie, dans le but de « verdir » l’économie américaine. Mais pour le moment, ce plan rencontre des blocages au sein du Congrès, du fait notamment des Républicains. Le président Biden pourrait donc être amené à revoir ses ambitions à la baisse du fait des blocages internes.

Lors de cette COP26, on peut s’attendre à ce que l’absence de la Chine renforce la position de leader des États-Unis, d’autant plus que l’administration Biden a fait des changements climatiques un enjeu de sécurité nationale. De fait, les États-Unis ont qualifié le changement climatique de menace, se traduisant dès janvier 2021 par la publication d’un premier ordre exécutif sous l’administration Biden, Tackling climate change at home and abroad. Ce dernier demande aux agences fédérales américaines de se restructurer afin de pouvoir répondre aux enjeux sécuritaires des changements climatiques, et s’est plus récemment traduit par la publication de 4 rapports, dont celui présentant les conclusions de l’ensemble des services américains de renseignement intitulé « Climate Change and International Responses Increasing Challenges to US National Security Through 2040 ».

Où va la Turquie d’Erdogan ?

Thu, 28/10/2021 - 18:14

Menace de renvoi de 10 ambassadeurs, situation économique dégradée, popularité en baisse, le président Erdogan se retrouve dans une situation inédite. À deux ans des élections présidentielles et législatives, son avenir politique est incertain. Peut-il se maintenir au pouvoir ? L’opposition est-elle assez forte pour lui infliger une défaite ? Le point avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Quelle est la situation économique de la Turquie ? Quelles explications Erdogan fournit-il ?

La situation économique est aujourd’hui très dégradée. La Turquie est touchée par une inflation qui augmente de façon nette, avoisinant actuellement les 20% en glissement annuel. C’est une situation nouvelle qui ne s’était pas produite depuis fort longtemps dans le pays. Or, une telle situation inflationniste est traumatique pour nombre de citoyens. Elle rappelle en effet à une partie de la population une époque où l’inflation, alors nettement supérieure à 20%, avait généré des troubles sociaux et de fortes turbulences politiques. De plus, si le chômage est officiellement évalué autour de 15% de la population active, il est certainement en réalité nettement plus élevé. Nous savons que la Turquie possède une économie informelle significative, ainsi, en intégrant les saisonniers et les personnes ne cherchant pas de travail, le taux de chômage avoisinerait les 28%. Enfin, le PIB par habitant est passé de 12 000$ en 2013, à un peu moins de 9000 $ en 2020. La situation économique du pays est donc préoccupante.

Outre les fortes contraintes extérieures qui pèsent sur le pays, notamment pour ce qui concerne l’approvisionnement en hydrocarbures dont la Turquie est totalement dépendante, cette situation est aggravée par les décisions politiques prises. En effet, le président Erdogan s’est improvisé économiste en chef, prenant une série de décisions singulières : renvoi des directeurs adjoints de la Banque centrale ; injonction à la direction de la Banque centrale, qui de ce fait n’est aucunement indépendante, de baisser le taux d’intérêt directeur ce qui entraina une dévaluation de facto de la livre turque. Recep Tayyip Erdogan affirme contrôler la situation et rejette la faute sur d’autres acteurs. Ainsi il s’en est récemment pris aux « supermarchés qui pratiquent des prix trop importants », mais aussi, de manière plus inquiétante, sur « les forces obscures qui veulent affaiblir la Turquie », ou sur « le lobby des taux d’intérêt » qui attaquerait la Turquie sournoisement.

La Turquie est donc confrontée à une situation objectivement difficile pour les citoyens turcs qui ont de plus en plus de mal à boucler les fins de mois. Ils voient le pouvoir politique, par ses décisions erratiques, amplifier leurs difficultés.

Comment cette situation économique rejaillit-elle sur la vie politique de la Turquie à deux ans des élections présidentielles et législatives ?

La situation politique dépend en effet largement du contexte économique. Aujourd’hui, le président turc n’arrive plus à convaincre tout son électorat que demain les choses iront mieux. On se souvient qu’il y a eu un souffle favorable à R. T. Erdogan dans les premières années où il était au pouvoir et durant lesquelles il traçait des perspectives enthousiasmantes pour le pays, mais cette situation est désormais derrière lui. En termes politiques, cela lui pose un défi d’importance alors que les échéances électorales de 2023 approchent à grands pas.

De fait, les sondages d’opinion créditent l’AKP d’environ 30% d’intentions de vote, loin des dernières présidentielles de 2018 qu’avait remportées Erdogan au premier tour avec près de 53% des suffrages exprimés. Pour faire face à cet affaiblissement, Erdogan doit désormais renforcer son alliance avec le Parti d’action nationaliste, parti d’extrême droite raciste et xénophobe crédité d’un peu moins de 10% d’intentions de vote.

Le grand défi de ces élections concerne l’opposition qui a enfin l’opportunité de battre R. T. Erdogan après plus de 20 ans de règne. Pour ce faire, elle devra constituer un front commun, constitué du parti kémaliste, le Parti républicain du peuple, et le Bon parti qui se situe au centre droit. Ces partis ont déjà noué une alliance électorale lors des municipales de 2019, et avaient ainsi remporté un nombre de villes du pays. On se souvient notamment que le Parti républicain du peuple a alors conquis Istanbul et Ankara. Aujourd’hui, l’opposition est créditée de 39% d’intentions de vote et se trouve donc aux coudes à coudes avec l’alliance menée par le président Erdogan. L’enjeu est donc pour elle d’élargir sa coalition à d’autres petits partis d’opposition, ce qui est en passe de se concrétiser. Une plateforme vient en effet d’être créée, rassemblant quatre partis supplémentaires. Elle pourrait permettre à l’opposition de remporter les élections face à un président de plus en plus affaibli.

Les partis d’opposition se retrouvent notamment sur le projet d’une réforme constitutionnelle visant le rétablissement d’un régime parlementaire. Depuis le coup d’État manqué de 2016, R. T. Erdogan a en effet instauré, par voie référendaire en 2017, un régime présidentiel lui conférant des pouvoirs élargis. Il a notamment supprimé le poste de Premier ministre et se trouve donc à la fois chef d’État, chef du gouvernement et chef du parti majoritaire au Parlement.

