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Actualité. Réflexions. Reportages
Updated: 18 min 34 sec ago

[En bref] Pologne et Slovaquie équipent les forces ukrainiennes avec des Mig-29

Sat, 18/03/2023 - 16:36

(B2) Les Alliés ont franchi le pas. Ils vont livrer des avions de chasse afin de permettre à l’Ukraine de reconstituer sa force aérienne détruite en partie au début de la guerre. Ce très rapidement.

Un Mig 29 aux couleurs slovaques (Photo : MOD Slovaquie / Archives B2)

13 chasseurs Mig 29 slovaques

Bratislava livrera treize chasseurs MiG-29 de conception soviétique à l’Ukraine, a ainsi déclaré vendredi (17 mars) le Premier ministre, Eduard Heger. Une démarche “pleinement coordonnée avec la Pologne et l’Ukraine” a-t-il ajouté. Bratislava va aussi livrer à Kiev deux systèmes de défense anti-aérienne de type Koub.

D’ici quelques semaines

Le transport des avions “prendra quelques semaines”, a précisé, de son côté, le ministre de la Défense Jaroslav Nad. “Au moins trois appareils seront utilisés pour fournir des pièces détachées”, a ajouté le chef d’état-major des forces armées slovaques, le général Daniel Zmeko. Ces chasseurs ont été modernisés pour la dernière fois en 1996 et ne sont plus utilisés actuellement dans la chasse slovaque.

Quatre Mig 29 polonais également

La Pologne a annoncé jeudi (16 mars) livrer un premier lot de quatre chasseurs-bombardiers MiG-29 à l’Ukraine. “Dans les jours à venir, nous allons d’abord transférer (…) quatre avions entièrement opérationnels à l’Ukraine”, a ainsi déclaré le président polonais Andrzej Duda à la presse. D’autres appareils devraient suivre. ‘Ils sont actuellement remis en condition et seront probablement transférés successivement” a-t-il indiqué.

Une demande de Kiev

Cela répond à une demande récurrente de l’Ukraine qui a subi des pertes importantes dans son aviation, notamment dans les premiers jours de l’offensive russe en février 2022. Kiev a demandé à plusieurs reprises aux alliés de l’OTAN de lui envoyer des avions. En particulier des F-16.

Pas de livraison de F-16 prévus

Du côté américain, il n’y pas de livraison prévue. “Ce n’est pas sur la table”, a indiqué John Kirby, le porte-parole de la Maison blanche à des journalistes, rappelant que le président Joe Biden s’était opposé publiquement à la livraison d’avions de combat à l’Ukraine. Mais cette livraison semble bien avoir été totalement concertée et avoir reçu le feu vert de la Maison Blanche.

Une compensation US et européenne

Bratislava a ainsi annoncé recevoir une « compensation » américaine pour la livraison à l’Ukraine d’équipements militaires spécifiques, d’une valeur d’environ 700 millions$ qui « s’ajoute à la compensation au titre de la facilité européenne pour la paix ». Au total, l’indemnisation atteint ainsi « environ 900 millions € ».

D’autres fournisseurs d’ici 2024 ou 2025 ?

La France n’a pas exclu la livraison d’avions de chasse de type Mirage. La décision de passer au “Tout Rafale” de manière accélérée libère ainsi un certain nombre d’avions opérationnels. Le Royaume-Uni a commencé à former les pilotes ukrainiens. La Finlande, par la voie de sa première ministre Sanna Marin en visite à Kiev, la semaine dernière, avait indiqué qu’il fallait « réfléchir » à la livraison d’avions finlandais de type F-18 Hornet. Ceux-ci doivent commencer à être retirés du service dans les années 2025, pour être remplacés par des F-35.

(Nicolas Gros-Verheyde avec AFP)

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[Analyse] Le Global South se détache peu à peu. L’Europe déstabilisée ?

Fri, 17/03/2023 - 10:05

(B2) L’Europe est-elle en train de perdre la main ? A-t-elle encore un rôle à jouer, notamment en Afrique ou au Moyen-Orient ? Pourquoi une partie du Sud se détache ?

© NGV / B2

Plusieurs pays dans le monde semblent préférer les Russes ou Chinois. L’Europe s’en étonne, s’en offusque, accusant l’entrisme des mercenaires de Wagner ou le cynisme chinois. Mais faut-il en être surpris ? Ce détachement de l’Europe d’une bonne partie des pays africains ou asiatiques trouve sans doute des racines dans l’histoire des non alignés (cf. encadré). Il s’explique par des raisons structurelles. Mais il tient aussi en bonne partie à la politique européenne, balançant entre repli sur soi, tentation du vide et double standard.

Des causes structurelles

La montée en puissance économique et démographique, de la Chine comme de plusieurs puissances régionales, aboutit mécaniquement à une moindre influence européenne (et même occidentale).

Il existe dans des pays du Sud une dynamique que les Européens n’ont pas voulu prendre en compte. Disposant d’une élite formée, d’une force économique humaine, et souvent de ressources notables (pétrole, gaz, minerais, matériaux rares), ils ne sont pas hostiles en soi, mais considèrent que leurs intérêts passent par la diversification des alliances, à la fois pour affirmer une certaine autonomie et se protéger de toute velléité d’intervention. La case Europe n’est plus le passage obligé de leur coopération internationale.

L’effacement lent et inéluctable de l’Europe tient aussi à une inflexion de la politique européenne. L’Europe a délaissé sa position de médiateur ou négociateur dans plusieurs conflits : Syrie, Israël-Palestine, Arabie Saoudite-Yémen, Libye, Soudan, Afghanistan, Soudan… Et en dernier lieu l’Ukraine. Les Émirats arabes unis, le Qatar, voire la Turquie et la Chine se sont engouffrés dans cette brèche. La réconciliation inédite entre les deux frères ennemis du Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite et l’Iran, sous l’égide de la Chine, est un signe notable.

Plusieurs erreurs notables

L’Europe a multiplié les erreurs ces dernières années.

L’intervention en Libye, en 2011, a laissé une trace ineffable (surtout en Afrique). C’est la résurgence d’une volonté colonialiste qu’on disait passée, d’aboutir à un changement de pouvoir par la force. Elle est d’autant plus forte en Afrique que la Libye, même autoritaire, aidait nombre de pays africains et que l’Europe a effacé cet épisode de se mémoire collective, refusant de se livrer à un « retour d’expérience ».

L’enfermement européen, refusant les flux migratoires, à partir de la crise migratoire de 2015, a été perçu par une bonne part du continent comme un refus de l’Europe d’assumer la part de la solidarité qu’elle demande à l’Afrique. Le tournant anti-migrations pris dans toute l’Europe depuis 2020, comme à l’inverse l’accueil massif des Ukrainiens confirment ce sentiment d’une position qui confine au racisme.

L’intervention française au Mali, demandée au départ par les Maliens, s’est transformée en une vaste opération anti-terroriste aux contours flous (1). Prolongée au-delà du strict nécessaire, elle a peu à peu été perçue comme une ingérence étrangère. Les propos français, et européens, pour la junte civilo-militaire au pouvoir ont rajouté à l’ire nationale (lire aussi : Libye, Mali, Algérie… les fâcheries s’accumulent. Barkhane s’enrhume). Bamako, soutenu par Moscou, a fini par obtenir le départ sans délai de l’opération Barkhane et de son avatar européen, la task force Takuba (2). Dans ce qui ressemble à une déroute politique qui laissera des traces.

Un double standard mal perçu

La volonté européenne de promouvoir ses valeurs se heurte aujourd’hui à la realpolitik. Ce qui produit un déséquilibre flagrant. Silence quasi complet sur les violations des droits de l’Homme dans les monarchies du Golfe (3) ou en Égypte, mansuétude sur le coup d’état au Tchad, faible dénonciation des violences israéliennes sur les palestiniens, etc. Mais les coups d’État au Mali ou au Burkina Faso sont en revanche dénoncés clairement. Vu du côté du Sud, ces positions sont incompréhensibles (4).

Même en Afrique centrale, où l’Europe a souvent été présente, sa lenteur et timidité à condamner l’action du Rwanda à l’Est du Congo n’est pas passée inaperçue. Dans ce pays pourtant classé dans un camp occidental, cette faiblesse est mise en regard avec la vigueur européenne pour dénoncer d’autres agressions, notamment de la Russie et l’Ukraine. Les échanges entre un Félix Tshisekedi et un Emmanuel Macron, le 4 mars dernier, pour avoir été sans doute surjoués (lire : Carnet 07.03.2023) , tiennent aussi d’une réalité existante dont il faudrait prendre conscience.

La politique de sanctions européenne, justifiable par certains points de vue en Europe, passe de plus en plus mal dans les pays du Sud. Elle est perçue comme la persistance de son arrogance et de la volonté d’imposer ses valeurs, de façon très orientée : aucune sanction sur Israël, l’Arabie saoudite, la Turquie, la Chine… Selon le bon vieux principe qu’il faut mieux être puissant que faible.

Le soutien massif, militaire et financier, apporté à l’Ukraine, sans aucune contrepartie, ni contrôle, n’a pas vraiment été compris, notamment en Afrique. Il souligne que si l’Europe veut, elle peut. Mais uniquement face à des « blancs, chrétiens » (5).

(Nicolas Gros-Verheyde)

Le retour des non alignés. On assiste ainsi à la résurgence d'un bloc des Non alignés des années 1960-70. Même s'il n'en a pas la morphologie idéologique, spécifique à la guerre froide, il en partage certains atouts. L'attitude aux Nations unies en est un signe. Malgré tous les efforts européens, le rapport de forces n'a pas vraiment évolué en un an de guerre. Un bon quart des pays préférant s'abstenir ou s'absenter, un quart représentant tout de même plus de la moitié de la population mondiale (lire : [Actualité] L’assemblée générale de l’ONU vote pour la paix pour l’Ukraine. Le Sud s’abstient). Une position qui n'a rien d'extraordinaire si on regarde des votes sur d'autres sujets. [Analyse] Au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Afrique se détache de l’Europe

A suivre sur B2 Pro : le lent effacement européen de la négociation mondiale

  1. La justification d’un risque terroriste malien par contamination pour l’Europe apparaissait assez « élastique » et jamais réellement prouvée.
  2. Lire aussi Dossier N°84. Takuba. Une nouvelle force européenne se met en place au Sahel, à visée anti-terroriste (v4)
  3. L’affaire du Qatargate a un effet désastreux. Elle prouve que les valeurs européennes cèdent facilement devant le poids de l’argent. Tout le discours européen sur la lutte anti-corruption nécessaire est ainsi amoindri.
  4. Un point de vue très courant dans les élites politico-militaires à Kinshasa. J’en ai été le témoin. Donnant un cours, en juin 2022, sur l’Union Européenne devant le collège de défense (une quarantaine d’officiers généraux), la plupart des questions portaient sur cette “différenciation”.
  5. Phrase entendue en Afrique

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[Réflexion] Une autre leçon du conflit en Ukraine pour les armées européennes

Sun, 05/03/2023 - 16:33

(B2) Parmi les enseignements tirés du conflit (artillerie, drones, effet de masse…), peu s’attardent sur l’organisation des armées. Or, c’est un point qui explique, aussi, la bonne résistance ukrainienne face à l’armada russe.

Démonstration de l’utilisation d’un drone tactique (Photo : MOD Ukraine)

Une logistique largement décentralisée

Pour autant qu’on puisse le savoir, le fonctionnement des forces ukrainiennes est plutôt décentralisé. La logistique d’une unité des forces armées ukrainiennes est en partie assurée sur le terrain par les gouverneurs de province (ou les municipalités). Ce sont eux qui fournissent la logistique “vie” nécessaire : hébergement, nourriture, jusqu’aux services de soins. Cela permet à l’armée d’avoir un fonctionnement central plutôt léger, concentré sur le commandement opérationnel. À l’inverse du dispositif russe, plus lourd, moins mobile, plus centralisé.

Une logique de mouvement partisan

L’ organisation ukrainienne associe d’un côté une logique d’armée centralisée, avec un commandement du haut vers le bas, et une logique de la guerre de partisans issue de la Seconde guerre mondiale, avec une large autonomie des forces sur place. Une tactique qui est aussi issue d’une histoire plus récente. Au début de la guerre en 2014, l’inorganisation de l’armée ukrainienne face aux troupes séparatistes et russes aboutit à la création de bataillons de volontaires. Des bataillons — soutenus par la population qui les ravitaillait, leur envoyait des vêtements, ou leur achetait des équipements (1).

Une maintenance et technologie confiée aux civils

Idem du côté de la maintenance ou de l’innovation technologique. On fait appel aux structures civiles. Des centaines d’ateliers se sont développés dans tout le pays pour transformer les drones avec l’aide de volontaires (2). L’entretien primaire des canons Caesar français — ce que les militaires appellent le « MCO terrain » — est ainsi assuré par des entreprises agricoles. « Car quand on fait de l’hydraulique agricole, on peut faire de la maintenance Caesar » comme le confirme à B2 un responsable militaire français.

Du renseignement humain puisé dans la population

Quant au renseignement, s’il dispose de capteurs modernes type drones, du renseignement satellite et de l’analyse fournis par les Alliés de l’OTAN, il puise aussi ses ressorts dans un système à l’ancienne : le réseau des “babas”, ces grands-mères ou papis inoffensifs, qui peuvent renseigner l’armée ukrainienne sur tous les mouvements. Une technique héritée là encore de l’histoire de l’Ukraine.

Assez peu mis en valeur

Tous ces enseignements ne se trouvent souvent peu mis en avant par les états-majors, du moins publiquement. Le récent rapport du Sénat sur les enseignements à tirer du conflit en Ukraine (3), en témoigne. Documenté, mais décevant dans son approche, il concentre son analyse sur quelques points assez conformistes : la haute intensité, l’effet de masse, la dissuasion nucléaire, les drones, etc. Un point de vue davantage destiné semble-t-il à justifier des inflexions déjà prises dans les états-majors qu’à vraiment envisager l’avenir.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Alain Guillemoles, « Ukraine, réveil d’une Nation », éditions les Petits matins, février 2015, p. 107.
  2. Boris Mabillard, « Avec les dronistes de l’unité d’élite Skala », Le Point, 16 février 2023. (vidéo)
  3. « Ukraine : un an de guerre. Quels enseignements pour la France », 8 février 2023, Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini (Ce dernier ayant décidé de se retirer du rapport, en désaccord avec son corapporteur).

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[En bref] Une patrouille d’Atalanta saisit une tonne de stupéfiants dans l’Océan indien

Sat, 04/03/2023 - 08:50

(B2) Un total de 1087,5 kg de différents stupéfiants ont été saisis sur deux boutres, qui n’arboraient aucun pavillon national.

L’équipe de visite du Dixmude perquisitionne un boutre suspect (Photo : Etat-major des armées)

Cette première opération anti-stupéfiants de l’opération européenne EUNAVFOR Atalanta en 2023, a été menée en deux actions distinctes : la première par la frégate La Fayette (F-710) et, peu après, la seconde par le porte-hélicoptères Dixmude (L-9015).

Au total, « 573 kg de résine de cannabis, 305 kg d’héroïne et 210 kg de méthamphétamine » ont été saisis, signale l’opération maritime de l’UE. La valeur marchande de ces saisies est estimée à 36,8 millions d’euros. Ces deux actions font suite aux huit menées en 2022 qui ont permis de saisir « plus de 12,7 tonnes de stupéfiants au total ».

Les deux bâtiments français, qui font partie de la mission « Jeanne d’Arc 23 » ont été mis à disposition le temps du passage dans la zone d’opération de l’opération européenne : ce qu’on appelle le soutien direct.

L’opération Atalanta est actuellement commandée par le captain (capitaine de vaisseau) Juan María Ibáñez Martín. Elle dispose de deux navires : la frégate espagnole Reina Sofia (F-84), qui sert de navire-amiral, et la frégate italienne Carlo Bergamini (F-590).

(NGV)

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[Éditorial] Un an de guerre en Ukraine. Un changement de paradigme pour l’Europe

Sat, 18/02/2023 - 16:09

(B2) Depuis un an, la guerre russe en Ukraine a déjà bouleversé la politique européenne. Une évolution qui va continuer ces prochaines années et pourrait aboutir à transformer l’Union actuelle, de façon majeure et structurelle. Quelques éléments de réflexion.

Kiev © NGV / B2
  • À l’heure où chacun se penche sur les conséquences immédiates de la guerre sur le terrain ou sur l’économie, il faut porter son regard un peu plus loin. Depuis bientôt 15 ans, B2 a choisi de centrer son oeil sur la défense et la géopolitique. Nous étions à l’époque considérés un peu avec commisération par les spécialistes de la défense (centrés sur leur nation) comme par les Européens (vissés sur les “vrais” domaines de compétence européenne). Aujourd’hui, c’est bien différent…

Une question dans tous les domaines

Le sujet « Ukraine » est systématiquement porté à l’agenda des réunions des ministres des Affaires étrangères comme des Chefs d’États et de gouvernement. Mais la question est transversale. Aujourd’hui, au Conseil de l’UE, il n’y pas un seul secteur, un seul des quelques 150 groupes de travail, même les plus éloignés de la politique extérieure, qui n’ait pas la question Ukraine à son agenda. Que ce soit les télécoms (avec l’extension du roaming aux ukrainiens), la culture (avec la question du patrimoine culturel ou des artistes en danger), l’économie et les finances (pour les questions de prêts macro-financiers) ou les transports (avec l’extension des réseaux transeuropéens en Ukraine et Moldavie), tous les experts européens doivent traiter la question Ukraine qu’il s’agisse d’une action sur place ou en relation avec la guerre ou des conséquences sur le plan intérieur de celle-ci.

La défense politique européenne

La défense devient, de gré ou de force, une politique européenne mixte (à la fois communautaire et intergouvernemental). Sans un changement de ligne du traité. Ce qui est, en soi, peu anodin dans l’histoire européenne. Même la question d’établir au niveau européen une centrale d’achats et un financement pour l’envoi de munitions en Ukraine, de façon massive, et le recomplètement des stocks de munitions, est aujourd’hui abordée de front (lire : [Confidentiel] Munitions. À la recherche d’une solution pratique et concrète d’ici fin mars ?).

Aucune question n’est plus taboue

Le principe n’est plus de s’abriter derrière une impossibilité juridique ou financière (comme dans les années 2010 où tous les arguments étaient bons pour ne pas intervenir). Le principe devient : comment faire, en contournant les obstacles existants, pour faire quand même. L’heure est au « pragmatisme » résumait récemment un ambassadeur. Avec raison. Les termes de « souveraineté européenne » ou « autonomie stratégique » qui suscitaient auparavant des batailles épiques sont acceptées. La question devient : comment on applique ces termes concrètement.

Une convergence idéologique

Même si quelques rivalités de personnes peuvent surgir, entre le Belge libéral Charles Michel le président du Conseil européen, l’Allemande chrétienne-démocrate Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, le Français libéral Thierry Breton, le commissaire chargé de l’industrie et de la défense, et le socialiste espagnol Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, le « cœur » de l’Europe converge sur un point : la défense est primordiale, l’autonomie stratégique et la souveraineté européennes doivent être renforcées. Au niveau des États membres, les divergences sont plus profondes, mais cet objectif est assez partagé. Les nuances se font surtout sur la mise en pratique.

Un budget à 2%

La défense, considérée auparavant comme une “non politique” européenne, représente environ 2% du budget européen (25 milliards €) sur la période pluri-annuelle 2021-2027 selon nos calculs (1). Soit tout simplement l’objectif défini par l’OTAN pour les dépenses de ses États membres (lire : Quel objectif de dépense pour les Alliés de l’OTAN. Le débat est lancé ). Et si vous ajoutez les autres tâches régaliennes (politique étrangère, élargissement, sécurité, frontières, migrations, etc.), cela représente 13% du budget européen (près de 160 milliards euros) (2).

en croissance exponentielle

Et ce budget est en croissance. Sans grande difficulté (quelques mois de débat à l’échelle européenne ne sont pas si importantes), les 27 ont décidé en décembre de rajouter deux milliards tout de suite à la facilité européenne pour la paix, et 3,5 autres milliards potentiels. La Commission européenne a raclé les fonds de tiroir pour affecter 500 millions d’euros de plus à un nouveau fonds de défense (destiné aux acquisitions en commun, EDIRPA). Et un nouveau fonds (EDIP) doit voir le jour qui n’est pas encore financé. Pour le prochain cadre budgétaire 2028-2035, ces sommes ne vont pas baisser a priori, mais plutôt augmenter. Cela veut dire que les autres politiques (agricole ou régionale) seront ponctionnées. Sauf à trouver de nouvelles ressources.

Une Europe en transformation

Le statut de pays candidat octroyé à l’Ukraine (et la Moldavie) en un temps record ne doit pas faire illusion non plus. Même s’il s’agit d’une gestuelle très politique — montrer la solidarité européenne —, la mécanique d’élargissement de l’Union européenne a repris de façon rapide. Kiev et Chisinau, les deux capitales concernées, ont pris le problème à bras le corps. Et avec l’enthousiasme des néophytes, ils se jettent à corps perdus dans la mise en conformité de leur législation aux normes européennes. En plein conflit, le gouvernement ukrainien et la Rada (le parlement national) adoptent donc loi sur loi. Y compris sur des sujets très éloignés du conflit (ex. sur la reconnaissance des jugements civils et commerciaux). A tel point que l’objectif fixé par le président ukrainien V. Zelensky de voir s’ouvrir les négociations d’adhésion d’ici la fin 2023 (lire : [Récit] Zelenksy à Bruxelles : un one-man show réussi ?), ou début 2024, n’est plus tout à fait théorique.

… vers une Europe à 35 ou 36 membres ?

Des négociations discrètes sont en cours entre Belgrade et Pristina, visant à normaliser les relations entre les deux capitales, et donc entre les deux pays (lire : [Exclusif] Les dix points clés de l’accord de normalisation entre Belgrade et Pristina présenté aux 27). Si elles aboutissent, la voie vers l’adhésion de la Serbie n’a plus d’obstacle politique majeur. Neuf pays sont dans la salle d’attente européenne. Et certains sont bien décidés à y rentrer. L’Europe à 35-36 n’est donc plus une théorie. Mais une possibilité à laquelle les « vieux » pays européens doivent se préparer. L’Union européenne change de nature et donc de fonctionnement.

Conclusion : une Europe en transformation

Pour la deuxième fois de sa courte histoire, l’intégration européenne ne sait pas trop bien où elle va. Mais elle y va. Comme l’Europe de 2004 (après le big bang de l’élargissement à l’Est) ne ressemblait plus tout à fait à l’Europe de 1989, l’Union de 2035 ne sera donc pas tout à fait celle de 2020. Nous en faisons le pari : la transformation européenne en cours n’est ni mineure ni conjoncturelle. Toutes les politiques seront impactées demain par ces changements.

Le monde aussi évolue à grande vitesse, avec la reconstitution d’un bloc des Non Alignés (le Global South), un multilatéralisme remis en question. « On entre dans un nouveau monde » me confiait un ambassadeur récemment.

Celui ou celle qui prétend aujourd’hui suivre les affaires européennes, sans jeter un coup d’œil sur ces évolutions majeures — la défense et la diplomatie — comme une singulière erreur. C’est comme naviguer en pleine tempête sans sextant ou GPS et sans s’assurer d’avoir des gilets de sauvetage… Conçu pour donner des clés de lecture, des outils d’information, B2 va continuer donc d’accompagner cette évolution. En évoluant aussi et se transformant à sa façon.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : [Analyse] Ces dix mois qui ont changé la défense européenne. À son insu, de son plein gré

  1. Sont inclus le fonds défense, la mobilité militaire, le budget PESC (essentiellement missions PSDC) issus du budget communautaire et la facilité européenne pour la paix (avec les augmentations de plafond décidées en décembre) qui est hors budget mais alimenté par un budget obligatoire des États membres. Cela ne comprend ni l’EDIP à venir ni les dépenses pour les différentes structures militaires de l’UE (Etat-major, agence de défense, centre satellitaire etc.) qui dépasse les 80 millions € par an (soit un demi-milliard sur la période).
  2. Cela recouvre la sécurité intérieure, les frontières, la politique étrangère y compris l’élargissement, la protection civile, etc. Ne sont pas compris d’autres budgets civils mais à double usage, tels Horizon 2020 (Recherche), ITER (recherche nucléaire), ou le soutien à la communauté chypriote turque (qui dépend du budget Régions) etc.

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[Musique] Poutine, l’homme qui vit dans le passé, selon Pet Shop Boys

Mon, 13/02/2023 - 08:05

(B2) Le groupe de Liverpool nous avait habitué à une musique plus dance. Cette fois, ils ont choisi une musique toute douce. Un air lancinant. Quelques accords. L’intérêt est aussi un texte en forme de dénonciation d’un des hommes les plus puissants. Écoutez Living in the past

V. Poutine en plein sacre de la personnalité © Pet Shop Boys – extrait B2

The past isn’t even past

Cette chanson qui vient d’être publiée sur le site de Pet Shop boys (alias PSB), formé par Neil Tennant et Chris Lowe, vaut le détour. Elle se veut une réaction, à chaud, à la célébration par Vladimir Poutine début février à Volgograd (ex Stalingrad) des 80 ans de la victoire de la Seconde Guerre mondiale, dévoilant un nouveau buste de Staline. Un évènement qui avait troublé le groupe au point de susciter un virulent commentaire : « Stalin is back » sur leur site.

  • « J’arrive en ville où ils ont dévoilé un buste mon prédécesseur. Encore très discuté. Nous avons essayé de l’oublier. Ses crimes ont été catalogués. Mais dans les nouvelles circonstances, encore une fois, c’est un Dieu. Le passé n’est même pas passé. Cela fait combien de temps ça dure. »

Je veux que les hommes meurent avec mon nom sur leurs lèvres

On est loin ainsi du rythme syncopé, très dance de Go West des Villages People repris par PSB deux ans après la chute de l’URSS ou de Always on my mind. Fabriqué à la maison, comme une démo, et diffusé pour l’instant sur You Tube, le ton est moins enthousiaste aussi. Il fait référence à une autre actualité, plus tragique, la sanglante offensive russe en Ukraine commencée il y a presque un an, le 24 février 2022.