Une autre singularité de la vie politique turque concerne la loi du barrage électoral des 10%, système particulièrement inique instauré après le coup d’État militaire de 1980. En raison de cette loi, les partis obtenant, au niveau national, moins de 10% aux législatives n’obtiennent aucun député alors que ceux qui atteignent 10,01% des suffrages peuvent atteindre la représentation parlementaire. Cette loi avait permis à l’AKP, lors de sa première victoire en 2002, d’atteindre 65% de la représentation parlementaire avec 34% des suffrages exprimés, profitant alors d’un morcellement des voix des autres partis. Aujourd’hui, cette situation pourrait se retourner en son contraire pour le parti de R. T. Erdogan qui se retrouverait alors extrêmement affaibli lors des prochaines législatives si l’opposition parvenait à s’unir. L’avenir de cette loi qu’il est actuellement question de réformer constitue donc un des grands enjeux des prochains mois.

Dix ambassadeurs ont récemment été menacés d’expulsion de Turquie, accusés d’ingérence dans les affaires intérieures du pays par le président turc. Quelle est la signification de cette crise qui s’est finalement résorbée sans expulsion ?

Il est frappant d’observer actuellement en Turquie une atmosphère d’extrême polarisation. Pour autant, rien ne semble écrit à l’avance. R. T. Erdogan est un redoutable dirigeant politique qui utilisera tous les moyens pour rester au pouvoir.

Pour revenir à la question, dix ambassadeurs ont en effet publié un communiqué commun le 18 octobre pour demander un procès équitable et la libération d’Osman Kavala. Ce dernier est un mécène influent qui a mis une partie de sa fortune au profit de diverses causes et qui se trouve en prison depuis maintenant quatre ans. Homme de dialogue, partisan d’une réconciliation avec les Arméniens, d’une solution politique à la question kurde, cet homme est l’antithèse de ce que représente Erdogan et c’est très certainement pour ce qu’il symbolise qu’il reste en prison sans pour autant que des preuves tangibles soient fournies quant aux faits dont il est accusé.

En réaction à ce communiqué des ambassadeurs, le président turc a dénoncé une ingérence intolérable dans les affaires de justice et a déclaré ces derniers personae non gratae. Une solution de compromis a finalement heureusement été trouvée et aucune expulsion n’a été prononcée.

Au vu de la polarisation actuelle, on peut s’attendre à ce que la Turquie connaisse d’autres affaires de ce type visant pour Erdogan à essayer de stopper l’hémorragie de son électorat en agitant la fibre nationaliste pour resserrer les rangs.

Les affaires se multiplient en attendant. Au printemps dernier, un des chefs de la mafia turque, Sedat Peker, réfugié aux Émirats arabes unis, s’est lancé dans la diffusion de podcasts quasi quotidiens dans lesquels il dénonçait nominalement les collusions entre des mafieux et des hommes du pouvoir parfois proches de R. T. Erdogan. La presse d’opposition a, quant à elle, récemment dénoncé la Fondation de la jeunesse turque, dirigée par le fils du président turc, Bilal Erdogan, d’entretenir des liens étroits avec les confréries religieuses et de placer les membres de ces dernières au sein de l’appareil d’État. Bref, l’atmosphère est malsaine, sans parler des rumeurs persistantes de corruption.

Pour autant, rien n’est encore acté et les élections sont dans 18 mois. Beaucoup d’observateurs considèrent que le président turc pourrait encourir de nombreux problèmes judiciaires s’il venait à être battu. C’est pourquoi tous les coups seront permis dans les mois à venir. L’issue de ces élections dépendra donc de la capacité de l’opposition à proposer un projet alternatif mobilisateur capable de relancer la Turquie vers des perspectives d’avenir. En cas de victoire de ladite opposition, la tâche sera ardue, car il y aura beaucoup à reconstruire dans de nombreux domaines relevant y compris du régalien.

Enfin, le rôle de l’armée doit aussi être pris en considération. Suite au coup d’État raté de juillet 2016, on se souvient que celle-ci a connu une purge massive avec par exemple 45% des généraux mis en retraite anticipée. Si elle se fait aujourd’hui discrète, elle semble s’être réorganisée. L’actuel ministre de la Défense, et ancien chef d’État-major de l’armée au moment du coup d’État manqué de 2016, est un homme de pouvoir, qui a réussi à restructurer l’armée en procédant à une série de nominations. Aussi, l’armée aura un rôle déterminant à jouer en 2023, quel que soit le vainqueur des élections.

Comment rebondir après la volte-face australienne ?

Thu, 28/10/2021 - 17:41

L’abandon des commandes australiennes de sous-marins est-il une catastrophe pour Naval Group?

Cette affaire n’a rien d’anodin. Ces contrats représentaient environ 1000 emplois, dont environ 650 à Cherbourg et 350 en Australie. L’impact sur les fournisseurs est dur à estimer puisqu’on n’en était qu’aux phases d’études. Mais ce n’est pas dramatique pour un groupe qui compte près de 16000 personnes. Les effectifs concernés par le programme australien étaient surtout composés d’ingénieurs, qui pourront être réaffectés à d’autres projets. En particulier à celui du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération dont les premières études devraient être lancées bientôt. A long terme, il est bien sûr gênant de perdre des commandes qui allaient courir sur une trentaine d’années et représenter 10% de l’activité de l’entreprise. Mais le pronostic vital de Naval Group n’est en aucun cas engagé. Depuis, le contrat pour la vente de frégates multimissions (Fremm) à la Grèce a été signé. On parle de 3 milliards d’euros, ce qui compense la perte australienne.

II s’agit avant tout d’un revers stratégique pour notre pays?

La France fait d’abord face à une rupture stratégique avec ses alliés. Le seul reproche que l’on peut lui faire, c’est de ne pas l’avoir anticipée. Au-delà de la perte du contrat des sous-marins, les Australiens ont signé avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni un vrai pacte de défense, appelé Aukus. Nous avons été tenus à l’écart de ces négociations et l’on peut donc parler de trahison de la part de nos alliés, notamment des Américains. On vient quand même d’assister à la création d’une sorte d’OTAN bis dans le Pacifique. Cette affaire ne concerne pas que les Français, les autres Européens n’ont pas non plus été prévenus. C’est quand même problématique ! Même si on ne va pas se retrouver avec des intérêts stratégiques divergeant de ceux des Etats-Unis, nous
voyons bien que nous ne voulons pas traiter la question chinoise de la même façon qu’eux. Les Américains disent clairement que Pékin représente une menace à traiter militairement. Les Européens estiment qu’il faut surtout contrer la Chine sur le plan commercial et diplomatique. Ce qui est frappant aussi, c’est le positionnement de Londres qui se calque encore un peu plus sur celui de Washington. C’est sans doute un choix lié à la politique intérieure britannique : tout ce qui peut donner l’impression qu’ils se rapprochent des Européens doit être gommé dans cette période post-Brexit. Mais, initialement, le Royaume-Uni avait annoncé qu’il signerait un accord avec l’UE portant sur la politique étrangère. Ce qui n’est plus d’actualité aujourd’hui.

Que faire devant cette nouvelle donne?

On espérait quand même que tous les membres de l’espace euro-atlantique auraient une vision commune sur l’Asie. Et cela d’autant plus que l’Otan doit revoir sa doctrine dans le cadre d’un sommet prévu pour 2022. Son «concept stratégique», qui définit les menaces pesant sur les Etats membres et les moyens pour y faire face, date en effet de 2010 et il faut le renouveler. Ce document comprendra un volet indopacifique. Or les pays européens, et la France en particulier, n’ont pas envie de se retrouver comme des otages d’une sorte de nouvelle guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine.

Que vous inspirent les volontés de certaines personnalités politiques de sortir du commandement intégré de l’OTAN ?

II y a les élections dans six mois et le président de la République a subi un échec en Australie, alors il faut lui tirer dessus ! On n’est pas surpris que Jean-Luc Mélenchon veuille quitter l’Otan. Mais Xavier Bertrand qui veut remettre en cause la participation de la France dans le commandement militaire intégré, ce n’est pas très sérieux. Les socialistes avant 2012 s’interrogeaient sur un retour à la position du général de Gaulle, une France dans l’Alliance atlantique mais pas dans le commandement militaire intégré. Finalement, une fois élu, François Hollande avait commandé un rapport à Hubert Védrine sur la question. Sa conclusion reste toujours valable : il faut rester dans l’Otan et mieux s’y faire entendre. Ce n’est certes pas facile, mais que se passerait-il si l’on quittait cette organisation ? On perdrait le lien avec les Allemands et les autres pays européens, et l’on ne serait plus crédible dans l’UE. Face aux décisions unilatérales des Américains, en Afghanistan ou avec les sous-marins, l’ensemble des Européens voient bien qu’ils ont tout intérêt à coopérer. Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’UE, l’a d’ailleurs rappelé après l’annonce de la formation de l’alliance Aukus. Ce sont les Européens qu’il nous faut convaincre, et ce n’est pas en quittant l’Otan qu’on y arrivera. On a quand même l’impression que l’attitude des Américains est aussi dictée par le comportement belliqueux de la Chine, en particulier vis-à-vis de Taïwan… Taïwan est un énorme enjeu, c’est vrai, mais je ne pense pas que le scénario d’un conflit militaire soit possible, car cela déclencherait une crise internationale majeure, ce qui n’est pas dans l’intérêt de la Chine. En revanche, cela n’exclut pas que des pressions militaires fortes soient exercées. De plus, on voit bien que le
champ de la conflictualité se déplace, en Asie comme ailleurs, sous forme d’agressions économiques, de cyberattaques, de désinformation ou autres menaces hybrides. Prenez l’Estonie : au-delà de la menace militaire russe, le gouvernement craint surtout des manœuvres de déstabilisation interne. Les documents stratégiques estoniens insistent donc sur la nécessité de préserver la cohésion de la société et sa prospérité économique. Les Lituaniens ont été confrontés récemment à un souci majeur de ce genre, leur voisin biélorusse ayant organisé une filière de migrants majoritairement irakiens.

Comment renforcer l’autonomie de la défense européenne ?

Le comportement des Etats-Unis est une opportunité pour resserrer les rangs, car ils s’occupent de leurs intérêts stratégiques avant tout, puis éventuellement de ceux des Européens s’ils coïncident avec les leurs. Construire une union politique de défense est une œuvre de longue haleine, mais on progresse petit à petit. Cela passe par une certaine souplesse : déjà, il ne faudrait pas s’interdire d’intervenir militairement parce que les 27 ne sont pas tous d’accord. L’Initiative européenne d’intervention lancée en 2018 par le président Macron va dans ce sens. Elle tend à établir une culture stratégique commune entre 12 Etats, dont, le Royaume-Uni et la Norvège, ne sont pas membres de l’Union. Même forme de souplesse d’organisation avec Talcuba, une force d’assistance au combat de 600 hommes, dont 300 Européens, pour l’armée malienne et qui s’insère dans le cadre de Barkhane. Enfin, la présidence française de l’UE, en 2022, verra l’adoption d’une «boussole stratégique». Sous ce nom abscons, se profile un véritable embryon européen de livre blanc sur la défense qui sera mise en place, c’est un progrès essentiel.

Et au niveau industriel ?

Il y a déjà eu de nombreuses coopérations en Europe dans le domaine de l’armement avec les Italiens, les Allemands ou les Britanniques, par exemple les Fremm, l’Airbus A400M, l’hélicoptère Tigre ou encore les missiles Meteor. Le lancement du programme du drone de reconnaissance Male, qui regroupe la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, est acté. II est soutenu à hauteur de 100 millions d’euros par l’UE. Ce qui permettra à terme de ne plus dépendre dans ce domaine des Américains et des Israéliens. Une des initiatives les plus prometteuses est le Fonds européen de défense, adopté en avril de cette année. Pour avoir accès à ces crédits communautaires, il faut que trois entreprises de trois Etats différents de l’Union proposent un projet commun. Parmi les technologies prioritaires figurent le cloud de défense, le spatial et le cyber. Le fonds dispose de 8 milliards utilisables sur sept ans pour la R&D, soit plus de 1 milliard par an, dont environ 300 millions pour la recherche fondamentale
de défense. Rien de négligeable puisque le budget global des pays européens dans ce domaine est de l’ordre de 1,6 milliard d’euros actuellement. Ce dispositif va permettre de doubler les coopérations industrielles, qui représenteront à terme 30%
de l’offre d’armement européenne. On commencera à voir des résultats concrets dans cinq ans, mais c’est une tendance très positive qui prouve que l’Europe s’organise pour devenir plus autonome.