  • « Je veux qu’ils me craignent comme tout le monde le craignait. Arrêtés et fusillés. Mais ils le vénéraient toujours. Comme lui, je vais gagner. Je ne serai pas éclipsé. Je veux que les hommes meurent avec mon nom sur leurs lèvres. Le passé n’est même pas passé. Cela fait combien de temps ça dure »

Il est trop tard pour perdre

Le duo de Liverpool, n’a jamais renié à la critique, sociale dans West End Girls ou sur l’éducation catholique, comme dans It’s the sin. Mais, là, il s’attaque à plus haut, au niveau international. Il se livre à une critique acerbe de la psychologie politique de Poutine : un être sans cœur, poursuivi par un désir personnel de prendre sa revanche, mû par une volonté de redonner à la Russie ce qu’était l’URSS hier.

  • « Je suis l’incarnation vivante d’un cœur de pierre. Un monument humain à la testostérone. Bien qu’à l’intérieur je sois mort, il est trop tard pour perdre. Je suis tout ce dont ils parlent sur leur nouveau cycle d’abus. Je suis là à tes frontières. Je ne vais pas abandonner. Aux nouveaux ordres mondiaux, je ne me soumettrai jamais. Appelez-moi un belliciste. Et je te donnerai une guerre. Dis que je suis un tricheur. Et je vais encore truquer le score. Il n’y a pas de défaite dont je répondrai. L’Occident est mort. Et ils en redemandent. Je vais tout récupérer l’ancien statu quo. Je me souviens comment c’était. Et je ne le lâcherai pas. »

(Nicolas Gros-Verheyde)

Traduction maison des paroles en anglais

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[Analyse] Le petit mensonge de l’Alliance sur l’aide humanitaire à la Turquie après le séisme

Sun, 12/02/2023 - 13:51

(B2) Le séisme en Turquie a pris à revers l’Alliance atlantique. L’organisation qui déroule habituellement son action, de façon linéaire, planifiée, s’est trouvée en fait bien dépourvue face à ce tremblement de terre qui nécessite d’envoyer rapidement hommes et matériels. Elle a bien essayé de prouver l’efficacité de son dispositif de réaction rapide (EADRCC). Au prix d’un artifice frôlant le mensonge.

Equipe de sauvetage bulgare à l’œuvre autour d’un bâtiment détruit par le séisme en Turquie (photo : ECHO – Protection civile bulgare)

Que dit l’Alliance ?

« Plus de 1400 membres du personnel d’intervention d’urgence de plus de vingt pays alliés et partenaires de l’OTAN – dont la Finlande et la Suède – sont déployés en Turquie pour aider à répondre aux tremblements de terre du 6 février » indique-t-elle dans un communiqué publié mardi. C’est vrai en effet. Il y a « plus de 1400 sauveteurs et 100 chiens de recherche » envoyés sur place dès le début.

Ce qu’omet de dire l’Alliance… c’est que cette aide a été principalement fournie dans le cadre du mécanisme européen de protection civile de la Commission européenne (1). En fait, selon nos informations, seuls deux pays (Islande et Azerbaidjan) ont répondu par l’intermédiaire du centre de l’OTAN. Tous les autres pays européens qui ont envoyé des secours — 26 pays de l’UE, + trois pays tiers (Albanie, Monténégro et Serbie) — ont préféré passer par le mécanisme européen de protection civile.

Une réalité d’autant plus difficile à admettre du côté de l’Alliance, que la Turquie — pourtant non membre de l’UE, mais participante au mécanisme européen de protection civile — a déclenché le mécanisme européen en premier. Car elle en connait son efficacité pour l’avoir tester à plusieurs reprises. Ce n’est que six heures après qu’elle a déclenché le mécanisme de l’OTAN.

Le pieux mensonge de l’OTAN

Quand l’OTAN affirme ainsi que le « soutien est fourni par l’intermédiaire du Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophe (EADRCC) de l’OTAN, le principal mécanisme civil d’intervention d’urgence de l’Alliance dans la zone euro-atlantique », on passe ainsi du pieux mensonge par omission, à l’affirmation mensongère. Surtout quand l’Alliance omet de dire un seul mot sur l’action de la Commission européenne (2). Un oubli d’autant plus étrange que les deux organisations se sont jurées, à travers les déclarations successives UE-OTAN, de coopérer, notamment dans des domaines civils.

La carte des interventions des équipes de sauvetage européenes source ECHO / B2

Pourquoi l’UE et pas l’OTAN ?

C’est simple, le mécanisme de protection civile de l’UE a plusieurs atouts. A commencer par son expérience, son étendue d’action… et son budget !

30 ans d’expérience

Accolé à l’office européen d’aide humanitaire, créé il y a trente ans, en pleine guerre de Yougoslavie en 1992, ce mécanisme créé en 2001, est aujourd’hui particulièrement rôdé. Il regroupe au-delà des seuls membres de l’Union européenne, huit pays du voisinage européen, dont la Turquie. Selon un principe assez simple : « tu m’aides un jour, je t’aide le lendemain ».

Un fonctionnement très civil

Il fonctionne de façon assez souple : une bourse d’échange entre le pays demandeur et les pays qui envoient hommes et matériels. Et selon un principe : la « neutralité » d’action. Son intervention se veut « apolitique », « civile » et est surtout « inodore ». Chaque pays peut ainsi revendiquer l’aide envoyée comme nationale et purement civile (même si elle est souvent assurée par des militaires). À travers l’OTAN, l’aide apparait immédiatement comme très politique et très militaire. Logique le rôle de l’OTAN reste une organisation politico-miltaire, à la différence de l’UE, organisation politico-civile.

Une salle de crise rôdée aux catastrophes de tous genres

Sa salle de commandement 24 h / 24 (alias ERCC) gère régulièrement toute une série d’urgences : des feux de forêt l’été aux séismes ou catastrophes technologiques, telles l’explosion du port de Beyrouth (lire dossier N°86. L’Europe face à la crise du Liban après l’explosion du 4 août 2020), en passant par la crise du Covid-19 ou les guerres (lire : Aide humanitaire, protection civile et Medevac. Le plan de l’aide européenne pour l’Ukraine).

Un puissant atout financier

Le mécanisme de l’UE a surtout un argument sacrément efficace : argent et organisation. Doté d’un budget conséquent (3), il permet de financer une bonne partie des coûts : 75% des coûts de déploiement opérationnel (notamment transport des matériels et des équipes) sont pris en charge dans le cas de la Turquie, a confirmé à B2 un responsable du sauvetage. Autant dire une sacrée incitation. Car le reste des coûts (salaires des personnels, etc.) est de toute façon à charge des États.

Une administration dédiée à la réponse de crises

Le dispositif est aussi très rôdé. En 2021, il a ainsi été déclenché à 114 reprises. Autrement dit, une fois tous les trois jours. Géré par une direction générale de la Commission (la DG ECHO), il anticipe les crises, en passant des contrats cadres soit avec des ONG (pour l’aide humanitaire), soit avec des fournisseurs. Ajouté à cela, le dispositif de réserve d’urgence (RescUE) mis en place depuis 2019 et renforcé après la crise du Covid-19, permettant de disposer de plusieurs stocks ou services spécialisés pour répondre à certaines urgences (feux de forêts, médical, NRBC).

Commentaire : un jeu bien puéril

On peut comprendre pourquoi un État, même membre de l’Alliance, préfère passer par le dispositif UE que par le dispositif OTAN. Celui-ci ne disposant ni de cette organisation ni de ce budget. Entre les deux, c’est un peu la comparaison entre un club de football professionnel et un club amateur des copains du dimanche. Il n’y a pas photo. Plutôt que de faire abstraction de l’Union européenne, de manière assez puérile, l’OTAN aurait tout intérêt à la mettre en avant pour vanter la bonne coopération qui règne (même si elle existe peu en l’espèce) entre les deux organisations. Au lieu de cela, on est dans une espèce de « marquage à la culotte », particulièrement pitoyable, d’autant plus grave en pleine période de tension Russie-Occident, où la désinformation fait rage. L’Alliance ne voudrait pas donner pièce à la Russie qui accuse régulièrement l’OTAN de mentir sur la guerre en Ukraine, qu’elle ne s’y prendrait pas autrement…

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Plus de 1400 sauveteurs et 100 chiens de recherche, 29 équipes de recherche et de sauvetage, 6 équipes médicales selon le communiqué de l’UE.
  2. Interrogé par nos soins l’OTAN s’est révélé incapable de détailler pays par pays, le nombre sauveteurs envoyés. Avouant que ce nombre a été « compilé sur la base des annonces officielles turques et alliées ».
  3. La protection civile dispose de 3,3 milliards € sur la période budgétaire de sept ans, soit près d’un demi-milliard € par an en moyenne, dont 170 millions d’euros pour le seul dispositif feux de forêts de RescUE en 2023. Quant au budget à l’aide humanitaire, il se monte à 1,7 milliard en 2023.

Lire nos fiches (réservées aux adhérents) :

— RescEU. La réserve en renfort pour les urgences civiles (fiche)

— Le mécanisme de protection civile. Une petite révolution. Capacités et porte-monnaie

Dans la salle de crise de la Commission européenne, à l’heure du Coronavirus

Mis à jour 12.2 23h50 – nombre de pays européens intervenants + la carte d’intervention

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[Réflexion] Ukraine. Les Européens sont-ils en guerre contre la Russie ?

Thu, 09/02/2023 - 10:05

(B2) Un an après le début de l’intervention militaire massive de la Russie en Ukraine (le 24 février 2022) et du soutien tout aussi massif des Européens à l’Ukraine, on peut légitimement se poser la question aujourd’hui. Éléments de réflexion.

Arrivée de véhicules donnés par les Européens en Ukraine (Photo : SEAE – Josep Borrell)

Pour y voir clair… reprenons la définition de Clausewitz, le théoricien de la guerre moderne : « la guerre est 1. un acte de violence dont 2. l’objectif est de contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté (…) Pour atteindre cette fin avec certitude 3. nous devons désarmer l’ennemi ». La guerre conduit à monter « aux extrêmes », il s’agit d’avoir un emploi « illimité de la force », mais aussi d’avoir un « calcul des efforts » nécessaires et une « escalade mesurée ».

Ces éléments (objectif, moyens, tempo), sont-ils remplis ? Pour en avoir le cœur net, examinons les moyens mis en œuvre par les Européens (et plus généralement par les Alliés).

1. La volonté politique. La désignation de l’adversaire est très claire. La Russie, son gouvernement, sont désignés explicitement comme l’initiateur du conflit : « une guerre d’agression non provoquée et injustifiée menée par la Russie contre l’Ukraine », une « invasion » selon la terminologie consacrée. Elle est considérée comme responsable de la plupart des crimes de guerre, sur ordre, voire même d’un génocide. Et ses dirigeants doivent être jugés pour ses faits. D’où l’idée d’un tribunal international ou d’un tribunal spécial pour juger ses dirigeants.

L’objectif de contraindre l’adversaire à exécuter la volonté est aussi clair. Les Européens affirment régulièrement leur volonté d’ « augmenter la pression collective sur la Russie pour qu’elle mette fin à sa guerre et retire ses troupes ». Ils se disent tout aussi régulièrement aux côtés de l’Ukraine : « l’UE soutiendra l’Ukraine et le peuple ukrainien contre [cette] guerre […]  aussi longtemps qu’il le faudra ».

Et le but de cette pression est aussi clair : la libération de tout le territoire dans « ses frontières internationalement reconnues ». Autrement dit : tout le Donbass, voire la Crimée. Les Européens rappelant leur « attachement indéfectible à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de [ces] frontières ». NB : les citations, tirées de la déclaration commune lors du sommet UE-Ukraine du 3 février seront reprises ce jeudi (9 février) lors du sommet européen à Bruxelles en présence du président ukrainien V. Zelensky.

  • Une position de l’Alliance atlantique. Si les Alliés (Européens et Américains) ont désigné la Russie comme un adversaire, ils ont évité de le faire de façon trop voyante. Mais ceci est un artifice politique. C’est bien l’Alliance atlantique en tant qu’être politique, reliant les différents pays européens membres de l’OTAN, et apparentés (Finlande, Suède, etc.) qui est engagée aujourd’hui aux côtés des Ukrainiens tout autant que l’Union européenne et ses États membres. Avec une exception singulière : la Turquie.

2. La pression économique. Elle est très claire, forte et assumée. Avec près de dix paquets de sanctions (dont le dernier devrait être présenté si non approuvé d’ici le 24 février), l’objectif n’est pas juste d’adresser un signal politique. Il s’agit de mettre à bas une partie des ressources économiques et technologiques russes. Il s’agit de miner la capacité militaire de la Russie d’agir en Ukraine, ou au moins de ralentir ses efforts, en coupant tous les flux financiers et économiques européens. Bref de la « désarmer » au sens classique du terme, mais par des moyens « pacifiques », du soft power : l’économie, en lui coupant les vivres.

3. Le soutien militaire massif assumé. Ce soutien passe par une panoplie vaste d’équipements : des munitions aux pièces d’avions de chasse, en passant par les missiles portatifs, les chars, les soutiens d’artillerie, la défense aérienne, ou l’essence, … les Alliés ont de façon graduelle augmenté, et surtout assumé, cette assistance militaire.