On imagine que cela améliorera les ventes d’armes françaises dans l’Union européenne ?

Oui, dans l’UE et plus largement dans toute l’Europe, une zone qui est devenue notre première cliente depuis deux ans avec environ 25% des ventes en 2020. Une excellente chose, car les ONG ne trouvent pas trop à redire quand on vend des armes auxAllemands ou aux Italiens. Or, sur une période plus longue, nos principaux clients (59% de nos exportations entre 2016 et 2020) étaient l’Egypte, le Qatar, l’Inde, des pays qui ont de gros budgets de défense et peu ou pas d’industries. Sur la période 2016-2020, les ventes d’armement de la France ont augmenté de 44%. Qu’est-ce qui porte ces performances? Avec un peu plus de 8% de part de marché, la France est désormais le troisième exportateur d’armes derrière la Russie (20%) et les Etats-Unis (37%). Même si les Chinois se développent très vite en Afrique et en Amérique latine, ils restent encore derrière (5%). Plusieurs facteurs ont joué dans la hausse récente. II y a d’abord eu un changement d’attitude après l’élection de François Hollande. Depuis, l’Etat ne s’est plus mêlé des affaires des industriels. Sous Nicolas Sarkozy, ily avait confusion des rôles. Et cela avait conduit à plusieurs échecs, notamment au Maroc et au Brésil, où l’on n’avait pas réussi à vendre les Rafale. Maintenant, c’est l’industriel qui négocie, l’Etat apportant un soutien politique. Et puis le Rafale, notre plus belle vitrine, est devenu très compétitif, c’est un bon avion. II est entré en service il y a vingt ans. Au Mali, l’opération Barkhane mobilise actuellement certes, mais il a évolué avec le temps et a fait ses preuves au combat. Le F-35 américain est beaucoup plus cher et compliqué, et les pays qui l’achètent n’ont droit à aucun transfert de technologie. On a vendu le Rafale à l’Egypte, au Qatar, à la Grèce, à la Croatie et à l’Inde, ça commence à faire un beau palmarès. Parmi les best-sellers, on peut citer les missiles conçus par MBDA, numéro 2 mondial dans sa spécialité, les hélicoptères NH90 d’Airbus ou le Caesar, un canon autoporté développé par Nexter, qui en a vendu plus de 300 à l’exportation. Et puis, n’oublions pas les sous marins Scorpène, qu’on a vendus à l’Inde, au Chili, à la Malaisie et au Brésil. La force de notre industrie de l’armement est d’être présente sur tous les créneaux. A côté des contrats de gros matériel, ily a chaque année environ 4 milliards de «petits» contrats, inférieurs à 200 millions d’euros.

Comment s’explique la chute de 40%, à 4,3 milliards d’euros, des ventes en 2020 ?

Le niveau des ventes d’armes, ça se regarde sur au moins cinq ans. La tendance sur une année, ça ne veut rien dire, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Ces derniers temps, on était sur une tendance de 8 à 9 milliards par an, mais en 2020, à cause du Covid, tout était au ralenti, les commerciaux ne pouvaient pas se déplacer. Il y a eu aussi des problèmes de livraison de composants : chez Nexter, par exemple, on a connu des retards sur des pièces qui venaient du Royaume-Uni. Même les Américains ont eu des ruptures d’approvisionnement sur des éléments du F-35 fabriqués au Mexique. La France doit-elle rester au Mali et en a-t-elle les moyens ? Barkhane coûte près de 1 milliard d’euros par an ; rapporté à un budget militaire de près de 40 milliards, ce n’est pas rien. Cette force de 5 000 hommes va être progressivement divisée par deux. On va essayer de se retirer peu à peu en impliquant les locaux, mais on ne laissera tomber personne. II nous faut aussi renforcer la coopération avec des partenaires de l’UE, comme c’est déjà le cas avec Takuba ou la mission européenne de formation de l’armée malienne dans l’EUTM Mali. Seulement, c’est très compliqué, il y a beaucoup de choses que l’on ne maîtrise pas au niveau politique. En particulier le comportement imprévisible des militaires arrivés au pouvoir à Bamako. Ce qui devient délicat, c’est la montée du sentiment antifrançais. En tout cas, ce qui se passe au Mali n’a rien à voir avec l’Afghanistan, nous y sommes allés parce que les Maliens nous ont demandé de l’aide. Les Américains, eux, avaient agi de leur propre chef.

 

Propos recueillis par Claire bader et Éric Wattez pour Capital.

COP26 – Les changements climatiques, multiplicateurs de conflits ?

Thu, 28/10/2021 - 16:41

Alors que s’ouvre la COP26 à Glasgow à partir de ce week-end et que la question environnementale est désormais un élément central du débat stratégique, Pascal Boniface revient dans cette vidéo sur les liens entre enjeux climatiques et sécurité à partir des travaux de l’Observatoire Défense et Climat, coordonné par l’IRIS pour le compte de la DGRIS du ministère des armées.

Discours sur l’état de l’Union : la stratégie de l’UE sur les puces et les microprocesseurs

Fri, 17/09/2021 - 15:12

Edouard Simon vous donne régulièrement rendez-vous pour sa chronique « Vu d’Europe » traitant de l’actualité de l’Union européenne et de ceux qui la font. Cette semaine il revient sur l’adoption d’une stratégie sur les puces et les microprocesseurs, proposée par Ursula von der Leyen lors de son discours sur l’état de l’Union prononcé le 15 septembre 2021.

➡️ Retrouvez tous les épisodes de la chronique « Vu d’Europe » sur la chaîne Youtube de l’IRIS : https://cutt.ly/sEyvtUY

 

« Au-delà du mirage » – 4 questions à Etienne Copel

Fri, 17/09/2021 - 12:16

Etienne Copel avait défrayé la chronique lorsqu’il avait démissionné de l’Armée de l’air en 1984 et publié un livre choc « Vaincre la guerre » qui critiquait sur de nombreux points la posture de défense de la France. Major de l’Ecole de l’air et de l’Ecole supérieure de guerre, il était devenu le plus jeune général de France. Si on peut ne pas partager toutes les opinions de l’auteur, son intégrité et sa sincérité sont indiscutables. Avec « Au-delà du mirage », paru aux éditions Favre, il nous offre un livre passionnant, de ses mémoires où il revient sur les sujets essentiels à son regard sur les enjeux sécuritaires.

Vous êtes toujours favorable à l’énergie nucléaire mais réticent face à la dissuasion alors que vous avez largué une bombe atomique sur Mururoa…

Il n’y a plus de contestation sérieuse de la relation directe entre la combustion des énergies fossiles, la hausse de l’effet de serre et le dramatique réchauffement de la planète. Alors tout ce qui crée de l’énergie sans rejeter de gaz carbonique est bon à prendre. Le nucléaire a cette caractéristique, sachons en profiter. L’urgence climatique est telle qu’il faut faire feu de tout bois. Certes le nucléaire a ses défauts mais son rejet systématique n’est pas raisonnable. Même les problèmes posés par les déchets sont minimes par rapport aux désastres que causent et vont causer la hausse des températures, en particulier au sein des pays les plus pauvres de la Terre.

Oui, j’ai largué une bombe atomique au-dessus du Pacifique, je n’en suis pas honteux. Il fallait montrer que la technologie française devait être prise au sérieux. Suis-je aujourd’hui réticent face à la dissuasion ? En fait je suis toujours persuadé qu’il est plus difficile d’attaquer ou de faire chanter un pays nucléaire qu’un pays qui ne l’est pas. Donc, je ne rejette pas en bloc toute forme de dissuasion nucléaire. En revanche, j’estime qu’il ne faut pas « en rajouter ». Il n’est absolument pas nécessaire de moderniser sans cesse notre arsenal. C’est contraire à l’esprit du TNP (Traité de Non-Prolifération nucléaire) et cela prive nos armées de ressources financières qui pourraient être plus utiles ailleurs. En particulier, pour nos forces d’intervention face aux terroristes islamistes en Afrique.

Vous avez attiré l’attention il y a juste 30 ans sur le risque représenté par les centrales nucléaires face au terrorisme, aujourd’hui par les barrages…

Oui, en 1991, dans « Le Nécessaire et l’Inacceptable », j’ai expliqué qu’on avait besoin de l’énergie nucléaire en raison des dommages à prévoir avec la hausse de l’effet de serre (le nécessaire) mais aussi qu’il fallait craindre les conséquences d’éventuelles attaques terroristes (l’inacceptable). Aujourd’hui, mes craintes sont bien moindres : les réacteurs refroidis au sodium ont été arrêtés, des gendarmes armés se trouvent à l’intérieur du périmètre des centrales et surtout « grâce » au 11 septembre 2001, les détournements d’avion par des pilotes suicides sont devenus beaucoup plus compliqués. L’EPR est même complètement protégé contre la chute d’un avion aussi gros soit-il.

Restent les barrages. Je ne veux pas contribuer à des craintes inutiles mais quelques barrages sont vulnérables à une attaque terroriste, certes difficile à mettre en œuvre mais pas plus que celles dont les Américains ont été victimes à New-York et Washington. Le plus rageant est que protéger cette poignée de barrages est simple et relativement peu coûteux.

Pensez-vous que la défense civile est insuffisamment prise en compte ?

Depuis que Maurice Schumann m’a appelé au Haut Comité pour la Défense Civile de nombreux progrès ont été réalisés. En particulier en ce qui concerne les feux de forêts. Mais il reste énormément à faire. Par exemple pour mieux préparer les populations aux conséquences d’attaques chimiques ou d’épandage de produits radioactifs.

Le plus à redouter me semble aujourd’hui la crise terroriste longue. Si, un jour, une usine chimique est attaquée, si un relais de transmission est saboté, si une voie ferrée est déboulonnée dans un tunnel, si un préfet est assassiné  … et si les attaques se répètent, le gouvernement voudra naturellement  protéger pendant des mois des multitudes de points sensibles et encadrer les nombreuses victimes de ces attaques. Or, depuis la fin du service militaire, la France n’a plus de réservistes en nombre suffisant pour faire face à toutes ces menaces.

C’est pourquoi je défends fermement le « service d’un mois » proposé par le président Macron dans la mesure où il lui donne une composante militaire marquée. L’idée serait de s’inspirer des « classes » du service militaire d’antan pour former en peu de temps non pas des combattants aptes à guerroyer Outre-mer, mais des hommes et des femmes capables d’être des sentinelles autour des points sensibles et des intervenants de première urgence en cas de catastrophe, naturelle ou non.

Vous préconisez des armes nucléaires tactique de puissance raisonnable et de grande précision. Mais n’y a-t-il pas le risque de faire des armes nucléaires non plus des armes de dissuasion mais des armes d’emploi ?

Notons d’abord que les apôtres de « La Dissuasion » avec un grand D, me font plutôt sourire lorsque, tout en fustigeant les Présidents supposés incapables « d’appuyer sur le bouton » ils se vantent de mettre en œuvre une arme de « non-emploi ». Comment peut-on faire peur, comment peut-on dissuader en affirmant que la menace que l’on brandit n’est pas faite pour être employée ?

En matière de dissuasion, la crédibilité est la qualité première. C’est pourquoi pendant la guerre froide je pensais que la menace d’emploi de nos armes contre les villes soviétiques n’était pas suffisante pour nous protéger, tant le passage à l’acte, ignorant les représailles massives qui suivraient, était peu plausible. C’est, comme je le signale dans mes souvenirs, ce que m’a clairement confirmé le Président Giscard d’Estaing.