Le montant aujourd’hui n’est négligeable. On atteint près de 12 milliards € du seul côté européen. Soit un milliard € par mois en moyenne. C’est grosso modo la moitié du budget d’équipement de l’armée française. Dont 3,6 milliards € sont financés en commun via la facilité européenne pour la paix (FEP).

La décision récente de Berlin et Washington de livrer des chars Leopard et Abrams (lire : Les Alliés vont équiper une brigade blindée ukrainienne. Le club des chars Leopard se met en route), et Londres les Challenger n’est pas en soi révolutionnaire. Elle s’inscrit dans un continuum qui a commencé dès le début par la livraison de chars lourds de fabrication soviétique (type T-72, plus de 400 livrés).

La nouveauté est ailleurs : elle se trouve plutôt dans la médiatisation et dans la volonté affirmée d’agir en coalition. Là où auparavant, chaque pays avait une politique variable de médiatisation — de la discrétion latine à l’outrance polono-britannique. Et où chacun prenait bien soin de préciser que c’étaient des décisions nationales.

4. Un soutien affirmé dans la formation de l’armée ukrainienne. Ce soutien n’est pas anecdotique. Européens et autres alliés (Royaume-Uni et USA) veulent former plusieurs brigades ukrainiennes pour les préparer dans un temps express (deux mois maximum par rotation) au combat.

Un effort massif inégalé dans l’époque moderne ! Côté européen, l’objectif de 15.000 (d’ici mai) au départ a été relevé à 30.000 hommes formés d’ici l’automne 2023. Idem côté britannique et côté américain. L’objectif est bien de doter les forces ukrainiennes des effectifs nécessaires pour faire face à une offensive russe comme de recompléter ses effectifs perdus au combat (environ 100.000 hommes décédés ou blessés hors de combat).

5. Un soutien en renseignement. La discrétion est de mise dans ce domaine. Mais elle est avérée. Les moyens satellitaires européens (français, allemand, britanniques) et américains sont utilisés pour fournir des renseignements précieux aux forces ukrainiennes.

C’est une partie de la puissance de renseignement alliée mise au service des Ukrainiens qui leur permet d’avoir une perception de la zone de combat complète, avec ses propres “capteurs” de terrain (renseignement humain notamment), assez efficaces (de la baba ukrainienne avec son téléphone portable qui renseigne les sources locales aux analystes). Le renseignement ukrainien bénéficie sur place d’analystes européens.

  • Officiellement, il n’y a pas d’engagement de troupes au sol. Et les Européens veillent bien à ne pas donner le change sur ce point. S’il y a des Européens engagés aux côtés des Ukrainiens dans les troupes, ce sont des actes individuels. Et la présence de forces spéciales, dans le cadre notamment de soutien en renseignement ou en “formation”, reste souterrain (c’est le principe même de ces forces : ni vu, ni connu). Mais il y a bien des “officiers de liaison” auprès des forces ukrainiennes, afin de faciliter non seulement la livraison de matériels et d’équipements, mais aussi d’essayer de coordonner la stratégie.

6. Placer l’Ukraine hors de portée de l’influence russe. Cette pression politique, militaire et économique sur la Russie se double d’une volonté politique et économique « d’arracher » l’Ukraine à la domination et l’influence russes. Une volonté commencée en douceur en 2014 avec la signature d’un accord d’association qui se double aujourd’hui d’une promesse d’adhésion à l’Union européenne. Un processus accéléré ! Avec la déclaration de la reconnaissance de pays candidat en quelques mois. Le tout accompagné d’un soutien financier net (environ 1,5 milliard € par mois en soutien budgétaire, 18 milliards pour 2023), en passant par l’association de l’Ukraine à vitesse accélérée aux instruments européens. On assiste ainsi à une réorientation en urgence des réseaux ukrainiens (train, électricité, route, etc.) aux réseaux européens, jusqu’à l’insertion de l’Ukraine dans l’espace de roaming téléphonique européen.

La guerre... ou la paix

Si on revient à la définition classique de la guerre donnée par Clausewitz, on voit que certains éléments sont bien là : le but de « contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté », la « recherche du renversement de l’adversaire », de le « désarmer », le « calcul des efforts nécessaires », etc. Mais il reste tout de même une absence notable : on ne peut pas dire qu’il y ait un acte de « violence » de la part des Européens envers la Russie ni de volonté « d’usage illimité de la force ».

Sans être belligérant — la notion de cobelligérant est très floue : on est belligérant ou pas —, les Européens sont donc bien à mi-chemin de la belligérance, aux cotés clairement d’une partie en guerre (Ukraine), en utilisant tous les instruments à leur disposition (sauf la force militaire) contre l’adversaire de celle-ci (Russie). Sans aucune ambiguïté. Mais ils restent prudemment sous la limite de la guerre, se cantonnant à la légitime défense.

L’objectif final recherché des Européens n’est pas le renversement du régime en Russie (cf. encadré), mais bien son retrait d’Ukraine. C’est donc une singulière différence par rapport à la définition de la guerre classique. Il s’agirait plutôt d’une guerre hybride : utiliser tous les moyens, en restant au-dessous de la limite de la guerre ouverte. De fait à la guerre ouverte déclenchée par les Russes, les Européens et Alliés réagissent par des moyens hybrides.

On remarquera cependant que dans l’histoire de l’Europe moderne, à ma connaissance, jamais les Européens ne se sont engagés aussi clairement et aussi massivement en faveur d’un pays contre un autre. Même du temps des guerres yougoslaves, même s’il y avait un soutien, il restait plus ou moins discret (notamment pour le soutien militaire). L’intervention militaire au Kosovo sous couvert de l’OTAN est une exception. Mais elle a été courte et limitée dans l’espace, et n’était pas empreinte de la confrontation avec un membre du Conseil de sécurité de l’ONU doté de la puissance nucléaire.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Des nuances sur l’objectif final recherché

Entre la réduction du pouvoir russe et un retour à une normalité des relations

Pour certains pays — les balto-polonais —, il faut en terminer avec une Russie agressive, qui n’en finit pas d’intervenir dans son voisinage, et lui couper, définitivement, les ailes. D’où leur dureté dans tous les aspects de la pression contre la Russie et dans le soutien à l’Ukraine (sanctions économiques maximales, soutien militaire maximal, adhésion rapide de l’Ukraine à l’UE comme à l’OTAN). Une position justifiable (cf. ci-dessous). Pour d’autres (France, Allemagne, Italie), il faut limiter les ambitions de la Russie, mais trouver un nouveau mode d’équilibre avec ce qui reste néanmoins un voisin. Un point de vue rejoint, peu ou prou par les USA, qui ont un autre impératif stratégique : éviter la constitution d’un bloc sino-russe et contrer la montée douce de l’impérialisme chinois.

La Russie intervient dans son voisinage

Quand on jette un regard en arrière sur la liste des interventions russes (et URSS), elle est frappante. Les troupes russes interviennent régulièrement dans leur voisinage. Deux interventions majeures durant la guerre froide : 1956 Hongrie, 1968 Tchécoslovaquie. Et cinq interventions depuis la chute du mur de Berlin : 1992 Moldavie (guerre de Transnistrie), 1992-1993 Géorgie pour l’Abkhazie (avec plus de 20.000 morts civils et militaires) et l’Ossétie du Sud, 2008 Géorgie de nouveau pour l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, 2014 Ukraine (Crimée et Donbass), 2022 Ukraine (toutes zones). Soit une intervention tous les dix ans en moyenne. Et une accélération nette depuis 2007 (tous les six-huit ans). D’où l’inquiétude des pays d’Europe de l’Est (Pologne, Baltes et Roumanie particulièrement), plutôt compréhensible.

Si on contrebalance cela par les interventions de l’OTAN dans le « voisinage » russe (ou ce qu’elle considère comme son voisinage), on peut comptabiliser trois interventions majeures visant à un changement de régime (regime change) : le Kosovo 1999, l’Afghanistan 2001, la Libye 2011. Ces deux dernières n’étant pas vraiment couronnées de succès. NB : l’intervention en Iraq 2003 comme en Syrie 2012 ne peuvent être considérées comme du voisinage, mais sont plutôt des zones d’adversité confrontationnelles.

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[Editorial] Le Qatargate, une très bonne nouvelle finalement ?

Mon, 09/01/2023 - 09:05

(B2) La révélation de la corruption possible de plusieurs députés, ou anciens eurodéputés, et de leurs assistants parlementaires, par le Qatar ou le Maroc, révèle une démocratie qui fonctionne. À plus d’un titre.

Le siège du Parlement européen à Bruxelles, côté rue Wiertz (© NGV / B2)

Les processus anti-ingérences ont fonctionné

Premièrement, on peut se réjouir d’une certaine efficacité des processus anti-corruption, y compris quand il s’agit d’ingérence étrangère. Certes il y a eu défaillance des processus internes de prévention au niveau politique. Ceci devra être réparé. Mais le dispositif de contrôle a posteriori, policier et judiciaire, notamment en Belgique et en Italie, a bien fonctionné (lire : [Actualité] Arrestations à Bruxelles pour corruption au Parlement européen. Le Qatar en ligne de mire). C’est finalement la logique même de la corruption, qui est avant tout un crime et doit être traité comme tel.

Une sphère d’influence internationale

Deuxièmement, il souligne le rôle non négligeable du Parlement européen, au niveau de la politique extérieure européenne. Si à l’intérieur du continent, ces textes plutôt anodins, passent souvent inaperçus, sont incompris, laissés de côté, voire méprisés, y compris par les plus avertis. À l’extérieur de l’UE, ce n’est pas du tout le cas. Ces prises de position sont jugées à la hauteur de leur importance : notable. Nombre de gouvernements suivent de près ces textes et tentent de les influencer dans le sens qui leur est favorable.

Le baromètre de la relation avec un pays tiers

Derrière les mots, il y a en effet un risque réputationnel certain, mais aussi et surtout un risque d’amoindrissement des relations politiques, économiques, sociales. Ces textes sont ainsi autant de baromètres posés sur la relation entre l’UE et un pays tiers. Ce sera pour l’un la libre circulation des visas, pour l’autre un accord de partenariat, ou des participations à des projets économiques. Dans tous les cas, un bon niveau de relation avec l’Union européenne est pour une grosse majorité des pays du globe sinon une nécessité, du moins un « Plus » utile. Tous les moyens d’influence habituels pour tenter de sauvegarder leurs intérêts sont donc employables : charme, diplomatie, conviction politique, sympathie intellectuelle ou géographique, etc. L’Europe doit en avoir conscience et « blinder » sa diplomatie.

Deux erreurs à ne pas commettre dans l’opération mains propres

Dans cette opération « mains propres » à l’Européenne, il ne faudrait cependant pas, sous prétexte de transparence et de sauvegarde des intérêts, se tromper de combat.

Considérer que ces prises de position sont toutes truquées ou ne servent à rien, serait dommageable. Ce serait ne plus permettre au Parlement européen de jouer tout son rôle dans la diplomatie « douce » qui est son domaine de prédilection, de prendre des positions plus déterminées parfois que les politiques européens en condamnant telle violation des droits de l’Homme.

Interdire tout contact entre parlementaires et les pays tiers serait une autre erreur. Au contraire, ils doivent être permis, voire même encouragés. Ce n’est pas en interdisant à tel diplomate de venir dans les couloirs du Parlement qu’on empêchera la corruption ou les jeux d’influence d’avoir lieu. Ces contacts auront lieu ailleurs, dans les bars entourant la place Lux’ ou le rond-point Schuman par exemple, dans les lieux bien discrets des ambassades ou à l’étranger.

En revanche, une réglementation plus stricte des cadeaux ou invitations en tout genre, une publicité plus claire et systématique de tous ces contacts serait très utile. Une tentative de pression, de contact, rendue publique, suffit en général à annihiler le demandeur et préserve le receveur de toute pression ultérieur. Dans ce domaine, le Parlement européen est plutôt en retard sur les autres institutions européennes (Lire : Le QatarGate au Parlement européen : un séisme qui révèle des défaillances).

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire notre [Dossier n°96] L’affaire Qatargate et MarocGate éclate. Tempête sur le Parlement européen et [Actualité] Le Qatargate et le MarocGate : un véritable pacte d’influence !

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La défense européenne retrouve des couleurs en 2022… Bonne année 2023

Sat, 31/12/2022 - 19:22

Si vous n’avez pas encore lu notre article d’analyse sur les évolutions de ces derniers mois.. sur le Pro (article ouvert à tous) : Ces dix mois qui ont changé la défense européenne. A son insu de son plein gré

© NGV – campagne ukrainienne près de Tchernihiv – mai 2022

En vous souhaitant une excellente année 2023

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Le QatarGate au Parlement européen : un séisme qui révèle des défaillances

Mon, 12/12/2022 - 08:20

(B2) Une vice-présidente du Parlement européen incarcérée. Ainsi qu’un ancien président de la commission des droits de l’Homme. Un eurodéputé et plusieurs autres assistants parlementaires perquisitionnés, un syndicaliste de renom impliquéEn pleine Coupe de monde de football, la révélation que le Qatar a fait passer des valises de billets à des responsables européens pour influencer l’avis européen pose de nombreuses questions.

Une des mises en cause, la vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili rencontre le ministre du travail qatari Ali Bin Samikh Al Marri à Doha (photo : MOFA Qatar)

Une surprise totale

La procédure déclenchée par la police fédérale belge et le parquet financier contre plusieurs eurodéputés et assistants parlementaires a été une réelle surprise (lire : [Actualité] Arrestations à Bruxelles pour corruption au Parlement européen. Le Qatar en ligne de mire). Personne ne semblait au courant au sein de l’institution parlementaire, ni même dans la bulle européenne. Autant dire que les révélations des belges Le Soir et Knack, suivies très rapidement de la confirmation du parquet fédéral, suscitent l’émoi depuis quelques jours.

Des failles dans le fonctionnement parlementaire

Le fait que certains aient monnayé leur soutien avec une somme d’argent laisse planer plus qu’un malaise sur l’institution parlementaire. Elle sème d’autant plus la consternation que certaines des personnes impliquées directement (Pier Antonio Panzeri) ou indirectement (Marc Tarabella) jouissaient d’une excellente réputation de personnes très engagées sur l’Europe et les droits de l’Homme. Elle pose aussi nombre de questions sur les failles au sein de l’institution parlementaire, très soucieuse du respect de l’État de droit.

Un véritable séisme

Le Parlement européen se trouve confronté pour la première fois de son histoire face à une crise majeure, équivalente (toutes proportions gardées) à celle qu’avait subi la Commission européenne au moment de l’affaire Cresson à la fin des années 1990. Affaire qui avait entraîné la chute de la Commission Santer, et entraîné un net affaiblissement durant des années de l’exécutif européen… au profit des États membres.

Un lobbying ravageur

Ce qui n’est pas une surprise, en revanche, c’est l’intense lobbying mené par le Qatar. Si certains s’étaient exprimé très vite lors du vote de la résolution la dernière plénière (l’eurodéputée de la gauche Manon Aubry notamment ou celui de Renaissance, Pierre Karleskind), ils n’étaient pas légion à l’époque. Les langues commencent à se délier, aujourd’hui. Un peu tard. Le mal est fait. La Commission européenne semble aussi très perméable au lobbying efficace du Qatar (1).

Le Qatar, le Maroc et les autres

Doha n’est pas le seul pays à mener un tel lobbying. Régulièrement, les échos se font de la pression de plusieurs pays, sensibles aux prises de position du Parlement européen. Un paradoxe certainement. Mais à l’extérieur de l’Union européenne, les prises de position du Parlement européen sont surveillées de près, comme du lait sur le feu, par les chancelleries étrangères. Ce n’est pas un secret que des pays comme le Maroc, la Turquie ou les républiques d’Asie centrale — le Kazakhstan en tête… (lire : Les drôles de pratiques d’un Etat d’Asie centrale à Bruxelles) comme l’Azerbaïdjan — mènent un lobbying très actif pour défendre leurs intérêts et sont parfois à la limite de la légalité (2).

Des faits dénoncés par l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann (Place Publique / S&D) dans un entretien à B2 en mars dernier : « Si la Russie a mené les ingérences de manière la plus brutale et systématique, derrière il y a en a d’autres. Je pense au Qatar. C’est un autre problème fondamental d’avoir à ce point laissé le Qatar faire un marché dans la classe politique. Il y a aussi la Turquie, l’Azerbaïdjan » (lire : Ingérences étrangères. Russie, Chine, Qatar… L’Europe n’a qu’à bien se préparer (R. Glucksmann)).

Chine, Russie et USA

Les pressions de la Chine et la Russie, utilisant toutes les méthodes, y compris l’espionnage et l’entrisme, ont été bien décrites récemment (lire : Le Parlement européen ferme ses portes aux lobbys russes). Mais même des pays dit « amis », comme les États-Unis font entendre puissamment leurs voix, convoquant presque les eurodéputés, en cas de mise en danger de ce qu’ils considèrent leurs intérêts (lire : Les États-Unis déclenchent une opération de lobbying pour miner le Fonds européen de défense).

Une révolution à produire au sein du Parlement

Si on discute avec des députés individuellement, certains relatent régulièrement ce type de pression, d’autres les taisent, gênés ou peu soucieux de s’épancher sur ce qui constitue leur vie ordinaire. Cette réalité, le Parlement européen doit désormais la prendre à bras le corps. Il pourrait, par exemple, créer un office anti-lobby permettant à ses députés de dénoncer toutes ces tentatives. Regrouper ces pressions multiples dans des rapports rendus publics, régulièrement, au besoin par communication de presse, serait un premier moyen pour tenter de diminuer la pression (3).

Convoquer les ambassadeurs des pays faisant trop pression

Au besoin, la présidence du Parlement européen, et les autorités européennes, pourraient aussi utiliser tous leurs pouvoirs — comme le ferait n’importe quelle assemblée ou État objet d’une tentative d’infiltration. Des lettres pourraient être adressées aux impétrants, voire rendues publiques. Rien n’interdit non plus de convoquer les ambassadeurs qui œuvrent de façon cachée, voire en monnayant leurs services. De façon conjoncturelle, en toute logique, l’ambassadeur du Qatar auprès de l’UE devrait quitter son poste, ou son rappel être demandé aux autorités de Doha.

L’importance du Parlement européen

Cette affaire révèle aussi un point fondamental. Les résolutions que vote et débat l’assemblée parlementaire, dans un silence parfois assourdissant, ont une importance que nombre de médias ignorent ou sous-estiment. C’est un point que j’ai pu vérifié régulièrement, avec tous les journalistes de B2. Dès qu’on est en contact avec un diplomate hors de l’Union européenne, il se préoccupe de façon très importante de la position du Parlement européen qui a une énorme résonance au-delà des frontières (lire : [Décryptage] Les résolutions d’urgence du Parlement européen, une voix diplomatique off qui dérange).

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Quand vous lisez attentivement le débat sur la résolution, on peut s’apercevoir que la position prise par les socio-démocrates — certes il y a des problèmes au Qatar, mais celui-ci a fait d’énormes progrès — a été celle, mot pour mot, de la Commission européenne. La commissaire européenne (pour la Santé), la Chypriote Stella Kyriakides (PPE), intervenue sur le sujet — au nom de la Commission — a été plus que prolixe pour louer les mérites du Qatar. Et les rencontres sont nombreuses entre les différents responsables du Qatar et le vice-président de la Commission, Margaritis Schinas (ND/PPE).
  2. Lobbying finalement toléré car l’Europe a besoin plus que jamais du Qatar ou du Kazakstan, pays fournisseurs de matières premières (gaz, pétrole, etc.).
  3. Certains évoquent une autorité indépendante chargée de suivre les délits financiers. Cet organe existe : l’OLAF, l’office de lutte anti-fraude, créé en 1999, après l’affaire Santer.

Lire aussi :

Ingérences étrangères. Russie, Chine, Qatar… L’Europe n’a qu’à bien se préparer (R.Glucksmann)

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Les exclus et confidentiels de B2 cette semaine

Fri, 09/12/2022 - 21:25

(B2) Parus sur B2 Pro ces derniers jours

La Facilité européenne pour la paix va être regarnie. Un accord se dégage entre les 27. La discussion, les modalités d’un accord. Tous les chiffres et points de discussions.

[Confidentiel] La Facilité pour la paix va être regarnie. Un accord se dégage entre les 27

La présidente de la sous-commission Défense du Parlement européen Nathalie Loiseau a remporté une victoire en obtenant une égalité de traitement avec la commission Industrie. Conséquence : l’examen d’EDIRPA, le fonds de l’Union européenne pour l’achat en commun de matériel de défense peut enfin commencer au Parlement européen.

[Confidentiel] EDIRPA : l’examen peut (enfin) commencer au Parlement européen

La Suède dans les starting-blocks. À quelques jours de la prise de fonction par Stockholm de la présidence du Conseil de l’UE, il est intéressant de voir ce qu’ils pensent. En fait, à bien écouter Pål Jonson, la Suède repense sa défense en lien avec l’OTAN.

[Entretien] Entre UE et OTAN, le cœur des Suédois balance. Pål Jonson s’explique

Quel impact pour les sanctions européennes contre la Russie ? Comment la Commission européenne évalue les dommages causés, les conséquences sur les relations commerciales ? Sur quels critères sont choisis les secteurs à cibler ? Quid du double usage, des alternatives pour les Russes, des voies de contournement ? Tous les détails.

[Décryptage] Quel impact pour les sanctions européennes contre la Russie ?

Comment l’Europe reconfigure ses missions EUTM et EUCAP en Somalie à l’approche d’ici fin 2024 du départ des troupes africaines de maintien de la paix et de la reprise en main par la Somalie de sa propre sécurité ?

[Confidentiel] L’Europe reconfigure ses missions EUTM et EUCAP en Somalie

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100.000 militaires ukrainiens décédés ? La grosse bourde signée Ursula von der Leyen

Fri, 02/12/2022 - 11:35

(B2) En donnant le chiffre de plus de 100.000 militaires ukrainiens morts, dans une petite vidéo diffusée par tweet mercredi (30 novembre), la présidente de la Commission européenne a commis une triple bourde.

La capture photo de la vidéo dans laquelle U. von der Leyen annonce le chiffre (DR)
  • La vidéo originale a été ensuite retirée de Twitter et remplacée par une autre qui ne mentionne plus ce passage.

Une triple défaillance présidentielle

Premièrement, ce chiffre est faux. Les 100.000, ce ne sont pas les « officiers militaires décédés », comme le dit la présidente ! Ce sont toutes les personnes hors combat, donc décédées (au combat ou ailleurs, accidents, etc.), blessées gravement ou très gravement, celles qui ont été faites prisonniers, celles qui ont disparu, ou ont été exécutées par les Russes. Que ces personnes soient officiers (1) ou simples soldats, volontaires ou de la réserve territoriale, policiers, douaniers, agents du renseignement (SBU, etc.) ou autres personnels officiels, nombreux à être au front ou frappés par la guerre. Et, encore, c’est une évaluation (2).

Deuxièmement, et c’est le plus grave, ce chiffre n’a jamais été révélé par les Ukrainiens (3). C’est même « secret défense ». Seul le président Volodomyr Zelensky (ou son entourage) a « le droit de communiquer sur ce sujet ». Un point confirmé à B2 par un responsable de l’armée ukrainienne (lors de notre déplacement à Kiev en mai).

Troisièmement, jusqu’à présent le chiffre a toujours été (très) minoré, sciemment. Dans un objectif classique en temps de guerre : maintenir le moral des troupes. Kiev communique ainsi allègrement sur les pertes russes, donnant jour après jour le décompte de leurs morts, jamais sur ses propres pertes. Et vice-versa.

Un dérapage mal contrôlé… Explications

L’objectif du tweet

Cette vidéo était surtout destinée à souligner les deux propositions faites quelques heures plus tard : sur la mise en place d’un tribunal international ad hoc pour juger du crime d’agression russe en Ukraine (lire : Tribunal international pour l’Ukraine : les idées de la Commission européenne) et pouvoir utiliser une partie des avoirs russes gelés par les sanctions de l’Union afin de financer la reconstruction en Ukraine (lire : Pour reconstruire l’Ukraine, la Commission propose de jouer en bourse les avoirs russes).

La communication fait faillir la politique

Comme c’est son habitude, la présidente de la Commission européenne a voulu anticiper ce qu’allaient dire “ses” commissaires en publiant, depuis son bureau, une petite vidéo avec quelques phrases choc. Une manière de communiquer qui fait grincer des dents, dans tous les étages du Berlaymont, le bâtiment qui abrite l’exécutif européen à Bruxelles, comme dans les rangs des journalistes (cf. encadré).

Vidéo retirée en urgence

S’apercevant de la bourde, le service du porte-parolat a rapidement retiré la vidéo, pour la remplacer quelques minutes plus tard, par une autre, où le passage incriminé ne figure plus. Celui-ci ne figure d’ailleurs pas dans le transcript fourni ensuite à la presse.

Tentative de justification

La copie écran du tweet de Dana Spinant

La porte-parole adjointe de la Commission européenne, Dana Spinant, appelée à la rescousse, publie rapidement un tweet, plutôt lunaire, sans aucune excuse : « Un grand merci à ceux qui ont souligné l’inexactitude concernant les chiffres dans une version précédente de cette vidéo. L’estimation utilisée, à partir de sources externes, aurait dû faire référence aux victimes, c’est-à-dire à la fois tués et blessés, et visait à montrer la brutalité de la Russie. »

Des arguments peu crédibles

Interrogée ensuite par la presse, lors du “midday briefing”, l’exercice quotidien de questions-réponses de la Commission européenne avec la presse bruxelloise, Dana tente, tant bien que mal, de justifier sa patronne : « Ce sont des chiffres externes mis dans le domaine public. La Commission [européenne] n’a pas ses propres chiffres là-dessus (4). Nous avons considéré, rétrospectivement, qu’il ne fallait pas entrer dans la discussion des chiffres. C’est pourquoi nous avons expliqué, je pense clairement, que nous préférons retirer une première version de la vidéo. Et se focaliser sur une deuxième version sur des sujets de substance […] Il n’y a donc pas lieu de rediscuter des chiffres puisque nous avons admis qu’il n’était pas fructueux de s’occuper d’en discuter. » (5)

La leçon : une bourde (très) difficile à justifier

Pour une ancienne ministre de la Défense, ce type de bourde est réellement impardonnable ! Cela révèle les limites du personnage qui soigne sa communication, préférant communiquer à coups de tweets et petites vidéos (souvent diffusées avant l’annonce officielle d’évènements par « ses » commissaires) que lors de rituelles conférences de presse, où elle pourrait être désarçonnée par quelques questions imprévues (et à laquelle elle ne peut répondre).