En revanche, il me semble tout à fait crédible de dire à une puissance moyenne qui menace un pays ami d’une attaque nucléaire : « Si vous lancez une attaque atomique contre tel ou tel allié de mon pays je répliquerai sur vos forces avec le même type d’armes. »  Si je ne dispose que de bombes vingt fois plus puissantes que celle d’Hiroshima, il est peu probable qu’on me croirait car elles feraient trop de morts parmi la population civile. Mais s’il s’agit d’une arme de quelques kilotonnes capable de raser un aérodrome sans répercussions notables sur les villes avoisinantes je serais bien plus crédible je serais beaucoup plus dissuasif.

Ainsi, avec une arme nucléaire de faible puissance et de haute précision, un Président pourrait dans certains cas faire respecter les engagements de la France et protéger la paix.

Rupture du contrat sur les sous-marins australiens : quelles conséquences pour l’industrie française ?

Thu, 16/09/2021 - 17:48

L’Australie vient d’annoncer la rupture de son contrat conclu en 2016 avec la France qui prévoyait l’achat de douze sous-marins conventionnels. Quelle lecture peut-on faire de ce « changement de besoin » selon les propos du Premier ministre australien ? Quelles conséquences pour Naval Group ? Le point avec Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS.

Quelles sont les conséquences géostratégiques de la rupture du contrat de commande de sous-marins à Naval Group ?

Ce n’est certes pas une bonne nouvelle pour Naval Group mais ce qu’il faut retenir principalement c’est l’accord de partenariat stratégique, dénommé AUKUS, signé entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie.

L’Australie était inquiète de l’attitude de la Chine qui avait décrété un embargo sur les importations de charbon, de bœuf et de vin australien suite à la demande du Premier ministre australien de mener une enquête internationale indépendante sur l’origine de la pandémie de Coronavirus. Les Australiens cherchaient donc certainement une réassurance de sécurité dans la région que les États-Unis pouvaient leur offrir.

De leur côté, les États-Unis exhortaient les Occidentaux à se regrouper pour faire face à ce qu’ils considèrent être devenus la menace numéro 1 : la Chine. Or ils ne sont parvenus qu’à moitié à convaincre les Européens de conduire cette croisade anti-chinoise lors du dernier sommet de l’OTAN, notamment du fait de l’Allemagne et de la France, qui militaient pour une approche plus équilibrée vis-à-vis de la Chine. Les États-Unis ont donc certainement cherché à matérialiser au plus vite une alliance de sécurité renforcée dans la région pour laquelle le Royaume-Uni et l’Australie étaient les partenaires rêvés. Et pour donner corps à cette alliance stratégique, la fourniture de sous-marins américains en lieu et place des sous-marins français est apparue être la bonne solution au prix de la rupture brutale du contrat commercial avec Naval Group et de l’éviction de la France du partenariat stratégique avec l’Australie.

Au total, la fin du contrat de Naval Group semble donc être davantage un dommage collatéral de cet accord stratégique entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni.

Reste que cette décision est particulièrement brutale et difficile à avaler pour les Français qui en ont été écartés sans même avoir été prévenus. Or, nous sommes alliés des Américains et des Britanniques au sein de l’OTAN et nous avions conclu un partenariat stratégique avec l’Australie accompagnant ce contrat de sous-marins, accord qui a été rompu.

Cela montre une nouvelle fois, après l’épisode afghan, que lorsque les Américains considèrent que leurs intérêts de sécurité ne recouvrent pas exactement ceux des Européens, ils agissent désormais seuls. L’unilatéralisme n’est plus le seul apanage des Républicains comme on pouvait le penser sous George W. Bush ou sous Donald Trump, cette méthode est devenue une des clés de l’action des États-Unis aujourd’hui.

Quant aux Britanniques, dont on a peu parlé dans cet accord, la doctrine « Global Britain », qui a accompagné le Brexit et qui devait signifier une plus grande indépendance et un plus grand rayonnement du Royaume-Uni sur la scène mondiale, semble en réalité devenue la doctrine « Global Partnership » avec les États-Unis. C’est inquiétant pour le futur des accords franco-britanniques de Lancaster House dans le domaine de la défense et de la sécurité.

La santé financière de Naval Group est-elle mise en cause par la fin du contrat australien ?

À court terme, il n’y a aucun risque majeur. Naval Group était payé au fur et à mesure du contrat, et les Australiens devront payer un dédit sur la rupture du contrat estimé dans la presse australienne à 400 millions de dollars. Toutefois, Naval Group était en train de négocier la phase 2 du contrat, la phase de définition, pour un montant de 1,4 milliard d’euros. Cela représente donc une perte sèche. Surtout, tout l’investissement réalisé sur place par Naval Group ou par les entreprises de la chaîne d’approvisionnement de Naval Group est perdu. Il va falloir rapatrier les personnels, leur trouver une activité.

Aujourd’hui, l’activité de Naval Group est largement assurée par les commandes de l’État français : la fourniture des sous-marins Barracuda est en cours, les premières études du nouveau porte-avions commencent et il faudra bientôt commencer à étudier et donc à financer la nouvelle génération de SNLE. Mais la commande publique française ne suffira pas sur le long terme à faire vivre Naval Group dans son périmètre actuel. Il faut donc des exportations pour compléter la commande publique française, à l’image du contrat passé avec les Australiens. Il s’agissait un méga-contrat – plus de 50 milliards d’euros – qui offrait à Naval Group une visibilité en termes d’activité sur 20 ans. Bien conduit, ce contrat était une garantie de sécurité de l’entreprise. Ce n’est plus aujourd’hui le cas même si Naval Group a des contrats exports en cours de réalisation et des prospects dans des pays comme les Philippines, l’Indonésie ou les Pays-Bas. La pression va donc être plus forte sur la direction commerciale de Naval Group.

Que peut-on dire du sous-marin américain qui sera vendu aux Australiens ?

À part que le sous-marin sera à propulsion nucléaire : rien ! L’appel d’offres conclu en 2016 entre Naval Group et l’Australie l’était pour la fourniture de sous-marins à propulsion classique. Et si aujourd’hui les Australiens se tournent vers les Américains, ce n’est pas parce que les Français ne pouvaient pas livrer des sous-marins nucléaires : le sous-marin proposé par Naval Group était dérivé du Barracuda français qui est un sous-marin à propulsion nucléaire. Donc les Français pouvaient parfaitement satisfaire la nouvelle demande des Australiens.