Pour Ursula Von der Leyen, qui rêvait à un grand destin après son poste de présidente à la Commission en novembre 2024, éventuellement comme secrétaire générale de l’OTAN, cette bourde pourrait coûter cher. Honnêtement qui fera confiance à une personne qui quelques jours plus tard révèle l’information au grand public, juste pour se mettre en valeur ?

(Nicolas Gros-Verheyde)

La communication très contrôlée de von der Leyen. Ursula von der Leyen rechigne à l'exercice des conférences de presse générales, avant chaque Conseil européen, où toutes les questions peuvent être posées par tous les journalistes. Elle préfère des petits conciliabules avec une vingtaine de journalistes, triés sur le volet, où les questions sont bien contrôlées (gaffe à celui qui dépasse la ligne jaune, il ne sera plus réinvité). Mais, le plus souvent, elle fait des déclarations après un évènement (point VIP ou statement dans le langage bruxellois) ou elle publie de petites capsules vidéo, préparées soigneusement par son équipe de communication rapprochée. Un moyen d'éviter toute question, qui (apparemment) déstabilise cette femme, très politique, intelligente, très convaincue elle-même de l'importance de l'Europe, comme de la politique de défense européenne. Mais qui redoute, avant tout, de perdre le contrôle et de ne pas maitriser ses dossiers.
  1. Ce peut être une erreur de traduction, avec la confusion classique du terme “officers” (qui en anglais désigne soit les militaires, soit tous les agents de l’État).
  2. Car concrètement, en temps de guerre, où des centaines de milliers de personnels sont engagés, où le front bouge tout le temps, il est très difficile d’avoir une comptabilité précise.
  3. Le chiffre a été mentionné par le chef d’état-major des armées US Mark Milley, dans une conversation à l’Economic Club of New-York courant novembre. Mais son propos était si évasif et si contestable (sur certains chiffres). Parlant d’une possible « fenêtre d’opportunité pour la négociation », il justifie son propos par ceci : « il y a d’énormes souffrances humaines. Il y a peut-être 15, 20 30 millions de réfugiés (sic !), probablement 40.000 civils ont été tués. […] plus de 100.000 [militaires] russes tués et blessés. Et, sans doute, la même chose coté ukrainien ». (script et traduction : NGV)
  4. Ce qui n’est pas tout à fait exact… Le chiffre indiqué semble plutôt provenir d’une analyse “maison” faite par l’IntCen (le centre d’analyse du renseignement du SEAE, le service diplomatique européen) qui produit régulièrement des synthèses d’analyse du renseignement, à partir de sources ouvertes (généralement), mais aussi d’informations fournies par les États membres. Des informations classifiées au plus haut niveau, destinées uniquement à un cercle très restreint de personnes au sein de l’Union européenne (Haut représentant Josep Borrell, président du Conseil européen Charles Michel, structures militaires de l’UE et présidente de la Commission européenne, le cas échéant).
  5. Transcript du point de presse du 1er décembre fait par l’équipe de B2 (merci Marion !)

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L’incapable Kadri Simson

Thu, 24/11/2022 - 17:05

(B2) Depuis le début de la crise du prix de l’énergie, la commissaire européenne chargée du dossier est plutôt invisible. Portrait.

La commissaire Kadri Simson sur le stand de la Commission européenne au Conseil des ministres de l’énergie jeudi (24 novembre) (flux : EBS / Sélection NGV)

Une femme qui a la politique dans le sang

Un père, vétéran de la politique estonienne

De nationalité estonienne Kadri Simson est née un 22 janvier 1977 à Tartu. Son père, Aadu Most, est un professeur d’histoire bien connu. Avant l’indépendance retrouvée, il est un des responsables du Front populaire fondé par Edgar Savisaar. Le parti a été créé du temps de l’URSS et soutient le combat pour la Perestroïka et est l’un des organisateurs de la fameuse chaîne humaine formée entre les citoyens des trois pays Baltes (près de deux millions y participeront) le 23 août 1989 (cf. kesknadal). Autrement dit, un vétéran de la politique estonienne.

Artisan de l’indépendance estonienne

Aadu sera le représentant estonien à Stockholm, dans la Suède toute proche, en tant que chef du bureau d’information (une simili ambassade), juste avant l’indépendance qui voit l’Estonie s’émanciper de l’URSS. Membre du parti du Centre qui a succédé au Front populaire, il est élu ensuite régulièrement au Riigikogu, le parlement national. Il en est toujours membre, président de sa commission culture. Il a aussi été maire de Tartu de 2007 à 2015, avant d’en être éjecté par son parti.

Miss Tartu intéressée par la politique

Kadri entre en politique très tôt à l’âge de 18 ans, pour se battre contre l’enseignement payant. Réputée enfant sage, elle préfère discuter politique que faire la fête, comme elle le raconte à Postimees. Cela ne l’empêche nullement de devenir Miss Tartu en 1994. Une incartade de jeunesse, expliquera-t-elle. Elle adhère au Parti du Centre, comme son père. Et elle ne cessera d’y consacrer le maximum de son temps. En 1999, à 22 ans, alors qu’elle est encore étudiante, elle devient conseillère municipale à Tallinn, la capitale, puis devient la conseillère du maire nouvellement élu, Edgar Savisaar, qui sera un de ses mentors en politique, avant de devenir un concurrent.

Une des figures montantes au parti du Centre

Après un bachelor en histoire de l’université de Tartu en 2000, et une maîtrise d’histoire en 2002, la fille aînée de la famille part à Londres pour acquérir une maîtrise en sciences politiques à l’University College of London en 2003. Connaissance qu’elle met immédiatement en pratique. En 2003, elle devient la secrétaire générale du parti Centre, auprès de son président l’ineffaçable Edgar Savisaar. Poste qu’elle occupe jusqu’à 2007, quand elle est élue au parlement. Elle est la cheffe du groupe Centre de 2009 à 2016.

L’heure de l’émancipation

La vie politique interne n’est pas de toute tranquillité. Le parti du Centre est ravagé de luttes intestines fratricides. Pourtant amis de longue date, Aadu et Savisaar,, se fâchent. Savisaar est accusé de corruption. Quand il est malade, et doit se faire opérer, Kadri saute sur l’occasion. Elle tente de ravir la tête du parti en 2015. « Je me soucie de la santé de Savisaar et ait donc décidé de lui offrir un soulagement en se présentant comme candidate », explique-t-elle, selon la radio estonienne. Avec un rien de zeste d’hypocrisie. Raté.

… et des règlements de compte

Le clan Savisaar se venge un an plus tard en tentant de saboter la réélection de Kadri à la tête du groupe parlementaire. La campagne interne est alors féroce et plutôt sale. Tous les coups semblent permis, relate la presse estonienne. Des soutiens de Kadri sont convoqués devant le comité d’honneur du parti accusés d’avoir soudoyés des voix. Et vice-versa. Tenace, ce qui est aussi un trait de son caractère, Kadri est réélue finalement.

Le firmament gouvernemental entaché de petites affaires

Miss Simson

En 2008, elle épouse Priit Simson, un journaliste de Eesti Päevaleht, son amour d’études. Elle a été avec lui sur les bancs à l’université de Tartu. Et il est à ses côtés quand elle fait ses premières armes en politique. Ils divorcent près de sept ans plus tard, en février 2015. Kadri garde cependant de cette union le nom de son mari, son nom actuel de commissaire, le préférant sans doute à celui de la famille, Most. Un geste d’émancipation par rapport au père.

Un compagnon de route plutôt embarrassant

Kadri ne reste pas seule longtemps. Elle trouvé une autre âme sœur en la personne de Teet Soorm, un homme d’affaires plutôt sulfureux mais séduisant, qui évoluait dans la famille des Simson. Président du conseil d’administration de HKScan, le plus grand éleveur de porcs du pays, c’est un homme en vue. Cela vaudra cependant très vite à l’intéressée des accusations de conflit d’intérêt. Kadri vient en effet d’accéder au gouvernement. Elle est depuis le 23 novembre 2016 ministre chargée des Affaires économiques et des infrastructures dans le gouvernement de coalition que forme Jüri Ratas (KESK) avec les sociaux-démocrates (SDE) et Pro Patria & Res Publica (IRL).

Un petit conflit d’intérêt

Or très vite, le gouvernement décide d’une aide exceptionnelle pour les agriculteurs victimes de la peste porcine. Teet Sorm a été un des principaux militants de cette aide, demandant même au gouvernement d’intervenir auprès de Bruxelles pour alléger les règles d’abattage des porcs. Le conflit d’intérêt parait patent au regard de la définition classique (1). Kadri nie pourtant tout en bloc estimant que la mesure étant publique, il n’y a pas conflit (2). Elle reste ministre durant deux ans et demi, jusqu’aux élections suivantes (jusqu’au 29 avril 2019). Dans la nouvelle coalition que forme Jüri Ratas avec le parti nationaliste et xénophobe EKRE en avril 2019, elle n’est pas renouvelée.

Fausses factures en série

La vie avec son compagnon l’expose constamment (3). Teet Soorm est mis en cause dans une nouvelle affaire. Cette fois par son ancienne entreprise HK Scan et sa filiale AS Rakvere Farmid qui lui reprochent d’avoir émis, avec plusieurs autres responsables de l’entreprise, de fausses factures pour se verser des dividendes et bonus supplémentaires. Le préjudice est estimé à 28 millions € entre 2013 et 2016. L’intéressé est débarqué de l’entreprise. Une plainte au pénal est déposée. Il est arrêté par la police en novembre 2017 pour détournement de fonds et de blanchiment d’argent, selon la TV estonienne. Le procès dure. Finalement, la procédure pénale se clôt près de deux ans plus tard, en juillet 2019, avec un accord amiable entre l’accusé et le procureur. La société est indemnisée du dommage subi. Le procureur renonce à la poursuite « faute d’intérêt public à poursuivre ».

Sauvé par le gong

Kadri échappe au pire, sauvée par le gong. Selon le dossier de plainte au pénal de HK Scan, elle a en effet participé à un voyage d’agrément facturé comme voyage d’affaires à la société, au moins une fois (en 2016 en Roumanie) comme le rapporte le tabloïd local Ohtuleht. L’arrangement tombe donc à pic. L’intéressée vient d’être proposée officiellement le 5 juin par le gouvernement estonien pour faire partie de la Commission européenne. Une promotion en forme de dégagement au loin. Le complexe Borgen en quelque sorte (4).

Déclaration formelle à zéro

Dans sa déclaration d’intérêt qu’elle a signé en tant que commissaire, Kadri Simson n’a mentionné aucun élément possible de conflit d’intérêt ni même d’interaction de sa vie personnelle. « Non applicable » est-il mentionné…

Une commissaire dépassée par la crise

Forte politicienne à Tallinn, faible à Bruxelles

Considérée dans ses mots comme une politicienne forte et à la langue acérée selon les mots du Postimees, le quotidien estonien, on ne peut pas dire que ses qualités aient irrigué la bulle européenne. Ses premiers pas à la Commission européenne ne la placent pas en haut des marches. Au contraire. Kadri Simson apparait fade, et voguant au gré de décisions qui semblent prises ailleurs.

Une connaissance des dossiers au raz des notes

Incapable de justifier la ligne politique suivie par la Commission européenne, elle reste au plus près de ses notes, démontrant ainsi par là sa faible maitrise des dossiers. En conférence de presse, c’est frappant : elle n’ose pas quitter des yeux les lignes de codes écrites par ses conseillers. Et quand une question est posée trop concrète, par exemple sur le mécanisme de limitation de prix du pétrole, elle se contente de grandes idées, ou détourne l’attention vers d’autres sujets.

La sécurité d’approvisionnement plus que les citoyens

Les prix de l’énergie semblent être en effet le cadet de ses soucis. Dès qu’on aborde des questions plus géopolitiques, comme la sécurité d’approvisionnement de l’Europe ou celles des pays voisins (Ukraine, Moldavie…), Kadri Simson se révèle en revanche, plus motivée. Presque fidèle à l’image qu’en dressent mes collègues estoniens : concernée, plus énergique, très politique. Il suffit d’écouter ses interventions face à la presse, notamment à la fin du Conseil des ministres de l’Énergie, le 25 octobre dernier ou ce 24 novembre pour s’en rendre compte, et surtout de regarder sa proposition d’un mécanisme de limitation du prix du gaz (cf. encadré) pour voir que la commissaire est en fait “incapable” au sens étymologique du terme (5).

(Nicolas Gros-Verheyde)

Un mécanisme inefficace

Le mécanisme de limitation du prix du gaz préparé présenté par la commissaire aux ministres de l’Énergie ce jeudi est si complexe et son seuil placé si haut qu’il est quasiment inefficace. « Si le mécanisme avait existé en août, il n’aurait jamais pu être déclenché » n’a d’ailleurs pas hésité à dire la ministre belge Tinne Van der Straeten, membre des Groen (les Verts flamands). « Ce n’est certainement pas une réforme structurelle ni une réponse à l’envolée des prix du gaz » renchérit sa collègue française Agnès Pannier-Runacher (Renaissance). Ce texte « est insuffisant » ajoute-t-elle, pointant l’incapacité de la commissaire à répondre aux besoins des Chefs. « La Commission a un mandat très clair du Conseil européen, je pense que c’est une bonne chose que de répondre point à point à ce mandat ».

  1. Toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction.
  2. Une autre affaire de conflit d’intérêt viendra émailler son mandat de ministre. Cette fois c’est le parti du Centre qui est en cause, un de ses soutiens les plus importants.
  3. Relation qui continue puisqu’une photo publiée sur le compte twitter montre dans les reflets de ses lunettes Teet Sorm selon la presse estonienne.
  4. Dans cette série danoise, la première ministre Birgitte Nyborg voit un bon moyen d’éloigner son rival dans le parti centriste de la politique nationale : le nommer commissaire européen.
  5. Dans une situation qui ne lui permet pas certaines choses.

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[Actualité] Un navire néerlandais pris en flagrant délit de transporter des armes vers la Libye

Thu, 10/11/2022 - 22:12

(B2) Le cargo MV Meerdijk, battant pavillon néerlandais, a été pris en flagrant délit de violation de l’embargo sur les armes vers la Libye.

Le Mv Meerdijk transportant au vu et su de tous les véhicules blindés (Photo : EUNAVFOR Med Irini)

Une inspection fructueuse des marins européens

L’information a été officiellement confirmée par l’opération maritime de l’UE, EUNAVFOR Med Irini, dans un communiqué, publié mercredi (9 novembre). L’inspection effectuée le 11 octobre sur le navire au large de la Libye a permis de découvrir des « dizaines de véhicules modifiés pour un usage militaire ». Le matériel a été saisi et le navire dérouté sur « un port européen » L’opération européenne n’a voulu donner aucun autre détail (1).

(Photo : EUNAVFOR Med Irini)

Une inspection effectuée en pleine coopération

L’inspection a été opérée par les marins grecs du navire-amiral de l’opération, le FS Aegean. Elle a été opérée sans opposition. « Les propriétaires et les gestionnaires ont pleinement coopéré à l’inspection par l’opération Eunavfor MED Irini et ont apporté leur plein soutien à leurs enquêtes » assure un responsable de la compagnie propriétaire du navire. Du côté de l’opération, on confirme cependant que les Pays-Bas, en tant qu’État du pavillon du navire, ont donné « sans délai leur consentement » à l’inspection.

Des véhicules de fabrication émiratis

Cette inspection a permis en effet de localiser des véhicules à usage militaire, apparemment du type de ceux fabriqués par le fabricant émirati. Apparemment des véhicules 4×4 blindés de type BATT UMG du fabricant américano-émirati TAG (The Armored Group). Ces véhicules sont non armés, mais ils peuvent très facilement être équipés de lance-grenades, voire de mitrailleuses.

Pour le compte des Émirats

Selon les informations maritimes en notre possession, le navire venait de Al Hamriyah aux Émirats arabes unis. Après avoir traversé le canal de Suez, il se dirigeait vers la Libye. Plus exactement l’Est de la Libye. Les Émirats soutenant le clan Haftar.

Dérouté vers Marseille

Le MV Meerdijk — qui appartient à la compagnie néerlandaise Vertom et a pour port d’attache Groninghen — a été dérouté sur le port de Marseille (lieu désigné dans le plan d’opération comme port de diversion). Il a été immobilisé cinq jours (entre le 16 et le 22 octobre), avant d’être autorisé à repartir, de poursuivre son voyage et ses activités. Il est arrivé ainsi à Poti en Géorgie le 30 octobre.

Le matériel saisi

Le matériel à bord a été saisi et déchargé au port, après inspection par des experts du comité sanction des Nations unies. « Aucune accusation n’a été portée contre l’équipage du navire, ni contre le propriétaire et les gérants », assure-t-on du côté du propriétaire qui plaide la bonne foi. Contacté par B2, « le propriétaire et les gérants » du MV Meerdijk  ont assuré prendre « très au sérieux leurs responsabilités », en se conformant à « toutes » les lois applicables et « à toutes » les sanctions. « Avant d’entrer dans les opérations de fret, le propriétaire et les gestionnaires s’efforcent toujours de s’assurer que tous les permis et documents nécessaires ont été délivrés par les autorités compétentes. »

Des précédents

C’est la seconde saisie du genre en moins de trois mois et la troisième depuis le début de l’opération. En septembre 2020, un tanker norvégien transportant du fuel à usage militaire avait été saisi (lire : Un navire soupçonné de violer l’embargo vers la Libye intercepté par l’opération Irini).

Le cas du MV Victory Roro

Le 18 juillet dernier, un navire battant pavillon de la Guinée équatoriale, le MV Victory Roro, avait été aussi arraisonné et dérouté sur un port européen. L’inspection menée par les marins italiens avait permis de découvrir des dizaines de véhicules conçus ou modifiés à des fins militaires destinés à la Libye. Sans grande surprise pour les spécialistes du trafic d’armes vers la Libye.

Un abonné à la violation de l’embargo

« Depuis longtemps, [il est] soupçonné de transférer du matériel militaire vers la Libye » affirme-t-on du côté d’EUNAVFOR Med Irini. Sous le nom de MV Luccello, battant pavillon des Comores, le navire avait ainsi été identifié par le groupe d’experts de l’ONU sur la Libye comme ayant livré des véhicules militaires début mars 2022.

… suivi à la trace

Il était donc suivi à la trace par les militaires européens. Il avait ainsi tout d’abord été localisé par un avion de la marine française, affecté à l’opération IRINI, « après avoir traversé le canal de Suez et pénétré dans la mer Méditerranée ». Sur mer, la frégate hellénique HS Themitokles avait, à distance, surveillé le navire durant sa route avant que la frégate italienne ITS Grecale ne prenne le relais pour effectuer l’inspection.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Documents :

  • le communiqué du 9 novembre 2022 sur le MV Meerdijk
  • le communiqué du 20 juillet 2022 sur le MV Victory Roro
  1. La veille, le 10 octobre, la Turquie avait refusé une inspection similaire pour un des navires portant son pavillon, le MV Matilde A.

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[Verbatim] Face à l’incertitude mondiale : l’Europe doit s’armer d’outils de souveraineté

Fri, 28/10/2022 - 06:03

(B2) L’Europe a-t-elle un avenir dans un monde tourmenté avec le retour de la guerre en Europe, la naissance d’une grave crise économique et l’émergence de puissances non occidentales ? Bruno Dupré est convaincu que Oui. À condition qu’elle se transforme, mise sur des instruments de force et s’engage pour rénover le multilatéralisme.

Retour à Toulon du porte-avions Charles-de-Gaulle (Photo : DICOD / Marine nationale – Archives B2)
  • Bruno Dupré est conseiller défense et sécurité au secrétariat général du SEAE, le service diplomatique européen. Il intervenait à Toulon lors des rencontres stratégiques de la Méditerranée à Toulon, fin septembre, organisées par la FMES.

Les temps de l’incertitude

« Nous sommes dans un grand moment d’incertitude. » Une incertitude sur la guerre en Ukraine, sur l’unité européenne, sur l’économie mondiale, sur les rapports de force entre grandes puissances, sur le positionnement des pays du Sud.

Le scénario le moins crédible en Ukraine gagne du terrain

Le scenario le moins crédible en février, la victoire de l’Ukraine, n’est plus impossible. Si l’Ukraine n’a pas gagné la guerre. La Russie l’a, elle, en quelque sorte déjà perdue, comme l’a dit le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères Josep Borrell. Mais il demeure une incertitude majeure : le président russe Vladimir Poutine peut-il accepter une défaite ? Il y a un risque non négligeable pour l’Europe, comme on le voit aujourd’hui, d’une escalade incontrôlable sur le territoire européen avec la mobilisation générale, la menace nucléaire, ou le sabotage comme sur le gazoduc Nord Stream reliant l’Allemagne à la Russie en septembre.

L’incroyable unité européenne testée cet hiver

« Il y a aussi une incertitude sur l’unité européenne. Ce qui s’est passé depuis février est incroyable. Nous avons assisté à une incroyable unité, unique dans l’histoire de l’Union européenne, avec plusieurs paquets de sanctions, trois milliards d’euros pour financer des armements, 19 milliards en tout en comptant l’aide financière. Le président russe [Vladimir] Poutine pensait que l’Union européenne n’oserait pas : les Européens n’oseraient livrer de l’armement, n’oseraient pas se dégager de l’emprise énergétique russe. Nous avons osé ! Pourtant l’unité est une chose fragile et on voit déjà combien elle est éprouvée au sein de l’UE. L’heure de vérité arrive avec l’hiver. »

Une incertitude économique

« Trois cycles se confirment : inflation, stagflation, récession. Mais s’agit-il d’une crise conjoncturelle économique, financière ou plus structurelle du capitalisme telle qu’il existe aujourd’hui ? La maison sociale brûle, celle de la solidarité. Et nous regardons ailleurs. »

Des rapports de force qui se cherchent entre grandes puissances

« Une alliance forte semble se dessiner entre Chine et Russie (la Russie devient un continent eurasiatique). Mais cette alliance est-elle durable ? Est-il de notre intérêt d’antagoniser la Chine, en la traitant en simple rival systémique comme certains nous poussent à le faire ? Faut-il, même si la Russie nous plonge chaque jour un peu plus dans l’horreur, rompre tout dialogue avec Moscou, et laisser dériver la Russie vers l’Asie ? » Points fondamentaux. « D’autant que les élections de 2024 en Russie comme aux États-Unis, et le XXe Congrès en Chine cette année, laissent deviner des changements en profondeur… Sans qu’il soit possible de dire dans quel sens. »

Un Sud attentiste

« Nous avons été choqués de voir l’absence de soutien de pays du Sud au vote à l’ONU (avec 40 pays qui se sont opposés ou se sont abstenus), des pays maintenus parfois à bout de bras par l’UE depuis plus 50 ans » lors des résolutions de l’Assemblée générale pour condamner l’attaque de la Russie sur Ukraine, et de l’annexion de quatre oblast. « Faut-il s’en étonner ? Ceci n’est pas leur guerre disent-ils. Et ils sont plus préoccupés par les conséquences que par les causes, reprochant au passage aux Européens le colonialisme ou leur racisme. Ne faut-il pas surtout écouter au lieu d’essayer de convertir. Car malgré tout ce qui nous sépare du Sud, nous partageons encore quelque chose de fort : le multilatéralisme. Le Sud ne condamne pas le multilatéralisme. Le principe de « une nation, une voix » est pour lui le seul moyen de se faire entendre. »

Une formidable opportunité pour l’Europe

Ce temps d’incertitude, de remise en cause des concepts de démocratie, de souveraineté, de capitalisme, de multilatéralisme est une aussi une « formidable opportunité » pour l’Europe « de se rénover ». Une opportunité « d’être moins naïf, plus autonome, plus clair dans les valeurs que nous défendons et plus efficaces dans notre détermination à ne pas être le terrain de jeux des grandes puissances ».

Les débuts de l’Europe dans la géopolitique

Sortir de la logique du chèque

« L’Europe est à ses débuts de la géopolitisation. Jusqu’à présent, elle faisait surtout de l’aide humanitaire et du développement. Il lui faut faire un tournant complet. Il y a tout un travail au niveau des institutions européennes pour sortir d’une logique du chèque et aller vers la logique du rapport de force.  L’Europe doit sortir du brouillard de la paix. Car nous sommes en guerre économique, financière, commerciale, militaire, systémique. »

Réduire les vulnérabilités

« Il nous faut réduire nos vulnérabilités, nos dépendances dans tous les secteurs clés, sensibles. Pas seulement sur le militaire, mais aussi sur les secteurs critiques : espace, énergie, digital, transport, santé. Nous devons développer une culture commune — comme avec la boussole stratégique », le livre blanc de spa sécurité et défense de l’Union européenne adopté en mars 2022. « Car ce sont autant de catalyseurs pour un alignement de nos politiques, de nos valeurs et de nos intérêts. Il est très important d’avoir un narratif : sans narratif pas de vision politique et sans vision politique pas de futur. »

Se doter d’outils de souveraineté

Ne pas être naïf, réduire les dépendances, « cela ne veut pas dire une Europe Forteresse ou du protectionnisme ». Plutôt, cela signifie « agir collectivement chaque fois que c’est possible et de façon autonome chaque fois que nécessaire. » Et avoir les outils pour cela. L’Europe a commencé le travail avec le « contrôle des investissements de l’étranger sur le territoire européen, la possibilité d’adopter des mesures anti-coercition, de nouvelles politiques industrielles (matières rares, matières premières critiques) ou la protection marché intérieur (surveillance des chaines d’approvisionnement, réserves stratégiques, réaffectation d’urgence des capacités de production), etc. »

La nouvelle bataille du lithium

Un exemple phare ! « Le lithium sera bientôt plus important que le gaz. Le problème est qu’un seul pays (la Chine) maîtrise quasiment tout le marché. Or, nous devons éviter une situation de dépendance comme actuellement sur le gaz ou le pétrole ». Un travail est en cours au niveau européen avec « des accords à ratifier avec le Chili, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, ceux à ‘avancer’ avec l’Australie et l’Inde. »

L’ADN européen : le multilatéralisme

« Il faut s’appuyer sur notre ADN : le multilatéralisme. C’est le cœur des valeurs de l’UE, avec le respect de la souveraineté territoriale, de la règle de droit, des droits humains, de la séparation des pouvoirs. […] Mais le multilatéralisme actuel a vécu. Le Conseil de sécurité des Nations unies ne représente plus l’équilibre global des puissances, les objectifs de développement (SDG) sont non efficaces, [laissant la place] au mini-latéralisme (G7, G20). À nous de rénover ce multilatéralisme, de mettre en place un système politique réformé qui régira demain les relations internationales. »

(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde, à Toulon)

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[Analyse] Une relation franco-allemande, difficile. Une Alliance des contraires nécessaire à l’Europe

Sun, 23/10/2022 - 20:35

(B2) L’annulation du conseil des ministres franco-allemands, prévu d’abord en juillet, puis à Fontainebleau, le 19 octobre illustre une relation difficile depuis l’arrivée d’une coalition tricolore en Allemagne et le second mandat d’Emmanuel Macron.