En revanche, les Britanniques et les Américains ne fabriquent pas de sous-marins à propulsion classique, ils ne fabriquent que des sous-marins à propulsion nucléaire, et ni l’un ni l’autre n’ont jamais vendu des sous-marins à l’export.

L’offre américano-britannique laisse en réalité perplexe sur plusieurs points.

En premier lieu, une des conditions que devait remplir Naval Group pour gagner le contrat australien était que les bateaux soient construits en Australie. L’objectif était de rebâtir de A à Z une capacité australienne dans le domaine de l’industrie navale dans la région Sud de l’Australie et Naval Group avait accepté que 60% de la valeur du contrat – environ 20 milliards d’euros – soient dépensés en Australie. C’était un objectif très ambitieux à atteindre. De ce fait, on voit mal comment un tel objectif pourrait être atteint avec un sous-marin américain à propulsion nucléaire à la technologie plus sensible que le sous-marin français, et en plus couvert par la législation américaine ITAR, très restrictive sur les transferts de technologie.

En second lieu, on voit mal les Américains ou les Britanniques développer un sous-marin spécifique pour les Australiens. On prendra donc soit le design de la Virginia Class américaine ou de l’Astute britannique. Ce sont de très gros sous-marins d’environ 7 500 tonnes, alors que le Barracuda français fait 5 000 tonnes et sa version australienne devait avoisiner les 4 000 tonnes. À tout ceci, il faut ajouter que les Britanniques ont connu de multiples retards et surcoûts sur leurs sous-marins Astute, qu’ils n’ont pu terminer de développer qu’avec l’aide d’ingénieurs américains. Le sous-marin vendu par les Américains et les Britanniques coûtera donc certainement très cher aux Australiens, la durée de réalisation d’un tel projet, qui n’a même pas été réellement envisagée, risque d’être très long et les Australiens ne seront pas près de sitôt de remplacer leurs sous-marins de la class Collins.

De ce fait, le sentiment est qu’Américains, Australiens et Britanniques ont signé un accord politique au niveau de leurs dirigeants, avec quelques grandes lignes directrices dont cette fourniture de sous-marins, mais que rien n’a réellement été défini pour mettre en place les termes de cet accord. Quand on connaît les difficultés pratiques auxquelles a été confrontées Naval Group dans le contrat australien, on a du mal à imaginer la faisabilité du projet américano-britannique sauf à ce que les Australiens renoncent au développement de leur industrie navale dans le sud de l’Australie.

 

 

Discours sur l’état de l’Union d’Ursula von der Leyen : vers un renforcement du rôle de l’UE en matière de défense ?

Thu, 16/09/2021 - 17:13

Edouard Simon vous donne régulièrement rendez-vous pour sa chronique « Vu d’Europe » traitant de l’actualité de l’Union européenne et de ceux qui la font. Cette semaine il revient sur le volet défense du discours sur l’état de l’Union prononcé le 15 septembre 2021 par Ursula von der Leyen.

Rupture du contrat des sous-marins : « Il s’agissait d’un partenariat stratégique sur 50 ans avec l’Australie »

Thu, 16/09/2021 - 16:46

Cette résiliation de contrat est-elle un « coup dans le dos », comme l’a martelé le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian ?

Oui. Nous avions ce contrat avec les Australiens, il est rompu brutalement. Les Américains ont d’abord souhaité conclure une alliance de sécurité dans la région avec les Britanniques et les Australiens. Et ils ont dû faire pression sur eux. Les Australiens, qui ont fait l’objet d’un embargo de la Chine, étaient beaucoup plus inquiets en termes de sécurité qu’ils ne pouvaient l’être il y a cinq ans, lors de la conclusion du contrat. À un moment, la question des sous-marins est entrée dans la discussion. D’où cette vente. Sachant que les Américains n’ont jamais vendu de sous-marins nucléaires, qu’on ne sait pas de quel type d’appareils il s’agira. Il se pourrait d’ailleurs que ce soit des sous-marins britanniques.

Dans quelle mesure s’agissait-il d’un contrat important pour la France ? 

On y avait mis énormément d’énergie. Ce contrat avait été gagné de haute lutte dans une compétition avec les Allemands et les Japonais, sans les Américains à l’époque. Ils sont entrés « par la fenêtre » ces derniers mois. C’est ce qui agace énormément les Français : on est, théoriquement, entre alliés. C’est une forme de trahison. Il faut savoir qu’il s’agit d’un très gros contrat, plus de 30 milliards d’euros pour 12 sous-marins. Ce sont des appareils de la taille du Barracuda, très gros. Nous avions fait un énorme effort diplomatique pour gagner ce contrat, qui allait beaucoup plus loin qu’une simple vente : il s’agissait d’un partenariat stratégique sur 50 ans avec l’Australie ! On s’était engagé pour la sécurité de la région.

Il s’agissait par ailleurs de sous-marins nucléaires, convertis pour être conventionnels. On était donc capable de fournir ce que demande aujourd’hui l’Australie. C’est une rupture d’alliance, brutale. Et imprévue : Américains et Britanniques se sont bien gardé de prévenir les Français qu’ils étaient en train de négocier. D’où la colère de Paris sur le sujet. D’autant plus que les Australiens étaient en train de faire pression sur Naval Group pour faire baisser le prix du contrat…

La France fait-elle les frais des ambitions des USA dans la région indo-pacifique ?

Les Américains faisaient pression sur leurs alliés de l’Otan pour que la Chine soit mise en tête de liste des menaces. Ce que les Européens n’ont pas accepté, lors du dernier sommet de l’Organisation. Français et Allemands se sont, d’une certaine manière, opposés aux États-Unis en souhaitant avoir un discours plus mesuré. Les États-Unis se sont dit : « N’attendons pas nos alliés, tournons-nous vers les Australiens et les Britanniques ». Ces derniers sont d’ailleurs en train de s’aligner de plus en plus nettement sur les Américains. On le voyait à l’Otan, on le voit sur ce nouveau pacte Aukus. Cela ne sera pas sans conséquences négatives sur l’avenir du traité de Lancaster House (conclu en 2010 entre Paris et Londres, et destiné à un rapprochement en matière de défense, NDLR).

Que nous dit ce revirement australien sur la place de Paris dans le ballet diplomatique international ? La voix de la France pèse-t-elle encore ?

Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’influence française. Mais il faut bien voir quel est le motif de cette alliance : se défendre contre la Chine. Quelle sera la réaction de Pékin ? Ce qui vient d’être décidé peut être perçu comme une marque d’agressivité, une posture plus offensive dans la région. Ce que ne voulaient pas les Européens. On n’allait donc pas s’aligner sur ce que voulait les Américains. On retrouve avec l’Australie le même phénomène que l’on voit avec les pays baltes, la Pologne, en Europe : quand il y a une menace majeure, on se tourne vers la puissance militaire la plus importante. À savoir les Etats-Unis et pas la France. Il faut relativiser la perte d’influence française, mais ce n’est pas agréable.

Quid de l’Europe ?

On a vu la réaction française, pas celle des Européens. Certes, la France n’est pas l’Europe, mais elle a été trahie. Tout comme les Européens l’ont été sur l’Afghanistan. Les Américains défendent leurs intérêts, avec un unilatéralisme qui ne diffère pas de celui de Donald Trump. Si les intérêts ne sont pas totalement convergents avec ceux des Européens, ce sont les États-Unis qui priment. Cela peut faire réagir les Européens, qui pourraient se demander s’ils ne vont pas subir le même coup de poignard que Paris.

Discours sur l’état de l’Union : l’Europe a-t-elle (enfin) vu la lumière sur ses tourments économiques ?

Thu, 16/09/2021 - 14:38

Lors de son discours sur l’état de l’Union devant le Parlement européen de Strasbourg, Ursula von der Leyen a promis que l’UE « ne répétera pas l’erreur » de la rigueur budgétaire commise lors de la dernière crise financière. A quelle erreur fait-elle exactement référence ? Quelles en ont été les conséquences sur l’Europe ?

Rémi Bourgeot : Au-delà de la question européenne, un débat mondial, peu inspiré sur le plan historique, avait penché en faveur de l’austérité budgétaire en pleine crise financière mondiale. Des universitaires de renom comme Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart de l’Université de Harvard, avait été jusqu’à maltraiter des données pour expliquer que dette élevée rimait avec faible croissance – ce qui ne signifiait pas pour autant qu’il faille pratiquer l’austérité en pleine crise. Mais c’est surtout en Europe que ce débat s’était matérialisé sur le plan politique, du fait des tensions entre cultures économiques nationales et du contexte de mise sous tutelle des décisions budgétaires des pays sous programmes d’aide par la fameuse « troïka ». C’est également dans ce contexte qu’a été développée par la BCE, comme pour pallier le manque de soutien budgétaire, une réponse monétaire devenue peu à peu illimitée, au péril des pires bulles financières et immobilières.

Aujourd’hui, l’UE a-t-elle définitivement tiré les leçons de 2008 ?

Si l’austérité et la mise sous tutelle aveugle des pays sous aide ont effectivement été une aberration, cela ne suffit pas qu’il suffise de faire l’inverse. Des questions bien plus importantes se posent comme celle de l’inclusion des compétences, en particulier technologiques. Toute politique qui conduit à l’exclusion d’une génération est catastrophique. Ça a été un des effets des politiques d’austérité aveugles. On peut pour autant imaginer une politique de soutien et de dépense massive qui cible certaines catégories tout en laissant se poursuivre ou s’accélérer un phénomène d’effondrement industriel et d’exclusion généralisée des compétences concrètes. C’est dans cette situation que se trouve aujourd’hui la France et l’ensemble des pays d’Europe du Sud.

L’Allemagne n’est pas un modèle, car elle peine à se repositionner industriellement dans la révolution technologique en cours, mais jamais le pays ne s’est lancé dans une logique généralisée d’exclusion des compétences technologiques. Nos gérontocraties européennes, ultra-administratives, ne parviennent plus à concevoir une emprise sur l’économie réelle. Et il ne serait pas d’un grand secours que de chercher à trancher le bon vieux débat sur la relance keynésienne. On peut relancer à coût de milliards déversés sur l’hôtellerie-restauration et autres dérivés du mirage touristique en passant à côté des enjeux de la concurrence technologique en cours dans le monde. 

Suite à cette prise de position d’Ursula von der Leyen, à quoi peut-on s’attendre en termes d’orientation économique ? Faire le constat de l’échec de la rigueur suffit-il à régler tous les problèmes économiques de l’UE ?

L’explosion de la dette est un problème qu’on ne peut nier. Et sa gestion risque encore de justifier l’écrasement des taux par une politique de relance monétaire à l’origine de bulles qui minent aussi bien la stabilité économique et sociale que notre compétitivité. Malgré le constat d’échec quant à l’idéologie de l’austérité par temps de crise, ce sujet va peser lourdement. Les relations européennes ne manqueront pas de se tendre davantage face à cette situation, sans parler naturellement du refus accru de toute forme réelle de solidarité budgétaire, qui en découlera. L’enjeu pour tous les pays européens est aujourd’hui de mettre en œuvre les conditions d’une véritable croissance, fondé sur le progrès technologique et les gains de productivité. C’est la seule voie de sortie de cette situation d’effondrement industriel et social tout comme de la situation d’hyper-endettement. Les projets technologiques doivent revenir sur le devant de la scène, sans se laisser parasiter par de vains débats d’économistes et de bureaucrates. On constate par exemple en ce moment une prise de conscience du retard européen face à la pénurie de semi-conducteurs. Cette prise de conscience est salutaire et donne lieu à des projets intéressants. Il faudra veiller à ne pas s’égarer dans d’interminables débats macroéconomiques ni à laisser la politique technologique être prise en otage par divers effets de mode.

 

Propos recueillis par Atlantico.

Manipulation des rencontres sportives : une préoccupation grandissante au sein du monde du sport

Wed, 15/09/2021 - 20:47

Entretien avec Christian Kalb, directeur de CK Consulting, expert des paris sportifs et des questions de gouvernance du sport, dans le cadre du projet EPOSM, co-financé par le programme Erasmus + Sport de la Commission européenne.

Mené par Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Sport et Géopolitique.

En savoir plus sur le projet EPOSM – Evidence-based Prevention Of Sporting-related Match-fixing. 

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