Image symbolique du couple franco-allemand : un Français qui parle, anime le débat ; un Allemand qui regarde à côté souriant, content de lui-même. Et entre les deux souvent un intermédiaire (ici le Néerlandais Mark Rutte) (Photo : Conseil de l’Union européenne)

Une alchimie personnelle qui ne prend pas

Entre un Olaf Scholz — qui peine à exister sur la scène européenne mais tient la barque malgré tout —, et un Emmanuel Macron — trublion de la politique et plus présidentiel que jamais —, le courant ne passe pas (1). Et même pas du tout ! Il y a peu d’alchimie personnelle, et même pas le respect minimal comme entre une Angela Merkel et un Nicolas Sarkozy ou un François Hollande.

Une dichotomie sur la guerre en Ukraine

Signe des temps, en pleine tension par la Russie contre l’Ukraine, les deux dirigeants n’ont pas réussi à aller ensemble à Kiev et à Moscou début février (lire aussi : Guerre russe en Ukraine. Emmanuel Macron a perdu la main. Le quadruple échec français expliqué). Il aura fallu ainsi attendre quatre mois — entre les deux tours des législatives françaises — pour que les deux dirigeants aillent de concert à Kiev, avec l’Italien Mario Draghi (2). Une situation qui tranche avec le passé (2).

Un tempo et un système politique différents

À Berlin, c’est une coalition formée de Sociaux-démocrates, Libéraux et Verts qui gouverne. Au terme d’un contrat qui fixe dans le marbre tous les éléments de la politique. Face aux imprévus, la coalition tangue, la ligne politique fluctue au gré des arbitrages gouvernementaux. Mais elle ne rompt pas. À Paris, le pouvoir d’Emmanuel Macron paraît intact. Solide en apparence, il a été fragilisé par les dernières élections et est minoritaire au parlement faute d’avoir pu conclure un accord de gouvernement. Le spectre d’une dissolution en cours de mandat plane… pas vraiment de quoi rassurer un pouvoir allemand.

Des divergences majeures sur l’économie et l’énergie

Sur le fond, aussi, tout divise ou presque. Le « mix » énergétique n’est pas le même, fondé sur le nucléaire en France, alors qu’il repos sur le gaz, le charbon et les énergies alternatives en Allemagne. Berlin a mis sur la table un plan de 200 milliards pour soutenir son économie, que personne dans l’Union européenne ne peut suivre. Mais il refuse l’équivalent au plan européen financé par la dette. Les Latins, avec le soutien français, veulent plafonner les prix de l’énergie. L’Allemagne en tête d’un groupe, refuse, par peur de voir la sobriété énergétique s’envoler. La France ne veut pas taxer les superprofits car c’est contraire à l’esprit pro-business d’Emmanuel Macron. Ce sujet divise la coalition à Berlin. Etc, etc.

Une défense commune en morceaux

Du côté défense, les divergences s’affirment. L’Allemagne a décidé de réinjecter 100 milliards € dans sa défense. Et, fort de sa tradition industrielle, ne veut plus s’en laisser compter par son voisin français. La plupart des projets industriels développés en commun font naufrage, de l’avion de patrouille maritime, disparu des radars, au projet de char, embourbé. L’avion du futur (SCAF) peine à décoller. Mais c’est surtout au niveau structurel que les différences s’affirment. Un non-dit d’équilibre entre France et Allemagne est en passe de briser (lire : [Décryptage] Au coeur de la crise franco-allemande, la Défense)

L’Alliance des contraires obligatoire pour l’Europe

Or le couple ou tandem franco-allemand, cette « alliance des contraires » (3) constitue un élément-clé de la politique européenne. Quand la France et l’Allemagne ne se comprennent plus ou ne s’entendent plus, surtout des sujets économiques (ou l’énergie aujourd’hui). Et la machine européenne se grippe. Cela a toujours été ainsi, se remémore un vieux routier des sommets européens, le Luxembourgeois Jim Cloos, ancien haut fonctionnaire européen. Et aucune alternative n’a jamais émergé. Tous ceux qui ont essayé de construire s’y sont cassés les dents. Car quand les deux capitales sont d’accord, « chacun s’y retrouve en Europe ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Les différences structurelles sont connues : État unique contre fédération d’États, régime présidentiel contre régime parlementaire, majorité unique contre coalition politique, pays agricole avec de grosses entreprises d’État contre pays industriel fort d’un tissu de PME, pays sans peur de la dette contre pays qui se l’interdit, etc. etc. les différences ne sont pas mineures.
  2. Le couple franco-italien est apparu plus soudé que le couple franco-allemand. La photo publiée entre les trois dirigeants dans le train est éloquente. On y voit un Macron et Draghi coude-à-coude, dans une complicité qui n’est pas feinte, face à un Scholz plus distant.
  3. En 2008, au sommet de l’OTAN à Bucarest, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy bloquent de concert l’adhésion rapide de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN. En 2014, au plus fort des émeutes de Maidan, les chefs de la diplomatie française (L. Fabius), allemande (F.-W. Steinmeier) et polonaise (R. Sikorski) sont ensemble à Kiev pour négocier avec Ianoukovich. Le couple Merkel-Hollande prend ensuite à bras le processus de négociation russo-ukrainien (lire notre dossier N°51. Les accords de Minsk. La négociation en format Normandie entre Russie et Ukraine).

Version enrichie d’un article parue dans Sud-Ouest le 21 octobre

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Le pont de Kerch vers la Crimée explose. Camion piégé ou attaque combinée ?

Sat, 08/10/2022 - 19:03

(B2) Le pont de Kertch reliant la Crimée avec la Russie a été détruit partiellement ce samedi (8 octobre) au matin. Si la méthode reste encore à déterminer, on semble bien dans le cadre d’un sabotage bien organisé… par les Ukrainiens.

Le pont de Kerch détruit (Photo : VK – Osint – Sélection B2)

La version russe : un camion piégé

Officiellement, côté russe, on met en cause un camion qui aurait explosé et fait effondrer une partie du pont et enflammer la voie ferrée au-dessus juste au moment où passait un train de marchandises.

Une version difficilement crédible

D’une part, il est difficile de croire qu’un simple camion piégé arrive à faire des dégâts de cette nature, au-dessous ou au-dessus. L’effondrement complet de la chaussée (une des bandes à deux voies) sur plusieurs endroits distincts, avec une partie de la structure soulevée vers le haut et une autre partie (ciment, fer et asphalte) plongeant dans la mer parait difficilement explicable par une explosion d’un camion en surface. Celle-ci aurait dû provoqué un cratère puissant avec des traces importantes sur la route.

L’hypothèse d’une mine placée et déclenchée à distance sur un ou plusieurs endroits du pont semble donc plus plausible. Mine déclenchée au besoin par un drone sous-marin. Le fait qu’un camion transportant des matières inflammables ait pris feu et provoqué des dégâts supplémentaires au-dessus parait également plausible.

La non-revendication ukrainienne n’est pas une preuve dans un sens ou dans un autre. Les Ukrainiens ayant pris pour habitude de ne pas revendiquer (au moins tout de suite) certains actes de sabotage ou actions offensives précises sur les infrastructures ou forces russes.

Even closer images of the Crimean Bridge, fire seems to have burnt itself out. pic.twitter.com/AdO3yabZjh

— OSINTtechnical (@Osinttechnical) October 8, 2022

Additional footage pic.twitter.com/w5ngstLp5m

— OSINTtechnical (@Osinttechnical) October 8, 2022

Un pont stratégique

Ce pont de 18 km de long, inauguré en mai 2018 (pour la partie route) et en décembre 2019 (pour la partie ferroviaire), est vital pour ravitailler non seulement la Crimée, mais aussi une partie des territoires occupés par les Russes, en particulier dans la province du Kherson voisin. Ces villes peuvent être ravitaillées par l’Est de l’Ukraine tenu aux mains des Russes. Mais c’est plus long et compliqué.

Une défaite tactique pour la Russie

Et avant un rétablissement total, il faudra sans doute de longues semaines. Son effondrement au lendemain de l’anniversaire des 70 ans de Poutine un symbole majeur de l’offensive ukrainienne, tout comme le naufrage du navire-amiral russe, le Moskva. Pour le gouvernement ukrainien, récupérer la Crimée constitue un but ultime de la guerre. « Tout ce qui est illégal doit être détruit, tout ce qui a été volé doit être restitué à l’Ukraine, tout ce qui est occupé par la Russie doit être expulsé. » indique Mykhailo Podolya, le conseiller du président Zelensky, via twitter.

La guerre des infrastructures

Les explosions sur les gazoducs Nord Stream fin septembre et l’explosion sur le pont de Kertch ce matin n’ont bien entendu rien à voir. Mais elles sont tout de même le symbole d’une guerre des infrastructures qui est en train de se produire dans la foulée du conflit principal terrestre opposant les deux armées, ukrainiennes (aidées par les pays de l’OTAN) et russes. Une guerre de la logistique arrière dans le style : « Tu me tapes un gazoduc, je te pile un pont ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

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Le blog de B2 évolue

Tue, 04/10/2022 - 13:50

Presque quinze ans après un début en fanfare, le blog de B2 va connaitre une nouvelle évolution. B2 Pro Défense & Diplomatie a désormais pris son envol, avec son lot d’analyses, de décryptages, d’exclusifs et d’actualités.

Le blog va ainsi redevenir, ce qu’il était au départ : un blog journalistique, multi-dimensions, sans être mono-centré sur la défense. Avec toujours la même passion : faire vivre l’Europe géopolitique sous toutes ses dimensions. Et il contiendra ce qu’il faut de réflexions, de témoignages et de reportages…

À suivre dans quelques mois !

(Nicolas Gros-Verheyde)

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Scaf, EUMAM Ukraine, Spatial, Sanctions contre la Russie… les infos de B2 Pro (26 au 30 septembre)

Thu, 29/09/2022 - 12:47

(B2) Programme SCAF presque débloqué, EUMAM Ukraine empêtrée, Atos séparé de son activité spatiale, nouveau paquet de sanctions, déserteurs russes … Résumé des nombreuses informations parues ces derniers jours sur B2 Pro. Avec beaucoup d’analyses précieuses et d’exclusivités.

[Confidentiel] Le système de combat aérien du futur (SCAF) franchit une nouvelle étape

Plus d’un an après la signature des contrats au niveau politique, les derniers obstacles se lèvent au niveau industriel. Le SCAF est presque débloqué. L’Espagne ouvre le bal. Le couple franco-allemand doit suivre lors du conseil franco-allemand prévu fin octobre.

[Exclusif] EUMAM Ukraine : Une discussion plus difficile que prévue

Perdue entre l’assurance de la Pologne, le refus de Berlin et l’abstention hongroise, la future mission militaire européenne EUMAM Ukraine rencontre un retard à l’allumage. Les relations tendues entre certains États membres complique la donne. Néanmoins, des détails sur son commandement et la durée de son mandat se précisent…

[Actualité] Atos se sépare d’une partie de son activité spatiale

La restructuration de l’entreprise française de technologie Atos se poursuit. D’ici mars 2023, le Danois Terma aura racheté les activités spatiales d’Atos. Problèmes d’argent pour l’un et désir de davantage de visibilité européenne pour l’autre, les raisons évoquées par les deux parties méritent attention.

[Actualité] Sanctions contre la Russie … Rebelote !

Mercredi (29.09), la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le Haut représentant Josep Borrell ont présenté un 6ème paquet Ter de sanctions européennes contre la Russie. En réponse aux référendums fictifs organisés dans les territoires ukrainiens et à la menace de Poutine d’utiliser des armes nucléaires. Import/export, liste noire, pétrole russe… Quelles sont les nouveautés ?

[Actualité] Accueil des déserteurs russes : un dilemme pour les 27

 Faut-il accueillir les Russes refusant de faire la guerre de Poutine ? Les Européens sont partagés entre la nécessaire solidarité… et les menaces pour leur sécurité. Une crainte plus forte pour les pays jouxtant la Russie ou l’Ukraine. Les 27 cherchent une réponse commune 

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